La continuité des soins remet-elle en question le repos

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REPOS DE SÉCURITÉ
La continuité des soins remet-elle en
question le repos des praticiens
hospitaliers ?
a commission médicale d’établissement du CHU de Bordeaux a validé, le 28 avril 2003, dans le cadre
de l’organisation des tableaux de service, une modification du règlement intérieur de l’établissement,
autorisant à déroger aux dispositions relatives au repos de sécurité – repos quotidien des praticiens
hospitaliers pour assurer la continuité des soins.
S’il est bien sûr nécessaire d’assurer la continuité des soins, cela ne justifie pas qu’il soit porté atteinte au droit
au repos sans condition.
L
L’article 4 du règlement intérieur est ainsi rédigé : « dans
l’hypothèse où le repos de sécurité - repos quotidien, dans
son application, nuit gravement à l’application du principe
de continuité des soins, une transgression à sa mise en
œuvre peut s’imposer en référence à l’encadrement minimal requis pour les patients pris en charge, le jour considéré, dans l’unité médicale concernée ».
Cette assertion choque par la brutalité des expressions et
par l’opposition qui est faite entre le principe de continuité
des soins et le droit au repos des praticiens.
Cette modification du règlement intérieur traduit à l’évidence l’extrême difficulté du maintien d’un service public
de santé dans un contexte de maîtrise comptable des
dépenses de santé et d’absence de formation et de recrutement de praticiens en nombre suffisant.
L’application d’une telle prise de position n’est cependant
pas recevable sur le plan juridique.
I- L A
CONTINUITÉ DES SOINS DOIT
ÊTRE CONCILIÉE ET NON OPPOSÉE AU
DROIT AU REPOS
A- LE CHU DE BORDEAUX A OPPOSÉ CES
DEUX PRINCIPES, AU DÉTRIMENT DU DROIT AU
décidé de modifier son règlement intérieur en y intégrant
l’article 4 précité, validé par la CME le 28 avril 2003, qui
autorise l’établissement à ne pas respecter le droit au
repos des praticiens dès lors que la continuité des soins
l’exige.
Dans son principe, cet article 4 est empreint d’une logique
implacable et l’on comprend bien qu’en cas de nécessité
impérieuse et en l’absence de praticien disponible, un
praticien en repos puisse être appelé au chevet d’un
patient.
Pour autant, la rédaction de cet article surprend par son
caractère général et le risque d’arbitraire qu’il permet.
En effet, le règlement intérieur ne pose aucune autre limitation à l’atteinte du droit au repos du praticien que celle
du principe de continuité des soins, de telle sorte que la
continuité des soins prime sur le droit au repos : « dans l’hypothèse où le repos de sécurité – repos quotidien, dans son
application, nuit gravement à l’application du principe de
continuité des soins, une transgression à sa mise en œuvre
peut s’imposer ».
La difficulté réside à l’évidence dans l’appréciation de l’application du principe de continuité des soins qui n’est pas
défini et dont le caractère subjectif est évident.
REPOS
L’introduction du droit au « repos de sécurité – repos
quotidien » des praticiens hospitaliers est récente et sa mise
en œuvre devait donner lieu à un recrutement important
de praticiens.
26
Aujourd’hui, les recrutements attendus n’ont pas été réalisés dans des proportions suffisantes et les hôpitaux rencontrent des difficultés pour assurer la continuité des soins
et respecter le droit au repos de leurs praticiens.
C’est dans ces conditions que le CHU de Bordeaux a
D’une part, le principe de continuité des soins peut alors
justifier toutes les atteintes au droit au repos, dans la
mesure où l’on peut fixer des exigences liées à la garantie
de la continuité des soins de façon discrétionnaire.
D’autre part, il suffit de caractériser un risque de rupture
de la permanence des soins pour contraindre un praticien
à ne pas bénéficier de son droit au repos.
Or, il ne revient qu’à la direction de l’établissement d’établir les difficultés d’assurer la continuité des soins pour
supprimer le droit au repos des praticiens.
REPOS DE SÉCURITÉ
Le droit au repos des praticiens est donc laissé à la discrétion de la direction de l’établissement avec les risques
d’arbitraire que cela comporte.
La première partie de l’article 4 du règlement intérieur
conditionne l’atteinte au droit au repos aux hypothèses où
ce repos « nuit gravement » à la continuité des soins.
Le seul critère de la « gravité » ne permet pas de fixer une
limite à l’atteinte au droit au repos.
La seconde partie de l’article 4 du règlement intérieur
considéré semble poser des critères plus concrets : « une
transgression peut s’imposer en référence à l’encadrement minimal requis pour les praticiens pris en charge, le
jour considéré, dans l’unité médicale concernée ».
Cependant, aucun critère objectif ne s’en dégage concrètement.
L’analyse du texte du règlement intérieur fait apparaître une
opposition marquée entre le droit au repos et la continuité
des soins qui ne peut être résolue que par l’atteinte, sans
limite fixée, au droit au repos.
On est en droit de s’interroger alors sur l’efficience de la
législation relative au droit au repos dans la mesure où il
ne bénéficie d’aucune garantie particulière et est laissé à
la discrétion de la direction de l’établissement.
On retiendra seulement que l’établissement de soins qui
ne dispose pas d’un nombre suffisant de praticiens pour
permettre d’accorder les repos prévus à ceux exerçant en
son sein, est en mesure d’exiger qu’il soit passé outre ces
repos pour assurer la continuité des soins.
Les dérives potentielles sont évidentes, particulièrement
en période de limitation des budgets et la validation du
règlement intérieur de Bordeaux, en opposant droit au
repos et principe de continuité des soins, remet en cause
l’application d’un droit pourtant prévu par les textes.
Les dispositions adoptées par le CHU de Bordeaux, dans
la mesure où elles ne précisent pas les cas précis pour lesquels une atteinte au droit au repos de sécurité pourrait
être envisagée, permettent de détourner les dernières
modifications du statut des praticiens hospitalier.
B- LE DROIT IMPOSE LA CONCILIATION DES
PRINCIPES DE CONTINUITÉ DES SOINS ET DU
REPOS DES PRATICIENS
En réalité, le droit au repos et le principe de continuité ne
peuvent être opposés simplement.
REPOS DE SÉCURITÉ - REPOS QUOTIDIEN
RÉGLEMENT INTÉRIEUR AU CHU DE BORDEAUX
Article 1
Le repos de sécurité – repos quotidien concerne, en application des dispositions réglementaires en vigueur, l’ensemble des personnels médicaux impliqués dans l’organisation
de la permanence et la continuité des soins (internes, assistants généralistes et spécialistes, praticiens hospitaliers et personnel hospitalo-universitaire temporaire et titulaire).
Article 2
L’application du repos de sécurité – repos quotidien est effective à l’issue d’une présence et d’une activité continue au CHU
de 24 heures d’affilée. Le tableau de service mentionne pour
chaque praticien ou interne concerné la prise du repos de
sécurité – repos quotidien.
Article 3
En application du présent règlement intérieur, le repos de
sécurité – repos quotidien peut intégrer, sur la base du volontariat, dans un temps limité à la demi-journée immédiatement postérieure aux 24 heures d’activité continue : une
participation à des actions de transmission de consignes
médicales, des staffs, un suivi de visite d’unité d’hospitalisation, une mise à jour de dossiers, à l’exclusion de l’exercice
de toute activité clinique de prise en charge directe de
patients (gestes techniques, actes diagnostiques et cliniques,
consultations).
Il est admis qu’une période de garde sur place puisse dans
la continuité être suivie d’une période d’astreinte (et inversement) ; cette option d’organisation est validée au niveau
du Centre Hospitalier Universitaire de Bordeaux pour préserver la continuité des soins et éviter une mobilisation excessive des praticiens en exercice chaque week-end.
Article 4
Dans l’hypothèse où le repos de sécurité – repos quotidien,
dans son application, nuit gravement à l’application du principe de continuité des soins, une transgression à sa mise en
œuvre peut s’imposer en référence à l’encadrement minimal
requis pour les patients pris en charge, le jour considéré,
dans l’unité médicale concernée
Dans ce cas, le tableau de service mentionne l’absence d’application du repos de sécurité – repos quotidien en identifiant
le maintien de l’activité médicale du praticien ou de l’interne
concerné. La description du temps de travail médical situe,
ainsi, la période de non respect des dispositions réglementaires propres au repos de sécurité – repos quotidien au
cours de laquelle le défaut d’organisation relève de la responsabilité du CHU sans qu’une faute personnelle puisse incomber au praticien ou à l’interne concerné.
Dans ce contexte, la nécessité absolue du maintien d’une
continuité des soins justifie, au niveau du CHU, l’acceptation
de la responsabilité juridique du non respect du repos de sécurité – repos quotidien.
Bordeaux, le 28/04/03
Le droit impose que ces deux principes soient conciliés au
moyen d’un encadrement juridique adéquat.
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REPOS DE SÉCURITÉ
La continuité des soins remet-elle en question le repos des
praticiens hospitaliers ? (suite de la page 27)
◆ Premièrement, le principe de continuité des soins n’est
pas un principe à valeur absolue.
C’est un principe de droit interne rappelé par les dispositions du Code de la Santé Publique.
Les dispositions les plus précises concernant les sujétions
imposées au corps médical pour permettre l’application de ce
principe sont celles du Code français de déontologie médicale.
Son article 47 dispose : « quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
S’il se dégage de sa mission le médecin doit en avertir le
patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les
informations utiles à la poursuite des soins ».
L’article 77 du même Code ajoute : « dans le cadre de la
permanence des soins, c’est un devoir pour tout médecin
de participer aux services de garde de jour et de nuit ».
Il en résulte que des systèmes de garde doivent être mis
en place par le corps médical pour permettre d’assurer la
continuité des soins, sans exiger de chaque praticien qu’il
soit opérationnel en permanence.
Au contraire, le principe de continuité des soins exige des
gestionnaires des services de santé qu’ils organisent un
système de garde permettant de concilier la permanence
des soins avec les absences des praticiens.
La jurisprudence n’hésite pas à limiter la portée du principe de continuité des soins lorsque la qualité des soins n’est
plus assurée.
Ainsi, dans le cadre des nombreux litiges relatifs au reversement d’honoraires par les infirmiers exerçant à titre
libéral, la Cour Administrative d’Appel de Douai a récemment eu l’occasion de préciser que la continuité des soins
ne pouvait justifier qu’il soit passé outre les seuils d’activité fixés, correspondant à « des seuils d’efficience compatibles avec la qualité des soins » (1).
De la même manière, toujours dans le cadre des dépassements de seuil d’activité et des sanctions pécuniaires les
accompagnant, le Conseil d’Etat rappelle que la continuité
des soins ne saurait justifier de tels dépassements, dès lors
que la preuve de l’urgence de l’intervention médicale à
l’origine du dépassement n’est pas rapportée (2).
28
Enfin, lorsque le droit de grève des praticiens hospitaliers
doit être méconnu pour assurer la continuité des soins, le
juge administratif contrôle que l’effectif de praticiens sollicités à cette fin est proportionné par rapport aux nécessités de la continuité des soins.
Le Conseil d’Etat a annulé la décision du directeur d’un CHR
d’imposer le maintien en service d’un nombre trop important de praticiens (3).
Ce faisant, le Conseil d’Etat a limité de façon stricte la
possibilité de déroger, pour des motifs tenant à la continuité
des soins, au droit de grève des praticiens.
Le principe de continuité des soins est donc un principe
dont la mise en œuvre doit être limitée et conditionnée par
la garantie de la qualité des soins et par le caractère urgent
de l’acte médical à réaliser, la jurisprudence exigeant dans
ce cas une justification précise.
Dès lors, en l’absence d’urgence caractérisée, le principe
de continuité des soins ne permet pas de déroger aux
impératifs de qualité des soins et donc aux règles relatives
au repos de sécurité.
◆ Deuxièmement, le droit impose de respecter les dispositions relatives au repos des praticiens.
En effet, le droit au repos de sécurité est à la fois un principe de protection sociale en faveur des praticiens et un
principe de sécurité sanitaire pour le bénéfice des patients.
En cela, le droit au repos participe à la garantie de la qualité du système de santé, objectif poursuivi notamment
par la loi du 4 mars 2002 dite Loi Kouchner.
Le droit au repos de sécurité – repos quotidien trouve sa
source dans le droit communautaire.
En effet, la directive communautaire 93/104/CEE du 23
novembre 1993 modifiée relative à la réglementation de la
durée du travail, garantit notamment le repos quotidien des
travailleurs.
L’article 3 de cette directive est ainsi rédigé : « Les Etats
membres prennent les mesures nécessaires pour que tout
travailleur bénéficie, au cours de chaque période de 24
heures, d’une période minimale de repos de 11 heures
consécutives ».
Bien que cet impératif soit assorti de possibilités d’y déroger, la transposition par les autorités nationales, en droit
interne, a fait l’objet d’une interprétation stricte des dérogations.
En effet, contrairement au principe de continuité des
soins, le droit au repos de sécurité – repos quotidien
bénéficie d’une définition précise apportée par différents
textes de transposition qui rappellent son caractère
intangible.
REPOS DE SÉCURITÉ
Le décret n°2002-1421 du 6 décembre 2002 modifiant
le décret n°84-131 du 24 février 1984 portant statut
des praticiens hospitaliers prévoit à son article 5 que le
praticien « bénéficie d’un repos quotidien d’une durée
minimale de 11 heures consécutives par période de vingtquatre heures ».
nécessité de conjuguer « quantité » des soins et « qualité » des soins.
La seule dérogation au principe précité est prévue par
l’alinéa suivant qui introduit une possibilité de dérogation,
permettant d’instaurer une période de travail de 24 heures au maximum, avec, immédiatement à l’issue de cette
période, un repos d’une durée équivalente.
Ainsi, l’arrêté du 30 avril 2003 relatif à l’organisation et
à l’indemnisation de la continuité des soins réaffirme ce
principe et les attributions de la commission assurant la
permanence des soins répond à cette nécessité de conciliation.
A aucun moment, les dispositions du Décret du 6 décembre 2002 n’autorisent expressément d’aller au-delà de la
dérogation précitée.
Ce dispositif a été mis en place pour corriger notamment
les différences d’activité selon les activités et les services, pour réduire les difficultés de recrutement des praticiens hospitaliers, assurer un repos minimum aux personnels médicaux afin de préserver la sécurité des
patients et mettre en œuvre la réduction du temps de
travail.
Le Conseil d’Etat, sur la demande du SNPHAR, est venu
préciser la portée du droit au repos de sécurité en rappelant que « le décret du 24 février 1984 doit être interprété comme accordant à tous les praticiens hospitaliers
un repos de sécurité, qui, eu égard à l’objet de ce repos
et en l’absence d’autres dispositions dans ce décret, doivent être interprétés comme prévoyant l’arrêt de tout
travail des praticiens hospitaliers » (4).
Le droit au repos bénéficie donc de dispositions particulièrement protectrices qui ne prévoient pas expressément de dérogation pour permettre l’application du principe de continuité.
Le degré de protection conféré au droit au repos des praticiens a été rappelé par les services du Ministère à l’occasion de la circulaire DHOS/M2/2003 du 6 mai 2003 qui
précise : « En aucun cas le praticien ne peut travailler plus
de 24 heures consécutives ».
◆Troisièmement, la conciliation du principe de continuité
des soins et du droit au repos des praticiens s’impose du
fait de l’évolution récente du droit hospitalier qui exige
que soient respectés tant le principe de continuité des
soins que le principe de qualité des soins (5).
L’article L.1110-1 du Code de la Santé Publique, introduit par la loi du 4 mars 2002 relative à la qualité du système de santé exige expressément des établissements de
santé qu’ils assurent « la continuité des soins et la
meilleure sécurité sanitaire possible ».
L’hôpital ne doit pas se contenter d’être ouvert à toute
heure, mais il doit l’être avec des médecins disponibles
et efficaces.
Or, le droit au repos des praticiens participe à l’impératif de qualité des soins.
L’introduction du principe d’un repos de sécurité pour
les praticiens, principe sanitaire au bénéfice non du seul
corps médical mais des patients eux-mêmes, répond à la
C’est dans cette perspective que les organes de gestion
des hôpitaux ont reçu pour mission de concilier le repos
des praticiens et la permanence des soins.
En opposant le principe de continuité des soins et le
droit au repos de sécurité des praticiens, sans rechercher
la moindre conciliation ou encadrement juridique, la
CME du CHU de Bordeaux qui a validé la rédaction du
règlement intérieur précité a méconnu ses compétences
et sa mission.
Pour finir, la nécessité de concilier continuité des soins
et droit au repos en limitant les atteintes au droit au
repos de façon circonstanciée a été rappelée par le
Ministre de la Santé dans la circulaire précitée, n°219, du
6 mai 2003, qui indique : « en cas de nécessité de service,
un praticien peut être placé en astreinte pendant son
repos quotidien, notamment lorsque la permanence sur
place est assurée par un praticien ne justifiant pas de la
plénitude d’exercice. La nécessité de service doit être justifiée et appréciée avec discernement. Elle ne peut avoir
un caractère ni systématique ni répétitif ».
Il doit être noté que cette circulaire, alors même qu’elle
entend rappeler les limites aux atteintes au droit au
repos, introduit une possibilité de déroger à ce droit,
en cas de « nécessité de service », ce qui est déjà éloigné de la jurisprudence administrative qui considère que
les exigences de la continuité des soins peuvent permettre de passer outre les standards de qualité des soins
en cas d’urgence caractérisée.
En l’occurrence, par la généralité de ses termes et l’absence de conditionnement des atteintes au droit au
repos, le règlement intérieur du CHU de Bordeaux permet de donner un caractère systématique et répétitif à
l’atteinte au droit au repos des praticiens.
Il résulte de ce qui précède et plus précisément de la
jurisprudence du Conseil d’Etat précitée que la seule
situation permettant de méconnaître le droit au repos est
celle de l’urgence.
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REPOS DE SÉCURITÉ
La continuité des soins remet-elle en question le repos des
praticiens hospitaliers ? (suite de la page 29)
II- U NE
ATTEINTE EXCESSIVE AU
DROIT AU REPOS DES PRATICIENS
GÉNÈRE DES CONTENTIEUX
L’analyse des conséquences de la méconnaissance du
repos de sécurité confirme la nécessité de concilier le principe de continuité des soins et le droit au repos des praticiens en limitant de façon précise les hypothèses d’atteinte au droit au repos.
En effet, à défaut de cantonner les atteintes au droit au
repos à des hypothèses justifiées par l’urgence ou par la
nécessité impérieuse, les conséquences en termes de
responsabilité sont importantes pour l’hôpital, vis-à-vis des
patients et vis-à-vis des praticiens.
Il convient de relever à cette occasion que la version du
règlement intérieur validée par la CME du CHU de
Bordeaux prend en considération ce point, sans pour
autant rendre compte de l’enjeu réel des risques encourus.
Le deuxième alinéa de l’article 4 du règlement intérieur
de Bordeaux précise ainsi qu’en cas de « transgression »
du repos de sécurité – repos quotidien, : « (…) le défaut
d’organisation relève de la responsabilité du CHU sans
qu’une faute personnelle puisse incomber au praticien
ou à l’interne concerné. Dans ce contexte, la nécessité
absolue de la continuité des soins justifie, au niveau du
CHU, l’acceptation de la responsabilité juridique du non
respect du repos de sécurité – repos quotidien ».
La responsabilité de l’hôpital, en cas de méconnaissance
des temps de repos de sécurité peut être identifiée à
deux niveaux, vis-à-vis des patients et vis-à-vis des praticiens.
A – LA
RESPONSABILITÉ DE L’HÔPITAL VIS-À-
VIS DES PATIENTS
30
qu’une faute a été commise, généralement en démontrant que les troubles subis sont d’une telle importance
que seule une faute est susceptible de l’expliquer.
En l’occurrence, si la victime peut démontrer, à l’aide des
tableaux de service, que le praticien qui l’a prise en charge
n’avait pas bénéficié de son repos de sécurité, son action
en responsabilité contre l’hôpital se trouvera facilitée, la
méconnaissance du repos de sécurité constituant un
indice du défaut d’organisation du service.
- D’autre part, un praticien est soumis à une obligation
d’information du patient et les manquements à cette
obligation peuvent lui être imputés et constituer une
faute de service.
L’évolution jurisprudentielle actuelle élargit considérablement le contenu de l’obligation d’information du patient
sur tous les risques encourus, même si ces risques ne
constituent que de simples suspicions.
Cette obligation d’information sur les risques est sans
cesse renforcée par la jurisprudence, judiciaire comme
administrative (7) et comprend une obligation d’information du praticien sur tous les éléments susceptibles de
perturber la bonne fin de l’intervention médicale (8), y
compris sur les risques d’erreurs susceptibles d’intervenir (9).
A ce stade, il doit être souligné que même si en cas de
faute de service reconnue, seule la responsabilité administrative de l’établissement de soins est retenue, le fait
pour un praticien d’être à l’origine de la faute de service
considérée lui porte préjudice, notamment pour sa carrière.
Dans ces conditions, la méconnaissance du droit au repos
peut avoir des conséquences sur le praticien lui-même.
Surtout, les praticiens sont responsables devant l’Ordre
des médecins et tout manquement à leurs obligations
peut être sanctionné par l’Ordre.
◆ Premièrement, en méconnaissant le droit au repos des
praticiens hospitaliers, l’hôpital facilite aussi l’engagement de sa responsabilité envers les patients victimes
d’un dommage.
En l’espèce, la privation du droit au repos de sécurité
des praticiens hospitaliers génère un risque incontestable et évident pour la sécurité des soins apportés au
patient.
- D’une part, les juridictions administratives engagent la
responsabilité des hôpitaux pour faute présumée des services lorsqu’un patient est victime de troubles laissant
apparaître qu’une faute a été commise (6).
Par conséquent, dans la mesure où le fait d’être soigné
par un praticien n’ayant pas bénéficié de son repos de
sécurité constitue un risque, l’information complète du
patient nécessite qu’il lui soit indiqué que le praticien qui
le prendra en charge n’a pas bénéficié de son repos de
sécurité.
Il reste que le patient doit rapporter un début de preuve
REPOS DE SÉCURITÉ
Cette information doit permettre au patient de retarder l’intervention médicale qu’il doit subir pour bénéficier d’un personnel médical reposé.
Il en découle donc une obligation d’informer le patient de
ce que le temps de repos prévu par le statut des praticiens hospitaliers n’a pas été respecté et qu’il sera soigné
par un praticien n’ayant pas bénéficié du repos réglementaire.
◆ Deuxièmement, l’hypothèse de l’engagement de la
responsabilité pénale de l’établissement de soins et de
son personnel dirigeant ne peut être écartée.
En effet, la responsabilité pénale, à la fois de l’établissement
hospitalier, personne morale, et des gestionnaires, personnes physiques (administratifs, chefs de service, …), peut
être recherchée.
Il suffit de rappeler les jurisprudences relatives à l’engagement de la responsabilité pénale des employeurs de
transport routier pour apprécier les risques encourus.
L’employeur est reconnu responsable pénalement dès
lors qu’un chauffeur est à l’origine d’un accident et que
la cause de cet accident peut être expliquée par la fatigue du chauffeur, liée à des cadences difficiles à tenir et
à la méconnaissance répétée des temps de travail et de
repos (10).
L’analogie avec la situation vécue au sein de certains établissements de soins est aisée.
C’est certainement l’une des raisons qui encourage aujourd’hui un grand nombre de directeurs d’hôpitaux à recourir ponctuellement aux services de praticiens « mercenaires », pour pallier ponctuellement les effectifs défaillants
et assurer la continuité du service.
B – LA
En clair, l’hôpital détournerait ainsi le droit au repos en
« légalisant » les atteintes par la nécessité d’assurer la
continuité des soins, alors même dont il est en réalité
responsable.
Dès lors que la preuve peut être rapportée de ce que les
effectifs sont insuffisants pour établir des tableaux de
service permettant, en condition normale, de respecter
le droit au repos de chacun, la responsabilité de l’établissement de soins pourrait être engagée.
En effet, en qualité d’employeur, un établissement hospitalier doit tout mettre en œuvre pour assurer à ses agents
des conditions de travail permettant d’accomplir leur
mission et de respecter leur statut.
Un praticien démontrant le caractère répétitif et systématique du recours aux atteintes à son droit au repos
pourrait ainsi obtenir réparation du préjudice qu’il a subi.
◆ Deuxièmement, en application des dispositions de la
directive communautaire du 23 novembre 1993 modifiée, la durée maximale de travail hebdomadaire ne
peut dépasser 48 heures.
Précisément, pour des pompiers dont la durée hebdomadaire moyenne de service était de 57 heures, la juridiction administrative a déjà eu l’occasion, d’une part, d’enjoindre au chef de service concerné de réexaminer le
régime de travail de ses agents afin de mettre les obligations de service en conformité avec les objectifs de l’article 6 de la directive européenne et d’autre part, de
condamner le service de lutte contre les incendies à
indemniser le préjudice subi par ses agents (11).
En l’occurrence, l’atteinte au droit au repos de sécurité
implique un dépassement de la période de travail maximale admise de 24 heures.
RESPONSABILITÉ DE L’HÔPITAL VIS-À-
VIS DES PRATICIENS
De même que le praticien a le devoir de respecter les obligations de service qui lui sont imposées, l’hôpital est
tenu, de son côté, de respecter les droits dont disposent
les praticiens.
◆ Premièrement, il résulte du statut modifié des praticiens
hospitaliers une obligation pour les établissements de
soins d’organiser le service de telle sorte que le repos
de sécurité soit respecté, qui relève de l’obligation de
qualité des soins.
Si cette obligation n’est pas respectée et que le seul
moyen de garantir la permanence des soins est de méconnaître le repos de sécurité – repos quotidien, l’établissement de soins doit être réputé ne pas s’être donné les
moyens de satisfaire à son obligation.
Il en résulte qu’à l’occasion de l’atteinte au droit au repos,
en une seule période, le praticien accomplit ses fonctions pendant plus de 24 heures consécutives.
Dès lors que l’atteinte au repos de sécurité est répétitive
et systématique, les praticiens sont nécessairement
contraints de dépasser la durée légale de travail hebdomadaire.
L’organisation du travail dans le service considéré est alors
incompatible avec les dispositions de la directive et, conformément à la jurisprudence précitée, les praticiens victimes de l’organisation défaillante du travail dans leur service, sont fondés à exiger, d’une part, la mise en conformité
de cette organisation avec les dispositions de la directive
et d’autre part, l’indemnisation du préjudice subi.
Concrètement, si le droit au repos d’un praticien hospitalier est systématiquement méconnu en raison d’une
31
REPOS DE SÉCURITÉ
La continuité des soins remet-elle en question le repos des
praticiens hospitaliers ? (suite de la page 31)
mauvaise organisation du service ne permettant d’assurer la
continuité des soins et le droit
au repos des praticiens tel qu’il
résulte des statuts, l’intéressé
est en droit, s’il peut apporter
la preuve qu’il est amené à travailler plus de 48 heures par
semaine, d’exiger la mise en
conformité de l’organisation du
travail avec les dispositions de
la directive communautaire et
l’indemnisation de son préjudice.
En conclusion, le principe de
continuité des soins ne peut
être opposé de façon automatique au droit au repos des praticiens et un encadrement juridique des atteintes au droit au
repos doit être défini et justifié, en gardant à l’esprit que le
service de santé publique
attendu est un service qui
garantit la continuité des soins
ainsi que la qualité des soins
aux usagers.
Corinne LEPAGE
François BRAUD
Avocats au Bareau de Paris
SCP HUGLO-LEPAGE &
Associés–Conseil
CE QU’IL FAUT RETENIR :
1 – Les seuls cas d’atteinte au droit au repos pour assurer la continuité des
soins sont les cas d’urgence et de nécessité impérieuse et la continuité
des soins ne doit pas permettre de passer outre le droit au repos de
sécurité prévu par les textes.
2 – Lorsqu’un praticien est maintenu en service pendant son repos de
sécurité, son obligation d’informer le patient de tous les risques encourus nécessite d’informer chaque patient que le repos réglementaire n’a
pas été pris et que la fatigue est susceptible d’altérer les conditions de
sa prise en charge.
Cette information doit permettre au patient de retarder éventuellement
les soins qui doivent lui être dispensés.
3 – Une organisation des services ne permettant pas de respecter les statuts des praticiens est fautive.
Dans la mesure où l’organisation des tableaux de service nécessiterait des
atteintes systématiques et répétitives au repos de sécurité, les praticiens
seraient alors victimes d’une organisation des obligations de service
défaillante.
Ils seraient alors en droit d’exiger une mise en conformité de l’organisation des obligations de service avec le statut de praticien hospitalier de
telle sorte que le droit au repos soit respecté.
A défaut de s’y plier, les praticiens seraient à même de saisir les juridictions compétentes pour solliciter la mise en conformité des obligations
de service avec leur statut, ainsi que l’engagement de la responsabilité de
l’établissement hospitalier et l’indemnisation des préjudices subis.
A fortiori, dans la mesure où l’organisation des tableaux de service aurait
pour conséquence un dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire, de façon habituelle, les praticiens seraient fondés à demander
la mise en conformité des obligations de service avec les impératifs communautaires et la réparation des préjudices subis du fait de la méconnaissance de ces impératifs.
REFERENCES :
32
1– Cour Administrative d’Appel de Douai, 11 juillet 2002, Mme Danielle Lavalle, req. n°99DA20050
2 – Conseil d’Etat, 3 mai 2002, Mme Charles-Cazajou, req. n°224111
3 – Conseil d’Etat, 7 janvier 1976, CHR d’Orléans, req. n°92.162, p.10
4 – Conseil d’Etat, 25 avril 2003 Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs, req. n°240139
5 – Michèle VOISSET, « La reconnaissance en France, d’un droit des citoyens à la qualité dans les services publics », Revue Française de Droit Administratif,
1999, p.743
6 – Conseil d’Etat, 15 avril 1983, Epoux Rousseau, p.156
7 – Conseil d’Etat, 5 janvier 2000, Consorts Telle, Revue Française de Droit Administratif, 2000, p.653
8 – Conseil d’Etat, 14 février 1997, CHR de Nice, Droit Administratif 1997, n°146
9 – Cour Administrative d’Appel de Paris, 12 novembre 1999, Consorts X c.APHP, RDP 2001, p.1267, commentaires Arnaud Gossement
10 – Cour d’Appel de Douai, 29 mai 1997, Philippe Shipman c.Alfreda Herbaut et autres, Gaz. Pal, 30 janvier 2000, p.45
11 – Tribunal administratif de Toulouse, 14 décembre 2001, Chassan,AJFP 2002, p.21
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