I Quand on parle un «nouveau français» : L`avenir du français p

INTRODUCTION
La compréhension de l’évolution d’une langue ne passe pas seulement par l’é-
tude de son histoire. Cela passe également par l’analyse de la situation actuelle afin de
faire une projection sur l’avenir. Il est effectivement intéressant d’expliquer l’existence
d’une langue, mais n’est-il pas aussi intéressant d’essayer d’expliquer les nouvelles ten-
dances et de deviner la situation linguistique dans un futur proche?
Si on pouvait retourner dans le passé, on pourrait questionner des hommes liés à
la protection de la langue française tels que François Ier, Richelieu ou Jules Ferry et leur
demander leurs prévisions sur l’état de la langue française au XXIème siècle. On pour-
rait donc analyser leurs réflexions, leurs appréhensions et leurs souhaits par rapport à
l’évolution de la langue. Cela nous permettrait peut-être de découvrir des similitudes
et/ou des différences avec nos réactions. En fait, on percevrait mieux les raisons de nos
attitudes. On pourrait donc se sentir plus rassurés ou au contraire plus angoissés par rap-
port à l'avenir de notre chère langue française. Mais cela ne répondrait de toute façon
pas à la question de savoir si celle-ci est en bonne santé et si son avenir est assuré.
Il faut pour cela étudier la situation actuelle du français, notamment au sein de la
société française. En effet, tout le monde le sait, la langue continue d'évoluer, d'abord
très vite à l'oral, puis beaucoup plus tard à l'écrit. Les principaux acteurs de cette évolu-
tion sont les classes sociales défavorisées ou qui se sentent rejetées, comme cela a tou-
jours été le cas dans l'histoire. Dès le XVème siècle, certains auteurs s'aperçoivent de
l'enrichissement de la langue par de nouveaux mots (Villon par exemple), la plupart
provenant de l'argot des voleurs. Actuellement, ce phénomène s'est considérablement
élargi, puisque la langue du peuple, la langue des Français, est très influencée par le vo-
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cabulaire et les tournures syntaxiques des jeunes des banlieues, qui n'ont d'ailleurs
jamais été aussi créatifs. De plus, le niveau de vie actuel est beaucoup plus élevé, grâce
aux innovations technologiques, aux sciences, et grâce également à la mondialisation.
On voit bien ici que cette amélioration du niveau de vie contribue à l'enrichissement de
la langue, par l'introduction de nouveaux mots d'une part, qui définissent de nouveaux
objets et de nouveaux concepts, et par l'importation de mots de langues étrangères
d'autre part. On peut alors se demander par quels procédés linguistiques notre chère
langue française évolue.
D'un autre côté, si les Français parlent peu à peu une langue différente de celle
qui était parlée il y a quelques siècles ou décennies, la question que l'on peut se poser
est comment les institutions qui régulent le fonctionnement de la langue réagissent par
rapport à cela, car la langue orale s'éloigne vite de la langue écrite, et il devient très dif-
ficile de garder une vieille norme non adaptée aux besoins des nouvelles générations.
D'ailleurs, depuis quelques années, des organismes réfléchissent à l'évolution lexicale de
la langue française. C'est le cas, notamment, de l'Académie française. Bien que celle-ci
soit sous l'influence des élites, traditionnellement conservatrices sur tout ce qui touche
la langue française, elle finit par accepter le changement. Cela est le cas par exemple
pour la féminisation des noms de métiers ou les rectifications de la nouvelle
orthographe. Toutefois, le processus de normalisation de la langue est ardu et
extrêmement compliqué. Tout doit être fait avec calme et beaucoup de tact, afin de ne
pas offusquer ceux qui se montrent encore très réticents. Ici encore, la question est de
savoir si la langue écrite évolue réellement, et si les Français suivent cette évolution.
Finalement, le peuple français n'est pas l'unique détenteur de la langue française.
Celle-ci appartient à des millions d'hommes et de femmes, qui habitent des pays dif-
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férents, aux quatre coins du monde. En plus, du fait que celle-ci subit bon nombre
d'influences chez eux, on s'attachera plutôt ici à la question de savoir quelle est la portée
de la langue française au niveau mondial. L'avenir de cette langue se joue également ici.
L'évolution au niveau lexical et syntaxique est une chose, l'existence de la langue même
en est une autre, et sur ce plan, les préoccupations sont très importantes. Alors langue
universelle au siècle de Rivarol, tout au moins, langue de la diplomatie et de la culture,
il semble que le français ces derniers temps recule, face surtout à la langue anglo-
américaine. On peut donc se demander si la langue française se trouve en danger (et si
danger il y a). Pour cela, il est important d'étudier ce problème au cas par cas d'une part,
c'est à dire, dans tous les pays et régions qui ont le français en partage ou qui ont des
affinités avec la langue et la culture francophone, et il est également important de
savoir, dans le cas ce danger existe réellement, s'il n'existe pas déjà des synergies
entre les pays francophones, de façon à écarter ce danger et à garantir un bel avenir à la
langue française.
Par conséquent, ce travail portera sur deux plans: sur le plan de la structure de la
langue française d'une part, en s'attardant particulièrement sur la réalité française, et sur
le plan de son épanouissement mondial d'autre part, en analysant scrupuleusement si le
français n'est pas menacé dans tout l'espace francophone et au niveau de toutes les
institutions internationales. L'ensemble pourra permettre peut-être de répondre à cette
question essentielle: Quel est l'avenir de la langue française?
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I Quand on parle un «nouveau français»: L’avenir du
français parlé et écrit
«La langue française est une noble gueuse, elle ne souffre pas qu'on l'enrichisse malgré elle»
PRÉVOST, Marcel
Le français est une langue très standardisée. En effet, il y a dans cette langue, et
notamment au niveau écrit, une certaine rigidité, sont dictées des règles autoritaires
et peu flexibles. C'est pour cela que la langue française bénéficie d'une représentation
élitiste et figée, qu'elle est souvent considérée comme la langue de la Culture, peu évo-
lutive et peu fonctionnelle. Or le français écrit normé se distingue nettement du français
oral, parlé de manière différente dans les diverses régions françaises, du monde, et au
sein même des couches sociales spécifiques. Et chez les jeunes des banlieues, la langue
parlée est vraiment singulière.
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1.1. Quand les Français parlent le français
banlieusard…
«L'école n'est pas seule à instruire les jeunes. Le milieu et l'époque ont sur eux autant et plus d'influence
que les éducateurs.»
VALÉRY, Paul
Beaucoup de Français disent que les jeunes, et notamment les jeunes de la ban-
lieue, ont leur langage. Il s'agit bien d'un langage, et non d'une langue. En effet, si les
jeunes continuent à utiliser la langue française, ils lui font subir de nombreux
changements, mais peut-être pas beaucoup plus que les médecins, les psychologues ou
les psychiatres lorsqu'ils s'expriment entre eux.
Ce langage, comme tous les langages, fonde une identité à l'intérieur d'un groupe
social. C'est une sorte d'affirmation. Pour ces jeunes qui repoussent l'école mais aussi
toute forme d'autorité, parler un autre langage que le français académique, que le
français du pouvoir, est une attitude qui plait et qui rend fier. Pour certains, leur lan-
gage, propre des banlieues (mais qui s'exporte peu à peu vers d'autres milieux), est ap-
pelé le «français banlieusard» ou le «français des cités»1.
Ce qui est remarquable ce n'est pas la création lexicale en soi mais c'est surtout
l'appropriation du vocabulaire ou d'une partie du vocabulaire par les autres générations.
Alors que le jargon des médecins ou des psychiatres reste restreint, le langage des
jeunes s'intègre très vite dans toutes les couches de la société. C'est pourquoi le langage
1 A ce propos, dans son livre, Mauger (1998 : 29-39) décrit les jeunes des quartiers comme des «jeunes à perpétuité», vivant entre
périodes de chômage, d'emplois précaires et de stages de formation, et qui se livrent, inactifs, à la culture des rues et au monde
des bandes. Ils acquièrent ainsi une identité propre, avec un langage qui leur est propre.
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