« Cela ne veut pas dire que la profession médicale ne fait pas un travail impressionnant pour
empêcher les gens de souffrir. » Comme la plupart des médecins spécialisés en soins
palliatifs, un domaine mettant l'accent sur la qualité de vie des patients en fin de maladies
graves ou de vie, elle pense que la légalisation du suicide assisté est inutile. « L'idée que si les
gens ne se suicident pas, ils vont mourir avec un respirateur artificiel à l'hôpital serait
amusante si elle n’était pas aussi grave, » dit-elle. Elle croit que l'angoisse qui nourrit ce
mouvement serait diminuée si les patients avaient un meilleur accès à des soins palliatifs et si
les médecins étaient plus attentifs à la souffrance psychologique de leurs patients.
En Oregon et en Suisse, des études ont montré que les personnes qui demandent la mort sont
moins motivées par la douleur physique que par le désir de rester autonome. Ce raisonnement
a été illustré par Brittany Maynard, une jeune mariée de vingt-neuf ans, qui a déménagé en
Oregon l'an dernier pour qu'elle puisse mourir au moment choisi plutôt que de laisser son
cancer du cerveau suivre son cours. Son histoire a fait la couverture du magazine People, qui
l'a décrite comme ayant « l'âme d'un aventurier et le cœur d'un guerrier. » Elle est devenue le
visage de l’aide à mourir, beaucoup plus présentable que celui de Jack Kevorkian, qui avait
déjà rempli ce rôle. Contrairement aux patients que Kevorkian aidait à mourir grâce à une
« machine à suicide » bricolée, Maynard ne semblait ni passive, ni vulnérable. Depuis sa
mort, il y a huit mois, les législateurs de plus de vingt-trois États américains ont présenté des
projets de loi qui rendraient légale l’aide à mourir.
Les opposants ont averti depuis des années que la légalisation serait une « pente glissante »,
mais en Oregon, moins de neuf cents personnes ont demandé des prescriptions létales depuis
que la loi a été adoptée, et ils représentent la catégorie sociale la moins susceptible d'être
influencée : ils sont massivement blancs, instruits et aisés. En Belgique et aux Pays-Bas, où
les patients peuvent être euthanasiés, même sans maladie mortelle, les lois semblent avoir
imprégné le corps médical plus profondément qu'ailleurs, peut-être en raison du rôle central
accordé aux médecins : dans la majorité des cas, c’est le médecin, et non le patient, qui
accomplit le geste final. Au cours des cinq dernières années, le nombre d'euthanasies et de
suicides assistés aux Pays-Bas a doublé, et en Belgique, il a augmenté de plus de 150%. Bien
que la plupart des patients belges présentait un cancer, les gens ont également été euthanasiés
pour des raisons d’autisme, d'anorexie, de trouble borderline, de fatigue chronique, de
paralysie partielle, de cécité associée à la surdité et de bipolarité. En 2013, Wim Distelmans a
euthanasié un homme transgenre de quarante-quatre ans, Nathan Verhelst, parce Verhelst
avait été dévasté par l'échec de ses chirurgies de changement de sexe ; il disait se sentir
monstrueux quand il se regardait dans le miroir. « Adieu, tout le monde, » a-t-il déclaré de son
lit d'hôpital, quelques secondes avant de recevoir une injection létale.
Les lois semblent avoir créé une nouvelle conception du suicide, aujourd’hui vu comme un
traitement médical, dépouillé de ses dimensions tragiques. Patrick Wyffels, un médecin de
famille belge, m'a dit que le processus d'euthanasie, qu’il réalise huit à dix fois par an, a une
composante « magique. » Mais il s’inquiète parfois de la façon dont ses propres valeurs
pourraient influencer la décision d'un patient de vivre ou de mourir. « Selon ma manière de
communiquer, je pourrais guider les patients dans telle ou telle voie, » raconte-t-il. Dans les
jours qui précèdent et qui suivent une euthanasie, il a du mal à dormir. « Vous passez sept ans
à étudier pour devenir médecin, vous apprenez comment remettre les gens en bonne santé et
puis, soudain, vous faites tout le contraire, » me dit-il. « J’ai peur du pouvoir que j’ai à ce
moment. »