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La famille de ce garçon ayant donné des signes d’opulence dans sa manière de vivre, les
fonctionnaires du coin en conçoivent de la jalousie et font emprisonner le père,
l’accusant d’avoir gardé pour lui un trésor qu’il a trouvé, au lieu de le déclarer au roi
comme l’exige la loi. Sanglots et lamentations de la part de l’épouse absolument fidèle.
La force de sa vertu produit son effet : la porte principale du temple refuse de s’ouvrir.
Le roi, pressentant qu’une injustice a été perpétrée à son insu dans son royaume, fait
procéder à une enquête. Les fonctionnaires affectés à cette tâche lui présentent l’homme
injustement incarcéré et exposent au roi les faits. Le roi reconnait le tort commis en son
nom, fait immédiatement libérer l’innocent, le comble de présents, se prosterne devant
lui et devant son épouse au pouvoir si puissant. Il ne s’arrête pas là, il fait proclamer par
un héraut à dos d’éléphant une nouvelle loi : « Dorénavant les biens trouvés
appartiendront à ceux qui les auront trouvés au même titre que les biens reçus des tiers
et les biens acquis au prix d’un effort personnel ». Ainsi le souverain, constatant que la
loi mène à l’injustice, améliore la loi. Juger n’est pas seulement appliquer
scrupuleusement les règles juridiques établies, c’est aussi modifier les règles ainsi que
l’exige la justice.
On pourrait multiplier les exemples. On se contentera de la légende de Manou Nidi
Sojane, où la justice atteint son point ultime. On la trouve dans la littérature tamoule
avant le début de l’ère chrétienne. Elle a été reprise plusieurs fois. Voici, en résumé, la
légende telle qu’elle apparaît dans un poème du Moyen Age.
La justice régnait dans le royaume de Manou Nidi Sojane. Les gens s’appliquaient à ne
faire du mal à aucun être vivant. La cloche qui se trouvait à l’entrée du palais, invitant
toute personne lésée à se plaindre au roi, n’avait pas été tirée une seule fois depuis qu’il
était monté sur le trône. C’était un véritable état de grâce collectif. Alors la déesse de la
justice veut mettre le roi à l’épreuve. Elle prend la forme d’un jeune veau, se jette sous
les roues du char du dauphin et meurt. La vache va droit tirer la cloche d’alarme, le roi
sort, bouleversé. La vache réclame justice pour le meurtre de son petit, ses sanglots font
frémir.
Le jeune prince est le fils unique du roi, il a seize ans accomplis et se destine à prendre
ses fonctions de prince héritier. Il est connu pour sa piété, son caractère élevé, son
respect pour la loi, sa grande compassion pour tous les êtres. Quand le roi est au courant
des faits, il réfléchit et décide que son fils qu’il adore doit périr. Les larmes de la reine
demeurent impuissantes. Les ministres s’efforcent de sauver la vie du prince. Ils
rappellent que la peine de mort n’est applicable qu’en cas de meurtre d’un être humain
et non d’un animal. Ils suggèrent la possibilité de la peine alternative de la pénitence de
vingt ans.
Le roi n’a guère de mal à repousser leurs arguments. La pensée du roi n’est pas tournée
vers la punition. Son tourment est de ne pouvoir offrir une réparation adéquate à la
vache aux larmes intarissables. Il se sent fautif de ne pouvoir la satisfaire. Pour obtenir
l’absolution de sa faute, il lui faut une punition pour lui-même. La plus adéquate à ses