Gilbert Hottois, Aux fondements d`une éthique contemporaine

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Hottois
(Gilbert)
(éd.)
Aux
fondements
contemporaine. H.Tonas et H.T.Engelhardt
et controverses - Paris, 1993)
d'une
éthique
(Vrin, Problèmes
Cet ouvrage
collectif
porte
de
manière
critique
sur
l'articulation de l'éthique et des technosciences chez H.T.Engelhardt
et H.Jonas. G.Hottois parvient, par une présentation rigoureusement
structurée, à éviter les pièges inhérents à la multiplicité et à la
diversité :
une
introduction
générale
et
une
présentation
systématique des trois chapitres de ce livre de 250 pages, unifient
les analyses effectuées par douze auteurs en mettant en relief la
richesse de leurs oppositions ou de leurs complémentarités.
*
La
première
section
{H.Jonas : métaphysique,
éthique,
politique)
s'ouvre par un texte inédit en français de H. Jonas {Le
fardeau et la grâce d'être mortel). L'auteur reprend, en une
synthèse remarquable étayée par son expérience personnelle, la
réflexion qu'il a menée jusqu'alors sur la condition humaine.
Les quatre autres contributions à cette section s'appuient
principalement sur le Principe
Responsabilité pour dégager les
lignes de force de la pensée jonassienne :
— L'exigence
d'une
nouvelle
philosophie
de
la
nature
(F.Tinland). Jonas intègre l'approche technoscientifique cartésienne
et partielle de la nature dans une analyse rétrospective élargie où
la finalité-valeur de l'être, perceptible même dans les formes les
plus primitives de la vie, culmine dans l'être humain, source d e
finalité et de valeur par excellence. Cette solidarité ontologique du
vivant fonde la responsabilité de l'être humain à l'égard de la
préservation de son espèce et du monde naturel.
— La réfutation du nihilisme (J.Dewitte). Le «oui à l'être» ainsi
fondé dans l'être, est également une réponse au nihilisme qui ne
reconnaît aucune valeur absolue et n'accorde à la présence humaine
sur terre, aucune nécessité ni
signification
transcendante.
Si
l'entreprise de fondation ontologique passe (du Phenomenon
of
Life9 au Principe responsabilité)
du mythe à l'argumentation
métaphysique, elle s'emploie toujours à valoriser pour eux-mêmes
les moyens mis en œuvre par l'être humain pour sa survie. Elle
ouvre de cette manière la voie à une possible rencontre entre la
puissance et le bien.
— L'adieu critique aux utopies (D.Janicaud). Le refus de la
condition humaine présent au cœur du nihilisme, s'exprime aussi
dans les idéologies utopistes (Marx, Bloch) qui se nourrissent de la
volonté de puissance technoscientifique
pour modeler, à leur
" H . J o n a s , Le Principe
responsabilité. Une éthique pour la
civilisation
technologique,
traduit par J.Greich, Ed. du Cerf, 1990
9
H . J o n a s , The Phenomenon
of Life, University of Chicago Press, 1966
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convenance, un être humain depuis toujours «complet» aux yeux de
Jonas. Ce n'est pas, cependant, à ces utopies (dépassées aujourd'hui)
que le message jonassien devrait s'adresser mais bien à la
dynamique technoscientifique dont l'opérativité met réellement en
question la condition humaine.
— La peur comme procédé heuristique
et comme
instrument
de persuasion (B.Sève). L'heuristique de la peur est conçue comme
un
moyen
d'éviter
les
conséquences
néfastes
du
progrès
technoscientifique pour l'existence et l'essence humaines. La peur
salutaire
engendrée
par
des
anticipations
systématiquement
pessimistes des effets
de la techno science, doit révéler les
véritables valeurs humaines et justifier les décisions autoritaires et
impopulaires que les politiciens devront peut-être prendre pour les
préserver. B.Sève critique les conséquences anti-démocratiques de
cette perspective.
*
La deuxième section {H.T.Engelhardt et l'éthique du discours)
comporte deux chapitres consacrés au rapport que la p e n s é e
d'Engelhardt entretient avec deux champs contemporains de la
réflexion philosophique, la bioéthique et le langage :
— Bioéthique et éthique procédurale
(M.-H.Parizeau). Les
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Foundations of Bioethics
proposent des principes régulateurs
(Principe d'autonomie et Principe de bienfaisance) qui
doivent
gérer de manière éthique (sans violence) la confrontation
des
différences individuelles et collectives dans une société pluraliste.
Le langage, médium de l'expression et de la discussion, occupe u n e
place de première importance dans cette éthique procédurale
attentive à la problématique morale de la société américaine en
général et de la profession médicale en particulier.
— Les Foundations of Bioethics
d'Engelhardt
et
l'éthique
discursive
(W.Kuhlmann). Etre moral, pour Engelhardt, c'est tolérer
n'importe quelle croyance pour autant qu'elle ne cherche à
s'imposer que de manière symbolique, c'est-à-dire par le langage.
C'est précisément ici que l'éthique procédurale se démarque de
l'éthique du discours apelienne : celle-ci exige, en se rapportant à
l'universalité de la Raison impliquée dans le Logos (langage) que la
discussion
argumentée
conduise
à
des
conlusions-décisions
reconnues comme rationnelles par toutes les parties intéressées a u
débat. Il s'agit en effet d'éviter les usages langagiers
(sophisme,
propagande,...) qui, en manipulant symboliquement autrui, entrent
en conflit avec l'éthique du respect de l'autre.
*
La troisième et dernière section {H.Jonas et H.T.Englehardt en
perspective)
ouvre l'horizon de l'analyse critique de ces deux
pensées à la philosophie politique, au néo-aristotélisme et à la
religion :
1
^.T.Engelhardt,
University Press,
The Foundations
1986
of Bioethics, Oxford-New York, Oxford
19
— «Le paradigme perdu» : l'éthique contemporaine face à la
technique
(F.Volpi). Dans la diversité des éthiques élaborées e n
contrepoint
des
avancées
technoscientifiques,
le
Principe
responsabilité
a l'avantage d'offrir une perception correcte des
problèmes actuels et le désavantage de proposer une
solution
politique privilégiant le pouvoir fort et supposé
«éclairé»
au
détriment de la démocratie. La partie éthique de
l'ouvrage
(l'élargissement temporelle aux générations futures et spatiale à
toute forme de vie terrestre) se distingue de manière originale du
courant néo-aristotélicien en plein essor en Allemagne.
— «Before and after Virtue» (M.Weyembergh). En confrontant
la pensée de Jonas
et
d'Engelhardt
sur
plusieurs
thèmes
(l'évaluation de la technoscience, le nihilisme, le statut de
l'humanité, la politique), il apparaît que le premier tend à globaliser
les questions tandis que le second fragmente et réduit chaque
problème. La démarche minimaliste d'Engelhardt semble la plus
apte à s'intégrer dans des sociétés où le discours éthique est peu
efficient.
— Communauté éthique et communauté politique (J.-Y.Goffi).
Si l'on articule les pensées de Jonas et d'Engelhardt non en termes
d'opposés mais de complémentaires, la morale jonassienne pourrait
être envisagée comme une morale particulière dans une société
pluraliste gouvernée par le respect du principe d'autonomie. Jonas
refuserait sans doute cette situation : la liberté et la tolérance
défendues par Engelhardt ne permettent pas de prendre et de
justifier au niveau planétaire, des décisions politiques sauvant l'être
humain et la nature de l'apocalypse.
— L'horizon
temporel de l'éthique
et le poids de la
responsabilité
(D.Mûller). Une lecture judéo-chrétienne du Principe
responsabilité
montre d'une part, que l'éthique de la responsabilité
repose sur l'acceptation de la finitude humaine et sur une
valorisation homogène (anti-nihiliste) de la temporalité (passéprésent-futur) et, d'autre part, que la lourde responsabilité dont
Jonas charge l'être humain, est à mettre en relation avec la
conception du divin telle qu'elle est élaborée par la mystique juive.
— Un regard ratio-critique sur le rôle du sacré (F.Mann). Une
mise en perspective ratio-critique du Principe responsabilité et une
comparaison de ses éditions allemande et française montrent que la
fondation de la responsabilité ne s'effectue pas sur des arguments
laïcs et universels mais sur une intuition du sacré.
Marie-Geneviève
Pinsart
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