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L’APPROCHE DES ENFANTS EN DIFFICULTES SCOLAIRES DU FAIT DE TROUBLES
PSYCHIQUES ET COMPORTEMENTAUX
Dr PIERRE Richard
25 octobre 08
Formation AVSI
1) Préambule
La question de savoir ce que nous appelons troubles de la conduite n’est pas anodine, surtout dans
ces temps sécuritaires où, sous prétexte de prévention, nous deviendrions capables de prédiction
quasiment scientifique.
Ce n’est pas anodin car sur la base de cette notion de troubles de la conduite et du caractère, plus
ou moins liés avec les THADA (hyperactivité et déficit de l’attention), séparés ou non des TOP
(troubles oppositionnels avec provocation) des enfants sont orientés par la MDPH vers des ITEP.
Ces troubles seraient donc des handicaps fixés (cf. les études sur les jumeaux…) qu’il s’agirait de
compenser par des programmes éducatifs et médicamenteux.
Troubles de la conduite et du comportement (ou du caractère selon les époques !) : quelle différence
entre conduite et comportement ? Est-ce une catégorie nosographique réelle, utile ? Est-ce un
trouble psychiatrique et/ou une catégorie sociologique ? Pourquoi l’explosion actuelle de ce
diagnostic ?
Le trouble des conduites est caractérisé « comme une transgression des normes sociales établies,
dans un espace socioculturel donné » (expertise collective Inserm) même si tout acte antisocial,
délictueux ne peut être référé à un trouble des conduites. Il « se situe donc à l’interface et à
l’intersection de la psychiatrie, du domaine social et de la justice ».
Pourtant, il est nommé trouble et référencé à la médecine et non comme déviance ! A la limite de la
délinquance comme trouble antisocial ou franchissant cette limite comme psychopathe.
Prédélinquant, caractériel…Difficultés psychologiques à manifestations comportementales est le
dernier avatar dans la circulaire 2007 concernant les ITEP où l’on veut exprimer que les troubles sont
dominés par la tendance à l’agir, le défaut de contrôle de soi, le déni des règles sociales, la répétition
des échecs, le caractère inefficace des sanctions, les difficultés à maintenir des relations humaines
interactives et équilibrées.
Si nous pensons les troubles de la conduite autrement que comme un trouble médical, individuel
mais comme les avatars d’une violence néralisée, des effets de notre société hypermoderne, à
l'instar de Pinatel au sujet de la délinquance et de la criminalité, nous devrons distinguer l'acte de la
personnalité et du phénomène social. Nul doute que la violence à l’école nécessite une approche
pluridisciplinaire et complexe. Nous devrons lire les troubles des conduites comme le symptôme
d'une intériorisation de tensions plus générales, liant aussi bien l'histoire du jeune, sa trajectoire
sociale que celle des professionnels et de leurs institutions. Qu'est-ce qui peut faire lien et tiers,
transcender la rencontre éducateur - jeune, sans enfermer le jeune, sa famille dans le projet
individualisé ou non, que nous aurions élaboré, kidnappant le leur et les niant par notre refus de ce
qui nous échappe.
La violence juvénile et adulte comme nouvelle situation emblématique de notre
société
Chacun doit s'interroger en quoi il est créateur de violence
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Les adultes de l'école doivent apprendre à ne pas transformer une situation de
crise en situation de violence. Celle-ci témoigne avec vigueur de la nécessité, qu’au-delà de
la didactique, les relations affectives enseignants - élèves - classe soient prises en compte.
Les rapports de la violence avec l'agressivité, la haine, la crise, le passage à
l’acte sont complexes
Les sanctions disciplinaires, dans les écoles, doivent être réfléchies, être
moralement, éthiquement, légalement justes.
La violence de l'école amplifie celle des quartiers et réciproquement
Les adultes sont démotivés (donc possiblement violents) car ils sont confrontés
en permanence à leur impuissance
etc
Interrogeons-nous les motifs les plus fréquents d’orientation en structure éducative
spécialisée (ITEP) et sur ce qu’ils révèlent d’une absence de réflexion institutionnelle ?
Avons-nous eu une lecture complexe sur les trois niveaux de la personnalité, du fonctionnement du
groupe classe et de l’école, du quartier, des relations familles-école ? Quels moyens d’observation,
avec quelle parole de l’enfant avons-nous été capable d’échanger ? L’orientation n’a t-elle pas été
l’aboutissement d’une exaspération, d’une impuissance après une série d’affrontements personnels
enseignant-élève, de chronicisation de la crise relationnelle ?
Toute une frange d’élèves ne peuvent être considérés comme handicapés car leurs difficultés ne
sont pas assez vères et ne relèvent pas des critères d’inclusion : le recours au secteur dico
social (les ITEP) ne peut se justifier sur l’échec de l’Education Nationale à accueillir de nombreux
élèves qui rejettent ou qui ne trouvent pas leur place dans le modèle traditionnel. Cette frange
d’élèves est plus ou moins importante selon les territoires et je pense, surtout dans les quartiers ZUS
ou dans les zones rurales en voie de désertification. L’enfant violent expose l’enseignant à une
souffrance, en lien avec l’impuissance de rejoindre cet enfant de manière positive. Certains essaient
de passer « la patate chaude » (technique de gestion habituelle dans les collèges), d’autres
revendiquent l’orientation ITEP, d’autres essaient d’inventer des solutions. Celles-ci exigent que
l’enseignant sache se donner une marge de manœuvre entre les règlements, les idéologies des
collègues, des inspecteurs et son expérience personnelle, qu’il puisse rester inventif.
2) Définitions actuelles du handicap, des troubles des conduites
A) Handicap
La législation a largement évolué ces dernières années, avec notamment la loi du 11 février
2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées, qui donne du handicap la définition suivante :
« Constitue un handicap (…) toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en
société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle,
durable ou définitive dune ou plusieurs fonctions physiques,sensorielles,mentales,cognitives ou
psychiques,d’un poly-handicap ou d’un trouble de santé invalidant. ». La classification de Wood,
depuis de nombreuses années, distinguait bien la lésion (anatomique) de la déficience (fonctionnelle)
du handicap (social).
Mon inquiétude, surtout en ce qui concerne le handicap psychique, reconnu désormais dans la loi de
2005, concerne la discordance entre les intentions généreuses de la loi et les pratiques et les
mentalités de notre société. Nommer un enfant handicapé au nom de difficultés comportementales
pourrait se justifier par le fait qu’il y a limitation de son insertion scolaire, par exemple. Mais ceci
suppose que tout repose sur l’enfant et un déficit fonctionnel personnel. Cela nie l’existence de
personnes incarnant les pathologies groupales ou au moins les dysfonctionnements groupaux
(familiaux, institutionnels).
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Nous passons d’une riode d’intégration scolaire à une période de scolarisation (de droit
opposable à la scolarisation) : si je ne peux que me réjouir de cette évolution, elle m’inquiète
néanmoins car elle suppose un changement important de moyens, de mentalité, de finalités de la
scolarisation (qui comme d’autres institutions ont été rabaissées au rang de producteur de services
que des consommateurs utiliseraient). Ces changments ne me semblent pas exister même si je
constate, par exemple, la multiplication des AVSI. Mais quand je vois le débat encore actuel sur la
nécessité de leur professionnalisation, cela me décourage un peu ! Je crains surtout, comme la loi
d’orientation scolaire de 1989 (cycle et pédagogie différenciée), l’absence de son application et une
tension de plus en plus vive entre les enseignants, débordés par les difficultés, et les parents, les
professionnels médico sociaux.
B) Troubles des conduites
La classification américaine DSMIV décrit quatre critères pour inclure un enfant dans la catégorie
des troubles des conduites :
Les conduites agressives vis-à-vis de personnes et/ou d’animaux (menaces, brutalités,
utilisations d’une arme, cruautés, agressions, abus sexuels)
Endommagements, destructions de biens physiques
Fraudes ou vols (mensonges, arnaques, vols, effractions…)
Violations graves des règles établies (transgressions des interdits parentaux, fugues à
répétition, école buissonnière précoce...)
La classification française CFTMEA place les troubles des conduites dans les pathologies limites
(troubles narcissiques) où les éléments suivants sont relevés :
Les défauts précoces d’étayage, d’où résultent des failles dans l’organisation de la vie
mentale même si l’enfant met en œuvre des capacités adaptatives en s’appuyant sur des
fonctionnements en faux self
Les faillances portant sur l’abord du champ transitionnel et sur les supports de la pensée,
de la capacité du jeu, en découle une dominance des expressions par le corps et par les
agirs
Les atteintes portées au travail de séparation et à l’élaboration de la position dépressive, ne
permettant pas l’intégration des angoisses dépressives, d’où une extrême vulnérabilité à la
perte d’objet même si l’enfant accède à la nette différentiation entre soi et non-soi, le
protégeant de la psychose
Les failles narcissiques constantes avec une représentation de soi inacceptable, une
véritable crise identitaire et aboutissant à des réactions de prestance indispensables et
permanentes et donc à des affrontements avec le milieu environnant
Elle insiste donc sur les mécanismes psychopathologiques plutôt que sur les troubles du
comportement.
La circulaire du 14 mai 2007 sur les ITEP définit les indications d’orientation en ITEP sur la base de
difficultés psychologiques importantes, voire intensives et durables (non circonstancielles ou
réactionnelles), entraînant des perturbations de la scolarisation type d’extériorisation ou de retrait)
et un risque de désinsertion (familiale, scolaire, sociale). L’orientation en ITEP ne devrait pas être en
première intention mais après l’échec de prises en charge assumées par les CMPP, les intersecteurs
de pédopsychiatrie.
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Les différentes approches ci-dessus indiquent que l’inclusion dans cette catégorisation des troubles
des conduites nécessite le caractère sévère, persistant, à bien distinguer des troubles agressifs
ordinaires de la constitution normale d’une personnalité.
est la grande question : nous constatons une augmentation des violences aussi bien à
l’école que dans la société et il est difficile de départager ce qui pourrait relever d’une
approche clinique (médicosociale) ou ce qui devrait rester la responsabilité des pédagogues
ou des éducateurs en général. Catégoriser quelqu’un comme handicapé, même avec
l’approche de la loi du 11 février 2005, n’est pas anodin. Je vous rappelle la définition du
handicap comme « une altération substantielle, durable ou définitive ». Il n’est pas acceptable
qu’une sorte de chantage aux moyens soit opposée à ceux qui portent cette question éthique.
Comme s’il était possible de négliger l’impact de cette nomination ! L’inflation récente de ce
diagnostic n’est-il pas le reflet de l’intolérance croissante à cette violence, à cette lutte pour la
reconnaissance des statuts –qui soient acceptés par toute la société et non construits
péniblement à partir de l’expérience humaine de chacun- ?
La prévalence est de 5 à 9 % chez les garçons de 15 ans, deux tiers des sujets ayant le diagnostic
dans l’enfance l’ont toujours à l’adolescence. Le pronostic est moins bon quand le trouble débute
avant 10 ans. La très grande majorité des adultes présentant une personnalité anti-sociale ont des
antécédents de troubles des conduites mais seulement la moitié des jeunes ayant eu un trouble des
conduites développent par la suite une personnalité anti-sociale (c’est donc bien d’un facteur de
risque dont on parle et non pas d’une fatalité).
Une étude épidémiologique française a été menée dans 18 écoles primaires à Chartres, qui rapporte
une prévalence de 6,5 %, voisine donc de ce qui est indiqué dans les autres études internationales.
Le rapport Inserm, précédemment cité, dit que le trouble des conduites est rarement isolé, et qu’il
y a une comorbidité élevée et très diversifiée : le trouble hyperactif avec déficit de l’attention, le
trouble dépressif (avec risque de tentative de suicide), les troubles anxieux (le syndrome de stress
post traumatique est développé), l’usage de drogues psychoactives avec influence ciproque (plus
on a de troubles des conduites et plus il y a risque d’usage de drogues, et plus il y a usage de
drogues et plus il y a risque de troubles des conduites). Le problème de l’approche de l’Inserm, en
droite ligne d’une approche cognitivo comportementale, est qu’elle additionne les troubles sans les
relier dans une structure psychopathologique : elle met en avant le trouble des conduites
(observable, mais sans tenir compte que celui qui observe modifie la chose observée) puis
constatant que cela déborde, elle rajoute des troubles associés : pourquoi ces difficultés ne seraient
pas le cœur du problème comme l’indique la classification française ?
L’inserm énonce un certain nombre de facteurs de risques, non spécifiques :
- Antécédents de comportements anti-sociaux chez les parents.
- Très jeune âge de la mère à la naissance du premier bébé.
- Faible niveau scolaire de la mère.
- Discorde familiale (mais le rapport dit que le trouble des conduites précède la séparation
et que les conflits constitueraient davantage un facteur de risque que le divorce en lui-
même).
- Pratiques éducatives inadaptées.
- Pauvreté.
3) L’organisation caractérielle
- Tendance à l'externalisation des conflits (qui entrent en résonance avec autrui d'où fixation,
aggravation et chronicisation) et au déni de la réalité interne.
- Demande à être contenu psychiquement (avec ou sans médiation corporelle) pour
endiguer les pulsions
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- Défaillance de la triangulation œdipienne : défaillance du père qui ne peut passer de la
place de substitut de la mère à celle de représentant de la Loi Symbolique.
- Non-capacité d'illusion positive (de pouvoir trouver, créer une réalité extérieure
correspondant aux besoins personnels). L'omnipotence réelle doit être maintenue faute de
cette capacité de créer sur le plan symbolique.
- Menace par les représentations mentales qui accompagnent l'expression des désirs : le
jeune a été habitué à ce que ses désirs entraînent une réponse décalée maternelle, d'où
l'intrusion d'une réalité externe dangereuse. Tout désir devient une menace et doit être
réprimé, d'où une mauvaise qualité du Soi et le recours à une homéostasie immédiate par
l'action, la satisfaction du besoin (empêcher le déploiement du désir) pour lier l'agressivité
libre sous peine de désorganisation. Pas de liaisons suffisantes des pulsions libidinales et
agressives.
- Angoisse de séparation (vulnérabilité à la perte de l'objet qui augmente la carence de
l'estime de soi et le risque de désorganisation due à l'agressivité libre toujours plus forte)
- Attaque contre les règles, les interdits en tant que tels (sentiment vécu par le jeune
d'injustice, de préjudice), contre la loi de l'ordre œdipien.
- Erotisation de l'acte, aboutissant à une perversisation globale, si l'on peut dire : teinte sado
masochiste.
Pour résumer, vous êtres confrontés à :
- Un défaut de mentalisation et une tendance à l’agir
- Un manque de maîtrise de la langue (vocabulaire, pragmatique de la
communication)
- Un échec scolaire
- Des réactions de prestance
- Une peur de perdre la face
- Une difficulté à reconnaître sa responsabilité
- Une quête affective toujours inassouvie
Avant de chercher ce qui pourrait fonder une attitude pédagogique pour réguler les passages à l’acte
par exemple, nous devons nous interroger personnellement et avec des pairs sur plusieurs points, en
vue de pouvoir transformer certaines de nos postures : par exemple, en quoi sommes-nous tous plus
ou moins créateurs de violence dans notre relation aux autres et/ou dans la logique plus ou moins
implicites de nos interventions (idées préconçues, idéologies, organisation) ? Quelle est notre part de
méchanceté ? En quoi nous vivons-nous constamment comme victime d'autrui et jamais responsable
de la relation à autrui. Ne sommes-nous pas dans nos peurs et nos haines pris dans une angoisse et
dans un désir de soumission à un système même autoritaire qui nous protégerait des risques ? Le
racisme, par l'identification de boucs émissaires, n'est-il pas l'expression la plus extériorisée de cela
? Nous avons à être assez lucides sur ce que nous recherchons comme jouissance, sur ce qu'il en
est de nos désirs profonds dans notre relation à autrui. Que voulons nous apprendre des enfants ?
Plus l'environnement sera respectueux du genre humain, plus l'enfant sera respectueux de l'autre :ne
devons nous pas faire le pari du développement social par la redécouverte du projet collectif et la
mobilisation de tous sur un territoire (quartier, canton) ? La recherche d’une liaison forte entre la
fonction sociale et symbolique de l’école à la dynamique familiale et sociale du quartier est cruciale.
La distinction entre le rappel de la loi et l'éducation à la loi est fondamentale. Ne confondons-nous
pas souvent obéissance, ordre et respect de la loi, du sens de la loi ? La distinction entre la loi
pénale, civile et le droit disciplinaire est également importante quand il s’agit de poser des sanctions.
Quelle place pour la connaissance de la loi et les réflexions-actions morales, déontologique, éthique
dans l’éducation des enfants ?
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