D'où vient donc la « rétivité » de celui des deux chevaux qui se trouve à
l'origine de toutes nos misères ? D'où vient la malignité du Serpent qui
habite le paradis terrestre de la Bible ? Même mystère dans les deux cas.
Remarquons cependant que la mythologie biblique, pour expliquer la
chose, a inventé une chute des anges, qui rappelle assez celle des âmes
chez Platon. Lucifer ne veut pas obéir, comme Adam et Ève eux-mêmes.
Chez Platon l'épreuve consiste à monter sur le toit du monde pour
pouvoir, de là, regarder de ses yeux la vraie réalité située dans un autre
monde. Pour la Bible, elle consiste à obéir à la parole de Dieu venant d’un
autre monde ; autrement dit à « écouter » Dieu. La différence recoupe
celle entre l'œil et l'oreille.
Cette suprématie de la vue se trouve non seulement dans Platon et dans
toute la philosophie grecque, mais dans toute sa culture, qui rendait un
culte aux formes, sensibles avec l’art, intellectuelles avec la pensée
philosophique et scientifique. Mais la culture juive, au contraire, vouait
un culte à la Parole, à l’audition, à l’écriture, peut-être à la musique. Elle
ignorait pratiquement la peinture, la sculpture, l’architecture, tout
comme le théâtre, arts de la forme matérielle ou humaine et elle n’a
développé aucune forme de pensée théorique ou formelle.
La pratique de la philosophie, avec le ressouvenir des Idées éternelles qui
la définit chez Platon, aurait le pouvoir de faire repousser les plumes sur
les ailes de l'âme. Là est le seul espoir pour l’être humain. Selon la Bible
cependant, il faut que cet être « écoute » la parole de Dieu le Père,
consignée dans l'Écriture ; mais écoute Jésus aussi, son verbe créateur en
personne, son Fils, le Logos. Cela veut dire en pratique ouvrir son cœur à
l'amour généreux, agapique, non d'abord pour le monde ou la nature,
mais pour le créateur et pour les autres humains qui tous sont faits à son
image et à sa ressemblance. Évidemment, l'amour des autres devra viser
en priorité ceux qui souffrent, les petits, les pauvres, les déshérités. Cela
seul permet de se sauver, au dire de Jésus, c'est-à-dire d'entrer avec son
corps et son âme dans le paradis supraterrestre de l'amour divin.
La voie grecque est celle de la connaissance vraie, qui n'est pas forcément
dépourvue d'amour. La preuve en est la théorie de l’Éros chez Platon
encore, qui conduit l’amant vers Dieu. Mais la voie juive et chrétienne,
musulmane aussi dans une certaine mesure, est celle de la pureté du
cœur, de la foi et de l'amour vrai, qui n'est pas nécessairement dépourvue
de savoir. La preuve est que les Pères de l’Église sont souvent de grands