Les dessous du débat sur une alimentation pauvre en glucides dans

DiabetesVoice Juin 2013 Volume 58 Numéro 2
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Pratique clinique
bat : Jusqu'où
peut-on aller ?
Les dessous du débat sur une alimentation
pauvre en glucides dans le cadre de
la gestion du diabète de type 1
Soucieux d'aborder des problèmes pertinents
pour la communauté du diabète, Diabetes
Voice proposera désormais un forum dans le
cadre duquel des experts pourront se pencher
sur des problèmes controversés et fournir des
arguments pour étayer leur point de vue. Le
débat sur les régimes pauvres en glucides
marque le début d'une longue série de dis-
cussions.
Depuis le plaidoyer en faveur d'une insuli-
nothérapie intensive né de l'étude Diabetes
Control and Complications Trial, les personnes
atteintes de diabète de type 1 ont reçu des
conseils généraux en matière de nutrition
et d'alimentation, avec des avis divers quant
à l'apport journalier total recommandé en
glucides. Les directives actuelles de l'Associa-
tion américaine du diabète (ADA) proposent
une fourchette flexible pour les glucides, les
protéines et les lipides afin de répondre aux
préférences de chacun, et mettent l'accent sur
la nécessité de surveiller la consommation
de glucides et d'adapter la dose d'insuline
en fonction de celle-ci pour parvenir à un
contrôle glycémique inférieur ou plus ou
moins égal à un HbA1c de 7 %. Des objectifs
plus stricts (<6,5 %) sont recommandés pour
les jeunes en bonne santé chez qui le diabète
a récemment été diagnostiqué.
Bien qu'une alimentation pauvre en glucides
soit recommandée en tant que mesure à court
terme (jusqu'à deux ans) efficace pour perdre
du poids, la mise en place d'une alimenta-
tion permanente très pauvre (>30 g/jour)
ou pauvre (30-105 g/jour) en glucides est
moins claire. D'après les directives de l'ADA,
l'apport journalier recommandé (AJD) rela-
tivement bas en glucides (130 g/jour) consti-
tue "une exigence minimale moyenne". De
nombreuses personnes se plaignent que le
maintien d'une alimentation relativement
pauvre en glucides est contre-productive, et
complique le contrôle glycémique, en parti-
culier au vu des valeurs cibles des excursions
postprandiales (1 h après le repas : ≤140 mg/dl
(7,8 mmol/l) ou 2 h après le repas : ≤120 mg/
dl (6,7 mmol/l)). Bon nombre des personnes
atteintes de diabète de type 1, en particulier
celles qui utilisent une pompe à insuline,
ont opté pour une alimentation basée sur un
apport en glucides de 50-60 %, et un "mou-
vement clandestin" a conduit certains endo-
crinologues soignant de nombreux patients
atteints de diabète de type 1 à les soutenir
dans leurs efforts.
Nous avons demandé à deux experts ayant
des avis divergents de répondre à la question
suivante :
Une alimentation basée sur un faible apport en
glucides peut-elle déboucher sur un contrôle gly-
cémique sûr et plus efficace dans le cadre d'une
gestion saine de la glycémie chez les personnes
atteintes de diabète de type 1 ?
DiabetesVoice
Juin 2013 Volume 58 Numéro 2 43
Pratique clinique
L'apport optimal en glucides pour la gestion
du diabète sur le plan nutritionnel est un
sujet très débattu parmi les professionnels
de la santé et les personnes atteintes de dia-
bète, y compris de type 1. Cette population
s'est vu imposer des restrictions strictes en
matière de glucides jusqu'en 1922, date de la
découverte de l'insuline exogène, qui a rendu
possible la consommation d'aliments conte-
nant des glucides, quoique souvent avec un
contrôle glycémique loin d'être idéal.
Bien que les glucides soient le seul macro-
nutriment ayant un impact perceptible sur
le taux de glycémie, la plupart des médecins
estiment actuellement que la limitation des
glucides n'est pas une option à long terme
pour la gestion du diabète. D'après l'Asso-
ciation américaine du diabète, il n'existe
pas de régime adapté à tous. La majori
des diététiciens et des autres professionnels
de la santé continuent toutefois à recom-
mander aux personnes atteintes de diabète
une alimentation pauvre en lipides et à
teneur modérée à élevée en glucides. Divers
arguments sont avancés pour s'opposer
à la limitation des glucides : les régimes
pauvres en glucides présentent des carences
en fibres et en certains oligo-éléments ; les
régimes riches en lipides, en particulier en
graisses saturées, augmentent le risque de
maladies cardiaques ; et la consommation
de moins de 130 g de glucides par jour n'est
pas saine car elle ne répond pas aux besoins
en glucose du système nerveux central
(SNC). Ces assertions méritent toutefois
d'être examinées plus avant.
Un régime pauvre en glucides correcte-
ment formulé est parfaitement à même
de répondre aux besoins en fibres et en
oligo-éléments sans aucun complément.
Bien que l'on nous répète sans cesse que
les graisses saturées augmentent le risque
de crise cardiaque, cela n'a jamais été
prouvé. Lors d'une récente méta-analyse
de 21 études sur les graisses saturées et
les maladies cardiaques, les chercheurs
ont au contraire conclu qu'il n'existe pas
assez de données prouvant l'existence d'un
lien entre les deux.1 La consommation de
moins de 130 g de glucides par jour ne
présente aucun risque pour la santé dans
la mesure où une grande partie du SNC et
les autres organes du corps peuvent utiliser
en toute sécurité les corps cétoniques en
OUI
Franziska Spritzler
DiabetesVoice Juin 2013 Volume 58 Numéro 2
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Pratique clinique
NON
Carolyn Robertson
guise de carburant.2 Les quelques struc-
tures nécessitant du glucose peuvent par-
faitement satisfaire leurs besoins via la
gluconéogenèse, même en cas d'apport
limité en glucides.
Compte tenu de l'impossibilité d'évaluer
avec précision la quantité de glucides
consommée et des degrés variables d'ab-
sorption de l'insuline, il est difficile de faire
correspondre consommation de glucides
et dosage de l'insuline. Une réduction
notable de la teneur en glucides des repas
limite le risque d'imprécision et permet de
mieux prédire la réponse glycémique. Ainsi,
l'injection d'une dose d'insuline prandiale
pour une omelette végétale dont la teneur
en glucides a été évaluée à 10 g au lieu des
13 g qu'elle contient réellement aura beau-
coup moins de chance de provoquer une
excursion glycémique postprandiale qu'une
dose administrée pour un repas composé
de pâtes complètes, de poulet et de légumes
évalué à 45 g, alors qu'il en contient 70 g.
La surestimation de la teneur en glucides
du repas à base de pâtes et l'administration
d'une dose trop élevée d'insuline fait courir
à la personne un risque élevé d'hypoglycé-
mie – un problème bien plus grave.
Les recherches sur les régimes pauvres en
glucides chez les patients atteints de diabète
de type 1 sont limitées, mais néanmoins
encourageantes. Dans le cadre d'études
récentes menées en Suède, les participants
ont été invités à consommer 70-90 g de
glucides par jour, et ce sur une période
maximale de quatre ans. Une diminution
considérable de l'HbA1c, une réduction
spectaculaire des épisodes d'hypoglycémie
et une amélioration des profils lipidiques
ont été observées chez les personnes ayant
suivi ce régime à la lettre.
3,4
Chez les pa-
tients motivés, l'adoption d'un programme
d'alimentation similaire ou contenant en-
core moins de glucides peut se traduire au
final par des taux de glycémie adéquats et,
partant, réduire le risque de lésions micro
et macrovasculaires.
L'une des critiques fréquentes à l'égard
de la limitation des glucides est qu'un tel
régime n'est pas tenable à long terme. Le
nombre de personnes atteintes de dia-
bète de type 1 qui suivent actuellement
un régime pauvre en glucides n'est pas
connu, mais des données en provenance
de communautés du diabète en ligne et
de rapports isolés laissent entendre que
ce nombre est relativement important et
que la majorité de ses adeptes le trouve
agréable, facile à suivre et pratique. Un
partisan bien connu de cette limitation, le
Dr. Richard K. Bernstein, suit un régime
très pauvre en glucides (30 g) depuis plus
de 40 ans. Toujours en activité à l'âge de
78 ans, il affiche une glycémie, un taux
d'HbA
1c
et des valeurs lipidiques normaux
et n'a développé quasiment aucune com-
plication liée au diabète.
Une alimentation pauvre en glucides
bien équilibrée – contenant 30-100 g de
glucides et des protéines, des graisses et
des légumes en proportions équilibrées
– peut être un moyen sûr et efficace de
parvenir au contrôle glycémique souhai
et devrait être proposée en tant qu'option
aux personnes atteintes de diabète de
type 1. Bien que tout le monde ne soit pas
prêt à limiter ses glucides de la sorte, les
diététiciens et autres professionnels de la
santé se doivent de soutenir les efforts de
ceux qui ont opté pour une telle alimen-
tation, au lieu d'essayer de les décourager.
Il va de soi que le suivi et la surveillance
par un médecin, un éducateur agréé en
diabète ou un autre prestataire de soins
maîtrisant parfaitement la limitation des
glucides constituent une composante es-
sentielle de la gestion du diabète. J'espère
que, dans un avenir proche, cette possi-
bilité sera offerte à toutes les personnes
atteintes de diabète.
Si l'on fait fi de la possible menace que re-
présentent le gain de poids ou les facteurs
de risque cardiovasculaire pour le patient
atteint de diabète de type 1, les conséquences
négatives du maintien d'une alimentation
pauvre en glucides sont évidentes au vu de
la physiologie normale d'un individu. Le glu-
cose constitue l'unique source d'énergie d'un
certain nombre de tissus — principalement le
cerveau, les globules rouges et les nerfs. Ces
tissus sont incapables de synthétiser le glu-
cose, d'emmagasiner des réserves pour plus
de quelques minutes ou de puiser du glucose
dans la circulation. Lorsqu'il a besoin d'une
dose de glucose supplémentaire, l'organisme
utilise les réserves de glycogène. Cette réserve
est toutefois limitée par l'apport journalier en
glucides et par sa capacité limitée à stocker
le glycogène. Le cerveau a besoin d'environ
100 g de glucose par jour et un jeûne d'une
nuit suffit généralement à épuiser les réserves
de glycogène du foie.5 La gluconéogenèse
sert de système secondaire pour assurer un
apport continu en glucose. La contribution
du foie à la fourniture de glucose permet au
cerveau de fonctionner quelles que soient les
actions alimentaires de l'individu. Un régime
faible en glucides (moins de 100 g/jour) oblige
l'organisme à utiliser des protéines et des
graisses pour créer des sources d'énergie al-
ternatives moins efficaces et des sous-produits
potentiellement toxiques connus sous le nom
d'acides cétones. On aboutit ainsi à une situa-
tion où l'organisme libère du glucose dans la
circulation sanguine de manière totalement
imprévisible. Or sans cette prévisibilité, le
DiabetesVoice
Juin 2013 Volume 58 Numéro 2 45
contrôle glycémique d'une personne insuli-
nodépendante devient instable.
Les personnes atteintes de diabète de type 1
qui ne produisent pas d'insuline endogène
doivent calculer la quantité d'insuline requi-
se et les heures d'injection en fonction des
différentes sources de glucose. L'utilisation de
certaines informations spécifiques – quantité,
type et qualité des glucides ; glycémie actuelle ;
niveau d'activité et présence de certaines va-
riables (heures de sommeil, stress, infection,
hormones, etc.) – permet de déterminer la
quantité d'insuline exogène requise.6,7,8 Même
si c'est difficile, il est possible d'estimer la dose
d'insuline requise pour parvenir à un taux
de glycémie proche de la normale après un
repas. Les sources de glucose non alimentaires
(c.-à-d. endogènes) engendrent un problème
de dosage de l'insuline dans la mesure où il est
quasiment impossible de prédire la quanti
de glucose libérée par le foie et le moment
où cette libération surviendra. La personne
sous insulinothérapie est donc contrainte de
prendre de l'insuline de manière proactive,
au risque de voir son taux de glycémie chuter
si le foie n'apporte pas sa contribution, ou
d'attendre que sa glycémie augmente pour
prendre une dose d'insuline supplémentaire.
Dans les deux cas, le contrôle glycémique
risque fort d'être irrégulier.
Prenons l'exemple de trois apports journaliers
en glucides différents pour une personne in-
sulinodépendante : plus de 100 g/jour ; moins
de 30 g/jour ; et entre 30 et 99 g/jour. Dans
le cas d'un apport supérieur à 130 g/jour, le
glycogène stocké par le foie suffit à répondre
aux besoins énergétiques du cerveau. Une
gluconéogenèse, c'est-à-dire la production de
glucose par le foie dans la circulation systé-
mique, a lieu, mais principalement la nuit ou
en cas de besoin imprévu de glucose (activité
ou stress, par exemple).
Dans le cas d'un faible apport en glucides, la
gluconéogenèse doit combler le manque. Si
l'apport journalier réel en glucides est inférieur
à 20-30 g/jour, la gluconéogenèse se déroule en
continu et le foie libère une quantité constante
de glucose. La dose d'insuline requise pour
gérer ce glucose est essentiellement basale et
seules de faibles quantités sont nécessaires au
moment des repas. Il est cependant difficile
de respecter en permanence un tel niveau de
restriction des glucides. La plupart des per-
sonnes atteintes de diabète ne parviennent pas
à s'en tenir à ce régime strict et leur contrôle
glycémique s'en ressent.
Un plan de repas prévoyant un apport en
glucides alimentaires compris entre 30 et
100 g/jour est encore plus difficile à gérer
pour une personne insulinodépendante. La
contribution du foie à la glycémie est mixte
et découle à la fois de la glycogénolyse, de
la libération de glycogène par le foie et de
la gluconéogenèse. La contribution du foie
ne pouvant être prédite, il est impossible
d'anticiper la dose d'insuline requise pour
empêcher une hausse ou une chute excessive
du glucose. La personne atteinte de diabète
de type 1 ne peut donc réagir qu'a posteriori,
une fois que son taux de glycémie change.
Des hypoglycémies et des hyperglycémies se
produisent indépendamment de la nourriture
ingérée ou du fait que le patient soit à jeun.
En résumé, un plan alimentaire composé
de moins de 100 g de glucides par jour se
traduit par un contrôle glycémique irrégu-
lier. Il est quasiment impossible de mettre au
point un régime insulinique efficace à même
d'identifier les pics et les chutes du taux de
glycémie. Un régime pauvre en glucides ne
constitue pas une stratégie appropriée pour
les personnes atteintes de diabète de type 1
principalement à cause de leur absence de
réactions biologiques efficaces ou de leur
incapacité à identifier une modification du
taux de glucose secrété par le foie. Ce type de
régime pour la gestion du diabète de type 1
d'un point de vue alimentaire se traduit par
un contrôle glycémique irrégulier frustrant
tant pour la personne atteinte de la condition
que pour l'équipe soignante.
Franziska Spritzler et
Carolyn Robertson
Franziska Spritzler est diététicienne
clinique au sein du Département des
anciens combattants et éducatrice certifiée
en diabète à Los Angeles (États-Unis).
Carolyn Robertson est infirmière clinicienne
spécialisée, certifiée en tant qu'éducatrice en
diabète et en gestion avancée du diabète.
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Pratique clinique
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