PRÉFACE
Ce livre n’est pas né d’un dessein médité ; il n’a pas été écrit suivant un
plan conçu d’avance : il est le résultat de circonstances successives, presque
indépendantes de la volonté de l’auteur. C’est ce qui explique la forme peu
habituelle sous laquelle il est présenté au public.
Dans le courant de l’année 1927, j’eus l’occasion de faire, à l’Institut
Antimarxiste de Paris, une série de conférences sur les « Origines secrètes
du bolchevisme », sujet peu connu, même par les spécialistes de la question.
La vraie figure de Karl Marx, conspirateur génial bien plus que sociologue,
s’en dégagea avec une vigueur inattendue. On me pressa de la fixer dans une
étude définitive, au lieu de la laisser s’estomper peu à peu dans la mémoire de
mes auditeurs, comme il est arrivé pour tant d’autres sujets historiques traités
oralement par moi. J’acceptai de le faire. De là naquit une série de quatre
articles, publiés dans La Revue de Paris, du 1er juin au 15 juillet 1928,
sous le titre : Henri Heine et Karl Marx.
Ces articles n’utilisaient pas, à beaucoup près, toute la substance de mes
conférences à l’institut Antimarxiste ; embrassant, en effet, une période
beaucoup plus considérable, mon cours conduisait l’histoire du Communisme
jusqu’au temps présent. Comme on le verra plus loin, l’étude que j’en ai tirée
traite surtout de Karl Marx et de ses inspirateurs immédiats. Je ne prévoyais
pas, en l’écrivant, les orages qu’elle devait soulever d’un certain côté de l’opi-
nion, ni les répliques que je serais obligé de faire à des attaques furibondes.
Je dois rendre ici hommage à la haute impartialité du directeur de La
Revue de Paris, M. le comte de Fels, qui n’est pas seulement le sociologue le
plus remarquable de ce temps, mais aussi le plus libéral des directeurs de
revues. Son éclectisme averti lui a permis, à maintes reprises, d’ouvrir aux
théoriciens avancés des divers partis contemporains les colonnes de sa revue,
dont il a fait le lieu de rencontre de tous les grands courants d’idées qui se
disputent l’intellectualité moderne. La Revue de Paris, comme le disait
dans un récent discours M. Poincaré, « est l’image écrite de la France ».
Mon étude, sans sortir du terrain des faits, présentait des conclusions vi-
goureuses. Malgré cela, M. le comte de Fels lui accorda l’hospitalité, se bor-
nant à me demander le sacrifice de deux ou trois paragraphes qui eussent pu
heurter trop violemment des lecteurs d’opinion différente. On trouvera ces
paragraphes rétablis dans le présent volume, non qu’ils aient une importance