UNIVERSITE PARIS XII - VAL DE MARNE U. F. R. de Sciences Economiques THESE Pour l’obtention du titre de DOCTEUR ES SCIENCES ECONOMIQUES (Arrêté du 25 avril 2002) Taux de change et performances économiques dans les pays en développement : l’exemple du Maghreb Présentée et soutenue publiquement par Ali ABDALLAH JURY M. Jean-Claude BERTHELEMY, Professeur à l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne Mme Amina LAHRECHE-REVIL, Maître de conférences à l’Université de Picardie-Jules Verne, Amiens (Rapporteur) M. Dominique PLIHON, Professeur à l’Université Paris XIII-Villetaneuse (Rapporteur) Mme. Catherine ROUZAUD, Maître de conférences à l’Université Paris XII-Val de Marne M. Pierre VILLA, Administrateur de l’INSEE, Conseiller scientifique au CEPII (Directeur de la Thèse) 31 Mars 2006 1 L’UNIVERSITE PARIS XII – VAL DE MARNE n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses, ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. 2 A mes nièces et neveux 3 REMERCIEMENTS Je remercie mon directeur de thèse Pierre VILLA pour sa patience et sa disponibilité, Mrs. Jean Claude BERTHELEMY et Dominique PLIHON et Mmes Amina LAHRECHE-REVIL et Catherine ROUZAUD pour avoir accepté de faire partie du jury, les membres de l’ERUDITE et tous ceux avec lesquels l’échange était enrichissant pour ce travail. Mes remerciements vont également à ma famille et mes amis pour leur précieux soutien moral. 4 TABLE DES MATIERES LISTE DES TABLEAUX………………………………………………………...Page 12 LISTE DES GRAPHIQUES…………………………………………………………..14 INTRODUCTION……………………………………………………………………16 PARTIE I EVOLUTION HISTORIQUE DES SYSTEMES ET DES DOCTRINES Chapitre 1 Section 1 1.1 1.2 1.3 Section 2 2.1 2.2 Section 3 3.1 3.2 Section 4 4.1. 4.2 Section 5 5.1 5.2 Les transitions dans les régimes de change……..….30 L’évolution des régimes de change dans les PED…………….……31 La distribution des régimes de change………………………………...31 Les différents régimes………………………………………………....32 Le mouvement vers la flexibilité……………………………………...34 Les attentes des transitions dans les régimes de change…………..37 Attentes au niveau de la gestion des difficultés économiques………...38 Attentes au niveau des performances économiques…………………..39 Retour sur l’opposition Fixe – Flexible……………………….…….42 L’évolution du débat autour de l’opposition : fixe – flexible…............42 Le contenu principal du débat…………………………………………44 Une nouvelle approche du développement ………………………...46 Expérience du développement dans les PED : Une nouvelle orientation………………………………………………47 Flexibilité du change et développement…………………………........50 Examen des performances économiques…………………………...54 Performances globales………………………………………………...55 Quelques éléments particuliers………………………………………..59 5.2.1 Taux de change et échange extérieur………………………….59 5.2.2 Taux de change et investissement……………………………..63 5.2.3 Volatilité du taux de change…………………………………..64 5 Chapitre 2 Section 1 1.1 1.2 1.3 Section 2 2.1 2.2 Section 3 3.1 3.2 3.3 Section 4 4.1 4.2 4.3 Section 5 5.1 5.2 5.3 Chapitre 3 Section 1 L’insoutenabilité du change fixe mais ajustable…67 Politique d’ancrage du taux de change……………………………..67 L’ancrage nominal…………………………………………………….68 Critique de l’ancrage nominal………………………………………...70 De l’ancrage réel aux cibles réelles…………………………………...72 Politique intérieure…………………………………………………..75 Discipline, Crédibilité, Incohérence temporelle et Flexibilité………...76 Incohérence de la politique économique……………………………...79 Mobilité de capitaux……………………………………………..…..81 Gestion de la mobilité de capitaux dans les PED……………………..83 Mobilité de capitaux, Flexibilité et Autonomie……………………….86 Fragilité financière…………………………………………………….89 Les crises financières………………………………………………...93 Les différentes interprétations des crises…………………………...…93 Enseignements……………………………………………………...…97 Problème de sortie et transition involontaire dans les régimes de change…………………………………………..101 Régimes de change de facto………………………………………..103 Raisons et identification des régimes de facto……………………….103 Fonctionnement des régimes de facto………………………………..105 Enseignements……………………………………………………….107 Gestion de change et performances économiques au Maghreb………………………………...110 Aperçu sur le fonctionnement des régimes de change au Maghreb……………………………………………..110 1.1 1.2 Section 2 2.1 2.2 Le temps de l’instabilité……………………………………………...111 Le temps de la réforme………………………………………………112 L’Evolution des taux de change……………………………………115 Les taux de change effectifs réels…………………………………....115 2.1.1 Construction des séries des taux de change effectifs réels…………………………………………………117 2.1.2 L’évolution des taux de change effectifs réels……………….120 Les taux de change PPA………………………………………….….123 2.2.1 Construction des séries.....………………………...…………124 2.2.2 Régression PPA……………………………………………...125 6 Section 3 3.1 3.2 3.3 Section 4 4.1 4.2 4.3 Eléments de politiques de change au Maghreb…………………...127 L’intervention de change………………………………………...…..127 3.1.1 La mesure de l’intervention………………………………….128 3.1.2 Stérilisation et efficacité de l’intervention…………………...128 Etude de la flexibilité de change au Maghreb……………………….130 3.2.1 Des éléments de réponse……………………………………..131 3.2.2 La flexibilité des monnaies maghrébines…………………….132 La volatilité de change……………………………………………….135 Eléments d’analyse des performances économiques…………......138 Une analyse graphique……………………………………………….138 Une analyse par la causalité………………………………………….140 Modification des parités de change et performances économiques.....142 PARTIE II LE TAUX DE CHANGE D’EQUILIBRE Chapitre 4 Section 1 1.1 1.2 Section 2 2.1 2.2 Section 3 3.1 3.2 Section 4 4.1 4.2 L’approche de la Parité des Pouvoirs d’Achat….151 Les variantes et les premières estimations de la PPA…………….151 Les variantes de la PPA……………………………………………...151 Les premières estimations……………………………………………153 Une nouvelle histoire de la PPA…………………………………...154 Des nouvelles estimations, des nouveaux résultats………………….154 Un consensus bien fragile……………………………………………158 Les Déviations de la PPA…………………………………………..160 Les déviations temporaires…………………………………………..161 Les déviations permanentes………………………………………….162 Des nouvelles perspectives à la PPA…………………………….....167 La PPA et les pays en développement……………………………….167 La PPA modifiée……………………………………………………..170 7 Chapitre 5 Section 1 1.1 1.2 Section 2 2.1 2.2 2.3 Section 3 3.1 3.2 Section 4 4.1 4.2 Section 5 5.1 5.2 L’approche de l’équilibre sous-jacent………………175 Notion d’équilibre en économie........................................................176 Deux approches précurseurs…………………………………………177 L’importance relative de l’approche de Salter-Swan………………..178 L’apport basé sur le FEER………………………………………...180 Contenu principal…………………………………………………….180 Des contributions enrichissantes……………………………………..183 Exploitation et limites du FEER……………………………………..186 L’apport du taux de change – prix relatif interne………………..188 Fondements…………………………………………………………..188 Enseignements……………………………………………………….190 L’apport basé sur le NATREX…………………………………….193 Une démarche résolument positive…………………………………..194 Une démarche ambivalente…………………………………………..198 Evolution de l’approche de l’équilibre sous-jacent………………200 Convergences et divergences des différents apports………………...201 Perspectives………………………………………………………….203 Chapitre 6 Estimation d’un taux de change réel d’équilibre…….206 Section 1 1.1 1.2 Section 2 2.1 2.2 Section 3 3.1 3.2 La justification de la modélisation………………………………...206 La modélisation par rapport aux différentes approches…………...…207 La modélisation par rapport aux PED……………………………….208 Le Choix du modèle………………………………………………...210 La définition du taux de change réel…………………………………211 Le Modèle……………………………………………………………213 2.2.1 L’équilibre interne…………………………………………...213 2.2.1.1 La demande…………………………………..213 2.2.1.2 L’offre………………………………………..217 2.2.2 L’équilibre externe…………………………………………...224 Le désajustement du taux de change……………………………...233 Le désajustement sur la base d’une équation réduite………………...235 3.1.1 La première méthode………………………………………...235 3.1.2 La deuxième méthode………………………………………..237 Le désajustement sur la base d’un modèle structurel………………..238 8 Section 4 4.1 4.2 L’étude économétrique du modèle………………………………...240 Choix des variables et étude de stationnarité………………………...241 L’estimation d’une relation de long terme…………………………...244 4.2.1 La forme définitive du modèle à correction d’erreur (MCE)……………………………........246 4.2.2 Estimation en niveau et interprétation de résultat……………252 PARTIE III VERS UN REGIME DE CHANGE SOUHAITABLE Chapitre 7 Section 1 1.1 1.2 1.3 Section 2 2.1 2.2 2.3 Section 3 3.1 3.2 3.3 Section 4 4.1 4.2 Section 5 5.1 5.2 Choix du régime de change……………………………...261 L’approche structurelle……………………………………………262 L’approche conventionnelle…………………………………………262 Le renouvellement…………………………………………………...264 Apports et résultats…………………………………………………..266 L’approche de l’arbitrage…………………………………………269 Contexte et fondements……………………………………………...270 Le déploiement de l’approche……………………………………….272 Apports et résultats…………………………………………………..274 L’approche de solution en coin…………………………………….276 Contexte, fondements et conséquences……………………………...276 Limites théoriques…………………………………………………...278 L’épreuve des études empiriques………………………………….....280 Quel régime de change choisir ?.......................................................282 Evaluation des régimes en cours……………………………………..282 Régime de change optimal : Un consensus bien fragile…………......287 Un choix ouvert du régime de change……………………………..290 Un choix éclectique………………………………………………….290 Un choix pragmatique………………………………………………..293 9 Chapitre 8 Section 1 1.1 1.2 1.3 Section 2 2.1 2.2 2.3 Section 3 3.1 3.2 Section 4 4.1 4.2 4.3 Chapitre 9 Section 1 1.1 1.2 1.3 Section 2 2.1 2.2 2.3 détermination d’un régime de change optimal….297 Débat sur la nouvelle architecture du SMI……………………….297 Le constat…………………………………………………………….298 Vers une nouvelle architecture du SMI……………………………...299 Les PED et la nouvelle architecture du SMI………………………...302 Régime de change de facto et choix du régime de change………..305 Méthodologie du travail……………………………………………...305 Eléments d’analyse…………………………………………………..308 2.2.1 Evolution des taux de change effectifs réels…………………308 2.2.2 Evolution par rapport aux monnaies majeures……………….309 Résultats et enseignements des estimations………………………….313 Le régime de change optimal………………………………………317 Un régime de change souhaitable……………………………………317 3.1.1 Quels régimes de change pour les pays du Maghreb ?............317 3.1.2 La nature du régime………………………………………….320 La détermination du régime de change souhaitable…………………323 3.2.1 La méthode…………………………………………………...323 3.2.2 Les résultats………………………………………………….327 Autres considérations………………………………………………332 Transparence et vérifiabilité…………………………………………332 Reconsidérer la politique de change…………………………………334 Indicateurs de surveillance…………………………………………..336 Réexamen des performances économiques……….338 Les approches de la croissance et les PED………………………..338 Principaux enseignements…………………………………………...338 Théories de la croissance et Economie du développement………….341 Apport de l’Economie du développement à la théorie de la croissance.................................................................343 Croissance et taux de change………………………………………345 Le taux de change dans les modèles de croissance…………………..345 Analyse de la relation………………………………………………..349 Le taux de change et les déterminants de la croissance……………...351 10 Section 3 3.1 3.2 Estimation économétrique de la croissance………………………354 Aspects généraux…………………………………………………….355 Procédure de l’estimation……………………………………………358 Section 4 Résultats et interprétations……………………………………...…365 Section 5 Autres estimations………………………………………………….371 5.1 5.2 Exportations………………………………………………………….374 Balance commerciale………………………………………………...376 CONCLUSION…………………………………………………………………….…379 BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................................398 ANNEXES……………………………………………………………………………...442 11 LISTE DES TABLEAUX TABLEAU :………………………………………………………..………………………Page PARTIE I 1 Evolution (en %) des régimes de change dans les PED…………………..…..34 2 Evolution (en nombre) des régimes de change dans les PED………………...35 3 Estimation des taux de change réels PPA……………………………………125 4 Mesure de l’efficacité (stérilisation) des interventions de change………..…129 5 Indicateur de volatilité relative du taux de change par rapport aux réserves…………………………………………………...…133 6 Ecart-types des variations des taux de change………………………………136 7 Taux de change réel et activité économique : Causalité à la Granger……………………………………………………….141 8 Taux de change réel et activité économique : Causalité à la Rey (2001)……………………………………………...…….142 9 Modifications des parités et performances économiques……………………143 PARTIE II 10 Tests de stationnarité pour les données de l’économie tunisienne………..…243 11 Statistiques pour sélectionner l’ordre de retard de l’équation estimée………247 12 Statistiques pour tester l’existence d’une relation de long terme……………248 13 Les trois MCEs………………………………………………………………250 14 Equations des taux de change réels d’équilibre……………………………...253 PARTIE III 15 Résultats des estimations des variations des monnaies maghrébines………..314 16 Estimations des variations de change pour un régime souhaitable………….328 17 Composition des paniers……………………………………………………..329 18 Estimation de la croissance en Tunisie : 1965-2003…………………….......366 12 19 Estimation de la croissance au Maroc : 1965-2003………………………….368 20 Estimation de la croissance en Algérie : 1965-2003………………………...370 21 Estimation des exportations en volume……………………………………...375 22 Estimation des Balances Commerciales……………………………………..377 ANNEXES I.1.1 Taux de changes effectifs et prix relatifs algériens (1990=100)…………….444 I.1.2 Taux de change effectifs et Prix relatifs marocains (1990=100)…………….445 I.1.3 Taux de change effectifs et Prix relatifs tunisien (1990=100)………………446 I.2.1 Données macroéconomiques intérieures de l’économie algérienne…………447 I.2.2 Données macroéconomiques extérieures de l’économie algérienne………...448 I.2.3 Données macroéconomiques intérieures de l’économie marocaine…………449 I.2.4 Données macroéconomiques extérieures de l’économie marocaine………...450 I.2.5 Données macroéconomiques intérieures de l’économie tunisienne…………451 I.2.6 Données macroéconomiques extérieures de l’économie tunisienne………...452 II.3 Batterie de tests MCE………………………………………………………..454 III Etudes sur les déterminants des régimes de change (Vraisemblance du flottement)………………………………………………456 13 LISTE DES GRAPHIQUES GRAPHIQUE :……………………………………......…………..………………………..Page PARTIE I 1-3 Evolution des taux de change effectifs réels selon trois mesures différentes………………………………………………119 4 Evolution des taux de change effectifs réels au Maghreb…....121 5-7 Evolution des taux de change effectifs nominaux et réels au Maghreb…......121 8 Evolution des taux de change PPA…………………………………………..124 9-10 Sous-évaluation des monnaies maghrébines compte tenu de l’effet Balassa……………………………………………….126 11 Réserves des Banques centrales maghrébines rapportées aux masses monétaires…………………………………………...130 12-23 Propriétés statistiques des taux de change au Maghreb………………….…..134 24-26 Variations des taux de change effectifs……………………………………...135 27 Volatilité des taux de change nominaux par rapport au Dollar US………….137 28-36 Taux de change effectif réel et Balance commerciale, exportation et PIB……………………………………………………………139 PARTIE II 37-39 Simulations dynamiques et qualité de prévision de l’estimation MCE……...252 40-41 Evolution et désajustement du taux de change réel tunisien………………...256 42-43 Evolution et désajustement du taux de change réel marocain……………….258 44-45 Evolution et désajustement du taux de change réel algérien………………...259 PARTIE III 46-49 Périodisation de l’évolution des taux de change effectifs au Maghreb……...309 50-54 Evolution indicielle des taux de changes…………………………………….310 14 55-57 Variations des monnaies maghrébines par rapport au Dollar US et au Franc Français………………………………311 58-60 Variations des taux de change DTS des monnaies maghrébines…………....312 61-63 Variations des taux de change et paniers de référence………………………330 64-65 Taux de croissance des PIB réel/tête au Maghreb…………………………...356 66-67 Investissements et Dépenses publiques au Maghreb ………………………..358 68-73 Ouverture, Termes de l’échange, Crédits, Monnaie et Epargne au Maghreb………………………………………………………362 74-77 Exportations et Balances Commerciales au Maghreb……………………….373 ANNEXES II.1 Evolution des variables impliquées dans l’estimation du taux de change réel d’équilibre………………………………...…………453 II.2 Résultats de la régression du tableau 13 (les 3 MCEs)……………………...454 II.4 Tests CUSUM et CUSUMSQ……………………………………………….455 15 INTRODUCTION 16 De nombreux pays en développement (PED) se sont ralliés, depuis le milieu des années 1980, à l’idée d’accentuer l’ouverture de leurs économies, d’augmenter et de diversifier leurs exportations, manufacturées en particulier, vecteur important d’une croissance économique durable. L’expérience du développement des pays de l’Asie du sudest était érigée en exemple à suivre. La Banque mondiale (1993) parlait même de miracle. Selon Krueger (1997b), l’adoption des stratégies d’ouverture sur l’extérieur et la libéralisation concomitante des échanges et des paiements internationaux se sont avérées déterminantes pour le développement économique. Les gouvernements des PED se sont de plus en plus rendus compte que les politiques de contrôle des changes et les mesures visant à restreindre plus ou moins arbitrairement les transactions internationales ont contribué au développement rapide des activités informelles et des marchés parallèles, de manière à contourner les restrictions imposées sur les marchés officiels (Agénor 1994b). Les coûts associés aux activités informelles, perte d’efficience économique et manque à gagner pour les finances publiques, entre autres, ont conduit plusieurs pays à adopter, dans le cadre des programmes d’ajustement macroéconomique, un régime de change libéral, en unifiant les marchés officiel et parallèle et en éliminant largement les restrictions de change. Dornbusch (1996) soutient même que les conditions pour une utilisation efficace du taux de change sont présentes. C’est avec l’adoption des stratégies économiques axées sur une plus grande ouverture aux flux commerciaux et financiers et avec l’importance croissante du rôle du marché dans la détermination des taux de change et d’intérêt, que les PED ont donc accru leur adhésion à des régimes plus flexibles. La souplesse du change est apparue comme l’un des instruments du processus d’ajustement dans une économie mondiale caractérisée par une intégration croissante et, à certains égards, par un risque accru d’instabilité. La transition des régimes de change était censée répondre à certaines attentes au niveau des performances économiques. Ce changement d’attitude des PED semble s’être développé sous l’impulsion du FMI. Tous les pays ayant adopté des taux flottants dans les années 1980 l’ont fait dans le cadre des programmes financiers soutenus par celui-ci et partant d’une position d’extrême faiblesse (Polak 1988), comme des sévères difficultés de paiement et des marchés noirs de devises. Dans ces circonstances, l’adoption d’un flottement libre a donné aux autorités une opportunité de libéraliser le système restrictif et d’abandonner en même temps la responsabilité politique dans l’ajustement du taux de change (Quirk et al. 1987). Le FMI (1987) a conclu que le change flottant est une option viable pour tout PED, même ceux ayant peu de banques 17 commerciales. Les quarts des programmes de 1983 à 1986 préconisaient l’adoption ou le maintien des régimes flexibles. Le FMI n’a pas cessé d’y œuvrer depuis. Après des décennies d’intenses conflits sur les mérites et les démérites relatifs à la substitution aux importations et à l’orientation introvertie, la croyance en la supériorité de l’extraversion semble bénéficier d’un large consensus académique (Dornbusch 1992a ; Krueger 1997b ; Naudé 2000). Cette nouvelle orientation a placé une tension supplémentaire sur les prix relatifs en général et le taux de change réel en particulier (Dervis et Petri 1987), considéré comme le déterminant clé des exportations et le critère de profitabilité (Perkins 1997), elle a révélé l’importance de la flexibilité de change pour le processus du développement. Elle permet d’éviter les problèmes potentiels d’une surévaluation ou une dépréciation continue de la monnaie. La question du désajustement1 du taux de change est ainsi posée. Il est largement évoqué dans l’étude de performances économiques dans les PED (Edwards 1988a ; Ghura et Grennes 1993 ; Sekkat et Varoudakis 1998) et y est considéré comme néfaste, en particulier pour les exportations des biens manufacturés. C’est le facteur le plus souvent mis en cause : réduction de l’efficience économique, mauvaise allocation de ressources et envolée de capitaux. Selon Aldcroft et Oliver (1998), le problème principal des PED n’était pas plus la volatilité des taux de change que leur surévaluation et les politiques de change inappropriées, qui ont contribué à pérenniser les mauvaises performances économiques. Sa correction s’impose donc comme une condition cruciale pour améliorer la performance économique et assurer la stabilité macroéconomique (Domaç et Shabsigh 1999). Ainsi, une doctrine est née. Le développement économique ne peut pas se faire en présence d’un taux de change fixe. Faute de le laisser flotter librement, il faut au moins lui accorder plus de flexibilité, nécessaire à la gestion des difficultés de court et moyen terme qui peuvent gêner un processus de long terme, celui du développement, de permettre l’adaptation et la compatibilité d’un tel processus avec les autres éléments de la politique économique. Pour de nombreux observateurs comme Eichengreen (1999) et Summers (1999), les crises de change en apportent la confirmation. Des régimes de change très rigides ou le flottement total sont les seules options viables, soutiennent-ils. La proposition était rapidement adoptée comme un nouveau consensus par le FMI, soucieux de réformer l’architecture financière internationale et 1 - Expression due à Couharde et Mazier (2000b) et Davanne et Jacquet (2000) désignant l’écart par rapport aux bons niveaux de taux de change. Il s’agit en fait du phénomène communément connu sous le terme anglo-saxon de « Misalignment » qui, n’ayant pas d’équivalent en Français, est souvent repris sous le terme « Mésalignement » comme chez Sekkat et Varoudakis (1998). D’autres termes sont aussi utilisés, « Désalignement » (Devarajan 1996) et mésajustement (Égert et Lahrèche-Révil 2003). 18 de minimiser ainsi la fréquence et la sévérité des crises. Tout autre régime est jugé insoutenable. Cependant, l’effondrement du currency board argentin début 2002 a forcé le FMI à adapter sa doctrine : ce sont désormais l’ensemble des taux de change fixes qui sont déconseillés. Les pressions de la mondialisation amplifient les retombées bénéfiques d’une bonne gestion économique en même temps qu’elles aggravent les coûts des politiques inadaptées à ce nouvel environnement. La bonne gestion exige le maintien d’un taux de change approprié. Les instances financières internationales ne cessent de présenter le flottement comme solution. Le G7 réuni à DUBAI, septembre 2003, a lancé un appel solennel à plus de flexibilité de change. C’est la condition pour réaliser des meilleures performances économiques, soutient-on. Toutefois, le débat ne semble pas si tranché qu’il le paraît. Rien n’indique qu’un pays connaîtrait une croissance plus rapide en passant à un régime flexible, s’interroge Collins (1996) qui s’appuie sur l’expérience des pays de l’Amérique Latine de 1987 à 1992. La stabilité du taux de change réel serait associée à une croissance économique plus rapide, alors que le passage à la flexibilité le serait avec plus de volatilité des taux de change. Des contributions à la littérature empirique soulèvent la relation fortement négative entre la variabilité du taux de change et la croissance économique (Bosworth, Collins et Chen 1995), et affirment de même que les taux de change flottants sont par nature volatiles et susceptibles de déséquilibres durables (Baxter et Stockman 1989 ; Flood et Rose 1995). En outre, les pays dotés de systèmes financiers sous-développés ou fragiles éprouveraient plus de difficultés face aux importantes variations de change, inhérentes au flottement. La thèse de la bipolarité est controversée. Les régimes intermédiaires demeurent une option viable, soutient Williamson (2000). Somme toutes, plusieurs questions empiriques clés concernant l’analyse et les faits stylisés en matière du taux de change demeurent largement non résolues dans le cas des PED. Ces éléments d’analyse constituent une brèche dans la doctrine dominante consistant à associer les performances économiques à la flexibilité du taux de change et nous invitent à réfléchir sur cette relation. Y a-t-il eu, depuis la chute du système de Bretton Woods, un mouvement franc et inéluctable vers la flexibilité et le flottement pur ? Est-t-il associé à une amélioration des performances économiques dans les PED ? Est-t-il suffisant pour autant ? Que faut-il de plus pour réaliser un tel objectif ? 19 L’ensemble de ces questions et leurs articulations forme la matière de notre sujet de thèse qui s’organise autour d’un discours cherchant à promouvoir la flexibilité de change, voire le flottement pur, en l’associant, presque automatiquement, à des meilleures performances. Il s’agit pour nous ici, dans un premier temps, d’analyser ce discours, de montrer ses limites et de nuancer toute relation entre flexibilité et performances économiques qui, même quand elle existe, n’est pas suffisante. Dans un second temps, nous le dépassons en élargissant le débat à ce qui nous paraît nécessaire à la réalisation de meilleures performances, à savoir le niveau de change approprié et le régime de change souhaitable pour un PED. Nous développons ces idées en trois parties qui constituent le travail de la thèse. Dans la première, nous cherchons, à travers la confrontation des faits et des arguments théoriques et empiriques, à analyser la solidité de la relation de la flexibilité aux performances économiques. Dans les deux autres, nous élargissons l’analyse pour étudier ce qui nous semble fondamental dans la recherche de meilleures performances économiques, à savoir les questions du niveau du taux de change et du choix de régime de change. Avant de détailler notre démarche, il nous importe de clarifier deux éléments se rapportant aux pays auxquels nous appliquons cette analyse. Le premier concerne la notion de PED. Elle semble vaste et controversée (Assidon 2002, Nicolas 2002, Latouche 2004…) et n’a pas de définition généralement admise. Un pays est considéré comme étant en développement si son niveau de revenu par tête est faible selon certaines normes internationales, c’est-à-dire s’il représente un pourcentage relativement faible du revenu des pays industrialisés. En fait, tout pays qui n’est pas industrialisé peut être considéré comme en développement. Bien que cette notion recouvre des réalités extraordinairement diverses, elle demeure largement utilisée, comme si elle rassemblait un groupe de pays relativement homogène. La définition se fait donc par opposition à une référence, et perpétue implicitement l’opposition entre les deux catégories, qui reste aujourd’hui profondément marquée et a même regagné une certaine acuité ces derniers temps. L’unité des PED est donc toute relative et n’est acquise que sur la base du plus petit dénominateur commun, celui de la distinction qu’elle établit par rapport aux pays du Nord. C’est aussi une définition pratique qui correspond à la ventilation des données Statistiques Financières Internationales (FMI). Le second élément concerne le choix des pays du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie) pour l’application économétrique. Deux principales raisons en font un cas intéressant à étudier. La première est que les études les concernant sont bien rares. La plupart des études se concentrent sur trois groupes de pays. Edwards et Savastano (1999) en font le compte : Ceux de l’Afrique sub-saharienne et de l’Asie du sud20 est, pour illustrer les disparités de performances économiques, et ceux de l’Amérique Latine, pour traiter de phénomènes endémiques, telle l’hyperinflation, ou pour traiter de l’ancrage. La deuxième raison réside dans le fait que le Maghreb est économiquement et historiquement très lié à l’Europe qui connaît depuis peu une monnaie unique et qui continue de s’élargir. Nous examinons dans la première partie de ce sujet la solidité de la thèse reliant les performances économiques à la flexibilité du taux de change sous deux angles qui lui sont fondamentaux : L’évolution des régimes de change de PED depuis la chute du système de Bretton Woods et l’insoutenabilité du change fixe mais ajustable. Ils font l’objet des deux premiers chapitres. Suite à quoi, dans un troisième, nous prolongeons l’analyse aux pays du Maghreb. A l’origine du premier chapitre, il y a un constat : les thèses qui préconisent aux PED d’aller vers des taux de change flottants, du moins flexibles, se basent sur une analyse tendancielle de l’évolution des régimes de change à deux dates éloignées ou sur une période précise, les années 1990 par exemple. En conséquence, les transitions dans les régimes de change effectuées par les PED sont souvent présentées comme un mouvement inéluctable vers la flexibilité et le flottement pur dans l’objectif de réaliser de meilleures performances économiques. Cela sous-entend une relation évidente et automatique entre flexibilité de taux de change et performances économiques. De nombreux travaux consacrés aux PED et aux pays émergents abondent dans ce sens et soutiennent que le passage vers des régimes de change plus flexibles et, dans une moindre mesure, l’abandon progressif des restrictions de convertibilité paraissent avoir bien appuyé leur développement (Atlan et al. 1998). Cependant, vu ce que les PED ont connu comme difficultés économiques qui ont dû affecter la distribution des régimes de change, nous considérons que la question de leur transition mérite une étude plus approfondie qui ne s’arrête pas au niveau de tendances générales. Pour cela, nous suivons l’évolution des régimes de change année après année depuis la chute du système de Bretton Woods. Nous recherchons par la suite les raisons et les attentes des PED derrière ces transitions. A la fin de ce chapitre, nous procédons à un examen des performances économiques, croissance et inflation entre autres, en relation avec les régimes de change. A la fois théorique et empirique, il constitue le dernier éclairage sur l’hypothèse associant la flexibilité, si ce n’est le flottement pur, aux meilleures performances économiques. Dans le deuxième chapitre, nous étudions la question de l’insoutenabilité du change fixe mais ajustable exacerbée par le changement dans l’environnement financier international depuis les années 1990, accélération des mouvements de capitaux et crises financières. Ce n’est même 21 pas le change fixe qui est mis en cause, c’est tout simplement l’ancrage du taux de change quelle qu’en soit la forme. La politique d’ancrage soulève des problèmes d’incompatibilité d’objectifs, de crédibilité, d’incohérence, etc. Dans quelle mesure le problème de crédibilité et ses corollaires peuvent nuire au change fixe et entraîner une transition à des régimes plus flexibles ? Au-delà des critiques habituelles, on évoque le fait qu’il entraîne la perte d’une politique monétaire indépendante, expose le pays à la transmission de chocs provenant du pays de l’ancre, accroît la vraisemblance d’attaques spéculatives et affaiblit la responsabilité des décideurs politiques pour poursuivre des politiques anti-inflationnistes. Cependant, le plus dommageable, selon Mishkin (1998), est qu’il accroît la fragilité financière et augmente le potentiel de crises financières. Une littérature abondante est consacrée à ces questions, elle a comme fondement l’instabilité du change fixe (Bensaid et Jeanne 1996) et sa chute inévitable. Le troisième chapitre nous permet de vérifier le débat mené ci-dessus dans le cas du Maghreb. A l’aide d’outils statistiques et économétriques, nous étudions la gestion des taux et des régimes de change et les questions qui leurs sont relatives, telles que l’intervention de change, la volatilité et la flexibilité. Nous étudions deux types d’indicateurs fort intéressants pour analyser les taux de change réels. Le premier est celui du taux de change effectif réel qui mesure les distorsions des prix relatifs et permet d’évaluer la compétitivité-prix. Nous le construisons nous-mêmes, du fait du manque des données et de l’insuffisance, nous semble-til, de l’approche suivie par le FMI qui les fournit, celle-ci étant basée uniquement sur l’indice des prix à la consommation. Le deuxième, celui de la PPA permet de situer les niveaux des prix relatifs par rapport aux autres pays et d’évaluer « l’effet Balassa », en raison duquel le taux de change réel en niveau d’un PED serait sous-évalué par rapport au taux de change réel prévu par l’hypothèse de la PPA. L’écart est censé se réduire au fur et à mesure que le pays se développe. Nous effectuons aussi une régression des taux PPA sur les PIB par habitant relatifs au PIB américain. Nous étudions aussi la relation du taux et des régimes de change aux performances économiques, nous faisons tout particulièrement appel à deux méthodes complémentaires. La première consiste en une analyse de causalité, telle qu’elle a été proposée par Granger (1969) ou récemment par Rey (2001). En plus d’une estimation sur l’ensemble de la période d’étude 1965-2003, nous en effectuons une autre sur la période 1988-2003, où les pays prétendent accorder plus de flexibilité aux taux de change dans une stratégie de développement visant plus d’insertion à l’économie internationale. La deuxième cherche à étudier les effets et l’efficacité des modifications des parités de change, dévaluations ou dépréciations continues dans un régime de change géré. Nous utilisons pour 22 cela l’« Indice d’Efficacité de Dévaluation » d’Edwards (1989b) qui est la variation cumulée du taux de change réel rapporté à celle du taux nominal pour la même période. Il est calculé par rapport à la première année précédant celle de la dévaluation et va jusqu’à la troisième année après celle-ci. Le travail concerne en dehors des variations des taux de change effectifs nominal et réel et de l’indice d’efficacité de dévaluation, la balance commerciale et les exportations en parts de PIB, le taux de croissance cumulée du PIB et l’inflation cumulée. Dans la deuxième partie, nous traitons la question du taux de change d’équilibre. Elle est d’une grande importance pour les performances économiques dont la réalisation exige la détermination de bonnes parités, une préoccupation pour les économistes et les praticiens. La chute du système de Bretton Woods, l’instabilité et la volatilité des taux de change qui lui sont consécutives et les crises de change survenues depuis lors n’ont fait qu’exacerber une telle exigence. Mais il semble que le désajustement croissant du taux du change réel est de loin l’élément qui préoccupe le plus les PED par le déséquilibre macroéconomique qu’il génère. Pour Harberger (1986) et Dervis et Petri (1987), les PED qui ont plus de succès dans les performances économiques sont ceux ayant maintenu le taux de change réel à un niveau approprié. Mais alors qu’est-ce qu’un niveau approprié ? Comment le détermine-t-on ? Est-il différent dans un pays développé que dans un PED ? Si oui, quels en sont les enseignements ? Pour répondre à ces questions, nous articulons cette partie, comme pour la première, autour de trois chapitres, du quatrième au sixième. Le quatrième est consacré à l’approche de la PPA, le cinquième à celle de l’équilibre sous-jacent et le sixième à un modèle de détermination du taux de change réel d’équilibre. En effet, la détermination du taux de change d’équilibre n’est pas issue d’une approche unique. En plus de l’approche qui renvoie simplement à la théorie de la PPA et celle qui se fonde sur les modèles structurels de taux de change, monétaire et de portefeuille, il y a celle qui met à contribution la notion d’équilibre sous-jacent. Nous devons cette expression à Frenkel et Goldstein (1986) qui se réfèrent aux travaux du FMI et de Williamson (1985), où le taux de change d’équilibre est un taux effectif réel compatible simultanément dans le moyen terme avec les équilibres interne et externe. Mais depuis, les travaux se sont multipliés formant ainsi une approche englobant tout modèle ayant comme objet principal la détermination d’un taux de change réel d’équilibre basé sur un équilibre macroéconomique global à la fois interne et externe. Dans la mesure où nous concentrons notre travail sur le taux de change réel d’équilibre nous ne traitons que les approches de la PPA et de l’équilibre sous-jacent. 23 La PPA semble être le domaine qui a connu le plus d’études économétriques dont l’issu laisse croire à un « Puzzle », selon l’expression de Rogoff (1996). Nous nous interrogeons, dans ce chapitre, sur les développements récents, sur les déviations par rapport à la PPA et sur les nouvelles interprétations qui cherchent à y remédier, particulièrement dans le cadre de PED où la littérature empirique est bien rare en comparaison aux pays développés (Edwards et Savastano 1999). Quant à l’approche d’équilibre sous-jacent, elle est devenue dominante dans la détermination du taux de change réel d’équilibre, voire consubstantielle à un tel projet. Mais le foisonnement de travaux dans ce domaine est tel qu’il est devenu fastidieux de distinguer les divers apports et d’en déterminer une grille de lecture claire et intelligible. C’est d’autant plus difficile que tout modèle a tendance à se présenter comme une approche à part entière. On évoque ainsi un taux de change réel d’équilibre fondamental (FEER), désiré (DEER), naturel (NATREX), comportemental (BEER), etc. Nous proposons de revenir sur ces différents modèles et d’avoir une vue d’ensemble de l’approche d’équilibre sous-jacent, éclairante pour la suite, cinquième chapitre. Mais, il nous semble que le comportement du taux de change réel et la recherche d’un niveau d’équilibre ne soient davantage compréhensibles qu’à travers un modèle structurel, plus large, qui représente une réalité plus complexe, avec ses éléments structurels et leurs interactions. La prise en compte de cette dimension nécessite un détour par des approches différentes de celle de l’équilibre sous-jacent pour considérer des éléments d’analyse qui lui ont échappé ou qui ont été tout bonnement évacués. Le modèle de portefeuille, par exemple, peut présenter une piste pour modéliser des phénomènes d’imparfaite mobilité de capitaux ou de dette extérieure, de même qu’en prenant en compte l’apport suscité par une démarche plutôt microéconomique (Devarajan 1996). Nous estimons que la modélisation du taux de change d’équilibre doit se baser sur une approche d’équilibre sous-jacent tout en préconisant l’ouverture à d’autres approches différentes. Toute application standard doit être évitée et de surcroît dans les PED. La modélisation macroéconomique y est caractérisée par un manque de consensus. Ceci concerne, entre autres, les marchés financiers, la mobilité du capital, la forme et le fonctionnement du régime de change, la flexibilité des salaires et des prix. La modélisation du taux de change pour un PED doit être complètement différente de celle d’un pays développé (Jha 1994) mais aussi peut l’être d’un PED à un autre. Les estimations diffèrent selon les pays, les périodes couvertes, les spécifications d’équations à estimer et, peut être le plus important, selon la méthode économétrique employée pour les produire. 24 C’est en conséquence de cela que nous élaborons, dans le sixième chapitre, un modèle structurel où le taux de change réel d’équilibre recherché découle de la tradition de l’équilibre sous-jacent. Les équations qui en explicitent les conditions constituent un modèle d’équilibre général dont la résolution permettra de mieux comprendre le fonctionnement d’une petite économie en développement. Il est alors possible, par le croisement des blocs interne et externe, de déduire une expression du taux de change réel d’équilibre macroéconomique, celui qui articule les modalités du fonctionnement interne de l’économie et les comptes extérieurs. Cette expression de forme réduite traduit le comportement du taux de change réel et laisse envisager la possibilité d’une estimation. Nous insistons tout particulièrement sur un ensemble d’effets qui permet la modification d’une modélisation standard sous-jacente. Il y a, par exemple, l’effet induit du taux de change réel sur la consommation et l’investissement, l’effet Keynes-Kalecki (Taylor 1991) qui repose sur l’hypothèse que la propension à épargner est considérablement plus faible par rapport aux salaires que par rapport aux profits. La modélisation est aussi basée sur une conception dualiste de l’économie, à travers un ensemble d’équations traduisant le fonctionnement du marché des biens et du travail. L’équilibre interne, voire global, en dépendra énormément. Suite à quoi nous procéderons à une application économétrique qui déterminera les niveaux du taux de change d’équilibre et du désajustement. C’est une tâche qui s’avère très délicate mais également très intéressante car la modélisation que nous suivons, et par la nature même des variables, génère un problème de stationnarité au même niveau, ce qui invalide les méthodes de coïntégration habituelles. Cependant, une démarche récente développée par Pesaran, Shin et Smith (1999, 2001) et basée sur un modèle à retards échelonnés permet une étude de coïntégration indépendamment de l’ordre d’intégration de variables. Nous suivons la version à correction d’erreurs. En prémices de résultats, nous soulignons en exemple que les estimations, notamment dans le cas de l’Algérie, reproduisent l’histoire économique, politique et sociale des pays ; de même que l’effet Balassa est contesté. La dernière partie de la thèse, du septième au neuvième chapitre, est consacrée au choix du régime de change, objet d’un débat récurrent. Les travaux récents témoignent de la controverse qui demeure, néanmoins, considérable sur ce qui constitue le meilleur régime. Nous présentons, dans le septième chapitre, la large littérature qui lui est consacrée. Une première approche concerne les contributions originelles qui se sont focalisées sur les caractéristiques structurelles d’une économie. Nous la désignons ainsi approche structurelle qui s’est trouvée renouvelée depuis le milieu des années 1980. Une deuxième approche trouve 25 ses origines dans la littérature sur la crédibilité (Kydland et Prescott 1977, Barro et Gordon 1983) qui, adaptée à l’économie ouverte, a constitué en effet le fondement à des modèles « coûts – bénéfices ». A la base de tout régime monétaire, remarque Fazio (1998), il y a la recherche d’un équilibre entre deux exigences souvent conflictuelles : d’un côté, la crédibilité de la gestion de la monnaie, qui est vitale pour le maintien de la confiance dans sa valeur ; d’un autre côté, la flexibilité nécessaire à l’atténuation de l’impact de chocs non anticipés sur l’économie. C’est de cette incertitude devant les décisions et les enjeux qu’encourent les autorités monétaires que l’approche de l’arbitrage, souvent entre flexibilité et crédibilité, se justifie et prend toute son ampleur. Une autre approche récente propose d’aller plus loin dans les leçons à tirer d’un tel conflit et des crises à répétition. Le choix entre change fixe et flexible peut être rétabli en termes de deux questions liées, comme le font LeBaron et McCulloch (2000). Y a-t-il des gains nets à espérer du maintien du change fixe ? Comment peut-il être maintenu dans un monde de mobilité internationale de capital ? L’hypothèse de disparition des régimes intermédiaires et son corollaire la solution en coin se présente comme l’unique réponse. Nous étudions ces trois approches et nous évoquons d’autres considérations qui plaident pour le pragmatisme et l’éclectisme dans le choix du régime de change. C’est dans cet esprit que nous tentons, dans le huitième chapitre, de déterminer un régime souhaitable pour chacun des pays du Maghreb. D’abord, nous prenons en considération le débat actuel sur la nouvelle architecture monétaire internationale. Nous nous interrogeons de même sur la place qui y est consacrée aux PED, et aux pays maghrébins en particulier suite à l’avènement de l’euro. Ensuite, nous essayons à travers l’expérience du pays de déduire ce qui aurait pu constituer un régime de change de facto. Il s’agit, dans un premier temps, d’étudier et de détecter les différentes phases dans le comportement du taux de change et des diverses stratégies de change suivies par les autorités économiques et financières, annoncées ou non. Dans un second temps, en partant de l’idée que les monnaies maghrébines ont pu se comporter comme des monnaies paniers, une estimation économétrique du régime de facto viendra compléter cette étude. Suite à quoi, enfin, nous déterminons la forme définitive du régime de change souhaitable aux pays du Maghreb. Nous suivons la même méthode d’estimation que celle du régime de facto, sur la période débutant en 2000, soit un an après l’entrée en vigueur de l’Euro. Cependant, deux modifications majeures s’imposent. La première concerne les monnaies censées composer le panier. D’un côté, en représentant toutes les monnaies européennes composant majoritairement le panier auparavant, l’euro facilite la gestion du panier et la rend plus lisible. Mais, d’un autre côté, il prive les autorités monétaires 26 de recourir à un nombre élevé de monnaies et de se référer à certaines d’entre elles qui sont moins fortes que d’autres dont l’intégration a contribué à l’équilibre du panier à une période ou à une autre. Une autre conséquence de l’avènement de l’euro est son internationalisation et son appréciation par rapport aux autres monnaies, essentiellement le Dollar américain. Les monnaies qui s’y rattachent se trouvent ainsi indirectement appréciées. Un panier composé d’au moins une monnaie majeure, comme le Yen japonais et la Livre Sterling, en plus de l’euro et du dollar semble la meilleure solution. D’autant que dans un monde où les trois grandes monnaies, le dollar, le yen et l’euro, continuent de flotter les unes par rapport aux autres, tout pays décidant d’arrimer sa monnaie à l’une d’entre elles se trouve forcément en régime de change flottant par rapport aux deux autres. La deuxième modification permet d’introduire dans l’estimation, en plus des monnaies censées composer les paniers, une constante, une variable temps, le niveau du désajustement du taux de change réel et la monnaie chinoise. Les deux premières permettent à la valeur de la monnaie nationale de s’écarter de celle du panier (Bénassy-Quéré et Coeuré 2000 ; Frankel, Schmukler et Serven 2001). L’intégration du désajustement joue le rôle d’une force de rappel, comme un repère dans la gestion du change au quotidien. Le choix d’un régime de change n’est donc pas déconnecté de la détermination du taux de change réel d’équilibre. Le régime serait de l’ordre du contenant et le taux d’équilibre, du contenu. La prise en compte de la monnaie chinoise est justifiée par l’idée qu’un pays peut recourir à la flexibilité en intégrant dans son panier une monnaie connaissant une dépréciation et qui plus est celle d’un pays concurrent. Là-dessus, il faut prendre en considération l’importance de plus en plus croissante des exportations chinoises sur le marché européen, destination traditionnelle des produits maghrébins comme le textile tunisien. La Chine est actuellement le troisième plus grand exportateur mondial, sans compter avec l’élimination totale des quotas d’importation au 1er janvier 2005, prévue par l’Accord sur le Textile et les Vêtements conclu en 1995 dans le cadre de l’OMC. Nous proposons dans le neuvième et dernier chapitre de réexaminer les performances économiques des pays du Maghreb suite aux résultats obtenus jusqu’ici. Celle de la croissance reste largement considérée dans l’évaluation du niveau du taux de change et dans le choix du régime, mais aussi comme fond du message adressé aux PED pour un passage à des régimes de flottement, du moins plus flexibles. Contrairement à la plupart des études économétriques qui se basent sur des données de panel, nous suivons ici une approche de séries temporelles. Nous l’estimons plus intéressante pour notre étude qui cherche avant tout à tirer des enseignements spécifiques à chaque pays, ce que les études transversales ne fournissent pas, 27 du moins peu. Leur message reste plutôt comparatif et à titre discriminatoire entre pays. Nous explorons les effets des variables liées au change, en jonction avec d’autres, sur la croissance économique. Ils peuvent être plus ou moins prononcés en présence d’une catégorie de variables que d’une autre. Prenons l’exemple de l’ouverture d’une économie au commerce international, la nature du lien entre échange extérieur et croissance se précise, selon Busson et Villa (1997), par l’entremise du taux de change. Un taux de change réel bas permet d’accroître les exportations par effet de compétitivité. Le développement des exportations desserre la contrainte extérieure et permet d’importer du capital non produit intérieurement, ce qui favorise la croissance. A l’inverse, un taux de change réel élevé favorise le secteur traditionnel, pour les PED, ou le secteur abrité, pour les pays développés. Les variables liées au change sont la variabilité du taux de change effectif réel, le désajustement et le régime de change. Les études sur les politiques de change dans les pays du Maghreb et leur impact sur la performance économique étaient bien rares. Domaç et Shabsigh (1999) soutiennent que la croissance est affectée défavorablement par toutes les mesures du désajustement du taux de change réel (modèle, PPA, marché noir), confirmant les effets contraignants de la mauvaise gestion économique sur la croissance prédits par les modèles de croissance endogène. Lahrèche-Révil (1999) constate que l’ensemble des pays du sud de la Méditerranée appartient à la zone de développement où une variation du taux de change réel a un impact réel et durable sur la croissance. Pour ce qui est de la troisième variable, le régime de change, nous cherchons à savoir si un changement de régime pouvait être associé empiriquement à une variation du taux de croissance économique et de quelle manière. Rizzo (1999) met tout simplement en évidence la complexité de cette relation et les incertitudes théoriques qu’elle soulève. Les canaux de transmission sont multiples et contradictoires et l’impact final n’est pas évident à déterminer a priori. En ce qui concerne la démarche économétrique, nous effectuerons, d’abord, une première régression qui constituera la référence et concernera les variables les plus souvent utilisées telles l’investissement, la dépense publique ou l’ouverture. Ensuite, dans une deuxième régression, nous incorporons les variables indicatrices du développement financier et dans une troisième celles relatives au change. Enfin, dans une quatrième et dernière régression nous introduisons une variable muette censée traduire des événements ayant des effets exceptionnels sur la croissance. L’étude économétrique sera étendue à l’exportation et à la balance commerciale. Une ébauche de résultats indique que l’effet de variables de change sur la croissance, les exportations et la balance commerciale est loin d’être vérifié, et qu’il faut nuancer l’analyse selon les variables, les pays et les périodes. 28 PARTIE I EVOLUTION HISTORIQUE DES SYSTEMES ET DES DOCTRINES 29 Chapitre 1 Les transitions dans les régimes de change Depuis la chute du système de Bretton Woods, trois décennies déjà, la configuration des régimes de change, dans les PED en particulier, a profondément changé. Il n’y a qu’à comparer une classification des régimes de change d’alors avec celle d’aujourd’hui. Rien n’est comparable. Le nombre de pays adhérents au FMI, donc de régimes, a énormément augmenté. L’extension des taux de change flottants, mesurée à la fois par la longueur de la durée d’adoption et par le nombre des pays qui ont permis à leurs monnaies de flotter, constitue l’aspect marquant de cette période. Ce constat nous semble, néanmoins, insuffisant et problématique à la fois. La raison en est double. Puisque, d’une part, les transitions dans les régimes de change effectuées par les PED sont souvent présentées comme un mouvement linéaire vers la flexibilité et le flottement pur. Il n’y a pas d’autres perspectives à l’avenir, soutient-on, que de laisser flotter sa monnaie ou de la garder parfaitement rigide. D’autre part, ce mouvement linéaire est dicté par l’objectif de réaliser des meilleures performances économiques. Cela sous-entend une relation évidente et automatique entre flexibilité du taux de change et performances économiques. Beaucoup de travaux consacrés aux PED et aux pays émergents abondent dans ce sens et soutiennent que le passage vers des régimes de change plus flexibles paraît avoir bien appuyé leur développement. Eu égard à ce que les PED ont connu durant cette période comme difficultés économiques d’origines interne et externe, qui ont dû affecter la distribution des régimes de change, nous considérons que la question de leur transition mérite une étude plus approfondie qui ne s’arrête pas aux tendances. Cette étude s’articule autour de cinq sections que nous jugeons nécessaires pour dégager une idée claire à propos de l’évolution des régimes de change dans les PED. La première sera consacrée à l’examen des différentes formes des régimes, leur distribution dans le temps et le mouvement vers la flexibilité. La deuxième interroge les attentes des PED derrière les transitions des régimes de change. Un retour sur l’opposition entre change fixe et change flexible fera l’objet de la troisième section. Un élément majeur derrière ces transitions trouve son explication dans la nouvelle approche du développement. C’est l’objet de la quatrième section. Dans la cinquième et dernière section, nous procédons à un examen des performances économiques. Cet examen, à la fois théorique et empirique, constitue le dernier éclairage sur l’hypothèse postulant que plus meilleures performances économiques. 30 flexibilité garantit des Section 1 L’évolution des régimes de change dans les PED Comment ont évolué les régimes de change dans les PED depuis la fin du système de Bretton Woods? Que peut nous enseigner cette évolution? Est-elle linéaire, sans retour en arrière ? Y a-t-il eu franc mouvement vers la flexibilité ? Répondre à ces questions nécessite une étude fine de la distribution des régimes de change sur toute cette période. 1.1 La distribution des régimes de change Nous avons remarqué que la plupart des études consacrées à cette question de régime de change se basent souvent sur la comparaison entre les distributions de ces régimes en deux dates éloignées pour en dégager la tendance. Une telle démarche nous semble, d’une part, insuffisante pour dégager des enseignements majeurs. Si c’est le cas, ils peuvent même être hâtifs, voire erronés. D’autre part, en se focalisant sur quelques dates, elle ne saisit pas pleinement l’évolution des différents régimes tout au long de la période étudiée. Elle ne saisit pas non plus l’évolution depuis les crises financières de 1997-1998 qui s’avère d’une grande importance comme nous le verrons plus loin. Pour combler ces insuffisances, nous avons suivi, non sans difficulté, l’évolution des régimes de change année après année depuis la chute du système de Bretton Woods jusqu’à 2001 et dont la périodisation s’est avérée très utile. En l’espace de trois décennies, les PED ont connu une évolution profonde dans la distribution des régimes de change. Au premier regard, la tendance est au flottement. Alors qu’en 1975, 87% des PED maintenaient une certaine forme de taux fixe et 13% appliquaient un taux flexible, ces chiffres étaient respectivement de 71% et 29% en 1986 et, au milieu des années 1990, la plupart de ces pays disaient appliquer un taux de change flexible. Les parts respectives étaient de 40 et 60% en 2001. L’extension du change flottant, mesurée à la fois par la longueur de la période et par le nombre de pays ayant permis à leurs monnaies de flotter constitue l’aspect marquant depuis l’avènement du flottement (Aliber 2000). Le phénomène est largement constaté2 et on s’accorde désormais sur l’existence d’une forte tendance à adopter des régimes de change de plus en plus flexibles. Si Dreyer (1978) notait que, jusqu’en 1976, la plupart des PED n’ont pas saisi l’occasion de l’abandon du système de Bretton Woods pour adopter des régimes plus flexibles, Obstfeld et Rogoff (1995) évoquent le mirage du change fixe. 2 - Polak (1988), Chandavarkar (1996), Edwards et Savastano (1999), Bénassy-Quéré et Coeuré (2000) … 31 Le mouvement vers la flexibilité s’est traduit par une profusion des régimes de change et présente deux caractéristiques. La première est d’ordre général et consiste en une baisse constante du nombre de régimes de taux fixes en concomitance avec une augmentation des régimes plus flexibles. La seconde, plus particulière, représente le fait marquant de cette évolution vers plus de flexibilité, celui de la montée spectaculaire pendant la dernière décennie du nombre de PED, y compris ceux de petite taille, qui ont adopté des taux de change flottants plus que toute autre disposition. Polak rappelait déjà (1988) qu’il était tenu comme axiomatique qu’un PED ne peut admettre à la valeur de sa monnaie d’être déterminée par le marché, en faisant allusion à Williamson (1982). Chandavarkar (1996) considère cette évolution comme réfutation de l’idée largement répandue selon laquelle le flottement n’est ni faisable, ni désirable pour la plupart des PED. Les marchés limités de capitaux et de change, les restrictions sur les flux de capitaux et une prédominance des chocs réels en sont les facteurs les plus souvent avancés. Quant à la profusion des régimes de change, elle s’est essentiellement traduite par les nombreux régimes intermédiaires. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer une présentation récente des régimes de change faite par le FMI à une autre ancienne datant de la fin des années 1970 ou du début des années 1980. Dans la récente, il y a au moins huit groupes de régimes de change, alors que dans l’ancienne tout peut être regroupé en taux de change fixes et les autres, sans même mentionner explicitement les taux flexibles. Par ailleurs, le nombre de PED membres du FMI, indiquant donc leurs régimes de change, est passé de 107 pays en 1975 à 163 en 2001. 1.2 Les différents régimes Les différents régimes de change recensés par le FMI aujourd’hui croisent en fait deux critères : le degré de flexibilité et l’existence ou non d’un engagement des autorités monétaires en faveur d’une évolution donnée du taux de change. Comme le notent BénassyQuéré et Coeuré (2000), ils sont en général liés : Un change fixe suppose un engagement fort, alors qu’un flottement libre ne nécessite, par définition, aucun engagement sur la stabilité du taux de change. Depuis Avril 1999, le FMI utilise une nouvelle classification officielle des régimes de change pour mieux refléter l’évolution des pratiques en la matière. Elle comprend huit catégories : 32 Régime des pays n’ayant pas de monnaie officielle distincte : Une autre unité monétaire est la seule monnaie ayant cours légal dans le pays, ou le pays est membre d’une union monétaire ou d’un mécanisme de coopération monétaire ayant adopté une monnaie commune qui a cours légal dans chacun des pays membres. Caisse d’émission : il s’agit d’un régime monétaire en vertu duquel un pays s’engage explicitement en vertu de la loi à échanger à un taux fixe sa monnaie nationale contre une devise spécifique. Cet engagement impose certaines restrictions à l’autorité émettrice pour garantir le respect des obligations imposées par la loi. Autre régime conventionnel de parité fixe : Le pays rattache sa monnaie, à un taux fixe, à une grande monnaie ou à un panier de monnaies, le taux fluctuant à l’intérieur d’une bande étroite de + 1 ou – 1% maximum de part et d’autre du taux central. Rattachement à l’intérieur de bandes de fluctuation horizontales : La valeur de change de la monnaie est maintenue à l’intérieur de bandes de fluctuation supérieurs à 1% de part et d’autre d’un taux central fixe, officiel ou de facto. Système de parités mobiles : La valeur de change de la monnaie est ajustée périodiquement dans de faibles proportions, à un taux fixe annoncé au préalable ou en réponse aux variations de certains indicateurs quantitatifs. Système de bandes de fluctuation mobiles : La valeur de change de la monnaie est maintenue à l’intérieur de certaines marges de fluctuation de part et d’autre d’un taux central qui est ajusté périodiquement à un taux fixe annoncé au préalable ou en réponse aux variations de certains indicateurs quantitatifs. Flottement dirigé sans annonce préalable de la trajectoire du taux de change : L’autorité monétaire influe sur les mouvements du taux de change par des interventions actives sur le marché des changes, sans spécifier ni s’engager à annoncer au préalable quelle sera la trajectoire du taux de change. Flottement indépendant : La valeur de change est déterminée par le marché, toute intervention sur le marché des changes étant plus destinée à modérer le taux de change et à en éviter les fluctuations indésirables qu’à le situer à un niveau particulier. Sur 163 PED, au 31 décembre 2001, 28 n’ont pas de monnaie distincte ; 40 ont opté pour d’autres régimes conventionnels de parité fixe ; 42 pour un flottement dirigé sans annonce préalable de la trajectoire du taux de change et 31 pour un flottement indépendant. Les autres régimes étaient très faiblement suivis, de 4 à 8 pays par régime. 33 1.3 Le mouvement vers la flexibilité Pour des raisons pratiques, notamment pour pouvoir suivre l’évolution des régimes de change dans les PED en remontant jusqu’aux milieux des années 1970, nous adopterons, cependant, une représentation groupée et en nombre relatif (en %) comme le montre le tableau ci-dessous. Les régimes de change sont classés selon que le taux varie ou pas. Le choix est donc entre des taux fixes et des taux flexibles. A l’intérieur de ces deux catégories, il y a plusieurs variantes des régimes, du moins selon le classement du FMI. En effet, dans la première, un pays peut rattacher sa monnaie à une devise forte ou à un panier de monnaies. Dans la deuxième et à moins de laisser flotter librement le taux de change, la flexibilité peut être obtenu en l’ajustant, abstraction faite de références et de modalités. Il s’agit du flottement géré. Tableau 1 : Evolution (en %) des régimes de change dans les PED 1975 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 FIXE 86.9 75 77.6 70.8 68.7 58.3 43.9 42.8 Monnaie 72.9 47.5 48.8 42.3 42.7 37.5 30.6 32 .1 33.7 Panier 14 27.5 28.8 28.5 26 20.8 13.4 10.7 6.13 13.1 25 22.4 29.2 31.3 41.7 56.1 57.2 60.1 Flottement géré 12.1 21.7 19.2 18.5 22.1 17.4 28 33.3 41.1 Flottement libre 0.93 3.3 3.2 10.8 9.16 24.3 28 23.9 19 100 100 100 100 100 100 100 100 FLEXIBLE Nombre de pays 100 39.9 Données traitées à partir des annuaires de Statistiques Financières Internationales et Exchange Arrangements and Exchange Restrictions (FMI). Outre la confirmation de la tendance générale caractérisant l’évolution des régimes de change dans les PED, à savoir l’adoption des régimes de change de plus en plus flexibles au détriment des taux de change fixes, ce tableau nous livre un enseignement de grande importance. Cet enseignement est souvent escamoté par l’évocation de la tendance générale exprimée, de surcroît, en termes de part d’un régime de change dans l’ensemble. Il s’agit du fait que cette évolution n’est pas linéaire et qu’elle s’est déroulée sur différentes phases. Il est vrai aussi qu’en comparant la distribution des régimes en début de période d’analyse, en l’occurrence 1975, à la fin de période, 2001, le constat est saisissant. Mais cela ne saurait expliquer le déroulement de cette évolution, ni les enseignements à en tirer. Se focaliser sur la tendance générale uniquement peut conduire à des conclusions hâtives, comme celle de la 34 disparition des régimes de change intermédiaires, hypothèse sur laquelle nous reviendrons plus loin. Pour une analyse plus approfondie, nous nous baserons aussi sur une représentation3 en nombre absolu de régimes. Tableau 2 : Evolution (en nombre) des régimes de change dans les PED 1975 1987 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 2001 FIXE 93 90 84 73 73 69 69 69 68 65 Monnaie 78 57 54 47 49 48 48 50 51 55 Panier 15 33 30 26 24 21 21 19 17 10 14 40 60 79 82 88 89 89 91 98 Indicateurs 4 5 3 4 3 2 2 0 0 0 Flottement géré 9 22 22 28 31 42 43 44 53 67 Flottement libre 1 13 35 47 48 44 44 45 38 31 107 130 144 152 155 157 158 158 159 163 FLEXIBLE Nombre de pays Sources : Statistiques Financières Internationales et Exchange Arrangements and Exchange Restrictions (FMI). Les deux tableaux analysés conjointement nous permettent de détecter trois phases principales, donc trois tendances, caractérisant l’évolution des régimes de change dans les PED. Nous insistons sur le fait qu’il s’agit de tendances, car nous constatons qu’il y a eu quelques mouvements conjoncturels dans les régimes de change et qui ne font que les confirmer. Nous pouvons expliquer ce type de mouvements par l’augmentation irrégulière du nombre d’adhérents au FMI et donc du nombre de régimes recensés. Il passait ainsi de 107 à 125 entre 1975 et 1983, de 133 à 144 de 1991 à 1992 et à 152 en 1993. Les pays nouveaux venus passent souvent par une période de va-et-vient entre les différents régimes. Mais l’effet net est en faveur de régimes plus flexibles. Une autre explication peut résider par exemple dans ce que nous appelons « l’effet rouble »4, à savoir le rattachement au rouble de certaines monnaies de pays de l’ex-Union Soviétique ou de certains pays de l’Europe de l’est, après la dislocation de leur bloc en 1989. Etant donnés ces derniers éléments d’analyse, nous remarquerons que le flottement géré a connu une évolution quasi-régulière en passant de 12,1 % en 1975 à 41,1% en 2001, 3 - Nos deux représentations ont été confrontées à celles de : Aghevli, Khan et Montiel (1991) ; Polak (1994) ; Chandavarkar (1996) ; Izzo et Naudet (1996) ; Edwards et Savastano (1999). 4 - Un des critères de classification adoptés par le FMI (SFI, 1996 ou 1998 par exemple) fût celui de « monnaie dont le taux est établi par rapport au rouble russe ». A titre d’exemple, six pays ont répondu à ce critère en 1992. 35 soit de 9 à 68 pays. Cela signifie que la périodisation des trois phases détectées reposera sur l’évolution de régimes du flottement libre et de change fixe, par ses deux composantes. La première, allant jusqu’au milieu des années 1980 (1983-1986), se caractérise par un mouvement croisé dans les changes fixes par rapport à une monnaie et par rapport à un panier : le premier à la baisse et le second à la hausse, de 14% en 1975 à près de 29% en 1983 et 1986, les années où le nombre absolu était le plus élevé, soit 35 et 36. Bien qu’ils soient presque stables en nombre absolu, 93 en 1975 et 90 en 1980 et 1989, les régimes de change fixes chutent en nombre relatif, de presque 87% en 1975 à presque 71% en 1986. En effet, après l’effondrement du système de Bretton Woods et l’adoption généralisée du change flottant par les principales économies avancées, la plupart des PED ont continué dans un premier temps à rattacher leurs monnaies à l’une des principales devises ou à un panier de monnaies. A partir de la fin des années 1970, toutefois, un certain nombre de PED ont abandonné ce type de régime, essentiellement le rattachement à une seule monnaie en se reportant en partie sur des paniers de monnaies, leur nombre a plus que doublé de 1975 à 1980, et en autre partie sur des régimes plus flexibles. La deuxième phase caractérise l’évolution des régimes de change sur presque une décennie, du milieu des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990. Cette phase est marquée par un retournement dans l’évolution du système monnaie-panier. Désormais, les régimes de change fixe évoluent dans le même sens, en nombres relatif et absolu, et cela au profit du change plus flexible. Il est vrai que si, dans un premier temps, les PED ont choisi le plus souvent de rattacher la monnaie nationale à un panier de monnaies plutôt qu’à une seule monnaie, ou d’autoriser une flexibilité limitée par rapport à une seule monnaie, on observe depuis le début des années 1980 un glissement prononcé vers des régimes de change plus flexibles. La troisième date du milieu des années 1990 (1994-1995). Cette phase nous semble très importante et cela à plusieurs titres. Elle s’inscrit à contre courant de ce qui est largement répandu aujourd’hui, à savoir le mouvement incessant vers la flexibilité et notamment sous sa forme de flottement libre, d’un côté, et de la disparition des régimes intermédiaires, de l’autre. En effet, la tendance dans l’évolution du flottement libre semble s’inverser. Le nombre de pays adoptant un tel régime a baissé, en passant de 48 en 1994, soit le nombre le plus élevé, à 31 en 2001, ou de 31% à presque 19%. Quant au change fixe par rapport à une monnaie, l’inversion de la tendance s’effectue dans le sens de l’augmentation. La part relative se stabilise autour de 30% au milieu des années 1990 pour atteindre presque 34% en 2001. Il y a 36 eu une stabilisation autour de 48 pays de 1993 à 1996 puis une remontée jusqu’à 55 pays en 2001. Les régimes de change fixes par rapport à un panier et les régimes de flottement géré poursuivent leur évolution dans le même sens que dans la phase précédente. Les premiers sont à la baisse pour une part de 6%, soit 10 pays, et les seconds sont à la hausse avec une part de presque 41%, soit 67 pays. Cette dernière phase s’est déterminée avec plus de netteté après 1998 où nous constatons une accélération dans le rythme de l’évolution des régimes de change, notamment le flottement géré avec une part qui passe de presque 33% à presque 41%. Il nous semble par conséquent, si la tendance se confirme, que la distribution des régimes de change dans les PED tende à se stabiliser autour de deux catégories prédominantes représentant à elles seules les trois-quarts de l’ensemble des régimes suivis. Il s’agit du flottement géré et du change fixe par rapport à une seule monnaie, respectivement 41% et 34% en 2001. Quelles sont alors les explications de cette évolution et quelles en étaient les attentes des PED ? Section 2 Les attentes des transitions dans les régimes de change Il est assez frappant de constater que la périodisation de l’évolution des régimes de change dans les PED que nous avons effectuée plus haut correspond parfaitement, et à chaque stade, à au moins un événement majeur ayant marqué le système monétaire international et les PED eux-mêmes. En effet, la fin de la première phase correspond à la fois à la période d’appréciation du dollar américain et à la crise de la dette qui a lourdement frappé les PED. Le passage de la deuxième phase à la troisième coïncide avec la fameuse crise mexicaine de 1994-1995. Cette troisième et dernière phase est justement devenue plus nette après 1998, comme nous l’avons remarqué précédemment, soit après les crises financières qu’ont connues certains pays émergents5 de 1997 à 1999. 5 - Ce concept remonte, selon Aliber (2000), à la crise mexicaine de 1994-1995. L’ambition et la réussite de l’administration Salinas dans ses initiatives de privatisation, de libéralisation des importations et de stabilisation macroéconomique ont conduit à une poussée des flux de capitaux entrants. Depuis, les PED connaissant un tel phénomène sont appelés pays à marchés émergents. Il peut être sujet à de nombreuses variations. Busson et Villa (1996) utilisent comme critères les niveaux de richesse, PIB(PPA) par tête, et de l’insertion dans le commerce mondial, (Exportations+Importations industrielles)/PIB(PPA). Les pays de l’OCDE dépassent certains seuils, les PED y sont en deçà et les pays émergents sont dans une situation intermédiaire. Atlan et al. (1998) adoptent une définition financière de ces économies. A partir de la définition de la Banque Mondiale, selon laquelle les pays émergents sont des économies à fort potentiel de croissance, appuyant leur développement sur l’extension de leurs marchés financiers, ils retiennent les marchés émergents couverts par l’indice IFC (marchés d’actions) ou sur le point d’y être intégrés, auxquels ils ajoutent les pays ayant procédé à des émissions obligataires internationales dans la période récente et les économies de Hong Kong, Taiwan et Singapour. 37 Les régimes de change dans les PED semblent certes évoluer au gré des évènements marquant l’environnement financier international. Mais les situations propres aux pays, conjointement à cet environnement international, suscitent aussi des attentes s’exprimant à travers la modification des régimes de change. Initialement, chaque pays a réagi à l’avènement du flottement en fonction de la situation qui était la sienne à cette époque. Au fil du temps, d’autres facteurs sont entrés en jeu. Il en est résulté une diversité considérable dans les régimes de change, d’ancrages très fermes à des flottements relativement libres et plusieurs variantes entre les deux. Ce n’est pas surprenant étant donné les différences dans les circonstances économiques et financières des pays. 2.1 Attentes au niveau de la gestion des difficultés économiques La décision d’un nombre croissant de PED de passer, dans un premier temps, d’un change fixe par rapport à une seule monnaie à un panier de monnaies a été poussé partiellement par le désir de minimiser les effets défavorables des fluctuations dans les taux de change de grandes devises sur leurs économies, mais aussi à l’avènement du flottement généralisé en 1973 et particulièrement dans les années 1980. Ces fluctuations ont engendré divers problèmes pour les PED, allant de l’incertitude à propos de la profitabilité de l’investissement dans le secteur des biens échangeables, jusqu’à la gestion des finances publiques, de la dette extérieure, des réserves de change. La neutralisation des effets de la volatilité et de l’incertitude associées aux fluctuations dans les grandes devises représentait à l’époque la principale attente de la gestion du taux de change. Une tendance à l’adoption d’un panier de monnaies en était la traduction. Les PED ont aussi, par la suite, accru leur adhésion à des arrangements plus flexibles sous lesquels le taux de change est ainsi fréquemment ajusté. L’utilisation croissante des taux de change plus flexibles peut être attribuée à plusieurs facteurs. La vive accélération de l’inflation dans de nombreux PED au cours des années 1980 a également influé sur le choix du régime de change. Les pays en proie à une inflation élevée par rapport à celle de leurs partenaires commerciaux ont vu leurs monnaies se déprécier pour éviter que leur compétitivité extérieure ne se dégrade. En fait, pour beaucoup de ces pays, le taux de change nominal et l’inflation domestique étaient systématiquement liés. La tendance dans les transitions des régimes de change s’est renforcée avec les chocs extérieurs subis par les PED, tels que la montée brusque des taux d’intérêt internationaux ; le ralentissement de la 38 croissance dans les pays industrialisés au début de la décennie ; l’évolution défavorable des termes de l’échange et la crise de la dette. Ces facteurs ont exigé une dépréciation du taux de change en termes réels dans certains PED, donc l’adoption d’une politique de change plus flexible. L’abandon progressif des régimes de taux de change fixe dans les années 1980 s’est poursuivi, dans un deuxième temps, avec plus d’intensité dans les années 1990. Cela s’explique par le fait qu’aux facteurs précédemment évoqués, se sont ajoutées les nombreuses difficultés de la balance des paiements et surtout, depuis quelques années, la mobilité accrue des capitaux. Cette dernière a, dans beaucoup de cas, exacerbé les risques des déséquilibres extérieurs et intérieurs et limité les possibilités d’interventions stérilisantes. La souplesse du taux de change est ainsi apparue de plus en plus comme l’un des instruments du processus d’ajustement dans une économie mondiale caractérisée par une intégration croissante et, à certains égards, par un risque accru d’instabilité. Quelles que soient les attentes derrière les transitions des régimes de change, implicites ou explicites, à savoir une minimisation des effets des variations des taux de change ; l’instauration et la préservation de l’équilibre interne et externe ; la protection contre les chocs…, elles sont presque toujours présentées comme des conséquences plus ou moins contraintes. Il s’agit le plus souvent de juguler une situation intenable. Cependant, la multiplication des régimes de change plus flexibles est aussi allée de pair avec l’adoption des stratégies économiques axées sur une plus grande ouverture aux flux commerciaux et financiers et avec l’importance croissante du rôle du marché dans la détermination des taux de change et d’intérêt. Un nombre grandissant de pays ont assoupli ou levé les restrictions de change, instauré des systèmes d’adjudication et facilité les transactions interbancaires en devises, réduisant par-là même l’influence directe des autorités monétaires dans la détermination du taux de change. Autrement dit, la transition des régimes de change peut ne pas être contrainte. Elle est recherchée pour répondre à certaines attentes au niveau des performances économiques. 2.2 Attentes au niveau des performances économiques Au-delà des attentes concernant la sortie de situations difficiles ci-dessus évoquées et engendrées par le changement dans l’environnement financier international, d’autres attentes s’inscrivent dans le temps. En effet, dans un premier temps, des facteurs internes et externes, variant d’un pays à un autre, ont poussé les PED à relier fortement les variations des taux de 39 change à leurs processus d’ajustement macroéconomique. Ces variations étaient ainsi censées jouer un rôle central dans la restauration et la préservation de l’équilibre interne et externe dans les PED enclins aux chocs (Aghevli, Khan et Montiel 1991 ; Little et al. 1993 ; Edwards et Savastano 1999). Dans un second temps, ils se sont adaptés aux larges opportunités offertes par une économie internationale sans cesse en intégration et par les changements dans leurs propres situations économiques. D’une part, d’importants flux de capitaux aux PED sont apparus en quantité considérable depuis le début des années 1980, accroissant le potentiel d’un large et soudain renversement dans les flux nets qui rendait les taux de change fixes difficiles à maintenir. D’autre part, plusieurs PED ont aujourd’hui un nombre plus élevé de partenaires. La transition vers des régimes plus flexibles n’est plus seulement un moyen de sortie d’une situation économiquement difficile, elle exprime davantage l’attente de plus d’insertion internationale et de meilleures performances économiques. Ce changement d’attitude des PED vers la flexibilité du taux de change semble s’être développé à la fin des années 1980 et sous l’impulsion du FMI6. Tous les pays qui ont adopté des taux flottants dans les années 1980 l’ont fait dans le cadre des programmes financiers soutenus par le FMI et partant d’une position d’extrême faiblesse (Polak 1988) : sévères difficultés de balance des paiements, arriérés de paiements externes, prédominance des marchés noirs de devises, etc. Dans ces circonstances, l’adoption d’un flottement libre a donné aux autorités une opportunité de libéraliser le système restrictif et en même temps d’abandonner la responsabilité politique dans l’ajustement du taux de change (Quirk et al. 1987). Pour apprécier l’importance du rôle du FMI dans l’adoption des taux plus flexibles, Polak (1988) et Quirk (1994) mentionnent un fameux rapport que ce dernier a réalisé en 1987 examinant l’expérience des PED ayant adopté des taux de change flottants. Le FMI a conclu en effet que cette expérience, bien qu’elle ne fût pas définitive, indiquait que le flottement peut être suivi d’une manière satisfaisante par des PED de structures économiques diverses, y compris ceux ayant peu de banques commerciales. Il présente une option viable dans une situation devenue virtuellement ingérable par d’autres moyens. La peur d’une forte variabilité des taux de change flottants n’apparaît pas être justifiée. Plusieurs pays ont aussi effectué ce passage comme une action préalable ou un critère de performance dans le cadre d’un programme financier soutenu par le FMI où la flexibilité du change occupait une place importante. L’étude de 1987 note que le quart des programmes de 1983 à 1986 ont appelé à 6 - Voir Boughton (2004), pour les évènements et les idées qui ont marqué l’histoire de l’institution. 40 l’adoption ou le maintien des arrangements flexibles. Le FMI n’a pas cessé d’œuvrer pour cela et de soutenir les PED par un ensemble de mesures comprenant l’adoption de l’article VIII7 , l’unification des taux de change ou le développement du marché de change, etc. Il y a eu depuis, comme l’ont remarqué Cottani, Cavallo et Khan (1990), une référence croissante, dans les discussions politiques, à la stabilité du taux de change réel et à l’ajustement du taux nominal comme condition cruciale pour améliorer les performances économiques dans les PED. Celles des pays de l’Amérique Latine, de l’Asie et de l’Afrique sont souvent avancées pour soutenir la thèse d’une forte liaison entre comportement du taux de change réel et performance économique. On met en opposition l’instabilité des taux de change réels qui a inhibé la croissance des exportations dans certains pays d’Amérique Latine, d’un côté, et leur stabilité qui était fondamentale dans la promotion de l’expansion de l’Asie du sud-est, de l’autre. Quant aux pays africains, on évoque les désajustements permanents des monnaies nationales qui ont contraint le développement agricole et réduit en conséquence l’offre alimentaire. La transition du régime de change pour réaliser des meilleures performances économiques était souvent justifiée en se référant à la relation théorique existante entre taux de change, régime de change et performances économiques. Le taux de change réel est avancé comme mécanisme de transmission principal. La politique économique l’affecte à travers les variations des niveaux des prix intérieurs, du taux de change nominal ou des deux. En retour, sa relation aux performances économiques est censée être forte. De larges oscillations du taux de change réel impliquent une plus grande incertitude dans le prix relatif qui a pour conséquences des risques plus grands, des investissements à horizon plus court, des coûts d’ajustement plus élevés telle une baisse de la production ou des mouvements des biens échangeables vers des biens non échangeables et des instabilités financières. Très souvent, le désajustement prend la forme d’une surévaluation de la monnaie nationale contraignant ainsi les activités commerciales. Cela affecte défavorablement la croissance puisque les améliorations de la productivité tendent à se concentrer dans les industries compétitives à 7 - Il impose certaines obligations aux pays membres. En particulier, les sections 2-a et 3 leur interdisent d’appliquer, sans l’approbation du FMI, des restrictions aux paiements et transferts afférents aux transactions internationales courantes et de recourir à des pratiques de taux de change multiples ou à des dispositions monétaires discriminatoires. En outre, la section 4 stipule qu’ils devront, à certaines conditions, acheter les avoirs en leur propre monnaie détenus par d’autres pays membres, ces derniers faisant valoir que ces avoirs ont été récemment acquis à l’issue de transactions internationales courantes, ou que leur conversion est nécessaire à la réalisation de paiements afférents aux transactions courantes. Voir Statistiques Financières Internationales (FMI), pour plus d’informations. 41 l’extérieur. Une causalité inverse est également possible. Une croissance plus élevée pourrait en effet apprécier le taux de change réel si elle résultait de l’amélioration de la productivité dans le secteur des biens échangeables. Cet effet traduit, cependant, un mouvement d’équilibre dans les prix relatifs qui n’implique pas un désajustement du taux de change réel. Section 3 Retour sur l’opposition Fixe - Flexible La tendance vers la flexibilité qui a marqué l’évolution des régimes de change dans les PED ne s’est pas effectuée sans susciter de questions. Les principales d’entre elles continuent à être liées au débat sur les mérites du change flottant et des régimes alternatifs. Dans une certaine mesure et comme l’a remarqué Quirk (1994), ce débat était mené sur deux voies parallèles. D’un côté, les tenants des régimes de change flottants soutiennent l’inévitabilité de tels arrangements et de l’autre ceux qui soulignent l’optimalité des taux fixes grâce à leur stabilité. Cette opposition semble avoir évolué comme un cycle de désillusion (Frankel 1996), ce qui traduit en quelques sortes les attentes qu’ont eu les pays en adoptant les différents régimes. Le change flottant a désenchanté dans les années 1980 avec la bulle du dollar en 1984-1985 et la volatilité excessive dont ont souffert les marchés financiers. Une autre raison pour laquelle la pendule a basculé du flottement au change fixe dans les années 1980 était l’émergence de l’argument de l’ancrage nominal comme engagement crédible de la part des autorités monétaires de ne pas courir l’inflation. Les crises qui sont survenues dans des pays tenant à fixer leurs taux de change ont renouvelé le désappointement de ces derniers. Nous pensons ainsi qu’il est utile de faire un retour sur l’opposition entre change fixe et change flexible. 3.1 L’évolution du débat autour de l’opposition : fixe – flexible En effet, le débat sur les régimes de change n’est pas récent puisqu’il date des débuts des années 1970 avec la fin du système de Bretton Woods et l’avènement du change flottant. Il était, certes, simpliste concernant le choix du régime de change, mais néanmoins passionnant, comme le qualifie Genberg (1989). Il portait sur le choix des taux fixes ou flexibles et sur la théorie de la zone monétaire optimale et il était lancé dans les débuts des années 1950 par Friedman et Meade qui plaidaient en faveur du remplacement du système fixe d’après-guerre. En ce qui concerne la zone monétaire optimale, le débat remonte aux années 1960 avec Mundell (1961) qui soutenait que la variabilité du taux de change nominal 42 entraîne une chute du niveau de l’emploi du fait des fluctuations dans la composition de la demande de biens entre différentes régions. Il concluait sur l’utilité d’une seule monnaie pour des pays connaissant une mobilité du travail. En effet, pionnier dans ce domaine, Mundell se focalise sur le degré d’intégration économique comme critère de la désirabilité de l’intégration monétaire. En particulier, il accordait un rôle important à la mobilité de facteurs censée pallier l’insuffisance de flexibilité des salaires et des prix. Plus tard, McKinnon (1963) et Kenen (1969) ont élargi l’analyse en détaillant, successivement, le rôle de l’ouverture d’une économie, de sa spécialisation et la diversification de sa production. Quant au débat sur la fixité et la flexibilité, la majorité des économistes, dans les années 1970, était favorable au flottement libre. L’argument de Friedman (1953), soutenant la liberté du commerce et de tout pays de poursuivre une stabilité interne et de choisir sa politique monétaire, de même que l’absence de spéculateur déstabilisant, était la référence. Il diffère de l’argument de la spéculation déstabilisatrice de Meade qui remonte jusqu’à Nurkse. Il était ainsi largement admis que le change flottant était le bon moyen pour éviter les désajustements, que le marché connaît mieux que les gouvernements ce qui est la « vraiejuste » valeur de la monnaie et que la spéculation pourrait être stabilisatrice. L’opposition à ces arguments conduisait à l’adoption du change fixe (Kindleberger 1970). Plusieurs éléments ont surgi et fourni le cadre du débat sur le régime de change optimal. Celui-ci tourne autour de trois points principaux : l’avantage de différents régimes du point de vue de la politique de stabilisation à court terme, l’harmonisation des politiques économiques, nécessaire au fonctionnement de divers régimes, et la discipline de la politique économique. Les deux derniers sont deux problèmes tangents. Ces trois points étaient traités aux débuts des années 1970 d’une manière théorique et en termes d’équilibre partiel. Ce n’est qu’à la fin des années 1970 et 1980 que des modèles théoriques bien articulés ont remédié à ces insuffisances. Des modèles macroéconomiques d’équilibre général y étaient utilisés. En ce qui concerne le premier point, le change flottant représentait, dans les tous premiers débats, le moyen d’isoler une économie des perturbations étrangères. Il était donc naturel d’envisager une localisation géographique des chocs comme élément important d’analyse. Le change flottant était jugé préférable en cas de chocs extérieurs dominants. Mais avec Poole (1970), l’accent était mis sur une localisation du marché au lieu d’une localisation géographique des chocs. Le choix entre deux politiques monétaires censées stabiliser alternativement les taux d’intérêt et l’offre de monnaie, dépend de la nature de chocs frappant 43 l’économie. En particulier, s’agit-il de choc d’origine monétaire ou réelle. Les conclusions peuvent être résumées comme suit : quand la variance du choc monétaire est suffisamment élevée relativement à celle du choc réel, un taux de change fixe est meilleur qu’un taux de change flottant, la politique monétaire a pour objet la stabilisation de la production réelle. Dans le cas inverse, le flottement libre est préconisé. Dans le cas général, quand aucun choc n’est dominant, un flottement géré, qui dépend de la nature des chocs et de la structure de l’économie (Genberg 1989 ; Garber et Svensson 1995), serait la meilleure politique. Plus généralement, en prenant en compte d’autres travaux, Genberg (1989) tire les idées suivantes. Premièrement, les chocs monétaires (réels) intérieurs sont mieux gérés avec des taux de change fixes (flexibles) que flexibles (fixes). Deuxièmement, des taux de change fixes gagnent aussi en attractivité pour un petit pays si le reste du monde est relativement stable et inversement s’il est instable. Troisièmement, il est aussi fréquemment meilleur pour un petit pays d’ancrer sa monnaie à un panier de monnaies qu’à une seule. Quatrièmement, à un niveau global, quand un choc nécessite un ajustement du taux de change, un régime de change fixe dans un monde de prix rigides, entraîne une variation accrue de variables cibles. En ce qui concerne le deuxième point, régime de change et discipline monétaire, dans la littérature des années 1950 et 1960, l’autonomie monétaire apportée par le flottement était généralement vue comme une bonne chose et le besoin d’harmonisation sous des taux de change fixes comme mauvaise. L’idée sous-jacente est que les décideurs politiques pourraient bien gérer l’autonomie monétaire. Or selon Kydland et Prescott (1977), il est préférable de l’abandonner. La littérature sur les règles contre le choix discrétionnaire était développée principalement dans le cadre d’une économie fermée mais avait été étendue au choix du régime de change. L’autorité monétaire a le double objectif d’accroître la production au-delà d’un taux naturel considéré si bas et de réduire l’écart de l’inflation à une certaine cible. Dans le milieu des années 1980, un ensemble de modèles était développé expliquant le choix des règles politiques particulières au moyen d’éviter les pertes sociales qui pourraient émerger en la présence d’une banque centrale décidant de la variable monétaire avec un choix parfaitement discrétionnaire. 3.2 Le contenu principal du débat Dans le condensé de la littérature économique consacrée à cette question d’opposition entre change fixe et change flexible pendant trois décennies (Salvatore 1995 ; Garber et 44 Svensson 1995 ; Grüner et Hefeker 1995 ; Strasek 1998…) nous pouvons trouver une évaluation plus ou moins précise des avantages et inconvénients d’un système en opposition à un autre. Ainsi, les tenants du change fixe mettent en avant sa prétendue faible incertitude, la croyance que la spéculation serait plus probablement stabilisée et le fait qu’il soit moins inflationniste. Garber et Svensson (1995) soulèvent plusieurs explications qui ont été avancées pour soutenir l’existence des régimes de change fixe. Premièrement, sous certaines conditions, un taux de change fixe peut minimiser l’instabilité de l’activité économique réelle, du moment que sur un niveau macroéconomique il pourrait être le régime politique préférable. Deuxièmement, une banque centrale qui a montré par le passé qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de préconiser une politique inflationniste, peut manquer de crédibilité aux yeux du public qui anticipe une telle politique. Dans une tentative d’acquérir de la crédibilité, la banque centrale peut rattacher sa monnaie à celle de la banque centrale la plus disciplinée. Troisièmement, les ruptures de taux de change peuvent provenir des bulles générées par un système financier spéculatif. Un taux de change fixe peut étouffer de telles perturbations étrangères et en isoler l’économie réelle. Finalement, sur un niveau macroéconomique, un pays avec un marché monétaire faiblement développé ou non liquide, peut fixer le taux de change pour doter ses résidents d’un marché de monnaie synthétique avec la liquidité du marché du pays qui fournit la monnaie véhicule. Les tenants du change flexible se basent sur sa prétendue plus grande efficience du marché et ses avantages de politique économique. Un système de taux de change flexibles est censé être plus efficient qu’un système de taux de change fixe puisque : - Il compte uniquement sur les variations dans les taux de change plutôt que sur une variation de tous les prix internes pour apporter l’ajustement de balance des paiements ; - Il rend l’ajustement lisse et continu plutôt qu’occasionnel et large ; - Etant donné qu’il est supposé fonctionner avec efficience, les taux de change sont censés s’ajuster automatiquement pour assurer l’équilibre de la balance des paiements ; - Les taux de change flottants peuvent encourager la stabilisation de la spéculation, qui limite la taille des fluctuations du taux de change ; - L’absence du besoin de maintenir des réserves officielles élimine le coût d’opportunité de leur détention et des interventions officielles sur les marchés de change ; - Les ajustements continus des taux de change éliminent ceux qui sont discrets et, en conséquence, l’instabilité potentiellement associée au système des taux de change fixes et qui 45 peut refléter l’échec des autorités monétaires à prédire les taux de change avec plus de précision que le font les opérateurs sur le marché. Le principal inconvénient d’un taux de change flottant est qu’il transmet l’instabilité des prix qui peut décourager le commerce et réduire la prospérité économique tandis que la spéculation déstabilisatrice pourrait exacerber la volatilité des taux de change. A travers ce détour par l’évolution de l’opposition entre change fixe et change flexible nous avons pu observer une certaine ressemblance entre le débat qui a prévalu aux débuts des années 1970 et celui qui a émergé depuis quelques années. Tout comme dans les années 1970, c’est une opposition directe entre flottement libre et change rigide qui est davantage évoquée, en dépit du fait que ces dernières années on soutienne l’hypothèse de la disparition de tout régime de change intermédiaire. Il est donc difficile, si ce n’est impossible, comme le souligne McCallum (1989) de présenter un argument conclusif concernant le choix entre un change fixe ou flexible. Section 4 Une nouvelle approche du développement 8 Une croissance économique rapide et un développement économique en général sont par-dessus tout objectif macroéconomique des PED dans le moyen et long terme. Au cours des années 1980, un nombre croissant de PED se sont ralliés à l’idée qu’ils devaient accentuer l’ouverture de leurs économies, augmenter et diversifier leurs exportations. Celles des produits manufacturés, plus particulièrement, étaient considérées comme vecteur important d’une croissance économique durable. L’expérience du développement, d’au moins deux décennies, ainsi que l’apport théorique en la matière ont permis ce tournant. Il est devenu urgent dans les années 1980 de repenser cette expérience pour en dégager une nouvelle orientation et les moyens d’y parvenir. Commençons par examiner cette expérience avant d’analyser la relation du développement au taux de change réel qui est au centre de la nouvelle orientation. 8 - Voir, entre autres, Lal (1995) et Krueger (1997b) pour les différentes politiques et expériences du développement ; Siddique (1997) pour l’évolution de l’économie du développement et les questions d’aujourd’hui ; Harrison (1996) et Ruttan (1998) pour une revue de la littérature de théories de la croissance et du développement. 46 4.1. Expérience du développement dans les PED : Une nouvelle orientation La plupart des PED poursuivaient jusqu’au milieu des années 1980 des politiques de développement tournées vers l’intérieur, en l’occurrence des politiques de substitution des importations considérées comme la sortie la plus prometteuse de la contrainte d’échanges extérieurs. La substitution aux importations était censée entraîner plus de progrès technique à travers l’apprentissage et l’introduction de la technologie étrangère. A cela s’ajoute le fait que la transformation de l’épargne domestique en échange extérieur a été considérée difficile à cause des taux de change fixes et/ou des chutes importantes dans le rendement des exportations de produits primaires. Cette vision du développement aboutissait à une pleine reconversion dans les années 1970 en Asie et plus tard dans le reste des PED. En effet, d’une part, plusieurs pays, notamment la Corée du Sud avec des niveaux d’endettement et d’exportation rapportés au produit intérieur brut respectivement faible et élevé, ont démontré qu’une croissance rapide des exportations manufacturées était une solution alternative faisable des problèmes d’échanges extérieurs. L’orientation vers le marché mondial, précédemment associé à une spécialisation dans les produits primaires, commençait à être considérée compatible avec l’industrialisation. D’autre part, parallèlement à cette expérience de l’Asie du sud-est, comme le souligne Agénor (1994b), les gouvernements des PED se sont de plus en plus rendu compte que les politiques de contrôle des changes et les mesures visant à restreindre de manière plus ou moins arbitraire les transactions internationales n’ont pas eu les effets escomptés : allocation des devises vers les secteurs jugés prioritaires pour le développement, réduction du coût des importations de produits intermédiaires et de biens d’équipement induit par l’adoption d’un taux de change surévalué. Dans une large mesure, ces politiques ont eu pour unique conséquence un développement rapide des activités informelles et des marchés parallèles, de manière à contourner les restrictions imposées sur les marchés officiels. Les coûts associés aux activités informelles, perte d’efficience économique et manque à gagner pour les finances publiques, entre autres, ont conduit plusieurs pays à adopter, dans le cadre de leurs programmes d’ajustements macroéconomiques, un régime de change libéral, en unifiant les marchés officiel et parallèle, et en éliminant dans une large mesure les restrictions de change. Cela fait dire à Dornbusch (1996) que les conditions pour une utilisation efficace du taux de change sont, au moins en partie, présentes. En sortant d’un régime économiquement contrôlé et 47 réprimé, les taux de change de ces pays commenceront à jouer un rôle dans l’analyse de la politique économique. L’expérience du développement durant les deux décennies 1960 et 1970 a permis de repenser les modèles de base de l’économie du développement et, dans plusieurs pays, les politiques adoptées. La diversification du commerce extérieur par l’encouragement des exportations manufacturières est devenue un facteur important d’une croissance économique durable. Trois raisons, au moins, plaident en sa faveur. Tout d’abord, l’élasticité-revenu de la demande est plus grande pour les produits manufacturés que pour ceux du secteur primaire. Une spécialisation dans le secteur manufacturier améliorera donc les perspectives de croissance d’un pays. Deuxièmement, l’élasticité-prix de la demande comme celle de l’offre sont a priori plus élevées pour les produits manufacturés que pour les matières premières, ce qui produit un effet de stabilisation des termes de l’échange et donc une croissance plus stable des recettes à l’exportation. Troisièmement, d’importantes perspectives de gains de productivité dynamique existent. Liés au développement du secteur manufacturier, ces gains proviennent d’économies d’échelles, d’effets d’apprentissage et d’absorption de savoir-faire étranger ainsi que d’autres facteurs externes. L’innovation technique rendue possible par la valorisation de l’apprentissage industriel (Krishna et Mitra 1998 ; Naudé et Rensburg 1999) devient alors le moteur du développement. L’assimilation et l’adaptation constantes de la technologie étrangère sont favorisées plus par l’extraversion que par l’introversion. La première est dans une large mesure plus propice à la croissance que la dernière. Elle permet aussi une allocation de ressources plus efficiente, un accroissement de la compétitivité internationale et des gains de bien-être issus de la réduction de pertes très élevées créées par les monopoles domestiques. Dominés par les modèles néoclassiques, les théories économiques de la croissance vont donc changer dans la manière d’envisager les mécanismes de causalité. Désormais, on distingue largement l’accumulation du capital et le progrès technique comme étant des mécanismes entraînant une productivité de travail plus élevée. Les premières adaptations de ces modèles à la littérature du développement n’ont pas uniquement focalisé leur attention sur le rôle de l’épargne, mais elles ont introduit l’échange extérieur comme une contrainte cruciale à l’accumulation du capital. Puisque les biens en capital sont généralement importés, un accroissement de l’épargne domestique pourrait accroître l’investissement uniquement dans la mesure où ce dernier se transforme en une disponibilité plus élevée d’échange extérieur. Il est 48 devenu comme conventionnel que l’ouverture9 d’une économie fasse promouvoir la croissance économique, une telle relation est considérée même comme un fait stylisé (Romer 1989). Après des décennies d’intense conflit sur les mérites et les démérites relatifs à la substitution aux importations et à l’orientation introvertie, la croyance en la supériorité de l’extraversion semble bénéficier d’un consensus académique (Krueger 1997b ; Dornbusch 1992a ; Coetzee et al. 1997 ; Naudé 2000). Toutefois, l’extraversion exige une libéralisation commerciale et celle-ci créée un certain nombre de problèmes qui empêchent de tirer des conclusions hâtives. Les expériences suggèrent que, pour que la libéralisation commerciale stimule la production à l’export, une mobilisation des ressources sur le plus long terme, des secteurs précédemment protégés à ceux produisant à l’export, se révèle nécessaire. La crédibilité de la politique commerciale aux yeux des agents privés et investisseurs, c’est-à-dire qu’elle ne sera ni inversée ni stoppée, ainsi que l’existence d’un entreprenariat capable d’exploiter les opportunités de profits créées, le sont aussi. En effet, beaucoup de tentatives de libéralisation commerciale étaient abandonnées ou inversées à mi-chemin. Il est largement répandu que cela est pire que s’il n’y a pas de libéralisation du tout. Pour assurer la crédibilité et ainsi la soutenabilité de libéralisation commerciale, deux catégories de problèmes potentiels doivent être surmontés (Dornbusch 1992a). Les premiers sont d’ordre politique, tel que des groupes de pression constitués par les perdants de la nouvelle politique qui sèment le doute sur sa soutenabilité. Les seconds sont liés au taux de change. Plus récemment, les effets sur le commerce d’une concurrence imparfaite, des économies d’échelle et de la géographie ont été analysés comme composante principale de la théorie de croissance endogène et de la politique commerciale stratégique. L’essentiel de cette littérature, qui s’écarte significativement des modèles classiques et néoclassiques, est que l’intégration réussie d’un pays dans l’économie mondiale et l’augmentation de sa part d’exportations exigent une compétitivité croissante des produits qui peuvent dépendre de l’intervention stratégique du gouvernement. L’augmentation, par exemple, de la productivité des entreprises industrielles nationales par la protection qui pourrait aboutir à des coûts unitaires plus bas et l’investissement des entreprises dans la nouvelle technologie peuvent en 9 - Pour une revue de travaux consacrés à la relation entre ouverture et croissance, voir Harrison (1996) et Sinha et Sinha (1999) qui dressent aussi une variété de mesures de l’ouverture. Sinha et Sinha partant du travail de Romer (1989) et s’appuyant sur les techniques modernes de séries temporelles, montrent qu’un niveau élevé d’ouverture est en relation significativement positive avec la croissance dans le PIB réel pour 94 pays de 124. 49 être le moyen. En outre, les institutions du marché du travail et la croissance de l’emploi peuvent avoir leur importance dans la mesure où la croissance de la productivité du travail est stimulée. L’orientation extravertie ainsi décrite ne peut néanmoins être une réussite évidente. Un taux de change réaliste et un engagement crédible de le maintenir, à travers des ajustements conséquents si c’est nécessaire, sont de toute première exigence. Un régime de commerce naturel, sans biais à l’export, apparaît aussi important ainsi qu’une neutralité qui peut être réalisée par l’élimination des protections à l’export couplée avec une dévaluation réelle appropriée. Dans ce contexte, la question du change revêt toute son importance et devient même centrale pour la poursuite d’une certaine politique économique. Désormais, le taux de change doit être adéquat. En même temps, d’autres questions se posent. Elles concernent, par exemple, la gestion du taux de change pour orienter l’économie vers une plus grande ouverture ; le rôle à jouer dans la stimulation des exportations ; le dosage entre son emploi comme instrument commercial et comme ancrage aux prix intérieurs. Des telles questions apportent une tension supplémentaire sur la gestion des taux de change, sur celle du change fixe en particulier. La relation entre la flexibilité du change, la croissance et le développement est ainsi posée. 4.2 Flexibilité du change et développement La relation entre le taux de change réel et le développement économique est un sujet important autant pour des perspectives positives que normatives et il est évident, comme le notent Dervis et Petri (1987), que l’orientation extravertie du développement a placé une tension supplémentaire sur le prix relatif en général et le taux de change réel en particulier. A la lumière de la pratique de fixation du taux de change nominal dans beaucoup de PED, le taux de change réel est considéré comme déterminant clé des exportations. Il est désormais le critère de profitabilité à l’export (Perkins 1997). L’analyse de cette relation devient davantage présente dans le débat théorique et empirique en la matière. Un débat qui a mis en lumière l’importance de la flexibilité du change dans le processus du développement. La flexibilité rend en effet la politique de change plus active et davantage au service du développement, comme elle fait éviter le risque du désajustement du taux de change qui lui est jugé néfaste. 50 Concernant le premier point, il s’agit essentiellement de signaler l’utilisation de plus en plus croissante du taux de change comme moyen d’amélioration de la compétitivité, de la promotion des exportations et de la recherche de meilleures performances économiques en général. Il est largement admis que la politique de change joue un rôle déterminant en la matière. Tous les pays qui sont parvenus à développer leurs exportations manufacturières ont dû enregistrer des dépréciations de leurs taux de change réels. La sensibilité des exportations des biens et services aux mesures incitatives liées au taux de change réel a été mise en évidence. Il ne s’agit cependant pas ici de traiter le taux de change comme une sorte de super déterminant des performances économiques. Il s’agit tout simplement de soulever le fait qu’il y soit largement considéré. Il n’y a pas eu d’attitude passive à son égard, en tant qu’instrument de politique économique ou de stratégie de développement. Au contraire, il était utilisé et manipulé, nécessitant un minimum de flexibilité, pour faciliter une stabilisation et réussir les politiques de réorientation de l’économie vers l’extérieur. On admet qu’en général, les réformes des politiques commerciales ne peuvent réussir dans un contexte de forte inflation. Une certaine stabilité des prix est indispensable pour qu’ensuite le taux de change réel puisse être géré et exploité comme signal aux décisions d’investissement du secteur privé. Il ressort de ce qui précède que la réussite d’une politique de développement extravertie et génératrice de croissance exige une politique commerciale adaptée qui doit être accompagnée d’une politique de change compatible. Une telle politique signifie la possibilité de modifier le niveau du taux de change pour qu’il puisse satisfaire la compatibilité avec les autres politiques économiques et être au service du développement en général. La flexibilité est ainsi souvent évoquée dans la recherche d’une dépréciation du taux de change qui améliorera la compétitivité et donc les performances économiques, d’une part, et permettra d’éviter des sous-évaluations souvent défavorables au développement comme cela a été la croyance, d’autre part. Mais c’est aussi le cas quand il devient urgent, pour éviter un « syndrome hollandais », de s’opposer à la réévaluation du taux de change. Coetzee et al. (1997) mettent en garde contre ces problèmes potentiels de surévaluations, ou dépréciations, continues qui peuvent constituer un biais anti-export et mener même à l’abandon de la politique de libéralisation commerciale. Cela mène à l’étude du deuxième point relatif au phénomène du désajustement. 51 Le désajustement du taux de change est un phénomène largement évoqué dans l’étude de performances économiques puisqu’il y est considéré néfaste (Edwards 1988a ; Cottani, Cavallo et Khan 1990 ; Ghura et Grennes 1993 ; Sekkat et Varoudakis 1998), aux exportations des biens manufacturés en particulier dans la mesure où leur rentabilité est affectée. La réussite de certains pays d’Asie est souvent citée en exemple pour avoir maintenu des taux de change réels à des niveaux près de l’équilibre en comparaison aux pays de l’Afrique Subsaharienne et d’Amérique Latine qui ont connu des graves surévaluations des leurs. Ce phénomène du désajustement qui contraint le processus du développement dans les PED peut avoir plusieurs origines. Une politique de taux de change favorable à l’exportation, par exemple, ne saurait toutefois porter ses fruits si elle n’est pas cohérente avec les politiques monétaire et fiscale. Dans de nombreux PED, la mauvaise gestion des politiques macroéconomiques et commerciales a en effet conduit au désajustement du taux de change réel, particulièrement une surévaluation. Ainsi, plusieurs PED ayant rattaché, implicitement ou explicitement, leurs taux de change à la monnaie d’un autre pays, ont souvent connu des déficits persistants du compte courant, une fois leurs taux d’inflation devenant plus élevés que celui du pays étranger. La dévaluation était souvent avancée comme première réponse à ces difficultés. Mais comme elle accélère en général l’inflation domestique sans modifier considérablement les prix relatifs, le pays se trouve confronté au dilemme suivant : l’objectif de long terme de l’orientation des structures productives suppose une dévaluation réelle mais, dans le court terme, la lutte contre l’inflation suppose l’utilisation du taux de change nominal comme ancrage aux prix extérieurs, ce qui entraîne habituellement une appréciation réelle. La dévaluation invite souvent à une inflation et une récession, notamment par le renchérissement des biens de production. Elle pousse ainsi à une spirale inflation-dévaluation, causant un sérieux retard dans le développement économique (Dervis et Petri 1987 ; Isard, Ito et Symansky 1997). L’exemple chilien de la période 1976-1981 est souvent avancé pour illustrer ce cas. En effet, le ralentissement de l’inflation était devenu l’objectif premier de la politique de change. Le taux de change réel s’était donc gravement surévalué au moment où le régime commercial était profondément libéralisé et où les principes classiques de la politique commerciale auraient conseillé de dévaluer. La croissance des exportations était retardée et une part importante de la capacité du secteur manufacturier était anéantie, avec la disparition d’entreprises qui auraient survécu à la libéralisation commerciale si la politique de change avait été différente. L’examen d’un nombre élevé de dévaluations (Visser 1995) aboutit à l’inefficacité d’une telle mesure qui 52 conduit à des crises de change, une hausse des niveaux de prix et de taux d’intérêt censés défendre la parité de change. De surcroît, l’effet escompté d’une amélioration des exportations n’est pas confirmé et vient appuyer l’effet négatif des importations, devenues très chères, sur les comptes extérieurs. Cependant, avec des politiques monétaires et fiscales nationales suffisamment restrictives, une dépréciation réelle serait possible puisque le niveau des prix augmente moins que le taux de change (Kapur et al. 1991). De nombreux résultats empiriques montrent aussi qu’une dévaluation couplée d’une libéralisation du commerce et des paiements pourrait être efficace en apportant une dévaluation réelle et une hausse des exportations (Edwards 1993a, b ; Visser 1995). Le désajustement peut aussi résulter du maintien d’un taux de change sous-évalué. En théorie, l’industrialisation peut être accomplie à travers la sous-évaluation réelle en créant des profits dans le secteur des biens échangeables. Cependant, des difficultés pourront apparaître. Puisqu’une monnaie sous-évaluée implique une détérioration de la distribution des revenus et une utilisation intensive des ressources naturelles. A cela s’ajoute le fait que les grands lobbies d’entrepreneurs puissent s’opposer à une politique d’appréciation réelle latente qui devrait suivre d’une manière optimale une large dépréciation initiale. Il vaut mieux donc explorer les canaux selon lesquels le taux de change puisse affecter la croissance et induire une industrialisation que maintenir une sous-évaluation du taux de change qui pourrait être néfaste à l’économie. Le désajustement ne concerne pas que les pays ayant des difficultés économiques. D’autres PED ayant une croissance exceptionnellement rapide font souvent face à une pression opposée sur leurs monnaies. Un taux de croissance élevé est plus souvent accompagné par des niveaux élevés d’investissement et d’exportation. Les exportations réussies produisent des surplus du compte courant entraînant une pression à l’appréciation nominale de la monnaie, à moins que la banque centrale n’intervienne sur le marché de change et n’accumule les réserves. Même si l’intervention maintient le taux de change fixe, la non stérilisation provoque une inflation et une appréciation du taux de change réel. Cette forme de désajustement, suite à une appréciation, peut résulter aussi d’une amélioration des termes de l’échange comme cela était observé pour beaucoup de pays ou sous la pression des flux de capitaux entrants. Dans un monde de libre mobilité de capitaux, une croissance rapide attire des flux de capitaux entrants cherchant des rendements élevés, même avec un risque fort, comme partie d’un portefeuille diversifié. 53 Cette relation qui lie l’appréciation du taux de change au processus du développement et à l’amélioration du niveau de vie est connue sous l’hypothèse de Balassa-Samuelson. L’application de cette hypothèse à une économie particulière est sujette, selon Isard, Ito et Symansky (1997), à son stade du développement. C’est particulièrement le cas d’une économie ouverte et sans ressources qui est en croissance rapide en changeant les structures industrielles et d’exportation. Elle ne s’applique pas à un pays, même en croissance rapide, sortant d’une économie exportant des produits primaires ou d’une économie planifiée. En revanche, pour une telle économie, davantage de développement résultera sur une appréciation réelle future. Ainsi, une doctrine s’est confirmée. Le développement économique ne peut pas se faire en présence d’un taux change rigide. Faute de le laisser flotter librement, il faut au moins lui accorder un minimum de flexibilité, nécessaire à la gestion des difficultés de court et moyen terme qui peuvent gêner un processus de long terme, à savoir celui du développement, mais aussi de permettre l’adaptation et la compatibilité d’un tel processus avec les autres éléments de la politique économique. Une approche interventionniste du développement pourrait aider à surmonter certaines de ces difficultés, comme le suggère Larrain (1999) qui considère que le taux de change réel est le prix relatif clé sur lequel une telle approche doit être basée. Par conséquent, pour qu’une politique de taux de change réel puisse être derrière une croissance élevée et soutenue, il faut qu’à tout moment le gouvernement puisse en choisir le niveau. Section 5 Examen des performances économiques Les transitions dans les régimes de change, particulièrement vers des régimes de change plus flexibles au détriment du change fixe, ainsi que les références à un régime de change optimal étaient souvent avancées par les PED comme une recherche de meilleurs performances économiques. A une époque où les pays sont liés de plus en plus étroitement les uns aux autres par les flux commerciaux et financiers, le fonctionnement du régime de change devient une dimension essentielle de la politique économique. Nous proposons d’examiner les différentes performances économiques auxquelles aspirent les PED, entre autres : la croissance de la production ; la maîtrise de l’inflation ; la réduction des déficits ; la croissance et la diversification des exportations, nous nous proposons ensuite de les confronter aux attentes et de comparer les résultats réalisés par les mêmes pays en changeant de régime de 54 change. Cela nous éclairera davantage sur l’association entre régimes de change et performances économiques et nous permettra de savoir dans quelle mesure un changement du régime facilite ou entraîne leur réalisation. Nous examinons les performances globales avant de traiter certains éléments particuliers qui sont souvent évoqués quand un tel sujet est traité. 5.1 Performances globales Plusieurs éléments peuvent être considérés dans l’examen des performances économiques et des conséquences des transitions dans les régimes de change sur les variables macroéconomiques. Ce qui serait à examiner dans le cas des PED, ce sont plutôt la croissance de la production, l’atténuation voire la disparition de certains phénomènes endémiques telle que l’inflation et la réalisation des attentes, surtout celles recherchées à travers l’ouverture sur l’extérieur. De nombreuses études ont été menées depuis les années 1970 pour essayer d’établir une relation entre performances économiques et régimes de change mais il s’avère, cependant, difficile de s’en faire une idée claire (Edwards et Savastano 1999). Si la littérature spécifique aux études par pays trouvait difficile de tirer des conclusions à propos des effets de régime de change nominal sur l’ensemble des performances économiques dans les PED, les études transversales (Aghevli, Khan et Montiel 1991 ; Edwards 1993b, 1994b ; Ghosh et al. 1995, 1997), devenues dominantes, font apparaître, toutefois, quelques résultats qui tranchent avec les premières. L’étude de Ghosh et al. (1995) présente, nous semble-t-il, le point d’orgue pour l’ensemble des études, à la fois par l’étendue des données et par la référence explicite à la flexibilité. Pour le premier point, elle porte sur 136 pays, soient 3600 données annuelles pour la période allant de 1960 à 1980. Pour le deuxième point, il s’agit de calculer les moyennes des taux d’inflation et de croissance et de les classer selon le degré de flexibilité. Ghosh et al. (1997) étendent l’étude à une base de données couvrant 9 régimes de change-types pour 140 pays et de 1960 à 1990. La différence majeure entre les régimes de change fixe et flexible concerne les résultats obtenus dans la lutte contre l’inflation. Celle-ci a été systématiquement plus faible et plus stable dans les pays qui ont opté pour un taux de change fixe que dans ceux qui ont adopté un régime plus flexible, même si l’écart s’est beaucoup réduit dans les années 1990. En effet, l’ensemble des études transversales établissent une supériorité du change fixe par rapport au change flexible en la matière sans admettre pour autant un biais inflationniste (Ghosh et al. 1995, 1997 ; FMI 1997a ; Edwards et Savastano 1999). Le double effet discipline – crédibilité 55 est souvent avancé pour justifier cet avantage anti-inflationniste du change fixe. En effet, un taux de change fixe fournit un engagement très visible et augmente les coûts politiques d’une croissance excessive de la monnaie. A l’intérieur de ces résultats généralement robustes, Ghosh et al. (1995 ; 1997) mettent en lumière deux exceptions importantes. Premièrement, les pays qui changent fréquemment leurs parités malgré le maintien de l’ancrage ne tirent pas le plein avantage anti-inflationniste. L’effet crédibilité, en particulier, y est beaucoup plus faible. Deuxièmement, parmi les pays ayant une faible inflation ou une crédibilité provenant d’autres stratégies comme l’absence de contrôle de capital, le choix du régime de change nominal n’a qu’un effet marginal. Quant aux taux de croissance par tête, au contraire, ils ne se diffèrent que marginalement d’un régime à un autre. Cependant, les taux fixes sont associés à une croissance légèrement plus lente et une volatilité réelle plus élevée. Ils sont donc caractérisés par une plus faible inflation mais une volatilité de production plus prononcée. Selon l’équipe de FMI (1997a) qui a étendu l’étude de Ghosh et al. (1995) jusqu’au milieu des années 1990, ces résultats concernant l’inflation et la production ne sont pas affectés par l’accès croissant des PED aux marchés internationaux de capitaux. Elle soutient aussi que les pays dont les régimes de change sont officiellement flexibles assurent la majeure partie de la production et des échanges des PED. Néanmoins, ces résultats sont à nuancer. Plusieurs éléments abondent dans ce sens. Dans une étude menée sur 52 pays, Edwards (1993c) évoque le « biais de survie ». Selon ce biais, déjà remarqué par Aghevli, Khan et Montiel (1991), les pays qui ont adopté des taux de change fixes mais qui n’ont pas réussi à les maintenir sont classés comme ayant un régime flexible, ce qui signifie qu’une inflation très élevée, gérée par des crises de taux de change, est incorrectement attribuée aux taux de change flexibles. Il propose d’éviter ce biais en employant une variable muette et en contrôlant les autres. Le résultat du taux de change fixe est une chute de l’inflation. Mais un autre problème surgit. C’est celui de l’histoire inflationniste des pays qui semble avoir un effet important. Il y a aussi le problème de simultanéité ou de causalité inverse qui est posée (Little et al. 1993 ; Ghosh et al. 1995) et qui implique qu’il n’y a pas de généralisation à faire. Les résultats sont à nuancer encore davantage quand on prend en compte les compromis méthodologiques dans les comparaisons transversales des régimes de change et qui sont souvent inévitables (Edwards et Savastano 1999). Premièrement, la majorité des études se basent sur les régimes officiels et non sur le degré de flexibilité courant. Cela signifie qu’il n’y a pas eu distinction entre régimes « de jure » et « de facto ». Les premiers sont de surcroît souvent regroupés en deux catégories, 56 fixes et flexibles. Ce qui est en soi un choix très limité, car il y a d’importantes différences de classification. Deuxièmement, beaucoup de ces études supposent implicitement que tous les régimes de change constituant leurs échantillons sont soutenables, à savoir compatibles avec d’autres politiques macroéconomiques, et que tous les changements dans les régimes sont volontaires. Les conséquences d’une telle supposition sont que d’une part, les effets macroéconomiques de changement de régime tendent à être attribués au régime qui suit. Or dans les PED, le changement de régime est rarement lisse et a souvent des effets défavorables à long terme sur l’inflation et la production. D’autre part, la durée d’un régime de change est supposée être sans effet pour la performance économique, que le pays gère son taux de change d’une année à l’autre ou qu’il ait un taux de change fixe depuis des décennies. Troisièmement, Il y a le problème d’endogénéïté du régime de change ou de causalité inverse dont la solution exige des épisodes de taux de change fixe et flexible bien longues et bien définies. A tous ces éléments favorables à la nuance des résultats ci-dessus avancés, nous ajoutons un élément technique important. C’est le fait de regrouper dans une étude des régimes de change si différents pour un nombre très élevé de pays ayant des structures économiques très contrastées. L’étude de Ghosh et al. (1997), par exemple, porte sur 140 pays et une période de 30 ans. D’une part, cela entraîne des problèmes économétriques, tel celui d’une interférence. Il faut peut-être appliquer le même modèle à tous les pays séparément et tirer les conclusions ensuite. D’autre part, il nous semble que dans les études étalées sur une longue période remontant aux années 1960, les échantillons sont plus marqués par des régimes de change fixe qui de surcroît, pour un grand nombre d’entre eux, n’ont pas connu les problèmes liés aux mouvements de capitaux. L’expérience de plusieurs PED montre que les régimes de change flottant ont continué le processus de dépréciation effective réelle et ont amélioré la compétitivité. Toutefois, aux niveaux des performances macroéconomiques, les conséquences des réformes systémiques sont difficiles à indiquer. Selon Edwards et Savastano (1999), les connaissances des effets d’une plus grande flexibilité sur les performances économiques demeurent des tentatives spéculatives. En outre, il y a des problèmes bien connus avec les tests effectués avant et après l’adoption du change flottant, mais aussi une meilleure méthodologie nécessite une large base des données. Comme corollaire à ce qui vient d’être évoqué, la large littérature sur les régimes de taux de change dans les PED n’a rien à offrir réellement quand il s’agit de 57 définir et de caractériser un « taux de change flexible ». Il n’y a pas de tentatives sérieuses afin d’établir un partage économiquement fondé entre taux de change flexible et flottement dans les PED, ajoutent les auteurs. Il n’apparaît pas clairement qu’une distinction soit possible pour savoir quels pays peuvent servir de référence. Cela est peut être dû au fait que les études consacrées aux liens entre le type de régime de change et la croissance économique à moyen terme d’un pays s’appuyaient sur une typologie en trois volets, qui établissait une distinction entre régime de change fixe, régime de change flottant et régime intermédiaire. Cette typologie présente toutefois la particularité que deux des catégories, régime intermédiaire et change flottant, caractérisent uniquement le régime de change, alors que le troisième, change fixe, décrit à la fois le régime de change et le cadre de conduite de la politique monétaire. Selon Bailliu, Lafrance et Perrault (2002), ignorer ou ne pas tenir compte de cette particularité risque de fausser l’évaluation des effets qu’ont les différents régimes de change sur la croissance économique. C’est pourquoi ils ont mis au point une typologie englobant différents cadres de politiques monétaires. Ils estiment l’incidence du régime de change sur la croissance d’après des données longitudinales relatives à 60 pays pour la période allant de 1975 à 1998, en recourant à une application dynamique de la méthode des moments généralisés. Ils constatent que tous les régimes exercent une influence positive sur la croissance quand ils sont assortis d’un point d’ancrage à des fins de politique monétaire. Par ailleurs, les régimes intermédiaires et de change flottant nuisent à la croissance s’ils en sont dépourvus. Les résultats permettent donc de croire que la présence d’un cadre de politique monétaire solide, plutôt que le régime de change comme tel, est un facteur déterminant de l’expansion économique. En outre, l’étude fait ressortir combien il importe de considérer le cadre de politique monétaire qui accompagne le régime de change lorsque l’on évalue les effets de ce régime sur la tenue globale de l’économie. Cela dit, d’une part, il ne faut pas en déduire pour autant qu’il existe une relation nécessaire entre régime de change et performances économiques. On ne peut pas dire, en particulier, que les taux flexibles s’accompagnent forcément d’une inflation élevée, car un certain nombre de PED qui appliquent un taux de change flexible ont connu une inflation relativement faible et une croissance robuste. On ne peut pas dire non plus que les régimes des taux fixes soient forcément synonymes de faible croissance. Celle-ci peut afficher la vigueur voulue, et l’inflation présenter la modération souhaitable, en régime de taux fixe aussi bien qu’en régime de taux flexible, à condition que la politique économique menée soit judicieuse et que les autres conditions nécessaires à l’obtention de bons résultats soient réunies. D’autre part, le 58 développement économique dépend de beaucoup de facteurs et le taux de change n’en est qu’un parmi d’autres. Les pays ayant connu une croissance rapide ont excellé dans plusieurs domaines. Des taux d’investissements élevés ainsi que des conditions domestiques préalables favorables ont été les plus significatives derrière le succès. L’importance des innovations dans la politique industrielle dans le cadre d’une politique de promotion des exportations ont, par exemple, aidé la Corée à intégrer le marché mondial, épargné le pays de sérieuses crises de la dette, contribué à des flux d’entrée de technologie et augmenté la croissance de la productivité. Une gestion habile de la dette ainsi qu’une capacité de rebondissement inhérente à l’économie sont venues couronner l’expérience coréenne. C’est le cas de toute la région estasiatique où les incitations basées sur les prix relatifs n’étaient pas un élément primordial de son développement extraordinaire. Des interventions sélectives, dans un environnement de fondamentaux sains, expliquent mieux qu’une politique de change l’expérience asiatique. Ce n’est cependant pas le cas ailleurs. En Amérique Latine, par exemple, l’intervention publique excessive passée et la corruption sont des arguments contre l’utilisation de politiques discrétionnaires. Par conséquent, des politiques non interventionnistes peuvent modifier l’allocation de ressources. 5.2 Quelques éléments particuliers Il s’agit de revisiter certains éléments d’analyse qui ont marqué et qui marquent encore le débat sur le choix du régime de change en relation avec les performances économiques et la transition vers des régimes de change plus flexibles. Ils concernent, entre autres, l’échange extérieur ; l’investissement, l’incertitude et la volatilité des taux de change. 5.2.1 Taux de change et échange extérieur De très nombreuses études ont été consacrées à la relation entre la gestion des taux de change et les échanges internationaux. Cette relation concerne à la fois l’impact des variations du taux de change, de sa variabilité et de l’incertitude de son évolution. La variabilité se définit comme les fluctuations par rapport à son niveau d’équilibre et on en relève deux types. Le premier concerne des fluctuations fréquentes mais non persistantes. C’est ce qu’on appelle volatilité. Le second porte sur des fluctuations moins fréquentes mais plus persistantes : le taux de change s’écarte longuement de son niveau d’équilibre. C’est le désajustement. 59 L’idée très largement répandue concernant ce sujet suggère que la stabilité du taux de change soit favorable au commerce et par conséquent à l’augmentation du niveau de bien-être. Car l’incertitude du taux de change a un effet négatif sur le volume du commerce, en particulier sur le moyen et long terme (Dixit 1989 ; Grüner et Hefeker 1995). De surcroît, la variabilité des parités monétaires engendre des coûts pour les entreprises commerciales agissant sous un régime de prix déterminé par le marché, puisqu’elles se transforment directement en variabilité de profit (Krugman 1989). Pour toutes ces raisons, les taux de change fixes sont censés avoir un effet positif sur le commerce et la production dans le secteur des échangeables permettant aussi, de ce fait, un niveau d’emploi plus élevé dans le secteur. Ce débat à propos de l’effet de la volatilité du taux de change sur les exportations est devenu récemment plus présent avec l’adoption par plusieurs PED des régimes de taux de change plus flexibles. A cet égard, Helleiner (1995) soutient qu’un taux de change stable est la meilleure explication des exportations réussies dans le moyen terme. Agosin (1994) ajoute que la croissance des exportations manufacturières semble être corrélée avec la faiblesse de l’inflation combinée avec la stabilité du taux de change réel. Cependant, l’importante littérature10 théorique et empirique examinant le lien entre l’incertitude du taux de change et le commerce ne trouve pas de relation consistante. L’effet demeure ambigu (SMIT 1991 ; Côté 1994 ; Mckenzie 1999). L’examen de la relation entre l’échange extérieur et le taux de change tourne souvent autour de la condition MarshallLerner. Autrement dit, une somme des élasticités-prix de la demande import et export supérieure à l’unité signifie qu’une dévaluation améliorera la balance commerciale. Si Rose (1991) trouve peu d’évidence empirique à ce que le taux de change affecte significativement la balance commerciale, l’utilisation de nouvelles méthodes économétriques basées sur la coïntégration en a apporté la confirmation. Conséquemment, l’examen d’une relation directe entre balance commerciale et taux de change réel est de plus en plus accepté comme substitut à un test de la condition Marshall-Lerner. Depuis, un grand soutien était apporté à cette relation. Dans le cas de la Corée, par exemple, l’incertitude quand au taux de change réel a un effet négatif sur les exportations dans le court et long terme (Arize 1996). Dans la plupart des cas, les résultats révèlent qu’en effet les élasticités commerciales sont assez fortes pour soutenir la dévaluation comme politique réussie de l’amélioration de la balance commerciale (Arize 1994 et 1996; Shirvani et Wilbartte 1997 ; Bahmani-Oskooee 1998b). Mais pour 10 - Voir Côté (1994), Sekkat et Varoudakis (1998) et Mckenzie (1999), pour un compte rendu. 60 établir l’efficacité des variations du taux de change, encore faut-il qu’elles se transforment en mouvements du taux de change réel. Ce qui n’est pas souvent le cas. Reinhart (1995) soutient que plus l’économie est inflationniste, plus elle est indexée et moins est-il probable que la dévaluation ait des effets réels. L’évaluation de cette relation ne serait toutefois complète que si on prend en compte les termes de l’échange dont un choc positif entraîne une appréciation du taux de change et un différentiel du taux d’intérêt positif. Mendoza (1995) montre que les chocs des termes de l’échange comptent pour près de la moitié de la variabilité du PIB courant. Connolly et Devereux (1996) soutiennent que l’effet de leurs variations sur le taux de change réel est plus faible quand les élasticités des niveaux des prix des non échangeables par rapport aux prix des importables sont plus grandes. La relation entre taux de change et échange extérieur était aussi évoquée dans le sens inverse. Faruqee (1996) montre que la nature de l’échange, inter ou intra-industriel, agit sur le degré de rigidité des prix intérieurs lequel affecte en retour le mécanisme auto-correcteur d’une économie ouverte. Dans un schéma d’échange interindustriel, les décideurs réagissent faiblement à la formation des prix à l’étranger. Cela entraîne des plus grandes déviations et un plus faible retour à la moyenne des prix relatifs. Inversement, dans un schéma d’échange intra-industriel, des liens plus grands entre des pays similaires commercialisant des produits similaires génèrent une relation plus faible et un taux de change réel moins persistant. Jusqu’à une période récente, les pays qui avaient opté pour un taux de change fixe affichaient le plus souvent un déficit extérieur courant plus élevé que ceux qui avaient opté pour un taux flexible. Cela s’explique par divers facteurs, et notamment par la politique économique menée, par l’environnement extérieur et peut-être aussi par le fait que, depuis le début des années 1980, les pays qui ont opté pour un taux fixe ont vu leur compétitivité s’effriter par rapport à celle des pays qui, officiellement, appliquaient un régime plus flexible. L’étude du FMI (1997a) avance qu’en moyenne, les taux de change effectifs réels des pays dont les monnaies étaient rattachées à une seule devise étrangère n’ont pour ainsi dire pas varié entre 1980 et 1996 alors que, sur la même période, celles rattachées à un panier se sont dépréciées de 14% en termes effectifs réels, et celles des pays appliquant un taux de change flexible de 55%. 61 Il nous paraît aussi important de noter que les pays qui ont adopté officiellement un taux de change flexible sont en moyenne des économies de grande taille et moins ouvertes, si on en juge par le rapport des échanges extérieurs au PIB. Cela tient en partie au fait qu’elles sont en général mieux à mêmes de subvenir à leurs propres besoins. Ces observations sont compatibles avec la théorie des zones monétaires optimales, selon laquelle, toutes choses égales par ailleurs, plus une économie est petite et ouverte, plus elle a de raisons d’opter pour un taux de change fixe. Il n’existe pas de relation manifeste entre la diversification des exportations d’un pays, sa principale source de devises, et son régime de change. De même qu’adopter un régime de change fixe ne conduit pas nécessairement à plus d’échange, soutient l’étude de Bacchetta et Van Wincoop (2000). Ces derniers avancent aussi que, pour l’échange et le bien-être, une comparaison à travers les régimes de change dépend d’une manière cruciale et précise de l’exécution de ces régimes. Une grande différence existe quand il s’agit d’un ancrage unilatéral ou coopératif. Afin de réagir à des chocs, L’utilisation du degré de flexibilité de la politique sous flottement importe beaucoup. Dans leur modèle basé sur la PPA, Bacchetta et Van Wincoop (1998), le commerce extérieur n’est pas influencé par le régime de taux de change quand les chocs sont d’origine monétaire. Il est plus faible sous des taux flottants quand ceux-ci sont réels et la politique macroéconomique est utilisée pour amortir leur effet sur le marché intérieur. Davantage d’échanges ne correspond pas toujours à un niveau plus élevé de bien-être, ajoutent-ils. Les déterminants en sont différents. Ces résultats sont avancés même en se référant à la croissance rapide qu’ont connues les économies asiatiques sur les trente dernières années. Ocampo et Taylor (1998) ont conclu que la performance de productivité dans ces économies était associée aux régimes de croissance extravertis et sans qu’il y ait néanmoins adoption franche des régimes d’échange libéraux. Leurs expériences montrent au contraire que les interventions dans le commerce ne sont pas toujours nuisibles, au moins en termes de performance économique. Une politique visant à augmenter la taille du marché intérieur, peut être un déterminant important des exportations. Ils soulignent aussi que dans les récentes années, la libéralisation commerciale, entre autres, était associée à la désindustrialisation dans plusieurs PED. « Les études empiriques montrent qu’il n’existe pas de preuve convaincante que la libéralisation du commerce aille forcément de pair avec une croissance économique plus vigoureuse. Ce qui met sérieusement en question la priorité donnée, habituellement, à la politique d’intégration au marché mondial 62 dans les programmes orthodoxes de réforme » (Rodrick 2003)11 et dont la flexibilité de change est une composante importante. 5.2.2 Taux de change et investissement Quand on traite de la relation du taux de change à l’investissement, ce sont l’incertitude et la volatilité du premier qui sont souvent évoquées. Elles sont considérées comme très défavorables. Les théories d’investissement sous incertitude dégagent une idée largement répandue selon laquelle les investisseurs décident d’investir ou de ne pas investir selon les revenus futurs anticipés. Ils doivent faire un arbitrage entre investissement et « non investissement », une approche considérée non réaliste par Darby et al. (1999). Etant donnée l’incertitude, les entreprises trouvent souvent convenable d’attendre plutôt que de s’engager dans une voie ou dans une autre. L’attente est ainsi une alternative propre à « investir ou ne pas investir ». Ils appliquent le travail de Dixit et Pindyck (1994)12 à différents niveaux d’incertitude et à la flexibilité des prix, notamment dans le cas où l’incertitude serait causée par la volatilité des taux de change. Contrairement à ce qui est largement admis, à savoir qu’une forte incertitude des prix ou des taux de change comprime l’investissement parce qu’elle provoque une incertitude sur la rentabilité et donc une prime de risque qui augmente le coût du capital, ils établissent que dans certaines situations cela arrive et dans d’autres non. Il y a des effets de seuil qui permettent d’identifier quand une volatilité croissante pourrait accroître ou faire décroître l’investissement ainsi que d’identifier les industries qui gagneraient ou souffriraient d’un mouvement vers des taux flexibles. Par conséquent, il n’est pas possible, en théorie, de dire que la suppression de la volatilité de change accroîtra automatiquement l’investissement. Les résultats empiriques suggèrent que la volatilité puisse avoir un impact (négatif) sur l’investissement censé néanmoins être inférieur au coût habituel du capital et aux effets revenus anticipés. Réduire l’incertitude n’implique pas nécessairement que le taux de change soit plus soutenable (Salvatore, in Fratianni et al. 1998) mais peut influencer les futures décisions d’investissement et de consommation. 11 - Voir l’entretien que Dani Rodrick a accordé au Monde, Supplément Economie, du 9 Septembre 2003, p. III. 12 - Dixit et Pindyck développent un modèle où la valeur de l’attente devient un des coûts de l’investissement. Ainsi, la règle de décision est toujours « investir quand la valeur nette présente > 0, sinon ne pas investir », sauf que la valeur nette représente maintenant les revenus anticipés déduits de la valeur (dans le cas où l’on choisit d’investir) de l’option d’investir plus tard et de la valeur présente de tout autre coût d’investissement. 63 La volatilité du taux de change peut même créer des opportunités pour les firmes multinationales en poussant vers d’autres formes et structures de production qui plus est de moindres coûts (Lapan et Sung 2000). Une volatilité élevée accroît la valeur d’option d’un investissement direct à l’étranger (IDE) et peut stimuler un nouvel investissement ou permettre une variation, en toute facilité, du niveau existant. Leur modèle est bien dans l’esprit de la littérature récente sur les options réelles. Ils ont montré aussi qu’en accroissant la valeur d’option, la volatilité du taux de change pousse la firme multinationale, en concurrence avec une firme locale, à opérer dans plusieurs endroits. Cela lui confère effectivement un avantage stratégique qui peut évincer du marché la firme locale. Ce résultat, est analogue aux travaux qui démontrent que la protection du marché national peut conférer un avantage stratégique sur les marchés étrangers. L’étude de la relation entre taux de change et investissement conduit à celle des ressources de financement et notamment les flux de capitaux. Examinant l’impact du régime de taux de change sur les flux net de capitaux, Bacchetta et Van Wincoop (1998) ont montré que ces derniers tendent à être plus faibles sous le régime des taux de change flottants que sous celui des taux fixes quand il y a préférence pour les titres nationaux et forte aversion au risque. Mais le modèle ne tient pas compte de l’investissement étranger comme moyen de se protéger contre le risque de change. Kosteletou et Liargovas (2000) soulignent que la relation entre IDE, une forme de flux de capitaux, et taux de change réel n’est pas encore claire au niveau de son sens, bien qu’elle soit largement admise, c’est-à-dire le sens de la causalité : de l’IDE vers le taux de change réel ou l’inverse. Ils trouvent que dans les grands pays avec flottement libre de monnaies, la causalité va du taux de change réel à l’IDE. Ce résultat est compatible avec la prédiction des modèles de comportement financière. Cette causalité est vérifiée dans les deux sens pour les petits pays adoptant des taux de change fixes ou semi fixes, ce qui est compatible avec les modèles d’intégration commerciale. 5.2.3 Volatilité du taux de change Elle est toujours au centre du débat entre ceux qui souhaitent garder un régime de change fixe évitant ainsi la variabilité du taux de change jugée néfaste pour les performances économiques et ceux passant à des régimes plus flexibles cherchant une certaine souplesse dans la gestion du taux de change et évitant ainsi des désajustements importants. Il nous semble donc important de réexaminer cette notion à la lumière des développements théoriques 64 et empiriques en la matière. A ce niveau, Polak (1994) et Chandavarkar (1996) évoquent les tests empiriques du FMI soutenant que la variabilité des taux de change était plus faible après l’introduction du change flottant qu’avant. Cette affirmation mérite néanmoins d’être nuancée. L’adoption des régimes de change flottant après des années d’importante variabilité des taux de change nominaux et réels et sa réduction par la suite ne peuvent pas constituer un test pour les taux de change flottants. De même, cette adoption du flottement faisait partie, dans la plupart des cas, des programmes de stabilisation du FMI dont d’autres éléments devaient avoir le mérite de la réduction de la variabilité. Ce résultat du FMI n’altère donc pas la constatation largement répandue selon laquelle les régimes de change flottants montrent une grande volatilité (Mussa 1986 ; Black 1985 ; Flood et Rose 1995), voire un large désajustement (Fratianni et al. 1998). La volatilité du taux de change varie systématiquement et considérablement à travers les régimes, ce qui n’est pas le cas pour la volatilité des variables macroéconomiques telles que la monnaie et la production. Les deux résultats signifient qu’il n’y a pas d’arbitrage entre volatilité du taux de change et volatilité macroéconomique (Flood et Rose 1995). Mais pour Jeanne et Rose (1999), les modèles macroéconomiques des taux de change communément utilisés dans la littérature, dans l’esprit de la méthodologie de Flood et Rose (1995) en particulier, n’expliquent pas toute la volatilité de change. Ils prennent donc en compte la microstructure du marché de change qui constitue, par la présence d’opérateurs non informés notamment, une deuxième composante de la volatilité, en plus de celle due aux fondamentaux. Les auteurs trouvent aussi, entre autres, que le volume d’échange est positivement corrélé avec la volatilité de taux de change, et que les deux variables sont élevées dans le régime de flottement. Cela nous ramène encore une fois à la question du taux de change et de l’échange extérieur. En effet, le plus important dans l’étude de la volatilité du taux de change est son impact sur les flux commerciaux. Après une revue de la littérature théorique et empirique en la matière, Mckenzie (1999) conclut à une ambiguïté fondamentale non résolue. Sur le plan théorique, des modèles étaient construits montrant que la volatilité du taux de change peut exercer un impact sur le commerce à la fois positif et négatif. On ne peut donc, a priori, établir immédiatement la supériorité d’une classe de modèles sur une autre. Sur le plan empirique, les résultats sont aussi mitigés et une relation significative n’est pas révélée. Même quand des relations statistiquement significatives sont tirées, elles peuvent être positives comme négatives, de nature aléatoire. Il observe néanmoins que parmi les contributions les plus récentes, certaines apparaissent avoir plus de réussite à dériver une relation statistiquement 65 significative entre volatilité et commerce. Ces contributions envisagent la spécification de la technique par laquelle la volatilité des taux de change est mesurée. Une attention spéciale est aussi accordée aux suppositions sous-jacentes des données et à l’utilisation d’un modèle de correction d’erreur13. Plus encore, une évidence croissante suggère que la volatilité du taux de change ait différents impacts sur différents marchés. Cela argumenterait contre l’utilisation des données commerciales agrégées qui a le potentiel d’obscurcir toute relation. L’impact de la volatilité du taux de change devrait être testé dans le contexte des données désagrégées concernant un marché à l’export spécifique. Ainsi, un consensus émerge : aucun impact systématique ni significatif de la volatilité sur les échanges n’a pu être discerné au contraire du désajustement qui a effectivement un effet important. L’explication de cet effet contrasté repose principalement, Selon Sekkat et Varoudakis (1998), sur la disponibilité pour les exportateurs, d’instruments de couverture bon marché et efficaces contre le risque qu’implique la volatilité. A l’inverse, il semble qu’il ne soit guère possible de se couvrir contre celui suscité par le désajustement. 13 - Selon Guérin et Lahrèche-Révil (2001), des travaux récents utilisant des techniques de panel indiquent un impact négatif significatif de la volatilité sur le volume des échanges commerciaux. Les études empiriques montrent aussi qu’elle tend à réduire le volume d’IDE entrant. Cela concerne aussi bien les pays industrialisés que ceux émergents. 66 Chapitre 2 L’insoutenabilité du change fixe mais ajustable Jusqu’ici, le débat entre change fixe et change flexible était mené essentiellement par rapport aux avantages et inconvénients de chaque régime. Le changement dans l’environnement financier international depuis les années 1990, avec l’accélération des mouvements de capitaux et les crises financières qui ont frappé nombre de PED, a soulevé, du moins remis en débat, tout bonnement la question de l’insoutenabilité du change fixe. Ce dernier est jugé insoutenable, non viable, bien qu’il offre une ancre nominale aidant, entre autres, à contrôler l’inflation et à éviter les effets liés à la volatilité de change. Et ce n’est même pas le change fixe qui est mis en cause, c’est tout simplement l’ancrage quelle qu’en soit la forme. On soulève souvent le fait qu’il entraîne la perte de l’autonomie monétaire, expose le pays aux chocs provenant du pays de l’ancre et affaiblit la responsabilité des décideurs politiques à poursuivre des politiques anti-inflationnistes. Cependant, le plus dommageable, selon Mishkin (1998), est qu’il accroît la fragilité financière et augmente le potentiel de crises financières. Elles peuvent avoir des effets désastreux sur l’économie qui font de l’ancrage une stratégie très dangereuse. Nous allons traiter de tous ces points que soulève l’insoutenabilité du change fixe en les regroupant en cinq grandes questions. La première est liée à la politique d’ancrage. La deuxième est liée à la politique intérieure d’un pays avec ce qu’elle soulève de problèmes d’incompatibilité d’objectifs ; de crédibilité ; d’incohérence…La troisième est liée à la mobilité de capitaux. La quatrième est consacrée aux crises financières et la cinquième aux régimes de change de facto. Section 1 Politique d’ancrage du taux de change Tous les éléments évoqués précédemment qui plaident pour une nouvelle approche du développement répondant aux attentes en termes de performances économiques suggèrent de rompre avec des taux de change figés et d’adopter des taux flexibles, utilisables activement si besoin est. Le taux de change réel est ainsi considéré comme prix relatif clé sur lequel doit se baser une approche du développement (Larrain 1999). Ce besoin d’une nouvelle politique de change plus flexible est aussi rendu nécessaire pour traiter les différents problèmes économiques qu’ont connus les PED depuis les débuts des années 1970. Par delà la mise en 67 cause du change fixe, néanmoins très pratiqué, le débat a soulevé de nouveau la question de l’ancrage du taux de change d’un point de vue tant théorique qu’empirique mais aussi le recours à des régime de change de facto sur lequel nous reviendrons dans la dernière section. Ainsi, deux approches de taux de change sont généralement distinguées, « ancre nominale » et « cible réelle ». 1.1 L’ancrage nominal Il utilise le taux de change pour ancrer le taux d’inflation à celui des partenaires commerciaux. Il contraint la politique monétaire, et peut être la politique fiscale, en la rendant endogène. Le taux de change mène plutôt qu’il suit les autres variables nominales, tel que les prix, afin d’atteindre les objectifs réels, tel que le maintien de la compétitivité. Cette approche, une version du monétarisme international (Corden 1994), est censée envoyer des signaux clairs et crédibles aux agents privés à propos des perspectives de l’inflation. En conséquence, l’économie réelle s’ajuste d’une manière appropriée aux chocs, y compris celui d’une politique de change anti-inflationniste. L’ancre est ici une condition nécessaire pour la stabilité macroéconomique, puisque, au moins à long terme, toutes les variables nominales convergeront vers le taux de croissance préétabli de l’offre de monnaie ou du taux de change. C’est justement à travers des programmes de stabilisation par le taux de change qui ont été mis en oeuvre en Amérique latine14, dans des pays où l’inflation présentait un caractère chronique15, que ce système était familiarisé. C’était le cas notamment au Chili (1978), en Uruguay (1978), en Argentine (1991) et au Mexique (1987). Une autre expérience de ce type a été effectuée en Israël (1985). Les uns étaient « orthodoxes », dans le sens que le taux de change constituait le seul point d’ancrage nominal, les autres « hétérodoxes », dans la mesure où le taux de change était appuyé par un contrôle des salaires et des prix. En règle générale, après une dévaluation initiale souvent importante, les autorités ont engagé leur monnaie dans une trajectoire de dépréciation progressive arrêtée à l’avance et destinée à consolider la position extérieure, à endiguer la croissance de la masse monétaire et à imposer une certaine 14 - A la fin des années 1970, l’Argentine, le Chili et l’Uruguay ont adopté le « tablitas » ou « Crawling peg », politique annonçant à l’avance les valeurs futures des taux de change nominaux comme moyen de réduire les anticipations d’inflation, le plus souvent avec des dépréciations à des taux inférieurs à ceux de l’inflation. Pour plus de détails, voir Reisen (1994) : chap. 6, p.85-119 ; Visser (1995) : Chap. 5, p.100 ; Rebelo et Végh (1995). 15 - L’inflation chronique est caractérisée par un niveau élevé, par rapport aux pays industrialisés, et persistant. Au contraire de l’hyperinflation dont la durée est mesurée en mois et exhibe une nature explosive, l’inflation chronique est relativement stable et peut durer des décennies. La définition est de Rebelo et Végh (1995, p.12728). 68 discipline budgétaire en limitant le recours aux financements de la banque centrale. Parallèlement, elles ont engagé des réformes commerciales, financières et structurelles. En dépit des réserves qu’ils ont suscitées, ces programmes ont permis à certains pays d’obtenir des résultats spectaculaires dans la lutte contre l’inflation. Au Mexique, elle a été réduite de plus d’un tiers durant la première année, alors qu’elle approchait 160 % par an au début du programme. En revanche, dans d’autres pays comme l’Uruguay, elle a convergé assez lentement vers la trajectoire de dévaluation. Dans presque tous les pays où ces programmes ont réussi, même temporairement, le déficit public était considérablement réduit au cours des deux premières années, en Argentine et au Mexique par exemple, et l’économie était remonétisée rapidement. Dans les économies en proie à l’hyper-inflation, l’ampleur de la dollarisation a encore renforcé l’attrait du taux de change comme point d’ancrage nominal de la stabilisation. Bien qu’on évoque souvent le taux de change comme ancre nominale, d’autres variables peuvent être utilisées, telle l’offre de la monnaie (Calvo, Reinhart et Végh 1995). L’utilisation du taux de change de préférence à des objectifs monétaires s’explique souvent par l’instabilité de la demande de monnaie, qui augmente en générale en temps de crise, et par la conviction que l’adoption d’un ancrage visible renforcerait la crédibilité du programme. Selon Canavan et Tommasi (1997), les stabilisateurs sérieux préfèrent des ancres plus prévisibles, tel le taux de change nominal, même en dépit de certains coûts comme une capacité diminuée à réagir aux chocs externes. Il constitue un objectif monétaire transparent, qui peut être observé sans délai, est sans erreur de mesure. Le plus répandu est qu’il impose une discipline macroéconomique plus que toute autre ancre. Si la monnaie de référence est celle d’une économie peu inflationniste, l’ancrage permet d’importer de la désinflation à travers les prix des produits importés. Cet effet joue surtout dans des économies relativement grandes, et donc peu ouvertes. Mais l’ancrage externe peut néanmoins être efficace par l’effet crédibilité. La plupart de plans anti-inflation ont utilisé le taux de change nominal comme ancre (Rebelo et Végh 1995 ; Canavan et Tommasi 1997). Ce type d’ancrage réduit les anticipations inflationnistes et aide le pays à maîtriser l’inflation et à hériter de la crédibilité de la politique monétaire et de la faible inflation du pays de l’ancre. La discipline apporte un bénéfice supplémentaire en permettant d’éviter le problème d’incohérence temporelle, sur lequel nous reviendrons dans la prochaine section. 69 1.2 Critique de l'ancrage nominal Paradoxalement, les mêmes facteurs expliquant le succès des programmes de stabilisation, qui reposent sur le taux de change dans la lutte contre l’inflation et qui ont permis d’imposer une certaine discipline, ont fini par soumettre les parités à une pression telle qu’elles ont dû être abandonnées. Afin de signaler leur détermination à ralentir la hausse de prix et à contenir l’inflation dans un rythme modéré, élément clé de l’approche adoptée dans ces programmes, les autorités ont maintenu le taux de change nominal au même niveau et quand elles l’ont déprécié c’était à un taux inférieur au différentiel d’inflation par rapport au pays de la monnaie d’ancrage. Cela impliquait nécessairement une appréciation réelle de la monnaie à terme et, du fait, tous les pays ayant engagé de tels programmes, sauf l’Uruguay, ont enregistré une forte appréciation de leurs monnaies en termes réels et sur plusieurs années. Le renchérissement consécutif des biens non échangés par rapport aux biens échangés a encouragé les entreprises à déplacer la production vers les premiers nommés et les consommateurs à réorienter la demande vers les seconds, ce qui a provoqué une détérioration du compte courant. Rebelo et Végh (1995) présentent des éléments qui laissent penser que ce phénomène était généralisé. Bien que l’ancrage du taux de change puisse aider à contrôler l’inflation, il demeure néanmoins une stratégie contestable, voire dangereuse (Mishkin 1998), pour conduire la politique monétaire. Même quand les circonstances sont exceptionnelles, tel que des coûts d’inflation très élevés et une monnaie ayant perdu toute crédibilité, et que par ailleurs les bénéfices du contrôle de l’inflation puissent dépasser les coûts très élevés d’une politique d’ancrage, il n’est pas certain, pour Krueger (1997a), que cette dernière soit justifiée. Les arguments en faveur des taux de change fixes se sont en effet affaiblis depuis le début des années 1990 (Bénassy-Quéré et Coeuré 2000). L’efficacité de l’ancrage nominal pour réduire l’inflation n’est pas unanimement admise, il ne peut jouer qu’un rôle limité dans des situations de déséquilibre où le taux de change nominal dévie énormément d’un niveau jugé d’équilibre (Desai 1998). Car, le contrôle d’une inflation élevée exige, comme instrument, une appréciation monétaire réelle très significative. La compétitivité extérieure du pays se trouve ainsi défavorablement affectée, une conséquence qui s’aggraverait davantage avec la persistance de différentiels de taux d’intérêt et les flux d’entrée de capitaux qui leur sont associés. Il ne faut pas non plus ignorer que l’utilisation du taux de change nominal pour la 70 réalisation de la désinflation sous des régimes de change gérés implique aussi des coûts au niveau de la production, préviennent Ireland et Wren-Lewis (1998). La crédibilité16 présente une autre question relative à la maîtrise de l’inflation. Giavazzi et Pagano (1988) soutiennent qu’un pays peut instantanément surmonter le problème de crédibilité interne en ancrant sa monnaie à celle d’un pays ayant une banque centrale moins inflationniste. Cela pourrait être moins coûteux en termes d’emploi que d’engager un nouveau gouverneur de la banque centrale qui plus est conservateur à la Rogoff (1985) parce que, durant la création d’une réputation anti-inflation, l’inflation demeure surestimée par le public (Giavazzi et Giovannini 1989). Mais pourquoi un engagement extérieur doit être supérieur à une règle monétaire interne ? Pourquoi une politique d’ancrage à une monnaie moins inflationniste doit être plus sûre qu’une politique de maintien d’un faible taux de croissance monétaire sous flottement ? C’est seulement le cas sous deux conditions : le taux de change est une cible plus crédible que toute autre cible monétaire et que la structure du système monétaire international décourage une inflation à l’échelle mondiale. Il n’est pas évident, de plus, que l’ancrage soit une meilleure solution à l’arbitrage entre crédibilité et flexibilité. En termes de stabilité de la production, Flood et Mussa (1994) concluent à la supériorité d’un ciblage du revenu direct sur le taux de change. La crédibilité peut être définie comme la capacité du gouvernement de s’en tenir aux politiques annoncées en la présence des chocs défavorables (Cukierman et Liviatan 1991), par exemple en maintenant un ancrage de taux de change en face de chocs de réserves (Agénor et Masson 1999). Drazen et Masson (1994) évoquent la crédibilité de décideurs politiques en l’opposant à celle de la politique économique. Pour mesurer la crédibilité, on peut s’appuyer sur la condition de parité des taux d’intérêt comme chez Calvo et Reinhart (2002). Si un pays qui applique un régime de change fixe est parfaitement crédible, ne présentant aucun risque de défaillance, la condition de parité des taux d’intérêt est alors simplement l’égalité des taux d’intérêt de l’économie nationale et de l’étranger et de leur variation. On peut s’attendre à ce que les réserves varient et non le taux de change nominal, puisque les autorités réagissent aux chocs de demande de monnaie. Les régimes de changes fixes non crédibles, où les défaillances sont possibles et beaucoup plus courantes, ne respectent pas la condition de parité. Une prime de risque et un taux de dévaluation anticipé, par exemple, expliquent le 16 - C’est toute une littérature sur la crédibilité initiée par Kydland et Prescott (1977) et familiarisée par Barro et Gordon (1983) qui a fait surgir, dans les années 1980, un autre aspect du choix du régime de change. 71 différentiel des taux. Le manque de crédibilité implique une variation du taux d’intérêt de l’économie supérieure à celle du taux étranger. Bien d’autres critiques ont été soulevées par l’utilisation du taux de change comme ancre nominale. Certaines sont davantage présentes dans la littérature économique suite aux crises financières des années 1990. L’ancrage nominal est désormais intrinsèquement associé à un risque de crise de change, voire sous la seule pression du marché. Ces crises ont mis en évidence l’aléa de moralité suscité par le régime de change fixe. Un régime qui garantit implicitement l’endettement en devises, rend tout changement de régime très coûteux en raison de facteurs de défaillances en chaîne dans les secteurs financier et industriel. En outre, il entraîne la perte de l’indépendance de la politique monétaire, expose le pays à la transmission de chocs provenant du pays de l’ancre, affaiblit la responsabilité des décideurs politiques dans la poursuite des politiques anti-inflationnistes et, le plus dommageable, accroît la fragilité financière et augmente la vraisemblance de crises financières. Nous reviendrons plus loin sur tous ces éléments. 1.3 De l’ancrage réel aux cibles réelles L’ancrage nominal est censé réduire le différentiel d’inflation par rapport à l’étranger. Cependant, il provoque aussi une appréciation réelle qui plus est, doublée d’une persistance des taux d’inflation relativement élevé dans plusieurs PED. Cela a entraîné une utilisation croissante de la dépréciation nominale visant à limiter l’appréciation réelle, à défaut de l’inverser, pour contenir les pertes de compétitivité extérieure. Le taux de change réel est devenu donc une variable implicitement ou explicitement ciblée par les décideurs politiques. Ces derniers ont aussi besoin de modifier la cible en la faisant coïncider aux mouvements du taux de change réel jugé à un niveau d’équilibre (Khan et Ostry 1992) pour éviter ainsi un désajustement qui entraînerait une perte de compétitivité. On parle donc d’un ancrage réel qui fait référence à la stabilité à long terme du taux de change réel, tandis qu’un ancrage nominal se rapporte à la stabilité du taux nominal en niveau ou en variation sur de plus courtes périodes. Les ancrages nominaux et réels doivent, note Bénassy-Quéré (1996), être compatibles dans le long terme. Ils le sont à court terme si le taux nominal n’est pas trop fréquemment dévalué, ou du moins avec une grande régularité. Le taux de change réel est, en pratique, parmi les cibles ultimes d’une politique de stabilisation. C’est un prix relatif clé dans une économie ouverte que Calvo, Reinhart et Végh (1995) voient comme « probablement la 72 cible réelle la plus populaire ». Plusieurs pays à inflation forte, comme l’Argentine, le Brésil et le Chili, ont historiquement adopté une politique qui fixe le taux de change réel pour éviter des pertes de compétitivité. La question du ciblage du taux réel était aussi largement traitée dans la littérature économique17 (Adams et Gros 1986 ; Khan et Ostry 1992 ; Calvo, Reinhart et Végh 1995…). Cependant, bien que le taux de change réel soit primordial dans la gestion des problèmes économiques dans les PED, d’autres objectifs réels et d’autres instruments doivent être considérés. D’autant que des difficultés peuvent surgir quand une cible du taux de change réel s’avère non appropriée, du simple fait de modifications répétitives du taux nominal, et pourrait donc aboutir à l’inverse de ce qui est recherché. De la focalisation sur le taux de change réel on passe donc à une approche plus large qui est celle des cibles réelles. En postulant qu’un instrument politique nominal peut accomplir un objectif réel, cette approche est essentiellement keynésienne (Corden 1994). Elle suppose de surcroît que le gouvernement puisse faire bon usage du taux de change et des autres instruments. C’est-à-dire qu’il n’a pas besoin d’être contraint. Le taux de change nominal est aussi un instrument politique distinct des politiques monétaire et fiscale, bien qu’il doive être utilisé conjointement. La supposition que le taux de change est un instrument séparé de la politique monétaire interne est particulièrement importante dans la discussion. Elle signifie qu’un objectif de taux de change nominal peut être atteint par intervention stérilisante. Un contrôle de change efficace ou d’autres mesures sont aussi utilisés pour assurer que la mobilité internationale de capitaux ne soit élevée pour le pays. L’approche implique qu’une dévaluation nominale a des effets réels suffisamment durables pour qu’elle soit poursuivie, pourvu qu’en même temps les politiques de dépense évitent l’excès de demande. Les prix et salaires sont supposés être imparfaitement flexibles à la baisse. Flood et Marion (1997) trouvent que, hormis les pays d’Amérique Latine à inflation chronique, les dévaluations ont des effets réels durables quand des politiques appropriées de crédit sont également suivies. Même dans le cas des pays à inflation élevée, les dépréciations nominales continues peuvent avoir des effets réels en empêchant les appréciations. Explorant les implications du ciblage du taux de change réel, Paraskevopoulos et Paschakis (2000) trouvent qu’un taux de change réel plus déprécié réduit le taux d’intérêt réel et la dette extérieure, et augmente la production et les exportations nettes. Etant donnée la 17 - Voir Aschheim et Tavlas (1994) pour une analyse historique approfondie du ciblage monétaire. 73 rigidité de prix, le ciblage du taux de change réel peut ne pas mener à des taux d’inflation plus élevés. Ils soutiennent aussi qu’une telle approche plutôt que celle d’une ancre nominale peut être appropriée pour les PED à inflation forte. Néanmoins, cela reste inconcevable pour ceux qui hésitent à accorder, dans le cadre d’une politique économique, un rôle important au taux de change nominal ou à la monnaie. Les arguments sont nombreux. Deux d’entre eux sont en haut de la liste. Le premier est que cela ne fonctionne pas, les mouvements de taux de change ne se transforment pas en dépréciation réelle, ils seront juste une voie pour l’inflation. Le deuxième est que décider une dépréciation signifie manquer de crédibilité et cela aux dépens de gains obtenus en ayant un ancrage nominal. Ces arguments combinés entraînent une peur de la dépréciation monétaire. En somme, comme l’avance Dornbusch (1996), les taux de change sont utiles, ils doivent être utilisés en premier et d’une manière raisonnable. Ils ne sont pas la panacée et ils ne peuvent pas accomplir d’objectifs sans tenir compte du contexte macroéconomique et sans en soutenir les politiques. Plus ils sont mal utilisés, plus leur utilisation est contre-productive. Malgré les arguments opposés, le manque d’attraction de PED pour la flexibilité soutenue par de nombreux économistes dont Aldcroft et Oliver (1998) en font l’écho et le dilemme en face duquel se trouvent les décideurs politiques du fait que les mouvements de change puissent produire l’inverse de ce qui est recherché, l’utilisation croissante du taux de change comme instrument de politique économique marque une évolution notable. Cela peut aussi être justifié, dans certaines circonstances, par le fait qu’un pays ne soit pas disposé, pour l’allocation de ressources, à appliquer les options politiques de bien de premier rang, même de second rang. Il préfèrerait peut être utiliser des politiques qui modifient les prix «macroéconomiques», tel le taux de change réel. L’histoire du pays peut en fournir l’explication. Un pays qui a souffert d’interventions publiques excessives pourrait ne pas désirer ou être incapable, à cause de contraintes politiques, d’utiliser une option politique plus directe. Le même choix pourrait être fait en luttant contre la corruption et décourageant des activités de recherche de rente. Une seule variable objective commune à tous les agents serait préférée pour induire une allocation de ressources. Il ressort de ce qui précède que le dilemme concernant la question d’ancrage ne semble pas se résoudre. La complexité de la réalité économique et le pragmatisme des décideurs politiques y sont pour quelque chose. Cela semble aussi caractériser la littérature économique. Beaucoup 74 de travaux récents en donnent l’exemple18. Bien qu’ils soient d’accord sur la désirabilité d’une certaine stabilité de change, ils n’évoquent pas les mêmes raisons. Certains mettent en lumière le rôle d’une ancre nominale pour réduire l’inflation au premier stade de désinflation ou de transition vers une économie du marché, en l’absence de toute ancre alternative. Ils ont mis l’accent sur la nécessité de gérer le taux de change dans le but d’éviter les désajustements et les fluctuations dans la balance commerciale et ainsi éviter l’incompatibilité entre taux de change fixe et désinflation. La stabilisation du taux de change joue aussi un rôle dans la réduction de la prime de risque et donc des taux d’intérêt. Il est aussi admis qu’il y a incompatibilité entre cibler les taux de change et cibler l’inflation. Ils évoquent les flux des capitaux entrant et l’effet Balassa-Samuelson, à savoir le rattrapage dans la productivité du secteur échangeable entraîne un accroissement du salaire qui s’élargira au secteur de nonéchangeables, poussant l’inflation à la hausse. Cibler l’inflation semble néanmoins difficile à exécuter dans un PED. On a remarqué aussi une légère différence entre cibler l’inflation et cibler les taux de change dans un régime du glissement plus faible que le différentiel d’inflation. Dans une contribution récente, Parrado (2004) élabore un modèle néo-keynésien dynamique pour analyser l’impact d’une politique monétaire considérant une cible inflation dans une petite économie ouverte caractérisée par une concurrence imparfaite et une rigidité de prix à court terme. Le modèle est calibré sur des paramètres dérivés du cas chilien dont la politique monétaire est réputée pour son engagement à lutter contre l’inflation. Il soutient qu’en présence de chocs réels, le change flexible domine le fixe. L’inverse est vrai dans le cas de chocs nominaux. Le ciblage de l’inflation générée à l’intérieur est préféré à celui de l’inflation basée sur l’indice des prix à la consommation. Il est plus stabilisant, eu égard aussi à l’écart de production et au taux de change réel. Un ciblage flexible de l’inflation donne des meilleurs résultats en termes de bien être qu’un ciblage strict. Section 2 Politique intérieure Le débat impliquant la politique intérieure dans l’insoutenabilité du change fixe est essentiellement focalisé sur le rôle du taux de change comme ancre pour le niveau des prix et sur l’effet crédibilité qu’un taux de change fixe attachera à un programme de désinflation quand l’engagement à défendre la parité est clairement établi. La question de la crédibilité renvoie aussi à celles de la discipline et de l’incohérence temporelle autant que celle de 18 - En référence aux participants à la conférence « Exchange rate regimes in emerging market economies » organisée à Tokyo le 17 et 18 décembre 1999 par le CEPII avec le concours de l’Asian Development Bank Institute et du Korean Institute For International Economic Policy. Pour le contenu : http://w.w.w.cepii.fr. 75 l’incohérence de la politique économique. Dans quelle mesure ce problème de crédibilité et ses corollaires peuvent nuire au change fixe et entraîner une transition vers plus de flexibilité ? 2.1 Discipline, Crédibilité19, Incohérence temporelle et Flexibilité Un des bénéfices d’un ancrage nominal est de fournir de la discipline dans la conduite de la politique économique permettant d’éviter le problème d’incohérence temporelle décrit par Kydland et Prescott (1977), Calvo (1978) et Barro et Gordon (1983). Il surgit quand les décideurs politiques, par exemple, poursuivent une politique discrétionnaire pour atteindre des objectifs de court terme mais qui peut nuire à ceux de long terme. Un résultat qui ne peut être évité que s’il y a une règle qui les empêche de poursuivre une telle politique. C’est en effet ce qu’un ancrage du taux de change peut faire si on lui porte un engagement fort. Dans ce cas, l’ancrage du taux de change élimine la politique monétaire discrétionnaire et implique une règle automatique qui impose une politique monétaire rigoureuse quand il y a tendance à la dépréciation de la monnaie nationale et de la relâcher dans le cas contraire. Aussi, la banque centrale peut décider de ne pas poursuivre une politique expansionniste qui mène à l’inflation en considérant l’importance des anticipations dans le processus de formation de prix et de salaires, ajoute McCallum (1995). Malgré cela, il y aura des pressions politiques pour poursuive cette même politique qui mène au même résultat et le problème de l’incohérence temporelle demeure. La simplicité et la clarté d’un ancrage le rendent facilement reconnaissable par le public. Il peut ainsi aider les autorités monétaires à résister à toute pression à engager des politiques incohérentes. L’expérience des PED dans les années 1970 et 1980 révèle un taux d’inflation moyen plus faible dans les pays ayant suivi un change fixe que dans ceux ayant suivi un change plus flexible. Cependant, pour beaucoup de pays, l’inverse est également vrai. L’attachement à des politiques financières appropriées et prudentes en est une explication. Par conséquent, l’efficacité d’un régime de change fixe dans l’augmentation de la discipline demeure une question empiriquement ouverte. Théoriquement, la littérature macroéconomique récente suggère des principes généraux pour évaluer la relation entre discipline financière et régime de change. Un taux de change fixe serait viable uniquement si le secteur public était perçu 19 - Voir Tavlas (2000) pour une analyse plus approfondie de l’hypothèse de crédibilité, mais aussi de la discipline, de l’ancrage nominal, des crises et de leurs interprétations. 76 comme financièrement solvable sur le long terme, c’est-à-dire que la valeur actuelle de surplus primaires anticipés du secteur public plus le seigneuriage soient au moins aussi élevés que la valeur face de la dette nette du secteur (Aghevli, Khan et Montiel 1991). Dans la mesure où la condition de solvabilité n’est pas satisfaite et où d’autres ajustements fiscaux ne sont pas envisageables, le gouvernement, ne pouvant s’endetter à l’étranger pour longtemps, aura à compter sur la taxe inflationniste. L’accélération conséquente de l’inflation entraînera des dévaluations récurrentes. Un change fixe n’impose donc pas nécessairement la discipline financière aussi longtemps que le gouvernement retient l’option de dévaluation périodique. Dans la mesure où le gouvernement est tenté d’accroître le niveau de la production à travers la génération d’une inflation anticipée, il y aura une tendance inhérente au système à produire une inflation explosive et des dévaluations récurrentes. Une inflation non anticipée voit disparaître ses bénéfices aussitôt que le public anticipe que le gouvernement y a recours. Dans un tel environnement, le gouvernement ne pourrait accroître le bien-être social que s’il s’engageait d’une manière crédible à stabiliser les prix. Sans la crédibilité, les agents privés continueront à anticiper un taux d’inflation élevé et cela accroîtra le coût de toute tentative de stabilisation des prix. L’établissement de la crédibilité signifie convaincre le public que la banque centrale ne déviera pas de son taux de change ou de l’offre de monnaie cible pour assurer des bénéfices de court terme associés à une inflation surprise. La crédibilité doit être adressée à l’ensemble de la politique économique. La crédibilité de l’engagement public à une discipline financière reste néanmoins difficile pour des pays ayant une longue histoire de politique expansionniste et d’inflation élevée. Agénor (1994a) soutient que si l’engagement n’est pas faisable, ou non crédible, le résultat serait biaisé vers un processus inflationniste résultant en une dévaluation, même en l’absence de chocs de demande. Il serait désirable, dans ce cas, que les autorités se pré-engagent pour une politique de stabilité des prix en la rendant coûteuse suite à toute modification du taux de change. Une règle de « non dévaluation » est crédible uniquement s’il est fondamental pour le public de croire que les autorités sont incitées à y adhérer. La crédibilité peut être obtenue si les décideurs politiques s’inquiètent assez de leur réputation et pèsent les pertes futures de crédibilité contre des gains de balance des paiements immédiats et futurs. Quand les préférences de décideurs politiques sont incertaines, éviter de dévaluer peut fournir un signal précieux au secteur privé, incitant ainsi davantage les autorités à adhérer à une cible de taux de change annoncée. Certains PED ont même opté pour des régimes plus flexibles dans le but de déguiser la dépréciation de la monnaie domestique, permettant aux gouvernements d’éviter 77 les coûts politiques de dévaluation annoncée. Une autre manière d’éviter le biais de laisserfaire d’une politique discrétionnaire et de rétablir la discipline et la crédibilité est de garantir une grande autonomie à une banque centrale favorable à la stabilité de prix et au change fixe, sans exclure toutefois la possibilité d’un ajustement de taux quand les circonstances l’exigent. Le dernier engagement reprend le fameux argument de Rogoff (1985) en faveur d’un responsable conservateur à la tête de la banque centrale. Mais souvent la période d’action et d’engagement politique ne correspond pas à celle du biais conservateur exigé. D’autres aspects institutionnels, telle la réputation de la banque centrale ou les contrats et cibles intermédiaires, peuvent être cruciaux pour une gestion réussie du taux de change (Miller et Papi 1997). D’autres engagements peuvent être pris sur le plan technique, comme légiférer sur une cible d’inflation spécifique et assurer que la conduite de la politique économique soit placée sous la responsabilité de personnes qui sont connues pour leur aversion à l’inflation. Mais comment une banque centrale espérant stabiliser le taux de change doit entreprendre la tâche ? Williamson (1983, 1996, 1998), comme d’autres économistes, a soutenu explicitement un système de taux de change sous forme d’un directoire de la monnaie ou de zones cibles. D’autres auteurs tel que Svensson (1994) proposent un flottement géré où la politique monétaire est choisie pour fournir la combinaison désirée de la stabilité du taux de change et de l’indépendance explicite. Un flottement géré pourrait se révéler suffisant pour cette tâche, en particulier quand les décideurs politiques ne peuvent engager la politique d’une manière crédible au-delà de la période en cours. Cependant, la discipline et la crédibilité apportées par un régime de taux fixe mais ajustable ne sont pas nécessairement supérieures à celles qu’assurent des régimes plus flexibles. Dans des situations où il n’y a pas de discipline fiscale et où les décideurs politiques font recours au financement par la dette, les taux de change fixes peuvent affaiblir la discipline en comparaison aux taux plus flexibles. En effet, dans un régime de change fixe, les décideurs politiques dans certains cas reportent à plus tard le coût inflationniste du non-ajustement des déséquilibres budgétaires en laissant, par exemple, la dette extérieure s’accumuler jusqu’à ce que la parité fixe ne puisse plus être maintenue. Dans un régime de taux flexible, en revanche, les coûts peuvent se manifester plus rapidement dans les fluctuations du taux de change et des prix, de sorte qu’un régime flexible peut imposer une discipline plus stricte aux autorités (Tornell et Velasco 1995, 1998), à condition que les marchés évaluent correctement la situation. De même, un régime de change flexible peut apporter une crédibilité à peu près identique, car l’ajustement s’effectue par des fluctuations 78 du taux de change que chacun peut observer, alors que dans un régime de taux fixe, il se traduit par des pertes de réserves et une augmentation de la dette extérieure qui peuvent être difficiles à suivre si les activités de la banque centrale sont moins transparentes. On suppose, bien sûr, que les banques centrales n’interviennent pas massivement pour limiter les fluctuations du taux de change et qu’il s’agit donc d’un véritable régime de taux flexible. De toute manière, la réduction de la marge de manœuvre des autorités ne garantira pas nécessairement la crédibilité de la parité si l’économie ne fonctionne pas correctement. A titre d’exemple, le relèvement des taux d’intérêt pour défendre la parité aide à affirmer la détermination des autorités, mais nuit à la crédibilité de l’ancrage par ses effets négatifs sur l’activité réelle ou le système bancaire (Drazen et Masson 1994). 2.2 Incohérence de la politique économique Les problèmes de discipline, de crédibilité et d’incohérence temporelle se trouvent amplifiés par l’incohérence de la politique économique suivie. Elle est due à l’incompatibilité des différentes politiques économiques (monétaire, budgétaire et de change) et aux conflits d’objectifs, de surcroît sous un régime de change donné. Cette incompatibilité entraîne sans doute une réaction de taux de change et de régime de change en général. L’exemple de la dévaluation illustre bien nos propos, puisqu’il soulève la question de la transformation d’une dévaluation nominale en dévaluation réelle. En effet, une dévaluation nominale qui s’accompagne de politiques monétaire et fiscale laxistes et d’une indexation des prix et des salaires mène à des pressions inflationnistes et une surévaluation très rapide du taux de change réel. A l’inverse, si elle s’accompagne d’un ensemble cohérent de politiques macroéconomiques, elle pourrait alors générer une dévaluation réelle importante permettant de réduire le biais anti-export du système commercial (Edwards 1989). De même, une politique de change favorable à l’exportation ne saurait toutefois porter ses fruits si elle n’est pas cohérente avec les politiques monétaire et fiscale. Dans beaucoup de PED, la mauvaise gestion des politiques macroéconomiques et commerciales a conduit au désajustement du taux de change réel, un taux considérablement surévalué par rapport à un niveau jugé d’équilibre, nuisible aux performances économiques. En étudiant les expériences latino-américaines, Edwards (1994a,b) conclut que l’existence d’une longue tradition de stabilité des taux de change a imposé certaines contraintes au comportement des banques centrales. Cependant, elles étaient limitées et n’ont pas pu 79 survivre à la combinaison des pressions politiques et des chocs très durs des termes de l’échange à la fin des années 1970 et les débuts des années 1980. En fait, en essayant d’éviter l’ajustement de leurs taux de change suite à la crise de la dette, ces pays ont dû supporter des coûts très durs. Edwards montre aussi que même avec un équilibre budgétaire, l’adoption d’un taux de change nominal fixe peut ne pas être le bon choix puisqu’il ne peut pas réduire le degré de persistance ou d’inertie de l’inflation. La cohérence de la politique économique demeure la clé de la réussite d’une stabilisation basée sur le taux de change. En d’autres termes, les politiques fiscale, monétaire et de revenu doivent être coordonnées et doivent soutenir l’ancre taux de change. Cela signifie l’élimination du déficit fiscal, la suppression de l’indexation et l’adoption d’une politique monétaire non inflationniste. Une attention particulière doit être accordée à la balance des paiements du pays pendant la période de stabilisation. L’utilisation stricte de l’ancre taux de change lors d’une phase de détérioration du compte courant n’est pas sans conséquences pour l’économie. La gestion d’une stabilisation basée sur l’ancre taux de change est un acte délicat d’équilibriste. Comme telle, l’utilisation du taux de change pour une ancre nominale doit être courte. L’incohérence de la politique économique peut donc mener à des mauvaises performances économiques et des transitions dans les régimes de change. Agénor et Montiel (1996) soutiennent que le mouvement de change géré vers plus de flexibilité est en partie le résultat des déficits extérieurs persistants. Mais il n’est pas suffisant de diagnostiquer la politique fiscale nécessaire, par exemple, pour éviter les problèmes d’incohérence et les chutes de régimes de change, encore faut-il qu’elle soit politiquement facile à exécuter (Begg 1996). Les promesses de faire valoir une parité de change sont rarement crédibles lorsque les politiques sous-jacentes semblent difficiles à déployer d’une manière appropriée. Les exemples de l’incohérence de politiques économiques dans les PED pouvant rendre insoutenable un régime de change sont nombreux, particulièrement suite aux différentes analyses consacrées aux récentes crises de change. Cette incohérence peut être amplifiée, si ce n’est provoquée, par des facteurs externes, parce que le taux de change est un mécanisme de diffusion internationale de chocs extérieurs et des cycles économiques20. Agénor, McDermott et Prasad (2000) ont mis en évidence l’existence de cycles économiques dans le PED au cours des vingt-cinq dernières années, mais aussi leur synchronisation assez étroite, durant une bonne période, avec ceux des pays industrialisés. Cependant une désynchronisation est 20 - Pour plus d’approfondissement, voir : FMI (1998), Perspectives de l’économie Mondiale, Mai. 80 remarquée depuis la fin des années 1980. McKinnon et Pill (1999) évoquent le syndrome de surendettement quand les banques nationales sont sujettes à l’aléa moral. Le choix du régime de change en de pareilles circonstances peut s’avérer crucial pour la stabilité macroéconomique. En effet, les garanties gouvernementales incitent les banques à accroître leur endettement extérieur et courir des risques de change. Ceci accroît, en l’absence de contrôles de capitaux, l’ampleur du surendettement et rend l’économie plus vulnérable aux attaques. Un mauvais ancrage tendrait à exacerber le problème de surendettement dans les PED, mais il n’est pas évident que le change flexible domine le change fixe dans la matière. Le premier est aussi sujet au problème d’incohérence. Un bon ancrage, crédible et très proche d’une parité jugée d’équilibre, peut réduire la « super prime de risque » dans les taux d’intérêt nationaux et par là resserre les marges de tentation des banques à un surendettement extérieur. Un bon ancrage peut mieux stabiliser l’économie nationale en limitant l’alea moral dans le système bancaire. Il s’avère ainsi que pour un PED, le régime de change officiel est presque intenable en présence de politiques économiques incompatibles entre elles et avec les stratégies du développement, des conflits d’objectifs, des chocs intérieurs et extérieurs, des cycles économiques désynchronisés avec ceux de pays industrialisés. Tous ces facteurs mettent les régimes de change officiels sous tension. Le recours à des politiques de facto pour atténuer cette tension implique aussi le recours à un régime de change effectif qui est tout à fait différent de celui qui est officiellement déclaré. Section 3 Mobilité de capitaux Dès les débuts des années 1990, le capital a afflué des pays industrialisés vers les PED. Certains d’entre eux, en Amérique Latine et en Asie en particulier, ont même connu une montée brusque qui a attiré l’attention des économistes et des décideurs politiques. Une combinaison de facteurs externes et internes21 peut en être l’explication. Les premiers incluent des chutes des taux d’intérêt internationaux et des faibles performances économiques dans les pays industrialisés. Ils peuvent avoir une importance cyclique et une composante réversible. Les seconds sont souvent liés à la politique intérieure. En effet, les flux de capitaux à long terme peuvent être attirés par des programmes de stabilisation réussis et accompagnés par une amélioration des fondamentaux de la politique fiscale, des réformes institutionnelles, telle une 21 - Pour plus de détails, voir Calvo, Leiderman et Reinhart (1994), Laban et Larrain (1997) et Agénor (1998). 81 libéralisation du marché de capitaux, et des politiques crédibles qui accroissent le taux de rendement sur les projets d’investissement. Les flux entrants22 de capitaux ont énormément varié dans le temps. Les flux relativement massifs de la fin des années 1970 et début 1980 ont brutalement cessé avec le début de la crise de la dette en 1982. Dans les années 1980, le financement privé était longtemps presque nul, voire négatif. Pour les premières années après la crise de la dette, la plupart des prêts provenaient des institutions financières internationales. Les flux de capitaux sont passés de 0.5% de PIB dans les années 1970 et 1980 à 3% dans le milieu des années 1990 pour tomber à 1.5% en 1998. Le degré de persistance des flux des capitaux entrants est devenu une préoccupation pour la politique économique et son évaluation critique pour identifier les facteurs d’attractivité (Calvo, Leiderman et Reinhart 1994). De surcroît, comme le souligne Agénor (1998), la dynamique associée à un choc temporaire ne dépend pas uniquement de sa durée mais aussi de la position d’actif initiale. Une chute permanente des taux d’intérêt internationaux, par exemple, peut entraîner l’appréciation du taux de change réel dans le cas d’un débiteur. Cela dit, les politiques intérieures peuvent aussi attirer du capital hautement réversible. Des programmes de libéralisation commerciale et de stabilité des prix qui ne sont pas crédibles entraînent probablement un boom de consommation et une hausse d’endettement international de court terme. Des baisses ou suppressions des tarifs, sous une rigidité des prix à la baisse, conduisent, temporairement, à des prix excessivement élevés de biens nationaux et par là à un déficit du compte courant. Il est par conséquent important pour les PED de distinguer entre les facteurs externes et internes qui ont permis les flux entrants de capitaux. Nous proposons dans cette partie d’étudier la gestion de la mobilité des capitaux par les PED et le fonctionnement de leurs régimes de change sous cette condition, cela avant d’analyser deux questions souvent évoquées en traitant de la mobilité des capitaux dans les PED : à savoir la flexibilité du change et l’indépendance de la politique monétaire, et la fragilité financière. 22 - Les flux entrants de capitaux sont l’accroissement dans l’endettement international net durant une période donnée et sont mesurés, quoique d’une manière imprécise, par le surplus du compte capital qui est égal, excepté les erreurs et les omissions, au déficit du compte courant plus la variation des réserves. Les hausses des flux de capitaux sont ainsi identifiées avec de larges déficits et/ou une accumulation des réserves (Calvo, Leiderman et Reinhart 1994). 82 3.1 Gestion de la mobilité23 de capitaux dans les PED L’entrée des flux significatifs de capitaux peut apporter d’importants bénéfices, comme l’opportunité de financer des niveaux plus élevés d’investissement nécessaires pour des taux de croissance élevés et soutenables. C’était tout à fait le cas de la Corée dans les années 1990 (Rhee et Song 1999). Ils ont aidé à l’assainissement de certaines économies en transition (Strasek 1998), où l’afflux a permis en partie de sortir d’un état de sous-évaluation initiale considérable, et même généré, dans certains cas, une tendance plus ou moins prononcée à l’appréciation réelle. Ils peuvent aussi améliorer l’efficience des marchés financiers internes en favorisant la concurrence et augmentant la liquidité (Dornbusch et Park 1999). Les nouvelles stratégies de développement se tournent donc vers l’extérieur à la fois pour les débouchés et les capitaux. Toutefois, l’entrée de capitaux pose en même temps beaucoup de difficultés et de dilemmes aux économies de PED, étant donné l’importance des flux enregistrés par certains PED ces dernières années et les peurs qu’ils soient brutalement réversibles. Cela est d’autant plus préoccupant quand il y a risque d’immersion du pays d’accueil qui dépend aussi, et d’une manière critique, du niveau de l’intensité capitalistique de biens importés. En relation avec un tel phénomène et en présence des marchés du travail duaux, Hazari et Sgro (1996) soutiennent que les flux massifs de capitaux peuvent accroître le niveau du chômage urbain. Ils n’aident pas en effet à réduire le chômage en présence d’une rigidité généralisée des salaires. L’interaction des flux de capitaux, du taux de change, de la politique monétaire et de l’inflation reste, néanmoins, l’élément d’explication largement évoqué des effets défavorables de flux massifs de capitaux (Calvo, Leiderman et Reinhart 1993 ; Agénor 1998 ; Atlan et al. 1998 ; Strasek 1998 ; Eichengreen 2000b). Ils sont associés à l’appréciation des taux de change, à la détérioration de la compétitivité et des comptes extérieurs, à des pressions inflationnistes et à un boom dans les prêts bancaires menant à un sur-financement de l’économie. Tous ces éléments compromettent la stratégie du développement basé sur l’exportation. C’était le cas pour beaucoup de PED, précisément au moment où ils mettaient en place des réformes afin d’accélérer une croissance menée par l’exportation (Calvo, Leiderman et Reinhart 1993). La présence de marchés internationaux 23 - Selon l’approche traditionnelle de Feldstein et Horioka (1980), une corrélation épargne-investissement élevée (nulle) traduit une mobilité du capital imparfaite (parfaite). Moosa (1996) utilise les écarts par rapport aux conditions de la parité, couverte et non couverte, des taux d’intérêt (réels). Une mobilité parfaite entraîne l’égalisation des taux. Encore faut-il que les actifs soient parfaitement substituables. Une autre approche plus récente évalue la mobilité par lissage de la consommation en réaction aux chocs des variables de dépense intérieure (Hussein et De Mello Jr. 1999). Des déviations par rapport à la valeur optimale indiquent une mobilité imparfaite. Shibata et Shintani (1998) se focalisent sur la corrélation entre les variations de la consommation et celles de la production nette. 83 larges et liquides rend plus difficile le soutien d’ancrage chancelant. D’autant que les ressources dépassent de loin les réserves des banques centrales ou des gouvernements. Une défense efficace du taux de change exige d’augmenter les taux d’intérêt et de restreindre les crédits intérieurs, ce qui aura des coûts qu’une petite économie, voire grande, ne puisse supporter. Ainsi souvent, les autorités réagissent en exécutant un ensemble de mesures comprenant habituellement un contrôle direct, une libéralisation des flux de sortie, une plus grande flexibilité de change et une stabilisation. La première mesure peut se faire en empêchant la conversion instantanée de la monnaie nationale en actifs financiers étrangers, ce qui permet d’éviter l’épuisement des réserves et de prévenir la chute du régime de change. Sous un contrôle de capitaux strict où il n’est pas loisible aux résidents de détenir des actifs étrangers, la banque centrale perd des réserves étrangères via le déficit du compte courant seulement. Mais cette mesure a l’inconvénient d’inciter à l’utilisation d’autres canaux pour réorienter les flux de capitaux, surfacturation des imports ou sous-facturation des exports. Aussi, la croissance de la monnaie, ne pouvant être convertie en actifs étrangers, accroît les crédits intérieurs et les encaisses réelles dont la consolidation augmente l’absorption intérieure et creuse le déficit du compte courant. Le contrôle de change n’empêche donc généralement pas la chute du change fixe, il ne fait que l’ajourner (Park et Sachs 1996). La deuxième peut accroître la confiance des investisseurs étrangers et stimuler les flux entrants (Calvo, Leiderman et Reinhart 1996) confirmant le paradoxe soulevé par Laban et Larrain (1997). En effet, la suppression du contrôle sur les flux de sortie a apparemment stimulé un flux net d’entrée des capitaux dans plusieurs pays : la Colombie, l’Egypte et le Mexique dans les années 1990. Il semble même que la libéralisation financière a réduit la fuite de capitaux. L’explication réside dans le fait de considérer la libéralisation des flux de sortie comme réduction dans la période minimale de rapatriement du capital pour l’investissement étranger. En conséquence, cela réduit la prime de risque exigée par les investisseurs pour investir durant une période trouble ou sujette à d’éventuels retournements politiques et réduit donc le degré de l’« irréversibilité » de la décision d’investir dans un pays donné et ainsi accroît les flux d’entrée. Ce résultat délivre un message d’une grande importance : libéraliser les flux de sortie peut avoir des avantages mais peut ne pas être approprié pour défendre le taux de change réel en présence des flux d’entrée massifs qui seront probablement renforcés. 84 La troisième présente l’avantage que l’appréciation du taux de change réel vient probablement d’une variation du taux nominal et non d’une inflation plus élevée. Elle pourrait renforcer le degré d’autonomie monétaire surtout quand la banque centrale joue le rôle de prêteur en dernier ressort, par exemple durant un retournement temporaire conséquent de flux de capitaux. L’inconvénient reste que le flottement s’accompagne d’une volatilité élevée du taux de change réel. Les flux massifs et rapides de capitaux entrant peuvent provoquer une appréciation abrupte et rapide détériorant la compétitivité de secteurs stratégiques à la croissance économique. La quatrième mesure, la stabilisation, peut empêcher la résorption du différentiel de taux d’intérêt et entraîner l’entrée de flux de capitaux supplémentaires. Les flux massifs appellent à des interventions de change afin d’empêcher l’appréciation du taux de change nominal. Mais, d’un côté, la stérilisation peut être coûteuse entraînant des pertes opérationnelles significatives pour les banques centrales puisqu’elle implique le paiement des taux d’intérêt plus élevés aux banques commerciales et d’un autre côté, le plus souvent, le faible développement du marché monétaire intérieur réduit l’ampleur de l’intervention. L’expansion de la base monétaire est par conséquent inflationniste et peut créer une bulle sur le marché intérieur d’actifs. Etant donné l’étendue de la mobilité des capitaux et certaines tentatives de réimposer leur contrôle, la stérilisation a toujours été une politique dangereuse (Begg 1996 ; Laban et Larrain 1997) qui ne fait, le plus souvent, que retarder l’ajustement nécessaire (Begg 1998). En fait, la stérilisation n’est possible que parce que les capitaux ne sont pas infiniment mobiles. Les différentes mesures ci-dessus discutées ne s’avèrent pas sans inconvénients, de même que les choix politiques qui s’offrent aux petites économies en face d’une montée des flux de capitaux sont limités. Il n’est même pas sûr qu’ils soient en mesure de réduire significativement la vulnérabilité du pays dans le cas où les flux de capitaux s’inversent. De surcroît, leur exécution pourrait entraîner des coûts et leur efficacité pourrait être limitée dans le temps. Une réaction optimale doit être fonction de la persistance anticipée des flux de capitaux, de la nature de marchés intérieurs de crédits, de l’environnement politique prévalent et du degré de crédibilité des autorités. Selon Calvo, Leiderman et Reinhart (1996), les pays qui ont le plus réussi dans la gestion des flux de capitaux, comme le Chili et la Malaisie, ont exécuté un ensemble cohérent de mesures politiques. Au début de la montée des flux de capitaux, ces pays ont réagi en les traitant comme temporaires et ont résisté à une appréciation du taux de change nominal, l’intervention en devise était largement stérilisée. Avec la 85 persistance des flux, les effets de stérilisation se sont affaiblis et la monnaie nationale s’est appréciée. Ils ont ainsi resserré leurs politiques fiscales pour atténuer l’ampleur de l’appréciation réelle et prévenir la surchauffe de l’économie. Ils ont aussi accru la flexibilité du taux de change et adopté des mesures visant à infléchir les flux entrant et prolonger leurs maturités. En guise de conclusion, nous disons comme Laban et Larrain (1997) qu’une libre mobilité des capitaux est désirable dans un monde sans distorsion, avec un fonctionnement parfait des marchés et des prix et salaires totalement flexibles. La violation de ces hypothèses donne une justification du second rang par le recours au contrôle des capitaux. Une approche éclectique (Calvo, Leiderman et Reinhart 1994) combinant nombre d’options politiques s’avère plus appropriée pour éviter les effets négatifs de la mobilité des capitaux. Ainsi, un séquençage raisonnable de l’action politique implique de limiter l’intermédiation de ces flux en combinant une intervention stérilisante et une plus grande flexibilité du taux de change, et si c’est possible l’accroissement des marges de réserves. Les décideurs politiques pourraient alors adopter des mesures pour monétiser graduellement ces flux, intervention non-stérilisante, et peut être apprécier la monnaie. La prudence est de mise d’autant plus que, comme le soutiennent Singh et Weisse (1998), une libéralisation financière sans entraves, particulièrement le développement de la bourse et les flux entrant de capitaux en portefeuille, ne peut probablement pas aider les PED à accomplir une industrialisation plus rapide ni une croissance économique à long terme. Elle menace aussi d’entraîner une domination de la finance sur l’industrie et l’activité productive. Au lieu de focaliser sur l’amélioration des produits et des processus de production, les dirigeants gestionnaires seraient choisis sur la base de leur capacité à déjouer les marchés financiers. 3.2 Mobilité de capitaux, Flexibilité et Autonomie Désormais, on évoque davantage l’existence des tensions inhérentes à une forte mobilité de capital fragilisant les taux de change fixes comme explication aux mouvements des régimes de change. En effet, une très forte mobilité entraîne des coûts élevés en termes de production pour préserver et défendre un ancrage, plus particulièrement à une seule monnaie. Cela est considéré comme le déterminant clé des crises monétaires récentes (Obstfeld et Rogoff 1995 ; Bufman et Leiderman 1996 ; Eichengreen et Rose 1998 ; Eichengreen 2000a, b). Les tensions sur les taux de change fixes ci-dessus évoquées les rendent insoutenables et 86 posent en particulier le problème de leur compatibilité avec la mobilité du capital et l’indépendance de la politique monétaire. Il s’agit désormais d’un arbitrage entre ces trois éléments d’un triangle formant, selon Rose (1996), la « sainte trinité ». L’idée d’arbitrage sous-tend qu’il est impossible de réconcilier libéralisation des mouvements de capitaux, stabilité du change et indépendance de la politique monétaire. Sur la base de ces considérations, des doutes théoriques et pratiques entourent la capacité des autorités monétaires à fixer la quantité de la monnaie et/ou le taux d’intérêt alors que le pouvoir est de plus en plus entre les mains des marchés. Même si les autorités monétaires sont encore souveraines, la politique monétaire est plus difficile à mettre en oeuvre et son efficacité est très réduite (Fratianni et al. 1998). Avec des marchés de capitaux ouverts, les taux d’intérêt du pays sont fermement liées à ceux du pays de l’ancre, de même que l’offre de la monnaie. Le pays perd ainsi la capacité d’utiliser la politique monétaire pour réagir à des chocs internes indépendants de ceux frappant le pays de l’ancre. L’abondance de la liquidité internationale et le degré élevé de liquidité des actifs financiers font progressivement perdre à la monnaie sa fonction de moyen d’échange et à la politique monétaire son efficacité, accroissent la volatilité des taux d’intérêt et de change. De ce fait aussi, avec un puissant levier financier, les spéculateurs peuvent attaquer les taux fixes non soutenus rapidement et cela plus puissamment que quiconque. Un autre exemple d’incompatibilité largement évoqué dans la vaste et grandissante littérature sur les crises de balance des paiements se focalise sur celle des déficits budgétaires persistants et des taux de change fixes. En effet, sous l’hypothèse standard d’une forte mobilité de capital, un gouvernement qui, simultanément, finance son déficit par l’expansion de crédit intérieur et fixe son taux de change, encourt en contrepartie une perte de réserves de change. A l’atteinte d’un niveau minimum de réserves, en l’absence de correction du déficit budgétaire sous-jacent, le gouvernement sera forcé de laisser flotter sa monnaie. L’hypothèse de mobilité internationale de capital est critique au mécanisme d’ajustement souligné, en deux points. Le premier est que l’expansion du crédit intérieur qui finance le déficit budgétaire entraîne généralement un retrait des réserves officielles par la convertibilité de la monnaie nationale en actifs financiers étrangers à un taux de change fixe. Le second est la possibilité d’une attaque spéculative qui entraîne une large et discrète perte de réserves, monnaies en actifs étrangers, à la veille de la chute du taux de change. C’est souvent pour ces raisons que les gouvernements recourent aux contrôles de capitaux pour aider à maintenir un taux de change fixe. Le contrôle des capitaux n’est cependant efficace que dans l’ajournement, non 87 dans la prévention, de la chute du régime de change fixe en présence des déficits fiscaux financés par la monnaie (Park et Sachs 1996). La thèse de la non-viabilité du change fixe en présence de larges mouvements de capitaux frise donc le consensus, comme l’a remarqué Eichengreen (2000b). De surcroît, la sophistication des marchés financiers a autant baissé le coût du change flexible qu’elle a augmenté celui du change fixe. Crises financières aidant, le change flexible semble être l’unique solution, comme veulent le confirmer les propos de Fisher en s’adressant en 199924 à l’American Economic Association : « il y a un arbitrage entre une plus grande volatilité des taux de change réels à court terme dans un régime flexible et une plus grande probabilité de crise extérieure clairement définie ou crise financière quand le taux de change est rattaché. La virulence des récentes crises est probablement entrain de faire pencher la balance vers le choix des régimes plus flexible, y compris ceux à parités mobiles avec des bandes larges ». Il est devenu plus attractif aujourd’hui qu’il est habituellement, bien qu’on puisse soutenir qu’il n’est pas une garantie contre les crises financières dont le ressort ne doit pas être l’unique critère de choix de régime de change. Il est largement censé pouvoir isoler une économie de perturbations étrangères réelles, de productivité ou de demande, qui nécessitent l’ajustement des niveaux de prix relatifs entre les pays. Il permet aux pays l’autonomie dans l’utilisation des instruments de politique monétaire, fiscale et autres, compatible avec le maintien d’un degré de liberté dans les transactions internationales qu’ils choisissent d’accorder à leurs citoyens, en assurant automatiquement l’équilibre externe. Cependant, le fondement de cette thèse ne semble pas parfaitement admis. En effet, à l’opposé de la plupart des économistes, Rose (1996) ne trouve aucune incompatibilité mutuelle entre les trois éléments de « la sainte Trinité ». La volatilité des taux de change est faiblement liée au degré de mobilité du capital. Plus intéressant encore, elle est significativement corrélée avec la largeur de la bande de taux de changes explicitement déclarés, même après la prise en compte de la mobilité du capital. La politique de change affecte davantage leur volatilité et à travers les effets de la politique macroéconomique en cours. Nous pensons que ces résultats peuvent être expliqués par la période d’étude qui s’étend de 1967 à 1992 et qui porte su 32 pays. Il est évident que sur une telle période, les données sont plus marquées pour nombre de PED par une très faible mobilité de capitaux, voire même inexistante. Cette mobilité a connu 24 - Ces propos font partie d’une thèse largement développée dans Fischer (2001). 88 son essor dans les années 1990. Aussi, Reisen (1996) pense que l’« impossible Trinité » ne l’était pas dans le sud-est asiatique où la compatibilité mutuelle des trois éléments était due à une intervention stérilisante de grande échelle. A cela, s’ajoute la substitution imparfaite entre les titres nationaux et étrangers pour que la compatibilité soit accomplie. Hausmann et al. (1999) ont trouvé que durant les années 1990, les pays de l’Amérique latine ayant des taux de change fixes ont eu un plus grand approfondissement financier, mesuré par le rapport de la masse monétaire au PIB, et que la politique monétaire sous taux flottants, était très loin de montrer une plus grande autonomie, elle était plus pro-cyclique que celle sous taux fixes. Suite à ce débat, Cooper (1999b) arrive à une conclusion inattendue : hormis des économies larges et diversifiées à marchés financiers bien développés et sophistiqués, les libres mouvements de capitaux sont aussi fondamentalement incompatibles avec les taux de change flottants. Ainsi, à moins que les pays soient préparés à rattacher leurs monnaies d’une manière permanente à certaines devises majeures, ou d’adopter certaines d’entre elles comme monnaies nationales, ils peuvent choisir de préserver le droit de contrôler au moins certains types de mouvements des capitaux à l’intérieur et en dehors de leur territoires, dans l’intérêt de réduire la variabilité des taux de change nominal et réel. Il est assez faux pour Obstfeld et Rogoff (1995) de croire que l’expansion spectaculaire des marchés de capitaux a rendu le change fixe techniquement impossible. Le vrai problème ce n’est pas le mouvement des capitaux mais des objectifs gouvernementaux conflictuels. 3.3 Fragilité financière La question des mouvements de capitaux dans les PED est rarement traitée sans évoquer celle de leur fragilité financière. La thèse sous-jacente soutenant que les mouvements de capitaux fragilisent financièrement les PED repose sur l’idée que le change fixe qu’adoptent ces pays la facilite. Les flux de capitaux entrant sous forme de portefeuille, ce qui rend la gestion du taux de change particulièrement difficile, se sont multipliés en termes de valeur absolue entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1990 de 10 fois dans les pays industriels et de 20 fois dans les pays émergents. L’exemple le plus édifiant est celui de la crise mexicaine. En 1994, pour contrecarrer des pressions inflationnistes, les USA ont doublé leurs taux d’intérêt de 3% à 6%. Mais au Mexique où le Peso était ancré au dollar dans le cadre d’une stratégie de stabilisation, la transmission était immédiate avec un doublement des taux d’intérêt autour de 20%. C’était un des facteurs ayant provoqué la crise mexicaine qui a débuté en décembre 1994. En effet, face à une explosion de l’inflation (131% en 1987), 89 une lourde dette publique (77% du PIB en 1987) et un accès limité aux marchés internationaux de capitaux, le Mexique a entamé un programme de stabilisation en décembre 1987. Un pacte économique de solidarité a été signé entre les syndicats, les entreprises et le gouvernement consistant en un gel des prix, des salaires et des prix des services publics dans le but de contenir la hausse des prix et rompre l’inertie inflationniste. L’objectif prioritaire des autorités monétaires était d’éradiquer l’inflation. Un rattachement fixe au dollar a été annoncé en février 1988 et l’inflation est passée de 114% à 20% en 1989. La même année, un glissement pré-annoncé était introduit dans le régime de change, avec un taux inférieur à celui de l’inflation dans le but de conduire les anticipations à la baisse. Le taux maximum de dépréciation tolérée était négocié dans le cadre d’un pacte avec les syndicats. La stabilisation et les réformes économiques se sont accompagnées d’un afflux massif de capitaux qui a conduit les autorités monétaires à passer en novembre 1991 à un régime de bande glissante. Malgré l’élargissement graduel de la marge de fluctuation (de 1,2% en 1991 à 8,7% vers 1993) le régime n’était pas très flexible. Les autorités monétaires conduisaient sans cesse des interventions intra marginales pour défendre une bande implicite. L’ancrage nominal a certes permis une baisse substantielle de l’inflation, de 26,7 % en 1990 à 9,8 % en 1993, mais le rythme de désinflation était lent ce qui a provoqué une appréciation réelle et un déficit courant considérable depuis 1991. Des politiques de taux d’intérêt élevés et des interventions sur le marché des changes ont maintenu le Peso artificiellement fort et ont accentué l’appréciation réelle et la détérioration du solde courant et, en conséquence, augmenté les besoins en capitaux. Le pacte social signé entre le gouvernement et les salariés dépendait du maintien de l’ancrage nominal d’où la crainte d’une reprise de l’inflation en cas de rupture de l’engagement de change. Mais en 1994, le niveau de la surévaluation et le poids du déficit courant étaient devenus tels que l’insoutenabilité du régime était évidente et la dévaluation imminente, ce qui a retourné l’opinion des investisseurs. Des fortes pressions spéculatives ont contraint les autorités monétaires, en décembre, à abandonner le régime de bande glissante. Une défense plus poussée de la bande n’était pas possible en raison de la faiblesse des réserves de change et l’utilisation des taux d’intérêt était difficile à cause de la fragilité du système bancaire, qui a dû s’écrouler. Bien que le change fixe fournisse à la banque centrale une règle de conduite qui élimine le problème d’incohérence temporelle, il peut l’accroître en rendant l’action de la banque centrale moins transparente et moins responsable, autre facteur de fragilité financière. Le change fixe, l’ancrage en général, est alors accusé d’être un facteur de fragilité et de crise 90 financières. Ces dernières ont des effets dévastateurs sur l’économie qui font du taux de change fixe une stratégie très dangereuse (Mishkin 1998) et de la fragilité financière un facteur de transition vers des régimes de change plus flexibles. Nombre d’études récentes examinant les facteurs derrière les changements de régime de change (Collins 1996 ; Edwards 1996b ; Klein et Marion 1997 ; Edwards et Savastano 1999) insistent sur le fait que la transition d’un régime d’ancrage à une seule monnaie à un autre plus flexible a fait baisser le coût politique (perçu et courant) d’une variation du taux de change provoquée par les autorités. En fait, en dépolitisant les mouvements de change, les autorités sont devenues mieux équipées pour réagir avec flexibilité à tout choc, y compris ceux provenant des marché internationaux de capitaux. Même si ces derniers prélèvent des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs. L’argument de fragilité inhérente au change fixe le plus souvent avancé et discuté ne saurait cependant expliquer toute la fragilité financière des PED. Leurs systèmes politiques sont incapables de faire émerger un consensus large et durable en faveur de la stabilisation du taux de change par dessus tout objectif économique et social. En outre, alors que la dévaluation d’une monnaie précédemment ancrée peut accroître la compétitivité extérieure et même stimuler la croissance, les crises mexicaine et asiatique viennent nous rappeler que les dévaluations dans les PED peuvent être largement récessionnistes. En effet la dévaluation accroît le fardeau du service de la dette libellée en monnaies étrangères et détériore la condition financière des banques et des entreprises nationales qui seraient même ruinées en ne couvrant pas leurs engagements extérieurs. Le faible développement du marché de change et la faiblesse du système financier dans les PED y sont aussi pour beaucoup. Leurs fragiles systèmes bancaires sont incapables de résister à d’importants mouvements de capitaux et/ou de taux d’intérêt et de rivaliser avec des fonds de pension ou des banques d’investissement. Un mauvais fonctionnement du système bancaire et une politique de crédit inadéquate amplifient cette fragilité. Fratianni (2000) avance l’exemple de banques mexicaines qui, en réinvestissant dans l’économie nationale les flux de capitaux entrant, ont péché à la fois par la sélection délibérée de projets risqués et par manque de savoir-faire bancaire. Une forte croissance dans les crédits de consommation était l’un des aspects de cette gestion bancaire. La sortie de capitaux du Mexique n’a pas uniquement causé une dévaluation monétaire mais elle a aussi révélé l’importance de mauvais crédits précipitant le système dans une crise bancaire et obligeant le gouvernement à secourir les banques. L’échec du marché réside ici 91 dans une très faible supervision du système bancaire. Et c’est de la solidité de ce système que dépend, entre autres, l’impact des fluctuations du taux de change sur une économie. Cela n’est pas propre au Mexique. Les prêts bancaires enregistrent souvent une forte progression lorsqu’un pays bénéficie d’une accélération des entrées de capitaux, de surcroît quand la vigueur de la croissance encourage à investir davantage et que l’afflux des capitaux étrangers vient alors accroître la liquidité. Au Mexique, par exemple, les prêts bancaires privés ont augmenté au point de dépasser 27 % du PIB, en moyenne, sur la période 19891994, contre une moyenne d’environ 11% au cours des trois précédentes années. L’augmentation était de près de 20 points de PIB pour la même période en Indonésie et a dépassé 80 % en moyenne de PIB en Thaïlande de 1988-1997. L’expansion rapide de crédits s’accompagne souvent d’un optimisme croissant quant aux perspectives de l’évolution de l’économie en général et de la valeur des actifs en particulier dont l’appréciation consécutive, dans l’immobilier surtout, renforce encore le processus en accroissant la valeur des garanties des prêts et du patrimoine financier des ménages. C’est pourquoi, quand le secteur bancaire est mal surveillé et la réglementation prudentielle inadéquate, les banques privées risquent, en réagissant à l’augmentation des entrées de capitaux étrangers, de se retrouver en possession de portefeuilles contenant trop d’engagements en devises et trop d’actifs nationaux dont la valeur est vulnérable. Une dépréciation de la monnaie nationale peut alors entraîner de lourdes pertes pour le secteur bancaire et compromettre sa stabilité. Bien que divers mécanismes, tels que des fonds de garantie des dépôts, aient été mis en place ces dernières années dans certains PED, les pertes du secteur bancaire ont continué et le plus souvent à se répercuter sur le budget. Il est important, dans un tel contexte, que le maintien d’un régime des taux fixes ou de flottement dirigé ne soit pas interprété comme un engagement implicite des autorités à maintenir la valeur en devises de l’encours du crédit intérieur (Dooley 1996). La faiblesse des systèmes financiers nationaux peut néanmoins relativiser le rôle prépondérant des flux de capitaux dans les crises (Dornbusch et Park 1999). Les récentes ont certes causé l’abandon de beaucoup d’ancrages de taux de change, mais elles ont montré aussi le lien qu’il y a avec la fragilité de systèmes financiers (Eichengreen et Rose 1998 ; Chang et Velasco 2000b). La connexion entre crises bancaires et crises monétaires semble bien réelle (Kaminsky et Reinhart 1999) et il n’est pas surprenant pour le FMI (1998), selon son étude portant sur 51 pays et sur la période 1975-1997, qu’elles apparaissent presque en même temps. Dans ces cas, les crises bancaires ont précédé les crises monétaires plus souvent que le 92 contraire. Fratianni (2000) précise que les crises monétaires ne surviennent pas toutes avec des crises bancaires. Les premières ont été plus nombreuses dans la première moitié de la période (1975 à 1986) plus que dans la seconde période (1987 à 1997), alors que l’opposé est vrai pour les crises bancaires. La vitesse et l’ampleur de la libéralisation financière ont eu un impact important sur les crises bancaires. Imposer une supervision stricte à l’intérieur avant que le capital n’afflue dans le pays aussi bien qu’une meilleure révélation et à temps de l’information semble être la prescription largement partagée contre une survenance jointe des deux crises. Section 4 Les crises financières 25 Les facteurs derrière l’insoutenabilité du change fixe ou semi-fixe, ci-dessus discutés, débouchent tout naturellement sur la question de la viabilité d’un tel régime et donc sur celle de crises financières. Au cours des dernières années, de graves crises de change et bancaire ont prélevé un lourd tribut sur l’économie d’un grand nombre de pays, en particulier celle des pays à marché émergent. La restructuration du secteur bancaire s’est soldée dans bien des cas par un coût supérieur à 20% du PIB, et la baisse de la production a atteint jusqu’à 14%. Ces crises financières sont de plus en plus souvent imputées aux régimes de changes fixes, plus précisément aux parités fixes de type traditionnel. Quel éclairage peut alors apporter leur étude ? 4.1 Les différentes interprétations des crises Une littérature abondante a été consacrée à l’analyse et l’explication des crises de change. Elle a comme fondement l’instabilité du change fixe (Bensaïd et Jeanne 1996) et l’inévitabilité de sa chute. Le travail de Krugman (1979) sur les attaques spéculatives en est le 25 - Frankel et Rose (1996) définissent une crise comme une dépréciation de la monnaie d’au moins 25% et 10% au moins par rapport à l’année précédente. Milesi-Ferretti et Razin (1998) ajoutent trois autres définitions. La première correspond à un doublement, au moins, de la dépréciation par rapport à l’année précédente, où elle était en dessous de 40%. Les deux autres sont plus proches du concept de crise monétaire implicite dans les modèles théoriques, le taux de change est considéré relativement stable l’année précédente. La troisième correspond à une dépréciation d’au moins 15% et 10% au moins par rapport à l’année précédente où elle était moins de 10%. La quatrième suppose, en plus, un ancrage l’année précédant la crise. Reinhart et Rogoff (2004) parlent de crise sévère (moins sévère) quand la dépréciation mensuelle est d’au moins 25% (de 12.5%), soit 10% de plus que le mois précédent. Eichengreen et Rose (1998) proposent d’utiliser une moyenne pondérée des variations des taux de change, taux d’intérêt et réserves, où toutes les variables sont mesurées par rapport à celles d’un pays référence. Les crises sont alors définies comme des périodes où cet indice de pression spéculative atteint des valeurs extrêmes. 93 modèle de base ou la genèse de cette littérature 26 . Mais la prévalence récente des crises jumelles, qui associent des turbulences sur le marché des changes et des défaillances parmi les institutions bancaires ou financières, a provoqué une réorientation des analyses. Les crises de change ne sauraient seulement s’interpréter comme la sanction d’une situation macroéconomique insoutenable. Elles peuvent également être associées aux fragilités de caractère microéconomique apparaissant au sein des systèmes bancaires ou financiers. On distingue donc plusieurs générations de modèles selon que les sources de la crise sont prioritairement macroéconomiques, modèles de première ou deuxième génération, ou strictement financières et bancaires, modèles de troisième génération. Les modèles se différencient aussi en réponse à de profondes divergences théoriques, s’agissant des spécifications adoptées quant au comportement des investisseurs étrangers ou des théories de détermination du taux de change, et selon que l’on garde un cadre d’analyse macroéconomique ou bien que l’on adopte une modélisation de l’imperfection des marchés financiers et des crises systématiques qui provoquent la contagion globale d’un choc financier local. La première génération de modèles présente la crise de change comme des attaques spéculatives, c’est-à-dire des ruées sur les réserves de change (Krugman 1979 ; Flood et Garber 1984). C’est après une période de pertes graduelles de réserves, qu’une attaque spéculative parfaitement prévisible épuise ce qui en reste et force à l’abandon du change fixe. Une attaque spéculative est un changement discret dans le comportement des agents privés sur les marchés financiers en prévision de la future politique monétaire ou d’un changement de régime. Ce dernier peut se refléter dans la quantité des actifs ou dans leurs prix, quoique quelque chose de stochastique demeure nécessaire pour expliquer les opportunités de profits non prévus par le marché. Les modèles théoriques soutiennent que les attaques spéculatives se répandent différemment selon le degré de mobilité des capitaux. La présence du contrôle des capitaux peut rendre la dévaluation moins probable, accroître la capacité d’un gouvernement à repousser une attaque spéculative (Eichengreen et Rose 1998) et en protéger temporairement un régime de change fixe (Wyplosz 1986 ; Park et Sachs 1987), dans la mesure où elle empêche les résidents de spéculer contre la monnaie. Les modèles d’attaques spéculatives indiquent un nombre de facteurs jugés importants dans la prédiction des crises financières : 26 - Eichengreen (1998) offre une revue de crises monétaires et financière depuis le 19ème siècle. Grier et Grier (2001) rappellent quelques travaux qui ont tenté d’expliquer les crises monétaires en régressant la variable dépendante crises sur un ensemble de variables économiques et financières. 94 expansions monétaire et fiscale, déclin de compétitivité-prix, déficit du compte courant et pertes des réserves internationales. La crise est ainsi indissociable de l’apparition de déséquilibres persistants, sur le marché de la monnaie ou sur le plan budgétaire, qui entrent en conflit avec la contrainte d’un stock limité de réserves de change. Alors que certaines des prédictions de ces modèles ont été empiriquement évacuées, certaines attaques spéculatives ont eu lieu sans importants déséquilibres monétaires et fiscaux apparents. La seconde génération, celle de modèles à équilibres multiples (Obstfeld 1994, 1995, 1996) qui génèrent des attaques spéculatives auto-réalisatrices, dont Eichengreen, Rose et Wyplosz (1995) offre une revue, en est la réponse. L’échec dans la prédiction des attaques avant qu’elles ne surviennent en s’appuyant sur l’évolution des taux d’intérêt, par exemple, suppose qu’elles sont rarement liées à une détérioration tendancielle évidente de fondamentaux. L’explication peut résider dans les mouvements entre les équilibres multiples, en comparant les coûts de réputation d’un changement de régime à ceux supportés par l’économie réelle suite au maintien d’un taux de change inapproprié. Car les anticipations privées affectent les variables nominales sujettes à accommodation par les décideurs politiques. Les anticipations auto-réalisatrices peuvent valider différents équilibres. La crise peut refléter des changements de régimes générés plutôt par des modifications des anticipations que par celles des fondamentaux. Les modèles de deuxième génération endogéneïsent la politique du gouvernement et tendent ainsi à se focaliser sur les facteurs politiques, tels que le coût d’un chômage élevé ou d’un renoncement à la production qui résulte d’une défense stricte contre une attaque spéculative. De même qu’ils s’interrogent sur les choix gouvernementaux dans la défense de l’ancrage et sur l’arbitrage entre flexibilité et crédibilité. Cela ne veut pas dire pour autant que les fondamentaux ne soient pas pertinents, ce sont les paramètres structurels derrière l’évolution des variables des politiques économiques qui déterminent la faisabilité d’un des équilibres multiples. Les économies dont les fondamentaux sont solides, sont les moins sujettes à des attaques spéculatives dont la fonction est de mener l’économie d’un équilibre à un autre (Obstfeld 1996 ; Jeanne 1998, 1999). Les modèles à équilibres multiples n’offrent cependant pas de mécanisme qui fasse intervenir l’hétérogénéité de l’information chez les agents ainsi que des phénomène d’imitation ou de contagion. Les modèles de la troisième génération, apparus après la crise asiatique de 1997 (Pesenti et Tille, 2000 ; Cespedes, Chang et Velasco 2000), privilégient l’imperfection de l’information sur les marchés financiers et la fragilité des systèmes bancaires aux distorsions 95 macroéconomiques dans l’explication du déclenchement d’une attaque spéculative. Cependant, ils combinent des séquences de crises déjà spécifiées dans les deux générations précédentes et prennent en compte les facteurs bancaires et les engagements financiers. Ils traitent d’un type de crise de change à domination bancaire, ce qui fait dire à Cartapanis (2004) qu’ils ne sont pas des modèles de crises de change stricto sensu, liés à des distorsions de change, et suscitant des tensions sur le marché des devises. Leur objet est plutôt de spécifier une dynamique d’instabilité financière ou bancaire, sur la base de modèles de ruée bancaire ou des modèles de désajustements d’échéances au sein des bilans bancaires, en intégrant de nouvelles ramifications avec le marché des changes. Deux éléments importants caractérisent ces modèles. Le premier est relatif à la contagion. Les crises de change répondent à une série de causes, provoquant un mouvement de panique, et non pas à un déterminant unique. Cela intervient dans une configuration macroéconomique qui présente des failles ou suscite des interrogations, mais ce sont les déséquilibres bancaires qui dans un tel contexte provoquent un basculement d’opinion de vaste ampleur qui s’étend au marché des changes. De multiples contagions peuvent en effet surgir sur les marchés financiers nationaux et internationaux. L’existence d’une crise monétaire partout ailleurs dans le monde accroît, selon Eichengreen et Rose (1998), de 8% la probabilité d’une attaque sur la monnaie nationale, même en prenant compte de la variation des facteurs économiques et politiques intérieurs. La contagion s’effectue selon l’importance des liens commerciaux et la similarité des politiques et conditions macroéconomiques. Le deuxième élément est relatif aux mouvements de capitaux, en particulier avec les entrées excessives qui se trouvent, dans un contexte d’information imparfaite, à l’origine des tensions bancaires internes et, puis, du retournement des anticipations qui déclenche, in fine, une crise d’illiquidité. Trois éléments clés semblent, selon Kaminsky, Reinhart et Végh (2003), à l’origine du fait que la contagion touche un pays particulier. Premièrement, elle vient toujours juste après une montée des flux de capitaux entrants dont le retournement rapide et abrupt joue un rôle significatif. Deuxièmement, les annonces qui déclenchent des réactions en chaîne parviennent aux marchés financiers par surprise. La distinction entre des événements anticipés et des événements non anticipés apparaît critique, elle permet aux investisseurs d’ajuster ou non leurs portefeuilles. Troisièmement, dans tous les cas où il y a eu des répercussions significatives immédiates à l’échelle internationale, un acteur financier à fort potentiel de levée de fonds, banques commerciales ou fonds de pensions, était impliqué, aidant ainsi à propager la contagion. 96 4.2 Enseignements De toutes les études consacrées aux crises financières depuis la chute du système de Bretton Woods, un enseignement capital se dégage : Les désajustements et les crises de change se produisent aussi bien dans le cadre du change fixe que flexible (Klein et Marion 1997 ; Frankel et Rose 1996 ; Aliber 200027). Parmi les 116 crises recensées par Frankel et Rose entre 1971 et 1992 et concernant 100 PED, près de la moitié ont touché des régimes de change flexible sans affirmer pour autant qu’elles étaient nettement plus fréquentes dans un régime particulier. Dans les deux régimes, toutefois, elles se concentrent sur la période qui a suivi immédiatement la crise de la dette de 1982. La définition des crises et de leur ventilation entre régimes de change ne considère que les variations des taux de change sans tenir compte des interventions sur les marchés des changes ou de la hausse des taux d’intérêt, autres indicateurs des tensions. Les crises seraient peut être plus fréquentes en régime de change fixe que flexible. Mais quand ces crises surviennent-elles ? C’est l’autre enseignement de ces études. Selon Frankel et Rose (1996), elles ont tendance à survenir, quand la croissance est basse et que les niveaux des crédits intérieurs et des taux d’intérêt étrangers sont élevés. Un faible rapport de l’investissement direct à l’étranger à la dette y est aussi fortement associé, une baisse de 10% en augmente la probabilité de 3%. Le constat reste valable pour les pays industrialisés (Eichengreen et Rose 1998). La diversité des facteurs de rupture dans les régimes de change et leurs ampleurs traduisent celle des expériences vécues par les PED. Si les programmes de stabilisation fondés sur un taux de change fixe étaient le plus souvent de courte durée, la longévité des parités fixes dans ce même cadre a quant à elle varié selon les pays, soutiennent Klein et Marion (1994, 1997). Il ressort de leur étude de 1994, portant sur 87 régimes de ce type en Amérique latine et en Jamaïque et couvrant la période 1957-1990, que les cas d’abandon d’une parité fixe ont été nombreux. La durée de vie médiane était d’environ dix mois. La plupart des ruptures se présentaient sous forme de dévaluation fixant une nouvelle parité, plutôt que comme un mouvement vers des taux flexibles. Près d’un tiers des parités ont été abandonnées moins de sept mois après avoir été fixées et plus de la moitié avant la fin de la première année. La 27 - Il identifie 6 grandes crises financières dans les 25 dernières années, y compris crise de la dette au début des années 1980, suivie par une période de 10 ans où les prêts bancaires aux PED ont accru de 30% par an, et 3 crises impliquant le dollar : à la fin des années 1970, au début des années 1980 quand celui-ci était en appréciation, et dans la deuxième moitié des années 1980 quand il commençait à se déprécier. 97 probabilité d’abandon d’une parité est directement liée au taux d’appréciation réelle de la monnaie et au degré d’ouverture de l’économie, ajoutent-ils. Par conséquent, la durée pendant laquelle la parité fixe est maintenue dépend de l’importance que les autorités accordent à la compétitivité extérieure, une économie plus ouverte a plus à perdre de l’appréciation réelle de sa monnaie qu’une autre moins tributaire de ses échanges extérieurs. Outre le degré d’ouverture et la position extérieure nette du système bancaire, le désajustement du change réel a pesé de plus en plus dans la décision d’abandonner la parité. Des événements politiques, tel un changement inattendu de gouvernement, ont également joué un rôle considérable. Fautil aussi remarquer que l’ancrage durait plus longtemps quand il répondait à d’autres raisons que la correction des déséquilibres économiques. Le Honduras a maintenu la parité vis-à-vis du dollar de 1918 à 1990 et le Guatemala de 1926 à 1986 ; les 14 pays africains qui constituaient alors la zone franc ont maintenu eux aussi la même parité avec le franc français de 1948 à 1994 ; le rattachement de la zone monétaire des 8 pays des Caraïbes orientales au dollar est en place depuis le milieu des années 1960. Les crises financières des années 1990, les plus récentes d’entre-elles, qui ont reçu le plus d’attention apportent d’autres enseignements. Certains observateurs ont conclu que les régimes de change fixe sont d’une manière inhérente enclins à la crise et qu’il est de l’intérêt de la communauté internationale d’encourager l’adoption des régimes de flottement. Une conclusion qui est hautement critiquable. Les récentes crises ont en effet directement et défavorablement affecté plusieurs pays à marché émergent liés aux marchés financiers internationaux mais elles n’ont affecté les PED qu’indirectement, à travers les mouvements dans les prix et les flux commerciaux. D’autres facteurs, que la fixité relative de leurs régimes de change, étaient à l’origine des problèmes. En particulier, la Russie et le Brésil ont eu des sérieux problèmes fiscaux, alors que les pays asiatiques en crises ont eu des faibles secteurs financiers. La surévaluation demeure cependant le facteur clé de la crise monétaire (Dornbusch, Goldfajn et Valdès 1995 ; Sachs, Tornell et Velasco 1996 ; Kaminsky et Reinhart 1999). Plus elle est importante plus une dévaluation discrète est probable (Goldfajn et Valdès 1999). Mais, en se basant sur plusieurs approches d’évaluation du taux de change, Chinn (2000) finit par contester la thèse d’une sur-évaluation28 importante des monnaies asiatiques, très largement admise dans l’explication de la crise de 1997. Une interprétation 28 - Il y a au moins trois définitions large de la surévaluation : La première catégorie est basée sur les prix, exemple PPA. La deuxième est plus compliquée et liée à un certain critère basé sur un modèle formel de taux de change, comme le modèle monétaire. La troisième est issue d’une série de modèles basés sur des critères de moyen terme tels la solvabilité et la soutenabilité (souvent : compte courant/PIB ; exportation/Dettes). 98 autre que celle basée sur les fondamentaux macroéconomiques est donc envisageable. Justement, un consensus semble se dessiner dans l’explication des événements de l’Asie de l’est. Il ne présente pas la crise courante dans le sens traditionnel de désajustement de fondamentaux, mais plutôt une crise financière impliquant une asymétrie d’information, un aléa moral et des garanties gouvernementales implicites dans la forme de solvabilité du système bancaire (Corsetti, Pesenti et Roubini 1999 ; Chinn, Dooley et Shrestha 1999). Il y a même une corrélation très significative entre les variations des taux d’intérêt des pays industrialisés et les crises bancaires dans les pays émergents (Eichengreen et Rose 1998). Les taux d’intérêt des États-Unis, de l’Europe, tendent à croître significativement dans les années précédant le déclenchement des crises bancaires. La préférence au niveau des régimes de change dépend de la source de perturbations. Eichengreen (1998) considère que quand les menaces à la stabilité du système bancaire viennent de l’extérieur, la flexibilité de change découragerait les banques de dépendre excessivement des sources extérieures de finance et augmenterait la capacité des autorités à agir comme prêteurs en dernier ressort. Inversement, si elles émanent de l’intérieur, liées à la politique monétaire par exemple, un taux de change fixe apporterait de la discipline et évacuerait les chocs à travers le secteur extérieur. De ce point de vue, il n’y a pas de surprise à l’absence de corrélation simple entre le régime de change et la prévalence de crises bancaires. De toute évidence, les problèmes macroéconomiques ne fournissent pas l’entière explication des crises bancaires. L’explication n’est pas mono-causale. Coudert (2004) se demande ainsi si les changes fixes sont vraiment coupables ? C’est plus complexe qu’il n’y paraît. Les taux de change fixes ne sont pas les seuls à générer des problèmes liés à l’endettement en devises non couvert et au déséquilibre de bilans qui fragilisent le système bancaire. Les taux de change flottants ont tendance à en produire aussi, avec le biais inverse. Les agents tendent à se protéger contre la dépréciation de leur monnaie et sa volatilité en effectuant des dépôts en dollars, alors que l’endettement en devises est découragé. Un déséquilibre des bilans bancaires en résulte. C’est ce que montre l’étude empirique de Arteta (2003) sur un grand échantillon de pays émergents ; le déséquilibre des dépôts et crédits en dollars est significatif en changes flottants, les dépôts étant supérieurs aux crédits, alors qu’il ne l’est pas en changes fixes. Ces problèmes résident aussi dans ce qu’on désigne par « péché originel » qui empêche les pays d’emprunter à l’étranger dans leur propre monnaie. Eichengreen, Hausmann et Panizza (2003) mesurent la corrélation entre un indicateur chiffré du « péché originel » et les régimes de change. Leurs résultats montrent que, 99 plus le pays souffre du « péché originel », plus il sera susceptible d’adopter un taux de change fixe. Cependant, l’équilibre du bilan en devises ne suffit pas à faire disparaître le risque pour les banques. Car même si le bilan est équilibré en terme de devises, une dévaluation peut augmenter les créances irrécouvrables, prêts aux entreprises nationales, et mener à des faillites en chaîne comme dans le cas de la « crise asiatique » de 1997-1998. Les crises s’expliquent en partie par une libéralisation trop rapide et des systèmes financiers nationaux trop fragiles. L’ouverture financière semble peu compatible avec la stabilité du change. Un dernier éclairage peut être donné par la large et grandissante littérature modélisant et testant empiriquement les déterminants de crises monétaires. Elle utilise plusieurs indicateurs et elle est, en grande partie, consacrée à l’étude de la mécanique de crises dans les PED. Kaminsky, Lizondo et Reinhart (1998) passent en revue 28 contributions qui utilisent un total de 105 variables explicatives dont les principales, en nombre de fois, sont : le taux de change réel (14 fois), les réserves internationales (12), la croissance du PIB réel (9), le compte courant (7) et la croissance de crédit (7). Elle a porté, entre autres, sur le lien entre dévaluation et comportement du compte courant et production (Edwards 1989), les indicateurs menant aux crises de balances des paiements et crises bancaires (Kaminsky, Lizondo et Reinhart 1998 ; Demirgüç-Kunt et Detragiache 1998), les effets de contagion de la crise mexicaine sur les autres marchés émergents (Sachs, Tornell et Velasco 1996), l’étude transversale de crises monétaires dans les pays à faibles et moyens revenus (Frankel et Rose 1996 ; Milesi-Ferretti et Razin 1998). Une conclusion générale peut alors en être tirée : les crises s’avèrent difficiles à prévoir et n’ont pas un seul meilleur indicateur. Bien qu’elle rapporte des éléments d’évaluation des seuils du déclenchement des crises de change, notamment pour les variables les plus significatives, l’analyse de Kaminsky, Lizondo et Reinhart (1998) confirme également la difficulté d’un tel exercice en raison du caractère toujours très spécifique d’une crise de change et de la diversité des contextes nationaux derrière la crise de confiance des investisseurs étrangers. Ces résultats confortent cependant la supériorité des modèles à équilibres multiples et il est difficile, comme le constatent Eichengreen, Rose et Wyplosz (1995) et Krugman (1996), d’attribuer la chute d’un ancrage à la détérioration de fondamentaux ou à des prophéties auto-réalisatrices. Le déclenchement d’une attaque spéculative, même dans une situation macroéconomique dégradée, n’est nullement automatique, et nécessite un retournement d’opinion qui n’obéit pas qu’à des facteurs fondamentaux. C’est le cas de la crise russe de 1998, alors même que la situation économique semblait s’améliorer. Il est nécessaire d’intégrer aux indicateurs d’alerte des variables 100 représentant la configuration économique du pays concerné et la fragilité du système bancaire et financier. Un indice de crise de change large et synthétique peut alors être établi comme le font Cartapanis, Dropsy et Mametz (1999). 4.3 Problème de sortie et transition involontaire dans les régimes de change Du débat sur les crises financières, émerge la question du caractère volontaire ou non de la transition dans les régimes de change. En effet, le passage d’un régime de change relativement fixe à un autre de plus grande flexibilité est souvent présenté comme une démarche volontaire. Auquel cas, elle s’effectue dans des situations de non crises, ce qui n’entame pas la crédibilité politique et n’entraîne pas de rupture économique majeure. Mais l’expérience a montré aussi qu’un ancrage ajustable ou un flottement étroitement géré avec des larges ajustements occasionnels demeure un régime difficilement soutenable. Le pays se trouve ainsi forcé d’adopter un régime de change différent de ce qui est couramment suivi. La transition a en quelque sorte un caractère involontaire. C’est d’autant plus manifeste quand les fondamentaux économiques ne laissent entrevoir aucune justification. Begg (1998) évoque l’exemple de la monnaie tchèque, victime innocente, selon lui, de l’agitation en Asie. La république tchèque a dû abandonner, en Mai 1997, son taux de change fixe, pièce centrale de sa stratégie macroéconomique depuis 1991. Après que la crise fut calmée, la compétitivité est revenue à son niveau précédent. Le problème de sortie d’un régime de change fixe est ainsi posé. Eichengreen (1999b) souligne deux constats majeurs. Le premier est que les sorties d’un régime de change fixe sont généralement précédées d’une appréciation réelle graduelle et suivies d’une dépréciation nominale plus prononcée. La volatilité des taux de change nominal et réel fait un grand bond autour du moment de sortie et reste élevée quelques mois après. Le deuxième soulève le fait que ces changements de régimes ne s’étaient pas produits sous des circonstances favorables : baisse des réserves, de la production et des exportations. Les résultats de Masson et Ruge-Murcia (2003), qui étudient la transition dans les régimes de change utilisant un modèle chaîne de Markov et où les probabilités sont paramétrées comme fonctions non linéaires des variables suggérées par la littérature sur les crises monétaires et les ZMO, indiquent, en utilisant des données annuelles, qu’une inflation élevée et à une moindre mesure une croissance et une ouverture commerciale faibles, tendent à accroître les sorties des régimes en cours. Ceci est compatible avec les modèles de crises monétaires quand on considère les sorties des régimes intermédiaires ou de change fixes, mais aussi avec l’utilisation volontaire des taux fixes ou quasi-fixes dans les stabilisations basées sur les taux 101 de change. Au contraire, les réserves semblent avoir peu d’effet systématique. Elles expliquent significativement les transitions seulement pour les pays à marché émergent. On en déduit que la mobilité de capital peut être plus faible pour ces économies que pour les pays développés, qui peuvent avoir accès aux marchés internationaux de capitaux même dans une crise. Les pays concernés par des transitions difficiles semblent, selon Eichengreen, Masson et al. (1998), avoir attendu, que leurs monnaies fussent sous pression. L’expérience révèle que la volatilité de change était élevée, la valeur de la monnaie avait énormément baissé et la production était longtemps dépressive. A cela s’ajoute le fait que les décideurs politiques hésitent souvent devant les initiatives de sorties, cela impliquerait un risque politique. La sortie se fait souvent sous la pression des marchés financiers. Il semble exister une « peur du flottement » généralisée, qui est étroitement liée à des problèmes de crédibilité. Les causes fondamentales de la réticence prononcée des pays à laisser flotter leur monnaie sont multiples. Quand les circonstances sont propices, c’est-à-dire en présence d’entrées de capitaux et de variations favorables des termes de l’échange, par exemple, les pays hésitent bien souvent à laisser leur taux de change s’apprécier. C’est probablement qu’ils craignent une perte de compétitivité et un recul marqué dans la diversification de leurs exportations. Quand les circonstances sont défavorables, les arguments qui militent contre une forte dépréciation sont peut-être encore plus puissants. La crainte d’un effondrement du taux de change découle de la dollarisation généralisée des engagements, la dette tant publique que privée est en grande partie libellée en devises, auquel cas, une dévaluation peut entraîner une récession de l’économie. La dette exprimée en monnaie locale s’accroît à un rythme plus rapide que celui auquel le pays peut se procurer des devises afin d’en assurer le service. Lorsque ce point est atteint, une dynamique explosive, susceptible de menacer la viabilité de la balance des paiements courants, se met en mouvement. Une dévaluation rapporterait certes des devises mais qui seraient, avec un choc négatif frappant le principal produit à exporter, insuffisantes pour compenser l’alourdissement du solde courant. Si le pays avait d’importantes dettes à court terme, la balance courante pourrait faire l’objet d’un autre choc négatif avec l’augmentation de la prime de risque exigée sur les emprunts. Ces raisons font qu’en général les dévaluations dans les PED se sont accompagnées de récessions plutôt que de périodes d’expansion stimulée par la croissance des exportations. 102 Section 5 Régimes de change de facto L’étude de la transition dans les régimes de change dans les PED et l’exploration de moult raisons derrière cela, nous montrent qu’un régime de change officiel est presque intenable en présence des politiques économiques incompatibles entre elles et avec les stratégies du développement, des conflits d’objectifs, des chocs internes et externes, des cycles économiques désynchronisés avec ceux de pays industrialisés. Un environnement de forte mobilité de capitaux et de grande ouverture sur l’extérieur ne fait qu’exacerber le constat. Le recours à des politiques de facto pour atténuer la tension qu’imposent ces facteurs implique aussi le recours à un régime de change de facto, effectif. Quelles sont les raisons derrière ce régime, comment l’identifier, comment fonctionne-t-il et quels enseignements y pouvons-nous tirer ? 5.1 Raisons et identification des régimes de facto La classification de régimes de change adoptée par le FMI de 1975 à 1998 souffre de plusieurs insuffisances. La plus importante a été son échec à saisir les différences entre ce que les pays déclarent faire et ce qu’ils font en pratique et aussi de distinguer entre des formes très rigides de régimes d’ancrage et des ancrages plus souples. Pour remédier à ces insuffisances, le FMI (1999) a adopté un système modifié, devenu officiel dès janvier 1999, distinguant entre divers types de régimes ancrés et classant les régimes de change en se basant sur les politiques de facto de pays. Il présente une amélioration remarquée par rapport à la classification précédente qui demandait aux Etats membres de déclarer eux-mêmes leurs régimes. Il arrive donc qu’un régime soit qualifié officiellement de «flottement dirigé » ou de «flottement indépendant », alors même que les autorités continuent d’utiliser le taux de change d’une manière active comme instrument de politique économique et que, dans la pratique, elles le fixent elles-mêmes. Ainsi faut-il dans la classification des régimes de change, distinguer entre le régime de jure et celui de facto. Le premier est basé sur l’engagement public de la banque centrale et le second sur le comportement observé du taux de change. Aucune méthode n’est entièrement satisfaisante. La classification de facto a l’avantage d’être basé sur un comportement observable, mais elle ne permet pas de savoir si une stabilité du taux de change nominal résulte de l’absence de chocs ou des actions politiques pour les éviter. Elle ne capte pas ce que peut être l’essence d’un régime de change, l’engagement de la banque centrale à intervenir sur le marché de change. La classification de 103 jure capte l’engagement officiel, mais ne contrôle pas l’incohérence de la politique suivie avec l’engagement, ce qui entraîne, dans le cas du change fixe, une chute ou des changements fréquents de parité transformant un ancrage de jure à un flottement de facto. Il est difficile, en pratique, de distinguer le régime de change effectif du régime officiel. Différentes méthodes statistiques et économétriques ont tenté de définir les régimes de change de facto en se basant sur les politiques mises en œuvre et leurs résultats. Elles emploient, par exemple, l’inférence statistique, la chaîne de Markov (Masson 2001 ; Bubula et Ötker-Robe 2002 ; Masson et Ruge-Murcia 2003) ou la méthode de moments (Bénassy-Quéré et Coeuré 2000). La classification établie par Levy-Yeyati et Sturzenegger (2002 et 2003) repose sur les variations du taux de change et des réserves officielles pour classer les régimes de change en quatre catégories : flexible, dirty float, crawling peg et fixe. La première correspond à une volatilité élevée du taux de change et faible au niveau des réserves. Le cas opposé est celui de la quatrième catégorie, le fixe. Une volatilité relativement élevée de toutes les variables caractérise le « dirty float », alors que des variations de change significatives mais stables et une intervention active correspondent au crawling peg. Les pays sans variabilité significative en toute variable sont inclus dans le groupe « non conclusif ». On y trouve des pays à régimes de change très différents, de la France au Népal en passant par l’Argentine. Cette classification présente une faiblesse majeure qui réside dans son approche purement statistique. En effet, la stabilité du taux de change et les mouvements de réserves peuvent avoir d’autres origines que des politiques d’intervention. La classification ne couvre en fait que 110 pays où les données pertinentes sont disponibles et laisse un grand nombre de pays dans la catégorie « non conclusif ». Frankel, Schmukler et Serven (2001), proposent d’introduire la notion de vérifiabilité. Par cela, ils soulignent la capacité des acteurs sur un marché à conclure statistiquement à partir des données observables que le régime de change annoncé par l’autorité est en vigueur. Ils considèrent, par exemple, qu’un régime d’ancrage est en général vérifié s’il passe deux tests. Le premier est l’échec dans le rejet de l’hypothèse que le taux de change suit un panier annoncé. Le second est qu’on trouve des paramètres du panier statistiquement significatifs, comme le rejet d’un comportement aléatoire de la monnaie. Si un régime panier-bande annoncé ne passe pas les deux tests, on peut soutenir qu’il n’est pas vérifiable. Le pays ne peut donc profiter de la crédibilité qu’offre un régime d’ancrage. Cette crédibilité est tant observée par les travailleurs et les producteurs, qui fixent les prix et les salaires, comme par 104 les spéculateurs qui ont la capacité d’attaquer les réserves et de provoquer une crise. La viabilité nécessite la vérifiabilité. Bénassy-Quéré et Coeuré (2002) proposent une méthode destinée précisément à la détermination de l’ancrage, en prenant en compte les ancrages de facto sur des paniers de monnaies, qui sont souvent négligés dans les autres classifications. Calvo et Reinhart (2002) croisent plusieurs critères pour identifier les régimes de change de facto pour un échantillon de plus de 150 pays, de janvier 1970 à avril 1999. Ils prennent en compte les variances des taux de change, des taux d’intérêt et des réserves officielles. Le régime de change flottant est caractérisé par une variance forte pour le taux de change et faible pour les réserves. Au contraire, par nature, les régimes de change fixe présentent une faible variance de change ; ils peuvent s’accompagner selon les cas par une forte variance des réserves ou des taux d’intérêt. En introduisant une nouvelle classification, dite « naturelle », Reinhart et Rogoff (2004) ont aussi amélioré les méthodes existantes sur deux points ; en utilisant les taux de change sur les marchés parallèles de 153 pays et remontant jusqu’à 1946 quand il existait un double marché des changes. Ils utilisent des données mensuelles, ce qui permet de s’affranchir des problèmes de changement de régimes en cours d’années. Ils ont aussi introduit une nouvelle catégorie de monnaies, dites « en chute libre » et caractérisent les pays à forte inflation (plus de 40% l’an). Ces monnaies étaient auparavant regroupées à tort avec les taux de change flottants, ce qui contribuait à surestimer le biais inflationniste de ce régime. Le point faible de cette classification est qu’elle est basée uniquement sur le comportement du taux de change. 5.2 Fonctionnement des régimes de facto Certains pays ayant des régimes d’ancrage montent des dévaluations fréquentes, utilisant le taux de change comme un gilet de sauvetage pour la compétitivité à l’export, et rendent par là leur régimes moins distincts d’un régime flexible. D’autres, déclarant avoir des régimes flottants, ancrent ou gèrent informellement le taux de change. Cela reflète, entre autres, des tentatives pour éviter les coûts politiques de dévaluations visibles, le désir d’utiliser le taux de change afin d’ancrer l’inflation ou tout simplement la peur du flottement. Le recours à des régimes de facto réduit la transparence de la politique de change, rend la surveillance effective des politiques des pays membres difficile et brouille les implications que l’on peut en tirer (Bubula et Ötker-Robe 2002). Un régime de panier est l’exemple le plus simple pour illustrer le fonctionnement d’un régime de facto. Le plus important dans ce 105 régime est sans doute les poids attribués aux monnaies composant le panier qui peuvent être fixés d’une manière discrétionnaire. Pour les autorités, révéler les poids rendrait la politique de change moins efficace et encouragerait des transactions spéculatives. Mais cela leurs confère la liberté de les manipuler. Cette gestion a valu, selon Rhee et Song (1999), à la Banque centrale coréenne d’être accusée par le gouvernement américain de manipulation de taux de change et d’abus d’utilisation arbitraire des poids dans le panier. L’intervention reste cependant le moyen le plus fréquemment et communément utilisé pour s’écarter du régime officiel et asseoir un autre de facto. Elle est définie comme une vente ou achat officiel d’actifs étrangers contre actifs nationaux, la fréquence et le volume dépendent du degré d’activisme accordé à la politique de change. Il y a deux types d’interventions : celle qui est stérilisante n’affecte pas l’offre de monnaie et celle qui ne l’est pas l’affecte. La plupart des banques centrales utilisent l’intervention stérilisante pour neutraliser les effets expansionnistes sur l’offre de monnaie. Il y a plusieurs façons d’entreprendre des opérations d’intervention stérilisantes. En somme, l’intervention est stérilisante quand la vente des réserves en devises s’accompagne de l’achat simultané et égal de titres en monnaie nationale. L’effet net est de modifier les offres relatives des titres en monnaie nationale et en devises détenues par le privé. L’aspect stérilisant ou non de l’intervention soulève la question de son efficacité. Ceux qui avancent que l’intervention est stérilisante envisagent deux canaux : portefeuille et signalisation. Dans les modèles d’équilibre de portefeuille, les investisseurs diversifient leurs détentions entre actifs nationaux et étrangers basés sur les rendements anticipés et le risque. Plus ils sont des substituts imparfaits dans les portefeuilles des investisseurs, plus une variation des rendements relatifs anticipés est nécessaire pour qu’une intervention puisse changer l’offre d’actifs nationaux. Les opérations d’intervention affectent le taux de change à travers le canal de signalisation quand elles sont utilisées par la banque centrale comme moyens d’information sur les politiques futures. Si les participants sur le marché considèrent crédibles les signaux de l’intervention, alors les interventions modifieront les anticipations des fondamentaux futurs. Le marché révise aussi ses anticipations concernant le taux de change spot dans le futur, qui apporte un changement dans le taux courant. Comme une variante du canal de signalisation, Huang et Xu (1999) introduisent celui de l’opérateur non informé. Puisque le taux de change est déterminé par l’offre et la demande marginales dans le court terme, la banque centrale peut modifier le taux de change par une intervention discrète sur le 106 marché quand il est relativement faible et incertain. Les opérateurs non informés voient cette modification comme un signal naissant du mouvement futur, ils tenteront alors d’influencer le mouvement de change plus loin dans leur direction. Concernant l’efficacité de l’intervention, bien qu’il soit admis qu’une banque centrale puisse encore contrôler le taux de change, son intervention directe semble être moins efficace. Les marchés de change s’élargissent, les régimes de change deviennent plus flexibles et les marchés financiers nationaux plus développés et intégrés au marché international. Certains cas particuliers méritent, néanmoins, qu’on s’y attarde. Ils sont révélateurs du fonctionnement du change de facto et des cas d’interventions réussies. Quirk (1994) souligne le rôle qu’a joué la gestion des politiques d’intervention et de stérilisation pour contourner les effets expansionnistes des flux de capitaux entrants dans les cas les plus réussis du flottement. Les interventions peuvent faire émerger une règle de fait, progressivement interprétée comme un engagement des autorités (Bénassy-Quéré et Coeuré 2000). Plus précis, Edwards et Savastano (1998) soutiennent que ce qui est particulièrement intéressant dans l’expérience mexicaine de 1996-1997 est que la faible volatilité du Peso est due à une politique de stabilisation. Ils en concluent qu’un pays à revenu intermédiaire peut avoir un régime de change flottant fonctionnant raisonnablement. Cela semble se confirmer avec le constat de Frankel, Schmukler et Serven (2001). 5.3 Enseignements La prise en compte de l’existence de régimes de change de facto, par leur détection et leur fonctionnement, se révèle d’une grande importance dans l’analyse des questions relatives aux régimes de change. Ainsi, plusieurs enseignements peuvent en être tirés comme celui qui concerne la classification officielle des régimes de change fournie par le FMI et le débat au sujet de la transition vers le flottement. En effet, de nombreuses études soutiennent que cette classification exagère la flexibilité courante des taux de change, au point de l’ignorer complètement et d’en adopter une autre de facto. L’examen fait par Reinhart (2000) des systèmes de change des pays asiatiques avant la crise de 1997 révèle qu’ils se comportaient très probablement longtemps comme un ancrage au dollar. Alors que seule la Thaïlande était classée comme ayant un ancrage. Les Philippines étaient cataloguée comme ayant des taux de change flottant librement et les autres étaient regroupés sous le label de flottement géré. Au total, les résultats offrent une vision du système monétaire international très différente de ce 107 qui est couramment décrit. Il n’y a pas de mouvement vers davantage de flottement ni de recul des régimes intermédiaires, mais on observe de nombreux ancrages de facto (Levy-Yeyati et Sturzenegger 1999 ; Bénassy-Quéré et Coeuré 2000). Reinhart et Rogoff (2004) trouvent que seuls 20% des pays annonçant un flottement pur le pratiquent effectivement et que 45 % de régimes officiellement classés fixes ou ancrés devaient, en fait, être classés comme à flexibilité limitée, flottement géré ou libre. Les chances qu’un régime soit officiellement classé « flottement géré » quand il y avait un ancrage de facto ou crawling peg était d’environ 53%. Les ancrages comptent pour près de 33% et le régime le plus populaire était le crawling peg avec près de 26% d’observation. Les exemples n’en manquent pas et une conclusion simple s’impose : le flottement libre n’est généralement pas un choix délibéré et le flottement libre pur est plutôt rare. Pour Rogoff et al. (2004), les régimes intermédiaires demeurent prépondérants, particulièrement parmi les économies émergentes et autres économies en développement. La fréquence des changements de régime aujourd’hui est à peu près la même qu’il y a 50 ans. Depuis 1940, chaque année, environ 7% des pays ont changé de régime. A l’exception des modifications liées à des événements mondiaux ou régionaux majeurs, les changements dans les régimes de facto ont été aussi fréquents dans la période post Bretton Woods que pendant la période des changes fixes. Ainsi, la plupart des pays déclarant laisser flotter leur taux de change ne le font pas et les annonces de transition vers des taux de change flottants sont dénuées de conséquences. Il semble être, pour Calvo et Reinhart (2002), une « peur du flottement » qui est très liée aux problèmes de crédibilité. Les causes sont multiples. Quand les circonstances sont favorables, entrée de capitaux et chocs positifs des termes de l’échange, beaucoup d’entre eux hésitent à permettre à leurs taux de change de s’apprécier par peur des problèmes tels une perte de compétitivité et un recul de diversification des exportations. Inversement, des circonstances défavorables laissent envisager, voire rendent obligatoires, les dépréciations. Mais les dettes extérieures largement libellées en devises fortes entretiennent la peur d’une chute des taux de change fixes, particulièrement une dollarisation, en cas de dépréciation. Alesina et Wagner (2003), par analogie au terme de « peur du flottement », utilisent celui de « peur de l’ancrage » pour désigner une certaine incapacité de garder un ancrage. Leurs résultats suggèrent que les pays dont la qualité institutionnelle est faible ont une difficulté à maintenir l’ancrage et l’abandonnent le plus souvent. Au contraire, ceux dont les institutions sont relativement solides affichent une peur du flottement. Ils ont peur que les marchés considèrent les larges fluctuations des taux de change, des dévaluations en particulier, comme un signe de 108 mauvaise gestion économique. Ces pays ont ancré plus qu’ils l’ont annoncé pour signaler la stabilité. Calvo et Reinhart (2002) avancent aussi que les pays qui sont classés comme ayant du flottement géré ressemblent, la plupart, à des ancrages non crédibles, la soi-disant disparition de régimes intermédiaires n’est qu’un mythe. Pour Salvatore (in Fratianni et al. 1998) le régime de change flottant n’est pas loin, il n’est qu’une hypothèse théorique puisque depuis 1973, la somme d’interventions de la banque centrale sur les marchés de change était la même que celles prises sous le régime de change fixe de Bretton Woods. En somme, les régimes intermédiaires continuent de constituer une part importante des régimes de change courants et le passage à des régimes plus flexibles observé depuis les années 1970 semble moins prononcé que dans les déclarations et classifications officielles. L’adoption des taux de change flottants par les PED est un phénomène qui doit être évalué attentivement. Les performances économiques qu’un pays peut atteindre ne sont que le résultat d’une synthèse entre le régime de change adopté, les objectifs qu’un pays s’assigne et les contraintes qui lui sont imposées. Mais, comme nous venons de voir, en pratique le régime de change diffère du régime officiel. Il paraît donc cohérent d’associer, si association il y a, les performances économiques aux régimes de facto. Cela pourrait aider à expliquer pourquoi des études se basant sur une classification officielle n’ont pas trouvé des différences significatives dans les taux de croissance entre les régimes d’ancrage et ceux de flottement. 109 Chapitre 3 Gestion de change et performances économiques au Maghreb Les deux premiers chapitres nous livrent un message d’une grande importance en ce qui concerne la conduite des politiques et régimes de change dans les PED. Il faut en effet y nuancer tout discours traitant du taux de change. Les transitions dans les régimes de change ne sont pas linéaires et n’obéissent pas aux mêmes critères partout. L’insoutenabilité du change fixe n’est pas si évidente qu’on veut nous le faire croire, ni théoriquement ni empiriquement, de même que les facteurs qui la provoquent. La relation entre flexibilité de change et meilleures performances économiques ne tient guère. Il s’agit pour nous dans cette partie de vérifier cela dans le cas des pays du Maghreb. Nous cherchons à présenter les traits généraux qui ont caractérisé et qui y caractérisent la gestion de change. Un aperçu historique nous semble d’abord indispensable pour entreprendre notre étude, c’est l’objet de la première section. Ensuite, dans deux autres sections, nous analysons les évolutions des taux de change, dans toutes leurs formes possibles, ainsi que les questions qui leurs sont relatives comme l’intervention, la volatilité ou la flexibilité. Enfin, dans une dernière section, nous analysons, à travers certaines variables macroéconomiques, la relation du taux de change et des régimes de change aux performances économiques. Section 1 Aperçu sur le fonctionnement des régimes de change au Maghreb L’observation, année après année, des déclarations officielles des régimes de change nous a permis de détecter des changements dans les régimes de change des pays du Maghreb. Nous avons constaté qu’au 31/11/1983, la Tunisie et l’Algérie déclaraient déterminer la valeur de leurs Dinars par rapport à un panier de monnaies. Alors que le Maroc fixait la valeur du Dirham selon un régime de flottement dirigé. Aucun changement de régime n’a été décelé dans les déclarations officielles jusqu’au 30/09/89 où un flottement dirigé était déclaré en Tunisie. Le 30/09/1992, le Maroc déclarait rattacher le Dirham à un panier de monnaies et le 30/09/1995, un autre régime de flottement était déclaré en Algérie. Selon les dispositions au 31/12/ 2001 présentées en termes de régimes de change et du cadre de politique monétaire, la Tunisie a déclaré suivre un système de parités mobiles et que le cadre de la politique monétaire était un objectif d’agrégats monétaires. L’Algérie suit un régime de flottement 110 dirigé sans annonce préalable de la trajectoire du taux de change. Le pays n’a pas de point d’ancrage nominal défini, il base plutôt sa politique monétaire sur le suivi d’un certain nombre d’indicateurs. Le Maroc opte pour un régime de parité fixe par rapport à un ensemble de monnaies. Depuis, les trois pays déclarent suivre les mêmes régimes avec quelques nuances dans les modalités pratiques. Cela suggère que la monnaie de chaque pays maghrébin a connu au moins trois phases majeures, plus ou moins longues, de son évolution depuis l’indépendance. La première a pris fin avec l’avènement du flottement, la deuxième va jusqu’au milieu des années 1980 et la troisième depuis. Nous essayons dans ce qui suit de dégager les principaux aspects de cette évolution. 1.1 Le temps de l’instabilité Les perturbations affectant les marchés de change internationaux suite à la crise de 1971, le flottement des monnaies dès 1973 et tout particulièrement l’instabilité de la monnaie française, ont mis en cause une certaine stabilité des taux de change au Maghreb. Elle est le résultat d’un choix reflétant la structure des échanges extérieurs des pays à cette époque et leurs relations historiques avec la France. Les monnaies maghrébines étaient alors rattachées au Franc français (FF), tout en apportant des corrections, selon la variation de l’or monétaire comme en Tunisie, mais aussi en instaurant un contrôle de change et une gestion dirigiste. Face à cette instabilité, chaque pays du Maghreb a réagi à sa façon pour accroître la stabilité de sa monnaie. Ainsi, le Dinar tunisien était rattaché, en plus du FF, au Mark allemand comme moyen de correction à la place de l’or. Cela a duré jusqu’à Avril 1978 où un panier intégrant le Dollar américain était adopté pour juguler une forte appréciation. Le panier était élargi en 1981 pour inclure la lire italienne et le franc belge et plus tard le florin hollandais et la peseta espagnole (Domaç et Shabsigh 1999). Mais la récession et les problèmes de la balance des paiements du milieu des années 1980 ont exercé des fortes pressions sur le Dinar mettant un terme à ce mode de gestion. Quant au dirham marocain, le lien au FF était rompu le 17 Mai 1973 et un régime de flottement géré, avec l’objectif de maintenir un taux effectif relativement stable par rapport à un panier de devises, était mis en place. A cela s’ajoute la création d’une prime dirham le 30 juillet 1973 accordant aux travailleurs marocains à l’étranger une prime de 5% sur les 111 transferts de leurs revenus en devises. Une seconde prime était accordée aux travailleurs en France sur la base d’un dirham pour un FF. Le 23 septembre 1980, les poids dans le panier ont été modifiés dans le but de prendre en compte les changements dans la configuration du commerce extérieur et la structure des devises utilisées dans les règlements extérieurs. Le système de primes était supprimé le 31 Décembre 1980. Un nouvelle politique de taux de change visant une importante, mais graduelle, dépréciation réelle du dirham est alors mise en route durant la période 1980-1985. En ce qui concerne le Dinar algérien, l’instabilité du change du début des années 1970 a coïncidé avec un grand virage dans la gestion des affaires économiques entamé dès 1971. Il s’agissait de l’application d’un nouveau système de gestion des entreprises publiques et le lancement des plans de développement économique. De nombreux textes juridiques sont venus réglementer l’investissement. Un monopole total de l’état sur l’économie est alors en fonction. Toutes les opérations de production et de commercialisation sont confiées aux offices de l’Etat. Les textes juridiques ont fixé les modalités d’accès au marché de change. Toutes les importations inscrites dans le cadre du monopole sont soumises à une autorisation et tout produit ne figurant pas dans ce cadre nécessite une licence d’importation. Les entreprises publiques et privées ne peuvent pas bénéficier de la rétrocession des devises générées par leurs activités avec le reste du monde, à l’exception des sociétés d’économie mixte dont le montant de rétrocession est fixé à 20%. Ainsi à partir de 1974, les restrictions d’accès au marché de change accompagnées de politiques de contingentement des importations ont donné naissance à un marché de change parallèle. Cela était conforté, après le choc pétrolier de 1973, par le relèvement artificiel du niveau de vie de la population dû à la rente pétrolière. Accaparée par l’appareil d’Etat, la rente était au cœur d’un système de gestion des affaires publiques qui a rendu l’économie algérienne totalement dépendante du marché mondial de l’énergie. Cette dépendance n’a cessé de s’aggraver depuis du fait de la politique mono exportatrice d’hydrocarbures. 1.2 Le temps de la réforme Les monnaies des pays du Maghreb, rattachées à des paniers de devises reflétant leurs échanges avec les principaux partenaires commerciaux, ont fait jusqu’ici l’objet d’une gestion fortement centralisée. La récession et les déséquilibres des balances commerciales du milieu des années 1980, dus essentiellement à la détérioration des termes de l’échange, ont exercé 112 beaucoup de pressions sur les monnaies maghrébines. En réaction, des tentatives ont été faites pour stabiliser le taux de change en modifiant les poids du panier monétaire et recourant à des dévaluations. La Tunisie a dévalué le Dinar en août 1986 et entamé une dépréciation jusqu’au début de 1989. La dépréciation nominale du dinar durant 1985-1988 n’était pas suffisante pour maintenir le niveau du taux de change réel, débouchant sur une appréciation réelle en face d’une instabilité économique continue. Au Maroc, la politique de change durant 19801985 visant une importante dépréciation réelle était insuffisante. Les limites de leurs politiques de change et les difficultés structurelles de leurs économies ont poussé les pays du Maghreb à entreprendre une réforme globale axée sur la libéralisation de l’économie qui s’est accompagnée également d’une refonte de la politique monétaire et de change. Afin de mieux refléter les forces du marché et d’accompagner le processus de libéralisation commerciale, une gestion de change plus flexible a été adoptée au milieu des années 1990. Cela a permis de rétrécir l’écart entre les taux de change officiel et parallèle. La Tunisie et le Maroc ont établi la convertibilité de leurs opérations courantes en 1993, tandis que l’Algérie l’a mise en place en 1997. La Tunisie, engagée dans un processus d’ajustement structurel et d’orientation exportatrice du développement, a mené une dépréciation du dinar associée à un ambitieux programme de réforme économique à la fin des années 1980 et au début des années 1990 visant à stabiliser le marché de change et permettre la libéralisation du taux de change pour ce qui concerne le compte courant en décembre 1992. Néanmoins, les transactions en devises ont été laissées à la banque centrale exclusivement jusqu’à l’établissement d’un marché de change spot interbancaire en mars 1994. C’est une nouvelle phase de l’évolution de la monnaie tunisienne qui commence. Au cours de cette période, s’est amorcé un processus d’assouplissement du contrôle de change. Ce dernier, consistant en une gestion administrative et centralisée des devises étrangères, est devenu incompatible avec une économie de petite taille largement ouverte sur l’extérieur. C’est la raison fondamentale qui a toujours plaidé en faveur d’une réduction des rigidités et des rigueurs inhérentes à cette politique. Cet effort était marqué par l’acceptation, le 6 Janvier 1993, des obligations de l’article VIII des statuts du FMI et notamment les sections 2, 3 et 4 (FMI 1997b). L’effort d’assouplissement du contrôle de change et l’adoption de la convertibilité courante ont été couronnés par la création en 1994 d’un marché des changes interbancaires sans que pour autant la banque centrale perde son rôle régulateur. Le marché s’est ouvert en mai 1997 aux opérations de change à terme et a libéralisé la marge sur les opérations au comptant. 113 Au Maroc, le mois de janvier 1993 a vu l’établissement de la convertibilité totale du compte courant et l’acceptation de l’Article VIII (sections 2-3-4). Durant cette année, une convertibilité virtuelle du compte capital était établie pour les non-résidents. Un grand pas vers la libéralisation du marché de change était pris avec l’établissement du marché interbancaire en juin 1996. Les événements qui ont secoué l’Algérie en 1988, ont marqué la fin d’une période et entraîné un début de rupture avec le mode de gestion socialiste qui a laissé un héritage économique difficile à gérer. Ainsi de nouvelles réformes à caractère économique et juridique sont venues donner un nouveau souffle à l’économie algérienne, parmi lesquelles il y a les lois sur l’autonomie des entreprises (1988), sur la monnaie et le crédit (1990), sur les prix. L’objectif de ces nouvelles réformes était de rompre avec le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur, de réhabiliter les entreprises privées, d’offrir à la Banque Centrale une autonomie graduelle par rapport au Trésor public. Les réformes préconisent l’accession des entreprises privées au marché de change officiel par l’intermédiaire de la chambre du commerce, le lancement d’une convertibilité partielle à partir de 1991 et devenant totale en 1993. L’accès au marché officiel de change est rendu possible par le FMI à tous les opérateurs économiques, publics ou privés, suite à la signature par l’Algérie en 1994 d’un premier accord concernant le rééchelonnement d’une partie de sa dette. Mais l’aboutissement de ces programmes était très laborieux étant donné l’impasse politique dans laquelle était enfoncé le pays en se heurtant aux résistances des positions rentières menant à l’adoption chaque fois de mesures contradictoires. Le résultat était l’étouffement de l’appareil industriel déjà désorganisé et inefficace. Pendant l’hiver 1994, l’Algérie était au bord d’une crise des paiements. Le pouvoir se résout alors au rééchelonnement multilatéral, dévalue le Dinar de 40% en avril, puis signe avec le FMI un accord de « stand by » d’un an, visant un premier report de remboursement de 5Mds$. Des mesures de restriction budgétaire, de contrôle monétaire et de relèvement des taux d’intérêt accompagnent ce dispositif. Ce premier accord de 1994 sera suivi d’un second, en 1995, qui desserre pour 4 ans la contrainte des remboursements de la dette extérieure. Le service de la dette rapporté aux exportations chute ainsi de 73% en 1993 à 35% de 1994 à 1997. Les autorités se sont engagées à effectuer d’importantes réformes structurelles. 114 Section 2 L’Evolution des taux de change Comprendre le comportement du taux de change réel29 est important pour toute économie ouverte. Cela l’est pour des perspectives positives, tel l’effet d’une appréciation réelle sur les échanges du pays, et normatives, telles l’opportunité et l’ampleur d’une dévaluation (Balassa 1990). L’utilité des taux de change réels dépend de la pertinence et de la justesse de leur mesure. Plusieurs sont disponibles. Dans les applications empiriques, le taux de change réel est calculé soit comme un taux bilatéral soit comme un taux multilatéral. L’indice de prix utilisé est souvent celui des prix à la consommation, des prix à la production ou des prix de gros et le déflateur PIB. D’autres indices ou indicateurs, tels les coûts salariaux unitaires ou les prix à l’exportation, ont été utilisés (Halpern et Wyplosz 1997 ; Aglietta, Baulant et Coudert 1999). Dans ce qui suit nous étudierons deux types d’indicateurs qui sont intéressant à l’analyse. Les premiers, des taux de change effectifs réels, mesurent les distorsions des prix relatifs et permettent d’évaluer la compétitivité prix. Les seconds sont liés à la parité des pouvoirs d’achat (PPA) et permettent de situer les niveaux de prix relatifs par rapport aux autres pays. 2.1 Les taux de change effectifs réels Avec le flottement, il est devenu possible pour une monnaie de se déprécier contre une monnaie et de s’apprécier contre une autre. Il n’est pas facile par conséquent d’évaluer la valeur d’une monnaie. Se baser sur un ou plusieurs taux de change bilatéraux peut être trompeur de la même manière qu’estimer le niveau général des prix en considérant seulement les prix d’un ou de plusieurs paniers de produits. Tout comme n’importe quel indice de prix, le taux de change bilatéral d’une monnaie particulière peut donc être combiné de diverses manières pour construire un indice de taux de change effectif. Le taux de change effectif nominal est un concept qui est développé pour circonscrire ce problème (Bahmani-Oskooee 1995). Il ne reflète cependant pas réellement le changement dans la compétitivité d’un pays par rapport à ses partenaires et/ou concurrents, puisqu’il exclut toute variation dans les niveaux de prix domestiques et étrangers. Le taux de change effectif réel, qui les incorpore, 29 - Officer (1982), Maciejewski (1983), Edwards (1989a, 1990) et très récemment Chinn (2002) et Harberger (2004), dans une contribution à une conférence en l’honneur de Michael Mussa, offrent des discussions détaillées de concepts théoriques du taux de change réel et des principaux problèmes conceptuels et méthodologiques qu’impliquent la construction et l’utilisation des indices taux de change, etc. 115 est censé résoudre cette question. Il s’intéresse, dans sa méthode la plus commune, à la variation des prix internationaux, entre un pays donné et ses concurrents et/ou partenaires, ajustés par celles du taux de change nominal. Il sert comme indicateur synthétique de la position concurrentielle d’un pays par rapport à l’ensemble de ses partenaires commerciaux (Stemitsiotis 1992). Cette idée trouve son origine dans le travail de Higgins et Hirsh (1970) qui montre la nécessité de calculer un taux de change dit effectif pour estimer correctement l’effet des variations du taux de change nominal sur la compétitivité. Il s’agissait, en effet, de trouver une expression du taux de change rendant compte de l’évolution de la relation d’une monnaie vis-à-vis de celles de l’ensemble des partenaires commerciaux du pays concerné, et non plus seulement et exclusivement vis-à-vis de celle qui sert de numéraire international. Une moyenne pondérée des taux de change nominaux de toutes les autres monnaies s’est avérée nécessaire pour le faire. Or, Higgins et Hirsh (1970) font remarquer que le calcul peut être biaisé par les différentiels de taux d’inflation entre pays, d’où l’idée d’utiliser des déflateurs pour arriver à des indices de taux de change effectifs réels. Maciejewski (1983) décrit les différents déflateurs que l’on doit utiliser dans le calcul selon que l’on s’intéresse à la compétitivité-prix ou à la rentabilité relative, aux exportations ou aux importations, qu’il s’agisse de biens à demande différenciée ou homogène. Il nous invite à être prudents dans la construction et l’interprétation de ces indices, d’autant plus qu’ils ont reçu une attention considérable comme composante clé de la promotion de l’exportation dans les PED, remarquent (Ghose et Kharas 1993). Bien qu’il ne soit pas un instrument de politique économique en lui-même, l’indice taux de change effectif réel est souvent considéré comme indicateur de compétitivité extérieure et utilisé pour guider les politiques monétaire et de change. Mais les mesures conventionnelles sont basées sur l’hypothèse de l’égalité des élasticité-prix transversales par rapport aux partenaires commerciaux. C’est difficile à vérifier dans le cas des PED et des pays exportateurs des produits manufacturés en particulier, du fait des différences significatives dans le degré de substitution entre biens provenant de différents pays et ceux produits localement. Cela risque pour beaucoup de PED d’inverser le mouvement du taux de change indiqué par l’indice traditionnel. Il est ainsi difficile au décideur politique de déduire ce qui pourrait arriver aux exportations en se basant uniquement sur les changements dans l’indice traditionnel du taux de change effectif réel. 116 2.1.1 Construction des séries des taux de change effectifs réels Le FMI dans ses Statistiques Financières Internationales construit et publie des taux de change nominaux et réels basés sur les indices des prix à la consommation, mais uniquement pour 14 pays développés. Il n’a commencé à le faire que récemment pour certains PED. Ces derniers n’ont pas reçu d’attention à cet égard. Puisque la construction des taux de change effectifs est quelque chose d’encombrant, les chercheurs tentent souvent de l’éviter ou d’inclure un ou deux pays à leur projet. Quand cela est fait, c’est toujours par rapport à un nombre de pays développés dépassant rarement dix et quels que soient leur poids dans l’échange extérieur et cherchant à expliquer 75% du commerce. Bahmani-Oskooee (1995, 1998a) a essayé de remédier à cela en construisant des séries de taux de change effectifs uniquement pour les PED et en prenant un très grand nombre de partenaires et/ou concurrents, allant jusqu’à vingt-cinq, essentiellement des pays développés. Nous remarquons également qu’il a utilisé des parts de commerce fixes tirées des données commerciales d’une année précise, les parts à l’import de 1990 par exemple. D’une manière général, l’indice du taux de change effectif réel d’un pays à n partenaires commerciaux peut être exprimé comme suit : n ( PN i / Pi )t *100 i / Pi )t0 ∑α ( PN i i =1 où N i est le taux de change nominal bilatéral défini comme le nombre d’unités de monnaie du pays partenaire ( i ) par unité de monnaie nationale; P et Pi sont les niveau de prix du pays et de partenaire ( i ), α i est la part de commerce du pays avec le pays partenaire ( i ) dont la somme est égale à l’unité et t0 représente l’année de base. En excluant les prix de cette expression, nous obtenons celle de l’indice du taux de change effectif nominal. Dans notre cas, au lieu de choisir 10 grands pays partenaires parmi les pays développés, nous avons commencé par choisir un nombre élevé de pays partenaires que nous avons suivis année après année sur la période 1965-2003, puis nous avons éliminé ceux dont les parts relatives dans le commerce sont peu significatives et ayant des relations peu stables, mais de façon à ne pas détériorer la qualité de l’information statistique. Nous avons ainsi retenu un nombre maximum de 15 pays partenaires ayant des relations commerciales stables représentant souvent près de 90% de l’échange extérieur du pays et sans considération de leurs statuts de pays développés ou pas. La Libye, hormis quelques années de tension, était toujours parmi les dix principaux partenaires de la Tunisie, voire les six depuis une décennie, 117 bien devant les Etats-Unis, huitième en 2003. Les partenaires commerciaux de la Tunisie sont les Etats-Unis, Japon, Belgique, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne, Grèce, Suède, Suisse, Royaume-Uni, Algérie, Libye, Inde. Dans le cas du Maroc, le Canada, le Portugal et l’Arabie Saoudite prennent la place de la Grèce, de l’Algérie et de la libye. Quant aux partenaires de l’Algérie, ils sont au nombre de treize, les mêmes que pour la Tunisie exceptés le pays lui-même et la Libye. Cette démarche nous a permis de constater que le commerce extérieur marocain, pour le même nombre et presque les mêmes partenaires, est moins concentré que ceux de la Tunisie et l’Algérie, avec une moyenne de 75% du commerce. Pour construire le taux de change effectif réel, nous avons d’abord collecté et retraité les données de l’échange extérieur, exportations et importations, pour pouvoir fixer le nombre des partenaires et leurs parts annuelles relatives. Ensuite, nous avons utilisé ces parts comme pondérations pour élaborer un indice de prix étranger, 1990 étant l’année de base. Les mêmes pondérations nous ont servi pour calculer un taux de change effectif nominal en indice. Mais au préalable, il nous a fallu établir les taux de change bilatéraux entre la monnaie du pays et celles de ses partenaires, soit le nombre d’unités de monnaie étrangère par unité de monnaie nationale, calculé à partir des données du taux de change impliquant le dollar américain hormis lequel ces taux ne sont pas directement disponibles. Suite à cela, nous avons exprimé les taux de change bilatéraux en indices auxquels nous avons appliqué ces pondérations. Enfin, disposant des séries d’indices de taux de change nominal ; de prix étrangers et nationaux, nous avons pu élaborer un indice de taux de change effectif réel en multipliant le taux de change effectif nominal par le rapport des prix nationaux aux prix étrangers, en indices. Les indices des taux effectifs nominal et réel sont ainsi obtenus de sorte qu’une hausse (baisse) traduit une appréciation (dépréciation) de la monnaie nationale. L’application de notre démarche nous a permis d’obtenir des taux de change effectifs réels ( TCER ) basés sur les prix de gros ( g ), les prix à la consommation ( c ) et les déflateurs PIB ( d ) et cela pour la Tunisie ( T ), le Maroc ( M ) et l’Algérie ( A ). Les graphiques ci-dessous, dont une évolution à la hausse signifie une appréciation, retracent l’évolution des différentes mesures (Annexe I.1) du taux de change effectif réel. Les taux basés sur l’indice des prix à la consommation et sur le déflateur du PIB ont strictement la même évolution pour les trois pays et qui sera celle du taux algérien basé sur l’indice des prix de gros à partir de la deuxième moitié des années 1980. En cela, les graphiques font plus que confirmer le résultat de Fleissig et Grennes (1994) soutenant que les taux de change réels basés sur l’indice des prix à la 118 consommation et sur le déflateur du PIB sont intimement liés entre eux plus qu’avec celui basé sur l’indices de prix de gros. Les graphiques montrent aussi que les trois taux évoluent dans le même sens mais avec un peu plus d’ampleur pour ceux basés sur l’indice des prix à la consommation et sur le déflateur du PIB. Dans le cas tunisien, nous constatons néanmoins leur stabilité absolue durant la décennie 1990 alors que celui basé sur l’indice des prix de gros s’appréciait. Ce constat nous semble très important. Il nous permet de nuancer la portée de certains travaux relatifs à la politique de change en Tunisie, Fanizza et al. (2002) soutiennent qu’elle était établie durant la décennie passée, au moins, autour d’une règle de constance du taux de change réel dont la réussite totale a évité au pays le piège d’une inflation très élevée. Nous nous rendons compte que ces travaux fondent leurs analyses sur un taux de change effectif réel basé sur l’indice des prix à la consommation de la même manière que le FMI30 dont ils sont issus. Ce qui peut livrer un message contradictoire, étant donné que le taux de change effectif réel basé sur les prix de gros continue de s’apprécier. Graphiques 1-3 : Evolution des taux de change effectifs réels selon trois mesures différentes Evolution des taux de change effectifs réels tunisiens 160.00 140.00 120.00 Evolution des taux de change effectifs réels en Algérie Evolution des taux de change effectifs réels au Maroc 220.00 160.00 170.00 140.00 120.00 120.00 100.00 70.00 100.00 80.00 20.00 TCERTg TCERTc TCERTd TCERAd 19 65 19 69 19 73 19 77 19 81 19 85 19 89 19 93 19 97 20 01 01 97 20 93 19 89 TCERAc 19 85 19 81 19 77 TCERAg 19 73 19 69 19 65 19 19 97 01 20 19 89 93 19 85 19 19 77 73 81 19 19 19 69 80.00 19 19 65 60.00 TCERMg TCERMc TCERMd Mais comme, par définition, le commerce extérieur implique uniquement les échangeables, leurs prix devraient fournir les meilleurs déflateurs pour calculer les taux de change réels et être pertinents pour la mesure de la compétitivité externe. Pour les économies avancées, il est souvent possible de supposer que les prix relatifs des échangeables et des non échangeables ne divergent pas considérablement. Cependant, cette hypothèse ne fonctionne pas pour les PED. Comme les gains de productivité sont concentrées dans le secteur de biens échangés, les prix croissent beaucoup moins rapidement dans ce secteur, rendant l’appréciation réelle beaucoup plus faible pour ces biens. Alors quand on utilise comme déflateur l’indice des prix 30 - Pour des explications détaillées et des critiques de la manière dont elles sont construites par le FMI, voir Desruelle et Zanello (1997) et Harberger (2004). 119 à la consommation ou celui de PIB, on surestime la croissance dans les prix de biens échangés et conséquemment on surestime aussi l’appréciation du taux de change réel et la perte de compétitivité externe pour ce secteur, un constat que Coudert et Couharde (2003) ont fait pour des économies de pays de l’Europe Centrale. Il est possible alors, qu’une grande partie de l’appréciation réelle disparaîtrait si les taux changes réels déflatés par les prix des biens échangeables, approchés par l’indice des prix de production ou de gros, étaient utilisés. Nous concentrerons ainsi notre analyse sur l’évolution des taux effectifs réels basés sur l’indice des prix de gros, qui rendent compte de la compétitivité coût, prix départ usine, du pays par rapport aux pays partenaires et concurrents. 2.1.2 L’évolution des taux de change effectifs réels Au regard de l’évolution des taux de change effectifs réels, désormais basés sur l’indice des prix de gros, un premier constat s’impose. Il montre une divergence dans l’évolution du taux de change effectif réel algérien et des taux tunisien et marocain. Ces derniers ont évolué d’une manière quasi stable dans un intervalle de 30% avec des souspériodes d’appréciation et de dépréciation, alors que le premier, après une période de stabilité relative et proche de deux autres, a connu une période de forte appréciation, avec un doublement du niveau de l’indice, suivie d’une autre de forte de dépréciation où l’indice passait de près de 190 à moins de 70. Cette similitude dans l’évolution des taux de change effectifs réels tunisien et marocain et leur divergence par rapport au taux algérien, trouvent son explication dans ce qu’il y a eu de commun entre la Tunisie et le Maroc et de différent par rapport à l’Algérie. Les structures et le fonctionnement des économies ainsi que les événements politiques et sociaux en sont le creuset : L’agriculture et le phosphate étaient les composantes principales de la production en Tunisie et au Maroc avant que les produits manufacturiers et le tourisme ne prennent la relève confortant une stratégie de développement tournée vers l’extérieur et appuyée par un plan d’ajustement structurel entamé dans le milieu des années 1980, alors que l’économie algérienne reste mono-exportatrice, voire mono-productrice, d’hydrocarbures et donc plus vulnérable aux aléas du marché international que les deux premiers. A cela s’ajoutent les événements politiques qui par le fait même des ces facteurs se trouvent plus exacerbés dans ce pays que dans les deux autres. 120 Graphique 4 : Evolution des taux de change effectifs réels au Maghreb. Graphiques 5-7 : Evolution des taux de change effectifs nominaux et réels au Maghreb. Evolution de s taux de change e ffe ctifs nom inal e t ré e l tunis ie ns Evolution des taux de change effectifs réels au Maghreb 190.00 180.00 160.00 160.00 130.00 140.00 120.00 100.00 100.00 70.00 80.00 40.00 Evolution des taux de change effectifs nominal et réel marocains 20 01 19 97 19 93 19 85 19 81 19 77 19 73 19 89 TCENT 2001 1998 19 65 19 68 19 71 19 74 19 77 19 80 19 83 19 86 19 89 19 92 19 95 19 98 20 01 TCERA TCENM 1995 0.00 1992 60.00 1989 50.00 1986 100.00 80.00 1983 150.00 100.00 1980 200.00 120.00 1977 250.00 140.00 1965 300.00 160.00 1974 Evolution des taux de change effectifs nom inal et réel algériens 180.00 TCERM 19 69 TCERT TCERA 1971 TCERM 1968 TCERT 19 65 19 6 19 5 6 19 7 6 19 9 7 19 1 7 19 3 7 19 5 7 19 7 7 19 9 8 19 1 83 19 8 19 5 87 19 8 19 9 91 19 9 19 3 95 19 9 19 7 9 20 9 0 20 1 03 60.00 TCENA L’évolution du taux de change effectif réel tunisien a connu quatre phases, au moins. La première s’étale sur une dizaine d’années jusqu’au milieu des années 1970 et caractérisée par une stabilité du taux de change réel avec une appréciation d’un peu plus de 20% par rapport au niveau de l’année de base, 1990. La deuxième qui va jusqu’au milieu des années 1980 est une succession des sous-périodes d’appréciation et de dépréciation avec un indice maintenu sous la barre de 120. Il y a eu jusque-là une parfaite similitude dans l’évolution des taux de change effectifs nominal et réel. Les moments de rupture dans cette évolution et qui font apparaître la périodisation indiquée coïncide avec des dévaluations du Dinar tunisien. Nous pouvons donc dire que l’évolution du taux de change effectif réel n’était pas influencée par celle des prix relatifs qui étaient presque neutre. La troisième allant jusqu’à 2000 marque une rupture dans cette similitude et un changement au niveau de la gestion du taux de change nominal. En effet, Les dévaluations qui ont suivi la crise de 1986 ont permis la stabilisation du taux de change effectif réel pour une courte période suite à laquelle une appréciation tendancielle était entamée et cela malgré la dépréciation continue du taux de change effectif nominal qui est aussi voulue dans le cadre d’une stratégie de change censée favoriser la 121 compétitivité extérieure. Une telle politique semblait insuffisante pour contrer cette appréciation réelle et maintenir une certaine stabilité du taux de change effectif réel en érodant en quelque sorte la hausse des prix relatifs qui ont cessé d’être neutres. L’indice du taux de change effectif réel frôlait le niveau atteint lors de la première période et jamais atteint depuis. Il ne restait aux décideurs nationaux que de mettre encore davantage la politique de change au service de la stabilité du taux de change réel voire sa dépréciation dans un contexte de concurrence internationale de plus en plus accrue. C’est ainsi que s’est entamée depuis trois ans une quatrième et dernière phase caractérisée par l’accélération du rythme de dépréciation nominale permettant une dépréciation réelle mettant l’indice du taux de change effectif réel à un niveau jamais atteint auparavant, autour de 90 points. L’évolution des taux de change effectifs réels algérien et marocain semble plus claire et plus tranchée que celle du taux tunisien. En effet, les taux de change effectifs réel et nominal algériens ont évolué de concert sur trois phases. La première est celle d’une appréciation tendancielle, sur une vingtaine d’années, jusqu’au milieu des années 1980 et le contre-choc pétrolier où les deux indices ont augmenté de presque 100 points. Suite à quoi, une deuxième phase est entamée et caractérisée par une dépréciation nominale à un rythme très élevé, soit presque 200 points d’indice sur 6 ans, qui s’est traduite par une dépréciation réelle mais de la moitié de l’ampleur. Depuis, c’est la troisième phase. Elle est caractérisée par la stabilité des taux, davantage pour le nominal, mais à un niveau d’indice très faible par rapport à ce qui était atteint auparavant. Les autorités algériennes, après une très forte dépréciation du change nominal que nous pensons imposée par les événements économico-politico-sociaux, semblent adopter depuis le milieu des années 1990 une politique de change visant une cible plutôt nominale que réelle. C’est une stratégie qui semble être suivie et d’une manière très nette par le Maroc qui a maintenu stable son taux de change effectif nominal depuis le début des années 1990, alors que son taux réel ne cesse de s’apprécier. Cela nous laisse interrogatif sur la conduite de la politique de change d’un pays qui se dit cherchant et oeuvrant pour plus de compétitivité et d’insertion internationales. Un comportement qui nous paraît d’autant plus étrange qu’il a suivi durant les années 1980, la deuxième période, une dépréciation continue et accélérée pour apporter une stabilité réelle de change. La première période qui s’étalait sur une quinzaine d’années était celle d’une appréciation tendancielle des taux de change effectifs réel et nominal. 122 La construction et l’analyse des évolutions des taux de change effectifs des trois pays nous ont été d’une grande aide dans la compréhension de la conduite des politiques de change. L’analyse des taux de change PPA nous apportera, elle aussi, davantage d’éclairage. 2.2 Les taux de change PPA La référence à des indicateurs de taux effectifs réels nous a montré que les taux de change au Maghreb étaient sujets à des phases d’appréciation et d’autres de dépréciation. Une autre approche peut traiter de la même question. Elle consiste à calculer une norme de taux de change en se basant sur « l’effet Balassa » lequel est censé expliquer les écarts importants entre les taux de change de parité de pouvoir d’achat (PPA) et les taux courants. Selon Balassa (1964), ce phénomène est lié à des différences de gains de productivité entre secteur exposé, représentant essentiellement les biens échangeables, et secteur abrité, représentant les services en général. Ces gains sont plus rapidement acquis dans le premier secteur que dans le second. En conséquence, des hausses de salaires vont marquer le secteur exposé et tendent à se diffuser dans le secteur abrité. Il en sera de même pour les prix mais avec un accroissement, relatif, de ceux du secteur abrité par rapport à ceux du secteur exposé, du fait de la concurrence internationale. Ce phénomène est d’autant plus marqué que le pays est peu développé. En effet, des gains de productivité importants sont alors réalisables en rattrapant celle des pays développés, ce qui peut se faire en intégrant les technologies existantes. L’effet Balassa explique aussi les différences de niveaux de prix entre les pays et donc les écarts à la PPA en niveau. La raison en est simple. Les différences de productivité entre les deux secteurs rendent les niveaux de prix plus faibles dans les pays les moins développés, ce qui implique une sous-évaluation de leur monnaie par rapport à la PPA en niveau. En raison de l’effet Balassa, le taux de change réel en niveau d’un PED est donc sous-évalué par rapport à celui prévu par l’hypothèse de PPA. Comme la PPA ne s’applique pas sur les prix des biens non échangeables et n’intègre donc pas leur hausse relative, le prix du PIB d’un PED converti au taux de change nominal ne peut qu’être inférieur au prix du PIB d’un pays développé. Le taux de change nominal du PED est ainsi sous-évalué par rapport à la PPA. L’écart par rapport à la PPA est censé se réduire au fur et à mesure que le pays se développe. Il est possible alors de calculer une norme pour l’ensemble des pays et lui comparer les taux de change courants pour déterminer s’ils sont sous-évalués ou non. Qu’en est-il alors des taux de change des pays du Maghreb ? 123 2.2.1 Construction des séries Pour le savoir, il nous a fallu calculer des taux de change réels ( TCR ) pour les trois pays. Ces derniers peuvent être définis de deux manières : en indice et en niveau. La première manière est habituelle. Dans la deuxième manière où il est défini en niveau, le taux de change réel est obtenu en rapportant le PIB en dollar courant ($c) au PIB en PPA d’un pays (i) à ceux des Etats-Unis (us)31, pays de référence des comparaisons internationales : TCRPPA,i PIB$c ,i PIBPPA,i = PIB$ c ,us PIBPPA,us PIB$ c PIBPPA TCRPPA,i = * PIBPPA i PIB$c us Où Cette mesure est utilisée par exemple par Busson et Villa (1996), Aglietta, Baulant et Coudert (1999) et Coudert (1999) qui trouve une forte corrélation entre les deux mesures du taux de change réel. Des coefficients de corrélation élevés montrent qu’il s’agit bien, à une constante près, de deux mesures du même phénomène. Les coefficients de corrélation pour le Maroc et la Tunisie sont respectivement : 1,00 et 0,84. Nous allons cependant effectuer le calcul pour la deuxième mesure puisque le taux de change réel en niveau présente l’avantage d’éliminer le problème de la base qui se pose lorsque l’on utilise des taux de change réels en indice et de mesurer ainsi directement les distorsions à la PPA. Les données extraites de la base Chelem du CEPII, dont les PIB PPA sont en millions de dollar US de 1995, nous ont permis d’effectuer le calcul que nous présentons par le graphique ci-dessous. Graphique 8 : Evolution des taux de change PPA Evolution des taux de change PPA 90.00 70.00 50.00 30.00 TCRAppa TCRMppa 31 2002 1999 1996 1993 1990 1987 1984 1981 1978 1975 1972 1969 1966 1963 1960 10.00 TCRTppa - Voir Stemitsiotis (1992) pour une idée plus complète sur le calcul des différents taux de change et Rey (2001) pour les taux de change PPA. 124 Le taux de change réel ainsi calculé mesure l’écart du taux de change courant à la norme PPA. Selon ces indicateurs et comme le présente le graphique de l’évolution des taux de change PPA, les niveaux des prix du PIB des trois pays considérés sont toujours très sous-évalués, n’atteignant en moyenne sur toute la période que 50% des niveaux de prix américains. La sous-évaluation des monnaies maghrébines est donc persistante. Elle reflète en grande partie l’effet Balassa habituel. L’analyse comparative de l’évolution des trois taux de change laisse apparaître quelques nuances. Ces résultats sont conformes à ceux de Aglietta et Baulant (2000) lorsqu’on prend comme base de référence la moyenne mondiale. Les niveaux des prix de PIB de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie étaient sous-évalués de 54, 60 et 47% par rapport à la PPA en 1996. 2.2.2 Régression PPA La norme PPA reste imparfaite en raison de l’influence de l’effet Balassa. Les PED ont de façon normale des niveaux de prix inférieurs à la norme PPA (Balassa 1964). Mais elle est aussi insuffisante puisqu’elle n’envisage pas l’existence de changements dans les fondamentaux pouvant affecter le compte courant externe et ainsi le taux de change d’équilibre. C’est pourquoi, beaucoup d’études ont construit un taux de change réel d’équilibre qui prend en compte l’influence des niveaux du développement des pays sur les niveaux des taux de change réels. Elles ont régressé le taux de change réel sur le PIB pour dégager les implications de l’effet Balassa de long terme et étudier de fait la soussurévaluation de la monnaie nationale (Busson et Villa 1996 ; Coudert et Couharde 2003 ;…). Nous avons de notre côté effectué une régression des taux de change réels PPA, ci-dessus calculés, sur les PIB par habitant relatifs au PIB américain. Ainsi considérées, les variables prises en séries logarithmiques (LTCR et LPIBT) sont stationnaires, ce qui nous en a facilité l’estimation. Le tableau suivant contient les résultats pour les trois pays. Tableau 3 : Estimation des taux de change réels PPA Estimation Test student R² Pays 1965-2003 C LPIBT Algérie LTCRA = 2.30 + 0.67 LPIBTA 37.88 24.52 0.94 Maroc LTCRM = 2.35 + 0.86 LPIBTM 42.5 24.56 0.94 Tunisie LTCRT = 2.31 + 0.72 LPIBTT 14.84 9.02 0.69 125 Les résultats montrent bien une relation positive et très significative entre le taux de change réel PPA et le PIB par tête rapporté au PIB par tête américain que nous considérons comme un indicateur du niveau du développement du pays. Autrement dit, la réduction de l’écart séparant le PIB par tête d’un pays de celui américain ou l’augmentation du niveau de vie entraîne dans le long terme une appréciation du taux de change réel. Cela confirme la robustesse de l’effet Balassa pour les trois pays. Nous avons cherché néanmoins à étudier de plus près et sur la base des régressions entreprises, la sous ou sur-évaluation des monnaies maghrébines. Pour cela, nous avons appliqué la méthode de Busson et Villa (1996) qui ont, par ailleurs, mis en évidence la sous-évaluation du Dinar tunisien et du Dirham marocain, de 30 à 40% sur la période 1967-1992. C’est un phénomène ancien qui caractérise surtout les monnaies des pays qui se sont spécialisés dans les exportations de biens de consommation courante, dont la Tunisie et le Maroc. Ils proposent de mesurer la sous-évaluation monétaire, compte tenu de l’effet Balassa, par l’opposé du résidu de la régression rapporté au taux de change réel. Les valeurs obtenues constituent des indicateurs présentant la part de la sousévaluation monétaire que l’on ne peut expliquer par le niveau du développement. Ils sont d’autant plus grands que la sous-évaluation est forte. Nous les présentons plutôt sous forme graphique. Graphiques 9-10 : Sous-évaluation des monnaies maghrébines compte tenu de l'effet Balassa (en %) S o u s -é valu tion d u D irh am m aro c ain (en % ) S o u s - é v a l u a t i o n d e s D i n a r s a lg é r ie n e t t u n is i e n ( e n % ) 3 8 2 6 4 1 2 0 0 -1 -2 -2 -4 -3 -6 60 65 70 75 80 D i n a r a lg é r ie n 85 90 95 60 00 65 70 75 80 85 90 95 00 D irh a m m a roc a in D i n a r t u n is i e n Comme le montrent les graphiques, nous obtenons des valeurs largement moins élevées que celles de Busson et Villa (1996) qui de surcroît ne sont pas de même sens. Cela nous conduit à nuancer la thèse d’une sous-évaluation importante et durable qui caractérise, semble-t-il, les monnaies des PED. Concernant les monnaies maghrébines, deux constats majeurs s’imposent. Le premier est relatif aux Dinars algérien et tunisien qui exhibent deux évolutions 126 tendancielles opposées : une sur-évaluation pour le premier et une sous-évaluation pour le second. Faiblement sous-évaluée à la base, la monnaie algérienne a continué de l’être de moins en moins et au début des années 1980 elle est devenue faiblement sur-évaluée. Un comportement qui semble stable depuis les débuts des années 1990. Contrairement à beaucoup de monnaies de pays producteurs de pétrole, le Dinar algérien semble ne pas avoir connu une surévaluation prononcée, du moins pas au point de produire une rupture dans son évolution. Quant au Dinar tunisien, sa sous-évaluation tendancielle est au départ un affaiblissement de son appréciation qui est devenue une sous-évaluation nette à partir des débuts des années 1980. Après une période de relative stabilité, il connaît depuis la deuxième moitié des années 1990 une accélération de la sous-évaluation. Cela nous semble traduire une politique délibérée de sous-évaluation du Dinar comme moyen de compétitivité extérieure. Le deuxième constat concerne la monnaie marocaine. En effet, malgré la faible ampleur de l’évolution du Dirham par rapport aux deux autres monnaies, nous pouvons distinguer deux tendances : une sous-évaluation jusqu’au milieu des années 1980 et une sur-évaluation depuis. Il nous semble encore tôt de nous prononcer sur l’évolution depuis 2000. Section 3 Eléments de politiques de change au Maghreb Nous essayons dans cette section d’analyser certains éléments de la politique de change comme l’intervention sur le marché de change, le recours à une forme quelconque de flexibilité ou la volatilité, en relation avec les données des économies maghrébines. Une telle démarche nous apportera plus de précisions sur le fonctionnement des régimes de change. 3.1 L’intervention de change La question de l’intervention sur le marché de change est très importante, difficile à aborder et sujette à polémique. En effet, les PED se voient souvent reprochés, quelquefois même sévèrement, l’intervention doublée d’une manipulation d’un panier de change. L’argument étant que la discrétion génère des incertitudes concernant le futur sentier du taux de change. De leur côté, ils soutiennent qu’en révélant les pondérations, la politique de change serait moins efficace et encouragerait des transactions spéculatives déstabilisantes. Mais les divergences autour de l’intervention se focalisent sur l’ampleur de la stérilisation et son efficacité, en particulier. 127 3.1.1 La mesure de l’intervention32 Pour traiter cette question il va falloir examiner les opérations d’une banque centrale et pour cela nous avons besoin des données sur les interventions journalières, rarement disponibles dans les PED. Deux variables approximatives peuvent être utilisées : la variation des réserves étrangères et de la position de change de la banque centrale. Les réserves peuvent varier du simple fait de transactions de la banque centrale et des banques de dépôt. Or cette dernière catégorie de transactions ne se rattache pas d’une manière évidente aux interventions sur le marché de change. Nous ne pouvons donc utiliser comme approximation de l’intervention que la variation de la position de la banque centrale. Une augmentation dans sa position de change implique qu’elle ait acheté des devises pour dévaluer la monnaie nationale. Cette deuxième mesure se trouve vérifiée pour les pays du Maghreb, particulièrement en cas de dévaluation ou de recours à des dépréciations. Nous nous sommes intéressés aux variations importantes dépassant les 10% dans les positions des Banques centrales, à travers les données trimestrielles de leurs réserves. Elles se sont concentrées sur la période de l’appréciation du Dollar américain, surtout les années 1981, 1982 et 1983. Elles étaient de près de 20% en Algérie au premier semestre de 1982, de 11 à 17% en Tunisie entre les troisièmes trimestres de 1981 et 1983 et de 14% au Maroc lors du premier trimestre de 1982. La Tunisie a connu des variations d’environ 12% lors des deux derniers trimestres de 1973, 1974 et 1975 et du deuxième trimestre de 1990. Le Maroc a connu une variation de près de 11% au troisième trimestre de 1990. 3.1.2 Stérilisation et efficacité de l’intervention Après avoir éclairci la question de la mesure de l’intervention, celle de sa stérilisation s’impose. Comme la variation dans la base monétaire est la somme des celles constatées dans les actifs nets nationaux ( ∆ANN ) et étrangers ( ∆ANE ), Rhee et Song (1999) proposent d’estimer l’ampleur de l’intervention à travers une fonction de réaction des actifs nets nationaux aux augmentations dans les actifs étrangers, soit : m n j =0 j =1 ∆ANN t = ∑ γ j ∆ANEt − j + ∑ α j ∆ANN t − j + ut 32 - Voir Weymark (1997), pour une étude approfondie. 128 La mesure de la stérilisation dans le long terme est indiquée par le coefficient de stérilisation : m n j =0 j =1 β = ∑ γ j 1 − ∑α j Une intervention est totalement stérilisante quand la valeur absolue du coefficient β est de 1, le contraire quand elle est 0. Une stérilisation partielle correspond à une valeur intermédiaire. Tableau 4 : Mesure de l’efficacité (stérilisation) des interventions de change Périodes 1965 :01 1980 :01 1990 :01 1995 :01 2003 :04 2003 :04 2003 :04 2003 :04 Tunisie 0.17 0.16 0.25 0.07 Maroc 0.58 0.58 0.61 0.46 Algérie 0.49 0.49 0.48 0.42 Pays Le tableau montre que le coefficient de stérilisation ne varie pas considérablement d’une période à l’autre et quel que soit le pays. Il montre, par contre, un coefficient moyen dans les cas du Maroc et de l’Algérie et faible dans le cas de la Tunisie. Cela signifie que sur la période 1995-2003, la banque centrale tunisienne a stérilisé 7% des opérations sur le marché de change, c’est-à-dire qu’elle n’a même pas stérilisé les opérations de court terme. Les faibles valeurs de coefficients de stérilisation contraste avec les cas de certains pays où l’on peut constater des variations importantes du coefficient avec des valeurs parfois proches de l’unité et parfois proche de zéro, comme c’est le cas pour certains pays asiatiques.33 Mais cela ne nous ne semble pas refléter une politique de change volontairement non stérilisante. Peut-être n’y a-t-il rien à stériliser. Autrement dit, les montants des interventions peuvent être considérées faibles et ne nécessitent donc aucune stérilisation. Cela peut être jugé par l’importance du ratio des réserves de la banque centrale à la masse monétaire. C’est dans ce but que nous avons calculé ce ratio pour les trois pays. Nous avons pris comme dénominateur la notion étroite de la monnaie, à savoir monnaie plus quasi-monnaie. Le graphique ci-dessous représente l’évolution de ces trois ratios : REMT , REMM et REMA , respectivement pour la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. Il s’en dégage une tendance à la baisse qui semble plus prononcée dans le cas de la Tunisie mais aussi des variations brusques et moins prolongées 33 - La Thailande stérilise jusqu’à 85% des flux entrants. Voir Rhee et Song (1999), pour d’autres exemples. 129 comme pour l’Algérie. Graphique 11 : R é s e r v e s d e s B a n q u e s c e n t r a le s m a g h r é b in e s r a p p o r t é e s a u x m a s s e s m o n é t a ir e s 4 8 en% 4 4 4 0 3 6 3 2 2 8 2 4 2 0 1 6 1 9 7 5 1 9 8 0 R E S M T 1 9 8 5 1 9 9 0 R E S M M 1 9 9 5 2 0 0 0 R E S M A Dans le cas de la Tunisie, les réserves de la banque centrale qui représentaient 43% de la masse monétaire en 1960 n’ont cessé de baisser jusqu’à atteindre 16.73% en 2002 et elles sont en-dessous de 20% depuis l’année 2000. Dans le cas du Maroc, elles passent de 38.4% en 1960 à près de 30% en 2003. Dans le cas de l’Algérie, elles sont moyennement plus élevées que dans les autres pays avec une moyenne de près de 38%. Elles évoluent au gré des événements marquant le marché pétrolier, donc des entrées en devises, et atteignent des valeurs de près de 45% quand ce dernier est favorable, comme au troisième semestre de 1991. Devant la faiblesse des coefficients de stérilisation et des ratios des réserves des banques centrales aux masses monétaires, il nous paraît inutile de nous interroger sur l’efficacité de l’intervention, un phénomène qui ne nous paraît pas prononcé dans le cas des pays du Maghreb. 3.2 Etude de la flexibilité de change au Maghreb Nous avons vu dans les deux premiers chapitres que la multiplication des régimes de change intermédiaires est l’un des changements majeurs qui marquent l’évolution des régimes de change dans les PED depuis près de trois décennies. Leur existence fait aujourd’hui l’objet d’un débat entre ceux qui croient à leur viabilité et ceux qui croient à leur disparition. Un autre fait marquant réside dans le fait que nombre de PED prétendent que leurs taux de change sont déterminés par le marché de change et que les interventions ne se font que pour éviter une volatilité excessive ou des sauts perturbateurs ou discrets dans le taux de change, 130 comportement souvent difficile à vérifier. Le recours à des interventions de change et le souci de juguler la volatilité et d’une manière générale l’adoption de régimes de facto font émerger, en dehors des solutions extrêmes, la question de la mesure du degré de flexibilité qui nous permet de caractériser les différences dans la gestion des taux de change entre pays. 3.2.1 Des éléments de réponse Trois approches sont à considérer. La première, suivie par Hausmann ; Panizza et Stein (2001), focalise sur trois indicateurs de flexibilité qui reflètent aussi trois aspects de la gestion de change. Le premier consiste à rapporter le stock des réserves à la masse monétaire, un faible rapport correspond à un flottement élevé. La volatilité relative du taux de change par rapport à ce dernier ratio constitue le deuxième indicateur. Il est calculé comme le rapport des écarts-types des deux et indique la mesure dans laquelle un pays utilise les réserves comme stabilisateur du taux de change. Le troisième est celui de la volatilité relative du taux de change par rapport au taux d’intérêt et indique dans quelle mesure le pays utilise le dernier pour stabiliser le premier. Un indicateur synthétique de ces trois mesures peut être envisagé. La deuxième approche suggère de mesurer le degré de flexibilité en ne considérant pas simplement les variations du taux de change mais l’information qu’elles apportent concernant des perturbations récentes. L’idée étant que dans le cas où les variations courantes des réserves de change ne sont pas révélées et ne peuvent être déduites autrement qu’à partir de variables observables, une intervention non-stérilisante créerait un mouvement dans le taux de change interprété comme signal des perturbations. Glick, Kretzmer et Wihlborg (1995) définissent ainsi une mesure du degré de flexibilité de change cherchant à refléter une information : σ s2 DF = 2 σ s + σ r2 Où σ s2 dénote la variance des variations non anticipées du taux de change nominal et σ r2 celle des variations non perçues des réserves de change exprimées en termes de monnaie nationale comme fraction de la base monétaire. Les variations non perçues signifient les changements non anticipés dans les réserves courantes et non révélés par l’observation des variations courantes du taux de change. Sous l’hypothèse qu’une intervention sur le marché de devises qui modifie la base monétaire de 1% empêche un mouvement de taux de change de 1%, la variance de changements non perçus des taux de change, empêchés par l’intervention 131 sur le marché du change, est captée par σ r2 . Le taux de change est parfaitement flexible ( DF = 1 )34 et informatif si tous les changements dans les réserves peuvent être anticipés ou déduits à partir de l’information disponible ( σ r2 = 0 ). Il est parfaitement fixe ( DF = 0 ) et non instructif si toutes les variations du taux de change sont anticipées ( σ s2 = 0 ) ou si la variance des changements non anticipés dans les réserves est très élevée, relativement à celle des variations non-anticipée du taux de change ( σ r2 → ∞ ). Des degrés intermédiaires de flexibilité correspondent à 0 p DF p 1 . La troisième, suivie par Wickham (2002), applique des techniques graphiques et statistiques aux données journalières des taux de change pour examiner leurs comportements. Les résultats obtenus dans le cadre de huit pays industrialisés à taux de change flottants (Australie, Canada, Allemagne, Japon, Nouvelle Zélande, Suède, Suisse et Angleterre) sont utilisés comme référence à l’étude de la flexibilité dans les PED. Parmi les principaux résultats, l’auteur souligne que les taux de change des pays industrialisés à flottement indépendant ne sont pas normalement distribués exhibant d’importants asymétrie (skewness) et grossissement (kurtosis). 3.2.2 La flexibilité des monnaies maghrébines Les mesures de flexibilité évoquées ci-dessus nécessitent des données journalières et des études économétriques plus approfondies. Nous ne disposons pas de données nécessaires. En conséquence, nous concentrons notre analyse sur le côté statistique et graphique. Ainsi en suivant Hausmann, Panizza et Stein (2001), le graphique de la section précédente montre que l’indicateur consistant à rapporter le stock de réserves à la masse monétaire connaît une tendance à la baisse dans les trois pays, la Tunisie en particulier, laissant suggérer une certaine tendance à la flexibilité dans la gestion du change. Un faible rapport correspond à plus de flottement. Quant à l’indicateur de volatilité relative du taux de change par rapport aux réserves, son application aux données trimestrielles de trois pays fait apparaître les résultats suivants : 34 - Voir Glick, Kretzmer et Wihlborg (1995) pour les modalités pratiques. 132 Tableau 5 : Indicateur de volatilité relative du taux de change par rapport aux réserves Pays 1970 – 2003 1990 – 2003 Algérie 6.17 35 Maroc 0.53 0.32 Tunisie 0.07 0.09 Il indique en fait la mesure dans laquelle un pays utilise les réserves comme stabilisateur du taux de change. Il est très faible dans le cas tunisien, sur l’ensemble de la période et sur la dernière décennie où l’on prétend accorder plus de flexibilité au change. Cela implique que les variations des réserves n’y sont pour rien quand à l’évolution des taux de change en Tunisie. Ce qui n’est pas le cas en Algérie. Au contraire, la relation est très forte et tout particulièrement depuis les années 1990. Le Maroc a une position intermédiaire, les variations des réserves entrent, pour près de la moitié, dans celles des taux de change, mais tendent à la baisse sur la dernière décennie. La démarche de Wickam (2002) est intéressante et instructive, mais elle nécessite toutefois l’application des techniques complexes à des données de haute fréquence, ce dont nous ne disposons pas. Nous en avons néanmoins appliqué quelques éléments sur des données trimestrielles. Ils concernent les taux de change nominaux par rapport au Dollar américain et sont représentés par quatre graphiques pour chaque pays. Le premier présente l’évolution logarithmique des taux de change en niveau et lissée à travers le filtre Hodrick-Prescott (hptrend). Le deuxième représente la variation ajustée du taux de change tunisien (VATCT), marocain (VATCM) et algérien (VATCA), calculée comme la différence première des taux de change rapportée à la moyenne (en %). Les troisième et quatrième représentent la distribution normale des variations ajustées et la fonction de distribution (CDF) cumulative. Les graphiques portent sur les données trimestrielles de la période 1990 à 2003, période pendant laquelle les pays prétendent suivre des régimes de change plus flexibles. Au regard des deux premiers groupes de graphiques, les taux de change des trois pays n’ont pas eu des discontinuités majeures dans leurs processus de génération de données laissant croire à un changement de régime. Le constat est plus clair dans le cas algérien. Les discontinuités relevées correspondent à des événements propres à chaque pays qui ont été gérés par des interventions sur le marché de change et des dévaluations, chose que nous avons développé auparavant. 133 Graphiques 12-23 : Propriétés statistiques des taux de change au Maghreb .4 .3 2.5 4.5 2.4 4.0 2.3 3.5 2.2 3.0 2.1 2.5 .2 .1 .0 -.1 -.2 2.0 1990 1992 1994 1996 LDT 1998 2000 2002 1990 1994 HPTREND 1996 1998 LDM Variations ajustées du taux de change Dinar tunisien - Dollar US 150 1992 2000 2.0 2002 1990 5 12 en% 1998 2000 2002 HPTREND en% 10 3 8 2 50 1996 Variations ajustées du taux de change Dinar algérien - Dollar US 4 100 1994 LDA Variations ajustées du taux de change Dirham marocain - Dollar US en% 1992 HPTREND 6 1 0 4 0 2 -1 -50 -100 1990 1992 1994 1996 1998 2000 -2 0 -3 -2 1992 2002 1994 1996 VATCT 1998 2000 2002 1992 1994 VATCM 2000 2002 Kernel Density (Normal, h = 0.3579) .30 .5 .25 .008 1998 VATCA Kernel Density (Normal, h = 0.6194) Kernel Density (Normal, h = 16.499) .010 1996 .4 .20 .006 .3 .15 .004 .2 .10 .002 .1 .05 .000 -120 .00 -80 -40 0 40 80 120 .0 -3 160 -2 -1 0 1 2 3 4 5 -2 Est. CDF de VATCT 1.0 0.8 0.8 0.8 0.6 0.6 0.6 0.4 0.4 0.4 0.2 0.2 0.2 0.0 40 80 120 6 8 10 0.0 0.0 0 4 Est. CDF du VATCA Est. CDF du VATCM 1.0 -40 2 VATCA 1.0 -80 0 VATCM VATCT -3 -2 -1 0 1 2 3 4 -2 0 2 4 6 8 10 Les deux derniers groupes de graphiques qui se rapportent à la distribution laissent apparaître un problème d’asymétrie (Skewness) et de grossissement (Kurtosis) caractérisant les variations des taux de change algériens. Le problème est moins prononcé pour la Tunisie et le Maroc. La Statistique Jarque-Bera confirme le constat graphique. Avec une valeur de 317.41 et une probabilité nulle, elle permet de rejeter l’hypothèse nulle d’une distribution normale 134 des variations des taux de change algériens. Mais avec des valeurs de 3.10 et 1.1, soient des probabilités de 0.21 et 0.58, elle ne rejette pas cette hypothèse pour les taux de change tunisiens et marocains au seuil de 5%. Or les principaux résultats concernant les taux de change des pays industrialisés suggèrent que le flottement libre est associé à une asymétrie et des queues épaisses de distribution. Ce n’est pas le cas pour la Tunisie et le Maroc. Le cas algérien ne reflète pas vraiment un comportement similaire au change flottant. Ce sont plutôt les fortes dévaluations successives qui laissent croire à une forme de flexibilité. La flexibilité au Maghreb n’est autre qu’un comportement maîtrisé dans le cadre d’un régime géré. 3.3 La volatilité de change La volatilité du taux change35 est l’un des éléments déterminants dans le choix du régime de change et pour les performances économiques. Les PED, en général, la craignent. L’argument étant que, associée à l’incertitude, elle induit une mauvaise allocation de ressources, augmente la prime de risque incorporée dans le taux d’intérêt réel agissant ainsi défavorablement sur l’investissement, la production et l’exportation. Un régime de change fixe est en général associé à une faible volatilité, alors qu’un taux de change flexible est par définition volatile. L’examen de cette question dans le cadre des monnaies maghrébines nous renseignera sur l’ampleur de leur flexibilité au cas où elle s’avèrerait vérifiée. Nous appliquons trois mesures. La première, souvent utilisée, s’appuie sur la variation relative du taux de change. Nous avons traduit le calcul de cette mesure en graphiques montrant les variations des taux effectifs réels et nominaux pour la Tunisie ( VTCERT et VTCENT ), le Maroc ( VTCERM et VTCENM ) et l’Algérie ( VTCERA et VTCENA ). Graphiques 24-26 : Variations des taux de change effectifs Variations des taux de change effectifs tunisiens Variations des taux de change effectifs marocains 10.0 15.0 20.0 5.0 10.0 5.0 -15.0 -5.0 69 19 72 19 75 19 78 19 81 19 84 19 87 19 90 19 93 19 96 19 99 20 02 66 -10.0 19 en % -5.0 -10.0 0.0 0.0 19 en % 19 66 19 69 19 72 19 75 19 78 19 81 19 84 19 87 19 90 19 93 19 96 19 99 20 02 0.0 en % 19 66 19 69 19 72 19 75 19 7 19 8 81 19 84 19 87 19 90 19 9 19 3 96 19 99 20 02 10.0 -20.0 -30.0 -40.0 -10.0 -20.0 -50.0 -25.0 -60.0 -15.0 VTCERT 35 Variations des taux de change effectifs algériens 30.0 VTCENT VTCERM VTCENM - Voir Mckenzie (1999) pour une revue de différentes mesures. 135 VTCERA VTCENA Ils nous montrent que les variations des taux de change effectifs réels et nominaux d’une année à l’autre étaient globalement contenues pour les trois pays. Cela signifie que les pays ont plutôt opté pour des régimes de change fixe. Dans ce cas, la variabilité des taux est due essentiellement aux dévaluations des monnaies nationales. C’est pourquoi les graphiques font apparaître des ruptures dans l’évolution des taux de change. C’est le cas pour la Tunisie et le Maroc au milieu des années 1980 avant l’adoption d’un plan d’ajustement structurel. Dans le cas de l’Algérie, une forte variabilité est constatée pour la première moitié des années 1990. La détérioration du climat politique a incité à plusieurs dévaluations successives. La deuxième mesure est celle de l’écart-type des % de variations de taux de change autour de la moyenne observée durant la période. Nous l’avons appliquée sur les variations annuelles des taux effectifs et trimestrielles des taux de change bilatéraux par rapport au Dollar US dont les données sont en fin période censées être plus volatiles que celles de moyenne période, tableau ci-dessous. Tableau 6 : Ecart-types des variations des taux de change (en %) Périodes 1970 1974 1974 1987 1997 2003 2003 1986 2003 2003 TCER 5.2 5.5 7.0 4.2 5.1 TCEN 5.8 5.9 7.8 4.1 3.5 TCN$ 8.6 8.4 9.7 7.4 8.5 TCER 3.8 4.0 5.3 2.6 2.4 TCEN 4.0 4.0 4.8 2.8 2.0 TCN$ 10.1 10.2 13.2 6.6 7.8 TCER 11.5 12.2 5.8 13.6 7.6 TCEN 13.4 14.0 5.3 14.2 5.3 TCN$ 21.3 21.8 5.5 26.1 6.0 Pays Tunisie Maroc Algérie Nous avons effectués les calculs pour quatre périodes qui vont jusqu’à 2003. La première concerne l’ensemble des données et débute en 1970. La deuxième prend en compte l’avènement du change flottant à partir de 1974. La troisième, à partir de 1987, prend en compte le virage constaté dans l’évolution des taux de change effectifs, l’adoption des plans d’ajustement structurel et la nouvelle orientation des politiques de développement, dont la politique de change est partie prenante, ainsi que les déclarations officielles des pays 136 soutenant le suivi d’un régime de change géré. Par la quatrième qui débute en 1997, nous avons voulu tout particulièrement avoir une idée sur la variabilité des taux de change algériens en dehors de la période trouble qu’a vécue le pays durant la première moitié des années 1990. Nous avons ajouté une cinquième sous période 1974-1986 pour montrer l’effet de dévaluation. C’est pendant cette période que les importantes dévaluations des monnaies tunisiennes et marocaines se sont produites. Le tableau confirme le constat issu des graphiques de variations des taux de change effectifs. Bien qu’elle soit faible sur l’ensemble de la période, cette mesure nous livre un enseignement très important : La volatilité est le résultat de la manipulation de taux de change à travers des dévaluations annoncées ou discrètes comme ce fut le cas en Tunisie et au Maroc dans les années 1970 et 1980 pour la première catégorie et dans les années 1990 pour la deuxième. Le cas algérien montre que ce qui est constaté dans les cas tunisien et marocain ne peut qu’être amplifié avec la détérioration du climat politico-social. Il n’est pas surprenant donc que la volatilité ait atteint les plus hauts niveaux pendant la période de fortes dévaluations et de troubles politiques et les plus faibles en dehors et cela quels que soient le pays et le taux de change en question. La troisième mesure que nous employons était utilisée par Darby et al. (1999). C’est une 1 1 n 2 moyenne mobile des écart-types du taux de change, ∑ (∆ log N t −i )2 , que nous n i =1 appliquons aux données trimestrielles de fin de période des taux de change bilatéraux par rapport au Dollar US. Nous avons choisi de présenter les résultats par le graphique cidessous où Vol.DM, Vol.DT et Vol.DA, désignent respectivement la volatilité du Dirham marocain, du Dinar tunisien et du Dinar algérien : Graphique 27 Volatilité des taux de change nominaux par rapport au Dollar US 0.007 0.006 0.005 0.004 0.003 0.002 0.001 Vol.DM 137 Vol.DT Vol.DA Q1 2002 Q1 2000 Q1 1998 Q1 1996 Q1 1994 Q1 1992 Q1 1990 Q1 1988 Q1 1986 Q1 1984 Q1 1982 Q1 1980 Q1 1978 Q1 1976 Q1 1974 Q1 1972 Q1 1970 0.000 Encore une fois, le constat est corroboré d’une manière on ne peut plus claire. La volatilité est très faible et les irruptions que nous constatons correspondent à des dévaluations retraçant la situation algérienne des débuts des années 1990 et dans une moindre mesure l’appréciation du Dollar US pendant la première moitié des années 1980 et les difficultés économiques de 1974. Section 4 Eléments d’analyse des performances économiques Vu l’importance de la relation du taux de change aux variables macroéconomiques, le suivi de son niveau et de son évolution constitue toujours un sujet de préoccupation pour les PED. Tout écart entre le taux de change et son niveau d’équilibre peut les affecter d’une manière significative. Mais il existe un autre moyen, hormis le taux de change lui-même, pour juger si son niveau est approprié : c’est l’observation et le suivi de ces mêmes variables. Leurs niveaux servent souvent d’indicateur de la situation économique d’un pays et il est souvent avancé comme justificatif à la conduite de la politique de change. Un déficit commercial important et durable, par exemple, est considéré comme critère d’un taux surévalué. Des baisses dans les réserves de change peuvent servir de critère à une dévaluation future. Il est clair que ces indicateurs, pris un par un, ne sont pas parfaits mais, ensemble, ils peuvent servir pour nous avertir sur les problèmes susceptibles de surgir. Si l’on retient le produit intérieur brut réel, variable d’activité, et le taux d’inflation comme indicateur d’un équilibre interne et la balance courante réelle comme indicateur d’un équilibre externe, un taux de change réel serait pertinent s’il influence significativement ces variables macroéconomiques. 4.1 Une analyse graphique L’association de l’évolution de variables d’activité économique à celle des taux de change effectifs dans les mêmes graphiques peut nous donner une idée préliminaire sur une éventuelle relation, d’abord, et sur la gestion du change en relation avec ces mêmes variables, ensuite. Nous avons réalisé trois graphiques par pays qui montrent l’évolution de la balance commerciale, des exportations et du produit intérieur brut en relation avec les variations du taux de change effectif réel. Les pays justifient souvent la manipulation des taux de change par l’état de ces variables censées être indicateurs de la performance économique. Pour ce qu’il en est des comptes extérieurs nous avons pris en considération la balance commerciale qui présente, pour les trois pays, la même évolution que la balance courante. 138 Graphiques 28-36 : Taux de change effectif réel et Balance commerciale, exportation et PIB Taux de change effectif réel et Balance Commerciale en Tunisie 10 Taux de change effectif réel et Balance Commerciale en Algérie Taux de change effectif réel et Balance Commerciale au Maroc 8 en% 30 en% 4 20 0 10 -4 0 -8 -10 -12 -20 -16 -30 5 0 -5 -10 -15 -20 65 70 75 80 85 VTCERT 90 95 -20 65 00 70 80 85 90 VTCERM BC (%PIB) 95 -40 65 00 30 en% 60 en% 40 20 10 20 10 0 0 0 -10 -20 -10 -20 -40 75 80 85 VXPIBT 90 95 00 -30 65 75 80 85 VXPIBM VTCERT en% 15 90 95 00 65 75 80 85 VTCERA 95 00 BC (%PIB) en% 90 95 00 VXPIBA Taux de change effectif réel et PIB en Algérie 30 en% 20 10 10 5 0 0 0 -10 -5 -5 -20 -10 -10 -15 -20 65 70 VTCERM 10 5 90 en% Taux de change effectif réel et PIB au Maroc 15 85 -60 70 Taux de change effectif réel et PIB en Tunisie 20 80 Taux de change effectif réel et Exportation en Algérie 20 70 75 VTCERA 30 -20 65 70 BC (%PIB) Taux de change effectif réel et Exportation au Maroc Taux de change effectif réel et Exportation en Tunisie 40 75 -30 -15 70 75 80 VTCERT 85 90 VPIBTT 95 00 -40 65 70 75 80 85 VPIBTM 90 95 VTCERM 00 65 70 75 80 VPIBTA 85 90 95 00 VTCERA Trois enseignements principaux peuvent être tirés des graphiques ci-dessus. Le premier concerne le caractère cyclique et opposé de l’évolution de la balance commerciale et des exportations en part de PIB par rapport aux taux de change effectifs réels. En effet, une variation à la hausse des derniers (VTCER) correspond à une autre à la baisse au niveau de la balance commerciale (BC %PIB) et des exportations (VXPIB). Cela est plus prononcé pour les exportations qui paraissent plus sensibles aux variations des taux de change effectifs réels. Le deuxième est que cette relation nous semble être concentrée sur une période allant du milieu des années 1970 au milieu des années 1990 par le biais d’importantes dévaluations. 139 Dans le cas du Maroc, par exemple, la baisse de près de 12% du taux de change effectif réel suivie des petites variations de faible ampleur ont permis de ramener le déficit de la balance commerciale (%PIB) de près de 20% et de le stabiliser à près de 5%. Ce constat semble moins clair concernant l’évolution de la balance commerciale algérienne et perd de sa pertinence sur les dernières années dans les cas tunisien et marocain. Les baisses des taux de change effectifs réels, près de 10% en Tunisie, ne semblent affecter ni les exportations ni la balance commerciale. Le troisième enseignement est relatif à la relation du PIB par tête au taux de change effectif réel. Elle ne nous paraît pas claire, il y a des périodes où ils évoluent dans le même sens et d’autres où ils évoluent dans un sens opposé. L’analyse de causalité entre le taux de change et ces variables nous éclairera peut être davantage. 4.2 Une analyse par la causalité Il s’agit dans cette partie d’étudier l’influence du taux de change réel sur une variable macroéconomique. Cette influence peut être mesurée à partir d’une analyse de causalité, telle qu’elle a été proposée par Granger (1969), dans le cadre d’un processus bivarié. Ainsi, on dira par exemple que le taux de change réel ( TCR ) « cause » au sens de Granger la variable ( X ), si la prise en compte de l’information passée sur le taux de change réel permet d’améliorer la prédiction de X . D’un point de vue pratique, cette hypothèse peut être testée en introduisant des restrictions dans un modèle VAR à deux variables. Ainsi, tester l’hypothèse nulle que le taux de change réel ne « cause » pas X reviendra à tester la restriction que tous les coefficients des valeurs passées du taux réel sont nuls. On peut pour cela utiliser le test de Fisher (F), sur la base d’une estimation par les moindres carrés, à la condition qu’on ait affaire à des variables stationnaires. C’est ainsi que nous avons repris les mêmes variables précédemment traitées auxquelles nous avons adjoint le taux d’inflation, défini comme le taux de croissance des prix à la consommation, et nous y avons appliqué la procédure de Granger. Les séries sont stationnaires puisque nous avons considéré dans cette démarche leurs variations. Par exemple, une variation du taux de change effectif réel cause-t-elle ou non une variation au niveau des exportations, de la balance commerciale, du PIB ou de l’inflation. En plus d’une estimation sur l’ensemble de la période d’étude (1965-2003), nous en avons effectué une autre pour la période allant de 1988 à 20003. C’est sur cette dernière période que les pays prétendent accorder plus de flexibilité à leurs taux de change et les considérer souvent comme pilier d’une stratégie de développement visant plus d’insertion à l’économie internationale. Le tableau suivant regroupe les résultats. 140 Tableau 7 : Taux de change réel et activité économique : Causalité à la Granger Pays Variables Périodes EXP BC INF Maroc Algérie 1965 1988 1965 1988 1965 1988 2003 2003 2003 2003 2003 2003 F 0.16 0.24 3.60 2.72 0.29 3.27 Prob 0.85 0.79 0.07 0.11 0.60 0.08 F 0.47 1.01 0.07 0.23 5.47 0.88 Prob 0.50 0.39 0.79 0.80 0.02 0.36 F 0.94 0.55 0.26 0.91 1.47 0.99 Prob 0.34 0.59 0.61 0.43 0.20 0.34 F 6.04 0.74 2.60 1.48 2.85 1.36 Prob 0.006 0.50 0.09 0.24 0.10 0.26 Statistiques PIB Tunisie Une probabilité (Prob) qui tend vers zéro justifie le rejet de l’hypothèse de non relation entre la variable macroéconomique ( X ) et le taux de change. Une causalité significative se dégage dans le cas des exportations algériennes (2%) et du PIB marocain (7%) et de l’inflation pour les trois pays sur l’ensemble de la période 1965-2003. Sur la période 1988-2003, il n’y a qu’une seule causalité significative, elle concerne le PIB algérien (8%). Il est intéressant de ne remarquer aucune causalité significative entre le taux de change et les exportations et la balance commerciale sur la période où le premier est censé être au service des secondes. Cette approche peut être complétée en s’appuyant sur les démarches de Lafrance, Osakwe et St Amant (1998) et de REY (2001) qui ont proposé une mesure du degré de causalité du taux de change réel vers la variable X ( CTCR → X ). Elle est donnée par la relation CTCR → X = Log (σ c2 / σ 2 ) , où σ c2 est la variance de l’innovation de X relative à son propre passé (modèle contraint) et σ 2 quand elle est aussi relative au passé du TCR . Si TCR « ne cause » pas X , on a σ c2 = σ 2 et un degré de causalité égal à zéro. Dans le cas contraire, σ c2 > σ 2 et CTCR → X > 0 . Plus la causalité est forte, plus CTCR → X est élevé. Comme pour la démarche précédente, celle-ci impose la stationnarité des séries. Le tableau ci-dessous présente les résultats des estimations qui étaient conduites en respectant la minimisation du critère d’information AIC. Pour chacune d’elle, nous donnons le seuil de significatif du test F et le degré de causalité. 141 Tableau 8 : Taux de change réel et activité économique : Causalité à la Rey (2001) Pays Variables Tunisie Périodes EXP BC INF Algérie 1965 1988 1965 1988 1965 1988 2003 2003 2003 2003 2003 2003 Seuil Significatif 0.571 0.938 0.069 0.642 0.724 0.02* Degré Causalité -0.029 0.001 0.041 0.049 0.003 0.207 Seuil Significatif 0.638 0.195 0.932 0.558 0.028 0.283 Degré Causalité 0.005 0.058 0.001 -0.026 0.065 0.029 Seuil Significatif 0.978 0.797 0.710 0.135 0.187 0.161 Degré Causalité 0.155 0.005 0.022 0.077 0.012 0.040 Seuil Significatif 0.001 0.323 0.08* 0.298 0.153 0.223 Degré Causalité 0.006 0.033 -0.008 0.038 0.038 0.046 Statistiques PIB Maroc * signifie un retard d’ordre 2 au niveau du TCR dans ces deux cas. Il est d’ordre 1 partout ailleurs. Hormis le cas de l’inflation algérienne où le taux de change effectif réel a une influence causale non significative, soit un seuil de 15%, les résultats du tableau ne font que confirmer intégralement ceux de la démarche précédente. 4.3 Modification des parités de change et performances économiques Après une analyse graphique et de causalité du taux de change à des éléments censés traduire les performances économiques d’un pays, nous cherchons ici à étudier les effets et l’efficacité des modifications des parités de change, des dévaluations ou dépréciations continues dans un régime de change géré. Nous utilisons pour cela l’« Indice d’Efficacité de Dévaluation » d’Edwards (1989b). C’est la variation cumulée du taux de change réel rapportée à celle du taux de change nominal pour la même période, calculée par rapport à la première année avant la dévaluation et allant jusqu’à la troisième année qui y suit. Nous m ∑ ∆TCR k pouvons le présenter comme suit : IEDk = k =0 m ∑ ∆TCN . k k =0 IED , ∆TCR , ∆TCN représentent l’indice d’efficacité de dévaluation et les variations des taux de change réel et nominal, m désigne le nombre d’années depuis la modification de la parité de change. L’ IED nous indique, en effet, le degré d’érosion de la variation du taux de 142 change réel pendant les années suivant la dévaluation. Une valeur égale à l’unité signifie que la dévaluation nominale est totalement transformée en une dévaluation réelle. Alors qu’une valeur négative indique une érosion de plus de 100% de la dévaluation nominale. Tableau 9 : Modifications des parités et performances économiques TUNISIE 1978 1979 1980 1982 1985 1986 1987 1990 1997 ∆TCN 100 -13.1 -8.6 3.37 100 -11.8 -23.8 -31.7 -37.96 ∆TCR 100 -8.64 -4.7 2.84 100 -4.04 -11.03 -12.54 IED --- 0.66 0.55 0 --- 0.34 0.46 0.40 0.0 BC (% PIB ) -9.6 -5.0 -5.4 -10.5 -6.0 -7.1 -1.0 -7.0 -2.5 EXP (% PIB ) 31.0 39.0 40.2 36.9 32.1 30.2 34.8 43.6 43.8 ∆PIB 100 6.6 14.47 20.2 100 -2.0 2.81 20.26 58.07 INF (%) 100 7.65 18.47 46.7 70.7 6.22 15 41.4 101.4 0.0 MAROC 1980 1981 1982 1985 1988 1992 1995 1996 1997 ∆TCN 100 -8.9 -11.4 -32.7 -38 -43.6 -43.8 -43.7 -42 ∆TCR 100 -12.5 -11.2 -20.3 -19.3 -14.9 -10.86 -8.45 -3.3 IED --- 1.40 0.98 0.62 0.51 0.34 0.25 0.19 0.08 BC (% PIB ) -11.28 -15.18 -14.95 -12.32 -4.38 -6.04 -6.53 -3.88 -3.77 EXP (% PIB ) 15.02 17.74 16.62 19.93 19.41 22.49 27.56 21.81 23.10 ∆PIB 100 -2.77 6.57 17.71 37.14 49.77 52.85 71.55 67.05 INF (%) 100 12.5 24.3 60 83.9 130.3 170.2 178.3 181.2 ALGERIE 1985 1986 1987 1988 1991 1993 1995 1998 2003 ∆TCN 100 -13.2 -25.9 -40.6 -81.6 -84.5 -93 -93.4 -95 ∆TCR 100 -0.4 -9.2 -25.2 -65.7 -54.6 -67.5 -60.82 -69.7 IED --- 0.03 0.36 0.62 0.80 0.65 0.73 0.65 0.73 BC (% PIB ) 3.14 -4.09 1.88 0.90 6.52 0.49 4.14 -0.13 12.37 EXP (% PIB ) 23.54 13.05 14.66 15.28 29.55 22.51 26.58 23.05 37.63 ∆PIB 100 0.4 -0.3 -1.3 2.6 2.3 5.2 16.4 32.8 INF (%) 100 12.4 20.7 27.8 105.1 225.5 445.1 618.1 694.9 143 Le tableau ci-dessus présente un certain nombre d’éléments nécessaires pour juger de l’efficacité d’une modification du taux de change. Ils concernent en dehors des variations des taux de change effectifs nominal et réel et de l’indice d’efficacité de dévaluation, la balance commerciale BC (% PIB ) et les exportations EXP (% PIB ) en parts de PIB, le taux de croissance cumulée du PIB ( ∆PIB ) et l’inflation cumulée INF (%) . Nous avons retenu pour l’étude, des variations des taux de change effectifs nominaux de près de 10% au minimum, après les avoir confrontées à celles des taux de change par rapport au dollar américain et au franc français. Mais il s’avère que les pays qui ont pratiqué une dévaluation dans les milieux des années 1980 l’ont suivie par une série de dépréciations ou de dévaluations. Auquel cas, nous limitons l’étude à l’apparition d’une inversion dans la variation cumulée du taux de change effectif nominal ou la disparition de la variation réelle. Le cas tunisien nous offre la possibilité d’étudier une dévaluation franche, sur une année. Elle a eu lieu en 1979 et a entraîné une baisse dans les taux de change effectifs nominal et réel de près de 13% et 9%. L’IED indique que pour l’année de la dévaluation et l’année suivante, la dévaluation nominale s’est transformée à hauteur de 66% et 55% en dévaluation réelle. Trois ans après (1982), cette dévaluation était complètement érodée. Une érosion rapide qui s’est traduite par un déficit commercial légèrement supérieur à celui de l’année précédant la dévaluation, soit 10.5% contre 9.6%. Cette courte période a connu aussi un gain de 7 points de PIB pour les exportations, une croissance accumulée de 20% et une inflation qui a augmentée de près de 47%. La dévaluation de 1979, positive pour l’année même, n’a fait que retarder l’aggravation du déficit commercial. Elle n’était ni suffisante ni soutenue par la suite pour contrecarrer une tendance expansionniste, avec une hausse soutenue du crédit intérieur dont plus de la moitié était consacrée au secteur public. Pour la dévaluation de 1986, les choses se sont passées autrement. En effet, elle était soutenue par une autre dévaluation de même ampleur l’année suivante, soit près de 24% sur les deux ans, et par un glissement continu par la suite portant la variation du taux de change effectif nominal à près de 32% en 1990 et à près de 38% en 1997. Cela s’explique par le fait que cette première dévaluation n’était pas suffisante puisqu’elle ne s’était transformée en dévaluation réelle qu’à hauteur de 34% et s’était traduite par une croissance négative de la production nationale de 2% et d’une aggravation du déficit commercial de 7%. Mais l’efficacité de cette stratégie était aussi limitée avec un indice autour de 40% sur la période allant jusqu’à 1990 144 pour décliner par la suite jusqu’à la disparition totale en 1997 de tout effet réel malgré la dépréciation continue du taux de change. L’effet sur la balance commerciale n’était que de deux ans, mais suffisant pour la ramener à l’équilibre, puisqu’elle s’est ultérieurement dégradée pour retrouver le même niveau qu’avant et fluctuer autour par la suite avec un plus faible niveau de -2.5% en 1997. Cela s’explique par le fait que la dévaluation de 1986, et par opposition à celle de 1979, était engagée lors d’une phase ascendante de la balance commerciale, puisqu’en 1985, un an avant la dévaluation, le déficit sans précédent, environ 12% du PIB, atteint en 1984 était ramené à moitié. L’effet sur les exportations s’est fait sentir quatre ans plus tard en passant de 32% part de PIB en 1985 à 43.6% en 1990, pour stagner autour de cette valeur par la suite. Quant à la croissance réelle de la production, elle a augmenté de près de 5% en moyenne sur un peu plus d’une décennie, de 1985 à 1997. Mais sur la même période, l’inflation a doublé. Le glissement nominal pratiqué depuis 1988 et en ne se transformant que faiblement en glissement réel s’avère donc insuffisant pour empêcher un nouveau cycle de détérioration de la balance commerciale, une stagnation de la part des exportations aux PIB et une inflation quoique moyenne reste importante par rapport aux partenaires européens. Les autorités ont dévalué le Dinar de 15.6% par rapport au Dollar en 2000 et le taux de change effectif nominal de près de 12 et 6% en 2002 et 2003. Dans le cas du Maroc, comme pour la Tunisie, une première dévaluation en 1981 a aggravé le déficit commercial et entraîné une croissance négative malgré un indice d’efficacité de 1.4, soit une transformation en dévaluation réelle à 140%. Une suite de dévaluations et de glissements avec la baisse de l’indice du taux de change effectif nominal de près de 44% sur une décennie et demi était nécessaire pour ramener le déficit de la balance commerciale, qui semble avoir connu le phénomène de la courbe en J, de près de 15% au début des années 1980 à moins de 4% en 1997. Durant cette période, l’IED n’a cessé de s’éroder pour s’épuiser complètement en 1997, l’année où le taux de croissance cumulée commençait à évoluer à la baisse signalant une croissance négative cette année là. Alors que l’inflation n’a pas cessé d’augmenter en atteignant plus de 170% en une décennie et demie. Sur cette période, la part des exportations au PIB n’a pas enregistré de performances notables. Dans le cas de l’Algérie, une série de dévaluations importantes était entamée en 1986 pour apporter une dépréciation du taux de change effectif nominal de 13.2 à 93% au bout d’une décennie. Mais la transformation en dévaluation réelle était lente à venir. Ce n’est qu’au bout de trois ans que l’IED a atteint 60% et resté autour de 70% tout au long de la décennie 145 1990. Il est difficile, à l’observation des résultats, de tirer un enseignement clair concernant la relation entre les modifications continues des taux de change et la position de la balance commerciale, ni de l’évolution des exportations et de la croissance de la production nationale. En effet, il n’y a pas de problème de déficit commercial ; une seule fois celui-ci a atteint le niveau le plus élevé en 1986, près de 4% de PIB. Même chose pour les exportations qui ont été à leurs niveaux les plus bas en part de PIB sur les trois années de 1986 à 1988, années où le PIB a enregistré ses niveaux les plus bas avec un taux de croissance de 0.4, -0.3 et -1.3%. Ces années correspondent en fait à la fois au contre-choc pétrolier et aux événements politiques de 1988 créant une sorte de blocage au niveau de l’appareil productif du pays pendant cette période. Par contre l’effet net à constater qui évolue dans le même sens de la baisse continue dans l’indice du taux de change effectif nominal réside dans l’inflation qui n’a cessé de monter en flèche depuis les années 1990, tout particulièrement, pour atteindre les 700% en 2003. Par le fait qu’elle soit mono-productrice et mono-exportatrice des hydrocarbures, près de 98% des exportations et 95% de recettes en devises, l’économie algérienne est devenue totalement dépendante de l’extérieur. Ceci lui ôte tout pouvoir d’action à travers la politique de change qui ne peut avoir d’effets que sur le plan interne et tout particulièrement sur le pouvoir d’achat par le biais de l’inflation qui du reste n’influence en rien l’échange extérieur du pays puisqu’il est totalement déterminé par les conditions du marché international du pétrole. De l’analyse ci-dessus menée nous dégageons trois enseignements majeurs. Tout d’abord, une dévaluation n’est pas suffisante en soi pour retrouver l’équilibre des comptes extérieurs. Trois conditions nous semblent essentiellement nécessaires pour réussir une dévaluation : qu’elle soit engagée lors d’une phase ascendante de la balance commerciale c’est-à-dire à l’amorce d’une amélioration, qu’elle se transforme en une dévaluation réelle et que les effets inflationnistes puissent être contenus après. Ensuite, un régime de glissement continu, de faible ampleur et sur une longue période finit toujours par épuiser ses avantages et favoriser l’anticipation de la conduite de la politique de change par les acteurs économiques. Enfin, comme le montre le cas algérien, les modifications de parités de change, quelle que soit leur ampleur, peuvent être sans effets sur les variables et les performances économiques d’un pays. Elles sont le produit d’un contexte politique et social qui dépasse totalement le cadre purement économique, voire le reflet de la confiance qu’un pays peut avoir dans sa monnaie nationale. 146 PARTIE II LE TAUX DE CHANGE D’EQUILIBRE 147 A la sortie de la première guerre mondiale, Cassel (1921, 1922) cherchait à rétablir les parités de change d’avant-guerre. Son souci majeur était de déterminer les bonnes parités. Nurkse (1945) avait la même préoccupation après la deuxième guerre mondiale, en assignant au FMI, alors toute jeune institution, le rôle de veiller sur les bonnes parités. Cette quête des bonnes parités de change ou des taux de change appropriés n’est pas uniquement le produit des moments fondateurs de la Finance Internationale, mais plutôt l’apanage quotidien des institutions financières nationales et internationales, vu le rôle prééminent des taux de change dans la conduite de la politique économique. En effet, un taux de change approprié est avant tout un taux d’équilibre. Or comme tout équilibre est fugace, difficile à déterminer et à maintenir, cela confère au taux de change d’équilibre davantage de particularités. Bien qu’il soit un concept évasif, au point que Robinson36 le qualifie de chimère, il demeure, néanmoins, une préoccupation pour les économistes et les praticiens. La chute du système de Bretton Woods, l’instabilité et la volatilité de change qui lui sont subséquentes ainsi que les crises de change auxquelles ont été confrontés depuis lors divers pays, n’ont fait que l’exacerber. Ainsi, le G 7 réuni à Tokyo en 1986 a fixé comme objectif la recherche des indicateurs assurant la compatibilité mutuelle de leurs politiques macroéconomiques. Williamson et Miller (1987), dans un projet de zone cible, soutiennent que le taux de change est l’une des cibles intermédiaires clé de coordination de ces politiques. Le communiqué du G7 d’avril 1993 insistait sur le fait que le taux de change devait refléter les fondamentaux. Le taux de change est aussi central dans les débats sur l’économie du développement et les stratégies de croissance et dans la littérature de stabilisation et d’ajustement structurel. Cela soulève, entre autres, les questions d’ancrage et de viabilité de régime de change. Mais il semble que le désajustement croissant du taux de change réel est de loin l’élément qui préoccupe le plus les PED par le déséquilibre macroéconomique qu’il génère. Pour Harberger (1986) et Dervis et Petri (1987), les PED qui sont les plus performants économiquement sont ceux ayant maintenu le taux de change réel à un niveau approprié. Mais alors qu’est-ce qu’un niveau approprié ? Comment le détermine-t-on ? 36 - Joan Robinson citée par Williamson (1994b). 148 La détermination d’un niveau approprié du taux de change ainsi que la réponse aux questions qui lui sont relatives sont primordiales pour toute économie et en toute période. La tâche se révèle cependant difficile du fait de l’abondance de la littérature en la matière, d’une part, et surtout en raison du manque de recul par rapport à une approche relativement récente et néanmoins foisonnante qui cherche à déterminer un taux de change réel d’équilibre basé sur un équilibre macroéconomique global, d’autre part. C’est d’ailleurs à travers cette approche et à la suite des analyses en termes de zones cibles (Williamson et Miller 1987 ; Krugman 1991) que celle du taux de change allait trouver matière à un profond renouvellement. Trois autres raisons nous semblent aussi l’avoir favorisé et permis la multitude d’approches des taux de change d’équilibre. La première est que les changements dans les régimes de change depuis la seconde guerre mondiale ont profondément influencé la recherche sur le comportement des taux de change. La seconde est qu’il s’est forgé durant cette période un corpus de macroéconomie d’économie ouverte permettant une analyse plus globale et plus formalisée. La troisième concerne le progrès dans les techniques économétriques qui a permis de dépasser la césure entre modèles statistiques, basés essentiellement sur une modélisation du processus univarié, et modèles fondamentaux cherchant à expliquer le taux de change par des variables fondamentales. Cette césure est née de l’effet dévastateur des résultats de Meese et Rogoff (1983) sur les derniers, impliquant leur incapacité à rendre compte de l’appréciation prolongée du dollar de 1982 à 1985 et à prévoir mieux qu’une simple marche aléatoire. La multitude récente de modèles de détermination de taux de change d’équilibre a rendu fort riches les études théoriques et empiriques en la matière. Mais elle laisse croire, toutefois, que le taux de change d’équilibre ne peut être déterminé qu’à travers une approche unique, celle d’un équilibre macroéconomique sous-jacent prônant à la fois un équilibre interne et externe. Sa détermination n’est pas issue d’une approche unique. En effet, en plus de celle déjà évoquée, qui met à contribution la notion d’équilibre sous-jacent, deux autres sont à considérer. La première renvoie simplement à la théorie de la parité des pouvoirs d’achat (PPA) et la seconde se fonde sur les modèles structurels, monétaire et de portefeuille. Nous remarquons, par ailleurs, que nous devons cette notion d’équilibre sous-jacent à Frenkel et Goldstein (1986) qui se réfèrent aux travaux du FMI et de Williamson (1985), où le taux de change d’équilibre est un taux effectif réel compatible simultanément dans le moyen terme avec les équilibres interne et externe. Mais depuis, les travaux se sont multipliés formant une approche englobant tout modèle ayant comme objet principal la détermination d’un taux de change réel d’équilibre basé sur un équilibre macroéconomique à la fois interne et externe. 149 Les trois approches évoquées ne s’excluent pas forcément les une les autres. Le modèle monétaire, par exemple, intègre la PPA et le progrès économétrique favorise un regain d’intérêt concomitant pour l’ensemble. Cependant, dans la mesure où nous concentrons notre travail sur le taux de change réel d’équilibre nous ne traiterons que les approches de la PPA et de l’équilibre sous-jacent. Deux chapitres leurs seront consacrés. Ils nous serviront, en considération des caractéristiques des PED, pour élaborer et estimer, dans un troisième chapitre, un modèle de détermination du taux de change réel d’équilibre. Les économies maghrébines feront l’objet d’une application empirique. 150 Chapitre 4 L’approche de la Parité des Pouvoirs d’Achat Articulé et mis en évidence par l’Ecole de Salamanque (l’Espagne du 16ème siècle), évoqué et discuté par les classiques (Mill ; Marshall ; V. Mises), le concept de la Parité des Pouvoirs d’achat “PPA” a vu sa naissance comme instrument empirique avec Cassel qui l’a rendu opérationnel dans ses écrits de 1921-1922. C’est l’origine moderne de la PPA (Officer 1976, 1982 ; Bleaney et Mizen 1995 ; Rogoff 1996). En fait, il était impossible de maintenir l’étalon-or après la première guerre mondiale et Cassel avançait en conséquence l’idée de la PPA comme moyen pour asseoir des nouvelles parités. Il proposait de calculer des taux d’inflation, indices des prix à la consommation, cumulatifs depuis le début de 1914. Les différentiels serviront à déterminer les variations de taux de change nécessaires au maintien de la PPA. Il existe pour Cassel un taux de change qui exprime le pouvoir d’achat interne d’un pays contre un autre et mesure le nombre d’unités des biens qui seraient achetées avec une unité de chaque monnaie. Il définit ainsi le taux de change nominal ( N ) : nombre d’unités de monnaie nationale par une unité de monnaie étrangère, en l’absence des déséquilibres commerciaux ; spéculation ; intervention de banque centrale et autres entraves au commerce. Section 1 Les variantes et les premières estimations de la PPA 1.1 Les variantes de la PPA La PPA se présente sous trois variantes. La première est celle de la loi du prix unique, dont c’est le fondement. Elle relie le taux de change aux prix des biens individuellement homogènes. En l’absence de coûts de transaction ou d’entraves au commerce, droits de douane ou contingents, elle établit, une fois les prix convertis dans une monnaie commune, que le même bien doit avoir le même prix dans différents pays. Si pour un bien (i) on désigne par Pi et Pi* ses prix intérieur et étranger et par N le taux de change nominal, alors la loi de prix unique peut être exprimée ainsi : Pi = NPi* 151 La deuxième est la version absolue qui n’est qu’une généralisation de la loi du prix unique. Quand il est exprimé dans la même monnaie, le coût d’un même panier de biens et de services doit être le même quel que soit le pays. D’évidence, si la loi du prix unique se vérifie pour chaque bien, il devrait en être de même pour la PPA absolue à laquelle il suffit cependant que la relation de parité se vérifie en moyenne pour tous les biens et non pas pour chaque bien pris séparément. Le taux de change est donc relié à l’ensemble des prix. Si nous désignons par ( P ) et ( P* ) les deux indices des prix nationaux et étrangers, la version absolue s’exprime alors à travers : P = NP* La PPA absolue est à l’origine du concept d’équilibre spécifique du taux de change nominal. Elle sert pour des taux de change PPA, taux égalisant les prix du même panier de marchandises dans deux pays. Les écarts entre le cours du marché et le taux de change PPA sont considérés provisoires, car annulés par les arbitragistes qui achètent ces marchandises dans un pays et les vendent dans un autre. Mais les indices des prix ne nous renseignent pas sur l’importance des variations de la PPA absolue par rapport à une période de base. La PPA absolue est donc supposée fonctionner en moyenne, sur une certaine période de base, comme le recommande Cassel. Sinon, c’est une PPA relative, des indices de prix relatifs, qui est à considérer. Elle constitue la troisième version et prend en compte l’existence de coûts de l’information et d’obstacles aux échanges qui empêchent l’égalisation stricte des prix exprimés en monnaie commune. Selon cette version et après une perturbation majeure, telle une guerre, le nouveau taux de change d’équilibre devrait rétablir le rapport d’avant la crise entre les niveaux de prix des pays. Les variations des taux de change nominaux sont égales à la différence dans la hausse des prix nationaux et étrangers pour un panier de marchandises équivalent. Le taux de change nominal évolue de façon à compenser les écarts d’inflation. En conséquence, la PPA relative relie le taux de change aux taux d’inflation et est écrite en taux de croissance : Pˆ = Nˆ + Pˆ * Définissant un taux de change réel (R) , taux de change nominal défalqué par le rapport des prix étrangers aux prix nationaux ( P* NP* ) , soit R = , alors la version absolue de la PPA P P 152 correspond à un taux de change réel égale à l’unité, puisque R = NP* P P* = ( * )( ) = 1 . La P P P version relative correspond à un niveau de taux de change réel inférieur à l’unité. 1.2 Les premières estimations Depuis plus d’un quart de siècle, la PPA semble être le domaine qui a connu le plus d’études économétriques dont l’issue laisse croire à un “ Puzzle ”, selon l’expression de Rogoff (1996). Cela est certainement dû à la place centrale qu’occupe la PPA dans la détermination du taux de change. Mais il semble aussi que l’histoire de la PPA est très liée aux techniques économétriques (Breuer 1994) et la littérature sur le taux de change a quelque chose de symbiotique avec le développement récent de la littérature sur les séries temporelles et celle de la coïntégration en particulier (MacDonald 1995). Les spécifications utilisées pour tester la PPA diffèrent selon la forme de la relation à examiner : univariée, bivariée ou trivariée. Cette dernière est la plus générale. Elle étudie le comportement de trois variables, le taux de change et les prix nationaux et étrangers ( N , P , P* ), sans imposer ni symétrie, ni proportionnalité. La première exige des coefficients de prix d’être de même mesure et de sens opposé, alors que la seconde les contraint à être égaux à (1) et (-1). La bivariée étudie le comportement du taux de change ( N ) en fonction du rapport des prix nationaux et étrangers ( P ) et impose implicitement la symétrie. L’univariée, se P* concentrant uniquement sur le comportement du taux de change ( N ), impose symétrie et proportionnalité. Les trois relations diffèrent aussi selon les séries de prix. Une spécification type peut être la suivante: nt = α + β1 pt + β 2 pt* + µ t nt , pt et pt* : Valeurs logarithmiques du taux de change nominal et des prix nationaux et étrangers. α : Constante, β1 et β 2 : Coefficient des prix et µt : Terme aléatoire. Dans la vision de Cassel (1922), la PPA est considérée comme une tendance centrale du taux de change qui est sujet à des perturbations temporaires. Beaucoup de travaux pendant les années 1970 reconnaissent, en principe, l’importance des perturbations temporaires de la 153 PPA. Mais les premières analyses empiriques étaient limitées par l’absence des moyens théoriques et statistiques pour distinguer entre les effets réels de court et long terme. La plupart des résultats qui en découlent et qui marquent le premier stade des tests étaient positifs et provenaient, sans doute, des données d’économies à haute inflation et même d’une période largement antérieure à celle des tests. Frenkel (1978), testant la PPA pour les données des années 1920, soutenait son importance comme base à la construction d’un modèle de détermination de taux de change. Mais peu à peu et avec l’application de la PPA aux données des premières années du flottement généralisé (Dornbusch 1980 ; Adler et Lehman 1983 ; Meese et Rogoff 1983), les résultats reportés devenaient faibles, voire contraires à l’hypothèse de base. C’est ainsi que la croyance en la PPA, en tant que version traditionnelle casselienne, était ébranlée dans les années 1980 et son rejet semblait être évident, sans pour autant que cela ne fût tout à fait admis. Il en est résulté à l’époque des controverses considérables. L’étude de Frenkel (1981), soutenant que la PPA fonctionnait mieux durant les années 1920 que 1970, y était pour beaucoup. Il y a, par exemple, Hakkio (1984) qui s’opposait à Frenkel et soutenait le contraire, en utilisant des tests transversaux pour améliorer l’efficience de ces estimations. Mais aussi, Davutyan et Pippenger (1985) qui attribuaient l’échec de la PPA à l’importance relativement croissante de chocs réels par rapport aux chocs nominaux. Ils soutenaient plutôt l’idée de déviations par rapport à la PPA que d’échec. Section 2 2.1 Une nouvelle histoire de la PPA Des nouvelles estimations, des nouveaux résultats Les procédures d’estimation de la PPA utilisaient des moindres carrés ordinaires (MCO) et généralisées (MCG) et les tests étaient, jusqu’au milieu des années 1980, centrés sur les restrictions imposées aux coefficients. La confirmation de la version absolue de la PPA nécessite que α = 0 ; β1 = 1 et β 2 = −1 . Dès la fin des années 1980, des techniques plus avancées ont permis de nouvelles interprétations concernant la PPA entraînant ainsi son rejet et la rupture du consensus dominant jusqu’alors. Depuis, c’est une nouvelle histoire de la PPA qui commence, marquant la période récente. Le travail empirique qui s’y rattache et qui 154 concerne le comportement des taux de change en général était mené selon deux phases distinctes37. La première phase a marqué la fin des années 1980 et impliquait le test d’une hypothèse d’une marche aléatoire. Celle-là soutient que le sentier de l’échantillon et la variance (inconditionnelle) du niveau du taux de change sont illimités, sans bornes, ce qui fait que la PPA ne peut pas être appliquée. Les taux de change sont donc imprévisibles dans le long terme. Pendant cette phase, l’étude de la PPA s’était réduite au suivi du comportement du taux de change réel et à sa possible distinction d’une marche aléatoire. La technique la plus communément utilisée a nécessité des séries temporelles univariées du taux de change réel et s’est basée sur des tests de Dickey-Fuller “ DF ” (1979) et Dickey-Fuller Augmenté “ ADF ” (1981). Il s’agit de tester la stationnarité d’une série X t dans une équation de type : ∆X t = α + β X t −1 + ut Si c’est le cas, la série manifestant un retour à la moyenne, le coefficient β est alors significativement négatif. Une marche aléatoire exige sa nullité. La statistique (DF) est la “ statistique t ” de β , mais elle n’a pas une distribution standard sous l’hypothèse nulle. Si l’on admet une corrélation sérielle entre les séries, la régression précédente peut être augmentée par les retards des variables dépendantes ce qui donne : n ∆X t = α + β X t −1 + ∑ λi ∆X t −1 + ui i =1 Dans ce cas la “ statistique t ” est celle d’une ADF. Pour cette phase, l’étude de la PPA s’est soldée par l’échec dans le rejet de l’hypothèse de la marche aléatoire : Un rejet qui était justifié par le manque de pouvoir explicatif des modèles choisis et des tests conventionnels de racines unitaires comme celui de Dickey-Fuller. Ainsi, l’accroissement du pouvoir explicatif des modèles de taux de change pendant les années 1990 marque la deuxième et la plus récente phase des tests empiriques et de l’histoire 37 - Sarno et Taylor (2002) énumèrent six stades différents de travaux et de résultats économétriques concernant la PPA : La première littérature empirique ; les tests de l’hypothèse de marche aléatoire ; les études de coïntégration ; basées sur des données de longues périodes ; employant des techniques non linéaires. 155 de la PPA. Cet accroissement est dû à la constitution d’une base de données plus large en prolongeant la période d’observation et/ou constituant des données de panel (Abuaf et Jorion 1990 ; Kim 1990 ; Mark 1995 ; Engel 1996 ; Lothian et Taylor 1996…) et à l’amélioration des techniques d’estimation. Parmi l’ensemble des tests alternatifs (Breuer 1994 ; Bleaney et Mizen 1995…), il nous semble que ceux de la coïntégration ont été décisifs et ont le plus marqué cette phase. D’une part, ils ont amélioré le pouvoir explicatif des modèles et ont permis l’émergence d’autres tests. D’autre part, ce qui nous paraît fondamental, ils ont permis de revenir à un vrai test de la relation PPA, à savoir le taux de change en fonction des prix nationaux et étrangers comme relation trivariée de la même forme que la spécification type cidessus formulée et non plus à un test de propriétés de taux de change comme le préconise la phase précédente, celle de la marche aléatoire. Il s’agit dans cette catégorie de tests d’identification d’une relation stable entre le taux de change nominal et les prix, en se basant sur la méthodologie à deux étapes de Engle et Granger (1987), celles de la stationnarité et de la coïntégration des variables. La stationnarité des séries est vérifiée si elles admettent des racines unitaires suite à l’application des tests DF et ADF. Si dans une relation comme la suivante : ∆nt = γ + λ1∆pt + λ2 ∆pt* + φ µ t −1 + vt les résidus de ces mêmes séries sont aussi stationnaires, φ ≠ 0 , l’existence d’une relation de coïntégration est donc vérifiée. Malgré l’amélioration qu’ils apportent à l’estimation, les tests DF et ADF sont jugés comme ayant un faible pouvoir explicatif. Cela a conduit à des versions améliorées (Banerjee et al. 1993 ; Cheung et Lai 1993) ou à d’autres tests d’estimation (ratio de la variance, intégration fractionnelle…). Mais le grand apport reste celui de Johansen (1991) qui présente une approche multivariée de coïntégration tenant compte de (n-1) relations de coïntégration entre n variables basées sur un vecteur d’autorégression (VAR). Plutôt qu’une estimation MCO à deux étapes, Johansen utilise essentiellement les méthodes de maximum de vraisemblance pour estimer les vecteurs de coïntégration et le mécanisme de correction d’erreur. Cela rend la procédure de Johansen plus puissante que la méthodologie d’Engle et Granger puisqu’elle tient compte aussi des multiples relations de coïntégration. D’autres procédures de test ont été appliquées comme celles de Monte Carlo (Hakkio et Rush 1991 ; Edison, Gagnon et Melick 156 1997) ou celles qui suivent des approches panel racines unitaires (Lothian 1997 ; Bayoumi et MacDonald 1999). Les résultats des différentes études intégrant l’amélioration des moyens d’estimation convergent vers un soutien évident et considérable à l’hypothèse d’une relation de long terme entre prix relatifs et taux de change, dans le sens où ces variables sont coïntégrées. Certains comme MacDonald (1995) et Bleaney et Mizen (1995) font remarquer que c’est davantage le cas en utilisant les prix de gros, du fait peut être que ceux à la consommation sont plus larges dans leurs compositions que ceux des échangeables. Rogoff (1996) évoque même un degré surprenant de consensus atteint par la littérature récente en la matière : les variations de la PPA tendent à disparaître mais à un rythme lent et un taux d’environ 15 % par an. Voilà donc la PPA abandonnée comme référence du comportement du taux de change réel à court et moyen terme, à cause des faibles résultats, redevient utilisable pour le long terme, au moins dans le cas des pays industrialisés. Sarno et Taylor (2002) concluent en effet que la PPA constituerait une condition valide de parité internationale de long terme si elle était appliquée à des taux de change bilatéraux des grands pays industrialisés et que le retour à la moyenne dans les taux de change réels montre des non linéarités significatives. Edwards et Savastano (1999) évoquent trois facteurs explicatifs : des interprétations plus libres de la doctrine PPA ; des échantillons à données longues et surtout des tests empiriques de plus en plus puissants (Breuer 1994 ; Froot et Rogoff 1995 ; Rogoff 1996). L’interaction des ces facteurs a produit un ensemble de résultats mettant en évidence les faits stylisés suivants : - L’hypothèse d’une marche aléatoire des taux de change réels bilatéraux est bien rejetée quand il y a estimation sur une longue période (5 à 6 décennies). - Les séries des taux de change réels mettent en évidence un considérable retour à la moyenne de demi-vie de 3 à 5 ans (en moyenne). - Les hypothèses sur l’existence d’une relation d’équilibre à long terme entre un taux de change nominal et des prix relatifs sont difficiles à rejeter, particulièrement quand les tests n’imposent pas de restrictions sur la symétrie et / ou la proportionnalité. - A l’exception du taux de change Yen / Dollar, une déviation permanente par rapport à la PPA n’est pas nécessairement générée par des facteurs structurels, l’effet BalassaSamuelson n’est pas vérifié (Froot et Rogoff 1995 ; Rogoff 1996). 157 2.2 Un consensus bien fragile Cela étant, les différentes méthodes utilisées pour améliorer le pouvoir explicatif d’un modèle du comportement du taux de change ne sont pas exemptes de limites. En effet, avec la constitution d’une base de données plus large, surgissent des problèmes. Il s’agit, du mélange des changes fixe et flexible ; de la présence des pays hyper inflationnistes qui accroît le retour à la moyenne, et de la dépendance entre les taux de change, puisqu’ils ont la même référence (O’connell 1998). Cependant, ces problèmes liés aux limites des méthodes économétriques appliquées peuvent être relativisés étant donné le progrès rapide dans le domaine. Ainsi, Kuo et Mikkola (1999) soutiennent que la PPA est robuste même en présence de corrélations transversales, de dépendance dans les taux de change et de modifications des régimes de change. Ce résultat est dû à l’application des tests de racines unitaires version panel, comme chez Levin, Lin et Chu (2002), et des tests de Harvey et Nyblom (2000). Les premiers sont attrayants puisqu’ils rendent possible l’utilisation de plusieurs données, allégeant ainsi le problème d’inférence économétrique. Les seconds sont des tests d’hypothèse nulle de stationnarité et non un ADF. Ce consensus est mis en doute récemment par Cashin et McDermott (2004) qui trouvent que les estimations conventionnelles des moindres carrés sont biaisées à la baisse. En effet, l’application de ce types d’estimation sur des données de taux de change effectifs réels de 90 pays industrialisés (20) et en développement (70) pour la période post-Bretton Woods allant de 1973 à 2002, a confirmé le consensus de Rogoff pour un retour à la moyenne d’une demivie de 3 à 5 ans. Mais, l’utilisation des estimations non biaisées basées sur les médianes (robuste à la corrélation sérielle) montrent que les déviations du taux de change réel par rapport à la PPA sont bien plus longues que ce que suggère le précédent consensus, avec une durée moyenne de 8 ans. Elles durent nettement moins longtemps dans les pays industrialisés que dans les PED, de même pour les pays ayant un change flexible (6 ans) que ceux adoptant un change fixe. Pour 40 pays de l’échantillon, ces déviations sont plutôt permanentes. Elles caractérisent les PED et les régimes de change fixe. En dehors des considérations techniques et malgré un consensus sur une relation de long terme entre taux de change réels et prix relatifs, la PPA n’est toujours pas unanimement acceptée comme la meilleure mesure du niveau d’équilibre du taux de change nominal ou de la fixité du taux de change réel. Au contraire, il semble qu’avec les nouvelles interprétations 158 on s’éloigne de la PPA originelle, traditionnelle ou Casselienne. MacDonald (1995) considère que cette relation de long terme n’est pas conforme à la PPA traditionnelle puisque les hypothèses de proportionnalité et de symétrie sont souvent rejetées et il distingue, en conséquence, un équilibre “ vrai-juste ” d’un équilibre statistique. Le premier est celui qui s’accorde avec ce que la plupart des modèles économiques ont posé comme solution de long terme. Le second est simplement capté par les techniques statistiques ou économétriques particulières utilisées pour estimer le taux de change à long terme. La méthode de Johansen, par exemple, capte les propriétés de retour à la moyenne du taux de change nominal par rapport aux prix relatifs pour la récente expérience de flottement, mais elle échoue à capter les restrictions de symétrie et d’homogénéité exigées par le vrai équilibre de long terme. Loin des concepts d’équilibres juste et statistique, Breuer (1994) considère les nouvelles interprétations de la PPA comme des déviations de la construction originelle et faisant valoir les faiblesses de cette dernière. D’une part, l’absence de symétrie et de proportionnalité signifie que le rapport des prix étrangers et nationaux ( P* ) ne compte pas totalement dans le P niveau de taux de change nominal même dans le long et le très long terme, ce qui présente en soi un changement fondamental dans la signification de la PPA traditionnelle. D’autre part, les nouvelles interprétations commencent par exiger la stationnarité du taux de change réel plutôt que la fixité comme l’exige la PPA traditionnelle. Cela implique une possible déviation autour de la moyenne dont la valeur est considérée comme celle de la PPA. Ainsi, les effets de tous les chocs sur la PPA sont temporaires et se résorbent entre eux. Le temporaire est défini par ces nouvelles études comme quelque chose de moins que le long terme. Mais pour Breuer, ce long terme est du très long terme puisqu’il convient à l’horizon temporel sur lequel la PPA sera atteinte. La construction traditionnelle présente, au mieux, un paradigme de taux de change d’équilibre désiré mais uniquement à très long terme, quand les effets de chocs réels auront disparu. Néanmoins, le fait que la PPA soit valide pour le très long terme, lui confère-telle pour autant un rôle pivot dans la politique de change ? Bien qu’il soit important de distinguer entre le long terme et le très long terme, poursuivre un taux de change réel d’équilibre qui émerge dans le très long terme peut être une fausse piste quand d’importants facteurs réels conduisent le taux de change réel d’équilibre loin de son taux de PPA pour de longues périodes. Des coûts économiques peuvent être évités avec une meilleure mesure du taux de change réel d’équilibre à moyen ou long terme de sorte qu’un taux d’équilibre n’ait 159 pas besoin d’être une cible fixe mais plutôt un taux qui varie, en réagissant aux changements dans les conditions d’équilibre interne et externe désirés sur le moyen ou long terme. Section 3 Les Déviations de la PPA Pour Cassel (1922), les taux de change doivent fluctuer pour compenser les variations dans les différentiels d’inflation. La PPA s’inscrit donc dans une approche de compétitivité dont les variations présentent un facteur important de pression sur le taux de change, elle est de fait source de déviation du niveau d’équilibre. La déviation d’un taux de change d’équilibre est de la sorte inhérente à l’approche de la compétitivité. Considérer comme invarié le taux de change d’équilibre comme le suggère la PPA nous paraît intenable. De surcroît, l’approche de la PPA implique l’examen de changements dans les variables pertinentes pour une certaine période de base. Elle n’aborde pas le fait que le taux de change soit originellement à un niveau d’équilibre ou non. La PPA se révèle donc un concept théorique assez pauvre et incomplet qui ne peut être un bon indicateur du comportement du taux de change à court et moyen terme. Il peut être néanmoins un moyen d’analyse de la compétitivité simple et facile à calculer, ainsi qu’un bon indicateur du taux de change réel d’équilibre dans les cas où les perturbations entre période de base et période courante seraient d’origine monétaire, précisent Frenkel et Goldstein (1986). Mais il n’y a pas que des perturbations monétaires, d’autres sont réelles et entraînent des déviations des taux de change courants par rapport à la PPA, ceux des grandes monnaies (1970-1980) n’ont pas suivi la PPA ni à court ni à long terme. Bien que la conclusion de Frenkel et Goldstein s’inscrive dans la période du rejet de la PPA, comme nous avons pu le constater plus haut, il n’en demeure pas moins qu’elle garde toute son actualité en considérant, comme Lane (1999), que la PPA n’est pas le modèle optimal pour le taux de change nominal à long terme. D’ailleurs, les multiples études de la PPA ont fait jaillir un consensus autour de deux faits importants : l’extrême volatilité des taux de change à court terme ainsi que leur déviation par rapport à la PPA qui se résorbe à long terme, 15 % en moyenne par an. Le corollaire à ces résultats est un ensemble d’éléments explicatifs du phénomène de déviation des taux de change par rapport à la PPA. En dehors de considérations d’ordre technique évoquant la sensibilité des résultats de la PPA aux choix d’indices des prix, à la période de base et à la méthodologie économétrique, ces éléments, bien qu’émanant d’études diverses et 160 hétérogènes, peuvent être regroupés dans plusieurs approches. Selon leur nature temporaire ou permanente, les déviations ont différentes implications pour les modèles basés sur l’hypothèse que la PPA. 3.1 Les déviations temporaires Elles surgissent essentiellement du fait de la rigidité des prix. Ce comportement a été exploré dans un modèle monétaire par Dornbusch (1976) et Mussa (1986) qui notaient que le prix d’équilibre et le taux de change réel reflètent les comportements des facteurs réels et monétaires exogènes. En effet, les facteurs monétaires entraînent des changements dans les taux de change nominaux impliquant, si les prix sont rigides, une déviation de leurs niveaux exigés par la PPA. Cette rigidité peut même se traduire par des co-mouvements fermes entre taux de change nominal et taux de change réel (Mark 1990 ; Jenkins et Rogers 1995). Les approches théoriques qui soutiennent l’hypothèse d’une rigidité relative des prix se rapportent à la présence des contrats de travail de long terme et au comportement oligopolistique sur les marchés des biens (Dunn 1970 ; Dornbusch 1992b). La rigidité est encore expliquée et accompagnée par la divergence des vitesses d’ajustement des marchés. Les taux de change sont déterminés dans les marchés d’actifs qui ne s’ajustent pas au même rythme que les marché des biens : les premiers réagissent rapidement à des chocs exogènes, les seconds plus lentement (Dornbusch 1987). Par conséquent, du fait de variations imprévues des conditions monétaires, il est possible que les taux de change nominaux s’écartent momentanément de leur équilibre. Les déviations devraient diminuer, la plupart du temps, quand les prix des biens s’ajustent. L’évocation du rôle de comportement oligopolistique dans la déviation par rapport à la PPA à travers la rigidité des prix, peut être élargi à tous les facteurs relevant de la structure du marché et des comportements d’agents y agissant. Ainsi, examinant les résultats empiriques pour la loi du prix unique, Krugman (1987) évoque les coûts de transport, les tarifs et les barrières non tarifaires, les catégories de biens où l’arbitrage international est presque impossible à cause de la différence dans les standards nationaux. A ces éléments, s’ajoutent l’effet des coûts de transaction, quoique Michael et al. (1997) lui attribuent une part importante dans une large et persistante déviation par rapport à la PPA. Ils partent de l’analyse de Dumas (1992) qui implique un processus d’ajustement non linéaire dans lequel 161 plus la déviation par rapport à la PPA est large plus la tendance de retour à l’équilibre est grande. En effet, le taux de change réel diverge longtemps et d’une manière persistante de la parité, mais le processus dynamique finit par manifester un retour à la moyenne. Expliquant ce qu’il appelle un Puzzle, comment concilier l’extrême volatilité du taux de change de court terme avec le lent ajustement de long terme, Rogoff (1996) conclut tout simplement que : les marchés internationaux des biens, néanmoins devenus plus intégrés, demeurent bien segmentés, avec de larges frictions concernant un bon nombre de produits. Ces frictions peuvent être dues aux coûts d’ajustement, les taux de change nominaux ne peuvent pas varier sans produire une réaction proportionnelle immédiate dans les prix relatifs nationaux. Les marchés internationaux des biens sont très intégrés, mais pas autant que les marchés intérieurs. Une autre explication possible de déviations de la PPA, récemment mise en avant dans la littérature, est basée sur la présence des coûts de l’incertitude et de la rareté qui ne poussent pas l’entreprise à réagir promptement mais à adopter plutôt l’attitude “ attendre et voir ” (Krugman 1989 ; Giovannetti 1992). Le manque d’arbitrage consécutif à cette attitude introduira probablement de l’hystérèse. Le terme décrit un phénomène tel un déséquilibre commercial qui ne disparaîtrait pas après que les causes de son existence ont été évitées, comme une appréciation réelle du taux de change. Un tel phénomène est aussi dû aux coûts d’ajustement dans le commerce. Ces coûts, qui incluent la commercialisation de nouveaux produits à l’étranger, le développement des lignes de produits ou des réseaux de distribution ainsi que la modification de l’ « esprit de la marque », impliquent que les flux commerciaux ne répondent pas toujours à des faibles modifications des taux de change réels, car les exportateurs ne réagissent qu’en cas de fortes déviations par rapport à la PPA. 3.2 Les déviations permanentes Plusieurs facteurs structurels ont été évoqués pour justifier les déviations permanentes et durables par rapport à la PPA. Mais il semble que la distinction entre biens échangeables et non échangeables a été le plus solide apport pour l’analyse en termes de la PPA, voire même l’a révolutionnée. Les biens ne sont plus considérés comme homogènes, désormais on produit et on consomme tant des biens échangeables que non échangeables. Les échangeables ne sont pas superposables d’un pays à l’autre. Cela permet aux exportateurs d’ajuster les prix en 162 fonction du marché intérieur, de sorte que les variations des taux de change ne soient pas neutralisées par des variations équivalentes des prix. En pareil cas, comme le taux de croissance et l’incidence de la hausse des revenus sur le commerce international ne sont pas les mêmes dans tous les pays, il peut y avoir des modifications durables des taux de change réels et donc des écarts persistants par rapport à la PPA. Certaines composantes même des non échangeables peuvent être présentes dans des biens parfaitement échangeables. Sur ce dernier point, Kakkar et Ogaki (1999) expliquent l’inexistence de co-mouvements entre le taux de change réel et le prix relatif des non échangeables en termes des échangeables, pour deux raisons. D’une part les biens échangeables ne sont pas identiques et sont difficiles à cerner. Autrement, il est difficile d’identifier des biens échangeables purs. Ils sont souvent combinés avec des services non échangeables, tels les services de détail par exemple. D’autre part, les poids des échangeables et des non échangeables peuvent ne pas être stables. De même que l’utilisation d’indices des prix à la consommation ; du déflateur PIB ou de tout autre indice comme prix d’échangeables et de non échangeables peut aboutir à une faible approximation des prix relatifs. Rogoff (1992) souligne que les prix relatifs des échangeables en termes de non échangeables suivent une marche aléatoire du fait que les consommateurs les considèrent indifféremment dans la consommation. Nous pouvons ajouter la différence dans les préférences des consommateurs (Bergstrand 1991) et une substituabilité imparfaite des biens échangeables. Cela dit, l’essentiel peut-être est que les techniques n’évoluent pas au même rythme dans le secteur des biens échangeables et celui des biens non échangeables et l’on y voit depuis longtemps une cause des variations persistantes des taux de change réels d’équilibre et, par conséquent, une cause des écarts persistants par rapport à la PPA. Bien qu’il soit reconnu depuis Ricardo que les prix réels des biens nationaux sont élevés « dans les pays où les manufactures ont été florissantes », c’est suite aux travaux de Balassa (1964) et Samuelson (1964) que l’analyse en termes de technique et de productivité comme justificatif à des déviations permanentes de la PPA est devenue prépondérante et plus structurée. On évoque désormais un « effet Balassa-Samuelson ». En effet, ceux-ci soutiennent que le progrès technologique avait été historiquement plus rapide dans le secteur des biens échangeables que dans celui des biens non échangeables et que ce biais de productivité des biens échangeables est plus prononcé dans les pays les plus prospères. Un accroissement de la productivité dans les secteurs des biens échangeables accroîtra les salaires dans ce même secteur et la mobilité 163 de la main-d’œuvre à l’intérieur des économies tend à établir l’égalité intersectorielle des salaires. Ainsi, la hausse des salaires dans l’économie entière crée une tension sur le marché des non échangeables poussant les prix à la hausse sans augmenter pour autant la productivité, et de ce fait accroît le niveau général des prix. Le taux de change d’équilibre ne correspond donc pas à la parité des pouvoirs d’achat qui considère, elle, tous les biens comme échangeables, mais à un pouvoir d’achat d’autant plus élevé que le pays est pauvre. Il s’ensuit aussi que le taux de change réel devrait tendre à s’apprécier dans les pays à croissance relativement rapide, et à se déprécier dans les pays à croissance lente. Cette proposition fut testée pour la première fois par Balassa (1964) qui reporte une régression du taux de change réel au PNB par tête à travers une analyse transversale des données émanant de 12 pays industriels pour l’année 1960. Le résultat était qu’une amélioration du revenu, PNB par tête, contribue significativement à l’appréciation du taux de change réel. Baneth (1994) évoque un effet Baumol-Bowen relié à l’effet Balassa-Samuelson mais souligne qu’il est important de le distinguer de ce dernier. Baumol et Bowen (1966) soutiennent qu’à l’intérieur d’un pays, il y a une large tendance à l’augmentation dans le temps des prix des biens intensifs en services (éducation ; santé ; banque…). Historiquement, la croissance de la productivité dans les services tendait à être plus lente que dans les industries manufacturières plus intensives en capital. Cet argument est évidemment très parallèle au bloc clé construisant le modèle de Balassa-Samuelson, puisqu’il y a un grand chevauchement entre les biens non échangeables et ceux intensifs en services. Il est à noter, néanmoins, que la présence d’un effet Baumol-Bowen n’est pas nécessairement suffisant pour impliquer un effet Balassa-Samuelson. Bien que le biais productiviste explique les différences de comportement des taux de change réels entre pays, un grand soutien à la PPA en comparant les pays riches et les pays pauvres demeure, néanmoins, objet de controverse. En effet, les pays industrialisés connaissent une confirmation de la PPA à long terme sans que l’effet Balassa-Samuelson soit bien établi (Asea et Mendoza 1994 ; Canzoneri, Cumby et Diba 1999 ; Mark et Choi 1997). Une explication possible (Rogoff 1996) réside dans la diffusion sur une longue période de la technologie à travers les frontières. Cette contradiction est considérée, récemment, comme apparente par Strauss (1999). Il soutient que les taux de change réels et les prix relatifs des non échangeables reflètent l’ajustement graduel du retour à la moyenne et indiquent les facteurs qui comptent d’une manière endogène, à savoir les chocs d’offre et de demande aussi bien 164 que l’arbitrage dans le marché des biens échangeables. Les résultats de la causalité de Granger et de la décomposition de variance indiquent une importante simultanéité et des effets de retour entre taux de change réels, prix relatifs des non échangeables et différentiels de productivité. D’autres hypothèses associées à celle de Balassa-Samuelson soutiennent que les pays riches auront des taux de change réels plus élevés que ceux de pays pauvres et justifient des déviations des taux de change par rapport à la PPA. Elles constituent une explication alternative à celle basée sur les différentiels d’inflation. Dans l’explication de la déviation de la PPA, Kravis et Lipsey (1988) ont montré qu’une corrélation positive entre le niveau des prix et le PIB réel par tête est robuste à travers de nombreuses spécifications transversales. Le rapport capital-travail en est l’élément explicatif essentiel. Cet élément est bien présent dans l’explication fournie par Bhagwati (1984) qui représente une approche plus large basée sur les dotations relatives des facteurs. Les différences dans les degrés de mobilité des facteurs et dans d’autres caractéristiques structurelles telles que la balance commerciale ainsi que les parts des recettes du tourisme et des produits minéraux dans le PIB (Clague 1986) constituent un autre élément explicatif. Bergstrand (1991) considère que ces deux explications représentent le côté offre et qu’une autre basée sur le côté demande est possible. Supposant des préférences non homothétiques, les niveaux des prix sont plus forts dans les pays à PIB par tête plus élevé car les services non échangeables sont des nécessités. Il est intéressant de noter que dans le modèle BalassaSamuelson où le taux de change réel dépend entièrement de facteurs d’offre, les facteurs de demande n’entrent pas en ligne de compte. Cette propriété du modèle dépend de certaines hypothèses : - Le pays est petit et n’affecte pas le taux d’intérêt étranger ; - Le capital est internationalement mobile ; - Le capital et le travail sont instantanément mobiles entre secteurs et à l’intérieur de pays ; - Il y a des rendements d’échelles constants dans les facteurs mobiles. Si, par exemple, le capital et le travail sont mobiles à travers les secteurs dans le long terme mais pas dans le court terme, les facteurs de demandes peuvent avoir un effet de court terme sur le taux de change réel. La possibilité que les facteurs de demande peuvent compter, au moins dans le court terme, était explorée empiriquement par Froot et Rogoff (1991) ; Rogoff (1992) et par De Gregorio, Giovannini et Wolf (1994) qui évoquent la dépense publique 165 comme variable explicative en plus du revenu par tête et des productivités de biens échangeables et non échangeables et de leurs poids relatifs. Il est communément admis que la dépense publique, comparée à la privée, est essentiellement effectuée en biens non échangeables Ainsi, une hausse de cette catégorie de dépense entraîne une appréciation du taux de change réel. Rogoff (1992) soutient que cet effet est transitoire du fait qu’un choc de demande affecte le taux de change réel dans un petit pays, seulement dans la mesure où le capital et le travail ne sont pas parfaitement mobiles. Dans le long terme avec une mobilité complète des facteurs, le taux de change réel baisse par productivité et autres facteurs d’offre. L’explication des déviations de la PPA en termes de choc de productivité ou de large dépense publique semble être liée aux modèles intertemporels du taux de change, par opposition aux approches Mundell-Fleming élargis attribuant les déviations à des chocs monétaires ou fiscaux transitoires. Les résultats théoriques et empiriques de divers travaux (Stockman 1980, 1987 ; Helpman et Razin 1982b ; Rogoff 1992 ; Asea et Mendoza 1994 ; Bayoumi et Macdonald 1999) sont compatibles avec certains faits stylisés d’une large et persistante déviation de la PPA. Mais ils sont aussi compatibles avec les préférences temporelles et les dotations en termes de chocs ; avec la relation entre le PIB réel par tête et le taux de change réel de Kravis et Lipsey (1988) et d’une autre manière avec les modèles de différentiels de productivité de Balassa (1964) et Samuelson (1964). Une autre explication des déviations permanentes par rapport à la PPA se base sur des considérations extérieures. La PPA présente une référence pour le taux de change réel dont elle postule l’invariance dans le temps mais elle ne permet pas de le relier à la situation économique du pays, et notamment à sa position extérieure. En effet, les mouvements significatifs des termes de l’échange d’un pays se traduisent par des mouvements semblables dans les taux de change induisant ainsi des déviations par rapport à la PPA. Pour ce qui concerne les déficits cumulés du compte courant et la dépréciation du taux de change réel à long terme, Obstfeld et Rogoff (1996) constatent une évidence pour 5 à 10 ans, mais aussi une corrélation qui pose en plus le problème de causalité. Pour Bayoumi et al. (1994), tout dépend de facteurs tenant à la politique fiscale ou monétaire. Ce point demeure donc ambigu. Krugman (1990) soutient que les comptes courants induisent probablement des variations significatives du taux de change réel en permettant un transfert de richesse entre pays que les 166 résidents nationaux et étrangers concrétisent par diverses dépenses. On peut noter aussi qu’une accumulation de la dette extérieure nette peut créer de l’hystérèse. A cause des intérêts de la dette, une phase transitoire de déficit commercial peut nécessiter une dépréciation permanente du taux de change réel afin de garantir un surplus commercial adéquat pour l’équilibre extérieur. Dans une situation où il y a hystérèse, les valeurs d’équilibre de long terme des taux de change et des prix dépendent de conditions initiales et du sentier qu’ils suivent dans le court terme (Baldwin 1988 ; Begg 1989). Il est ainsi probable que la PPA ne fonctionne pas. Nous disons comme Rogoff (1996) que les facteurs réels qui engendrent les déviations par rapport à la PPA, tels l’effet Balassa-Samuelson ; les déficits cumulés des comptes courants et les dépenses gouvernementales sont à utiliser dans certaines circonstances, ne sont pas universellement applicables et ne peuvent pas remplacer complètement la PPA en tant que théorie de taux de change réel à long terme. Section 4 4.1 Des nouvelles perspectives à la PPA La PPA et les pays en développement Evoquer la PPA dans les PED comme une particularité nous semble légitime. En effet, les taux de change se comportent différemment de ceux des pays industrialisés et cela pour deux raisons essentielles. D’une part, la structure économique est différente et la gestion du change et des prix l’est aussi, sans parler des bases de données. D’autre part, les facteurs qui induisent les déviations de la PPA se trouvent amplifiés dans le cas des PED, voire sont propres à ces pays. L’effet Balassa-Samuelson en est l’exemple parfait. Il estime que les calculs de la PPA fondés sur les biens échangeables sous-évaluent le pouvoir d’achat dans les PED, si l’on tient compte de la consommation des biens non échangeables à bas prix. Il nous paraît évident que la présence des biens non échangeables, source de déviation de la PPA la plus évoquée, compte davantage dans les PED que dans les pays industrialisés. Ainsi, mesurant la part des mouvements des prix relatifs de non échangeables dans le mouvement des taux de change réel des Etats-Unis, Engel (1999) va plus loin en soutenant que les prix relatifs des non échangeables n’influencent aucunement les taux de change réels, tout en accordant une attention particulière aux mouvements Dollar/Yen. Et cela en décomposant 167 l’horizon temporel en plusieurs possibilités allant de un mois à 30 ans et en explorant cinq mesures différentes de prix des non échangeables et de taux de change réel américain par rapport à un nombre de pays à haut revenu. Si la PPA, en tant que référence au comportement du taux de change réel est abandonnée à court et moyen terme et l’est devenue, plus récemment, pour le long terme, qu’en est-t-il alors des PED ? En fait, comparé aux pays développés, la littérature empirique de la PPA y est bien rare. Edwards et Savastano (1999) ont classé différentes études consacrées aux PED selon la démarcation des divers stades des tests appliqués à la PPA, par ailleurs proposées par Breuer (1994) et Froot et Rogoff (1995). Ces stades consistent respectivement en des tests d’hypothèse nulle, des tests univariés de taux de change réels et des tests bivariés et trivariés de coïntégration de la PPA. Dans les 13 études classées, il n’y a que les deux derniers stades, peut être parce que le premier était déjà bien connu quand on a commencé à s’intéresser aux PED. De surcroît, ces études sont plus concentrées sur des pays d’Amérique Latine (8 études sur 13) et la période d’observation est courte, inférieure à 30 ans, ce qui a entraîné l’utilisation des données infra annuelles par palier. On utilise plus l’indice des prix à la consommation que celui des prix de gros et les taux de change bilatéraux que multilatéraux. Les résultats montrent un peu plus de soutien à la PPA avec des tests trivariés de coïntégration qu’avec des tests univariés du taux de change réel, mais avec très peu d’applications, 18 pays d’Amérique Latine sur 20 pour les premiers contre 15 sur 33 pour les seconds. Ce soutien demeure, néanmoins, faible. Les causes de l’échec de la PPA font penser à celles évoquées pour les pays développés (Hoque 1995) avec peut-être plus d’ampleur. La faiblesse du pouvoir explicatif des tests, univariés en particulier ; la surreprésentation des pays d’Amérique Latine ; le manque de clarté à l’égard des variantes de la PPA à tester et le manque de tests empiriques de coïntégration, bivariés et trivariés, constituent des limites supplémentaires. Comme nous avons vu plus haut, des études transversales basées sur des données de panel sont utilisées pour pallier la faiblesse du pouvoir explicatif des tests conventionnels de la PPA. C’est aussi le cas pour les PED, puisque plusieurs études transversales y ont été appliquées, apportant un soutien à la PPA à long terme. Adoptant une méthodologie différente et cherchant à étudier les épisodes d’appréciation des taux de change dans les pays émergents ainsi que les facteurs de retour à la moyenne, Goldfajn et Valdès (1999) utilisent un 168 échantillon très large constitué de données mensuelles émanant de 93 pays pour la période allant de 1960 à 1994, soit plus de 39000 données. Ils trouvent une relation hautement non linéaire, en forme de U, entre la probabilité de retour à la moyenne et la taille de l’appréciation. Autrement, le taux de change réel dévie de son niveau en s’appréciant. Mais, à partir d’un certain seuil, une dépréciation réelle apparaît, augmentant ainsi les forces permettant le retour du taux de change réel à son niveau d’équilibre. Pour les auteurs, cela est compatible avec les résultats récents de convergence de la PPA. Cependant, les études transversales soulèvent de nombreux problèmes telle que l’importance de ces pays dans l’échantillon qui est à considérer, la présence des biais telle que la prédominance des chocs monétaires dans les PED à inflation élevée, la dépendance transversale, du fait que le dollar est une base commune pour le calcul du taux de change réel, et l’agrégation transversale des régimes nominaux de taux de change. Le résultat n’est donc pas clair, d’autant plus que le peu de soutien à la PPA était essentiellement pour des taux de change réels bilatéraux alors que la plupart des PED ont préféré fixer leurs taux par rapport à des monnaies majeures ou des paniers (Kreinin et Warner 1983 ; Bahmani-Oskooee 1986). Ce qui ne signifie pas, par ailleurs, qu’ils puissent éviter les fluctuations de leurs taux de change d’équilibre d’autant que les principales monnaies fluctuent entre elles. Les taux de change effectifs réels peuvent donc servir pour tester la PPA, ils sont de meilleure qualité que des taux bilatéraux maintenus fixes. D’ailleurs, il y a des différences significatives entre des mesures bilatérale et multilatérale des taux de change réels (Fleissig et Grennes 1994). Mais leur utilisation n’a apporté que des résultats mitigés (Bahmani-Oskooee 1993 ; 1995 ; 1998b). Somme toute, un désappointement total caractérise la relation de la PPA dans les PED. De même, si cette relation est identifiée, il nous paraît difficile, voire dangereux, d’en tirer des leçons pour un pays donné du simple fait que les PED ne forment pas un bloc homogène et dont les structures économiques et les régimes de change sont largement contrastées. Par contre, il est d’une grande importance de mettre l’accent sur deux questions que soulèvent les résultats de la PPA, celle de la convergence du taux de change vers sa valeur PPA et celle de l’effet Balassa. Dans le cas de la confirmation de la PPA à long terme, la question de la convergence semble paraître plus importante que la relation elle-même. En effet, la pertinence d’une telle relation pour les PED ne dépend pas uniquement de la vitesse moyenne des ajustements vers la valeur d’équilibre donnée pour la PPA, mais aussi de leur variabilité à court terme (Burkett et Liu 1995). Il n’est pas seulement difficile d’estimer la vitesse de convergence, qui peut être sujet à variations et fonction de la déviation par rapport à 169 l’équilibre ou autres variables, mais en définitive peut-être n’y a-t-il rien à estimer (Boyd et Smith 1999). Quant à l’effet Balassa-Samuelson qui concentre tout l’intérêt qu’on porte à la PPA dans les PED, il ne sort pas indemne du constat ci-dessus brossé dans la mesure où sa robustesse est contestée (Wood 1991 ; Isard et Symansky 1996). Il incombe donc aux PED de considérer avec plus d’attention toute supposition de relation entre production-revenu (croissance) et taux de change réel (variation). Il faut peut être garder à l’esprit le message de Balassa, qui reste valable, à savoir sa réfutation de la PPA absolue et relative. Le taux de change d’équilibre n’est pas nécessairement celui qui égaliserait les niveaux généraux des prix, dans tous les pays, ni celui qui ramènerait le rapport des prix à la parité d’une époque d’équilibre antérieur. Les PED doivent établir un nouveau taux de change par eux-mêmes, les comparaisons des prix avec d’autres pays et avec le passé ne donnent guère d’indications utiles sur le taux qu’ils devraient choisir. 4.2 La PPA modifiée Balassa (1964) était le premier à exprimer et faire régresser le taux de change sur d’autres variables, essentiellement le revenu, insistant ainsi sur le non fonctionnement de la PPA. Depuis, l’estimation du taux de change, basé sur la PPA, se fait davantage en dehors d’un rapport direct avec les prix. Elle essaie d’intégrer les diverses critiques adressées à la PPA, les méthodologies et les résultats empiriques, mais aussi et d’une manière plus large les débats qui ont marqué l’analyse économique pendant ces deux dernières décennies. Par conséquent, cette nouvelle estimation du taux de change se base de plus en plus sur une PPA modifiée. Cette modification repose essentiellement, nous semble-t-il, sur la prise en compte de la distinction entre biens échangeables et non échangeables qui a donné naissance à différentes approches de mouvements des taux de change réels. Désormais, les indices des prix nationaux ( P ) et étrangers ( P* ) sont considérés comme deux moyennes pondérées des prix des échangeables ( Pe ) et des non échangeables ( Pn ), d’où : p = (1 − α ) pe + α pn (1) p* = (1 − α * ) pe* + α * pn* α et α * représentent les parts de non échangeables dans les indices des prix (en log). 170 Le taux de change réel ( R ) est le taux de change nominal ( N ) pondéré par le rapport de prix NP* , peut s’exprimer en log comme suit : étrangers et nationaux, R = P r = n + p* − p (2) Nous pouvons ainsi écrire : r = (n + pe* − pe ) − α ( pn − pe ) + α * ( pn* − pe* ) (3) Cette équation indique que le taux de change réel est fonction du prix relatif des échangeables entre pays et des différences pondérées de prix relatif de non échangeables par rapport aux échangeables dans chaque pays. Plusieurs études ont même essayé d’examiner les contributions relatives de l’ensemble de ces composantes aux mouvements des taux de change (Engel 1999) pour montrer que les prix relatifs de non échangeables ne comptent pour aucun mouvement des taux de change réels. Isard et Symansky (1996) entreprennent une décomposition légèrement différente, admettant la variation dans le temps des poids des non échangeables, α et α * , comme troisième composante comptant pour les variations du taux de change réel. Ils obtiennent un résultat convergent avec celui d’Engel, à savoir que le premier terme compte pour la totalité des mouvements. Des études précédentes ont été consacrées à la construction des prix des échangeables et des non échangeables (De Gregorio, Giovannini et Wolf 1994 ; Stockman et Tesar 1995 ; Canzoneri, Cumby et Diba 1999). Mais ces travaux ont rencontré deux problèmes sérieux. Le premier est que beaucoup d’entre elles s’intéressent aux prix des non échangeables et échangeables pour un pays, alors qu’il s’agit, dans l’équation (3) d’un prix relatif : un pays par rapport à un autre. On ne peut donc en prendre toute la dimension. Le second est qu’ils n’examinent pas l’importance de la composante prix non échangeables dans le mouvement total du taux de change réel. Il n’y a donc pas de comparaison des contributions des deux composantes aux mouvements du taux de change réel. Bien qu’il y ait beaucoup d’alternatives aux décompositions qui peuvent être entreprises à l’équation (3) et puisque la plupart des modèles économiques font référence au second terme comme le déterminant du taux de change en supposant que le premier terme égal à zéro, n + pe* − pe = 0 , par le fait que la PPA s’applique aux biens échangeables, la plus pertinente nous semble être la suivante : 171 r = −α ( pn − pe ) + α * ( pn* − pe* ) (4) Ce qui a constitué en soi une approche de PPA pour les biens échangeables (Engel 1993 ; Jenkins et Rogers 1995 ; Strauss 1999…). Ainsi, le taux de change réel est fonction des prix relatifs de non échangeables nationaux et étrangers. Ce genre de modèles était exploré davantage en prenant pleinement en compte l’effet BalassaSamuelson qui implique que l’appréciation du taux de change réel devait être corrélée avec les différentiels de croissance de productivité entre le secteur de biens échangeables et celui de biens non échangeables et donne naissance à des modèles de taux de change réels basés sur la productivité remontant même à Harrod (1933). Les prix des biens non échangeables seront ainsi déterminés uniquement par les différentiels de productivité, sous les conditions strictes d’une parfaite mobilité internationale du capital et d’une mobilité intersectorielle des facteurs de production. Strauss (1999) suppose aussi un marché compétitif où les prix reflètent le coût unitaire du travail dans chaque secteur, le salaire nominal ( w ) ajusté par la productivité ( a ). Ainsi, le taux de salaire est supposé être le même dans les deux secteurs du fait de la mobilité du travail. Les prix s’expriment donc de la manière suivante : pe = w − ae pn = w − an pe* = w* − ae* pn* = w* − an* (5) Ce qui donne : pn − pe = ae − an pn* − pe* = ae* − an* et (6) Il s’ensuit que les différentiels de productivité, productivité de biens échangeables moins productivité de biens non échangeables, peuvent expliquer les mouvements dans les prix relatifs de non échangeables La substitution de (6) dans (4), peut donc donner : r = −α (ae − an ) + α * (ae* − an* ) (7) Cette expression indique que le taux de change réel est fonction des différentiels de productivité entre les secteurs et entre les pays. Les différentiels de productivité entre échangeables et non échangeables, induisant des changements dans les prix relatifs, peuvent 172 induire des variations dans les taux de change et des déviations de la PPA (Hsieh 1982 ; Kravis et Lipsey 1988 ; Asea et Mendoza 1994 ; De Gregorio, Giovannini et Wolf 1994 ; Canzoneri, Cumby et Diba 1999 ; Mark et Choi 1997). Une hausse de la productivité dans les échangeables à l’intérieur du pays ( ae ) entraîne une baisse du taux de change réel ( r ) : l’innovation entraîne l’appréciation du taux de change. Cette proposition est nuancée empiriquement, puisque certaines études (Froot et Rogoff 1995 ; Ferris et Strauss 1996) mettent en évidence une faible liaison entre productivité (différentiel) et taux de change réel. Les équations (4) et (7) supposent une concurrence parfaite et une mobilité instantanée de capital et de travail. L’absence de ces deux conditions et le fait que les fonctions de production ne soient pas les mêmes dans tous les pays peuvent expliquer cette faiblesse de la relation entre taux de change réel et différentiels de productivité. A cela s’ajoute la difficulté pratique de ce type de modèle : le manque de données concernant la productivité sectorielle, le recours à des proxies comme le PIB par tête, qui sont clairement inadéquats, et l’utilisation de la productivité globale ou la productivité totale des facteurs, au lieu de celle du travail comme chez Bahmani-Oskooee et Rhee (1996). L’insuffisance de l’approche basée sur la productivité qui reflète les chocs d’offre a suscité l’apparition d’une autre approche concomitante, liée elle aussi à Balassa-Samuelson, et qui consiste en une exploration des déterminants des prix relatifs des échangeables par rapport aux non échangeables en intégrant des facteurs reflétant les chocs de demande, comme la dépense publique (Rogoff 1992 ; De Gregorio et Wolf 1994) dans l’explication du taux de change réel. Les deux approches ne sont pas exclusives surtout depuis qu’on a exploré des procédures économétriques plus performantes. Ainsi, suivant Chinn (1997), Strauss (1999) concentre son analyse, côté demande, sur les changements dans la dépense publique qui se compose largement de biens non échangeables. Il suppose que les prix relatifs des biens échangeables et non échangeables dépendent de productivités relatives entre secteurs de biens échangeables et non échangeables, mais aussi de la dépense publique en % de PIB ( g − y ): pn − pe = ae − an + g − y Il s’ensuit que le taux de change réel peut être exprimé comme suit : r = −α (ae − an ) + α * (ae* − an* ) + ( g − y ) − ( g * − y* ) 173 La prise en compte de la dépense publique comme variable explicative du mouvement des taux de change et ne se substituant pas forcément aux différentiels de productivité a permis d’explorer les effets d’autres variables réelles, comme chez Chinn (1997), telles que les termes de l’échange, le revenu réel par tête et le prix de pétrole. Les modèles basés sur la modification de la PPA, apportent, certes, davantage d’explication et de compréhension au comportement du taux de change, mais ils demeurent néanmoins insuffisants. En effet et bien qu’ils évoquent plusieurs éléments explicatifs de la PPA dont l’interprétation s’est enrichie au cours de ces deux dernières décennies d’analyse économique, ces modèles ne représentent en fait qu’une vision réduite du taux de change, celle basée sur les prix. Ils évoquent de moins en moins les niveaux de ces derniers comme déterminants directs du taux de change au profit de davantage de variables. Elles sont intégrées parce qu’elles affectent ceux-ci ou contribuent à leur formation. On assiste ainsi à un glissement au niveau des modèles de taux de change, au point d’arriver avec certains d’entre eux à une équation unique qui n’est qu’une succession de variables sensées, intuitivement, affecter les prix sans qu’on n’y voie de lien direct. La place de la PPA dans la détermination du taux de change nous semble devenue paradoxale. D’un côté, elle est attaquée, critiquée et dépassée parce qu’elle est jugée insuffisante. D’un autre côté et pour la compléter, du fait de cette insuffisance même, on fait appel à des modèles empilant une série de variables dont seul le pouvoir explicatif compte et dont la portée dépasse le cadre même de la PPA. En conséquence, cette nouvelle interprétation de la PPA déborde du cadre de celle-ci. Plus large, elle n’est pour autant pas complète ni suffisante puisque son origine demeure une vision réduite. Il nous semble donc très important de réhabiliter le cadre interprétatif de la PPA. Et si limite il y a, c’est en dehors de celui-ci que se fait l’interprétation. 174 Chapitre 5 L’approche de l’équilibre sous-jacent Devant l’échec de la PPA à servir de référence au taux de change réel, est apparue une toute autre littérature en termes de taux de change réel d’équilibre. Il n’est pas, à la différence de l’approche traditionnelle, le produit de l’équilibre d’un marché déterminé, tel celui des biens ou de la monnaie. Bien au contraire, il nécessite un équilibre macroéconomique global. C’est de cette nécessité même et de la manière pour parvenir à l’équilibre, de la définition et du rôle du taux de change réel, que découlent plusieurs approches mettant l’accent sur les caractéristiques macroéconomiques des pays dans la détermination du taux d’équilibre. Cette approche se focalise sur la nécessité de l’accomplissement d’un équilibre simultanément interne et externe. Ses racines remontent au plus loin, aux apports de Nurkse (1945) ; Metzler (1951) ; Meade (1951) et Swan (1963), avant d’être affinée par l’équipe du FMI, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et ensuite familiarisée par les travaux de Williamson (1983 ; 1985 ; 1994) qui, en réaction à la volatilité excessive des taux de change au début des années 1980, ont abouti à la détermination d’un taux de change d’équilibre fondamental. En une décennie, l’approche de l’équilibre sous-jacent est devenue dominante dans la détermination du taux de change réel d’équilibre, voire même consubstantielle à un tel projet. Le foisonnement de travaux dans ce domaine est tel qu’il est devenu fastidieux de distinguer les divers apports et d’en déterminer une grille de lecture claire et intelligible. Cela est d’autant plus difficile, par manque de recul, que toute modélisation a tendance à se présenter ou, du moins, est présentée comme une approche à part entière. On évoque ainsi un taux de change réel d’équilibre fondamental (FEER) ; désiré (DEER) ; naturel (NATREX) ; comportemental (BEER) ; etc. On présente les modèles de détermination du taux d’équilibre en distinguant soit un taux normatif d’un autre jugé positif, soit le FEER de tout autre modèle. Il y a les modèles à équations réduites et les autres, comme il y a l’approche habituelle présentée par le FEER et le DEER et l’approche renouvelée par la définition d’une trajectoire du taux de change. Somme toute, vu le foisonnement et la multitude de travaux de modélisation du taux de change réel d’équilibre basée sur une approche d’équilibre macroéconomique sous-jacent, il nous semble important d’avoir une méthodologie de lecture qui facilite la compréhension de cette approche. Pour cela nous proposons de revenir à la définition même de ce qu’est un taux 175 de change réel comme critère fondamental de distinction entre les divers apports. Il nous paraît d’emblée primordial de définir la nature de l’objet de recherche, d’autant plus qu’une modélisation du taux de change réel d’équilibre nous semble se développer qui néglige cet aspect et ne s’intéresse qu’aux variables explicatives, comme dans beaucoup de modèles à équation réduite. Par la suite, entrent en considération les autres critères qui nous paraissent dépendre essentiellement de l’objectif de l’étude et des structures de l’économie concernée. Ainsi, les modèles se distinguent aussi par le fait qu’ils traitent d’une petite ou grande économie, par l’importance qu’ils accordent au commerce extérieur ou aux flux de capitaux, par leur définition des équilibres interne et externe, par leur aspect statique ou dynamique, etc. Sur cette base, nous distinguerons trois types de modélisations. La première conçoit le taux de change réel comme prix relatif de deux monnaies ou prix relatif entre biens nationaux et biens étrangers. C’est essentiellement, si ce n’est pas exclusivement, l’apport de Williamson et ses dérivés et extensions. Pour la deuxième, le taux de change réel est le prix relatif entre biens échangeables et non échangeables. Les travaux d’Edwards représentent bien l’enjeu d’une telle modélisation. La troisième se veut globalisante puisqu’on y trouve les deux définitions précédentes : La première lorsqu’il s’agit d’une économie développée et la seconde en cas d’une petite économie. Elle concerne l’apport du NATREX. Ces trois modélisations feront l’objet d’une étude détaillée en trois sections, avant de pouvoir dégager une vue d’ensemble sur l’approche d’équilibre sous-jacent dans une cinquième et dernière section, car la première sera consacrée à la notion d’équilibre en économie sur laquelle il important de s’attarder. Section 1 Notion d’équilibre en économie Bien que le foisonnement des approches d’équilibre soit un phénomène très récent marquant cette dernière décennie et indiquant les limites de la PPA et des modèles qui y sont construits, le concept lui-même ne l’est pas. Il en était surtout question lors des accords de Bretton Woods. Nurkse (1945) plaidait pour que les variations des taux de change soient ordonnées et nécessaires pour corriger un déséquilibre fondamental et qu’il incombait au Fond Monétaire international (FMI) de les favoriser. Il s’opposait au flottement libre des taux de change car un excès de volatilité, causé essentiellement par des flux de capitaux spéculatifs, entraîne une instabilité économique, à travers le rapport de biens échangeables aux biens non échangeables. Tout à l’opposé, Friedman (1953) distingue la flexibilité des taux 176 de change de leur instabilité, considérée comme symptôme de l’instabilité d’une structure sous-jacente. 1.1 Deux approches précurseurs Comme pour le rôle à assigner au taux de change, le débat sur sa détermination a vu l’émergence de deux approches opposées qui ont marqué, depuis, la théorie économique. Elles sont dues à Nurkse et Salter et Sawan. Si la plupart des travaux de détermination du taux de change réel d’équilibre se contentent aujourd’hui d’empiler des séries de variables explicatives dans une équation unique, certains font une allusion implicite et même explicite à l’importance de ces approches précurseurs comme chez Devarajan, Lewis et Robinson (1993) et Devarajan (1996) qui présentent leurs travaux comme une extension du modèle de Salter (1959) et Swan (1960) ou chez Stein (1994) qui souligne l’actualité de l’apport de Nurkse. Revenons aux deux approches : Nurkse définit le taux de change d’équilibre comme celui qui maintient les comptes extérieurs d’un pays en équilibre sans provoquer un important chômage à l’intérieur et qui n’est pas maintenu à travers un contrôle commercial et financier. Par cette définition, Nurkse a accentué son analyse sur l’équilibre de la balance des paiements et comment juguler ses problèmes sans s’attarder sur la définition même du taux de change, ni sur la manière de parvenir à un niveau d’équilibre. Cette approche s’est prolongée avec les travaux de Meade (1951) ; Mundell (1961, 1962, 1963) et Fleming (1962) formant ce qu’on appelle l’approche de la balance des paiements. Mais c’est la contribution de Mundell (1971) qui présente la première analyse formalisée de détermination du taux de change réel d’équilibre. Il suppose une petite économie pour laquelle les termes de l’échange sont donnés. Le taux de change réel d’équilibre est défini comme le prix relatif des biens étrangers par rapport aux biens nationaux qui équilibre simultanément les marchés de la monnaie et des biens nationaux et étrangers. Dans sa contribution, il n’utilise pas explicitement le terme taux de change réel et son analyse décrit rigoureusement comment est déterminé le prix relatif d’équilibre entre biens échangeables et biens non échangeables Dans la tradition de Salter-Swan, le taux d’équilibre est aussi celui qui est compatible avec un équilibre interne et externe, mais il est défini comme le rapport de prix des biens échangeables et des non échangeables, quoi que Salter (1959) n’y fasse pas allusion. L’approche de SalterSwan se révèle importante par rapport à celle de Nurkse parce qu’elle s’attarde sur la notion 177 même du taux de change et décrit les moyens de parvenir à un équilibre interne et externe et à un taux de change d’équilibre. Mais, ce qui fait nettement la démarcation par rapport à la tradition de Nurkse c’est l’adoption d’une approche micro-économique de l’équilibre. En effet, Salter étudie certains aspects de la relation entre équilibre interne et équilibre externe à travers les effets prix et les effets revenus ou comment ces deux effets pris ensemble permettent de concilier ou non une politique de plein emploi, équilibre interne, avec une politique de balance des paiements, équilibre externe. Pour sa démarche, il considère le cas d’un petit pays pour lequel les termes de l’échange sont donnés et ne peuvent être affectés par des politiques intérieures telles qu’une dévaluation ou une déflation. Il fait appel à une représentation des courbes d’indifférence et de possibilité de production de deux biens échangeables et non échangeables La rencontre des deux courbes, toutes deux tangentes à une droite de dépense, représente le niveau d’équilibre de l’économie. Celui-ci correspond à un équilibre interne, de plein emploi, et un équilibre externe, de balance de paiements. Les biens échangeables, importables et exportables, sont fonction des termes de l’échange, alors que les biens non échangeables voient leur prix déterminé par la demande et les coûts internes. Salter prend ici la balance des paiements dans le sens de la balance commerciale. 1.2 L’importance relative de l’approche de Salter-Swan Ce qui nous semble encore important dans l’apport de Salter et qui en soi représente un enrichissement de l’analyse économique, c’est la rareté de l’équilibre et l’évocation du déséquilibre comme le cas le plus fréquent. Salter avance la typologie suivante en fonction de deux critères qui sont l’emploi, équilibre interne, et la situation de la balance des paiements, équilibre externe : Balance des paiements Surplus Déficit Emploi (+) (-) Sur-emploi (+) ++ +- Sous-emploi (-) -+ -- En faisant jouer les effets prix et les effets revenus, Salter montre comment une situation d’équilibre interne et externe tourne en une situation de déséquilibre du fait d’un excès de la demande ; d’une hausse des prix mondiaux ou d’une entrée des flux de capitaux. Il indique 178 également les politiques de rétablissement de l’équilibre. Comme, par exemple, dans le cas d’un déséquilibre originel qui nécessite une modification des termes de l’échange, à travers une dévaluation ou dépréciation. Mais souvent, c’est la dévaluation qui est engagée et dont la sévérité dépend de l’ampleur de déséquilibre. Le recours à des restrictions à l’import est justifié quand un déséquilibre fondamental de long terme de la balance de paiements n’existe pas et que la situation de court terme est le résultat des termes de l’échange volatiles. Mais s’il y a un tel déséquilibre, c’est que les prix et coûts intérieurs sont tels qu’ils encouragent une variation suffisamment importante des ressources au profit de biens échangeables et que les revenus ne sont pas en excès par rapport au niveau de plein emploi. La tradition de Salter-Swan s’est perpétuée plus récemment avec des travaux comme ceux de Neary (1988), Devarajan, Lewis et Robinson (1993) et Devarajan (1996) qui, pour analyser les déterminants du taux de change réel d’équilibre, ont adopté une analyse duale cherchant à minimiser une fonction de dépense. La dérivation d’une fonction de dépense excédentaire détermine les propensions à consommer des biens, échangeables et non échangeables, leur prix relatif, la fonction de demande compensée ainsi que le jeu d’effets de substitution et de revenu. L’apport de Salter-Swan et ses extensions ont toujours été associés à une petite économie dépendante. Ne serait ce que pour cela, ils ont un grand mérite. Car ils ont pu influencer l’analyse économique dans le sens de son élargissement à d’autres phénomènes économiques comme ceux caractérisant des PED. Néanmoins, l’approche suivie nous semble bien réduite, se concentrant sur les prix relatifs et adoptant une démarche microéconomique. Il nous paraît très difficile de transposer une telle démarche à la situation économique globale d’un pays qui nécessite plutôt une approche macroéconomique. Par ailleurs, la notion du taux de change réel d’équilibre se réfère à un équilibre macroéconomique interne et externe. Cela dit, l’approche de Salter-Swan garde toute son importance par la définition même qu’elle donne au taux de change et par le domaine dans lequel elle s’applique. C’est ainsi que des travaux faisant référence à Salter-Sawan (Edwards 1994c, par exemple) ont calculé des taux de change réel d’équilibre tout en adoptant une approche macroéconomique. En effet, quelle que soit la démarche adoptée, le point commun entre les diverses approches est de se baser sur un équilibre macroéconomique global par sa dimension interne et externe, formant ainsi une nouvelle voie dans la détermination du taux de change réel d’équilibre qui est celle d’un équilibre sous-jacent et dont nous verrons les principales contributions dans ce qui suit. 179 Section 2 L’apport basé sur le FEER Williamson (1983,1994) définit un taux de change d’équilibre fondamental “ FEER ” comme un taux de change compatible avec un équilibre macroéconomique, signifiant l’atteinte simultanée de l’équilibre interne et externe. L’équilibre interne exige un niveau de production qui correspond au plein emploi et non inflationniste. Quant à l’équilibre externe, il est défini comme l’atteinte d’une position d’équilibre pour les comptes courant et du capital. Cette situation peut être représentée par le graphique ci-dessous, où les droites (YY) et (CCCC) mettent en évidence successivement les équilibres interne et externe. Pour le premier, la production dépend positivement de l’absorption (A), demandes intérieure et étrangère, et du taux de change réel (R) dont une hausse exprime une dépréciation. Pour le second, le compte courant (CC) dépend négativement de l’absorption et positivement du taux de change réel. En effet, un niveau de taux de change réel plus faible réduit les exportations nettes qui seront compensées par une demande plus élevée pour garder constant le niveau de la production. Alors que des exportations nettes plus larges résultant d’une dépréciation réelle seront compensées par une demande plus élevée gardant constant le compte courant. L’équilibre macroéconomique correspond donc à deux niveaux spécifiques de demande (A*) et du taux de change réel (R*). R Y CC R* CC Y A* 2.1 A Contenu principal Dans cette démarche de Williamson, le FEER peut être calculé ex-ante, anticipant un sentier pour équilibre futur, interne et externe, ou ex-post, comme un taux compatible avec l’équilibre interne et externe dans le passé. Il peut être utilisé comme antidote de la PPA, pour corriger les effets de flux de capitaux transitoires, pour expliquer les facteurs sous-jacents aux 180 variations de taux de change et comme arme à influencer la politique économique. Bien que son calcul se base sur une cible du compte courant, rien ne laisse penser que c’est un taux d’équilibre immuable. Williamson le conçoit plutôt comme un sentier pour le taux de change. En plus de la raison la plus familière évoquant le fait que l’inflation procède à différents taux dans différents pays, il en avance trois autres pour que ce taux d’équilibre varie. La première est celle du Biais de productivité (Balassa 1964) qui associe une appréciation particulière de la monnaie à un taux de croissance élevé de l’économie. Il y a une tendance systématique pour que la productivité croisse plus rapidement dans les secteurs produisant des biens échangeables plutôt que dans ceux des biens non échangeables, de même que le différentiel de productivité en faveur des pays à croissance rapide. La seconde est celle d’un déséquilibre commercial. Dans le cas d’un déficit qui se traduit par une dette, il faut déprécier la monnaie pour accroître le solde de la balance commerciale et ainsi favoriser le paiement de la dette. Dans celui d’un surplus, il faut apprécier la monnaie en termes réels pour soutenir un accroissement de l’absorption par rapport à la production. La troisième présente la situation où le produit de l’élasticité revenu de demande d’import et le taux de croissance intérieure excède celui de l’élasticité-revenu de demande d’export et taux de croissance étrangère. Le compte courant tend, en conséquence, à se détériorer (Johnson 1958, Houthakker et Magee 1969) et, pour y remédier, une dépréciation continue du taux de change s’impose. Krugman (1989) soutenait qu’un effet similaire serait apparu même si les produits élasticités et taux de croissance étaient égaux du fait de l’importance de l’écart initial dans les niveaux des exportations et des importations. L’équilibre externe semble être l’élément qui a suscité le plus de controverses, autour de la question de sa détermination en particulier. En effet, en réfutant la définition traditionnelle qui considère le flux de capital finançant le déséquilibre de compte courant sans changement de réserves, il retient le fait que le compte courant soit à un niveau soutenable. Il interprète ainsi l’équilibre en terme de cible compte courant plutôt qu’un équilibre global. Pour désigner la cible, il évoque trois principes de base. Le premier est d’examiner les déséquilibres passés et leurs relations avec les disponibilités d’épargne et les niveaux d’investissement pour voir s’ils reflètent un comportement économique rationnel ou une mauvaise conduite des politiques gouvernementales. Le deuxième est d’examiner dans quelle mesure il est possible de soutenir des déséquilibres qui apparaissent rationnels. Le troisième est de vérifier que les cibles retenues soient internationalement compatibles. Selon les deux 181 derniers principes, les cibles seront modifiées jusqu’au niveau nécessaire pour amener la soutenabilité et puis accomplir la compatibilité. Le débat sur le choix de la cible compte courant a fait apparaître des approches approximatives dont deux ont particulièrement marqué la littérature économique, celle du cycle de la dette (besoins d’investissement) et celle du cycle de vie (variations de l’épargne). La première pose fondamentalement l’idée que la propension à épargner est relativement constante dans le temps, tandis que les résultats de compte courant évoluent d’une manière systématique en réagissant à l’accumulation du capital. Six étapes caractérisent le cycle de la dette : C’est le cas d’un pays qui s’endette et accumule de la dette (1) ; cette dette générera des services supérieurs aux flux des capitaux entrants impliquant ainsi un transfert négatif (2) ; qui continuera de s’accroître en s’accompagnant d’une baisse de la dette puisque l’épargne sera supérieure à l’investissement (3) ; au point que le pays deviendra créditeur (4) ; puis créditeur mature (5), enfin il commencera à vivre des capitaux étrangers (revenus d’intérêt et capital importé), le cycle de dette apparaîtra (6). Quant à l’approche alternative de déterminants de déséquilibre compte courant à moyen terme, celle du cycle de vie, les individus cherchent à maximiser leur utilité temps de vie et tendent à épargner pendant leurs années de gains de façon à assurer la consommation des années de retraite. Le temps de vie comprend quatre phases : enfant, jeune adulte, adulte et retraité. Signaler que l’effet de ce type de comportement sur la variation de l’épargne reste tributaire de la structure démographique, va de soi. De la définition du FEER, découle une vision normative. Choisir une cible de compte courant ou un niveau de production élevé qui soit compatible avec un contrôle de l’inflation sont des éléments normatifs pour les équilibres extérieur et intérieur. Le FEER représente donc un taux d’équilibre compatible avec des performances économiques idéales. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en développant le concept de FEER, Williamson cherchait à fournir une référence à la coordination internationale des taux de change dans une période marquée par le résultat de Meese et Rogoff (1983) indiquant l’inaptitude des modèles structurels pour estimer l’évolution des taux de change, mais aussi par la volatilité des taux de change en général et la forte appréciation du dollar américain en particulier. Le FEER est ainsi mieux applicable à des situations où toutes les forces économiques sous-jacentes sont à des niveaux désirés. Il est plutôt basé sur une série d’objectifs macroéconomiques désirés. 182 En ce sens, il ressemble à un taux de change d’équilibre désiré et la terminologie de “ DEER : Desired Equilibrium Exchange Rate” paraît plus appropriée (Bayoumi et al. 1994 ; Artis et Taylor 1995). Le DEER se confond ainsi avec le FEER. Il est nécessaire à l’accomplissement des positions désirées d’équilibre interne et externe. Son calcul est facilité par l’exploration de la portée du FEER et le calibrage des paramètres, comme l’équilibre externe. Il vise donc à préciser l’application et favoriser l’exploitation du FEER. Une tâche à laquelle s’est attelée Williamson (1994b) lui-même en réexaminant le concept du FEER avancé en 1983 et en comparant les résultats à ceux de 1987 qui se rapportent à son projet de zone cible. Il calcule, par exemple, le niveau soutenable du compte courant à partir de l’écart entre des niveaux désirés d’investissement et d’épargne. Le niveau souhaité de compte courant est approché en considérant l’équilibre sous-jacent du stock d’actifs internationaux. Le sentier désiré du compte courant serait ainsi utilisé à identifier la trajectoire appropriée de DEER. 2.2 Des contributions enrichissantes Les travaux de DEER ne se limitent pas à de simples calculs des niveaux d’équilibre, ce qui fait d’ailleurs du DEER un substitut du FEER, mais ils essaient d’enrichir l’interprétation apportée au FEER. Par exemple, la définition de l’équilibre interne comme le plus haut niveau d’activité compatible avec le contrôle d’inflation, renvoie chez Artis et Taylor (1995) aux notions de capacité d’utilisation et du taux de chômage non accélérateur d’inflation (NAIRU) et permet ainsi d’analyser l’équilibre global en termes de combinaisons du taux de change et du taux d’utilisation. L’écart entre le taux de change courant et le DEER est corrigé par le changement dans la capacité d’utilisation. Le DEER lui-même s’ajuste pour accomplir l’équilibre compte courant étant donné que l’équilibre interne est accompli. Ces travaux se rapportant au DEER ont eu le mérite de considérer le comportement du taux de change au-delà de la position de compétitivité internationale du pays et de ses comptes extérieurs. Ils examinent dans quelle mesure le taux de change effectif réel est compatible avec des positions soutenables d’équilibre et surtout tendent à montrer comment des complications dynamiques, comme des effets d’hystérèse, surgissent alors que le taux de change courant converge vers son niveau d’équilibre, le DEER. Ils ont eu à montrer, que ce soit à travers une analyse de statique comparative ou en se basant sur un équilibre général, que le DEER n’est pas une référence constante et que bien plus il est sujet à des ajustements dynamiques. En effet, une accumulation de déficit extérieur nécessite une dépréciation de 183 DEER dans le but de restaurer l’équilibre du compte courant malgré l’accroissement du paiement de la dette, alors que dans le cas de surplus, une appréciation demeure nécessaire. Artis et Taylor (1995) concluent ainsi à l’existence d’une infinité de DEERs qui dépendent du sentier du taux de change lui-même. Par conséquent, le calcul de DEER n’est plus une fin en soi, il est relégué au second plan derrière l’exploration de sa dynamique. De surcroît, restreindre l’étude à la dynamique de DEER évite le choix de la bonne cible compte courant. Il y a donc une complémentarité et non substituabilité entre DEER et FEER. Bien que l’analyse du taux de change d’équilibre en termes de DEER ait rendu plus applicable l’approche du FEER et ait apporté plus d’éclairage à ses propriétés et plus d’appui à sa dynamique, elle n’en demeure néanmoins qu’une version plus présentable. En revanche, une contribution comme celle de Wren-Lewis (1992) nous semble enrichir davantage l’approche du FEER puisqu’elle s’est attaquée à son assise théorique. Il ne considère pas le FEER attribué à Williamson (1983) comme un modèle mais plutôt une méthode de calcul d’un taux de change réel compatible avec un équilibre macroéconomique de moyen terme. Bien qu’elle ait le mérite de permettre une quantification du taux de change réel et de dépasser la simple PPA, l’approche de Williamson présente une faiblesse majeure qui se traduit essentiellement par deux points. D’une part, elle fait abstraction des influences concernant la demande sur l’activité et le commerce. Ainsi, il ne faut pas ignorer les décisions intertemporelles de consommation ou d’investissement car elles influencent les flux structurels de capitaux et de commerce. D’autre part, le FEER peut influencer l’économie et donner naissance à des effets retour ou des “ feedbacks ” que les décisions intertemporelles peuvent mettre en évidence. Wren-Lewis place ainsi les flux de commerce et de capitaux au cœur du calcul de FEER et il base son analyse sur une équation comme la suivante : i * D* X (Y , R) − M (Y , R) − iB + = ∆Dst − ∆Bst R * Toutes les variables explicatives, hormis le taux de change réel ( R ) sont considérées comme exogènes. Selon l’équation, les flux commerciaux, les exportations ( X ) et les importations ( M ) qui dépendent du niveau d’activité étrangère ( Y * ) et nationale ( Y ) ainsi que du taux de change réel, déduits des flux d’intérêt de détention d’actifs nationaux ( iB ) et augmentés des flux de détention d’actifs étrangers ( i * D* ) libellés en monnaie étrangère, égaliseront le R différentiel des variations des flux structurels ( Dst et Bst ). En effet, Williamson considère 184 deux types de flux de capitaux : spéculatifs, dont le net est supposé nul, et structurels qui ne sont pas nécessairement nuls dans le moyen terme et entrent dans le calcul de FEER. La distinction entre flux de capitaux, surtout structurel, et la prise en compte de l’interférence entre activités économiques nationale et étrangère ainsi que l’incorporation d’un modèle intertemporel de décision de consommation et d’investissement avec des effets retour ont permis la prise en compte de plusieurs facteurs dans la détermination de FEER et de se rendre compte de sa sensibilité par rapport à tel ou tel facteur. Il nous semble que par rapport à l’apport de DEER entrepris par Artis et Taylor (1995), la contribution de Wren-Lewis atténue l’aspect normatif de FEER et de surcroît plus fidèle à l’apport de Williamson qui prend en compte les flux de capitaux fondamentaux dans le choix de la cible compte courant. Les premiers considèrent que l’équilibre du compte courant a pour point de départ l’année 1979 qui représente ainsi une référence, interprétée comme une cible de long terme puisqu’elle indique une position constante d’actifs nets étrangers. La cible compte courant issue de cette analyse est par conséquent constante, alors qu’en mettant les flux commerciaux et de capitaux au cœur du calcul de FEER, Wren-Lewis élargit le choix de la cible et la rend variable. Un autre élément que l’apport de Wren-Lewis atténue est l’aspect dichotomique dans le calcul du taux de change d’équilibre. Car nous avons l’impression que dans la pratique le choix de la cible compte courant, surtout à travers une valeur constante dans le temps parce qu’elle est considérée correspondre à une position d’équilibre, peut amener à calculer un taux d’équilibre correspondant à l’équilibre interne ainsi qu’un autre correspondant à l’équilibre externe. Alors que le taux de change d’équilibre est censé résulter d’un équilibre économique simultanément interne et externe. C’est une démarche que nous trouvons chez Wright (1992) qui explore les conditions d’équilibre interne et détermine un taux de change d’équilibre côté offre “ SEER : Supply Side Equilibrium Exchange Rate ”. Ce taux de change d’équilibre est considéré comme le prix réel d’équilibre de la production nationale. Il est une fonction croissante des niveaux de la production et de la demande. Il peut aussi croître avec le taux d’imposition, mais il dépend des contraintes de l’offre telles la taille de la force du travail, le niveau de la productivité et l’étendue de la capacité de production. Il n’y a pas d’allusion à la dynamique d’inflation. Mais il suppose que les déviations de l’équilibre côté offre s’accompagnent d’un processus d’ajustement dynamique qui fait varier le taux d’inflation. Et puisqu’il considère le FEER de Williamson comme un taux de change qui résulte d’un plein équilibre, il détermine alors un taux de change d’équilibre externe qu’il confronte au SEER pour aboutir au FEER. 185 2.3 Exploitation et limites du FEER Fondatrice d’une vision macroéconomique globale de détermination du taux de change réel d’équilibre, l’approche de FEER et ses extensions (Barrell et Wren-Lewis 1989 ; WrenLewis 1992 ; Driver et Wren-Lewis 1999 ; Anderton et al. 1999 ; Borowski et Couharde 1999, 2000 ; Borowski, Couharde et Thibault 1998) nous semblent restées marquées par l’époque où Williamson a entrepris son projet de zone cible. Une époque qui exigeait plus de coordination internationale dans la gestion de change. Cette coordination, toujours d’actualité, se fait entre des grandes économies ayant une grande similitude de structures économiques, commerciales et financières et dont les relations se résument essentiellement par la situation de leurs comptes courants. Selon Driver et Wren-Lewis (1999), le FEER s’applique aux économies où les biens manufacturés différenciés sont la source dominante du commerce et où les élasticités demande ne sont pas infinies. L’exemple le plus souvent cité est celui des Etats-Unis et du Japon. Il convient donc dans tout autre contexte de moduler les équations selon le cas qui se présente tout en gardant à l’esprit les fondements de l’approche FEER. L’estimation d’un taux de change réel d’équilibre pour ces pays industrialisés passe par l’utilisation de modèles macroéconomiques multi pays et larges38. Mais ils sont difficiles à exécuter et la plupart des travaux d’estimation du FEER ont suivi une approche dont les équations déterminant la balance commerciale en représente toujours le cœur. L’inversion de l’équation macroéconomique globale permet alors d’obtenir le FEER, le taux de change réel compatible avec les cibles. Les modèles de forme réduite pour estimer les FEERs peuvent varier beaucoup dans leur complexité, mais il nous paraît se dégager une approche type basée sur l’apport de Barrell et Wren-Lewis (1989) dont l’essentiel est la manière dans laquelle sont modélisés les flux de transferts et d’intérêts nets ainsi que ceux des profits et des dividendes. Une telle approche peut être représentée par un modèle générique comme celui avancé par Driver et Wren-Lewis (1999) qui peut être élargi considérer les output gap (Borowski et Couharde 1999, 2000 ; Borowski, Couharde et Thibault 1998 ; Coudert et Couharde 2003). Cette approche d’équilibre partiel a l’avantage d’un calcul plus simple comparé à l’estimation d’un macro-modèle et celui de la lisibilité puisqu’elle souligne la contingence des évaluations 38 - Le NIGEM (National Institute Global Economic Model), développé par le Nationale Institute of Economic and Social Research (NISER), en est le représentant. Voir Borowski et Couharde (2000), pour méthode détaillée du NIGEM et Coudert et Couharde (2003) pour une version simplifiée. 186 de niveau du change aux objectifs fixés, et donc, elle déplace la discussion en amont, sur les cibles de solde courant et de revenu national. A cela s’ajoute aussi l’avantage que le FEER puisse être généré pour plusieurs hypothèses alternatives, ce qui confère un degré de liberté dans la détermination du niveau d’équilibre. Borowski, Couharde et Thibault (1998) avancent qu’une telle démarche a l’avantage d’offrir la possibilité de fixer des objectifs compatibles à l’intérieur d’une zone d’échange et de s’assurer ainsi de la compensation des distorsions de change entre partenaires commerciaux. Néanmoins, en plus du fait que des cibles exogènes comme celles de la production et de l’accumulation d’actifs puissent ne pas être mutuellement compatibles ou qu’elles soient considérées implicitement indépendantes du taux de change réel lui-même, cette approche d’équilibre partiel de modélisation de FEER présente beaucoup d’inconvénients. Le plus important et souvent évoqué est la fragilité des estimations. Elles dépendent considérablement des hypothèses faites en matière de balance commerciale, de la paramétrisation de l’identité compte courant et de la sensibilité des calculs des paramètres commerciaux, qui les rendent instables et incertaines, donc fragiles. Elles ont le défaut, selon Davanne et Jacquet (2000), d’accorder une confiance probablement excessive aux équations du commerce extérieur qui sont estimées selon des méthodes traditionnelles, jugées rudimentaires par Maurin (2000), et présentent d’énormes erreurs sur les périodes d’estimation. Elles seraient plutôt instables en simulation, ajoutent Driver et Wren-Lewis (1998). Celles-ci aboutissent toujours à une faible sensibilité des échanges à leurs prix qui n’est guère crédible et qui de plus est, sur un plan purement statistique, sujet à une grande incertitude. Ce qui pousse à privilégier des indicateurs traditionnels de compétitivité plutôt que de faire confiance à des estimations fragiles de type FEER, concluent Davanne et Jacquet (2000). Toutes les estimations de FEER seraient donc hautement incertaines, soulignent Driver et Wren-Lewis (1999) qui soutiennent, toutefois, qu’une telle propriété indique les risques d’un ancrage du taux de change nominal quand le taux réel soutenable est incertain et que l’inertie nominale impose d’énormes coûts en modifiant les prix. Cette limite est déjà constatée par Kramer (1996) qui suggère que les estimations FEERs doivent être traitées avec précaution du fait qu’elles offrent une mesure de désajustement assez imprécise du fait de leur incertitude. Il préconise ainsi, comme Bayoumi et al. (1994a), qu’il est clairement plus réaliste de penser en termes de bandes plutôt que d’estimation exacte ou pointue dans l’évaluation des taux de change. 187 Section 3 L’apport du taux de change – prix relatif interne A l’opposé de l’approche adoptant le FEER comme taux de change réel d’équilibre, une approche alternative et néanmoins concomitante nous semble beaucoup apporter à la compréhension du comportement du taux de change réel. Elle traite la question du taux de change réel d’équilibre d’une manière tout à fait différente. Et cela au niveau de la définition du taux de change réel, du concept d’équilibre ainsi que du choix du modèle et de son application. Elle est essentiellement représentée par les travaux d’Edwards (1987, 1988, 1989, 1990, 1994c,d) qui définit le taux d’équilibre comme le prix relatif des biens échangeables et non échangeables permettant d’atteindre simultanément l’équilibre interne et externe. 3.1 Fondements Avant de s’étendre sur les enseignements de cette approche et de ses applications, il nous semble que la définition même du taux de change réel constitue une étape primordiale dans l’analyse d’Edwards et désormais dans une nouvelle approche du taux de change d’équilibre. En effet, les concepts du taux de change réel et de l’équilibre renvoient à un modèle de petite économie dépendante ou à un modèle de biens non échangeables pour un pays trop petit pour affecter ses propres termes de l’échange, comme chez Salter (1959) et Swan (1960). Ainsi et comme l’exige le contexte d’un modèle d’économie de dépendance avec biens échangeables et non échangeables (Dornbusch 1980 ; Mussa 1984), il définit le taux de change réel comme le prix relatif des biens échangeables en termes de biens non échangeables Il s’oppose en fait à la définition du taux de change réel comme le rapport des prix nationaux et des prix étrangers, souvent vu comme le taux de change réel de la PPA. Ceci soulève les problèmes du choix d’indice ainsi que de la période de référence. La définition qu’adopte Edwards n’est pas universellement acceptée. D’une part, on considère que le taux de change est nominal par définition, ce qui implique un refus du taux de change réel (Maciejewski 1983), et, d’autre part, on continue tout bonnement d’utiliser le concept de la PPA. Mais il avance (Edwards 1990) que dans le contexte d’une économie de dépendance, la balance commerciale dépend du prix relatif des biens échangeables par rapport aux biens non échangeables et non d’un taux de change réel – PPA. Car en supposant le fonctionnement de la condition de Marshall-Lerner, le taux de change réel ainsi défini capte le degré de compétitivité, de profitabilité, du secteur des biens échangeables dans l’économie en question. 188 La définition du taux de change réel en termes d’échangeables et non échangeables soulève davantage la question de la mesure de celle-ci, puisque l’approche de la PPA ne se borne qu’à des indices de prix à la consommation alors que se pose le problème de détermination de ce qui est échangeable et de ce qui ne l’est pas et s’il faut fixer le taux de change nominal par rapport à une monnaie ou à une autre. Edwards a discuté de plusieurs indices : l’indice de prix à la consommation, celui de prix de gros, celui de déflateur PIB ou celui de l’unité de travail, etc. Un nombre grandissant de travaux semble adopter le rapport prix à la consommation – prix de gros comme rapport de prix des échangeables et des non échangeables En ce qui concerne la fixité du taux de change nominal, un taux de change multilatéral semble plus révélateur en prenant en compte la structure entière du commerce, le maximum de partenaires, ce qui justifie l’utilisation d’un taux de change effectif réel. Quant à la définition de l’équilibre, cette approche a une similitude avec le FEER puisqu’elle évoque un équilibre global, simultanément interne et externe, et de surcroît elle fait correspondre au compte courant des flux de capitaux soutenables comme équilibre externe. Néanmoins, il nous semble que cet équilibre n’est pas si global que le prétend Edwards, puisqu’il est restreint au marché des biens non échangeables Au contraire, c’est une régression par rapport aux contributions basées sur le FEER, Wren-Lewis (1989, 1992) et Wright (1992) entre autres, qui ont essayé d’analyser et d’enrichir le comportement du marché intérieur. Nous pensons, en effet, que l’équilibre interne signifie avant tout la disparition des tensions sur le marché intérieur. Des telles tensions ne sont pas le produit de l’état des biens non échangeables mais aussi celui d’autres facteurs et notamment les biens échangeables. Comme toutes les approches du taux de change d’équilibre visant à dépasser la PPA, celle d’Edwards cherche à montrer que le taux de change réel d’équilibre n’est pas immuable, qu’il n’est pas unique et qu’il suit un sentier dans le temps. Ce sentier est affecté par les valeurs courantes de déterminants fondamentaux mais aussi par leur évolution future anticipée. Les fondamentaux, selon Edwards, sont des variables réelles qui, en plus du taux de change réel, jouent un rôle important dans la détermination de l’équilibre interne et externe d’une économie. Il y a des fondamentaux internes et externes. Les premiers sont de deux catégories. D’une part, ceux qui sont indépendants de la décision de la politique économique tel que le progrès technique. D’autre part, ceux qui y sont liés : les tarifs et quotas sur le 189 commerce ; le contrôle sur l’échange et le capital ; autres taxes et subsides ; la composition de dépenses publiques. Les seconds sont essentiellement les prix internationaux, les termes de l’échange, les transferts internationaux y compris l’aide, et les taux d’intérêt internationaux. Il distingue aussi les facteurs monétaires des facteurs réels dans la détermination du taux de change réel d’équilibre et surtout les perturbations temporaires de celles qui sont permanentes ou celles qui sont anticipées de celles qui ne les sont pas. C’est d’ailleurs un reproche qu’Edwards (1990) fait à tant de modèles de détermination du taux de change réel d’équilibre et surtout à ceux qui s’inscrivent comme lui dans une approche de prix relatifs des biens échangeables et non échangeables, tels Mundell (1971), Dornbusch (1980) et Neary (1988). Quand à l’élaboration du modèle lui-même, il nous paraît que l’objectif d’Edwards est de capter l’ensemble des variables qui peuvent compter dans la détermination du taux de change réel d’équilibre. Ce dernier est avant tout affaire de fondamentaux. Ainsi, peu importe pour lui que la structure du modèle soit présentée sous forme d’une approche macroéconomique globale ou d’une approche d’optimisation, du moment que le taux d’équilibre est fonction d’une série de variables dans une équation réduite. Ce qui est une différence méthodologique clé de plus avec le FEER. En effet, Edwards estime une équation réduite pour le taux de change réel et ainsi utilise les résultats pour calculer le niveau d’équilibre en excluant les effets de variables transitoires par différentes procédures de lissage. Selon Clark et MacDonald (1999), le taux de change réel résultant de telles procédures ne correspond en aucune manière à l’équilibre interne et externe comme dans l’approche FEER. Edwards trouve que les pays qui maintiennent leurs taux de change réels tout près des niveaux d’équilibre estimés d’une manière systématique ont des meilleurs performances que les pays sujet à des désajustements. 3.2 Enseignements Le modèle d’Edwards reste néanmoins fondamentalement néoclassique, puisqu’il avance, entre autres hypothèses, que les entrepreneurs maximisent leur profit, que les rendements d’échelle sont supposés constants et en régime de concurrence parfaite. Il prend aussi en compte la contrainte intertemporelle dans les comportements des agents, ainsi que le progrès technique comme allusion à Balassa. Cet aspect théorique néoclassique est présent aussi au niveau des enseignements du modèle. En effet, Edwards avance que l’équation dynamique de son modèle (1994c) capte les aspects les plus importants de l’analyse 190 théorique, à savoir que les divergences entre le taux de change réel et son niveau d’équilibre disparaîtront, ou du moins tendront à disparaître, lentement et sans intervention. L’accélération de la restauration de l’équilibre est toutefois d’une grande aide. Le déséquilibre macroéconomique affecte le taux de change réel dans le court terme, alors que le taux de change réel d’équilibre ( R* ) réagit lui aux changements dans les fondamentaux ( X i ). Dans le court terme, le taux de change réel est affecté par les facteurs monétaires et réels. Ces derniers seulement continuent à produire un effet dans le long terme, des fondamentaux tels les termes de l’échange, le progrès technique ou les flux de capitaux : n LogRt* = ∑ α i ,t LogX i ,t i =1 Bien que la détermination du taux de change réel d’équilibre soit primordiale dans les travaux d’Edwards, elle n’en représente néanmoins qu’une partie. Il s’en sert en fait comme moyen aidant à comprendre le comportement dynamique du taux de change réel, à travers deux phénomènes importants qui sont la variabilité du taux de change et surtout son désajustement par rapport au niveau d’équilibre. Il présente ainsi (1989a, 1994c) une équation plus générale de la forme suivante : { * * } { * } ∆ log Rt = θ log Rt − log Rt −1 − λ Z t − Z t + φ {log N t − log N t −1 } Cette équation signifie que la dynamique du taux de change réel ( R ) est favorisée par trois déterminants. Le premier indique une tendance autonome du taux de change réel à corriger son désajustement par rapport au niveau d’équilibre. Plus le paramètre θ est petit, plus la vitesse de correction du désajustement est lente. Le deuxième traduit l’inconsistance de la politique macroéconomique du moyen et long terme ou l’écart de certaines valeurs ( Z ) par rapport à leur niveaux soutenables ( Z * ), tel un excès d’offre de crédit. Le troisième indique les variations, dévaluations, dans le taux de change nominal ( N ) auxquelles on peut ajouter aussi son écart par rapport au taux du marché parallèle. Cette manière d’étudier le taux de change réel est aussi présente chez Elbadawi (1994), suivant d’ailleurs l’approche d’Edwards. Il avance qu’une modélisation réussie doit définir un taux de change réel d’équilibre en fonction des fondamentaux, ajuster d’une manière flexible et dynamique le taux de change réel vers le niveau d’équilibre, et prendre en compte l’influence de court et moyen terme de la politique macroéconomique et de change sur le taux de change réel. 191 A travers une telle équation, l’approche d’Edwards paraît d’une portée plus large que celle de Williamson. Mais on peut soutenir la thèse inverse, l’approche de Williamson tient compte du régime de chômage, de l’inflation, des délais d’ajustement des prix et des salaires. L’approche de Williamson est d’emblée normative, alors que celle d’Edwards est positive. Elle cherche avant tout à comprendre le comportement du taux de change réel. C’est presque peu normatif. La normativité est ici subséquente à un constat, une analyse, et n’est pas un a priori. Le taux d’équilibre n’est pas une fin en soi. Sa détermination aide à comprendre le comportement du taux de change réel dans toutes ses dimensions ainsi que les phénomènes qui le caractérisent, comme le désajustement. Un phénomène qui peut être structurel, dû aux changements dans les déterminants réels, les fondamentaux, le taux de change réel d’équilibre et qui ne sont pas objet de translation dans le court terme par des variations dans le taux de change réel courant. Il peut être d’ordre économique, dû aux incompatibilités de la politique économique, essentiellement monétaires, avec le système du taux de change officiel comme le cas du taux de change fixe en présence d’un déficit budgétaire. Le désajustement peut être corrigé par une dévaluation, par une action sur les tarifs à l’import et les subsides à l’export, par des taux de change multiples, et par des politiques de revenus. L’efficacité d’une telle action dépend de la transformation de la dévaluation nominale en dévaluation réelle à court et moyen terme. Pour que la dévaluation ait un effet, il est nécessaire aussi d’éliminer l’origine du déséquilibre, comme l’excès de crédit par exemple. Une dévaluation accompagnée d’une politique économique appropriée représente pour Edwards la meilleure solution pour corriger le désajustement. Il évoque même les caractéristiques institutionnelles, tel un marché du travail connaissant une indexation et une rigidité de salaires, comme explication aux différents coefficients de dévaluation selon les pays. L’approche d’Edwards nous semble beaucoup apporter à l’étude du comportement du taux de change réel en suivant une analyse positive qui cherche avant tout à comprendre les phénomènes qui le caractérisent et la manière de les traiter. Elle a rendu compréhensible le comportement du taux de change réel, mais aussi sa modélisation plus applicable avec plus de variables explicatives issues d’une approche théorique et empirique plus large. De surcroît, Edwards et Elbadawi focalisent leurs travaux sur le taux de change réel pour les PED dans un modèle qui n’inclut pas le chômage mais plutôt des taux d’inflation relatifs, des flux de capitaux transitoires et des termes de l’échange. C’est en soi une nouvelle orientation dans l’étude du comportement du taux de change. Cependant, il nous semble que cette approche a péché par excès de zèle. En cherchant à capter le plus grand nombre de variables explicatives, 192 on finit par déterminer un taux d’équilibre à travers une équation réduite qui occulte souvent le processus de comportement des variables endogènes, l’interaction entre diverses variables ainsi que l’existence d’effets de retour. Cela rend dans la pratique cette approche à la fois positive et normative puisque certaines variables se trouvent calibrées à des valeurs données. Un dernier élément qui nous paraît fondamental, concerne la définition même du taux de change réel. Tel qu’il est défini, il nous semble s’agir d’un taux de change interne, à l’intérieur d’un pays et non entre deux pays, car il considère les prix des échangeables et des non échangeables du pays. L’utilisation d’indices des prix de gros et des prix à la consommation comme substituts aux prix des biens échangeables et des biens non échangeables ne nous semble pas résoudre le problème qui est essentiellement d’ordre conceptuel. Section 4 L’apport basé sur le NATREX Comme dans les deux précédentes approches, basées sur les travaux de Williamson et d’Edwards, le taux de change d’équilibre est le taux qui assure un équilibre simultanément interne et externe. Cette approche s’articule autour de la détermination d’un taux de change réel d’équilibre naturel, dénommé NATREX “ Naturel real exchange rate ”. Ce concept de taux de change est avancé par Stein qui le définit comme le taux de change compatible avec un équilibre interne et externe en l’absence des facteurs spéculatifs et cycliques. Par cette définition, le NATREX de Stein partage le concept de taux de change d’équilibre de Nurkse. Cette filiation est explicite chez le premier en rappelant (Stein 1994) l’importance et l’actualité de l’apport de son prédécesseur (Nurkse 1945) qui souligne que l’unique voie satisfaisante pour définir un taux de change d’équilibre est de maintenir en équilibre et pour une certaine période la balance des paiements. Un tel équilibre exige, de surcroît, d’exclure les influences saisonnières et cycliques comme les changements dans les réserves et les flux de capitaux de court terme. Car un surplus de réserves implique que la balance des paiements est par définition en équilibre. Aussi des flux de capitaux à court terme présentent une contrepartie aux variations des réserves dans le secteur privé et doivent être considérés comme des prêts de court terme et non comme une réaction aux fondamentaux. Stein n’est pas le premier à fonder son approche du taux de change d’équilibre en se référant à Nurkse, il y a aussi Williamson. D’ailleurs, c’est dans les travaux de ce dernier ainsi que ceux 193 de Bayoumi et al. (1994) que le concept de Nurkse trouve son expression quantitative. Alors que Stein offre une version néoclassique de taux de change d’équilibre, puisqu’il suppose que la production est au niveau du plein emploi et ne fait aucun ajustement pour cible du compte courant. Par cette filiation commune mais aussi par la définition de ce que doit être un taux de change réel d’équilibre et surtout de ce qu’est un taux de change réel tout court, le NATREX semble s’apparenter au FEER et qui dépend comme lui du modèle choisi. Il considère en effet et de la même façon le taux de change réel en défalquant le taux de change nominal par le rapport des prix nationaux et étrangers. Stein se focalise sur le taux de change réel et non sur le taux nominal. Il le considère comme un bloc, il ne sépare pas le rôle du taux de change nominal de celui des prix relatifs, nationaux et étrangers. Il estime qu’il n’y a pas de consensus concernant les déterminants du taux d’inflation à moyen terme. Les agrégats monétaires comme indicateurs ou cibles intermédiaires du taux d’inflation sont sujets à controverse. Il considère, de surcroît, qu’aux Etats-Unis, objet de l’étude (Stein 1994), le rôle du prix relatif dans le taux de change réel est relativement bien faible par rapport au taux nominal. 4.1 Une démarche résolument positive Il n’en demeure pas moins, tout de même, que le NATREX n’est pas le FEER car le choix normatif d’une définition particulière de la production du plein emploi et de la cible du compte courant, condition sine qua non pour ce dernier, n’apparaît pas nécessaire pour Stein. Le NATREX représente ainsi un concept positif, et non normatif, du taux de change réel d’équilibre. Il est le taux que génèrent les fondamentaux réels et les politiques économiques existantes. C’est un taux de change réel optimal sans que ces politiques soient elles-mêmes socialement optimales ou maximisant le bien-être. Aussi, du fait que les fondamentaux sont des variables qui évoluent dans le temps, le NATREX est un équilibre changeant, mobile et se conçoit comme une trajectoire. Par conséquent, toute nouvelle perturbation de fondamentaux change et l’équilibre de long terme et la trajectoire du NATREX. Ce n’est pas le cas des variables comme l’offre nominale de monnaie, les prix nominaux et le régime de change, qui n’ont pas d’effet sur les valeurs réelles dans l’équilibre de moyen et long termes (Allen 1995). Le modèle NATREX est ainsi similaire au modèle monétaire en décrivant tous les deux un monde dans lequel la monnaie est neutre. Mais là où le modèle NATREX commence, le modèle monétaire, lui, s’arrête. Les tenants du NATREX (Stein 1994 ; Allen 1995…) considèrent que le taux de change d’équilibre de long terme issu du modèle monétaire ainsi 194 que ceux de Williamson et d’Edwards, n’est qu’un taux de moyen terme. En fait, pour le NATREX, supposer en principe que les changements dans l’investissement, dus aux changements dans la productivité, et dans l’épargne, dus aux changements dans la richesse, comme déterminants importants du taux de change réel d’équilibre, c’est aussi supposer une mobilité de capital de terme relativement très long. La confrontation du NATREX aux autres modèles par rapport à la question de décomposition de l’horizon temporel en court, moyen et long terme est un important facteur de démarcation qui s’accentue par la prise en compte et l’interprétation des flux de capitaux, donc du compte capital, comme déterminant du taux d’équilibre. D’emblée exogènes et timidement évoqués dans les approches de FEER et d’Edwards, ils sont composantes principales du NATREX, exogènes dans le moyen terme mais endogènes à long terme, sujet donc à une analyse de comportement. Le débat autour de la décomposition de l’horizon temporel et des flux de capitaux est favorisé, en fait, par la vision du taux de change réel dans l’approche du NATREX qui était déjà entreprise par Edwards. On ne cherche pas forcément à déterminer un taux de change réel d’équilibre, mais plutôt à comprendre son comportement dynamique. L’approche du NATREX est davantage une analyse du comportement du taux de change réel qu’une théorie de détermination de ce dernier. Cela renforce l’aspect positif de cette approche. C’est ainsi que dans Stein (1994), par exemple, nous pouvons déduire une équation réduite de forme générale, servant à estimer le NATREX, mais partant du comportement du taux de change réel ( Rt ), soit : Rt = α 0 + α 1 Rt −1 + m ∑ βi X i + i =1 n ∑β j X j + ut j =1 Elle indique qu’en plus des fondamentaux ( X j ), le taux de change réel est aussi influencé par les non fondamentaux ( X i ), facteurs spéculatifs et cycliques que représente le différentiel des taux d’intérêt entre autres variables, mais aussi par des variables avec retard, à travers son niveau antérieur ( Rt −1 ). Cette relation de dépendance, hors fondamentaux, fait dévier, dans le court terme, le taux de change réel de son niveau d’équilibre ou NATREX. Ce dernier est déterminé par les fondamentaux comme la productivité et l’épargne, quand le capital et la dette sont endogènes et qu’ils convergent. Cela soulève donc la question de l’identification des variables fondamentales et de leur nature, endogène ou exogène, qui, en sus de la 195 définition du taux de change réel, est des plus cruciales. Elle constitue une assise commune à tous les modèles cherchant à déterminer un taux de change réel d’équilibre NATREX. Cette assise consiste à examiner les implications à long terme de l’investissement, de l’épargne et des flux nets de capitaux (Allen 1995). L’épargne et l’investissement sont considérés comme produits de l’optimisation intertemporelle utilisant toute information pertinemment valable. L’approche NATREX se focalise sur l’épargne ( S ) et l’investissement ( I ) nationaux pour une économie toute entière, ne mettant aucune distinction entre sources privées et publiques. L’égalité ( I − S + CC = 0 ) qui lie l’épargne nette au compte courant ( CC ) constitue, selon Faruqee, Isard et Masson (1999), une base à toute recherche du taux d’équilibre. Le travail se réduit désormais à plus de complications dans les fonctions d’épargne et d’investissement. L’approche du NATREX considère les changements exogènes dans l’investissement et dans l’épargne comme déterminants importants du taux de change réel d’équilibre, impliquant une possible mobilité de capital de terme relativement très long. L’effet de ces changements exogènes sur le taux de change réel d’équilibre dépend donc du degré de mobilité de capital à long terme. Cette approche n’exige pas une mobilité parfaite, elle s’accommode aussi de cas intermédiaires où les changements dans la productivité et la richesse influencent le NATREX et le taux d’intérêt réel. En cas de forte mobilité, le différentiel des taux d’intérêt à long terme entre pays converge vers le taux de variation du taux de change réel. Mais les résultats empiriques suggèrent que les participants rationnels au marché ne fassent pas mieux qu’anticiper la tendance du taux de change futur à égaliser le taux de change courant. Un modèle du NATREX commence par définir le taux de change réel, identifier les fondamentaux ensuite, et enfin estimer une équation comme celle ci-dessus. Dans la deuxième phase, celle de l’identification des fondamentaux, on ne s’attarde pas trop sur la démarche suivie, car toutes les méthodes, approche d’optimisation ou macroéconomique globale, sont utilisées pour les explorer. Concernant l’estimation, nous trouvons dans l’équation ci-dessus une grande similitude avec celle adoptée par Edwards. Cela s’explique par le fait que les deux approches cherchent à comprendre la dynamique du taux de change réel avant tout. Mais avec la contribution de LIM et STEIN (1995), la similitude qui n’était jusqu’alors que partielle se limitant à la forme de l’équation à estimer, devient totale et explicite. Pour leur démarche, ils relient leur modèle du NATREX à Edwards (1988) et Balassa (1964). Empiriquement, Edwards (1989) arrive à un résultat opposé à l’hypothèse de Ricardo-Balassa, pour plusieurs PED, puisqu’une hausse de la croissance réelle entraîne une 196 dépréciation du prix relatif de non échangeables. Mais le problème avec le travail de Balassa est que la productivité marginale du travail dans les deux secteurs n’est pas expliquée. La productivité dépend du ratio capital-travail, intensité capitalistique qui est une variable endogène non expliquée par Balassa, et du niveau de toute la productivité dans les échangeables et les non échangeables. De surcroît, ses effets sur le taux de change réel peuvent être ambigus, dépendant de la manière avec laquelle la hausse affecte l’allocation des ressources entre les secteurs (Connolly et Devereux 1995). L’analyse de Balassa n’explique donc pas le taux de change réel. Il faut alors une théorie plus générale pour déterminer le prix relatif des non échangeables, d’autant plus que ni Balassa, ni Edwards, ni Connolly et Devereux ne considèrent l’investissement, les flux nets de capitaux ou les changements dans la dette extérieure, facteurs envisagés par l’approche du NATREX. Ainsi, en combinant les éléments des travaux d’Edwards et de Balassa, ils définissent le taux de change équivalent au prix relatif des non échangeables, et ils s’inscrivent dans la tradition de Salter et Swan, mais surtout l’analyse sera consacrée à explorer les déterminants de ce dernier. Cette vision est due au fait de considérer le rapport de prix des non échangeables aux exportables ( Rn = Pn ) Px comme étant le seul prix relatif endogène. Les termes de l’échange ( T ) sont considérés exogènes. C’est ainsi que le taux de change réel qu’ils définissent, R = TRn a où a représente le poids des non échangeables dans le déflateur PIB, se réduit presque à un taux de change réel des non échangeables. Etudier le taux de change réel dans cette approche du NATREX, c’est désormais étudier le prix relatif des non échangeables et ses déterminants. C’est un prix relatif endogène, Rn (t ) = Rn [ K (t ); F (t ); Z (t )] , censé équilibrer le marché des biens et fonction du stock du capital K (t ) ; de la dette F (t ) ; et d’autres variables Z (t ) , telles les termes de l’échange ; la productivité ; la richesse et les taux d’intérêt internationaux. Cette dernière catégorie de variables est considérée, particulièrement, pour ses effets de chocs réels sur le sentier dynamique du taux de change réel. Dans le long terme, le capital et la dette sont endogènes et évoluent avec l’investissement et l’épargne en produisant une trajectoire du NATREX ainsi que des déficits ou surplus du compte courant. Les valeurs soutenables du capital et de la dette, associées aux fondamentaux, sont K * ( Z ) et F * ( Z ) . Le NATREX convergera donc vers R*[ Z (t )] , niveau d’équilibre. 197 4.2 Une démarche ambivalente Des différentes contributions évoquées et cherchant à déterminer un taux de change réel d’équilibre NATREX, l’ambivalence dans la démarche entreprise nous semble bien apparente. Tantôt, on se réfère aux travaux de Nurkse et tantôt à ceux de Salter et Swan. Le taux de change réel est tantôt obtenu en défalquant le taux de change nominal par le rapport de prix nationaux et étrangers, et tantôt en le considérant tout bonnement comme le prix relatif de biens non échangeables Ce constat est d’autant plus frappant que l’on traite d’une petite ou d’une grande économie. Il y a donc différentes versions du modèle NATREX. Mais elles sont toutes basées sur l’équation ( I − S + CC = 0 ) qui décrit les équilibres du marché des biens et de la balance des paiements. Etant donné le dégagement des marchés d’actifs et de monnaies, le NATREX assure simultanément l’équilibre du marché des biens et l’équilibre de la balance des paiements de base à la capacité de production. Le taux de change réel s’ajuste en conduisant le compte courant à être sur la ligne I – S. Dans ce sens, l’approche du NATREX a comme fondement la théorie de la croissance (Connolly et Devereux 1995). Cette équation de base exprime en fait le besoin de financement de l’économie et sur lequel se concentre toute l’analyse. Néanmoins, elle occulte le fonctionnement de l’équilibre macroéconomique interne et externe. Cela est davantage manifeste chez Faruqee (1995) dont le modèle se résume en une seule équation faisant correspondre le compte capital au compte courant et faisant de lui une version du modèle de Mussa (1984), à savoir : f&= −γr + x + q * f , où r et q* représentent le taux de change réel et le taux d’intérêt réel étranger, alors que f est le stock d’actifs étrangers nets et x représente toutes les variables exogènes qui influencent le compte courant, comme celles affectant les demandes et les offres relatives des biens nationaux et étrangers. Une telle relation est due au fait que Faruqee inscrit son apport dans une perspective de stock – flux et que pour lui un taux de change réel soutenable dans une telle perspective peut en principe compter pour un équilibre macroéconomique interne et externe. C’est l’interaction des facteurs structurels permanents des comptes courant et du capital qui détermine le taux de change réel soutenable. Parmi les facteurs structurels et surtout d’ordre commercial, il y a le différentiel de productivité, qui a eu le plus d’attention, les variations des termes de l’échange et la composition de la dépense budgétaire, entre autres. Toutefois, cette interaction n’est pas parfaite car Faruquee évoque une position de la balance des paiements que nécessite 198 l’équilibre externe et dans laquelle tout déséquilibre de compte courant est financé par un taux soutenable de flux de capital. C’est en soi un élément normatif. Une version précise d’un modèle du NATREX dépend d’importantes caractéristiques : le poids de l’économie relativement à ses partenaires dans les marchés d’actifs et des biens échangeables ; les élasticités étrangères de demande et offre de biens et d’actifs ; et les substituabilités à travers les biens et les actifs, entre pays et à l’intérieur du pays. Concernant les marchés d’actifs, trois hypothèses sont avancées en prenant en compte la mobilité du capital (Allen 1995). Et c’est peut être là que résident trois explications à cette ambivalence. La première est celle d’un petit pays dans les marchés mondiaux d’actifs avec une mobilité de capital élevée, il peut emprunter comme il le souhaite, avec un taux d’intérêt étranger. La seconde est celle d’un pays tellement grand (USA) qu’il influence le taux d’intérêt étranger, caractérisé par une très forte mobilité de capital. Le taux d’intérêt étranger et le taux de change réel sont déterminés simultanément par l’interaction de deux équilibres de marchés. La troisième réside dans le fait qu’il s’agit d’une mobilité de capital loin d’être parfaite et d’un petit pays, confronté à un taux d’intérêt fixe, ne pouvant pas emprunter comme il le souhaite. La mobilité du capital et le poids du pays dans le marché international d’actifs expliquent donc cette ambivalence dans l’approche du NATREX. La structure du marché des biens en est aussi un élément essentiel. Cette structure est totalement absente dans le cas d’une grande économie (Stein 1994) du fait du très faible poids des biens non échangeables Dans le cas d’une petite économie, elle est fondamentale et même plus précise quand on décompose les biens échangeables en exportables et importables, et quand on considère comme Allen (1995) deux prix relatifs, les termes de l’échange et le prix des non échangeables par rapport aux exportables. Les prix d’équilibre sont déterminés simultanément et donnent un taux de change réel ( R ) : R = α ( Pn − P1 ) − α * ( Pn* − P2* ) + (1 − β − β * )T T = P1 − P2 : Termes de l’échange, prix endogènes ( Pn − P1 ) et T : Prix endogènes ( Pn* − P2* ) : Prix exogènes 199 Deux versions découlent de ce qui précède. La première consiste en une substituabilité parfaite entre exportables et non échangeables ( Pn = P1 ; Pn* = P2* ) et en une spécialisation complète dans la production d’exportables ( β = 0 ; ( P = P1* ; P* = P2* ) et R =T . Plus généralement, β * = 0 ). Cela implique aussi elle correspond à l’hypothèse macroéconomique standard pour les économies ouvertes que représentent les travaux de Mundell et Fleming ainsi que d’autres modèles d’économie ouverte de type keynésien. Selon la deuxième version, le pays est petit dans le marché des échangeables et fait face à une élasticité parfaite de demande et d’offre de biens échangeables, rendant les termes de l’échange exogènes. Cela implique que les prix relatifs des non échangeables ( Pn − P1 ) sont les seuls prix endogènes et en conséquence de leur variation c’est de ceux-ci que dépend celle du taux de change réel : dR = α (dPn − dP1 ) . Cette démarche entreprise par Stein et Lim et plus généralement par Allen pour définir le taux de change réel en considérant le prix relatif des non échangeables pour une petite économie : prix d’exportables par rapport aux non échangeables, atténue la notion de taux de change réel en tant que rapport des prix internes, déjà souligné par Connolly et Devereux (1995). Toutefois, dans la pratique, cette démarche nous semble poser problème car les termes de l’échange sont présents des deux côtés de l’équation à estimer pour déterminer le NATREX. A gauche, ils entrent dans la détermination de la valeur du taux de change réel à régresser et à droite, ils sont des variables exogènes déterminants d’un taux de change réel à long terme. Section 5 Evolution de l’approche de l’équilibre sous-jacent Nous avons concentré notre analyse du taux de change d’équilibre sur les contributions de Williamson, Edwards et Stein, en particulier, parce qu’un retour à ces modèles de base nous est apparu nécessaire devant le foisonnement des travaux dans ce domaine et qui sont en relation avec au moins l’une d’entre elles. Ces contributions ont permis d’orienter la recherche sur le taux de change réel d’équilibre dans une voie refusant le taux de change du marché comme référence. Elles ont cherché un équilibre macroéconomique global de moyen et long terme. Un équilibre qui est bien explicitement interprété dans le sens d’un Keynes-Meade-Mundell, un équilibre simultanément interne et externe comme le souligne Williamson (1994). 200 5.1 Convergences et divergences des différents apports Le taux de change réel issu de cet équilibre macroéconomique global, avec ses deux dimensions interne et externe, est obtenu en faisant abstraction des conditions cycliques de court terme et des facteurs temporaires. Il se focalise sur les fondamentaux économiques, c’est à dire les conditions sous-jacentes qui sont susceptibles de persister dans le moyen et long terme. Cela laisse croire à une équation générale explicative du taux de change réel (Clark 1996) de la forme : n m i =1 j =1 R = ∑ α i X i + ∑ β jT j + u où X i et T j représentent les fondamentaux et les facteurs transitoires, alors que u est une perturbation aléatoire. Une telle équation peut signifier que la finalité est presque la même, à savoir estimer un taux de change réel d’équilibre à partir de ces fondamentaux. Mais encore faut-il les identifier, en préciser la démarche et la méthode d’estimation. Les différences dans l’exécution de l’équation précédente impliquent l’étendue dans laquelle les facteurs transitoires sont omis et les facteurs fondamentaux sont calibrés à un niveau désirable. Làdessus, les approches divergent et enrichissent par cette divergence même la compréhension du comportement du taux de change réel et la recherche d’un taux d’équilibre. En ce qui concerne les définitions, par exemple, deux différences majeures subsistent entre les diverses contributions. Il y a à définir ce qui est fondamental, d’un côté, et le taux de change à utiliser, de l’autre. Pour le premier point, le taux d’intérêt, par exemple, qui est instrument de politique économique chez Williamson, n’est fondamental chez Stein que quand une hausse résulte d’un accroissement de la préférence sociale au temps, sinon il est cyclique, transitoire. Concernant le deuxième point, dans l’approche de Williamson et ses dérivés, le taux de change est le prix relatif des monnaies, donc de deux produits nationaux. C’est une définition qui correspond aux pays industrialisés où les produits différenciés manufacturés sont dominants. Edwards l’utilise comme prix des échangeables en termes de non échangeables Cette définition correspond aux pays non industrialisés dépendant du marché international, où la loi du prix unique s’applique aux produits primaires et les non échangeables déterminent l’incitation à produire à l’export. L’approche du NATREX suite à la contribution de Stein (1994) semble vouloir unifier la définition du taux de change réel en utilisant un cadre plus général qui peut s’adapter à la structure économique du pays, à savoir petit ou grand, price-taker ou price-maker, comme chez Allen (1995) qui a développé une formule générale du taux de change réel ( R ) dans le 201 cas de trois biens, exportables au prix P1 ; importables au prix P2 et non échangeables au prix Pn , et où il y a un arbitrage parfait entre les deux biens échangés. La formule (en log) est la suivante : r = α ( pn − p1 ) − α * ( pn* − p2* ) + (1 − β − β * )( p1 − p2 ) α et α * représentent les poids des biens non échangeables dans les PIB nationaux. Ceux de biens importables sont représentés par β et β * . Dans ce sens, l’approche du NATREX nous semble supérieure à celle de Williamson et d’Edwards, peut être parce qu’il a pris en compte les travaux de ses prédécesseurs en la matière. D’autant plus qu’elle a renouvelé l’analyse en endogénéïsant le compte capital et adoptant même une approche stock – flux (Faruqee 1995) pour le compte courant. Ainsi la détermination du taux d’équilibre démarre avec l’égalité compte courant – compte capital. Cet apport du NATREX à la compréhension du comportement du taux de change réel semble, toutefois, occulter le fonctionnement de l’équilibre macroéconomique et surtout interne. Cela nous montre bien que toutes ces approches sont différentes, elles sont liées avant tout à leurs propres logiques. Un fossé demeure entre elles. Il y a le FEER / DEER d’un côté et le NATREX ainsi que les travaux de Faruqee ; Edwards ; et Elbadawi d’un autre côté. D’une part le FEER / DEER est clairement spécifié, calibré pour asseoir le taux de change déterminé par le marché sans qu’il soit basé sur une définition claire ou que l’exécution empirique soit clairement liée à une approche de détermination de taux de change. D’autre part, les approches essayant d’expliquer empiriquement le taux de change réel déterminé par le marché génèrent des résultats ne fournissant pas des éclairages directs aux politiques économiques. Ce clivage est poussé d’autant plus loin qu’il constitue la référence à une approche dénommée BEER ou « Behavioral Equilibrium Exchange Rate » par Clark et MacDonald (1999). Pour l’évaluation de la valeur courante d’un taux de change, cette approche se base sur une équation de forme réduite qui explique le comportement du taux de change effectif réel et qui n’est autre que celle avancée par Clark (1996), ci-dessus, en distinguant les fondamentaux de moyen terme de ceux de long terme. Elle peut être représentée en termes généraux, soit : n n m i =1 i =1 j =1 R = ∑α1i X 1i + ∑ α 2i X 2i + ∑ β jT j + u 202 Autrement dit, le taux de change effectif réel courant ( R ) est expliqué en termes d’une série de variables fondamentales censées avoir des effets persistants sur le long terme ( X 1 ) et des effets de moyen terme ( X 2 ) qui peuvent, par exemple, coïncider avec le cycle d’affaire ; une série de variables qui affectent le taux de change uniquement dans le court terme ( T j ) et un terme aléatoire ( u ). Le taux de change d’équilibre courant est le niveau donné par les valeurs courantes des deux séries de fondamentaux économiques ( X 1 ) et ( X 2 ). Le BEER est ainsi plus général en ce sens qu’il peut être utilisé pour expliquer les mouvements cycliques dans le taux de change réel. Les approches d’estimations du taux de change basées sur une équation de forme réduite diffèrent dans leurs identifications des facteurs de court terme ( T ) le choix des fondamentaux de moyen à long terme, X 1 et X 2 , et l’étendue dans laquelle ils sont calibrés à leurs valeurs de long terme. En termes de la construction du BEER, on est plus concerné par l’estimation des paramètres α du modèle empirique du comportement du taux de change que par l’identification des valeurs soutenables des fondamentaux économiques. Le BEER est ainsi estimé en utilisant les valeurs courantes de déterminants fondamentaux du taux de change réel. Le BEER se considère englobant toute approche de taux d’équilibre en dehors du FEER. Le NATREX de Stein, par exemple, est considérée comme une variante. Il reproche au FEER son caractère trop compliqué et inexploitable pour déterminer le taux d’équilibre en modèle structurel et son utilisation d’hypothèses normatives (MacDonald 1999c,d). D’une manière générale, les reproches convergent vers ce qu’a avancé Clark (1996) en considérant que le FEER n’implique pas explicitement une théorie de détermination du taux de change. D’une part, des facteurs affectant le compte capital, en particulier, ne sont pas pris en compte. D’autre part, les applications empiriques ne sont pas basées sur l’estimation de la relation entre le taux de change réel et ses déterminants. Il s’agit plutôt de l’estimation d’un modèle de compte courant pour identifier une relation statistiquement robuste entre le taux de change réel et le compte courant. Ainsi, le fait que sur le moyen terme, le taux de change réel soit déterminé par le compte courant, apparaît donc ici comme une hypothèse implicite. 5.2 Perspectives L’aspect normatif par lui-même ne peut constituer une critique de l’approche du FEER puisqu’il reflète simplement le besoin de calibrer le taux de change à une série de conditions 203 économiques bien définies et par delà la référence à un taux de change qui varie. Cela n’exclut pas que l’on puisse calculer le taux de change pour toute autre série de conditions économiques qui n’ont pas besoin de correspondre à celles identifiées comme “ désirables ”. L’aspect normatif ou positif d’une modélisation est certes important à l’interprétation qu’on peut donner à telle ou telle estimation mais il ne nous semble pas constituer un élément de clivage essentiel entre les différentes approches et encore moins un fondement pour l’apparition d’une autre approche telle que celle du BEER. D’autant plus que sur le plan empirique, des combinaisons d’éléments positifs et normatifs ont été tentées par des auteurs dont les apports sont considérés par les tenants du BEER comme étant parties intégrantes de leur approche. Ainsi Edwards (1994c), essayant de calibrer le modèle à une position ayant une certaine ressemblance avec l’équilibre interne, introduit-il dans l’équation dynamique du taux de change réel des variables mesurant l’incohérence de la politique économique. Sauernheimer et Stein (1995) ont développé un concept de taux de change en quelque sorte relié au FEER suggérant ainsi de combiner certains aspects clés de deux approches qui pourraient avoir en principe des avantages distincts tout en permettant une mesure du taux d’équilibre afin de les utiliser comme référence contre ceux à évaluer des taux de change courants. L’analyse du BEER est fort pratique mais nous pensons néanmoins qu’elle présente un glissement dangereux dans la détermination et l’interprétation du taux d’équilibre. Elle se concentre, essentiellement, sur les variables explicatives et ignore complètement celle à expliquer, à savoir le taux de change réel dont la définition, comme nous l’avons vu ci-dessus, constitue l’élément de base de toute approche d’équilibre. Les variables explicatives sont souvent introduites par la prise en compte de la défaillance des parités, taux d’intérêt et pouvoirs d’achat (Clark et MacDonald 1999) ou par décomposition du taux de change réel qui éclaire son comportement (MacDonald 1999b). Par conséquent, il nous semble que le développement de la recherche dans le domaine du taux de change d’équilibre ne se fait pas en adoptant une approche à équation réduite censée représenter les déterminants du taux de change, très pratique et statistiquement assez significative, mais plutôt dans le sens de l’approfondissement des critiques adressées aux diverses approches et dans la prise en compte des élaborations récentes dans une matière qui connaît un profond et rapide renouvellement tant théorique qu’empirique. Les diverses extensions apportées aux différentes approches peuvent ainsi favoriser l’émergence d’un modèle de détermination plus général et plus complet, capable de capter théoriquement et empiriquement les différentes forces permettant la détermination d’un niveau d’équilibre. 204 Outre les extensions apportées au FEER auxquelles nous avons fait allusion plus haut, il y a aussi celles de Faruqee et Isard (1998) et Faruqee, Isard et Masson (1999) qui ont essentiellement concentré leurs efforts à l’exploration de la relation compte courant – taux de change, nécessaire à la détermination d’un équilibre externe et un taux de change d’équilibre. Ils ont montré que l’équilibre du compte courant peut être considéré comme la différence entre épargne et investissement désirés au plein emploi plutôt que correspondant à une position déterminée du compte capital. Les niveaux de plein emploi de l’épargne et de l’investissement, ce qui nous paraît plus important, sont issus de l’estimation des fonctions de comportement d’épargne et d’investissement dont les déterminants, en plus du taux de change réel, sont entre autre l’écart entre production actuelle et production potentielle ou l’output gap, le ratio de dépendance et le déficit fiscal. Pour faire des applications empiriquement plus pertinentes pour une telle approche, des variantes ou des éléments plus complexes peuvent être introduits comme ceux de considérer les prix non complètement flexibles et de prendre en compte des coûts d’ajustement, des stocks d’actifs ou encore de considérer l’existence de retards dans les effets des variables, comme celui du taux de change sur la balance commerciale ainsi que le proposent Faruqee, Isard et Masson (1999). Par leur nature intertemporelle, l’épargne et l’investissement dépendent des valeurs courantes et futures des variables, et le taux de change réel en fait sans doute partie. Les effets retour du taux de change réel vers ses déterminants doivent être pris en compte, ce qui permet d’éviter le caractère récursif d’un modèle comme le FEER. Il faut aussi considérer les changements dans les préférences aux actifs affectant le taux de change réel qui à son tour influence le compte courant dans le moyen terme, ainsi que les effets persistants que peuvent avoir les flux de capitaux sur les deux. La modélisation en termes de taux de change réel d’équilibre se basant sur un équilibre macroéconomique sous-jacent est certes récente mais, compte tenu de la multitude des travaux et des résultats empiriques atteints, elle nous semble franchir une nouvelle phase, celle de l’ouverture sur différents apports à répercussions mutuelles, d’une part, et sur des phénomènes souvent évacués et traités par des modèles structurels, d’autre part. Du point de vue pratique, une approche pragmatique de détermination du taux de change réel d’équilibre est donc nécessaire en raison des différents développements théoriques dans leurs relations aux modèles de base ci-dessus évoqués et par rapport aux résultats empiriques atteints dans ce domaine. 205 Chapitre 6 Estimation d’un taux de change réel d’équilibre Fort de notre étude théorique du taux de change réel à travers les chapitres consacrés à la PPA et à l’équilibre sous-jacent et devant le foisonnement de contributions cherchant à expliquer le comportement du taux de change réel, accéléré par ailleurs par la combinaison équation réduite – progrès dans le traitement économétrique, nous tentons une modélisation du taux de change réel d’équilibre pour un PED. Nous la justifions à la fois par rapport aux différentes approches dans ce domaine et par rapport aux PED eux-mêmes. C’est l’objet de la première section. Nous consacrons la deuxième à l’élaboration du modèle et à sa résolution analytique afin d’éclairer davantage le fonctionnement d’une économie en développement. L’importante volatilité observée des taux de change réels pose de manière récurrente la question de la détermination d’un niveau de référence. En outre, l’efficacité du taux de change en tant qu’instrument de politique économique dépend fortement de la connaissance de son niveau d’équilibre. En l’absence d’une telle référence, les notions de sous ou surévaluation d’une monnaie par rapport à une autre n’auraient pas de sens. Il apparaît donc primordial de s’intéresser à la détermination du niveau d’équilibre, valeur de référence de long terme, fonction de variables fondamentales, vers laquelle doit converger le taux de change réel. Cela n’exclut pas une étude de l’évolution du taux de change réel d’équilibre, tout aussi importante que la détermination de son niveau. La vitesse d’appréciation ou de dépréciation du taux de change réel peut avoir autant d’incidences à moyen terme sur une économie que des déviations larges et durables, ce qui nous amène à étudier, dans la troisième section, le phénomène du désajustement. La quatrième et dernière est consacrée à l’étude économétrique du modèle, basée sur les données relatives aux économies maghrébines, qui se révèle aussi d’une grande importance puisqu’il s’agit de traiter des données qui ne sont pas intégrées au même ordre dans un modèle à correction d’erreurs. Cette démarche est facilitée par le regain d’intérêt à l’approche autorégressive à retards échelonnés. Section 1 La justification de la modélisation Les modèles de taux de change réel d’équilibre basés sur une approche d’équilibre macroéconomique sous-jacent sont caractérisés par une diversification et un foisonnement qui ne sont pas loin d’être déconcertants. Néanmoins, les développements très récents en la 206 matière et les résultats empiriques atteints nous poussent à croire que la démarcation traditionnelle faisant de chaque apport une approche à part n’a plus cours. La différence entre les divers modèles ne nous semble plus se faire en termes d’une logique binaire distinguant le normatif du positif, mais plutôt sur la base de trois points qui nous paraissent essentiels. Le premier concerne la définition du taux de change lui-même. Beaucoup de modèles à équation réduite n’y accordent aucune attention. Le second est relatif à la structure du modèle choisi qui est censé représenter une réalité économique. La différence entre les modèles réside ainsi dans leur complexité et dans le choix de variables. Le troisième est relatif à l’objectif recherché à travers la détermination d’un taux de change réel d’équilibre. Autrement dit, s’agit-il de suivre et d’analyser le comportement du taux de change en tant que tel ou de chercher à déterminer un niveau donné et cela tant pour un petit pays connaissant un désajustement important de son taux de change que pour un grand pays cherchant une coordination avec ses semblables. Pour saisir toute la dimension de la détermination d’un taux de change réel d’équilibre, un modèle structurel nous semble nécessaire. Mais avant de le présenter, nous nous arrêtons sur deux éléments d’analyse indispensables à la modélisation qui sont en rapport avec l’évolution des différentes approches théoriques et avec la nature des pays concernés, des PED. 1.1 La modélisation par rapport aux différentes approches Nous avons pu constater, dans ce qui a précédé, l’importance fondamentale de l’approche d’équilibre sous-jacent dans la détermination du taux de change réel d’équilibre. Les modèles qui s’y rattachent présentent un dépassement de la PPA. Ils sortent le taux de change d’une définition restrictive, le confinant dans le rôle d’un prix de la monnaie, alors que celui-ci est plus large du simple fait des interactions avec d’autres éléments de politique économique, ne serait-ce que pour se référer à des équilibres internes et externes, par exemple. Mais le fait qu’une grande partie de ces modèles, les plus récents en particulier, ne cherchent qu’à relier le taux de change réel à des variables explicatives, représente en soi une régression par rapport à ce que peut être un modèle structurel. Ce dernier intègre le taux de change dans une structure élargie en lui conférant un rôle dans un ensemble plus vaste au service d’une politique économique. Il est par conséquent plus représentatif de la réalité économique, mérite de toute approche structurelle, qu’une équation unique très réductrice. 207 Il nous semble que le comportement du taux de change réel et la recherche d’un niveau d’équilibre ne soient davantage compréhensibles qu’à travers un modèle structurel, plus large, qui représente une réalité plus complexe, avec ses éléments structurels et leurs interactions. La prise en compte de cette dimension nous semble nécessiter un détour par des approches différentes de celle de l’équilibre sous-jacent, notamment les modèles structurels, monétaires et de portefeuille, pour considérer des éléments d’analyse qui lui ont échappé ou qui ont été tout bonnement évacués. Comme le souligne Artus (1998), bien qu’elle soit riche, l’approche de l’équilibre sous-jacent connaît des failles que des éléments de modèles structurels pourraient combler. Le modèle de portefeuille peut présenter une piste pour modéliser des phénomènes comme l’imparfaite mobilité de capitaux ou la dette extérieure. Cela permettrait de réconcilier les modèles de taux de change réel d’équilibre et les modèles structurels. La modélisation du taux de change d’équilibre sous-jacent peut aussi s’enrichir en prenant en compte l’apport d’autres modèles qui suivent une démarche plutôt microéconomique et traitent souvent des mêmes phénomènes et presque des mêmes variables. Ceux-ci incorporent expressément les termes de l’échange, les taux d’intérêt, l’endettement extérieur, le déficit commercial, mais aussi les élasticités. D’ailleurs, selon la méthode de Devarajan, Lewis et Robinson (1993), le taux de change réel d’équilibre est le taux qui est compatible avec un objectif déterminé de compte courant, eu égard aux variations des prix des importations et des exportations, chocs termes de l’échange. Il s’apparente ainsi à l’esprit de FEER/DEER pour ce qui concerne la cible du compte courant. Il est fonction de termes de l’échange qui ne sont qu’un des fondamentaux dont est fonction le FEER. A travers cet exemple, c’est l’ouverture de l’approche de l’équilibre sous-jacent à toute approche différente qui est recherchée. Car en dépit de la divergence de méthodes suivies dans la détermination de l’équilibre, leur confrontation permettrait un enrichissement mutuel. 1.2 La modélisation par rapport aux PED Pour la même raison que nous estimons que la modélisation doit se baser sur une approche d’équilibre sous-jacent tout en préconisant l’ouverture à d’autres qui sont différentes, toute application standard doit être évitée et de surcroît dans le cas de PED. La modélisation macroéconomique y est caractérisée par un manque de consensus. Ceci concerne, entre autres, la nature des marchés financiers, la mobilité du capital, la forme et le fonctionnement du régime de change, la flexibilité des salaires et des prix, la détermination de 208 l’offre et les anticipations des agents. Ceci est plus prononcé sur le plan empirique (Haque et al. 1990). Un désaccord substantiel porte aussi bien sur la spécification générale de tels modèles que sur la mesure de certains paramètres clés de la politique économique tels la réaction de l’épargne et de l’investissement aux taux d’intérêt, l’élasticité prix relative des exports et des imports et l’importance des mécanismes accélérateurs dans la détermination de l’investissement. Ainsi, la modélisation du taux de change pour un PED doit être complètement différente de celle d’un pays développé (Jha 1994) et peut être d’un PED à un autre. Les estimations des paramètres macroéconomiques diffèrent selon les pays, les périodes, les spécifications d’équations à estimer et, peut être le plus important, selon la méthode économétrique employée. Une modélisation type pour un PED doit donc prendre en compte ses caractéristiques ainsi que les phénomènes qui lui sont propres. En plus des questions soulevées plus haut, faisant une démarcation nette entre PED et pays développé, concernant la définition du taux de change réel et l’Effet Balassa, d’autres nécessitent un approfondissement. Pour le mouvement de capital, par exemple, en plus du volume, il faut apprécier la composition, le contrôle et la part des investissements directs à l’étranger. C’est d’autant plus important que la soutenabilité tant recherchée puisse avoir un double sens selon que le pays est contraint dans son financement extérieur ou non (Davanne et Jacquet 2000). L’approfondissement s’impose de même dans la considération de certains aspects. En font parti : la dette, l’incohérence de la politique économique, tant évoquée dans l’approche d’Edwards, la structure commerciale par rapport aux pays développés ou un espace économique donné, la structure du marché de change par ailleurs caractérisé par une dualité et une forte segmentation entre le marché commercial et le marché financier et la présence d’une prime de risque (Dowla 1995 ; Park 1995 ; Shachmurove 1999). Beaucoup d’indicateurs témoignent du sous-développement financier dans ces pays. La proportion d’actifs financiers au revenu national est basse. Le nombre de banques est faible et concentré à l’excès dans des zones urbaines. En outre, dans plusieurs PED, les taux d’intérêt sont contrôlés par le gouvernement, aboutissant même à une politique de « répression financière »39. Une grande partie de l’investissement est autofinancée. Cela a deux implications significatives pour la politique monétaire. 39 - Le terme est dû à McKinnon (1973). 209 Premièrement, une grande partie de l’économie est hors de portée de la banque centrale. Deuxièmement, les opérations d’open market ne sont pas très importantes. Les banques commerciales et la banque centrale détiennent la dette publique aux taux d’intérêt artificiellement bas et ne négocient donc pas sur le marché des obligations. Comme ceux de Khan et Ostry (1992) ou Devarajan (1996) qui, par leur démarche, ont mis en exergue plusieurs éléments d’analyse nécessaires au fonctionnement d’un PED, de nombreux travaux peuvent être utiles pour saisir tout l’intérêt d’une modélisation du taux de change d’équilibre assez particulière. Dornbusch (1989), par exemple, en se focalisant sur les liens entre les taux de change réels, les salaires réels et la profitabilité du capital, met en lumière une asymétrie entre la mobilité du capital, y compris capital physique de long terme, et l’immobilité du travail. Les taux de change officiels dans les PED ne reflètent pas la valeur sociale de devises étrangères à cause de restrictions commerciales, de distorsions du marché du travail et de tarifs (Chou et Shih 1998), de surcroît quand il y a mobilité de capital. Dowla (1995) soutient que les PED doivent intégrer les informations provenant des marchés noirs dans la décision du niveau officiel du taux de change, puisqu’ils y sont efficients. Section 2 Le Choix du modèle La spécification à suivre dans cette partie et qui fera émerger le modèle s’appuie sur le développement théorique précédent et sur les caractéristiques spécifiques à un PED. Le taux de change réel d’équilibre ainsi recherché découle de la tradition de l’équilibre sous-jacent. Il est la parité réelle qui assure à la fois l’équilibre interne et l’équilibre externe. Les équations qui en explicitent les conditions constituent un modèle d’équilibre général. Sa résolution, pour une estimation économétrique, s’avèrera riche en enseignement permettant de mieux comprendre le fonctionnement d’une petite économie en développement. Mais avant de présenter le modèle, il convient de s’attarder sur la définition du taux de change réel luimême, car il importe pour nous de définir les variables et le cadre général de l’analyse. Plusieurs définitions existent, Harris (1993)40 n’en recense pas moins de cinq sans compter les multiples variantes de certaines d’entre elles. Chaque définition décrit une réalité particulière et en choisir une repose essentiellement sur l’information qu’elle fournit à son utilisateur. 40 - Voir Montiel (1999a), Chinn (2002) et Harberger (2004), dans sa contribution à une conférence en l’honneur de Michael Mussa, pour des récentes discussions de concepts théoriques du taux de change réel et des principaux problèmes conceptuels et méthodologiques qu’impliquent sa construction. 210 2.1 La définition du taux de change réel Comme nous l’avons vu plus haut, la définition du taux de change réel est un facteur primordial de divergence entre les différentes approches de taux de change d’équilibre. Cela l’est davantage quand le pays concerné est un PED. Deux voies ont essayé de résoudre ce problème. La première s’inscrit dans la tradition qui prend en compte les déviations par rapport à la PPA et notamment en cherchant à corriger le taux de change réel par l’effet Balassa qui distingue les biens échangeables des biens non échangeables (Aglietta, Baulant et Coudert 1999 ; Coudert 1999…). Elle aboutit à la détermination d’un taux de change réel qui est plutôt un prix relatif interne entre biens échangeables et non échangeables. Conscients des limites de la démarche, Kakkar et Ogaki (1999) ont considéré l’existence de biens échangeables et non échangeables tout en maintenant la définition du taux de change réel comme le rapport de prix entre pays. Ainsi, le taux de change réel comme prix relatif de biens non échangeables en termes de biens échangeables n’est autre qu’un taux de change réel interne. Etant donné cette distinction, le taux de change réel ( r ), comme le rapport de prix nationaux et étrangers et correspondant à la bonne définition, devient fonction des taux de change réels internes dans le pays ( q ) et à l’étranger ( q* ). L’expression logarithmique est la suivante : rt = θ + α qt − α * qt* + ε t α et α * étant les poids de biens non échangeables nationaux et étrangers. Cette nouvelle définition du taux de change réel a le mérite d’essayer de concilier des considérations internes, à travers les prix relatifs internes, et des considérations externes, à travers le taux de change réel comme rapport de prix nationaux et étrangers. Toutefois, elle ne semble pas changer la tradition cherchant à corriger le taux de change réel par le prix relatif interne puisque le fondement reste le même, à savoir un arbitrage entre biens échangeables et non échangeables. De surcroît, le problème de ventilation des deux catégories des biens s’amplifie par sa dimension extérieure. La deuxième voie décompose les biens échangeables en exportables et importables. La formule la plus aboutie nous semble celle d’Allen (1995). Le taux de change réel y est ainsi donné en fonction des prix des biens exportables ( p1 ), importables ( p2 ) et non échangeables 211 ( pn ) mais aussi des poids des biens non échangeables ( α et α * ) et importables ( β et β * ) dans les PIB du pays et étranger (*). Elle peut avoir comme forme : r = α ( pn − p1 ) − α * ( pn* − p2* ) + (1 − β − β * )( p1 − p2 ) Distinguer les biens exportables des biens importables, au lieu de les considérer en bloc, affine la conceptualisation du taux de change réel. D’un arbitrage entre deux catégories de biens, échangeables et non échangeables, on passe à trois formes d’arbitrage : entre exportables et non échangeables, entre importables et non échangeables et entre exportables et importables. Cette définition s’adapte de surcroît à plusieurs situations allant d’une économie où tous les biens sont échangeables à une autre qui ne produit que des biens non échangeables. Il nous semble, toutefois, que la possibilité d’arbitrage n’est pas si évidente dans les PED, surtout pour les biens exportables et non échangeables. De par leurs structures commerciales, ces pays n’ont pas toujours le choix entre produire pour le marché national et produire pour l’étranger. C’est d’autant plus manifeste quand le pays suit une stratégie de développement extravertie. Les deux voies restent donc insatisfaisantes. Aussi, remettons-nous en question le fait de tout condenser dans une équation unique. Parce qu’il exprime une relation entre deux économies, le taux de change réel est avant tout un rapport de prix nationaux et étrangers. L’étendue dans laquelle ce taux est représentatif du fonctionnement du marché et des perturbations, qui le caractérisent et le font dévier de son niveau donné par la PPA, est tributaire du processus de formation des prix. Ceci n’est, certes, pas le même s’agissant d’un PED ou d’un pays développé. Il n’y a qu’un modèle structurel qui pourra rendre compte de toutes ces considérations mais aussi d’autres éléments qui par leurs interactions influencent le taux de change réel. L’effet Balassa, par exemple, n’est pas forcément explicite : le taux de change réel en fonction des prix des biens échangeables et non échangeables. Il se traduit aussi par des éléments présents dans le modèle structurel, par exemple ceux concernant la spécialisation ou la dépense publique. 212 2.2 Le Modèle Nous élaborons notre modèle en deux parties où nous spécifions les conditions d’un équilibre interne et externe. La résolution analytique du modèle nous permettra d’identifier les expressions des deux équilibres. Il est alors possible, par le croisement des blocs interne et externe, de dégager une expression du taux de change réel d’équilibre macroéconomique, c’est-à-dire le taux réel qui articule les modalités du fonctionnement interne de l’économie et les comptes extérieurs. Cette expression de forme réduite traduit le comportement du taux de change réel et laisse envisager la possibilité d’une estimation. 2.2.1 L’équilibre interne La détermination d’un équilibre interne passe par la spécification des équations de la demande et de l’offre. 2.2.1.1 La demande La demande réelle globale du produit national ( y ) correspond à la dépense de consommation privée ( c ), la dépense globale d’investissement ( i ), la dépense publique ( g ) et le solde de la balance commerciale ( b ). Elle est donnée par l’équation suivante, celle d’un équilibre macroéconomique global : (1) y = c+i+ g +b Examinons maintenant les composantes de la demande dont la première à traiter est la fonction de consommation. Nous partons d’une spécification très proche de celle de Blinder et Deaton (1985) qui fait dépendre la consommation du taux d’intérêt et du revenu disponible. Mais il est soutenu que la consommation dans les PED est à la fois très fortement élastique au revenu et très faiblement élastique au taux d’intérêt, de signe ambigu de surcroît (Argy 1994), et que la propension marginale à consommer par rapport au salaire est plus forte que celle par rapport au profit. Taylor (1991) évoque l’effet Keynes-Kalecki qui repose sur l’hypothèse que la propension à épargner est considérablement plus faible par rapport aux salaires que par rapport aux profits. Dans la mesure où une baisse dans les salaires réels est accompagnée par une baisse dans la part des salaires dans le revenu national, la demande agrégée baissera aussi. Nous proposons donc de corriger l’effet global de revenu sur la consommation par 213 l’intégration d’un ratio d’employabilité ( l ), taux d’emploi urbain par exemple, qui montre l’importance de l’emploi salarial dans le revenu. La fonction distributive de revenu est également importante, l’imposition influence de beaucoup la consommation. La faiblesse du secteur financier dans les PED fait que les revenus financiers n’affectent pas énormément la richesse privée. Même les intérêts de la dette peuvent être financés par un endettement nouveau et n’ont donc pas à être déduits du revenu. Auquel cas, Villa (1996) propose de considérer le revenu égal à l’offre. Le revenu disponible peut ainsi être pris au sens de la production. Aussi, le taux de change réel peut influencer la consommation par le biais d’un effet induit. Sa dépréciation fait renchérir les biens importés, ceux de production en augmentent en retour le coût et par ricochet le prix de la demande, réduisant ainsi la consommation. Etant donné ces éléments, nous faisons dépendre la consommation du revenu réel ( y ), du taux de change réel ( r ), de la part de salaires dans le revenu, comme chez Jha (1994), à travers la variable emploi ( l ), et d’un taux d’imposition proportionnel au revenu ( τ y ). Une hausse du revenu ou du taux d’emploi urbain y agit positivement, alors que celle des niveaux du taux de change réel (dépréciation) ou de l’imposition l’affecte négativement. Elle peut être spécifiée comme suit : α1 ; α 3 > 0 et α 2 ; α 4 <0 c = c0 + α1 y + α 2 r + α 3l + α 4τ y (2) L’investissement peut être spécifié comme fonction de variables relativement standards, telles que le taux d’intérêt réel, la production réelle et le stock du capital désiré que nous supposons dépendre, en retour, de la production. Il est négativement lié au taux d’intérêt dont une hausse en fait baisser le volume. Comme pour la consommation, nous ne retenons pas le taux d’intérêt, il est souvent soutenu que l’investissement dans les PED en est très peu élastique. Ne pas considérer le taux d’intérêt dans les deux expressions de la consommation et de l’investissement ne signifie nullement qu’il n’existe pas implicitement un marché de la monnaie. Une étude plus approfondie de la fonction d’investissement conduirait, comme pour la consommation, à considérer l’effet induit du taux de change réel. Car dans un PED où le secteur manufacturier est bien présent, une hausse du taux de change réel augmente le coût des inputs, constitués en bonne partie des biens de capitaux intermédiaires et financés par les profits des entreprises, ce qui réduit donc le niveau de l’investissement. La forte présence du secteur manufacturier à côté d’un autre agricole marque le caractère dual de l’économie. Nous supposons que le prix relatif de biens agricoles en termes de biens manufacturiers constitue un facteur d’arbitrage entre investissements des deux secteurs. L’investissement global augmente 214 avec celui du secteur manufacturier mais un prix relatif ( a ) favorable aux produits agricoles y agit négativement. β1 >0 et β 2 ; β 3 <0 i = i0 + β1 y + β 2 r + β 3a (3) La dépense publique ( g ) est souvent traitée comme exogène, fixée par le gouvernement. Dans les PED, elle est largement composée des paiements de salaires dont l’évolution est liée à ceux du secteur privé ou vice-versa. La dépense publique diminue avec la baisse du salaire réel mais augmente avec l’emploi dans le secteur public. L’investissement public est l’autre composante majeure. Ces deux facteurs marquent, d’ailleurs, le rôle prépondérant de l’Etat dans les PED, contraint néanmoins par le niveau de la production nationale. Nous proposons donc d’endogénéïser la dépense publique, hormis une partie autonome ( g0 ), en la faisant dépendre positivement de la production, soit : 0p δ p 1 g = g0 + δ y (4) Nous abordons maintenant les déterminants de la balance commerciale que nous traitons comme une composante à part et non comme une simple identité comptable, car nous envisageons l’existence des effets mutuels entre exportations et importations du fait de certaines caractéristiques de PED et des mesures prises dans le cadre d’une politique commerciale. Nous nous appuyons sur une expression communément utilisée qui lie l’évolution de la balance commerciale aux productions nationale ( y ) et étrangère ( y* ) et au taux de change réel ( r ). Les deux premières ont une influence respectivement négative et positive par l’intermédiaire de l’importation et l’exportation. Quant à l’effet du taux de change réel, il est en général positif. Une hausse de prix relatif de produits nationaux par rapport aux prix étrangers, baisse du niveau du taux de change réel ici, entraîne une diminution du volume des exportations et une augmentation du volume des importations, donc une réduction de la balance commerciale en volume. La balance commerciale est donc fonction croissante du taux de change réel. C’est conforme à de nombreux travaux théoriques qui imposent d’emblée une telle hypothèse qui est cohérente avec les multiples estimations de fonctions d’exportations et d’importations suggérant que les élasticités-prix soient suffisamment élevées pour que leur somme soit strictement supérieure à l’unité (BahmaniOskooee et Niroomand 1998 ; Marquez 2002), amendant ainsi la condition Marshall-Lerner. Cette conclusion reste toutefois mitigée. Il semblerait que, pour des PED, les élasticités à l’import et à l’export sont faibles. Par conséquent et en vertu de la condition Marshall-Lerner, 215 qui ne sera pas satisfaite, une relation négative est aussi possible. En plus de ces trois variables et étant donné les caractéristiques des PED, un ensemble de déterminants caractérisant la structure commerciale du pays et la compétitivité hors taux de change réel peut être évoqué. En effet, beaucoup de gouvernements des PED tirent des revenus substantiels des taxes sur les importations et subventionnent les exportations. Cela exprime la nature de la politique fiscale à l’égard de l’échange extérieur traduisant ainsi l’orientation commerciale du pays. Le rapport entre les deux taxes à l’import et à l’export ( τ c = 1+τm ) 1 −τ x peut nous renseigner sur la nature de l’incitation fiscale. Un faible rapport signifie l’existence d’un biais à l’export. L’évolution de la balance commerciale dépend aussi de la structure internationale de l’échange dont les termes, rapport des prix à l’export et à l’import, en reflètent la tendance. Beaucoup de problèmes macroéconomiques significatifs des PED ont leur origine dans une évolution défavorable des termes de l’échange. L’ouverture tendancielle des ces économies influence aussi la structure commerciale du pays et par conséquent la balance commerciale. De même, les disponibilités fréquemment réduites de devises étrangères dans les PED entraînent leur rationnement et l’imposition du contrôle des importations. Ce facteur agit comme une contrainte sur les importations dans les PED (Haque et al. 1990 ; Haque et Montiel 1999). Un ratio élevé de réserves aux importations rendra les importations plus aisées. L’effet global de ces facteurs reste néanmoins mitigé, nous les regroupons dans une variable ( b0 ). La balance commerciale peut s’exprimer ainsi : b = b0 + φ1 y + φ2 y* + φ3 r φ1 < 0 et φ2 ; φ3 > 0 (5) Après l’analyse du fonctionnement de l’économie côté demande et la spécification de ses équations, la demande adressée aux producteurs nationaux peut ainsi être exprimée: y = k[ y0 + (α 2 + β 2 + φ3 )r + α 3l + α 4τ y + β 3 a + φ2 y* ] où, k = 1 1 − α1 − β1 − δ − φ1 (6) est un paramètre ayant valeur de multiplicateur et y0 = c0 + i0 + g0 + b0 est une composante autonome de la demande Etant donné les valeurs des paramètres de l’ensemble des équations ci-dessus discutées, une hausse de la demande extérieure ou de la part de revenu du travail dans la production, variable 216 emploi, accroît la demande intérieure qui, au contraire, réagit négativement à la variation du niveau de l’impôt sur le revenu et du prix relatif des produits agricoles en termes de produits industriels. Quant au taux de change réel, l’effet global reste mitigé. Il dépend en effet de trois formes d’élasticité : celles de la consommation et de l’investissement qui sont négatives et celle de la balance commerciale qui est positive. Les deux premières se traduisent par un effet induit et la troisième par un effet que nous appelons « effet Marshall-Lerner ». Par conséquent, une hausse du niveau du taux de change réel, c'est-à-dire une dépréciation, ne peut stimuler la production nationale qu’en présence d’un puissant effet Marshall-Lerner dominant les effets induits du taux de change réel sur la consommation et l’investissement. La condition ( φ3 f α 2 + β 2 ) doit donc être satisfaite. Si ce n’est pas le cas, une hausse du niveau du taux de change réel se traduira par une baisse de la production nationale en volume. 2.2.1.2 L’offre Après avoir identifié la demande, nous passons à l’étude de l’offre que nous pouvons représenter par une fonction de type Cobb-Douglas liant la production ( y ) aux facteurs capital ( k ) et travail ( l ), de forme logarithmique : y = θ k + (1 − θ )l + y0 , où θ et ( 1 − θ ) sont les parts du capital et du travail dans la valeur ajoutée et y0 tient pour tous les autres déterminants, notamment le progrès technique. Mais en plus de la production, l’offre globale d’une économie dépend, en général, des fonctions d’offre et de demande du marché du travail et des comportements des entrepreneurs et des salariés. Ces éléments ont des caractéristiques spécifiques dans les PED. Nous pensons à la structure oligopolistique du marché des biens industriels, à une protection tarifaire contre la concurrence étrangère et à l’importance de la part des inputs intermédiaires importés dans la production industrielle. Il n’est pas rare de trouver de la capacité inutilisée dans le secteur industriel. De plus, les besoins en fond de roulement, dont le taux d’intérêt est un puissant déterminant, sont financés essentiellement par l’emprunt d’argent frais, l’investissement à travers les marchés financiers étant relativement sans importance. Sur cette base, l’offre peut aussi être exprimée en fonction des prix, taux d’intérêt, salaires et taux de change, sans référence directe aux stocks du capital et du travail. Pour notre part, nous mettons l’accent, dans cette partie du modèle, plus particulièrement sur la nature duale41 d’une économie en développement. Nous supposons que la production 41 - Voir Ranis (1988), pour une revue de littérature du dualisme des économies des PED. Elle s’est concentrée sur 217 globale, contrainte par le capital et non par le travail, est assurée par deux secteurs : l’un traditionnel, en gros l’agriculture, et l’autre moderne, en gros l’industrie manufacturière. La représentation du fonctionnement de l’économie peut être élargie à plus de deux secteurs. Mais l’idée ici est d’insister sur le caractère quelque peu non défendable d’un modèle agrégatif, ce qui nous permettra une modélisation macroéconomique peu standard du taux de change. Il y a plusieurs différences entre le secteur agricole traditionnel et le secteur industriel relativement moderne. Nous pensons, néanmoins, que ces différences tendent à se réduire avec le développement de l’économie et qu’il existe au moins deux liaisons importantes entre eux. Il y a d’une part l’importance des biens agricoles dans la consommation des salariés du secteur industriel et, d’autre part, le besoin des biens industriels pour l’investissement agricole. Pour compléter la spécification du modèle côté offre, il nous semble donc important d’y intégrer la formation des prix et des salaires, loin d’être flexibles dans les PED, selon la structure de leurs économies ci-dessus discutée. Dans la plupart de ces pays, les biens importés et domestiques sont de très faibles substituts, peut être dû à l’importance de l’importation des biens intermédiaires. Les prix à la consommation à l’intérieur d’un pays ( p ) sont une combinaison des prix des produits domestiques ( pd ) et importés ( pi ), selon leur pourcentage dans la consommation globale (ρ), soit : p = ρ pd + (1 − ρ ) pi 0<ρ<1 (7) En ce qui concerne le premier élément de cet indice de prix et étant donné la nature duale de l’économie, nous considérons le prix d’un produit domestique en tant que combinaison de ceux d’un bien manufacturé ( pM ) et d’un bien agricole ( p A ) selon la part de la production sectorielle de chaque catégorie des biens ( m ). Nous concevons également qu’il est évalué à la base par son coût de production. Deux éléments viennent le majorer. Le premier concerne la taxation des produits à un taux (τ d ). pd = mpM + (1 − m) p A + τ d 0< m <1 ; τ d >0 (8) Le second se rapporte au pouvoir d’établissement des prix des entreprises. Il est d’autant plus élevé qu’elles ont un comportement monopolistique qui signifie, généralement, une des questions réelles, en particulier, sur la croissance de longue durée. Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que certains modèles ont été adaptés pour traiter des questions macroéconomiques. 218 diversification et une différenciation des produits mais aussi un taux de marge ( µ )42 qui est une approximation de leur profitabilité. Les marchés des produits dans les PED n’en font pas exception. Dornbusch (1987) avance que le pouvoir d’établissement des prix des entreprises monopolistiques est censé être fonction de l’élasticité de la demande, qui en retour dépend énormément de la substituabilité entre les différents produits industriels. Un accroissement dans l’élasticité de substitution entre produits nationaux et importés intensifie la persistance du taux de change réel (Faruqee 1995). Cheung, Chinn et Fujji (1999), utilisant l’indice de Grubel et Lloyd (1975) comme mesure de la structure ou du pouvoir du marché dû à la différenciation des produits, soutiennent qu’une persistance prononcée du taux de change réel est associée à un degré élevé d’activité intra-industrielle. En considérant l’indice de spécialisation ( s )43 dans la formation des prix, c’est l’effet Balassa que nous prenons en compte. Une valeur élevée de l’indice est interprétée comme un fort pouvoir du marché dû à la différentiation. La prise en compte de ces deux aspects de la structure du marché, le taux de marge et l’indice de spécialisation, nous permettra de considérer pleinement le pouvoir d’établissement des prix des entreprises. Nous proposons donc de les combiner à travers l’expression (1+ µ )s . La valeur de cette expression tend vers l’unité quand ( s ) tend vers 0, ce qui signifie que les entreprises n’ont aucun pouvoir quant à la formation des prix, disparition du taux de marge, parce que leurs produits ne sont pas du tout différenciés mais sont plutôt banals. Il est évident que cette discussion ne concerne que le secteur manufacturé. Nous proposons donc d’exprimer le prix d’un produit à partir de l’égalité entre salaire réel et productivité du travail dans le secteur. C’est ce que nous adoptons ici pour la spécification des prix des biens agricoles, soit : (9) pA =wA −π A Quant aux produits industriels, manufacturés, nous mettons en évidence la discussion cidessus et les prix s’expriment comme suit : pM = ( wM − π M ) + sµ 0< s <1 (10) 42 - Krugman et Taylor (1978), par exemple, considèrent une fonction de coût avec mark-up pour déterminer les prix des biens domestiques. 43 - Voir Glejser, Goossens et Vanden (1982) pour une étude plus complète sur l’indice de spécialisation. 219 Après avoir étudié la formation des prix à l’intérieur du pays, il ne nous reste qu’à spécifier ceux des importations ( pi ), déterminants des prix à la consommation, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Mais les importations influencent ces derniers par leurs prix dans le pays où elles sont consommées et non pas par ceux où elles ont été produites ( p* ). Cela s’accentue quand le pays importateur pratique une taxation sur l’échange. C’est souvent le cas des PED qui en tirent des revenus substantiels. Les prix des importations, en retour, sont déterminés par le taux de change nominal ( n ), les prix étrangers en devise étrangère ( p* ) et la taxe à l’import ( τ i ). En d’autres mots, ils s’expriment ainsi : pi = n + p* + τ i (11) Il est implicite dans cette équation qu’une dévaluation accroîtra les prix des importations en monnaie nationale et, à un degré moindre, les prix de produits nationaux. L’analyse du fonctionnement des marchés des biens et du travail, à travers la formation des prix et des salaires, nous permettra d’identifier une boucle prix-salaire, nécessaire à l’expression de l’offre. Pour y arriver, nous substituons les différentes expressions des prix dans celle des prix à la consommation et nous obtenons : p = ρ [m( wM − π M ) + msµ + (1 − m)( wA − π A ) + τ d ] + (1 − ρ )(n + p* + τ i ) Puisque le taux de change réel se définit comme suit : r = n + pi* − p (12) En retranchant des deux côtés de l’équation précédente (1 − ρ ) p et en prenant, pour l’alléger, τ =τd + 1− ρ ρ τ i , nous pouvons alors exprimer le niveau de prix en économie : p = m( wM − wA ) − m(π M − π A ) + ( wA − π A ) + 1− ρ ρ r + msµ + τ (13) Cette expression confirme l’importance de la distinction, dans un PED, entre le secteur agricole et le secteur manufacturier. Dans un pays où ce dernier est enraciné, il influence le niveau des prix directement et indirectement du fait qu’il tire avec lui le secteur agricole. Un écart de salaire favorable au secteur manufacturier pousse le niveau des prix à la hausse, de même qu’une augmentation de salaire réel dans le secteur agricole et la pratique du taux de 220 marge et de la taxation. Cela est aussi vrai quand il s’agit d’une hausse du niveau du taux de change réel, à savoir une dépréciation qui a un double effet : celui du renchérissement des prix des importations et celui de la baisse des prix des exportations favorisant leur augmentation et ainsi celle de la demande de la production domestique. L’amélioration de la productivité dans les deux secteurs agit négativement sur le niveau des prix. Ce qui est un résultat fort logique puisqu’elle rend les produits plus disponibles et à moindre coût. L’autre volet déterminant de l’offre concerne le fonctionnement du marché du travail et la formation des salaires. Le marché du travail d’un PED diffère dans d’importantes manières de ceux des pays industrialisés, exigeant une attention toute particulière dans l’interprétation des concepts standard qui y sont utilisés44. Il est caractérisé par une situation d’excès d’offre du travail persistant. À court terme, de toute façon, une partie considérable de la main-d’œuvre est en chômage, sous-employée ou employée à des salaires très bas dans le secteur « informel ». Pour l’emploi régulier, les salaires sont fixes et ne semblent pas refléter une vraie pénurie de travail. Plusieurs explications peuvent être avancées. Il y a, par exemple, le rôle des syndicats qui apparaissent souvent dans des secteurs industriels protégés et suivent dans leur pratique des modèles semblables à ceux des pays développés, les sociétés multinationales qui imitent les structures salariales de leurs pays d’origine ou l’élite dirigeante qui, pour des raisons politiques, trouve profitable de privilégier une partie de la main-d’œuvre pour justifier la faveur accordée aux entrepreneurs. Aussi, la persistance du chômage dans beaucoup de cas ne peut être attribuée à une rigidité excessive dans les salaires réels mais peut résulter des effets de demande agrégée associés à leur baisse et des imperfections du marché des biens. Le premier type d’effet était envisagé par les nouveaux économistes structuralistes. C’est l’effet Keynes-Kalecki (Taylor 1991), nous l’avons évoqué dans la fonction de consommation. Le chômage peut persister malgré une réduction importante dans les salaires réels. Le second type peut résulter de la concurrence imparfaite des marchés des biens, même si les marchés du travail sont concurrentiels et les salaires réels flexibles (Layard et al. 1991). Le dualisme du marché du travail dans les PED peut être lié au secteur d’emploi, à la structure de production, agriculture et industrie ou traditionnel et moderne, à la localisation géographique des activités, rurale et urbaine, à la nature légale des activités, formel ou informel, ou à la composition de la force du travail, qualifiés et non qualifiés. Dans plusieurs 44 - Voir Rosenzweig (1988) pour une étude détaillée du marché du travail dans les PED. 221 PED, l’agriculture emploie encore la majorité de la force du travail dans les zones rurales, le secteur moderne est petit. Le fonctionnement des marchés du travail rural et urbain diffère considérablement dans au moins trois considérations. Premièrement, l’hétérogénéité et la diversité de la production dans les zones urbaines nécessitent plus de compétence et de spécialisation chez les travailleurs. Deuxièmement, des effets climatiques et saisonniers sur la production dans les zones urbaines sont moins prononcés que dans les rurales. Troisièmement, les activités productives urbaines sont plus concentrées géographiquement que dans l’agriculture rurale. En raison du caractère dual de l’économie, deux secteurs et deux taux de salaire différents, le PED dispose d’un secteur traditionnel d’une offre de travail très abondante qui peut à tout moment faire pression sur les salaires et fournir la quantité de travail nécessaire aux conditions de salaires qui seront déterminées par celles de la production du secteur moderne. Il n’y a pas de courbe de phillips (Villa 1996, 1998), les salaires s’ajustent en raison de l’abondance du travail dans le secteur traditionnel. Nous supposons donc que seuls les salariés du secteur moderne peuvent avoir un salaire réel désiré ( λ ), exprimé dans les unités de deux biens. Le salaire nominal désiré ( wMd ) peut alors être défini : wMd = λ p λ>0 (14) Les salariés du secteur manufacturier considèrent donc le niveau de l’inflation dans l’évaluation de leur salaire désiré. Nous admettons aussi un degré d’illusion monétaire en postulant que le salaire actuel du secteur ( wM ) s’ajuste lentement au salaire désiré ( wMd ), ce qui se traduit par l’équation suivante : wM = ν wMd + (1 − ν ) wM −1 0 ≤ν ≤ 1 (15) Ceux du secteur agricole vont avoir un salaire anticipé qui s’exprime en fonction de celui du secteur manufacturier. Nous suivons en cela le modèle de segmentation du marché du travail dans les PED le mieux connu, celui de Harris et Todaro (1970)45. L’objectif principal est d’expliquer la persistance de la migration rurale-urbaine, malgré l’existence d’un chômage urbain largement répandu dans les PED. L’égalité des salaires anticipés, plutôt que des salaires courants, comme condition de base à l’équilibre dans les différents segments du marché en est l’élément clé. Ils supposent, tout particulièrement, que les travailleurs ruraux, 45 - Il était élargi dans plusieurs directions. Des développements particulièrement intéressants ont expliqué la rigidité du salaire urbain par des considérations d’efficience plutôt que par des régulations. 222 en décidant de migrer, comparent le salaire courant dans l’agriculture ( wA ) au salaire urbain anticipé ( wMa ). Ce dernier est calculé en multipliant le salaire prévalant dans le secteur ( wM ), qui peut être supposé fixe du fait de l’existence d’une loi sur le salaire minimum, par le taux d’emploi urbain ( l ) qui mesure la probabilité d’être embauché. A l’équilibre, l’hypothèse de Harris et Todaro donne : (16) wA = wMa = wM + l où l peut être exprimé par le rapport du niveau d’emploi urbain au nombre absolu des travailleurs dans les zones urbaines. Nous obtenons ainsi une boucle prix-salaire sous forme d’un système à trois équations, soit : 1− ρ p = m( wM − wA ) − m(π M − π A ) + ( wA − π A ) + ρ r + msµ + τ wM = νλ p + (1 − ν ) wM −1 w = w + l M A Comme nous l’avons avancé plus haut, l’expression de l’offre globale passe par le marché du travail. Son équilibre permet de résoudre la boucle prix-salaire et de déterminer la condition de l’offre. C’est ainsi qu’avant de résoudre le système, nous avançons deux hypothèses. La première est relative à la stabilité du niveau de salaire à long terme ( wM = wM −1 ). La deuxième stipule une indexation totale, à long terme, des salaires sur le prix ( λ = 1 ). L’équilibre côté offre s’exprime alors en termes d’un niveau d’emploi, soit : l= m 1− ρ π − msµ − τ (π M − π A ) − r+ A 1− m 1− m ρ (1 − m) (17) Cette expression de l’offre révèle encore une fois l’importance de notre modèle puisqu’elle met en évidence les différentes formes d’ajustement et de coïntégration permettant la détermination de l’équilibre interne. En plus de l’ajustement à travers les prix et les salaires aux niveaux sectoriel et global, l’équation précédente permet un ajustement quantitatif par le biais de l’emploi urbain, dans le secteur moderne. Cette condition nous dispense de déterminer le niveau de l’offre. Son intégration dans l’expression de la demande nous permettra la détermination du niveau de production qui assure l’équilibre interne, soit : 223 α 3 (1 − ρ ) kα m ]r + 3 (π M − π A ) ρ (1 − m) 1− m kα 3 + k (φ2 y* + α 4τ y + β 3a) + (π A + msµ + τ ) y = ky0 + k[(α 2 + β 2 + φ3 ) − (18) 1− m La prise en compte explicite des formes de régulation sur le marché du travail nous a donc permis de qualifier l’équilibre interne. Il correspond au niveau d’activité économique qui assure la cohérence entre les comportements de formation des prix des entrepreneurs et les comportements salariaux. La relation entre la production et le taux de change réel qu’exprime cette équation dépend du signe de l’expression [(α 2 + β 2 + φ3 ) − α 3 (1 − ρ ) ] . Une dépréciation ρ (1 − m) du taux de change réel, hausse du niveau, ne peut stimuler la production nationale que si la condition (α 2 + β 2 + φ3 ) f α 3 (1 − ρ ) est satisfaite. Un puissant effet Marshall-Lerner est ρ (1 − m) encore exigé. La relation de l’activité économique au taux de change réel n’est donc pas établie indépendamment des comportements des ménages et des entrepreneurs. Une dépréciation du taux de change réel peut avoir un effet négatif sur la production d’autant plus fort que le salaire réel se révèle sensible aux tensions sur le marché des produits et que la demande intérieure est faiblement satisfaite par des produits d’origine étrangère. En effet, si le taux de change réel se déprécie, les prix des importations augmentent. La répercussion sur les prix à la consommation est d’autant plus grande que le taux d’ouverture de l’économie est important. Le salaire réel baisse, à taux de salaire nominal inchangé. Les ménages sont susceptibles d’intensifier leurs prétentions salariales afin de restaurer leurs salaires réels. Si celles-ci sont acceptées, les coûts de production se détériorent et les entreprises procèdent à un ajustement nominal en réduisant le volume de leur demande de travail. Le chômage augmente et le rythme de croissance réelle de l’économie se réduit en réponse à la dépréciation du change réel. 2.2.2 L’équilibre externe L’évocation de la production et de l’échange extérieur conduit tout naturellement au traitement de la position extérieure du pays46. Cela revêt une dimension particulière pour les 46 - Coîteux (1996) offre une synthèse originale des trois approches classiques de la balance des paiements (celles des élasticités, de l’absorption et monétaire) dont le but est de mieux comprendre le rôle du taux de change réel dans l’ajustement d’une économie à sa contrainte de financement. 224 PED, du fait de l’importance de la contrainte extérieure qui soulève les questions de la dette et de la mobilité de capitaux. Le compte courant ( cc ), qui en est le premier élément d’information, n’est autre que le solde commercial augmenté d’intérêts perçus sur les actifs étrangers déduction faite d’intérêts payés sur les actifs nationaux détenus par l’étranger ( d ), dont la dette publique extérieure. Il dépend du taux de change réel et des écarts de production et de taux d’intérêt par rapport à l’étranger, soit : cc = c0 + c1r + c2 ( y − y* ) + c3 (q − q* ) c1 > 0 et c2 ; c3 < 0 (19) Un écart des taux d’intérêt réels favorable au PED se traduit par moins de revenus nets d’intérêt. Le compte courant en dépend donc négativement. L’ampleur de son solde nous renseigne sur celle de la variation de la position extérieure. C’est-à-dire qu’une aggravation d’un déficit signifie un besoin de capitaux et donc une dette supplémentaire au stock déjà existant ( d −1 ). Cela l’est davantage quand il s’accompagne d’un déficit budgétaire comblé en partie par un financement extérieur. Le financement extérieur du déficit public est donc une composante importante de la formation de la dette dans les PED. Cela revient à l’importance de l’engagement de l’Etat doublée d’une épargne privée faible, voire négative. De surcroît, le déficit public présente un facteur de distorsion du change. Maurin (2001) montre la possibilité, à court et moyen terme, de sur-réaction du taux de change réel à une variation du solde budgétaire. Il évoque en effet deux canaux de transmission de la politique budgétaire vers le taux de change réel. Le premier est réel et découle de la réallocation de la demande intérieure opérée par le déficit public vers les biens nationaux. Le second est financier et privilégie le financement du déficit par l’épargne étrangère. Nous supposons ici que le déficit budgétaire se traduit par l’amplification du compte courant. La position extérieure se présente donc comme suit : (20) d = d −1 − cc Cette équation évalue le besoin en capitaux du pays. En sus d’un besoin d’équilibre financier, l’appel au financement extérieur servira essentiellement à soutenir l’effort d’investissement et donc la croissance de l’économie nationale47. Toutefois, les capitaux ne sont pas toujours disponibles et s’avèrent être imparfaitement mobiles de surcroît. La capacité à trouver des financements n’est pas infinie, l’accès des petits pays au marché des capitaux est limité et les 47 - Voir Villa (1996) pour une étude approfondie de la croissance et de la contrainte extérieure dans les PED. 225 crédits sont distribués par un petit nombre de prêteurs. Dans de telles conditions, le financement ne peut qu’être rationné et les prêteurs des pays développés peuvent aussi exiger une prime de risque à partir d’un certain seuil de la dette, ce qui accroît la contrainte financière. Les PED sont donc obligés d’offrir des rendements plus attractifs que ceux de l’étranger, soit : . q = q * + (r/ r ) + ϑ ( d / r ) (21) Dans cette expression qui suit celles de Artus (1997, 1998) et Maurin (2001), les investisseurs . étrangers anticipent une dépréciation réelle de la monnaie au taux de (r/ r ) qui fait augmenter le taux d’intérêt réel à l’étranger ( q* ). Ils exigent aussi un taux de rendement ( ϑ ) plus élevé sur les titres du pays, soit (d / r ) la valeur en devises de sa dette extérieure. C’est une prime de risque qui croît avec la dette extérieure. Plus la mobilité du capital est faible, plus ( ϑ ) est grand48. La question de la mobilité du capital est souvent traitée sous l’angle de l’imperfection. Il nous paraît intéressant de souligner que les PED ne doivent pas chercher la mobilité du capital dans l’absolu. Le degré de mobilité du capital et la dynamique de la dette doivent être pris en compte comme le note Artus (1998). Car une forte mobilité empêche que la dette extérieure soit la variable d’ajustement et conduit parfois à des chocs d’effets très différents sur le taux de change. De surcroît, dans un pareil cas, les dynamiques de la dette extérieure et du capital productif ne sont pas naturellement stables. La première existe en raison de l’effet “ boule de neige ” des intérêts payés, la deuxième en raison de l’endogénéïté du taux d’intérêt. D’un côté, une hausse du capital réduit sa productivité marginale, donc l’investissement, ce qui est stabilisant. D’un autre côté, en accroissant la production, elle fait baisser le taux réel 48 - Edwards et Khan (1985) et Haque et al. (1990), par exemple, adoptent une expression conventionnelle qui spécifie le taux d’intérêt comme combinaison de deux cas extrêmes : it =φ(it* +[Et Nt +1 − Nt ]/ Nt )+(1−φ)ît . Dans le cas de parfaite mobilité du capital ( φ =1), le taux d’intérêt nominal est déterminé par la condition de parité non couverte des taux d’intérêt. Dans une économie complètement fermée, le taux d’intérêt nominal n’a pas de relation avec le taux externe et est déterminé purement sur le marché national. Villa (1996) suppose que les prêteurs des pays développés exigent une prime de risque – pays à partir d’un certain seuil de dette et propose une formulation linéaire par morceau : l’endettement initial en part de PIB et q = q* + θ Max(e − e0 , 0) où e0 est e est l’endettement maximal en part de PIB correspondant au ratio e > e0 et e < e0 . Ce faisant, il accroît la contrainte prudentiel. Le pays développé exige une prime lorsque financière car il augmente l’incitation à ne pas rembourser. Il est important aussi que système soit convergent. 226 θ soit très faible pour que le d’équilibre et augmenter l’investissement, ce qui est déstabilisant. Il n’y a, selon Artus, qu’un puissant effet de richesse sur la consommation qui puisse stabiliser les dynamiques de la dette extérieure et du capital productif. La dynamique d’accumulation de la dette extérieure s’écrit : . d = d (d ) / dt = −cc − ide (22) Autrement dit, la dette décroît avec l’excédent compte courant et les flux d’investissement nets qui viennent alléger le besoin d’un endettement supplémentaire. Il s’agit en l’occurrence d’un PED dont la position extérieure est supposée être toujours déficitaire. L’examen fait par Artus (1999) de quelques situations nationales concernant l’IDE confirme les intuitions théoriques, à savoir que le financement par IDE évite que la dette extérieure ne devienne trop forte. C’est-à-dire qu’elle n’excède pas le seuil au-delà duquel les prêteurs deviennent sensibles au risque de défaut et retirent leurs prêts, amenant une crise de change. L’absence d’appréciation réelle dans ce processus d’accumulation du capital lorsqu’elle est réalisée par IDE est un puissant facteur de stabilisation des régimes de change. A cela s’ajoute le fait que le financement par l’IDE, plus stable, permette une meilleure analyse des projets d’investissement, transfère les nouvelles technologies et ne conduise pas à une surévaluation réelle. L’évaluation de la position extérieure permet au PED d’estimer ses besoins en capitaux étrangers et de déployer les moyens pour réaliser son équilibre extérieur. Cela ne doit pas être une préoccupation de court terme mais surtout de moyen et long terme. Elle concerne par conséquent les flux financiers structurels. L’équilibre extérieur peut ainsi être envisagé comme une recherche de flux de capitaux tout en évitant une dynamique divergente d’accumulation de la dette extérieure. Ainsi conditionné, un PED ne peut pas compter sur les taux d’intérêt et l’offre d’une prime de risque, si longtemps et si élevée soit-elle, pour assurer un équilibre extérieur. Cela est inefficace et même inopérant. Si de prime abord, vient à l’esprit un critère répondant à une logique très simple qui serait de n’admettre aucune déviation du compte courant par rapport à l’équilibre, et ceci à chaque période, cela nous paraît irréaliste. En effet, cela représente en soi un objectif inefficace dans la mesure où un pays peut avoir intérêt à tirer profit de l’importation ou de l’exportation du 227 capital sur une longue période. Il nous paraît plus logique pour des PED caractérisés par des déséquilibres structurels, souvent un triple déficit (Bacha 1990)49, de définir des niveaux soutenables plutôt que d’éliminer d’emblée toute possibilité de déséquilibre, une stratégie par ailleurs valable voire recommandée aux pays développés (Joly et al. 1999). Une deuxième approche serait de prendre en compte la contrainte budgétaire intertemporelle de la nation en générant un profil de compte courant qui permettrait de rembourser la dette extérieure en un nombre donné de périodes ou à l’atteinte de la position de créditeur net sur les marchés financiers internationaux (Baffes, O’Connell et Elbadawi 1999). Ce serait une manière simple de prendre en considération l’aspect intertemporel du concept de taux de change réel d’équilibre. Par cette méthode, il serait également possible de considérer les déséquilibres extérieurs courants et passés. Théoriquement, la contrainte budgétaire de la nation s’applique à un horizon infini. Vouloir rembourser la dette extérieure en un nombre fini de périodes constitue une contrainte très forte qui pourrait être désastreuse en privant l’économie d’un PED de ressources combien même nécessaires au soutien de l’activité économique. L’équilibre extérieur, déséquilibre soutenable comme nous l’avons indiqué ci-dessus, est un concept normatif, davantage pour les PED. Une troisième approche, moins restrictive, basée sur la solvabilité impliquerait alors que le pays devra être capable de générer des surplus commerciaux futurs suffisants pour payer sa dette ou, au moins, la stabiliser en part de PIB à un niveau soutenable50, dans l’esprit de Milesi-Ferretti-Razin (1998). Sous l’approche FEER, cette définition de soutenabilité en revient fréquemment à cibler un déficit plus faible que ce qui est couramment enregistré, ce qui implique généralement une dépréciation de la monnaie. Ainsi conditionné, l’équilibre extérieur exige une cible du compte courant nécessaire pour indiquer le taux de change réel d’équilibre. A la manière de Smidkova (1999) et vue la dynamique de la dette dans notre modèle, nous pouvons aussi exprimer le niveau de la cible par : (23) t = (−cc − ide) / y 49 - Budgétaire, de l’épargne nette et des comptes extérieurs. 50 - Pour l’étude de la question de la soutenabilité de la dette sous un angle plus technique, voir Cohen (1985) ; Creel et Sterdyniak (1995) ; Visser (1995) et Fève et Hénin (1998). 228 Cette manière de cibler l’équilibre extérieur présente d’importants avantages. D’une part, elle sort l’équilibre extérieur d’un suivi strict du compte courant, par ailleurs irréaliste, et permet toute une dynamique. D’autre part, cette dernière offre une souplesse pour les PED en matière de gestion de la dette et de poursuite d’un déséquilibre soutenable. En effet, les PED n’ont pas uniquement le choix de fixer, mais aussi de cibler une part de PIB qui peut avoir plusieurs niveaux selon les conditions économiques. Il peuvent encore utiliser la politique commerciale ( cc ) ou jouer sur l’attrait des ( ide ) pour atténuer le poids de la dette et même soutenir l’effort du développement à travers les flux de capitaux supplémentaires. Une cible nulle ( t =0 ), étant donné que le compte courant est souvent négatif dans les PED, signifie que les IDE sont suffisants pour financer le déficit du compte courant. Du côté pratique, les PED peuvent estimer des taux d’équilibre à différents niveaux de la cible ( t ). Ils auront ainsi la possibilité de comparer et d’adopter le taux de change réel d’équilibre selon la plausibilité de la cible. De ce fait même, ils peuvent gérer l’écart par rapport au niveau d’équilibre. Mais il s’avère, à travers beaucoup de travaux (Coudert 1999 ; Smidkova 1999 ; Driver et Wren-Lewis 1999 ; Borowski et Couharde 2000…) que cibler le compte courant ou la position extérieure constitue un exercice particulièrement délicat. A cela s’ajoute le fait que derrière l’idée d’une cible existe une autre sous-jacente selon laquelle le pays peut, à certains égards, maîtriser son compte courant et les flux de capitaux qui ne vont d’ailleurs pas dans un sens unique. Cela suppose que le pays est relativement grand. Ce qui n’est pas le cas des PED. Nous soutenons néanmoins que cette approche peut constituer un moyen de suivre la position extérieure sans être fondamentale pour autant à propos de la détermination d’un équilibre externe. Etant donné les insuffisances des approches ci-dessus présentées, nous pensons que la détermination de l’équilibre extérieur pour un PED dépend de ce qu’on entend par des flux soutenables compte tenu des structures économiques du pays. Sur ce point, il est clair qu’un PED manque avant tout de l’épargne nationale pour soutenir l’activité économique pour une longue période. Les capitaux recherchés doivent essentiellement être dirigés dans cet objectif et par conséquent rester longtemps dans l’économie. Un tel objectif n’est pas aisé à réaliser dans un monde où les capitaux sont fort mobiles et de surcroît très recherchés par l’ensemble des PED. Le pays est contraint de rendre plus attractif les entrées de capitaux en les incitant à prendre part à l’activité économique. Cette attraction doit être durable, c’est-à-dire assurer au capital étranger une certaine profitabilité pour une période aussi longue que possible. En se basant sur l’approche de Williamson, ces capitaux sont attirés, dans leur composante principale, par la profitabilité à l’export dont le taux de change réel est l’élément essentiel, 229 surtout à travers une stratégie du développement extravertie. Mais avant de chercher la profitabilité externe, et comme toutes les entreprises qui oeuvrent à l’intérieur du pays, il faut assurer la rentabilité interne qui dépend de la productivité. Nous proposons ainsi d’endogénéïser les flux de capitaux et de les exprimer en fonction croissante du taux de change réel ( r ), du différentiel de productivités nationale et étrangère ( π − π * ) et du différentiel du taux d’intérêt avec l’étranger, soit : f = f 0 + f1r + f 2 (π − π * ) + f3 (q − q* ) f1 ; f 2 ; f3 > 0 (24) L’équilibre extérieur se réalise quand un pays trouve un équivalent à ses besoins en capitaux des flux soutenables, soit : d (d ) / dt = d&= f (25) Nous supposons aussi qu’à long terme, l’écart des taux d’intérêt s’annule. Ces deux conditions nous permettent d’exprimer l’équilibre extérieur comme suit : y = y* − c0 + f 0 + ide c1 + f1 f − r − 2 (π − π * ) c2 c2 c2 (26) Cette expression de l’équilibre externe nous confirme, étant donné les signes des coefficients, que le volume de la production nationale croît avec l’accroissement de la demande étrangère, des flux d’investissement direct dans le pays, du taux de change réel et du niveau de la productivité nationale par rapport à la productivité étrangère. La réalisation simultanée de l’équilibre interne et externe se traduit par la confrontation des deux équations représentatives (18) et (26) et permet d’exprimer le taux de change réel d’équilibre. Une expression qui peut être allégée en réarrangeant certains paramètres de sorte que : −kc2 y0 − c0 − f 0 r0 = σ c2 1− m ατ τ x = τ + α3 4 y kc [ ρ (1 − m)(α 2 + β 2 + φ3 ) − α 3 (1 − ρ )] + ρ (1 − m)(c1 + f1 ) σ = 2 ρ (1 − m)c2 230 Où r0 est une constante, τ x est la variable taxe et σ est le coefficient du taux de change réel. Ce qui nous permet d’obtenir la forme réduite de l’équation déterminant le niveau du taux de change réel d’équilibre, soit : r = r0 − mkα 3 (1 − m) β 3 [(π M − π A ) + sµ + τ x + a] mα 3 σ (1 − m) 1 [(1 − kφ2 ) y * − f 2 (π − π * ) − ide] + σ c2 (27) Le taux de change réel d’équilibre dans le cadre d’une économie en développement dépend donc d’un ensemble de variables formant deux groupes. Le premier traduit le fonctionnement interne de l’économie nationale. Il est constitué de l’écart des productivités sectorielles, du prix relatif sectoriel, du taux de marge et du niveau de spécialisation de l’économie mais aussi du poids de l’impôt. Le second traduit l’influence des éléments extérieurs tels que la production étrangère, l’écart de la productivité globale de l’économie nationale par rapport à celle de l’économie étrangère et les flux d’investissement direct. La manière avec laquelle le taux de change réel dépend de toutes ces variables reste tributaire du paramètre ( σ ), de signe ambigu semble-t-il. Mais, étant donné les conditions des paramètres du modèle et les élasticités déjà précisées, il est vraisemblablement négatif. Auquel cas, beaucoup d’intuitions théoriques se révèlent vérifiées. Ainsi, une hausse du taux de marge ( µ ) ou de l’impôt ( τ x ) qui, vu la structure de l’administration fiscale dans les PED, concerne essentiellement les entreprises et se reflète au niveau des prix rendant les produits étrangers relativement moins chers, amenant une dépréciation de la monnaie nationale. Alors qu’une hausse dans les prix relatifs sectoriels ( a ) ou dans la production agricole, qui constitue la consommation de base, se traduit par un relâchement de la tension sur la demande et une appréciation de la monnaie nationale. Il en est de même pour une réduction de l’écart, en général négatif, de la productivité globale de l’économie par rapport à l’étranger ou des flux d’investissement direct à l’étranger. L’analyse mérite d’être nuancée quand il s’agit de l’écart des productivités sectorielles, de la spécialisation et de la demande étrangère. Une amélioration dans la productivité du secteur manufacturier, moderne, par rapport au secteur agricole, traditionnel, peut entraîner une dépréciation de la monnaie nationale par l’intermédiaire de la demande. Des gains de productivité se traduisent par une accumulation des profits pour les entrepreneurs et une hausse du pouvoir d’achat pour les salariés par le biais du partage des fruits de la croissance et/ou par la baisse des prix. Le résultat est une hausse de la demande 231 qui sera en grande partie satisfaite par l’importation des produits étrangers. Les entrepreneurs, surtout dans les PED, vont employer une partie des profits dans l’acquisition des techniques de production plus modernes, essentiellement des biens en capital importés, et les ménages, de leur côté, dans l’acquisition des biens de consommation. De même pour la spécialisation, une dépréciation de la monnaie nationale est aussi possible. L’effet de richesse apporté par la spécialisation peut être dominé par l’effet demande d’investissement. Car plus la production du pays est composée de produits industriels davantage sophistiqués par rapport à des produits primaires ou manufacturés mais banals, plus le besoin d’investissement est élevé et plus l’importation de biens en capital est importante. Concernant l’effet de la demande étrangère, son accroissement ne peut entraîner une appréciation de la monnaie nationale qu’en présence d’un important effet multiplicateur et d’une forte élasticité de la balance commerciale par rapport à la demande étrangère. Il faut au moins que le produit des deux soit supérieur à l’unité, kφ2 f 1 . C’est souvent le cas. Nous pouvons donc dire que dans le cas d’un PED devant relever le défi de l’industrialisation et la modernisation de son économie, certaines variables comme la productivité sectorielle ou globale, la spécialisation et la demande étrangère, peuvent avoir un effet ambigu sur le taux de change réel. En effet une hausse de la productivité, par exemple, augmente l’investissement et donc réduit la balance commerciale, tandis qu’elle attire des capitaux. Si le premier effet l’emporte sur le second, le taux de change réel d’équilibre serait une fonction croissante de la productivité, autrement dit une hausse de la productivité du travail déprécie le taux de change réel. C’est peut être une raison de plus pour adopter un modèle VAR qui ne pose pas d’a priori concernant le signe de la relation du taux de change réel à ses déterminants. Avant de passer à l’étude économétrique, nous tenons à signaler le mérite d’adopter un modèle structurel comme le nôtre. Sa résolution et sa réduction en équation unique n’ont pas entamé son importance. Elles ont, au contraire, enrichi considérablement notre compréhension du fonctionnement d’une économie en développement. Même en utilisant, in fine, une équation réduite pour estimer le taux de change réel d’équilibre, notre modèle se distingue d’une modélisation standard basée sur une équation réduite, très largement répandue aujourd’hui, qui privilégie l’aspect économétrique et se contente d’empiler une série de variables intuitivement déterminantes. C’est ainsi que la plupart de ces modèles en intégrant les termes de l’échange en tant que variable explicative, deviennent complètement tautologiques puisque cette variable peut être prise pour taux de change comme nous l’avons 232 vu plus haut dans le cadre de la définition du taux de change réel. Clark et MacDonald (1999), dans l’une des contributions fondatrices de l’approche BEER, y ajoute le rapport de l’indice des prix à la consommation à celui des prix de production pour désigner le prix relatif des non échangeables en termes d’échangeables, variable explicative d’un taux de change effectif réel basé sur l’indice des prix à la consommation. Il y a ici en plus la présence des deux côtés de l’équation des variables presque identiques ou jouant le même rôle. Notre modèle a évité cet écueil majeur en faisant référence à la structure des prix dans la détermination de l’offre. Justement, elle révèle encore une fois son importance puisqu’il nous montre que la résolution de la boucle prix-salaire et la détermination du niveau de l’offre restent tributaires du niveau de l’emploi en économie, lui-même introduit grâce à la prise en compte de l’effet de la part de salaires dans le revenu national sur la consommation et qui permet un ajustement quantitatif. Section 3 Le désajustement du taux de change Le phénomène du désajustement prend de plus en plus de place dans les études consacrées au taux de change. Lié à la détermination d’un taux de change d’équilibre, il est davantage intégré dans l’étude de performances économiques comme une variable explicative dans un modèle de croissance, ou dans l’explication de crise de change. Comme l’a montré Coudert (1999), dans une étude portant sur 16 pays émergents d’Asie et d’Amérique Latine et pour la période 1977-1996, le désajustement des taux de change réels s’est révélé fatal aux régimes de change fixe. Ainsi, les résultats montrent que les périodes de surévaluation détectées sont souvent suivies de crises de change. C’est le cas au Mexique, avant les deux crises de 1981 et 1994, au Brésil depuis 1995, en Thaïlande en 1996. Ces résultats, certes importants, ne dévoileront toute leur portée qu’en considérant la définition du désajustement, la manière de le mesurer et la référence par rapport à laquelle il est identifié. C’est sur la base de ces trois aspects qu’il porte toute son ampleur. Cela l’est davantage quand il n’y a ni consensus sur son indicateur ni sur la méthodologie de le construire (Collins et Razin 1997). Concernant le premier aspect, il nous paraît difficile, à travers les travaux sur le désajustement, de séparer la question de la définition ou de la conceptualisation du désajustement de celle de sa mesure. Cependant, l’aspect le plus simple et le plus communément partagé par l’ensemble des études du désajustement est de le considérer 233 comme déviation par rapport à un niveau souhaitable, « idéal »51 ou d’équilibre, du taux de change réel. Une telle définition distingue le désajustement de la volatilité, tous deux éléments de la variabilité de change. Ce dernier se définit comme les fluctuations du taux de change par rapport à son niveau d’équilibre. Si la volatilité correspond à des fluctuations fréquentes mais non persistantes, le désajustement, lui, porte sur des fluctuations moins fréquentes mais plus persistantes. Le taux de change s’écarte, donc, de son niveau d’équilibre pour de nombreuses périodes (Sekkat et Varoudakis 1998). En ce qui concerne l’évaluation du désajustement, trois approches plus franches peuvent résumer les divers travaux dans ce domaine. Elles nous rappellent la discussion ci-dessus menée pour déterminer le taux de change réel d’équilibre. Ainsi, un désajustement calculé par rapport à un taux d’équilibre n’aura pas la même valeur selon qu’on s’appuie sur une approche d’équilibre sous-jacent ou de PPA. De même, elle dépendra de la façon dont sera calculé le désajustement : qu’il provienne du niveau du taux de change courant par rapport au niveau d’équilibre ou bien qu’il soit issu d’une équation explicite dont il est la variable dépendante. Les approches ici identifiées sont, par conséquent, le résultat du croisement de deux critères, à savoir la définition du taux de change réel et la technique de mesure du désajustement. La première approche est de toute évidence économétrique, comme celle employée par Darby et al. (1999) qui ont calculé le désajustement comme la déviation par rapport au trend du taux de change effectif réel à long terme. Celui-ci est obtenu par le filtre Hodrick-Prescott appliqué au taux de change effectif réel. Dans le même esprit, le désajustement du taux de change réel peut être mesuré d’une manière statistiquement plus simple comme selon la théorie de la PPA, par exemple le ratio entre le taux de change sur la base de la PPA et le taux de change effectif. Il est aussi calculé comme la déviation du taux de change réel courant de celui d’une certaine année de base dans laquelle il est supposé en équilibre (Cottani, Cavallo et Khan 1990). L’inconvénient majeur de cette technique est qu’elle ne capte pas les changements dans le taux de change réel d’équilibre produits par ceux des fondamentaux. Le désajustement peut aussi être mesuré par la prime du marché noir des devises, ainsi que par rapport à d’autres distorsions du marché de change. Cette mesure montre aussi l’ampleur du contrôle de change et du rationnement des importations. Les deux autres approches ont un aspect attractif, 51 - L’expression est de Collins et Razin (1997). 234 comparées à la première. Elles ont l’avantage de capter l’effet des changements dans les fondamentaux économiques et dans les politiques intérieures, commerciales et de change, sur le taux de change réel d’équilibre. Elles méritent que nous nous y attardions. 3.1 Le désajustement sur la base d’une équation réduite Cette deuxième approche cherche à évaluer le désajustement d’une manière plus précise à travers un modèle de détermination de taux de change à équation réduite. La forme réduite relie le taux de change réel d’équilibre de long terme à une série de variables jugées des fondamentaux. Cette approche constitue selon Edwards et Savastano (1999) la plupart des travaux empiriques. Le désajustement est ainsi conçu comme une déviation par rapport à l’équilibre à long terme quand un changement dans les fondamentaux entraîne une variation du taux de change réel d’équilibre qui ne se reflète pas dans le niveau courant du taux de change réel. Edwards et Savastano (1999) évoquent aussi l’incompatibilité de politiques macroéconomiques avec le maintien d’équilibres, interne et externe, comme facteur explicatif du désajustement. Pour une assise théorique, le concept de désajustement suppose l’existence de rigidités institutionnelles ou d’autres types qui empêcheraient l’ajustement rapide du taux de change réel vers son niveau d’équilibre. Deux grandes méthodes se dégagent de cette approche. L’une, mesure le désajustement du taux de change réel courant par rapport à un niveau d’équilibre issu d’une équation réduite, l’autre, plus explicite et se basant sur la même équation réduite, évaluera le désajustement comme variable dépendante. 3.1.1 La première méthode Dans cette méthode, le taux de change réel est fonction de certains fondamentaux. Leur identification va de la méthode de modification de la PPA à celle d’une équation réduite empilant une série plus au moins large de variables explicatives comme dans la tradition d’Edwards (Edwards 1988a ; Cottani, Cavallo et Khan 1990 ; Ghura et Greennes 1993). La modification de la PPA, comme nous l’avons vu plus haut, suit en particulier la tradition de Salter (1959) et Swan (1960) dont l’aspect dominant est de définir un taux de change réel interne entre biens échangeables et biens non échangeables. Ianchovichina et Masters (1998) soutiennent que le désajustement est beaucoup plus prononcé avec un taux de change réel basé sur les indices de prix relatifs internes que sur des indices mesurant l’inflation. Dans le 235 même esprit, Benaroya et Janci (1999) déterminent le niveau de désajustement en élargissant le modèle Balassa-Samuelson et en relâchant certaines hypothèses. Pour calculer le désajustement selon la méthode plus large d’équation unique, quatre étapes sont généralement suivies. Dans la première, il s’agit d’estimer le taux de change réel en fonction de fondamentaux et sur des données historiques. La deuxième consiste à décomposer les fondamentaux en permanents et transitoires, souvent selon la méthode de Beveridge et Nelson. La construction d’un sentier d’équilibre pour un taux de change réel, application de coefficients estimés aux fondamentaux permanents, fait l’objet de la troisième étape. A la suite de celle-ci, lors de la quatrième et dernière étape, s’effectue le calcul du désajustement comme écart du taux de change réel courant du sentier d’équilibre. Une valeur positive correspond à une surévaluation, le cas contraire est une sous-évaluation. Nous trouvons bien présente une telle méthode chez Clark et Macdonald (1999) qui, de surcroît, décomposent les fondamentaux permanents selon la persistance de leurs effets, long ou moyen terme. Ceux-ci peuvent, par exemple, coïncider avec le cycle d’affaire. Les facteurs transitoires affectent, eux, le taux de change réel dans le court terme. Utilisant cette construction, ils définissent un désajustement courant comme la différence entre le taux de change réel courant et le taux de change réel donné par les valeurs courantes de tous les fondamentaux économiques. Etant donné que les valeurs courantes de fondamentaux économiques elles-mêmes peuvent dévier de niveaux soutenables, désirables, tel que le souligne l’approche FEER, ils définissent un désajustement total semblable à la différence entre le taux de change réel courant et celui issu des valeurs soutenables, de long terme, de fondamentaux économiques. Le désajustement total peut avoir deux composantes. L’une est tout simplement le désajustement courant. L’autre montre l’effet des déviations de fondamentaux de leurs valeurs de long terme. Ainsi dans l’approche BEER, le désajustement total du taux de change peut être à tout moment décomposé en les effets de facteurs transitoires, perturbations aléatoires, et en l’étendue à laquelle les fondamentaux économiques sont en accord avec leurs valeurs soutenables. L’approche BEER produit donc une mesure de désajustement qui diffère de celle du FEER, où celui-ci est lié à la déviation entre le taux de change courant et la valeur donnée par l’estimation de la relation d’équilibre. L’approche BEER exige de surcroît que les fondamentaux qui déterminent le comportement du taux de change soient eux-mêmes à des niveaux soutenables ou d’équilibre. 236 Cet intérêt pour la décomposition du désajustement est aussi présent chez Baffes, O’Connell et Elbadawi (1999) qui la réalisent automatiquement en deux termes. Le premier est un terme de correction d’erreur qui capte la déviation du taux de change réel ajusté utilisant les paramètres de long terme. Le second capte la déviation de fondamentaux courants par rapport aux valeurs soutenables. Les auteurs considèrent nécessaire une telle décomposition en évoquant deux grandes différences entre l’utilisation descriptive du terme désajustement et son utilisation, plus normative, dans la plupart des discussions de politique économique. La première différence est illustrée par le débat autour des rigidités nominales. En l’absence de celles-ci ou autres imperfections du marché, les déviations entre taux de change réel et niveau d’équilibre sont des réactions temporaires aux mouvements dans les fondamentaux ou à des mouvements permanents qui modifient le niveau d’équilibre de long terme des actifs nets étrangers. Dans de tels cas, l’écart du taux de change réel par rapport à l’équilibre n’a pas de signification normative claire. Il n’y a pas particulièrement de présomption en faveur d’une intervention politique corrective. La deuxième différence provient de l’observation que le taux de change réel peut être désajusté par rapport à une perspective normative même quand l’économie est en état d’équilibre stationnaire. Dollar (1992), par exemple, soutient que les taux de change réels africains ont été systématiquement surévalués dans les années 1970 et 1980, conséquence de régimes de croissance hautement introvertie. La décision de dévaluer dépend fondamentalement du degré de désajustement du taux de change réel et de la vitesse avec laquelle les mécanismes d’ajustement internes restauraient l’équilibre macroéconomique. 3.1.2 La deuxième méthode Elle s’appuie sur les deux premières étapes de la méthode précédente. Les résultats d’estimation de l’équation réduite serviront à construire le niveau de désajustement. Il s’agit, en effet, de la même équation de détermination du taux de change réel à laquelle seront apportées deux modifications. La première concerne la valeur dépendante qui ne sera plus le taux de change réel mais son niveau de désajustement. La seconde concerne les variables explicatives dont on garde seulement et avec les mêmes coefficients celles qui sont jugées sources de désajustement. Empiriquement, il s’agit de mesurer les déviations des variables explicatives, fondamentaux, puis de leur attribuer les coefficients issus du modèle. Ainsi est obtenu le niveau de désajustement. Les déviations sont représentées par l’écart des valeurs 237 excessives des variables déterminantes à des niveaux jugés moyens. Ainsi, des restrictions commerciales excessives, source de désajustement, sont mesurées par le degré auquel une variable explicative comme l’ouverture excède le niveau moyen des trois plus faibles niveaux (Sekkat et Varoudakis 1998). Une autre représentation du désajustement est donnée par Collins et Razin (1997) qui l’expriment en fonction de variables permettant une approximation du choc à court terme, source de désajustement, avec un terme d’erreur. Leur démarche est la même que celle du BEER, à savoir une équation réduite, même s’ils utilisent un modèle Mundell-Fleming. Mais ce qui nous paraît essentiel ici est que le désajustement nous semble être plutôt une déviation à court terme. Ce qui contraste avec un désajustement structurel. La deuxième approche, basée sur un modèle de détermination de taux de change réel à équation unique, est relativement simple et très répandue, mais elle présente d’importantes limites pour rendre compte du phénomène de désajustement. Edwards et Savastano (1999)52 avancent le cas chilien, à travers la Tablita et les différentes phases historiques de dévaluation, comme un exemple édifiant montrant que cette approche peut générer de très mauvais résultats. Ils en énumèrent plusieurs autres limites, comme le fait de ne pas prendre en compte les larges mouvements des taux de change réels dans les périodes qui suivent de larges dévaluations nominales. Utiliser des données historiques pour décomposer les fondamentaux en permanents et transitoires implique un risque d’oublier certains changements importants dans le taux de change réel d’équilibre. Le programme d’une réforme réussie en est l’exemple. En effet, l’allégement de la dette vers la fin de la période d’estimation implique que le pays connaîtra un taux de change réel d’équilibre de niveau plus faible que celui constaté pendant la période d’observation. Ces quelques exemples évoqués montrent les limites de l’approche à équation réduite et la nécessité d’une approche plus large. 3.2 Le désajustement sur la base d’un modèle structurel Cette approche fait appel, comme dans la précédente, à un modèle de détermination de taux de change d’équilibre. Mais il s’agit, ici, d’un modèle structurel de détermination de taux de change réel d’équilibre qui peut pallier les limites des modèles à équation unique en captant les interactions complexes entre les différentes variables. C’est d’un ajustement 52 - Ils présentent un tableau récapitulatif de 16 études empiriques pour asseoir le désajustement dans les pays en développement et en transition et dont on peut dégager les différents aspects de ce phénomène. 238 structurel et total, résultant de toutes les interactions, dont il est question ici. Une telle approche admet donc que les diverses variables du modèle structurel soient en désajustement par rapport à leurs niveaux soutenables. C’est à l’opposé du modèle d’équation unique. Pour le BEER, par exemple, les fondamentaux qui déterminent le comportement du taux de change doivent être à des niveaux d’équilibre. Le désajustement s’appuyant sur un modèle structurel permet aussi une souplesse dans la conduite de la politique économique. Dans cette conception, on va même jusqu’au dépassement de la décomposition des effets de court et long terme comme chez Cadiou (1999) qui soutient que la trajectoire du taux de change n’est pas toujours le rattrapage monotone d’une valeur de référence de long terme. En ce sens le taux de change peut rester en équilibre, tout en s’écartant de sa valeur de long terme sans que cela soit inquiétant ou nécessite une correction. C’est alors par rapport à cette trajectoire et à cette représentation de l’équilibre, que le taux de change peut être considéré sur ou sous évalué. Il apparaît alors très difficile de dissocier l’équilibre de long terme de la trajectoire de court terme. En effet, les réactions des agents à court terme dépendent de leurs anticipations de l’équilibre de long terme. D’autre part, la trajectoire de transition vers le long terme détermine le niveau du stock du capital et des actifs et influence en retour l’équilibre de long terme. Enfin, d’autres arguments peuvent faire craindre que les fluctuations du taux de change à court terme aient des effets durables sur l’économie, notamment en raison de l’existence de coûts d’entrée fixes sur certains marchés, d’effets d’hystérèse sur le chômage ou de la réaction des autorités publiques. Tout cela nous semble conférer davantage d’importance à cette approche. Concernant le calcul du désajustement, cela peut se faire de deux manières. La première le fait correspondre à l’écart séparant le taux de change réel courant de celui d’équilibre, issu du modèle structurel. La deuxième par contre cherche à en déterminer explicitement le niveau à travers des modèles structurels. C’est le cas pour Devarajan (1996) qui étudie le désajustement du Franc CFA à travers un modèle compatible avec une cible du compte courant et qui incorpore expressément les chocs des termes de l’échange et la distinction entre biens échangeables et non échangeables. Il y a quatre étapes à cette méthode : le choix de l’année de base au cours de laquelle le compte courant du pays concerné est jugé en équilibre ; la décision des valeurs des élasticités de transformation pour l’exportation et de substitution aux importations qui seront utilisées ; les élasticités et les variations des prix import et export qui permettront d’estimer les prix selon le modèle ; le calcul du désajustement, enfin, la comparaison du niveau des prix calculés à l’aide du modèle au niveau des prix observés. 239 Section 4 L’étude économétrique du modèle Quand on arrive à l’estimation du taux de change réel d’équilibre on retrouve les mêmes approches ci-dessus discutées, allant d’une forme réduite à des modèles d’équilibre général (Edwards 1989 ; Elbadawi 1994 ; Baffes, Elbadawi et O’Connell 1999 ; Hinkle et Montiel 1999 ; Montiel 1999). Dans le cadre d’un PED, néanmoins, la littérature empirique se concentre généralement sur l’approche BEER et s’appuie sur des modèles économétriques de forme réduite où le taux de change réel est lié aux fondamentaux qui affectent les équilibres interne et externe. Cette méthodologie permet de dépasser la disponibilité limitée des séries de volume de commerce dans les économies en développement, ce qui contraint l’utilisation de la méthodologie de Williamson ou tout autre modèle de structure plus au moins lourde pour un traitement économétrique. Très récemment, dans le cadre des pays en transition, Égert et Lahrèche-Révil (2003) ont développé une nouvelle approche qui combine la méthodologie du FEER et celle du BEER en s’appuyant sur les notions d’équilibre interne et externe, définis respectivement par les prix relatifs des biens non échangeables et la soutenabilité à long terme du compte courant. Les équations d’équilibre sont estimées conjointement avec le taux de change réel d’équilibre, dans le cadre d’un système VAR à 3 équations de coïntégration. Il reste que sur le plan des techniques économétriques employées, on distingue les séries temporelles et les données de panel. La première technique permet d’identifier les facteurs spécifiques au pays. Le manque de données trimestrielles ou mensuelles nécessaires à une étude sur une période courte peut toutefois forcer l’utilisation des données annuelles où les techniques de panel se sont montrées plus efficaces. Pour notre part, nous emploierons celle des séries temporelles malgré la disponibilité très limitée des données trimestrielles. Outre le fait que nous voulons mener une analyse spécifique à chaque pays, nous estimons qu’il vaut mieux privilégier l’utilisation des données annuelles qui s’étalent sur une quarantaine d’années plutôt que d’utiliser une base de soixante données trimestrielles, ou même quatrevingt quand elles existent, concentrées sur les quinze dernières années, période pendant laquelle il est devenu fréquent de trouver ce genre de données. L’utilisation des données annuelles couvrent une longue période pendant laquelle les PED ont connu des transformations économiques structurelles, les chocs pétroliers, l’envolée et la chute des termes de l’échange, le problème de la dette, des politiques et des stratégies du développement diverses. C’est ce que l’utilisation des données plus nombreuses mais sur une période courte ne peut offrir. Nous allons donc procéder à l’estimation du taux d’équilibre, équation (27) issue de la résolution analytique du modèle, sur la période 1965-2003. Dans un 240 premier temps, nous spécifions les variables et nous étudions leur stationnarité, étape nécessaire à la procédure d’estimation. Dans un second temps, nous estimons la relation de long terme liant le taux de change réel à ses déterminants. 4.1 Choix des variables et étude de stationnarité La démarche suivie jusqu’ici nous a permis de réaliser une modélisation d’un taux de change réel d’équilibre pour un PED, rendant de surcroît compréhensible le fonctionnement de son économie. La résolution du modèle nous a montré que les variables concernées ne sont pas forcément les mêmes que ce qui est largement répandu en suivant une équation réduite. Son traitement économétrique se révèle néanmoins délicat, vu le nombre élevé de variables et le manque de données relatives53. Nous limitons, par conséquent, leur nombre à cinq en ôtant le taux de marge ( µ ) et l’impôt ( τ x ), nous les considérons constantes, et en prenant la variable prix relatifs ( a ) pour proxy de la variable écart de productivités sectorielles ( π M − π A ). Nous redéfinissons donc l’ensemble des variables, en valeurs logarithmiques, retenues pour l’estimation, soient LTCER ; LAGR ; LSEC ; LPROD ; LYETR et LIDE . Les lettres A, M et T en terminaison, signifient qu’elles se rapportent aux données de l’économie algérienne, marocaine ou tunisienne. Les variables entre parenthèses sont celles du modèle. LTCER ( r ) est le taux de change effectif réel, variable dont nous avons construit nous-mêmes la série (voir le chapitre 3) et dont la hausse signifie une appréciation. LAGR ( a ) est le prix relatif des biens agricoles en termes des biens manufacturiers. Quand les données ne sont pas disponibles, nous utilisons, comme dans le cas de l’Algérie, le rapport des productions agricoles et manufacturières en volume. Elle peut servir de proxy à la variable écart de productivité entre secteurs manufacturier et agricole ( π M − π A ). LSEC ( s ) est l’indicateur du niveau de spécialisation de l’économie nationale. Cette variable indique la capacité du pays à opérer des transformations structurelles dans son économie. Etant 53 - Les données brutes ou construites par nous mêmes ont comme sources : International Financial Statistics yearbook (FMI), Government Finance Statistics Yearbook (FMI), Direction of Trade Yearbook (FMI) ; World Tables Yearbook (Banque Mondiale), Country at glance (Banque Mondiale), National Accounts Statistics : Main aggregate and detailed tables (United Nations), Country Profile, UNCTAD Handbook of Statistics, IMF country reports, Chelem – CEPII, OPEC Annual Statistical Bulletin, Instituts Nationaux des statistiques… 241 données les différences structurelles entre les trois économies, elle correspond à la part de la production manufacturière dans la production industrielle pour la Tunisie, au rapport de la production manufacturière à la production agricole pour le Maroc et au rapport des exportations en pétrole raffiné à celles en pétrole brut pour l’Algérie. LPROD ( π − π * ) est l’écart de productivité par rapport à l’étranger, en général un indice de PIB réel divisé par le nombre d’emplois. A défaut de données, nous le définissons comme le rapport du PIB réel par habitant du pays à celui de ses partenaires pondéré par leurs parts dans l’échange extérieur. C’est plutôt d’un différentiel de richesse dont il s’agira désormais. LYETR ( y* ) est la production étrangère, en indice, calculée comme la production réelle des partenaires (PIB constant en $1995, Chelem) pondérée par les parts des exportations. LIDE ( ide ) est l’investissement direct à l’étranger rapporté à la valeur de la dette en $US. Une définition alternative [ LIDE = log(1 − IDE ) ] est appliquée pour l’Algérie et le Valeur.Max Maroc, vu l’existence des valeurs négatives de l’IDE. C’est devenu une tradition dans le traitement des séries temporelles de pré-tester toutes les données pour détecter l’existence ou non de racines unitaires dans les variables qui entrent dans l’estimation de la relation de long terme. En effet, l’estimation d’une relation de long terme utilisant des données en niveaux peut être sujette à de faux résultats de régression si les données ne sont pas stationnaires. Elles peuvent conduire à une mauvaise spécification qui pourrait saper la validité de l’estimation (Engle et Granger 1987). Le test ADF proposé par Dickey et Fuller (1979) et le test Phillips-Perron (1988) sont les tests le plus largement utilisés pour ce sujet. Cependant, de nombreuses études ont montré que les tests ADF ont un plus faible pouvoir comparé à l’hypothèse alternative de stationnarité avec tendance (De Jong et al. 1992). Alors que les tests avec une racine unitaire nulle sont plus communément utilisés que les tests avec la stationnarité nulle, le faible pouvoir des premiers dans de petits échantillons rend souhaitable de tester les deux hypothèses nulles (Papell 1997 ; Bahmani-Oskooee 1998a). Pour cela, en plus des tests ADF et Phillips-Perron (PP), nous faisons appel à un test plus performant développé par Kwiatkowski, Phillips, Schmidt et Shin (Kwiatkowski et al. 1992) et connu sous le nom du test KPSS. Alors que dans les tests ADF et PP, l’hypothèse nulle 242 correspond à la non stationnarité d’une variable, dans le test KPSS l’hypothèse nulle est celle de la stationnarité contre l’hypothèse alternative d’une racine unitaire. Nous appliquons respectivement les tests ADF, PP et KPSS. Nous retenons un nombre de retards élevé54 pour débuter en s’appuyant sur le critère d’information d’Akaike et le critère d’information bayésien de Schwartz, respectivement AIC et SIC. Dans la plupart des cas, les deux critères offrent des conclusions similaires. Nous reportons dans le tableau ci-dessous seulement les résultats basés sur le AIC. Dans le cas des tests ADF et PP, si les statistiques calculées sont supérieures aux valeurs critiques, alors on accepte l’hypothèse nulle. Il existe donc une racine unitaire et le processus n’est pas stationnaire. Dans le cas du test KPSS, on rejette l’hypothèse de stationnarité si cette statistique est supérieure aux valeurs critiques. Il y a stationnarité quand les valeurs calculées sont inférieures à celles critiques quel que soit le test. Pour la démarche nous supposons tout d’abord que la série en niveau contient une tendance et une constante et nous appliquons le test en question. Nous comparons la valeur calculée à celle critique. S’il y a stationnarité, nous vérifierons la significativité de la tendance et de la constante. Nous recommencerons le test jusqu’à ce qu’il y ait stationnarité. Tableau 10 : Tests de stationnarité pour les données de l’économie tunisienne55 ADF Tests Variables PP Stat. O T.C.N Ret Stat. LTCER -5.58 1 LAGR -4.01* 0 LSEC -4.34 1 C LPROD -6.75 1 LYETR -6.08 LIDE -3.92 O KPSS T.C.N Ret Stat. O T.C.N Ret 0 -5.57 1 N 3 0.09 0 TC 3 TC 1 -7.76 1 N 4 0.11 0 TC 0 3 -6.76 1 N 4 0.11 0 TC 3 N 0 -7.57 1 N 2 0.11 0 TC 4 1 N 0 -6.11 1 N 4 0.16* 0 TC 4 0 C 0 -3.94 0 C 1 0.18 0 C 2 N Note : * désigne les variables stationnaires au seuil de 5%, toutes les autres sont au seuil de 1%. O,T, C, N et Ret. désignent respectivement : Ordre de stationnarité, tendance , constante, ni tendance ni constante, retard. 54 - Nous avons travaillé sur Eviews 4 qui retient un retard maximal de 9. 55 - Tableau récapitulatif des valeurs critiques des tests de stationnarité. Tests Stat 5% 1% C+T -3.57 -4.394 ADF C -2.98 -3.68 N -1.95 -2.65 C+T -3.57 -4.31 243 PP C -2.96 -3.67 N -1.95 -2.65 KPSS C+T C 0.146 0.463 0.216 0.739 Le tableau ci-dessus rapporte à titre illustratif les résultats concernant les données de l’économie tunisienne. Les statistiques ADF et PP révèlent des variables stationnaires en niveau et d’autres en différence première, alors qu’en suivant la méthode KPSS elles deviennent toutes stationnaires. Le constat est le même pour les données de l’économie algérienne et marocaine : pour les deux pays, LTCER et LSEC sont stationnaires en différence et LAGR et LIDE en niveau, alors que LPROD et LYETR sont stationnaires en niveau dans le cas du Maroc et en différence dans le cas de l’Algérie. 4.2 L’estimation d’une relation de long terme Depuis la fin des années 1980, une attention considérable était consacrée dans le champ de l’économétrie à des relations de long terme en utilisant des techniques de coïntégration. Deux approches principales étaient distinguées : la procédure basée sur le résidu de deux étapes pour tester l’hypothèse nulle de non coïntégration (Engle et Granger 1987 ; Phillips et Ouliaris 1990) et l’approche de régression de système basée sur un rang réduit dû à Johansen (1991, 1995). Le test de maximum de vraisemblance de Johansen (1988) et de Johansen et Juselius (1990) est le plus efficient parce qu’il identifie le nombre de vecteurs de coïntégration entre les variables non stationnaires en niveau dans le cadre d’un vecteur modèle à correction d’erreur (VMCE). L’approche de Johansen a l’avantage, au contraire d’autres méthodes, de ne pas offrir uniquement un test de coïntégration mais de révéler en plus le nombre de relations de coïntégration. Aussi, en se basant sur un algorithme FIML, elle a le potentiel de traiter les problèmes de simultanéité. Il y a aussi d’autres procédures telles que celles de Shin (1994) et Stock et Watson (1998)56. Caporale et Pittis (1999) rappellent particulièrement deux autres méthodes d’estimation qui ont été récemment introduites respectivement par Bierens (1997) et Pesaran et Shin (1999). La première est une approche non paramétrique de l’analyse de coïntégration. Elle a l’avantage, comparée au modèle de Johansen (1988, 1991), de ne pas exiger la spécification d’un processus de génération de données (DGP) ni l’estimation des paramètres structurels ou de nuisance. Elle produit des tests de coïntégration et une estimation d’une base à l’espace de vecteurs de coïntégration qui sont consistants et complètement non paramétriques. Bien que certaines simulations Monte Carlo suggèrent que cette méthode surpasse celle de Johansen, elle doit être vue seulement comme complémentaire, puisque cette dernière fournit plus d’informations sur les paramètres conjoncturels ou flottants et de tendance dans l’espace de coïntégration, et peut aussi être utilisée pour la prévision et la décomposition 56 - Voir Caporale et Pittis (1999) pour une revue de diverses méthodes de coïntégration. 244 de la variance. Par conséquent, Bierens (1997) recommande d’utiliser son approche comme un moyen de contrôler les valeurs d’estimation fournies par la méthode de Johansen qui sont basées sur un modèle correctement spécifié. Chinn (1999 ; 2000) utilise l’approche de régression multivariée de Horvath et Watson (1995). Cette procédure est plus puissante qu’un test univarié de racine unitaire et elle est aussi plus puissante que la méthodologie de Johansen (1988) puisqu’elle utilise une information préalable pour restreindre la relation de coïntégration à long terme. Il utilise un système multi-équations pour constituer le terme correction d’erreur et le test de Wald pour l’égalité des coefficients. Un rejet de cette restriction est équivalent à un rejet de l’hypothèse nulle de non coïntégration en faveur de celle de coïntégration avec un vecteur spécifique (Edison, Gagnon et Melick 1997). Toutes ces procédures de test exigent des variables sous-jacentes d’être intégrées d’ordre I(0) ou I(1). Cette inévitabilité implique un certain degré de pré-test et introduit, par conséquent, un degré supplémentaire d’incertitude dans l’analyse des relations à long terme. Ces techniques s’appuient sur un modèle à correction d’erreur (MCE) qui est en fait un modèle vecteur autorégressif (VAR) dans la forme de correction d’erreur. L’avantage de ce type de modèle est qu’il traite chaque variable dans le système comme potentiellement endogène et la lie à ses propres valeurs passées et à celles de toutes les autres variables. Il facilite, en plus, l’analyse dynamique des interactions entre les variables. Dans notre cas, Les tests ADF et PP montrent que les variables qui entrent dans l’estimation d’une relation de long terme ne sont pas stationnaires au même ordre. Nous ne pouvons donc pas utiliser les méthodes de coïntégration ci-dessus décrites. Le test KPSS, rendant ces mêmes variables stationnaires en niveau, n’exclut pas, en conséquence, la possibilité de leur coïntégration et l’existence d’une relation de long terme. Selon leurs pouvoirs de tester l’existence de racine unitaire, les tests offrent différents résultats. Etant donné cette incertitude, particulièrement quand certaines variables dans le modèle sont en niveau et d’autres sont en taux de variation, Pesaran et Shin (1999) introduisent alors une autre méthode de test de coïntégration basée sur un modèle autorégressif à retard échelonné qui a l’avantage d’éviter la classification de variables en I(1) ou I(0). Il n’y a pas besoin de pré-test de racine unitaire, il faut procéder autrement qu’avec des tests de coïntégration standard. Pour cela nous suivons la version à correction d’erreur de ce modèle et nous appliquons la méthodologie récemment développée par Pesaran et Shin (1999) et Pesaran, Shin et Smith (1999, 2001). Elle est basée sur l’estimation d’une représentation dynamique à correction d’erreur, qui part de l’hypothèse que les propriétés séries temporelles des variables clés de 245 l’équation peuvent bien être approchées par un modèle VAR (p) log-linéaire, augmentées par les composantes déterministes appropriées telles que constante et tendance. En cela, les graphiques des séries temporelles des variables (Annexe II.1) peuvent suggérer, du moins initialement, l’inclusion d’une tendance linéaire dans l’équation précédente. La spécification économétrique sans contrainte est la suivante : p −1 ∆Yt = c0 + c1t + π yyYt −1 + π yx. x X t −1 + ∑ β i' ∆Z t −i + δ ' ∆X t + φVt −1 + ut i =0 Z = (Y , X ) désigne la variable dépendante et l’ensemble des variables indépendantes. Vt −1 est le terme de correction d’erreur. C’est le résidu retardé d’une période et issu de l’estimation en niveau. Il capte les ajustements de long terme vers l’équilibre. ut est une perturbation. Nous ajoutons à cette spécification, lors de l’estimation, une variable muette censée traduire l’effet de changement de régime de change. Lorsqu’un pays est contraint d’abandonner un régime de change devenu insoutenable, il se produit souvent une crise coûteuse, comme nous l’avons vu à maintes reprises au cours des années 1990 dans des pays dotés d’un régime de change fixe mais ajustable. Vu les critiques souvent adressées aux déclarations officielles de régimes de change, deux alternatives s’offrent à nous. La première consiste à repérer les années de grandes dévaluations et donner à la variable muette la valeur de 1 pour ces années et 0 par ailleurs. La deuxième consiste à suivre l’évolution du taux de change effectif nominal, d’en dégager les tendances et de leur attribuer une valeur allant de 0 à 1 ou 2, selon le nombre de phases. C’est elle que nous adopterons. 4.2.1 La forme définitive du modèle à correction d’erreur (MCE) Comme première étape de l’estimation de cette équation à correction d’erreur, nous devons déterminer la longueur appropriée du retard (p) dont l’utilité de MCE, pour une analyse économique, reste conditionnée. Avec peu d’exception, plusieurs études ont arbitrairement assigné des longueurs de retard aux variables. A priori, de telles structures de retard les contraignent toutes à réagir pareillement aux chocs. Plus encore, elles ne tiennent pas compte de la possibilité qu’ont les retards sur certaines variables d’être importants dans une équation MCE et non pertinents dans une autre. Pour éviter les résultats biaisés, nous déterminons statistiquement l’ordre optimal de retard en estimant l’équation ci-dessus, par la méthode MCO, avec et sans tendance, pour différents niveaux de retard et sur la même période. Mais, 246 vu la taille de notre échantillon, nous ne pouvons pas aller au-delà d’un retard d’ordre 3, ce qui est déjà élevé pour des données annuelles. L’analyse des critères d’information AIC et SIC aussi bien que celle de la statistique du Multiplicateur de Lagrange (LM), pour tester l’hypothèse de corrélation sérielle des résidus, nous permettront de choisir l’ordre du retard optimal. Il est censé minimiser les critères AIC ou SIC. Le tableau 2 fournit toutes ces statistiques. La statistique LM est calculée à l’ordre 1, χ sc² (1), et à l’ordre 4, χ sc² (4). Tableau 11 : Statistiques pour sélectionner l’ordre de retard de l’équation estimée Avec Tendance P AIC SIC X²sc(1) Sans Tendance X²sc(4) AIC SIC X²sc(1) X²sc(4) -2.62 0.31 5.82 1 -3.09 -2.53 0.14 TUNISIE 5.85 -3.14 2 -3.71 -2.88 0.24 12.8* -3.76 -2.98 0.25 12.5* 3 -3.39 -2.29 27 16.5* -3.43 -2.34 0.87 12.2* MAROC 1 -3.89 -3.33 0.31 3.4 -3.54 -3.02 5.66* 7.26 2 -4.00 -3.17 4.07* 25.1* -3.62 -2.84 3.35 10.4* 3 -3.97 -2.87 2.59 31.7* -3.42 -2.37 0.36 30.6* -0.93 0.36 8.20 1 -1.43 -0.87 2.31 ALGERIE 9.8* -1.45 2 -1.38 -0.55 0.38 11.3* -1.42 -0.63 0.37 9.4* 3 -1.34 -0.23 0.66 20.7* -1.31 -0.25 1.56 4.3 Note : * indique une significativité au seuil de 5%. Il ressort du tableau que dans les cas de la Tunisie et de l’Algérie, les plus faibles valeurs des critères AIC et SIC correspondent au même ordre de retard, respectivement 2 et 1, et indépendamment de la présence ou non d’une tendance dans le modèle. Dans le cas du Maroc, les deux critères justifient un retard d’ordre 2, sauf quand il s’agit d’un modèle sans tendance où le SIC suggère un retard d’ordre 1. Auquel cas aussi, la statistique χ sc² (4) ne tranche pas franchement pour un retard plus élevé. En considérant l’importance de l’hypothèse d’erreurs sériellement non corrélées, par égard pour la parcimonie et pour éviter une sur-paramètrisation inutile, puisque nous avons trouvé des variations retardées non significatives pour certaines variables, il nous a semblé prudent de ré-estimer les régressions sans les inclure, pour un 247 niveau de retard égal à 2 et sans entamer la qualité de l’information des critères AIC et SIC. Suite à quoi nous passons à la deuxième étape. Deux statistiques sont nécessaires à cette étape. La première est la statistique F de significativité jointe des niveaux retardés des variables impliquées. Elle est fournie par le test de Wald. La deuxième, suivant Banerjee, Dolado et Mestre (1998), est la statistique t pour la significativité du niveau retardé de la variable dépendante ( Yt −1 ). Pesaran, Shin et Smith (1999, 2001) fournissent deux séries de valeurs critiques selon que les régresseurs sont I(1) ou I(0). Ces deux séries forment une bande couvrant toutes les combinaisons possibles des régresseurs entre I(0), I(1) ou mutuellement coïntégrés. Les valeurs critiques contiennent une limite inférieure et une limite supérieure au-delà desquelles toute inférence est conclusive. Cependant, si les Statistiques F ou t tombent à l’intérieur des deux limites, on ne peut avoir aucune conclusion. L’hypothèse nulle est celle de la non coïntégration assignant des valeurs nulles aux coefficients, elle est testée contre l’hypothèse alternative par le moyen du test F. Quand la statistique F calculée va au-delà du niveau supérieur de la bande, l’hypothèse nulle est rejetée, indiquant une coïntégration. Quand la statistique tombe en dessous du niveau inférieur de la bande, l’hypothèse nulle ne peut pas être rejetée, soutenant un manque de coïntégration. Si, cependant, elle tombe à l’intérieur de la bande, le résultat est peu concluant. Le Tableau 12 récapitule les résultats de cette deuxième étape et nous permettra de choisir la forme de MCE la plus appropriée. Tableau 12 : Statistiques pour tester l’existence d’une relation de long terme Tests Avec Tendance Sans Tendance FIV FV tV FIII t III TUNISIE 5.31* 6.04* -3.90** 6.04* -3.21** MAROC 4.54* 0.48 -3.64** 0.59 -2.98** ALGERIE 2.89** 3.27** -4.20** 4.06* -4.30** Pays Note : * et ** indiquent successivement les cas où la statistique tombe au-delà de la limite supérieure au seuil de 5 % et quand elle tombe à l’intérieur des limites. 248 Les diverses statistiques dans le Tableau 12 nécessitent d’être comparées avec les valeurs critiques limites calculées par Pesaran, Shin et Smith (1999, 2001)57. Pour le modèle avec une tendance, FV est la statistique standard F pour tester les restrictions π yy =0 et π yx. x =0, alors que FIV est la statistique F standard pour tester π yy =0, π yx. x =0, et c1 =0 dans l’équation. FIII est le même test en l’absence d’une tendance. Le résultat du test montre que dans le cas de la Tunisie, les trois statistiques FIV , FV et FIII sont au-delà de leurs valeurs critiques limites à 95%, respectivement (2.81 ; 3.94) ; (2.69 ; 3.83) et (2.32 ; 3.50). Dans le cas du Maroc, il n’y a que la statistique FIV qui est au-delà de la limite supérieure, les deux autres sont en dessous. Dans le cas de l’Algérie, c’est FIII qui est au-delà de la limite supérieure, les deux autres ne sont pas conclusives. Le résultat confirme donc l’existence d’une relation de long terme et suggère un MCE sans tendance pour l’Algérie et la Tunisie et un avec tendance pour le Maroc. Les statistiques tV et t III , qui sont des t de student de coefficients ( π yy =0) de la variable dépendante retardée dans l’équation à estimer, respectivement avec et sans tendance, tombent à l’intérieur des valeurs critiques limites à 95%, soient respectivement (-3,41 ; -4,85) et (-2,86 ; 4,57). Il n’y a donc pas de raison d’inclure dans le modèle à estimer la variable dépendante retardée. L’ensemble de ces tests nous permet de préciser, dans le tableau 13 ci-dessous, la forme définitive de MCE, pour les trois pays. Outre la présence d’un trend décroissant dans le cas du Maroc, le tableau montre également que quand le modèle MCE est appliqué aux données de l’économie algérienne, la variable dépendante a une mémoire de deux ans amenant une correction à la hausse, de signe positif. Nous allons maintenant soumettre les trois modèles (Tableau 13) à différents tests (Annexe II.3). Les Graphiques de l’Annexe II.2 représentent les séries effectives et estimées ainsi que les résidus de l’estimation, pour les trois modèles. Les résidus semblent plutôt stationnaires par rapport à la moyenne. Nous rejetons donc l’hypothèse d’une racine unitaire dans les résidus laissant envisager une relation de coïntégration. Le test de Jarque et Bera, fondé sur la notion de Skewness (Asymétrie) et de Kurtosis (Grossissement), permet de vérifier la normalité d’une distribution statistique. Sa statistique vaut respectivement pour les trois modèles (0.88 ; 0.25 ; 107.85) avec une probabilité critique valant respectivement (0.64 ; 0.88 ; 0.00), ce qui fait que hormis le cas de l’Algérie nous ne rejetons pas l’hypothèse de normalité des résidus. 57 - Voir Pesaran, Shin et Smith (1999, 2001) pour une description détaillée de la procédure des tests et pour consulter les tableaux de valeurs critiques. 249 Tableau 13 : Les trois MCEs, période d’estimation : 1965-2003 Pays TUNISIE MAROC ALGERIE D(LTCERT) D(LTCERM) D(LTCERA) Coeff. Ec.type Prob. Coeff. Ec.type Prob. Coeff. Ec.type Prob. .001 -3.5456 .9818 .001 -.274 .8297 .744 Variables C 3.05148 .7884 TREND ----- ----- ----- -.0216 .0042 .000 ----- ----- ----- D(LTCER(-1)) ----- ----- ----- ----- ----- ----- .420 .1697 .021 LAGR(-1) -.4575 .1355 .003 .1819 .0991 .080 .0334 .1558 .832 D(LAGR) .1161 .0883 .202 .1518 .0884 0.10 .178 .1647 .291 D(LAGR(-1)) .23 .1125 .053 -.2194 .0844 .016 ----- ----- ----- LSEC(-1) .056 .0296 .073 .1207 .0695 .097 -.0044 .0173 .802 D(LSEC) .0418 .0926 .656 .1207 .0918 .202 -.0041 .0448 .928 D(LSEC(-1)) ----- ----- ----- -.2328 .0743 .005 -.0767 .0433 .089 LPROD(-1) -1.267 .2273 .000 .0416 .2214 .853 .151 .1834 .419 D(LPROD) -.3922 .1337 .008 .5471 .1797 .006 .850 .6266 .188 D(LPROD(-1)) .6152 .1694 .001 ----- ----- ----- ----- ----- ----- LYETR(-1) .299 .0656 .000 .6297 .1187 .000 -.035 .0698 .622 D(LYETR) .096 .0534 .086 .4243 .0849 .000 -.0565 .1220 .648 D(LYETR(-1)) -.201 .0451 .000 ----- ----- ----- ----- ----- ----- LIDE(-1) .027 .0118 .033 .0212 .0152 .176 .0172 .0273 .535 D(LIDE) .0243 .0125 .064 .0181 .0132 .184 -.0118 .0250 .641 V(-1) -.333 .1038 .004 -.2807 .0817 .002 -.6705 .1396 .000 Statistiques R²=0.78 DW=1.88 R²=0.79 DW=2.12 R²=0.71 DW=2.10 Note : ----- signifie variable non comprise dans le modèle. Ec.type : Ecart – type. Le test de Breusch-Godfrey permet de tester une autocorrélation d’un ordre supérieur à 1 et reste valide en présence de la variable dépendante décalée en tant que variable explicative. L’idée générale de ce test réside dans la recherche d’une relation significative entre le résidu et ce même résidu décalé. L’hypothèse nulle à tester est celle de l’absence d’autocorrélation des erreurs. Si on refuse l’hypothèse nulle, alors il existe un risque d’autocorrélation des erreurs à l’ordre p. Pour mener ce test, nous avons deux possibilités : Soit effectuer un test de Fisher classique de nullité des coefficients, soit recourir à la statistique LM qui est distribuée comme un χ 2 à p degrés de liberté ; si n * R ² f χ 2 ( p) lu dans la table au seuil α (en général 250 0.05), on rejette l’hypothèse d’indépendance des erreurs. Les deux possibilités donnent des valeurs très proches, nous ne reproduisons dans le tableau de l’Annexe II.3, comme pour les autres tests, que la statistique F. Appliqué aux trois MCEs, ce test allant jusqu’au deuxième ordre donne une probabilité critique respectivement de (0.60 ; 0.48 ; 0.08), ce qui fait que nous ne rejetons pas l’hypothèse d’une autocorrélation nulle des résidus. Les tests pour des résidus ARCH avec des décalages de une à trois périodes, un processus ARCH d’ordre 3 semble un maximum, donnent des probabilités critiques allant, pour les trois modèles, de 0.30 à 0.92 et nous ne rejetons donc pas l’hypothèse de résidus homoscédastiques en faveur de résidus ARCH. Le test d’hétéroscédasticité de White est fondé sur une relation significative entre le carré du résidu et une ou plusieurs variables explicatives en niveau et au carré au sein d’une même équation de régression. Si on refuse l’hypothèse nulle, alors il existe un risque d’hétéroscédasticité. Il révèle une probabilité critique allant, pour les trois pays, de 0.36 à 0.88 rejetant l’hétéroscédasticité. Le test de RESET de Ramsey pour des erreurs de spécification donne une probabilité critique allant de 0.07 à 0.65, de sorte qu’il n’y a pas d’élément qui fasse nettement penser à une erreur de spécification. Le test de prévision de Chow, qui permet de comparer l’égalité des coefficients, admet l’hypothèse de stabilité des paramètres pour la Tunisie même en élargissant la prévision au-delà de trois ans. Ce qui n’est pas le cas pour le Maroc et l’Algérie. Les tests du « CUSUM » sont fondés sur la dynamique de l’erreur de prévision. Ils permettent de détecter les instabilités structurelles des équations de régression au cours du temps. L’idée générale de ces tests est d’étudier l’évolution au cours du temps de l’erreur de prévision calculée en t-1 pour t. Le CUSUM (Cumulative SUM) est fondé sur la somme cumulée des résidus récursifs. Si les coefficients sont stables au cours du temps, alors les résidus récursifs doivent rester dans l’intervalle de confiance. Le CUSUM SQ est fondé sur la somme cumulée du carré des résidus récursifs. Il permet de détecter des modifications aléatoires, ponctuelles, dans le comportement du modèle. Si les coefficients sont stables au cours du temps, alors les résidus récursifs carrés doivent rester dans l’intervalle de confiance. L’estimation récursive des trois MCEs révèle des coefficients généralement stables sur la période. Hormis à la date 1991 du test CUSUMSQ dans le cas de l’Algérie pour laquelle nous constatons un très léger franchissement (Annexe II.4), les statistiques CUSUM et CUSUM SQ restent dans leurs intervalles de confiance ; nous rejetons l’hypothèse d’un changement structurel. Il est intéressant de remarquer que le point de rejet de l’hypothèse de stabilité de paramètres en 1991 correspond à deux événements 251 majeurs : début de la crise politique intérieure en Algérie et la première guerre d’Irak avec l’instabilité du marché pétrolier, sur le plan international. Globalement, le modèle a survécu à une batterie de tests impressionnante dont seuls ceux de Chow et de Jarque-Bera ont montré une légère faiblesse. Afin d’évaluer la qualité des prévisions de l’équation du taux de change réel, nous avons effectué une simulation dynamique à l’aide de paramètres estimés sur l’ensemble de l’échantillon. Les graphiques, ci-dessous et respectivement pour la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, montrent que les trois MCEs adoptés captent très bien les mouvements du taux de change réel. Même avec un peu de décalage, le sens de l’évolution reste le même. Graphiques 37-39 : Simulations dynamiques et qualité de prévision de l’estimation MCE 4.85 4.88 5.4 4.80 4.84 5.2 4.75 4.80 4.70 4.76 4.65 4.72 4.60 4.68 4.55 4.64 4.50 65 4.60 5.0 4.8 4.6 4.4 70 75 80 LTCERT 85 90 95 LTCERTF 00 4.2 4.0 65 70 75 80 85 LTCERM 90 95 00 LTCERMF 3.8 65 70 75 80 LTCERA 85 90 95 00 LTCERAF 4.2.2 Estimation en niveau et interprétation de résultat Notre projet du départ était d’estimer l’équation de régression multiple liant le taux de change réel à ses déterminants. Pesaran, Shin et Smith (1999, 2001), dont nous avons suivi l’approche jusqu’ici, proposent un passage d’une estimation MCE à une autre en niveau à l’aide du logiciel « Microfit 4.0 » développé par Pesaran et Pesaran (1997). Faute d’un moyen d’une telle importance, nous avons procédé autrement puisque les propriétés des processus autorégressifs à retards échelonnés peuvent souvent être simplement déterminées en écrivant autrement l’équation qui les définit. Les paramètres de l’équation pourraient être estimés en faisant la régression par les moindres carrés de l’écart de la variable dépendante par rapport à ceux des variables explicatives et des niveaux retardés des variables dépendantes et explicatives. A partir des coefficients estimés et de leur matrice de variance-covariance, on peut obtenir des estimations de paramètres de l’équation autorégressive à retards échelonnés en niveau et leurs écart-types. On peut encore estimer ces paramètres en appliquant 252 directement les MCO à cette équation. Les deux procédures donnent des résultats identiques. Cette propriété importante résulte du fait que le passage de l’équation autorégressive à retards échelonnés en niveau à l’équation MCE ne fait appel qu’à des transformations linéaires et non singulières des variables, et qu’il n’impose aucune restriction. Dans notre cas, deux étapes nous étaient nécessaires. La première était de transformer, par la décomposition du terme de l’erreur, le modèle à correction d’erreur (tableau 4) en un modèle à retards échelonnés classique où la variable dépendante en niveau est expliquée par son propre retard et par les valeurs courante et passée des variables explicatives. Dans la deuxième, nous avons essayé de passer du modèle à retards échelonnés obtenu dans l’étape précédente à une équation en niveau. La transformation habituellement utilisée pour cet objectif est celle de Koyck58 qui postule une décroissance géométrique de la structure des retards. Autrement, le coefficient de la variable dépendante retardée en valeur absolue doit être strictement inférieur à l’unité. C’est la condition de stabilité. Elle est vérifiée pour les trois modèles relatifs aux trois pays, nous pouvons alors dégager la relation à long terme du taux de change réel à ses déterminants et l’exprimer par les trois équations relatives suivantes : Tableau 14 : Equations des taux de change réels d’équilibre TUNISIE LTCRE = 9.08 − 0.343LAGR + 0.25LSEC − 3.463LPROD + 0.69LYETR + 0.137LIDE MAROC LTCRE = −12.75 − 0.077t +1.11LAGR + 0.86LSEC + 0.78LPROD + 2.35LYETR + 0.02LIDE ALGERIE LTCRE = 0.194 − 0.233LAGR + 0.032LSEC + 2.72LPROD + 0.0005LYETR − 0.061LIDE Pour que l’analyse soit complète, nous avons calculé le niveau du désajustement du taux de change effectif réel par rapport à son niveau d’équilibre à partir de l’expression suivante : TCERit DESAJ it = − 1 × 100 TCREit 58 - Pour plus de détails voir, par exemple, Johnston et Dinardo (1999) et Bourbonnais (2003)... Baffes, O’Connell et Elbadawi (1999) ont appliqué un modèle à retards échelonnés aux données annuelles de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso pour la période 1965-93, soient en tout 29 et 23 observations, pour estimer un taux de change réel d’équilibre en fonction de cinq variables explicatives. Pour obtenir les paramètres de long terme et leurs écarts-types à partir de la forme à correction d’erreur, ils ont utilisé la transformation de Bewley (Banerjee et al. 1993). 253 où, TCER tient pour le taux de change effectif réel, TCRE pour le taux de change réel d’équilibre, (t) l’indice temps et (i) est l’indice pays. Aux vues des résultats obtenus et aux graphiques de l’évolution des taux de change réels et des niveaux de désajustement pour les trois pays, une remarque générale s’impose : l’évolution des taux de change réels d’équilibre, surtout dans le cas de la Tunisie et du Maroc, est moins lisse que celle des taux de change effectifs réels. Alors qu’en général, les travaux en la matière montrent le contraire, un taux de change effectif réel qui s’enroule autour de son niveau d’équilibre. Deux raisons nous semblent être derrière cela. D’une part, bien qu’ayant développé un modèle structurel et imposé certaines conditions d’équilibre, notre taux de change réel d’équilibre reste une forme hybride de BEER, où le suivi de l’évolution des variables explicatives, et non leur calibrage, est toujours présent. Notre idée se trouve confirmée par les résultats obtenus par Clark et MacDonald (1999) et Baffes, O’Connell et Elbadawi (1999) et qui portent sur deux groupes de pays différents : Les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon pour le premier et la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso pour le deuxième. Les taux de change réel d’équilibre BEER ne sont pas lisses et ont des fluctuations parfois plus prononcées que celles des taux effectifs réels. D’autre part, et c’est une conséquence, ces mêmes variables explicatives ont une évolution de nature moins lisse, voire instable. L’évolution de trois variables sur cinq, au moins, est tributaire de conditions extérieures avec la demande étrangère et les flux d’investissement direct, si ce ne sont pas les conditions climatiques à travers l’agriculture. La comparaison de l’évolution du taux de change réel d’équilibre à celles des variables explicatives, nous a permis de constater que dans le cas de la Tunisie, par exemple, les pics dans l’évolution du taux de change réel d’équilibre tunisien coïncident parfaitement avec ceux de la demande étrangère. En ce qui concerne le modèle proprement dit et les résultats obtenus, nous observons que les intuitions théoriques ci-dessus développées se trouvent confirmées, puisque nous avons prédit une relation positive du taux de change réel à ses déterminants en laissant aussi envisager une ambiguïté de signe pour certains d’entre eux. L’équation du taux de change réel d’équilibre marocain représente le premier cas, alors que les deux autres équations représentent le deuxième. En effet, les variables agriculture et productivité affectent négativement le taux de change réel d’équilibre tunisien : une hausse de leurs niveaux entraîne une dépréciation du taux de change réel. Nous expliquons cela par le fait que la hausse des prix relatif des produits agricoles en termes de produits manufacturiers se traduit par un double effet ayant pour 254 conséquence la dépréciation du taux de change réel : celui d’une augmentation de l’importation des produits de même nature, une politique que le pouvoir en place a toujours pratiquée, d’un côté, et celui d’un surplus primaire qui encourage la modernisation du secteur agricole et donc l’investissement et l’importation des biens en capital, d’un autre côté, phénomène qui s’est accéléré avec le processus de privatisation et de cession de terrains domaniaux dans la décennie 1990. C’est un double effet que nous avons ignoré dans le développement de notre modèle en ne prenant en compte que celui de la baisse de l’investissement manufacturier, très demandeur d’inputs étrangers, au profit de l’investissement agricole. Il nous semble que le premier effet a dominé le second. Le même raisonnement reste valable pour le cas algérien. L’explication de l’effet négatif de la variable productivité, qui est en fait un effet de richesse comme nous l’avons indiqué ci-dessus, est de même ordre que celle qui vient d’être avancée. Autrement dit, un accroissement de la richesse peut avoir un effet global qui se traduit par une dépréciation réelle de la monnaie. Cela invalide en quelque sorte l’effet Balassa dont la robustesse était déjà contestée (Wood 1991 ; Isard et Symansky 1996), de surcroît dans les PED. Pour beaucoup d’entre eux, le différentiel de richesse par rapport aux pays développés est tellement énorme que la moindre réduction se traduit avant tout par un effet de rattrapage qui exige plus de transformation structurelle de leurs économies et donc plus d’investissement résultant sur une dépréciation réelle. Un retour à l’origine de l’effet Balassa nous conforte dans l’idée qu’il serait pertinent de considérer ( LSEC ), contribution sectorielle, comme variable représentative plutôt que l’écart des productivités globales ou des richesses et qui n’a pas beaucoup évolué dans le temps. En effet, on est plus proche de l’affirmation de Ricardo selon laquelle les prix réels des biens nationaux sont élevés « dans les pays où les manufactures sont florissantes » que de l’analyse de Balassa et Samuelson en termes des techniques et de productivité dont le progrès amène la prospérité et l’appréciation monnétaire. Il nous reste néanmoins à expliquer l’effet négatif de l’investissement direct sur le taux de change réel algérien. Celui-ci nous semble paradoxal puisqu’on soutient qu’une hausse des flux d’investissement direct entraîne une appréciation monétaire. Il y a là peut-être lieu de nuancer la théorie économique en la matière comme avec l’effet Balassa. En effet, le phénomène d’appréciation que décrit la théorie économique est essentiellement dû à des flux d’IDE qui sont massifs et soutenus dans le temps. Alors qu’en regardant de plus près le cas algérien, nous constatons que ces derniers restent marginaux, souvent soient négatifs soient 255 autour de 1% de PIB, n’atteignant qu’une seule fois le niveau de 3,6% de PIB. Leur aspect marginal comme source de financement trouve justification dans la nature de l’économie algérienne mono exportatrice du pétrole et disposant ainsi d’importantes sommes en devises, source d’appréciation monétaire. La variable IDE peut jouer dans ce cas un rôle d’ajustement étant donnée l’importante élasticité positive du taux de change réel à la variable richesse. Nous passons maintenant à l’étude de l’évolution des taux de change réels dans les trois pays. Les graphiques ci-dessous nous confortent dans le choix d’une étude étalée sur une quarantaine de données annuelles plutôt que des infra annuelles, plus nombreuses mais condensées dans le temps. Ils nous permettent d’apprécier l’évolution des taux de change réels tout en retrouvant l’histoire économique et politique de ces pays. Nous évoquerons cela au gré de l’analyse. Graphiques 40-41 : Evolution et désajustement du taux de change réel tunisien Désajustem ent du taux de change effectif réel tunisien E volu tion d es tau x d e ch an g e ré els en Tu n isie 12 5 .2 5 .1 8 5 .0 4 .9 4 4 .8 4 .7 0 4 .6 4 .5 -4 4 .4 -8 4 .3 65 70 75 80 L TC E R T 85 90 95 65 00 70 75 80 85 90 95 00 en % L TC R E T En ce qui concerne le Dinar tunisien, nous distinguons trois périodes franches dont la deuxième s’étale du milieu des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990. La première est caractérisée par une succession de courtes phases d’appréciation et de dépréciation. Néanmoins, nous avons constaté qu’à partir des débuts des années 1980, les phases s’allongent de plus en plus. Deux sous périodes marquent en grande partie ces années là : celle d’un désajustement négatif suivie d’une autre d’un désajustement positif, avec un taux de 5.4% en 1986, qui a débouché sur une crise économique et politique entraînant le changement du gouvernement, la dévaluation du Dinar et l’adoption de l’ajustement structurel. Depuis, lors des deux autres phases, le désajustement, sous-évaluation puis surévaluation, même en frôlant le 4%, semble être maîtrisé. Cependant, l’adéquation de la 256 politique de change ne se limite pas au maintien du taux de change réel près de son niveau d’équilibre mais cherche à éviter avant tout la divergence d’évolutions. Ce n’est pas le cas lors de ces deux phases, le taux de change réel accompagne, en quelque sorte, son niveau d’équilibre, sans pour autant abonder dans le sens de Coudert (1999) et Aglietta et Baulant (2000) soutenant que le Dinar est une monnaie sans distorsion et que, depuis 1986, le taux de change réel suit d’assez près son niveau d’équilibre. La périodisation de l’évolution du taux de change réel d’équilibre que nous avons adoptée n’est pas anodine. En confrontant l’évolution du taux de change réel d’équilibre à celles de ses déterminants, nous avons pu constater qu’elle était plus influencée par celles des variables agriculture et demande étrangère lors de la première phase, ce qui justifie un désajustement maximal de presque 11% en 1972 qui retombe à plus de –5% l’année suivante. En fait, l’année 1972 correspond à une production agricole exceptionnelle avec un rapport au PIB en volume de 24% jamais atteint depuis, tout cela dans un contexte d’abandon définitif du programme de collectivisation et du passage à une politique d’ouverture sur l’extérieur. Lors des deux autres périodes, ce sont les autres variables qui étaient plus influentes, notamment la variable SEC qui traduit l’arrivée à maturité d’une transformation structurelle faisant du secteur manufacturier le pilier de l’industrie nationale et apportant une certaine stabilité au niveau de la production nationale, ce qui explique des périodes de stabilité relative dans l’évolution du taux de change réel d’équilibre par rapport à la première période. Toutefois, la dépréciation continue dans le taux de change réel d’équilibre depuis la deuxième moitié des années 1990 laisse penser à un épuisement du modèle de croissance tunisien basé sur deux secteurs, l’exportation manufacturière et le tourisme, connaissant, surtout ces dernières années, une concurrence accrue à l’échelle internationale réduisant ainsi leurs valeurs ajoutées et leurs apports en devises, donc leur capacité à drainer de l’épargne étrangère. Il y a peut être là matière à réflexion quant à l’adéquation du modèle de croissance tunisien et aux moyens pour opérer plus de transformations structurelles. La politique de change jusqu’ici adoptée a peut être, aussi, épuisé sa capacité d’influence. L’évolution du taux change réel d’équilibre marocain indique que le Dirham a connu trois phases dont la plus franche est celle constatée depuis la deuxième moitié des années 1980. Quoique, vers la fin, nous voyons poindre une nouvelle évolution dont il est encore tôt de se prononcer. Pendant cette période, le taux de change réel semble être en phase avec son niveau d’équilibre. Ils ont la même évolution et le désajustement reste, somme toute, maîtrisé. Cela contraste avec la période précédente marquée par un désajustement plus ou moins manifeste, 257 excepté les années 1984-1986, de 6 à 8%. Comme pour la Tunisie, c’est au bout de cette période du désajustement du taux de change réel et des difficultés économiques qu’allait s’opérer le passage à une stratégie de développement extravertie basée sur davantage d’insertion à l’économie internationale et dont la politique de change reste un moyen privilégiée. La période restante qui remonte jusqu’à 1965 était caractérisée aussi par une certaine variabilité du taux de change réel d’équilibre avec des écarts à l’équilibre qui atteignent près de 8% en 1967 et 1971, sans pour autant déceler un déphasage prolongé. Les pics enregistrés au niveau de l’évolution du taux d’équilibre correspondent parfaitement à ceux caractérisant l’évolution de la demande étrangère. Graphiques 42-43 : Evolution et désajustement du taux de change réel marocain E volu tion des taux d e chan ge ré els au Maroc Dé saju stem en t d u tau x d e ch an g e effectif ré el m arocain 10 5.1 5.0 5 4.9 4.8 0 4.7 4.6 -5 4.5 -1 0 4.4 65 70 75 80 LTCRE M 85 90 95 65 00 70 75 80 85 90 95 00 en % LTCERM L’évolution du taux de change réel d’équilibre algérien telle que nous l’avons obtenue se révèle un résultat très intéressant à analyser. Car il y a comme une croyance, connaissant l’histoire économique et politique du pays : échec de l’industrie industrialisante ; chocs pétroliers ; dualisme économique aigu ; blocage politique…, que le Dinar algérien devait connaître des désajustements importants et durables par rapport à son niveau d’équilibre. Or c’est la monnaie qui manifeste le moindre désajustement parmi les trois pays. C’est une monnaie sans distorsion, hormis deux pics, soient deux écarts de 8% en 1988 et de -8% en 1991. Les deux dates correspondent à deux événements majeurs, d’ordre intérieur et extérieur à la fois. L’Algérie a connu durant l’année 1988 des émeutes populaires qui ont eu un effet négatif sur l’activité économique, amplifié par les conséquences sur les prix du pétrole de la fin de la guerre Irako-iranienne et par celles dues au prolongement du contre choc pétrolier de 1986. En 1991, c’est le début de la guerre civile dans un contexte international tendu. Il y a eu, nous semble-t-il, comme une sur-réaction du pouvoir politique et des agents économiques. 258 Graphiques 44-45 : Evolution et désajustement du taux de change réel algérien E volu tion d es taux d e ch an g e ré els en A lg é rie D é saju stem en t d u tau x d e ch an g e effectif ré el alg é rien 5 .4 8 5 .2 5 .0 4 4 .8 4 .6 0 4 .4 4 .2 -4 4 .0 -8 3 .8 65 70 75 80 L TC R E A 85 90 95 65 00 70 75 80 85 90 95 00 en % L TC E R A Dans le premier cas, le pouvoir politique a maintenu le taux de change à un niveau que l’activité économique, perturbée par le climat politique, ne justifie pas. Dans le deuxième cas, c’est un comportement de sur-réaction des agents économiques aux évènements de l’époque, nourri de pessimisme et de dépression « collective ». Sinon, l’évolution des taux de change réels sur l’ensemble de la période a connu deux phases franches dégageant deux tendances claires : une appréciation allant jusqu’au milieu des années 1980 et une dépréciation depuis. Pendant ces deux phases, le taux de change réel suit d’assez près son niveau d’équilibre. Aucune phase prolongée de sur ou sous-évaluation réelle n’est décelable. Le taux de change réel observé s’enroule autour du niveau d’équilibre. Ceci témoigne d’une bonne adéquation de la politique de change dans ce pays. Cela est peut être facilité par les caractéristiques de l’économie algérienne, à savoir une économie presque mono productrice et mono exportatrice du même produit qui est le pétrole dont le prix est fixé à l’échelle mondiale et qui représente une ressource stable de devises quel que soit la conjoncture économique. Ce qui neutralise, sans la rendre inutile, la politique de change du pays. Alors que dans le cas de la Tunisie ou du Maroc, la politique de change, du fait qu’elle est une partie importante de la politique économique, demeure sous tension laissant envisager des possibilités de désajustements. 259 PARTIE III VERS UN REGIME DE CHANGE SOUHAITABLE 260 Chapitre 7 Choix du régime de change Le choix du régime de change fait l’objet d’un vieux débat en Economie Internationale et y demeure un important et controversé domaine de recherche. Trois phases principales nous semblent le caractériser. La première porte sur la politique de change compatible avec le cadre d’une économie ouverte et qui a marqué les années 1950 et 1960 (Friedman 1953 ; Mundell 1961 ; McKinnon 1963 ; Kindleberger 1970). La chute du système de Bretton Woods a inauguré la deuxième phase qui s’est concentrée davantage depuis sur les régimes de change les plus appropriés aux PED59. Les raisons sont doublement fondées, notent Aghevli, Khan, Montiel (1991). Il s’agit, premièrement, de maintenir la compétitivité internationale ainsi que d’assurer une balance des paiements viable, et, deuxièmement, d’ancrer les prix intérieurs à travers l’utilisation des taux de change stables. Le débat était aussi nourri par les préoccupations de l’époque en intégrant l’analyse coût-bénéfice, par exemple. Le choix d’un régime de change dépend ainsi des caractéristiques structurelles de l’économie, de la nature et des sources des chocs auxquels elle est confrontée, des préférences des décideurs politiques. Les graves crises financières des années 1990 et le lancement de l’Euro, ont ravivé l’intérêt pour la question et ouvert une troisième phase qui lui donne une acuité particulière puisque certains observateurs font valoir que, dans un monde où la mobilité des capitaux s’accentue, seuls les régimes de change extrêmes sont viables. C’est l’hypothèse de « bipolarité ». Les travaux récents témoignent de la controverse qui demeure, néanmoins, considérable sur ce qui constitue le meilleur régime. Nous présentons cette large littérature consacrée à la question du choix du régime de change pour une petite économie ouverte sous trois approches. La première concerne les contributions qui ont mis l’accent sur les caractéristiques structurelles d’une économie. Nous la désignons ainsi approche structurelle qui s’est trouvée renouvelée depuis le milieu des années 1980. La deuxième cherche à déterminer un régime en se basant sur une fonction de perte. La troisième tourne autour de l’idée de la disparition des régimes de change intermédiaires. Trois sections leur sont consacrées. A la suite de quoi, nous évaluons, dans la quatrième section, les différents régimes en cours et nous nous interrogeons sur la notion 59 - Wickham (1985) en offre une succincte revue de littérature. Voir Cooper (1999a) pour une approche historique. 261 d’optimalité, avant de traiter, dans la cinquième section, d’autres considérations relatives au choix du régime de change. Section 1 L’approche structurelle Les contributions relatives au choix du régime de change trouvent leurs origines dans les années 1960 et début 1970, juste avant l’avènement du flottement, avec les travaux de Mundell (1961) et Tower et Willet (1976) sur la zone monétaire optimale et les conditions d’intégration d’une union monétaire. Les caractéristiques structurelles de l’économie, telles que la taille, l’ouverture et la mobilité des facteurs, y étaient considérées. Le régime optimal, selon cette théorie, est celui qui maintient l’équilibre extérieur (Mundell 1961) et la stabilité des prix (Mckinon 1963). Cette approche qui cherche à lier le choix d’un régime de change aux caractéristiques structurelles de l’économie correspondante forme l’approche conventionnelle qui se trouve renouvelée depuis le milieu des années 1980 par la confirmation d’une démarche économétrique cherchant à déterminer le régime de change d’une manière ex-post. 1.1 L’approche conventionnelle Elle cherche à choisir un régime de change optimal en considérant les caractéristiques structurelles de l’économie, mais cela se fait aussi en prenant en compte les préoccupations de l’époque, en particulier la stabilisation économique et l’insertion dans le commerce international. C’est donc une approche qui prend en compte les structures de l’économie, les chocs et les objectifs du gouvernement. L’intérêt accru porté aux divers facteurs, notamment structurels, devrait permettre aux autorités de se prononcer en faveur d’un régime de change. Prenant par exemple le marché de change d’un PED où seules les transactions courantes ont une influence, du fait de l’inexistence de flux de capitaux privés (Black 1976), il a toutes les chances de se révéler instable à court terme dès lors que la courbe en J est opérationnelle. Ceci est un corollaire logique à l’idée selon laquelle le compte du capital est ce qui stabilise le marché de change à court terme : si le capital privé ne s’échange pas sur un marché spécifique, la banque centrale doit intervenir pour assurer la stabilité à court terme. Un argument qui a été avancé par Branson et Katseli-Papaefstratiou (1981), entre autres, et renvoie de façon fort logique à la question de la détermination d’une règle de fixation de la parité. Dans le cas d’un pays dont le commerce est hautement concentré dans une zone 262 monétaire particulière, par exemple, le rattachement à la monnaie de la zone concernée est considéré optimal. Il reste, cependant, à traiter la question du choix des pondérations attribuées aux monnaies composant le panier dans le cas où le commerce est bien diversifié. C’est souvent en fonction de la compétitivité qu’il se fait. D’autres types de modèles sont basés sur des équations fonctionnelles explicites. Le choix du régime y est affecté par les hypothèses soutenant le modèle. Par exemple, Aizeman et Frenkel (1982) supposent un critère d’optimisation basé sur la consommation réelle, dans un modèle sans mobilité et une production indépendante des prix. Le résultat principal révèle une préférence pour les taux flexibles, dans le cas des perturbations monétaires, et pour les taux fixes, quand les chocs sont réels. Utilisant un modèle type Mundell-Fleming pour une petite économie ouverte où l’objectif est de minimiser la variabilité de la production, Boyer (1978) conclut, à l’opposé de Fisher, qu’il est souhaitable d’adopter un taux de change flexible quand il y a des chocs réels puisque les perturbations seront absorbées par des variations la demande extérieure. Une large littérature théorique était consacrée au choix d’un régime de change optimal pour stabiliser les performances économiques dans un monde où se jouent différents types de chocs. La conclusion fondamentale était qu’il dépend de la nature et de l’ampleur des chocs, aussi bien que des structures de l’économie. C’est ainsi que des pays sujets à d’importants chocs de prix étrangers devaient choisir des taux de change flexibles et que des chocs internes, monétaires et de demande, devaient être financés au-delà des réserves, sans besoin d’un ajustement des taux de change. Ces modèles ne se basent pas sur une spécification exacte de ce qui est la fonction objective des décideurs politiques, s’agissant d’une stabilisation des prix, de la production ou de la consommation globale. Certains d’entre eux se focalisent sur le degré optimal d’interventions sur le marché du change, moins d’interventions étant associé à un régime plus flexible. Sur le plan empirique, peu de contributions ont examiné le choix d’un régime de change. Elles utilisent les classifications FMI de régimes de change pour en créer la variable dépendante. Une première étude, Dreyer (1978), se focalise sur le rôle des caractéristiques structurelles. Plus tard, d’autres ont incorporé différents types de chocs. Melvin (1985) trouve un certain soutien à l’idée que l’ampleur des chocs interne et externe influence le choix du régime de change. Chandavarkar (1996) mentionne quelques caractéristiques souvent utilisées comme 263 variables indépendantes : le PIB ; le degré d’ouverture ; la taille du pays ; le degré de concentration des produits ; le taux d’inflation ; le degré d’intégration financière, mesurée par les actifs étrangers des banques commerciales rapportés à l’offre de la monnaie. 1.2 Le renouvellement Il s’agit de dégager les liens entre les principales caractéristiques économiques d’un pays, aussi bien que les chocs économiques, et les règles du fonctionnement de son régime de change, en appliquant différentes méthodes statistiques et économétriques (Annexe III). La méthodologie souvent suivie est celle d’une analyse transversale basée sur des modèles Logit et Probit. Elle s’appuie sur l’idée que le choix d’un régime est, dans une certaine mesure, lié à l’atteinte d’un ensemble d’objectifs, souvent liés aux déséquilibres interne et externe. Il est possible, selon Léon et Oliva (1999) d’inférer une certaine relation entre le régime de change et ces objectifs et par là avec la nature des chocs et les caractéristiques de l’économie tels les degrés d’ouverture ou de mobilité de capital, etc. Klein et Marion (1997) précisent aussi que pour la plupart des PED, la probabilité d’abandonner l’ancrage ne peut être tirée du différentiel des taux d’intérêt qui ne reflètent pas les conditions du marché. Un modèle Logit peut en être le moyen. La spécification économétrique qu’ils adoptent est représentative de ce qui se fait en la matière. Elle nécessite une définition de probabilités de choisir une des alternatives. Dans leur exemple, la variable dépendante est égale à 0 en tout mois où l’ancrage est effectif et à 1 dans le mois où il s’arrête. Les variables provenant du moins ( t ) sont utilisées pour déterminer la probabilité de sortie dans le mois ( t + 1 ). La probabilité de maintenir l’ancrage jusqu’au mois t + 1 , ( Dt +1 = 0 ), et la probabilité de dévaluer dans le même mois, ( Dt +1 = 1 ), dépend du vecteur de variables X t 60 : Pr ob( Dt +1 = 1) ln / X t = γ 0 + γ1 X t Pr ob( Dt +1 = 0) L’utilisation d’un modèle Probit permet d’estimer le lien entre une variable dépendante discrète ( Z ), en l’occurrence le change, par exemple fixe=0 et flexible=1, et des variables indépendantes continues ( X ). Elle permet d’obtenir une distribution de probabilité : 60 - En supposant une distribution cumulative logistique pour le terme d’erreur : Pr ob( Dt +1 = 0 / X t ) = 1 1 + exp(γ 0 + γ 1 X t ) et 264 Pr ob( Dt +1 = 1/ X t ) = exp(γ 0 + γ 1 X t ) 1 + exp(γ 0 + γ 1 X t ) Pi = F ( Z i ) = F (a + bX i ) , où F (.) désigne une fonction de probabilité cumulée normale. Pi peut être alors interprétée comme la probabilité de Z i = 1 . Un coefficient positif signifie donc qu’un accroissement de la variable indépendante conduit à une probabilité élevée de se trouver en change flexible. Comme exemple de cette démarche, Bosco (1987) utilise des régressions Logit binomiale, ordonnée et multinomiale. Il conclut qu’un régime de change fixe est plus vraisemblable dans le cas d’un petit pays ayant un niveau d’inflation proche du niveau mondial. Dans une approche similaire, Savvides (1990) soutient que les pays à variabilité du taux de change réel tendent à opter pour des régimes de change flexibles. Klein et Marion (1997) s’intéressent aux facteurs qui influencent la durée de vie des régimes de change fixe, en effectuant une étude empirique sur 16 pays latino-américains et Jamaïque. Ils partent de l’idée que les décideurs politiques arbitrent entre les coûts du désajustement du taux de change réel et ceux entraînés par l’ajustement au moment de l’abandon de l’ancrage. Le poids de ces derniers est, en partie, influencé par les caractéristiques structurelles de l’économie et les évènements politiques. Les déterminants de la durée d’ancrage doivent donc refléter l’arbitrage associé aux bénéfices et aux coûts de son arrêt aussi bien que la capacité des autorités à le maintenir. L’arrêt de l’ancrage a l’avantage de fournir un ajustement du taux de change réel, en l’absence d’une flexibilité parfaite de prix, et d’alléger le problème lié aux différentiels d’inflation persistants entre les deux pays. Cependant, il génère des coûts économiques liés à un changement important et soudain dans des prix relatifs aussi bien que des coûts politiques et sociaux. Le désajustement est mesuré par l’écart entre le taux de change réel courant et le niveau d’équilibre pendant la durée de l’ancrage, il représente un coût important du maintien de l’ancrage et doit être un bon prédicateur de la vraisemblance de sa fin. Il en résulte que le taux de change réel et le niveau des réserves sont des déterminants significatifs derrière la dévaluation. Plus le premier est apprécié et le second faible, plus une dévaluation forte est vraisemblable. Pour ce qu’il en est des variables structurelles, moins une économie est ouverte ou le commerce plus concentré géographiquement, plus la dévaluation est vraisemblable. Des variables politiques, tel un changement dans l’exécutif, affectent aussi significativement la vraisemblance d’une dévaluation. Le risque d’une dévaluation augmente vraisemblablement au début d’un ancrage et baisse par la suite durant la première année. 265 En général, toutes ces contributions utilisent des données transversales qui ont l’inconvénient de ne pas pouvoir capter les dynamiques de l’économie au moment de choisir le régime. Dans le but de surmonter les limites de l’approche transversale, Léon et Oliva (1999) utilisent celle de séries temporelles, censée mieux capter l’inertie dans les régimes de change. L’estimation se fait selon un modèle Logit avec une distribution cumulative Logistique, comme indiqué cidessus. Les données mensuelles utilisées sont celles du Chili, allant de janvier 1974 à Juillet 1993. La variable dépendante prend la valeur de 0 entre juillet 1979 et mai 1982, la période où le taux de change était fixé à 39 pesos par dollar. A partir d’août 1985, le taux de change était déterminé selon un système de bandes où il flotte librement à l’intérieur, la banque centrale intervient quand il les approche. Elles étaient élargies en 1992 pour atteindre plus ou moins 10% du taux référentiel. Dans ce cas, la variable dépendante prend la valeur 2 pour cette période. Finalement, elle est égale à 1 durant le reste des mois et caractérise un crawling peg. Les variables explicatives sont le différentiel d’inflation par rapport à un niveau mondial ; la contrainte de réserves étrangères, variation moyenne sur 12 mois ; le degré d’ouverture, la somme des exports et des imports rapportée à la production manufacturière ; choc monétaire, % de variation de M1, moyenne sur 12 mois ; chocs réels, % de variation de la production manufacturière, moyenne sur 12 mois. Leurs résultats montrent que le Chili a opté pour un régime de taux de change fixe quand l’inflation était relativement élevée par rapport à l’étranger. La minimisation de la variabilité réelle de la consommation plutôt que la production était une cible dominante pour les autorités qui ont connu des chocs monétaires internes favorisant un régime plus flexible et d’autres réels qui étaient absorbés par des variations des réserves soutenant un régime fixe. 1.3 Apports et résultats Dans les divers modèles théoriques de cette approche, le choix du régime de change dépend principalement des objectifs économiques du gouvernement et de la source des chocs survenant sur l’économie. Deux types d’objectifs sont souvent retenus : un objectif de stabilité, illustré par une minimisation de la variance de la production ou de la consommation, et un objectif de maximisation du Bien Etre, illustré par la maximisation d’une fonction d’utilité. Le rôle du régime de change dans la réalisation de l’objectif des autorités monétaires est introduit différemment selon les modèles. L’objectif de stabilité de la production ou de la consommation est retenu jusqu’au milieu des années 1980 par nombreux auteurs. Friedman (1953), Mundell (1961, 1963), Boyer (1978) et Frenkel et Aizenman (1982) s’intéressent au 266 choix du régime de change via la minimisation de la variance. Les travaux de Helpman (1981), Eaton (1985), Chinn et Miller (1998), Neumeyer (1998) tentent de dépasser ces premières méthodes en modifiant la fonction objective. Ils passent ainsi à une maximisation d’une fonction de Bien Etre. Si l’objectif de stabilisation de l’activité est retenu, le régime de change fixe est optimal dès lors que les chocs sont monétaires (Boyer 1978 ; Aghevli, Khan, Montiel 1991). En effet l’offre de monnaie est endogène sous un régime de change fixe. Les perturbations sur le marché de la monnaie sont absorbées par les modifications des réserves sans affecter les conditions d’offre et de demande sur le marché des biens. Si par ailleurs la mobilité du capital est très faible, les autorités optent pour la stabilité de la consommation (Frenkel et Aizenman 1982) impliquant que, sous des chocs réels, le régime de change fixe est supérieur. Quel que soit l’objectif retenu par les autorités, la présence de chocs influence le choix du régime de change. Le rôle isolationniste du taux de change flexible en présence d’une mobilité du capital sera souvent mis en avant, le principal avantage étant l’indépendance de la politique monétaire. Le régime fixe, quant à lui possède celui de réduire les coûts de transaction et le risque de change. Il s’avère également source de crédibilité en fournissant une ancre nominale robuste pour la politique monétaire. L’intérêt porté aux critères appropriés du choix du régime de change ne cesse de se renouveler, tant au niveau théorique qu’empirique. Outre la transmission des chocs et la mobilité du capital, les caractéristiques structurelles de l’économie peuvent influencer le choix du régime de change. Celles qui ont fait l’objet d’études sont, entre autres, la taille, le degré d’ouverture, la structure de l’économie, la spécialisation, le poids de la dette. La taille du pays, produit intérieur ou national brut par habitant, influence directement son degré d’ouverture, donc sa vulnérabilité aux chocs extérieurs et sa stratégie d’insertion au commerce mondial. La vulnérabilité aux chocs extérieurs est naturellement très liée au niveau de l’ouverture économique. La fonction de stabilisation demandée à la monnaie pourrait s’en trouver modifiée. Sans vouloir être exhaustif, les facteurs le plus souvent cités dans le choix du régime de change peuvent être évoqués comme suit : 267 - Plus l’ouverture de l’économie est grande, plus la part du secteur des biens marchands est grande, plus le régime de change fixe est tentant. Ceci est dû aux coûts potentiels des transactions internationales et aux fréquents ajustements de change. - Si le taux d’inflation d’un pays est plus élevé que celui de ses partenaires commerciaux, le pays choisira un régime de change flexible afin de répondre aux chocs externes. - La question de l’influence des chocs sur le choix du régime de change est très délicate. Toutefois les propriétés isolationnistes du régime de change flexible ont été démontrées. Si l’économie est fortement intégrée et caractérisée par une forte mobilité du capital, le régime de change fixe est optimal. - Plus le capital est mobile plus il est difficile de défendre un taux de change fixe, cible des spéculateurs. - Plus les salaires réels sont rigides, plus grand est le besoin de flexibilité du taux de change pour répondre aux chocs extérieurs. - Plus la réputation anti-inflationniste de la Banque Centrale est faible, plus l’ancrage de change est souhaitable. Le gain en crédibilité est alors coûteux en termes de flexibilité. - Quand les prix sont fixés dans la monnaie du consommateur, la stabilité de la consommation n’est pas affectée sous un régime de change flexible, alors qu’il y a transmission des chocs externes si les prix sont fixés dans la monnaie du producteur, sous un régime de change fixe ou flexible. - La présence de biens non marchands augmente le désir d’une plus grande flexibilité de change. En effet, y compris en l’absence de chocs d’offre, les modifications dans la demande seront absorbées en partie par les variations des prix des biens non marchands. Un autre enseignement à tirer de différents travaux est bien la confirmation de la forte influence des composantes structurelles des économies dans le choix d’un régime de change. Il semblerait que plus la structure de l’économie est flexible, plus la flexibilité du régime de change est souhaitable. Selon Izzo et Naudet (1996), les grands axes opposent, au niveau de la convertibilité, pays riches et pays à revenus moins élevés, et, pour la fixité de change, petits pays de services ou de matière première, économies complémentaires, aux grands pays manufacturiers, économies concurrentielles. L’accroissement de la population pousse vers plus de flexibilité du taux de change, mais vers moins de convertibilité de la monnaie, alors que la hausse du revenu par habitant pousse les pays vers plus de flexibilité et plus de 268 convertibilité. Toutefois, ces liaisons ne sont pas toutes de même nature. L’effet du niveau de richesse n’est pas surprenant. Il s’explique, sur la convertibilité, par la contrainte de la crédibilité et, sur le régime de change, par la domination des régimes flottants parmi les pays riches, à l’exception de l’Union Européenne. Il est alors possible de dégager des profils types des pays associés à un régime de change particulier. Ainsi, le régime de change fixe avec une monnaie convertible correspond à des pays de petite taille, de revenu souvent intermédiaire, dont l’économie est faiblement manufacturière, plutôt ouverte et spécialisée dans les services. Un régime de change fixe et convertible apparaît très fortement associé à une structure et une spécialisation économique particulière. Il en est de même, avec une intensité parfois moindre, des autres régimes associés à d’autres caractéristiques. Section 2 L’approche de l’arbitrage L’approche structurelle standard pour analyser le choix d’un régime de change semble ne pas saisir les importantes caractéristiques du monde réel de la décision pour les PED. Collins (1996) en avance au moins trois raisons. Premièrement, les modèles théoriques discutés plus haut supposent souvent que la différence majeure entre régimes de change fixes et d’autres plus flexibles réside dans le non ajustement des taux de change nominaux sous la première catégorie. Or, en fait, les pays ayant des taux fixes maintiennent d’une manière catégorique l’option des ajustements nominaux. Deuxièmement, le modèle traditionnel n’incorpore pas l’Economie politique des ajustements. Le point central est qu’il peut être politiquement plus coûteux d’ajuster un taux de change fixe qu’entreprendre un ajustement nominal similaire d’un taux de change qui est géré, car ce dernier est plus facile à modifier. Cette perspective attire l’attention sur une distinction très différente entre les deux régimes. Dans un régime de change fixe, le taux de change nominal est très visible et clairement identifiable comme une décision gouvernementale. Ce qui est difficilement le cas dans un régime plus flexible. Cela implique que la décision de passer à des taux plus flexibles est en partie une décision de dépolitiser les ajustements. En fait la question est la suivante : peut-on laisser aux marchés le soin de fixer le taux de change alors que les conséquences de son niveau sont macroéconomiques et loin de leurs préoccupations. Les pays qui anticipent d’importants besoins d’ajustements et/ou des variations fréquentes des taux de change auraient tendance à choisir des régimes plus flexibles. Troisièmement, les modèles traditionnels n’incorporent pas l’évolution des idées basée sur les résultats et les évaluations 269 des expériences des pays relatives au régime de change approprié pour une petite économie ouverte. Il s’ensuit qu’une autre approche est alors envisageable. Elle prend en compte les dimensions conflictuelles dans le choix d’un régime de change. Car le taux de change joue un double rôle dans les petites économies ouvertes. Ses mouvements peuvent accomplir et maintenir la compétitivité extérieure et assurer ainsi une balance des paiements viable. Mais en même temps, sa stabilité peut ancrer les prix intérieurs. Les poids relatifs à assigner à chacun des objectifs dans la formulation et la conduite d’une politique de change font à fortiori émerger un arbitrage que les décideurs politiques se trouvent obligés d’engager et d’assumer. 2.1 Contexte et fondements Cette nouvelle approche est apparue dans les années 1980, à partir de la littérature sur la crédibilité initiée par Kydland et Prescott (1977), rendue prééminente par Barro et Gordon (1983). La question de crédibilité surgit quand les décideurs politiques poursuivent des objectifs de court terme au détriment de ceux de long terme. L’établissement de la crédibilité se base sur la conviction du public que la banque centrale ne déviera pas de son objectif. Elle doit concerner l’ensemble de la politique économique. Une règle de « non dévaluation » par exemple, n’est crédible que s’il est tout à fait certain aux yeux du public que les autorités seront incitées à y adhérer. La crédibilité peut être accomplie si les décideurs politiques s’inquiètent suffisamment de leur réputation. Crédibilité, réputation et incohérence temporelle constituent une matière aux modèles de deuxième génération61 qui tendent à se focaliser sur les facteurs politiques, tels que le coût d’un chômage élevé ou d’un renoncement à la production qui résulte d’une défense stricte contre une attaque spéculative. Ces modèles s’interrogent également sur les choix gouvernementaux dans la défense de l’ancrage et sur l’arbitrage entre flexibilité et crédibilité. Adaptée à l’économie ouverte, cette littérature de crédibilité a constitué en effet la base pour des modèles « coûts-bénéfices » dans lesquels le gouvernement peut librement choisir de dévaluer dans les marges prévues si les bénéfices excèdent les coûts. Fazio (1998) note qu’à la base de tout régime monétaire, il y a la recherche d’un équilibre entre deux exigences souvent conflictuelles : d’un côté, la crédibilité de la gestion de la monnaie, qui est vitale pour 61 - Toutes ces questions étaient développées dans le deuxième chapitre, sections 2 et 4. 270 le maintien de la confiance dans la valeur de la monnaie ; d’autre côté, la flexibilité nécessaire à l’atténuation de l’impact de chocs non anticipés sur l’économie, des événements majeurs qui sont indépendants de l’action des autorités monétaires. Giavazzi et Pagano (1988) soutiennent qu’un pays peut surmonter instantanément le problème de crédibilité en ancrant sa monnaie à celle d’un pays dotée d’une banque centrale moins inflationniste. Cela pourrait être moins coûteux en termes d’emploi que de désigner un nouveau banquier central conservateur parce que, durant la création d’une réputation anti-inflationniste, l’inflation demeure surestimée par le public (Giavazzi et Giovannini 1989). Un problème se pose toutefois : Pourquoi un engagement extérieur serait-il supérieur à une règle monétaire interne ? Pourquoi une politique d’ancrage à une monnaie moins inflationniste serait-elle plus sûre qu’une politique de maintien d’un faible taux de croissance de la monnaie sous un régime de flottement ? Aussi, n’est-il pas évident que l’ancrage soit une meilleure solution à l’arbitrage entre crédibilité et flexibilité. C’est de cette incertitude devant les décisions et les enjeux encourus par les autorités monétaires, que l’approche de l’arbitrage se justifie et prend toute son ampleur. L’arbitrage entre flexibilité et crédibilité cristallise le fond de cette approche. D’un côté, la présence des rigidités nominales et des chocs non anticipés fait de la politique monétaire un stabilisateur utile. D’un autre côté, une autorité monétaire discrétionnaire suivant une politique expansionniste, comme dans Barro et Gordon (1983), peut entraîner une inflation plus élevée. Il y a comme un consensus suggérant aux pays qui décident d’adopter un régime de flottement d’utiliser la politique monétaire pour cibler l’inflation. Ball (1998) remarque que cela peut ne pas être le cas pour des économies ouvertes où les effets de transmission du taux de change aux prix sont importants. La question des effets de transmission complique donc davantage celle de l’arbitrage quant au choix de régime de change. Cette question d’arbitrage était abordée par beaucoup de modèles, en particulier ceux cherchant à résoudre celle de la viabilité des régimes de change fixes ou semi-fini. L’idée d’arbitrage renvoie à celle de l’optimalité, plusieurs modèles d’optimisation se sont développés. Helpman (1981), par exemple, développe un modèle simple à deux pays où la production est supposée exogène pour comparer les niveaux de bien-être atteint sous des régimes de change différents, le résultat est mitigé. Aghevli, Khan, Montiel (1991) soulignent un point principal commun de la littérature de régime de change : la plupart des études étaient développées pour des pays industrialisés engagés dans une stabilisation à court terme de la production. L’analyse s’est donc focalisée sur un critère étroit de la stabilité 271 macroéconomique en face des perturbations transitoires et aléatoires. Il est ainsi probable que le choix de stabiliser une seule variable macroéconomique puisse en perturber une autre qui serait aussi importante pour le bien-être général, à moins que le choix de régime ne soit déterminé d’une manière ambiguë. La solution serait de spécifier un critère du bien-être général qui décide de ces arbitrages. Une telle analyse risquerait néanmoins de rendre les résultats tributaires des poids prédéterminés attribués à chacune des variables à stabiliser. 2.2 Le déploiement de l’approche L’approche de l’arbitrage se déploie essentiellement sous la forme d’une fonction de perte. Le choix d’une ancre monétaire chez Bénassy-Quéré (1996, 1999), par exemple, se fait en minimisant le carré de l’écart du solde extérieur à un objectif en % de PIB nominal ou qui améliore le compte courant sans alourdir les charges de la dette extérieure et vice-versa. Mais il nous semble que c’est avec les travaux de Collins (1996), Edwards (1996b) et Velasco (1996) que cette approche prend toute son ampleur et toute sa complexité en s’appuyant sur une modélisation elle-même basée sur plus d’une fonction de perte et plus d’un arbitrage. Ainsi, Collins (1996) élabore un modèle basé sur deux fonctions de perte inter-temporelles spécifiant les déterminants de pertes encourues sous deux régimes de change, fixe et flexible. L’auteur fait deux hypothèses. La première est que les décideurs politiques cherchent à minimiser les déviations par rapport à un taux de change réel cible qui varie dans le temps. La deuxième est qu’ils ont le choix entre deux régimes de change : fixité ou flexibilité gérée. Une fonction de perte, différence des deux premières, vient alors présenter une variable latente mesurant l’attractivité relative du régime fixe contre l’autre plus flexible. Une valeur positive correspond à un régime de change fixe et une valeur négative à un régime plus flexible. L’auteur suppose aussi que les décideurs politiques peuvent identifier un taux de change réel cible, produit d’une maximisation inter-temporelle et fonction des conditions internes et externes. L’hypothèse sous-jacente est que, dans un régime fixe, les décideurs politiques choisissent le moment optimal et l’ampleur de variation du taux de change nominal, admettant un arbitrage entre deux coûts : l’un dû au désajustement du taux de change et l’autre politique par l’entreprise d’une dévaluation. Ce dernier a une certaine composante fixe, même pour une très faible dévaluation. Les décideurs tolèrent un certain désajustement et n’ajustent pas fréquemment le taux de change nominal pour en éviter le coût politique. C’est ce qu’ils entreprennent dès que le coût du désajustement devient très important par rapport au 272 précédent. Le coût politique et le degré courant du désajustement seront des déterminants clés de l’ensemble des pertes encourues sous un régime de change fixe. Dans un régime plus flexible, le coût politique disparaît car l’ajustement est dépolitisé, mais celui du désajustement y est puisque le taux de change ne peut être maintenu à son niveau cible. Les décideurs politiques sont censés avoir un certain contrôle sur le taux de change courant qui est aussi influencé par des chocs, intérieurs et extérieurs, où la variance agit négativement. En fait, le problème est celui d’un jeu entre le secteur privé (les marchés) et la banque centrale qui contrôle le taux de change. Il y a un gain au change fixe, car moins d’inflation et de variation, mais aussi un coût : problème de compétitivité et manque d’adhésion des marchés. Ce régime peut être caractérisé par un manque, voire une absence, de discipline effective de la banque centrale, ce qui entraîne, en cas de forte inflation, un ajustement coûteux. Quatre types de variables déterminent le choix du régime. Elles servent à percevoir et mesurer le désajustement, le coût politique d’une dévaluation, la difficulté à gérer la flexibilité et l’effet de discipline d’un ancrage nominal, dans le cas d’une inflation très élevée. Comme mesures du désajustement, par exemple, on considère le compte courant en % de PIB et le PIB réel : un large déficit extérieur ou une faible croissance sont des indicateurs potentiels d’un taux de change surévalué. Un différentiel d’inflation positif par rapport à l’étranger entraîne une dépréciation du taux nominal cible, accroissant ainsi le désajustement et rendant le régime fixe relativement coûteux. Les variations du taux de change réel durant l’année prévue ou de l’indice du taux effectif réel peuvent être un indicateur de désajustement. Les chocs des termes de l’échange influencent aussi le taux de change cible. Edwards (1996b) de son côté élabore un modèle où l’autorité monétaire minimise une fonction de perte quadratique qui saisit l’arbitrage entre inflation et chômage. Le travail est initialement appliqué au cas où le choix se fait entre deux régimes de change fixe et flottant, en comparant les pertes attendues sous chaque scénario. Le modèle est ensuite étendu à couvrir le cas un peu plus compliqué du change fixe mais ajustable. L’objectif des décideurs politiques reste la mise en place d’une politique de change qui minimise la valeur de la fonction de perte. Dans ce dernier cas, les coûts politiques potentiels de l’abandon des taux fixes sont pris en compte. Le travail empirique est basé sur un modèle Probit avec des régimes de change binaires, pour des données de 63 pays couvrant la période 1980-1992. Les résultats supposent que le régime de change fixe permette au gouvernement de résoudre, au moins partiellement, le problème de l’incohérence temporelle, en fournissant une technique de préengagement. 273 Velasco (1996) analyse la soutenabilité des taux de change fixes en élargissant le modèle Barro-Gordon sur l’incohérence temporelle à un contexte dynamique dans lequel le niveau d’une variable Etat, la dette, détermine l’arbitrage valable pour le gouvernement à tout moment. C’est un arbitrage entre crédibilité et flexibilité où le stock inhérent de la dette en est une clé dans la détermination d’un meilleur engagement. Si la dette est suffisamment faible, il y a un équilibre dans lequel le gouvernement ne dévalue pas. Pour des niveaux intermédiaires, il dévalue en réaction à une attaque et non autrement. Pour d’autres niveaux, il peut y avoir des équilibres dans lesquels une attaque survienne avec une forte probabilité. Même quand les décideurs politiques encourent des coûts de renoncement aux annonces, le maintien de taux fixes dépend aussi du stock accumulé de la dette publique. Car au-delà d’un certain seuil, la tentation de dévaluation surprise peut amplifier les coûts. Des gouvernements qui souffrent d’une crédibilité imparfaite doivent suivre des politiques, budgétaire et de demande, plus restrictives que ne peuvent le suggérer des règles souples standard. La réduction de la dette a le bénéfice supplémentaire de réduire les anticipations de dévaluation. Quoique, contrairement à la prudence conventionnelle, une dévaluation surprise peut baisser ou augmenter les anticipations de dévaluations à venir. 2.3 Apports et résultats Avec cette approche, la littérature moderne sur les régimes de change considère la dimension réelle et conflictuelle dans le choix dont ils font l’objet et envisage ainsi l’existence d’importants arbitrages, entre crédibilité et flexibilité notamment. Les exemples ci-dessus traités portent un éclairage intéressant sur ce sujet, qui se confirme avec le travail d’Osakwe (2002). A l’aide d’un modèle tenant compte des effets déstabilisateurs des mouvements inattendus du taux de change imputables aux attaques spéculatives, l’auteur évalue la solidité d’une économie, la sud-coréenne en l’occurrence, sous différents régimes : changes fixes établis de façon crédible, changes fixes susceptibles de s’effondrer et changes flottants. Le modèle est appliqué sous forme d’une fonction de perte afin de déterminer le régime de change le plus avantageux. Des études récentes montrent en effet que ces mouvements entraînent des coûts réels pour les économies, comme l’ont montré les crises financières de la décennie 1990. Ces coûts peuvent surgir à travers plusieurs canaux : la dollarisation de la dette (Calvo 2002), la fragilité financière (Eichengreen et Hausmann 1999), les vulnérabilités des bilans (Cespedes, Chang, et Velasco 2004). En effet, les entreprises dans les PED ont des 274 difficultés à emprunter et prêter dans la monnaie nationale à cause des marchés imparfaits ou financièrement très faiblement développés. Cela encourage l’endettement en devises et, parce que les actifs des entreprises sont à prédominance en monnaie nationale, crée un déséquilibre monétaire. Quand les dettes sont en devises alors que les actifs sont en monnaie nationale, d’énormes dépréciations non anticipées détériorent les bilans des banques et des entreprises, menaçant la stabilité du système financier et l’activité économique. Cependant, la plupart des analyses théoriques ne considèrent, comme le remarquent Edwards et Savastano (1999), que les deux cas extrêmes très simplifiés : des taux flottants ou rigides. Dans le premier cas, le régime permet d’avoir une politique monétaire indépendante et à l’économie de s’ajuster aux chocs intérieurs et extérieurs, y compris les variations des termes de l’échange et des taux d’intérêt. Mais il entraîne aussi une certaine perte de crédibilité et tend à être associé à une inflation plus élevée. Dans le deuxième cas, le régime réduit le degré de flexibilité du système mais il donne, en théorie, un degré de flexibilité plus élevée à la politique. Puisque le public croit que, sous des taux fixes, le premier objectif de la politique monétaire est de préserver la parité de change, ils modèreront leurs anticipations des salaires et des prix, permettant ainsi à l’économie d’atteindre un plus faible taux d’inflation. Cette analyse suppose qu’en régime de change fixe, les autorités sont toujours plus disciplinées, ce qui fait qu’il ne peut être abandonné. L’histoire a montré que les taux fixes ont, pour le moins, manqué de discipline macroéconomique et finissent par des crises de dévaluation (Edwards 1989). Le coût peut être la perte de la compétitivité sans compter les problèmes que peuvent générer les changes fixes s’il n’y a pas de coordination des politiques économiques et si les pays sont touchés par des chocs différents. C’est pour ces raisons qu’un certain nombre d’analystes, qui favorisent la crédibilité à la flexibilité, soutiennent que les taux de change fixes sont nécessaires mais non suffisants pour atteindre la stabilité macroéconomique : des contraintes institutionnelles additionnelles pourraient aussi être réduites. Cela sous-entend qu’un pays ne peut choisir qu’entre les deux seuls régimes des taux parfaitement flottants ou fixes. Mais en réalité, il y a toute une gamme entre les deux cas extrêmes. Il faudrait donc étendre l’analyse en termes d’arbitrage à d’autres régimes que les extrêmes. C’est ce qu’ont essayé de faire Edwards (1996b) et Osakwe (2002). Mais au niveau empirique le choix reste toujours binaire du fait de la forme des fonctions de pertes employées qui, pour des raisons opérationnelles, ne contiennent que deux arguments. Cela fait que dans la pratique, les travaux rejoignent ce que nous avons vu avec l’approche structurelle renouvelée. 275 Section 3 L’approche de solution en coin L’approche de l’arbitrage a permis de se rendre compte de l’importance des conflits de politiques économiques qui animent la gestion du change dans les PED, mais aussi de certaines ruptures dans l’évolution des taux et de la viabilité des régimes de change. Une autre approche récente propose d’aller plus loin dans les leçons à tirer des ces ruptures, voire crises à répétition. Ainsi, est née l’approche de solution en coin. En effet, le débat sur les mérites des différents régimes de change était ravivé dans les années 1990 par une succession de crises de change associées d’une contagion. Les PED étaient vraisemblablement divisés entre ceux voulant des taux déterminés par le marché et d’autres choisissant des taux fixes. Il y avait une attention accrue pour une approche alternative dans la prévention de crises qui rend les taux fixes entièrement crédibles et décourage les spéculateurs allant jusqu’à établir un directoire de la monnaie voire une dollarisation. Comme réponse, certains ont soutenu que les seuls régimes soutenables sont le libre flottement et l’engagement ferme du taux de change, directoire et union monétaires (Eichengreen 1998, 1999 ; Obstfeld et Rogoff 1995). Dans l’esprit des auteurs, nous assisterons à la disparition future des engagements souples et des régimes intermédiaires. Cette hypothèse et son corollaire la solution en coin se présentent comme la seule alternative au choix de régime de change. Autrement, les économies sont condamnées à choisir entre change librement flottant ou engagement ferme, les seuls régimes considérés comme étant soutenables. 3.1 Contexte, fondements et conséquences Les origines intellectuelles de l’approche semblent remonter à Eichengreen (1994) et ses réflexions à propos de la crise qui a secoué le mécanisme de réalignement européen en 1992 et l’élargissement de la bande en 1993. Il juge que la transition graduelle vers l’Union Monétaire, en rendant plus étroite la bande et par étapes, n’est pas la meilleure voie. Après les crises de l’Asie du sud-est de 1997-1998, l’hypothèse d’une disparition des régimes intermédiaires était appliquée sur les marchés émergents. Dans le souci de reformer l’architecture financière internationale et de minimiser ainsi la fréquence et la sévérité des crises, la proposition était rapidement adoptée par le FMI comme un nouveau consensus (Eichengreen 1999, Summers 1999). 276 Cette théorie du régime de change basée sur le constat qu’une forte mobilité du capital rend les engagements du taux de change extrêmement fragiles. En effet, dans un monde caractérisé par une mobilité grandissante du capital et un commerce de plus en plus large et diversifié, beaucoup d’économies en développement ont trouvé préférable de passer d’un régime de change relativement fixe à d’autres plus flexibles. Mais l’expérience montre qu’un ancrage ajustable ou un flottement étroitement géré avec de larges ajustements occasionnels est un régime difficile à soutenir dans de telles circonstances (Eichengreen, Masson et al. 1998). Ainsi, Eichengreen (1999b) suggère que les pays souhaitant une faible flexibilité du taux de change doivent adopter un régime dans lequel la monnaie fluctue plus régulièrement et sur un intervalle large. Les pays qui ne sont pas prêts à déléguer leur autonomie monétaire à une banque centrale étrangère ou à en créer une transnationale doivent s’attendre à de grandes tensions en passant à un régime de change de plus grande flexibilité. Selon Eichengreen (2000b), un consensus semble s’établir autour du fait que la mobilité élevée du capital a rendu problématique le fonctionnement des régimes de change intermédiaires et a même sapé leur viabilité. La présence de marchés internationaux larges et liquides rend plus difficile pour les autorités le soutien d’un ancrage chancelant, puisque les ressources de ces marchés dépassent de loin les réserves mêmes des banques centrales. La défense efficace du taux de change nécessite des hausses des taux d’intérêt et des restrictions de crédits intérieurs qui entraîneront des coûts difficilement supportables pour une petite économie. Il suffit aux marchés de détecter la moindre difficulté, hausse du chômage ou des charges de la dette, devant laquelle les autorités hésitent à augmenter les taux d’intérêt afin de défendre la monnaie pour s’en emparer brutalement. Pour la plupart des gouvernements, augmenter les taux d’intérêt et aggraver les difficultés économiques, d’un côté, ou ne pas le faire et entraîner la chute de la monnaie, de l’autre, n’est pas du tout un choix; la chute en est toujours la conséquence. Maintenir un taux de change fixe ou une bande en face des marchés de capitaux ouverts est particulièrement difficile pour les PED, sauf s’ils ont des accords de prêts. Les tenants de cette approche avancent également que la sophistication des marchés financiers a réduit les coûts du change flottant tout en augmentant ceux du fixe, de même que les récentes crises financières ont confirmé que les régimes de change fixe sont, d’une manière inhérente, enclins à la crise. A cela s’ajoute la vulnérabilité des PED aux chocs des termes de l’échange et la faiblesse de leurs systèmes financiers comparés aux marchés internationaux voire aux actifs de quelques fonds de pension et banques d’investissement. Ils sont trop fragiles pour résister à d’importants mouvements des taux d’intérêt. Leurs systèmes politiques 277 sont incapables de générer un consensus stable en faveur d’une stabilisation des taux de change par dessus tout objectif économique et social. La liste des arguments avancés par les tenants de cette approche condamnant les régimes intermédiaires pourrait encore être plus longue. 3.2 Limites théoriques Les raisons avancées pour soutenir la thèse des solutions en coin sont certes intéressantes mais ne sont ni rationnelles ni théoriquement fondées. Frankel, Schmukler et Serven (2001) en examinent trois : l’impossible trinité, les dangers des engagements non couverts et l’aversion à l’abandon du régime de change. Concernant la première, la thèse y apparaît comme un corollaire, c’est à dire qu’on ne peut pas avoir simultanément les trois objectifs : stabilité du change, autonomie monétaire et intégration au marché financier. Summers (1999b) est explicite : « le cœur de l’économie monétaire est un trilemma : la mobilité du capital, une politique monétaire indépendante et le maintien d’un taux de change fixe comme objectif sont mutuellement incompatibles. Cela présume qu’avec l’intégration croissante du marché du capital, les pays seront de plus en plus forcés de choisir entre flottement pur et taux de change parfaitement rigides ». Selon la deuxième raison, quand un gouvernement établit une sorte de taux de change cible, comme l’ont fait les pays de l’Asie de l’est, les banques et les entreprises sous-estiment d’une manière absurde la possibilité d’une future variation dans la valeur de la monnaie. La version de cet argument dans Eichengreen (1999b) soulève l’étendue de l’engagement d’ancrage de ces pays comme beaucoup d’économistes l’ont bien remarqué, alors que dans les faits, peu d’entre eux ont eu un ancrage explicite par rapport au dollar. Ils ont contracté d’importants engagements non couverts à l’étranger qui, suite aux dévaluations, se sont avérés difficiles à honorer. Une banqueroute, avec ses conséquences dévastatrices sur l’économie, en fut le résultat. C’est un argument qui demeure néanmoins délicat à saisir par les modèles conventionnels. Selon la troisième raison, les gouvernements qui adoptent une cible de taux de change et qui sont confrontés à un renversement des flux de capitaux tendent à trop attendre avant d’abandonner leurs cibles, le Mexique, la Thaïlande ou la Corée en 1998 en sont l’exemple. Les deux solutions extrêmes sont aussi critiquées pour les multiples problèmes qu’elles soulèvent. Couharde et Mazier (2000b) en considèrent deux pour le directoire de la monnaie. La première en raison des risques d’instabilité et des difficultés de sa gestion ; la seconde en 278 raison de sa trop grande rigidité et de ses coûts élevés qui en font plus une solution transitoire qu’une réponse durable. C’est pourquoi ils considèrent que des solutions intermédiaires fondées sur le principe de parités de référence, ajustables, demeurent d’actualité à condition d’en préciser les modalités de fonctionnement. Pour Bordo (2003), les pays émergents rencontrent des problèmes particuliers qui rendent cette dichotomie simple, régime de change très rigide ou flottement total, très peu probable. Premièrement, dans le cas de régimes très rigides, directoire monétaire ou dollarisation, les crises financières sont exclues mais les bancaires sont encore possibles et sans autorité monétaire elles ne peuvent pas être contenues (Chang et Velasco 2001). A l’incapacité d’agir comme prêteur en dernier ressort est liée celle d’avoir la flexibilité de la politique monétaire pour contrecarrer les chocs réels externes. Plus encore, établir un directoire monétaire ou une dollarisation est plus facile quand la monnaie d’ancrage est celle d’un grand partenaire commercial qui a une tradition de stabilité monétaire. L’expérience argentine a prouvé que le directoire monétaire n’était pas plus crédible que les changes fixes. Deuxièmement, c’est le soi-disant problème du péché originel (Eichengreen et Hausmann 1999). Parce qu’ils sont financièrement sous développés et peuvent avoir une tradition d’inflation élevée et du laxisme fiscal, beaucoup de pays émergents ne sont capables d’emprunter ni en termes de leurs propres monnaies à long terme, ni à l’extérieur, excepté en devises telle que le dollar. Cela les expose à de sérieux problèmes de maturité et d’équivalence monétaire. En face d’une crise financière, une dévaluation peut entraîner des déséquilibres de bilans, des banqueroutes et des défauts de paiement de la dette. C’était le cas de l’Asie de l’est dans les années 1990. Le péché originel crée des problèmes pour les pays qui pratiquent le flottement et mêmes ceux qui adoptent des ancrages très rigides. Les dévaluations peuvent ne pas avoir d’effet sur l’économie réelle dans le cas d’une large indexation ou d’une tradition d’inflation élevée. Ces problèmes font que les régimes intermédiaires ont encore un rôle à jouer dans ces pays. Il est aussi important de distinguer entre d’un côté, les pays moyennement et largement émergents et d’un autre, les petits pays très ouverts. Les premiers ont peut-être les moyens de suivre les politiques des pays avancés, d’adopter des ancres nominales intérieures telle qu’une cible d’inflation et d’avoir des banques centrales indépendantes, ce qui n’est sûrement pas le cas des derniers. Masson (2001) souligne que pour beaucoup de PED, le flottement libre n’est pas une option viable du fait de l’absence de marchés et institutions financières bien développés, y compris des marchés de change, alors que les contraintes de directoires monétaires ne sont pas 279 politiquement acceptables. Par conséquent, le régime de change n’est pas nécessairement stable. Il est ainsi utile de penser le choix d’un régime de change non pas comme une décision définitive, mais plutôt en termes de possibilité de passer d’un régime à un autre. Ainsi, la probabilité d’être dans un régime ou dans un autre dans le futur dépend uniquement du régime actuel. Un certain choc peut pousser le pays à changer de régime de change, indépendamment de son histoire dans ce domaine. Les avantages et les inconvénients des régimes extrêmes sont largement discutés ces derniers temps. En conclusion, ni la théorie ni la pratique ne laissent entendre que leur adoption accélèrera et permettra automatiquement les réformes économiques et financières nécessaires, elles seront accomplies dans le temps. 3.3 L’épreuve des études empiriques Beaucoup d’études ont été consacrées à l’évolution des régimes de change officiels et de facto, notamment quant à leur fonctionnement. La pertinence de l’approche de disparition des régimes intermédiaires et des solutions en coin peut ainsi être confrontée aux résultats de ces études. Il en découle62 une tendance générale vers plus de flexibilité depuis la chute du système de Bretton Woods. L’étude de Fischer (2001), basée sur les régimes de jure, reporte l’évidence d’une solution en coin : entre 1991 et 1999, la part des régimes intermédiaires a chuté de 62%, 98 pays, à 34 %, 63 pays ; celles des régimes très rigides a cru de 16%, 25 pays, à 24%, 45 pays, et du flottement de 23%, 36pays, à 42%, 77 pays. Bubula et Ötker-Robe (2002), s’appuyant sur les régimes de facto, soutiennent, à travers des analyses simples des tendances, les affirmations de Fischer et encore plus pour les pays qui sont complètement ou de plus en plus intégrés aux marchés financiers internationaux. L’analyse montre aussi que le déclin n’était pas de même ampleur pour les différents types de régimes intermédiaires. Ceci reflète plutôt des réalités fort différentes d’un pays à un autre, comme des tentatives d’éviter les coûts politiques des dévaluations ou le désir d’utiliser le taux de change comme une ancre à l’inflation. Il est vrai que beaucoup de pays émergents ont opté pendant la décennie passée pour des taux de change flexibles plus que pour des taux fixes, mais cela n’entraîne aucunement la validité de la théorie de disparition des régimes intermédiaires qui n’est pas unanimement acceptée. Williamson (1996) observe déjà que des pays, comme le Chili ou la Colombie, ont longtemps 62 - Nous avons vu cela avec plus de détails dans le chapitre 2, section 5, à propos de régime de change de facto. 280 réussi avec des régimes intermédiaires, comme un crawling peg ou tout autre système hybride. Eichengreen (2000b) ne conteste pas la capacité des pays à occuper cet espace intermédiaire aussi longtemps qu’ils continuent à limiter les mouvements de capitaux, même s’il y a des raisons de croire que le contrôle efficace des flux de capitaux deviendra de plus en plus difficile. Ces pressions sont évidentes dans la tendance à adopter des bandes glissantes de plus en plus larges. Frankel (1999) observe que le bilan de disparition de ces régimes est largement exagéré. Sur 185 pays classés par le FMI en fonction des régimes de change par degré de flexibilité, 47 sont dans la catégorie du flottement indépendant et 45 dans l’ancrage rigide, laissant 93 pays opérant selon une sorte de régime intermédiaire. Cette exagération de la flexibilité courante des taux de change revient à la classification officielle même du FMI, font remarquer Calvo et Reinhart (2002). Une panoplie d’études basées sur des régimes de change de facto confirme ce constat. En effet, beaucoup de régimes qualifiés de fixes ont recouru à des réalignements fréquents. D’autres, qualifiés de flexibles n’étaient que des régimes d’ancrage, rigides même. Levy-Yeyati et Sturznegger (2002) ont pris en compte ces problèmes et ont construit une classification de facto basée sur la volatilité des taux et des réserves de change. Le résultat confirme, pour les années 1990, la présence significative d’ancrages légers et du flottement pur et indique une représentation presque équilibrée de chaque catégorie, permettant de douter de l’évidence d’une solution extrême. Les régimes intermédiaires continuent à être une part importante des régimes en cours, bien qu’il y ait un soutien au manque de sortie du change fixe ferme (Masson 2001). Les régimes de change, comme d’autres aspects de la politique économique, ne sont pas choisis une fois pour toute. L’histoire nous montre que les pays changent fréquemment de régimes, volontairement ou non. Un régime particulier peut convenir aux besoins du pays à un temps donné : par exemple un ancrage peut être l’unique moyen pour stopper une hyperinflation mais en revanche, il peut être abandonné dans le cas d’une importante perte en termes de compétitivité. C’est typique d’une stabilisation basée sur le taux de change qui permet rarement des ancrages permanents. Le Brésil, par exemple, a réussi l’éradication de l’hyperinflation dans le milieu des années 1990 à travers le « plan réel » qui a impliqué un ancrage par rapport au dollar avec un très faible taux de glissement. Ce régime est remplacé depuis 1999 par un taux flexible accompagné d’un ciblage de l’inflation. Frankel, Schmukler et Serven (2001) soutiennent que la tendance dans les régimes de change des pays émergents dans les années 1990 était une bande autour d’une parité centrale, elle-même un panier avec glissement. L’étude récente de Reinhart et Rogoff (2004) confirme la large présence d’ancrages souples et du flottement pur et soutient que depuis les années 1980, plus de 50% du flottement de jure étaient des ancrages 281 de facto, de même que près de la moitié des ancrages de jure étaient des flottements. La vision bipolaire très répandue depuis la fin des années 1990 n’est pas vérifiée par le passé et ne constitue pas un scénario pour la décennie à venir, concluent Husain, Mody et Rogoff (2005). La disparition des régimes intermédiaires est, selon l’expression de Masson (2001), plutôt un désir de certains économistes qu’une théorie de régime de change. Section 4 Quel régime de change choisir ? L’étude, tant théorique qu’empirique, du choix du régime de change et l’expérience de plusieurs pays en la matière nous permettent de tirer certains enseignements qui s’avèreront nécessaires et éclairants pour tout pays, de même que l’évaluation des régimes en cours. 4.1 Evaluation des régimes en cours L’évaluation des différents régimes auxquels un pays membre du FMI peut souscrire officiellement consiste à étudier leurs modes de fonctionnement ainsi que leurs avantages et leurs inconvénients. Ces différents régimes peuvent être présentés selon une typologie plus large, comme celle que nous proposons ci-dessous et qui prend en compte la gestion de change de facto. Régimes de taux de change 1. Dollarisation totale Régimes de change rigides Sans monnaie propre 2. Union monétaire 3. Directoire de la monnaie (Currency Board) Fixe conventionnel 4. Monnaie Vis-à-vis de 5. Panier 6. Bande de fluctuation horizontale Régimes de change Intermédiaires Parité mobile 7. Vers l’avant (Crawling peg) 8. Vers l’arrière Bande mobile 9. Vers l’avant (Crawling band) 10. Vers l’arrière 11. Flottement étroitement géré Régimes de flottement 12. Autre flottement géré sans sentier prédéterminé 13. Flottement indépendant 282 En effet, un pays peut choisir entre tous ces régimes. Le régime sans monnaie propre, ou dollarisation totale, et le directoire de la monnaie constituent la première catégorie qui permet de réduire les coûts de transaction et le risque de change et maximiser la crédibilité. Dans le premier, le pays adopte la monnaie d’un autre pays et renonce aux recettes de seigneuriage de même qu’à sa capacité de faire office de prêteur de dernier ressort. Les autorités monétaires n’ont, en théorie, aucune place pour « surprendre » le public. C’est l’économie réelle qui absorbera entièrement les chocs externes défavorables. L’établissement d’un directoire permet d’éviter certains des problèmes que pose la dollarisation dont elle partage plusieurs attributs. Il implique de la part des autorités l’engagement ferme, souvent inscrit dans la loi, voire dans la constitution du pays, de fixer de façon définitive la parité entre la monnaie nationale et celle d’un autre pays. Afin d’assurer la crédibilité du régime, elles s’engagent aussi à faire dépendre la base monétaire des réserves en devises. La monnaie nationale continue d’être utilisée, de sorte que la banque centrale conserve ses recettes de seigneuriage. Mais en ne pouvant créer des liquidités suivant les besoins, les autorités monétaires auront du mal à venir à la rescousse des banques et marchés financiers nationaux en cas de pressions spéculatives. Leur seul recours sera de puiser dans leurs réserves de change ou d’accroître leurs emprunts en monnaie étrangère, avec le risque d’exposer davantage le système financier national. La perte d’autonomie monétaire peut représenter un coût négligeable lorsque les autorités ont abusé de leur indépendance dans le passé et sont déjà discréditées. Mais, il pourrait en résulter une forte hausse des coûts d’ajustement macroéconomique. Il est probable également que les fluctuations cycliques à court terme de l’économie dont la monnaie est importée soient fort dissemblables des mouvements observés dans l’économie nationale qui sera confrontée à des tensions structurelles différentes au fil du temps. Sans flottement pour atténuer ces tensions et compenser l’effet de certains chocs, le poids de l’ajustement retombera en grande partie sur les prix et les salaires, lesquels sont rarement suffisamment flexibles, du moins vers le bas, pour faciliter le processus d’ajustement. C’est ce qui s’est produit en Argentine, après qu’une série de chocs externes ait plongé le pays dans une récession à la fin des années 1990. Le marché du travail étant relativement rigide, le gros de l’ajustement s’est fait par le biais d’une déflation des prix, qui est un processus très lent et douloureux. L’ajustement s’étant finalement avéré trop lent, l’Argentine a dû renoncer à son directoire et laisser flotter sa monnaie. Il est plus facile de mettre fin à un directoire de la monnaie qu’à une dollarisation totale. Cela est toutefois à double tranchant et peut miner la crédibilité du régime, surtout au beau milieu d’une crise financière. 283 Pour les régimes intermédiaires, il y a quatre régimes : le rattachement fixe conventionnel, le rattachement glissant, la bande de fluctuation et la bande glissante. Le premier est incarné par le système de Bretton Woods. Le taux de change nominal est fixe, mais la banque centrale n’est pas obligée de maintenir la parité indéfiniment. Les ajustements de la parité sont un puissant instrument de politique économique et fournissent de la flexibilité au système. Mais les réalignements sous ce système ont été particulièrement importants et perturbateurs, introduisant incertitudes et pressions inflationnistes, plutôt que des événements souples et ordonnés. La plupart des PED l’ont adopté après l’effondrement de l’accord de Bretton Woods en 1973 et beaucoup continuent à y souscrire, de facto si ce n’est pas de jure. Dans le deuxième, les autorités monétaires font glisser le taux de change nominal par des mini dévaluations en fonction du différentiel d’inflation avec l’extérieur afin d’empêcher l’appréciation du taux de change réel. Le glissement est dit actif, ou pré-annoncé, quand le taux de dévaluation est annoncé à l’avance pour plusieurs mois. Le taux de glissement est généralement plus faible que l’écart entre l’inflation domestique, anticipée ou cible, et une estimation de l’inflation étrangère ; le taux de dévaluation est réduit progressivement, ce afin de guider les anticipations inflationnistes à la baisse. Le taux de change joue ici le rôle d’ancre nominale pour les anticipations, aussi une certaine appréciation réelle est-elle tolérée. Cette règle de gestion était très utilisée dans les plans de stabilisation dans les années 1970 par les PED à inflation élevée notamment en Amérique latine. Plus récemment ce régime a été adopté par la Pologne et la Hongrie. Le glissement est passif, ou adaptatif, quand l’ajustement du taux de change nominal correspond totalement au différentiel d’inflation passé. Cette règle est dite règle de PPA relative car elle vise à maintenir le taux de change réel constant. Le but est d’éviter que des niveaux d’inflation élevés ne provoquent une surévaluation réelle et une perte de compétitivité. Rendant l’inflation indolore, cette stratégie fait anticiper son maintien, ou même son accélération. Le glissement passif est une stratégie de gestion plus flexible que le glissement pré-annoncé puisque la banque centrale ne s’engage pas sur une trajectoire de dépréciation déterminée. Parfois, les autorités monétaires dévaluent le taux de change nominal plus que le différentiel d’inflation afin de déprécier le taux de change réel. Le troisième régime, Bande de fluctuation, est un système par lequel la parité centrale est glissante. La banque centrale définit un niveau cible du taux de change nominal et intervient pour contenir les fluctuations dans une marge autour de celui-ci. La gestion prend la forme de bandes horizontales et évite à des pays à haute inflation d’entreprendre des ajustements importants par étapes de la parité centrale. Le glissement peut être tourné vers l’arrière, basé 284 sur des différentiels d’inflation passés, ou vers l’avant, basé sur un taux d’inflation anticipé ou cible. Dans le premier cas, il y a le risque d’introduire une inertie inflationniste considérable et dans le second, en fixant une mauvaise cible d’inflation, de produire une surévaluation et provoquer des pressions spéculatives. Le quatrième régime, bande glissante, se caractérise par une absence totale d’engagement de la part des autorités pour maintenir la parité centrale indéfiniment. Au lieu de cela, il est clair qu’au départ la parité centrale sera ajustée périodiquement, par exemple en raison des considérations de compétitivité. Le système permet aux pays à inflation élevée d’adopter une bande sans devoir éprouver une appréciation réelle grave. Le fait que le moment et l’ampleur des ajustements de la parité centrale sont inconnus, introduit une incertitude considérable, qui mène souvent à une volatilité élevée des taux d’intérêt. Comme pour le système standard de bande, il est difficile de choisir la largeur appropriée. L’incertitude et la volatilité associées à ce système le rendent moins attrayant que d’autres régimes alternatifs, telle que la bande de fluctuation. Dans le Flottement libre, la valeur de la monnaie est librement déterminée sur le marché. Les variations courantes et anticipées dans la demande ou l’offre des actifs et des biens sont reflétées dans celles du taux de change. Elles appuient l’ajustement aux chocs intérieurs et extérieurs. Un niveau élevé de réserves n’est pas nécessaire. La flexibilité est le principal avantage du flottement. L’absence d’engagement sur le taux de change procure une indépendance totale à la politique monétaire, garantissant à l’économie la flexibilité nécessaire pour s’accommoder aux chocs. Le flottement permet aussi d’élargir les gains du commerce, de réduire la prime de risque dans les taux d’intérêt, d’étendre les prêts en devises ; de permettre la flexibilité dans les salaires et les prix. Cependant, l’économie se trouve sans point d’ancrage nominal, la place pour des biais de discrétion et d’inflation peut être grande. Le manque de crédibilité pousse les agents économiques à anticiper des politiques inflationnistes. De plus, le flottement risque de se traduire par une forte volatilité du taux de change nominal préjudiciable aux échanges extérieurs et à la stabilité macroéconomique. Cependant, même si un pays pouvait être mieux servi dans le long terme en adoptant un régime de change flottant, le moment de la transition d’un ancrage peut avoir des conséquences économiques sérieuses. Construire des institutions monétaires crédibles est une tâche difficile. Pratiquement aucun pays n’a un flottement pur, très peu s’en approchent. 285 L’évaluation des régimes de change en cours ne peut être intéressante que si le choix d’un régime de change est connecté aux objectifs des autorités monétaires. Cette relation se manifeste davantage dans le cas des régimes de change gérés. En fait, gérer le taux de change consiste à arbitrer entre des objectifs, comme inflation et compétitivité. Le lissage des variations des taux de change, qui consiste à contrer leurs mouvements erratiques sans altérer la tendance déterminée par le marché, est l’objectif le plus fréquemment avancé par les banques centrales pour décrire leur politique de change. Pour un objectif du compte courant, certaines banques centrales sont amenées à gérer activement leurs taux de change, soit pour empêcher que les désajustements du taux de change réel ne soient à l’origine de déséquilibres courants prolongés ; soit pour corriger ceux résultants de chocs exogènes. Une gestion rigide qui privilégie systématiquement un objectif au détriment de l’autre peut s’avérer coûteuse à terme. Privilégier l’objectif d’inflation en maintenant un rythme de glissement faible ou une marge de fluctuation étroite, se traduit par une appréciation réelle en cas de lenteur du rythme de baisse de l’inflation. Le résultat est un large déficit courant financé par des entrées massives de capitaux. Afin de s’assurer un financement continu du déficit courant, les autorités adoptent généralement des politiques de taux d’intérêt élevés. Le résultat est une appréciation réelle plus forte et des déficits plus larges. Dès que le marché commence à s’interroger sur la soutenabilité du déficit courant, la perte de confiance se généralise et débouche sur une crise. Les crises mexicaine (1994) et brésilienne (1998) sont des exemples du coût de l’acharnement à réduire l’inflation et à ignorer la surévaluation de la parité, qui peut se maintenir longtemps sans crise grâce à la disponibilité des flux de capitaux et des réserves, la correction se fait subitement. En sens inverse, l’expérience de la Colombie illustre les dangers d’une gestion qui privilégie l’objectif de compétitivité en dépit d’une inflation forte. La gestion du taux de change réel par un glissement passif peut entretenir une inflation élevée. En effet, l’indexation du taux de change nominal à l’inflation risque de perpétuer cette dernière et de déclencher une spirale de dépréciation et d’inflation. Une inflation élevée finit par sembler insoutenable aux investisseurs internationaux. Toutefois, ceci peut être évité si la gestion est accompagnée de politiques macroéconomiques adéquates. Une gestion flexible, alternant les deux objectifs d’inflation et de compétitivité en fonction des circonstances permet de résoudre ce conflit sans risquer une surévaluation ou une inflation chronique. Les pays qui ont réussi à maintenir ces régimes sans crise sont ceux qui ont conduit une gestion flexible en jouant sur le taux de glissement et en modifiant la parité centrale quand c’est nécessaire. 286 4.2 Régime de change optimal : Un consensus bien fragile Le premier des enseignements est que cette question du choix du régime de change n’a pas de réponse définitive. D’abord, il n’existe pas de régime de change unique qui soit meilleur et applicable à tout les pays. De même pour un pays donné, aucun régime de change n’est meilleur tout le temps (Frankel 1999, Bordo 200363). Ensuite, il n’y a pas d’évolution linéaire dans les régimes de change ne laissant le choix que pour des solutions extrêmes (Bordo 2003 ; Husain, Mody et Rogoff 2005). A y regarder de plus près, la situation n’est pourtant pas aussi tranchée. Aucun modèle théorique permettant le choix au sein d’une palette complète de régimes de change n’admet comme seules solutions optimales le change fixe institutionnalisé ou le flottement libre. Un régime considéré incompatible et dépassé pour l’époque pourrait le devenir et les différentes formes de régimes ne sont pas exclusives. Von Hagen et Zhoo (2002) soutiennent que les considérations traditionnelles de type zone monétaire optimale offrent un moyen pour choisir le régime de change dans les pays en transition, de même qu’un rapport de l’« Asian Development Bank Institute » (ADB 2000) soutient l’adoption par les économies asiatiques d’un régime intermédiaire censé réduire les effets négatifs des deux autres extrêmes. Un rapport du FMI (2000) a même établi que les régimes intermédiaires demeurent viables et appropriés dans beaucoup de cas. Enfin, se dégage un manque de consensus sur ce qui constitue le meilleur régime et la controverse y demeure considérable (Agbola et Kunanopparat 2003). Il est toutefois admis que le régime optimal dépend en général des caractéristiques structurelles de l’économie, de la nature et sources de chocs, de l’ampleur de l’ouverture et de la libéralisation économique et financière et des préférences des décideurs politiques, comme nous l’avons vu précédemment. Il arrive même, selon Edwards (1996b), que du fait de leurs préférences politiques, deux économies aux mêmes caractéristiques structurelles choisissent deux régimes différents. Des bonnes politiques monétaire et budgétaire demeurent nécessaires au bon fonctionnement de tout régime et l’optimalité ne peut y être jugée indépendamment. Elle devient même secondaire devant le besoin d’un programme de stabilisation ou d’une réforme monétaire afin d’éviter qu’un régime manquant de crédibilité ne se dégénère dans une situation d’accélération de l’inflation. Le deuxième enseignement, qui est aussi une conséquence du premier, concerne les déterminants du régime de change. Bien qu’elle soit large, la littérature empirique demeure 63 - Voir Bordo (2003), pour une approche historique du choix de régime de change. 287 néanmoins non conclusive et n’offre que très peu d’éclairage. Les estimations de Juhn et Mauro (2002), des régressions transversales utilisant des Probits bivariés et des Logits multinomiaux et cinq classifications64, confirment que ni les variables identifiées par les anciennes théories, y compris la théorie de la ZMO, ni d’autres variables économiques et politiques identifiées par les nouvelles théories, y compris l’hypothèse de solution en coin, ne sont des indicateurs robustes du choix du régime de change. Une variable qui semble avoir une certaine relation au choix du régime de change, la taille de l’économie par exemple, peut être associée positivement aux régimes flexibles ou flottement pur et négativement aux ancrages ou changes rigides. Mais même dans ce cas la relation n’est pas totalement robuste. Ces résultats négatifs n’impliquent pas nécessairement qu’il soit impossible d’indiquer comment un pays donné a pu choisir son régime de change, ni que ce choix était imprudent. Ce sont plutôt des circonstances particulières qui ont pu mener les autorités à choisir un nouveau régime et à le maintenir indépendamment de son optimalité. Les coûts de modification du régime de change pourraient en dépasser les bénéfices de son maintien. De nombreuses études plus ou moins anciennes et d’autres très récentes ont avancé des raisons théoriques à des relations entre variables économiques et régimes de change. Agbola et Kunanopparat (2003) en sélectionnent cinq. Un large déficit budgétaire rapporté au PIB, une finance publique non soutenable et des réserves en devises, sont pris en compte pour approcher le risque de crises monétaires. Le PIB par tête, Proxy du niveau de développement économique, est utilisé pour capter les fondamentaux économiques alors que la monnaie est considérée comme Proxy d’un choc monétaire. La variable, différentiel d’inflation, est utilisée pour approximer la stabilisation macroéconomique. Les différentes études montrent que ces variables sont liées directement ou indirectement à l’un ou l’autre des régimes de change, mais le lien peut aussi être controversé. Rajan (2001), par exemple, reconnaît qu’aucun régime de change n’engendrerait de la stabilité si les conditions macroéconomiques intérieures sont mauvaises : large déficit budgétaire, croissance rapide de la monnaie, inflation. Les réserves en devises influencent le choix d’un régime de change. Un pays avec des réserves élevées opte probablement pour un régime de change fixe puisqu’elles lui offrent la capacité de le défendre. Cependant, l’effet des réserves demeure controversé. Les résultats empiriques d’Edwards (1996b) et de Poirson (2001) montrent que les réserves accroissent suffisamment la vraisemblance d’adoption d’un régime de change fixe. L’étude de Meese et 64 - Trois sont issues du FMI dont deux en 1990, avec une version révisée selon la nouvelle vision intégrant les régimes de facto, et une en 2000. Les deux autres sont celles de Levy-Yeyati et Sturzenegger en 1990 et 1999. 288 Rose (1998) trouve aussi un effet indirect négatif, alors que celles de Rizzo (1998) et de Berger, Sturm et Haan (2000) soutiennent le contraire : les réserves sont directement liées à la flexibilité. Cela laisse penser que l’effet de réserves sur le choix du régime de change est ambigu. Les pays qui changent fréquemment de parité ne récolteront probablement pas entièrement les bénéfices anti-inflationnistes d’un régime de change fixe ou d’ancrage (Poirson 2001). Dans le cas où le coût politique d’une dévaluation est élevé et la réduction de l’inflation n’est pas un objectif pressant pour le gouvernement, on devrait s’attendre à une relation négative entre le change flexible et le différentiel d’inflation. Il faut aussi noter que les récentes préoccupations et analyses du choix de régime de change ont fait apparaître ou pris en considération d’autres facteurs déterminants. Pour Alesina et Barro (2002), un pays qui commerce beaucoup et a une économie très intégrée avec un grand partenaire est susceptible d’ancrer sa monnaie ou même d’adopter celle de ce dernier. Ils proposent ainsi aux pays ayant des difficultés dans la mise et le maintien d’un engagement à une stabilité monétaire de considérer les cas d’ancrage ou d’union monétaire. Alesina, Barro et Tenreyro (2002) discutent les implications empiriques de cette analyse pour la formation de zones monétaires communes liées à quelques ancres majeures. La dénomination de la dette du pays était aussi un autre élément de préoccupation. Des dettes libellées en devises s’apprécient en monnaie nationale dans le cas où cette dernière se déprécie. Cela crée une incitation à détenir des actifs en monnaie nationale. Cespedes, Chang et Velasco (2004) discutent en détail la relation entre ces effets de bilans et les régimes de change. Alesina et Wagner (2003) observent qu’empiriquement les pays qui ancrent n’ont pas d’institutions nationales capables de garantir la stabilité et qu’ils ne peuvent pas maintenir des conditions compatibles avec les ancrages. Rompre un ancrage est moins coûteux politiquement et économiquement pour un pays que de rétablir sa propre monnaie après avoir joint une zone monétaire commune, quitter un ancrage est plus commun que quitter une union monétaire. L’analyse de Husain, Mody et Rogoff (2005) soutient qu’en général, tenant compte de la zone euro, la flexibilité de change croît avec la maturité de l’économie. Pour les pays qui sont à une étape relativement moins avancée du développement et d’intégration financière, les régimes de change fixe ou relativement rigides offriraient un certain gain de crédibilité antiinflationniste sans compromettre les objectifs de croissance. Mais Plus les pays se développent économiquement et institutionnellement, plus les bénéfices de la flexibilité seront considérables. Calvo et Mishkin (2003) suggèrent même que l’attention doit plutôt se porter sur l’approfondissement institutionnel que sur le fait de flotter ou fixer le taux de change. 289 Section 5 5.1 Un choix ouvert du régime de change Un choix éclectique Les références à un régime de change optimal sont certes nombreuses, mais l’évaluation des différents régimes en cours dans les PED indique que cette diversité reflète bien plus une hétérogénéité des conditions économiques prévalant dans chacun des pays qu’une multiplicité de théories de change. Elle reflète surtout l’attente de meilleures performances économiques en adoptant un régime particulier. Le choix du régime de change demeure très controversé. Ni la littérature théorique ni empirique n’étaient capables de les classer en termes d’efficacité ou de conclure qu’un régime est supérieur à un autre. Eichengreen, Masson et al. (1998) ont établi un court guide pratique, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas d’accord sur la façon de quantifier précisément les divers critères, ni dans quelles mesures ils sont conflictuels, ni sur lesquels doit porter la priorité. Ils ont établi un tableau qui résume les implications pour les régimes de change d’un grand nombre de critères qui étaient discutés dans la littérature en la matière. Bien qu’elle ne soit pas exhaustive, l’ensemble des régimes traités s’étend du parfaitement flexible à parfaitement fixe en passant par d’autres intermédiaires de flexibilité gérée. Prenons l’inflation, par exemple : un niveau élevé serait probablement compatible uniquement avec des taux de change flexibles ou un crawling peg, alors qu’un faible niveau permettrait le choix d’un tout autre régime. En outre, certains critères discutés se réfèrent aux caractéristiques de l’économie, ce qui les rend, dans une certaine mesure, endogènes. Par exemple, un taux fixé d’une manière crédible peut mener à une rupture structurelle avec une inflation inertielle, alors que l’ampleur du commerce et des autres liens avec les pays partenaires peut aussi s’adapter pour joindre des régimes de change. Par conséquent, les pays qui ne semblent pas initialement candidats pour un régime de change fixe pourraient après un temps en avoir un nombre très élevé de critères pertinents. Le nombre grandissant de régimes de change en cours et la multitude et la complexité de critères rendent le choix de plus en plus difficile. Cela n’empêche pas certains économistes de trancher. Williamson (1998), par exemple, soutient qu’en général le flottement est indésirable, à cause de l’extrême faiblesse du mécanisme économique qui tient le taux de change tout près d’un niveau compatible avec les fondamentaux. Parmi les alternatifs, le change fixe peut occasionnellement prendre sens quand plusieurs conditions sont satisfaites. C’est notamment le cas d’une petite économie ouverte qui réalise l’essentiel de son commerce avec le 290 partenaire dont la monnaie servira d’ancre et qui souhaite poursuivre une politique macroéconomique en vue d’un taux d’inflation compatible avec ce même partenaire. Les conditions établies par Williamson (1991) pour l’adoption d’un régime de change fixe réussi semble parfaitement plausible, bien que Edwards (1996a) remarque qu’elles laissent sans réponses un bon nombre de questions. En particulier, l’analyse est silencieuse sur la manière avec laquelle l’adoption des taux de change fixes fournit, par elle-même, une contrainte institutionnelle à la politique budgétaire. Toujours est-il que dans les conditions actuelles de forte mobilité du capital, le choix le plus prudent serait, pour Williamson (1998), dans la plupart des cas un système de flexibilité limitée, sous forme d’une bande plus ou moins large, défendue par les moyens traditionnels quand le taux franchit les bornes, ou une autre qui a les mêmes propriétés mais qui est glissante, l’ajustement s’y faisant par paliers selon l’évolution des fondamentaux. Le rejet du flottement est basé sur l’évidence que les marchés des actifs en général et le marché de change en particulier sont guidés par un comportement moutonnier plutôt que par des anticipations rationnelles. Les recommandations de Williamson semblent largement constatées et partagées. Dornbusch (1994) analyse les deux régimes comme faisant partie d’un seul, celui d’un glissement des taux. C’est un régime intermédiaire entre les taux fixes et les taux flottants. Dans un tel régime, la monnaie est très fréquemment dévaluée, à intervalles réguliers et dans des proportions relativement faibles pour ne pas inciter à la spéculation. Il représente un moyen de lutte contre une inflation lente à réduire et qui affecte sérieusement la compétitivité. Examinant l’expérience hongroise de 1995 à 1997, Jakab et Szapary (1998) argumentent contre un ancrage prématuré du taux de change dans les économies en transition et suggèrent qu’un système de bande glissante peut bien servir les doubles objectifs de maintenir la compétitivité et modérer l’inflation avec le soutien des politiques budgétaires et structurelles appropriées. Le taux de change peut être utilisé plus activement pour la désinflation si une politique de salaire acceptable peut être négociée, mais cela est difficile à accomplir dans la phase initiale de transition quand la crédibilité de la politique est faible. Cependant, comme le remarquent Brada et Drabek (1998), l’expérience de glissement du taux n’est pas dénuée de problèmes. Il peut ne pas atteindre un niveau de flexibilité tel qu’il pourrait éliminer les problèmes des taux fixes dans un environnement inflationniste. Selon Obstfeld (1984), il n’était pas efficace dans les cas de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay. Il a produit des déséquilibres des comptes courants considérables et insoutenables et une appréciation réelle. La sélection des paniers de monnaies constitue aussi un autre problème, elle introduit un élément d’arbitraire dans le processus de fixation du niveau du taux de change. Mais même si le glissement des taux n’arrive pas à briser l’inflation 291 et au contraire la consolide, ce sont la politique des revenus ou la politique monétaire ou les deux à la fois qu’il faut utiliser pour réduire l’inflation, il demeure pour Dornbusch (1994) le meilleur moyen. D’une part, si les taux fixes sont un problème pour une économie inflationniste, une flexibilité totale ne sera pas la bonne solution. En effet, avec la flexibilité totale, la première préoccupation est celle de l’absence d’une ancre nominale. La politique monétaire est une ancre potentielle, mais dans une économie ayant des structures financières peu développées, la demande de monnaie est inconnue et l’offre ne peut être parfaitement contrôlée. Le résultat est que le taux de change fluctuera largement. D’autre part, le glissement est probablement la bonne réponse quand on considère la compétitivité comme la plus importante fonction qu’on doit assigner au taux de change, au-dessus de la stabilité financière et d’autant plus dans les PED que dans les pays industrialisés. Ce qui précède nous laisse penser que le choix d’un régime de change ne peut être quelque chose d’uniforme qui s’applique à tous les pays et de la même façon. Les différentes approches se sont révélées à la fois non exclusives et non complètes. De même, les critères n’ont pas la même significativité ni au niveau des pays ni au niveaux des différents régimes à adopter. Le choix du meilleur régime va au-delà des caractéristiques purement techniques. L’essence du choix d’un régime particulier est liée aux préférences naturelles qu’il reflète (Guitian 1994). Le choix tourne donc autour de deux questions principales : la relation de l’économie au système international et le degré d’activisme accordé aux politiques intérieures. Il est alors impossible d’offrir un modèle unique de gestion de change. Au contraire, chaque pays se doit se servir d’un modèle spécifique dépendant du degré d’ouverture commerciale aussi bien que d’autres facteurs : flux de capitaux ; crédibilité des institutions monétaires ; sophistication, liquidité et supervision des marchés financiers nationaux ; niveaux du développement ; intégration régionale où avec un grand pays ; etc. L’évolution du régime de change doit être cohérente dans le temps. Être clair sur les objectifs de long terme peut aussi aider à gérer les crises de change. Des régimes de change rigides n’apportent aucune dynamique et rendent plus difficile l’évolution du régime de change. Bref, le choix du régime de change dans le cadre d’un PED ne peut qu’être éclectique et pragmatique. 292 5.2 Un choix pragmatique L’analyse jusqu’ici menée concernant la question du régime de change plaide pour un choix pragmatique qui se fait en dehors des solutions extrêmes. Le régime de change optimal n’est ni un taux fixe, ni un taux flottant librement, mais plutôt une règle monétaire de flottement géré, où l’offre de monnaie réagit au taux de change, au taux d’intérêt et à d’autres indicateurs que suggère l’information à propos des chocs frappant l’économie, concluent Genberg (1989) et McKinnon (1996). La règle monétaire optimale dépend, cependant, très fortement de la nature des chocs et de la structure de l’économie. La question ne se pose donc pas en termes de fixe-flexible mais plutôt en termes de niveaux et de gestion de la flexibilité, comme le remarquent Chang et Velasco (2000a), une conclusion obtenue après l’étude de certains éléments clés relatifs au choix du régime de change entre fixe et flexible : crédibilité, insularité et flottement, fragilité financière. Ils ont aussi exploré les questions de dollarisation des engagements, de ruées bancaires, de dévaluation, de taux de change comme stratégie à la politique monétaire. Le choix du régime de change pour un PED devient complexe et difficile à effectuer (Cooper 1999a)65. Il devient plutôt une question de gestion, d’administration, de la flexibilité dans laquelle un minimum de pragmatisme s’avère nécessaire. Car il n’est pas du tout évident de pouvoir concilier des objectifs aussi différents que maintenir la compétitivité, libérer la politique monétaire, s’intégrer au marché international de capitaux, suivre une désinflation graduelle, stabiliser le taux de change réel, réaliser des performances économiques, etc. Pragmatisme et éclectisme veulent ainsi dire penser le choix du régime de change au-delà des critères communément avancés et en considérer d’autres éléments, en modulant l’analyse selon la réalité du pays. Dornbusch (1994) en évoque trois. Le premier concerne le degré de convertibilité. S’agit-il d’un contrôle de change strict, d’une convertibilité du compte courant ou d’une convertibilité totale ? Le deuxième est relatif à la relation entre la banque centrale et le marché des devises. Le troisième concerne la relation entre le régime commercial et le régime de change qui doivent être considérés ensemble. Un régime commercial libéral, ou de contrôle, peut voir ses effets positifs annulés par le régime de change. Des taxes sur certaines importations ou des taux de change spécifiques peuvent avoir les mêmes effets au niveau de la protection effective. Pour réussir le passage à la convertibilité totale d’une monnaie aux fins de faciliter les mouvements de capitaux, il faut 65 - Pour ne citer que Cooper, Edwards, Bergsten, Cline, Eichengreen et Calvo et Reinhart, voir le débat qui a fait l’objet de la conférence de la Federal Reserve Bank of Boston, n°43, juin 1999 : « Rethinking the international monetary system », et de celle du FMI, 28-29 Mai 1999, dont les contributions sont disponibles, respectivement, sur http://www.bos.frb.org/economic/conf/conf43 et http://www.imf.org/external/pubs/nft/seminar/2001/reform/. 293 non seulement abolir prudemment les contrôles en vigueur en s’appuyant sur des données macroéconomiques fondamentales saines et un secteur bancaire solide, mais aussi mener une politique de change suffisamment flexible. Les marchés des changes des PED étant souvent très étroits par rapport au volume atteint par les entrées de capitaux, toute modification durable de ces flux pourrait avoir un impact considérable sur la demande nette de devises. Si on ne laisse pas les fluctuations de change absorber ces modifications, les déséquilibres qui se creuseront risqueront d’aboutir à une crise monétaire qui aura des conséquences négatives sur le secteur financier et sur le reste de l’économie. L’adoption de régimes plus flexibles par un nombre croissant de PED vient en partie du constat qu’une plus grande souplesse faciliterait la transition vers la convertibilité des monnaies au bénéfice des mouvements de capitaux. S’il est indéniable que la flexibilité puisse jouer un rôle, c’est l’adoption des politiques budgétaire et monétaire appropriées et transparentes qui préserverait en fin de compte la stabilité macroéconomique, quel que soit le régime. Il reste donc à étudier ce qu’il faut pour qu’un régime flexible soit opérationnellement réussi. Les PED peuvent s’y préparer autant que le progrès de leurs institutions leur permet de le faire. La « peur du flottement » (Calvo et Reinhart 2002) peut être surmontée par un investissement dans l’apprentissage du flottement (Husain, Mody et Rogoff 2005). Ainsi, bien que l’histoire puisse mener les pays à adopter des régimes particuliers, ils peuvent améliorer leur performance en apprenant à mieux les gérer. Pour Bordo (2003), le flottement d’aujourd’hui est produit de la maturité financière et du développement des structures et des contraintes technologiques qui permettent aux décideurs politiques d’avoir une monnaie stable et une probité fiscale, sans adhérer à une ancre nominale externe. Duttagupta, Fernandez et Karacadag (2004) identifient les acquis institutionnels et opérationnels nécessaires pour des transitions vers des régimes flottants. En particulier, ils explorent les questions clés sous-jacentes à la transition, y compris : développer un marché de change solide et liquide, formuler des politiques d’intervention compatibles avec le nouveau régime, établir une ancre nominale alternative dans le contexte d’un nouveau modèle de politique de change, et renforcer la capacité des participants au marché à gérer les risques de change. Les auteurs évaluent aussi les facteurs qui influencent la démarche de sortie et le séquençage approprié de la flexibilité du change et la libéralisation du compte capital. Le renforcement de l’efficience et de la liquidité du marché de change s’articule autour de la minimisation des obstacles et de la transparence au niveau de la formation des prix. A cette fin, les autorités peuvent engager une ou plusieurs des étapes suivantes : libéraliser les contrôles de change qui 294 contraignent l’activité du marché, y accroître l’information et y rationaliser la législation. Plus encore, une certaine flexibilité, par exemple à l’intérieur d’une bande autour d’une parité, aiderait peut-être à stabiliser et développer davantage le marché. Cette tâche devient particulièrement difficile quand le taux de change flotte sous contrainte et sans préparation. Dans ces circonstances, la priorité devrait être accordée à un renoncement graduel du rôle de la banque centrale sur le marché de change, permettant ainsi une volatilité raisonnable signaler un engagement au flottement, et maintenir une surveillance des transactions sur le marché afin de détecter et contenir une activité spéculative excessive. Concernant l’intervention de change, elle devrait signaler d’une manière crédible l’engagement au taux de change déterminé par le marché. Ainsi, les banques centrales doivent être sélectives dans leurs interventions et parcimonieuses dans leurs utilisations de réserves de change. La transparence dans les politiques d’intervention, y compris un engagement public à un taux de change déterminé par le marché et des révélations des opérations d’intervention, aide aussi à construire la confiance du marché. L’intervention basée sur des règles peut être utile quand le taux de change n’est pas sous pression significative. Aussi, quitter un ancrage crée le besoin d’une nouvelle ancre nominale et d’une nouvelle politique monétaire, les deux impliquant un long processus. Les préparations pour une ancre nominale alternative tel qu’un ciblage de l’inflation, par exemple des réformes améliorant la transparence de la politique monétaire et la communication avec le public, peuvent être faites sous le fixe. Si les autorités adoptent une cible inflation sous le régime de bande, il est important de signaler sa priorité sur tout autre objectif de taux de change. Contenir les expositions au risque de change dans tous les secteurs de l’économie est critique pour une transition réussie à un régime flexible. Même si les expositions sont faibles, les participants au marché ont besoin de développer la capacité de gérer et mesurer les risques associés aux mouvements journaliers du taux de change, ce qui exige des efforts dans l’établissement des systèmes d’information et des techniques analytiques, d’une supervision et d’une régulation prudentielle. La démarche de sortie dépend de l’état du développement des piliers opérationnels nécessaires pour gérer un système flexible. Une approche à une étape, basée sur une performance macroéconomique et une politique monétaire prudente, peut signaler avec crédibilité le mouvement vers un taux flexible. En l’absence d’un modèle institutionnel, cette stratégie augmente le risque d’une volatilité de change excessive et ses effets potentiellement négatifs sur la confiance du marché et les anticipations inflationnistes. Inversement, le gradualisme accorde le temps pour soutenir et rendre opérationnel le flottement. Cependant, 295 accorder trop peu de flexibilité sans corriger les désajustements de change potentiels peut causer un mouvement qui force les autorités à gérer de facto l’ancrage. La flexibilité doit précéder la libéralisation totale du compte capital. Un taux de change flexible peut modérer les effets réels des flux financiers potentiellement volatiles et décourager les flux spéculatifs en créant une perception du risque monétaire. Même quand la flexibilité du change précède, la libéralisation du compte capital a des implications macroéconomiques risquées. Une asymétrie forte dans l’ouverture du compte capital peut introduire un biais à la hausse, ou à la baisse, du taux de change relativement à son niveau de long terme. Ainsi, le mouvement vers la flexibilité doit être soutenu par une réduction graduelle de l’asymétrie dans l’ouverture du compte capital pour faciliter une correction ordonnée de tout désajustement potentiel du taux de change. L’expérience chilienne a montré que le contrôle des capitaux peut être efficace si elle fait partie d’une stratégie suffisamment large de régulation, d’un processus de libéralisation graduelle du compte capital et d’un séquençage des réformes. Le contrôle des capitaux et les mesures de régulation doivent apparaître moins contraignants et plus « marketfriendly », une supervision financière et des normes comptables transparentes sont aussi nécessaires. Faute de quoi, des marchés de capitaux ouverts mèneront probablement à un désastre économique et financier. Finalement, même avant la sortie du fixe, les décideurs peuvent et doivent commencer à poser le fondement pour le fonctionnement d’un régime de change flexible, un ciblage de l’inflation, particulièrement, prend beaucoup de temps pour se développer entièrement. Il faut peut être commencer par une flexibilité limitée pour faciliter une transition lisse et souple vers un niveau plus élevé et si un ajustement du taux de change s’avère nécessaire, il doit être exécuté rapidement et tout ajournement, évité. En terminant, il convient de souligner qu’aucun régime de change n’est optimal pour tous les pays ni à toutes les époques, pas plus qu’il ne saurait suppléer à l’absence de bonnes politiques économiques et de solides institutions. Le régime de change est un élément constitutif d’un régime monétaire cohérent, lui-même partie intégrante d’un cadre macroéconomique sain. 296 Chapitre 8 détermination d’un régime de change optimal Traiter la question du choix du régime de change après toute une partie consacrée à la recherche d’un taux de change d’équilibre, nous semble s’inscrire dans une double logique. En un sens, cela justifie la primauté de la politique sur le régime et en un autre, c’est de l’ordre de « contenant et contenu ». En effet, le régime de change présente un cadre, ou contenant, qui aide à réaliser et dans lequel s’effectue une politique de change qui se manifeste à travers le rôle conféré au taux de change réel, c’est le contenu. Séparer l’étude du taux d’équilibre de celle du régime de change semble ainsi être dénué de sens. Le choix du régime de change est hautement pragmatique et n’est pas quelque chose de prédéterminé qui relie tel régime à tel phénomène, par exemple le change fixe à l’inflation. Le pragmatisme réside dans la recherche d’un régime qui minimise le désajustement du taux de change réel par rapport au niveau d’équilibre, sans exclure la possibilité d’un grand écart si besoin est pour assurer un objectif de politique économique. Le désajustement du taux de change réel n’est pas toujours quelque chose de mauvais pour cela. Le pragmatisme dans le choix du régime de change, ici préconisé, exige quatre étapes. D’abord, nous prendrons en considération l’évolution de l’environnement financier international et le débat sur la nouvelle architecture financière, objet de la première section. Ensuite, dans une deuxième section, nous essayerons à travers l’expérience d’un pays de déduire ce qui pourrait constituer un régime de change de facto. Puis, dans la troisième section, nous arrêterons le régime de change souhaitable et nous en déterminerons les modalités du fonctionnement. Enfin, comme il nous paraît que la désignation d’un régime de change n’est pas suffisante en soi, nous prendrons en considération, dans la quatrième et dernière section, un ensemble d’éléments qui peuvent être nécessaires au suivi d’un régime de change, qui n’est pas définitif de surcroît. Section 1 Débat sur la nouvelle architecture du SMI Le choix d’un régime de change, en particulier aujourd’hui, ne peut se faire en déconnexion de ce qui se passe à l’échelle internationale et de l’évolution du système monétaire international (SMI). Quel en est le constat ? Où en est le débat ? Et quelle est la place y accordée aux PED ? 297 1.1 Le constat Nous avons pu constater lors des deux premiers chapitres le changement considérable qu’a connu le SMI, particulièrement depuis les années 1990. Le découplage entre la sphère réelle et la sphère monétaire avec l’apparition de puissants acteurs financiers privés dont les capacités financières dépassent celles des banques centrales, l’essor économique des pays émergents et surtout les crises financières qui ont frappé certains d’entre eux et le rôle que joue l’euro, depuis sa création, comme monnaie clé et pendant au dollar américain sont trois bouleversements au moins qui ont permis la modification de l’architecture monétaire et financière internationale. Ils ne font que renforcer les limites des instruments habituels dont disposent les autorités monétaires pour mener une politique de change. Les taux d’intérêt, dont le maniement a un impact direct sur le taux de change, en influençant la structure des portefeuilles privés, sont également fixés en fonction d’objectifs internes, surtout dans les pays industrialisés, ce qui limite leur utilisation. L’intervention de la banque centrale sur le marché de change a un impact toutefois réduit, surtout depuis la libéralisation financière des années 1980, car les banques centrales ne disposent que des moyens relativement modestes face à des attaques spéculatives massives. Le contrôle de capitaux constituait un fondement du système de Breton Woods et a joué un rôle non négligeable jusqu’au milieu des années 1980. Il semble encore plus aisé dans les PED. Le système de réserves non rémunérées mis en place par la Banque centrale chilienne entre 1991 et 1998 et le contrôle, quoique délicat et temporaire, des sorties de capitaux en Malaisie en 1998 en sont des exemples. Ce constat ne serait complet sans la prise en compte du mouvement des régimes de change. La lecture qui en est faite demeure cruciale pour envisager une nouvelle architecture du SMI. Du point de vue de la tendance, sa configuration a complètement changé. Sur les trois décennies passées, les régimes de change semblent muer régulièrement vers la flexibilité, certains évoquent des solutions en coin. Cependant, dans les deux premiers chapitres, les faits mettent en évidence que rien ne laisse envisager qu’un jour les pays suivront un régime de change fixe ou un autre purement flottant. Frankel, Schmukler et Serven (2001) soutiennent que la tendance dans les années 1990 au niveau des pays émergents était une bande autour d’une parité-panier avec glissement. De leur côté, Bénassy-Quéré et Coeuré (2000), explorant la dimension régionale de la nouvelle architecture financière internationale, montrent aussi une vision du SMI très différente de celle plus souvent décrite. Ils n’observent pas de 298 mouvement vers davantage de flottement au détriment des ancrages sur le dollar. Un résultat qui est cohérent avec ceux de Masson (2001) et Husain, Mody et Rogoff (2005), ne soutenant pas la vision de bipolarité des régimes. Ceux intermédiaires ont montré au contraire une stabilité remarquable. Selon la classification officielle de régimes de facto du FMI (2003), une majorité de pays membres maintiennent encore des régimes de change fixes. Les régimes intermédiaires et fixes semblent offrir aux PED une plus faible inflation, à un coût apparemment faible en termes de perte de croissance ou de volatilité plus élevée. Ainsi, n’estil pas surprenant que peu de PED recourent vraiment au flottement, ce qui est compatible avec l’hypothèse de la « peur du flottement » de Calvo et Reinhart (2002). En particulier, la vision selon laquelle les régimes intermédiaires sont dangereux est démentie par leur persistance, alors que leur performance n’est pas dominée par les deux régimes extrêmes. Il est ainsi clair que le SMI n’évolue ni vers un système de flottement généralisé ni vers un système bipolaire organisé en deux blocs monétaires de tailles équivalentes. Selon Duttagupta, Fernandez et Karacadag (2004), les transitions vers le change flexible du 1990 à 2002 étaient marquées par le désordre et que même dans le cas où ils étaient ordonnés, la démarche était graduelle. 1.2 Vers une nouvelle architecture du SMI Le constat ci-dessus brossé et la lenteur qui caractérise la transformation du SMI par rapport aux événements qui l’ont marqué ne font que renouveler le débat66 sur le renforcement ou la réforme de l’architecture du système financier international, voire une nouvelle architecture. Essayant de résoudre ce qu’il appelle « connundrum » ou l’énigme de la monnaie, Eichengreen (2000b) fait remarquer que ce débat est, depuis 1997-1998, davantage focalisé sur les crises financières, la réaction du FMI et la nécessité d’impliquer le secteur privé dans la résolution de la crise, mais presque rien sur le taux de change. C’est une chose qui est venue intensément et plus tard. Il en déduit une architecture financière autour de trois unions monétaires régionales : En Europe, l’Euro constituerait la base à une zone élargie de 66 - Des conférences étaient organisées à ce sujet, notamment celles du FMI, 28-29 Mai 1999, Washington : http://www.imf.org/external/pubs/nft/seminar/2001/reform/ et de la Federal Reserve Bank of Boston, n°43, juin 1999 : « Rethinking the international monetary system » : http://www.bos.frb.org/economic/conf/conf43 et le colloque organisé par la Banque du Canada ( Revue de la Banque du Canada, Printemps 2001. D’autres travaux ont été consacrés à ce sujet dès 1998, notamment les rapports du Conseil d’Analyse Economique : Davanne (1998, n°14) ; Bergsten, Davanne et Jacquet (1999, n°18) ; Cohen et Portes (2003, n°43) et Boyer, Dehove et Plihon (2004, n°50), mais aussi les contributions de Krueger (2001 et 2002) et de Tirole (2004). Voir aussi Powell (2001) qui opère un survol des questions discutées dans les forums internationaux concernant la réforme des institutions et des politiques et les mesures adoptées pour raffermir le système financier international. 299 stabilité monétaire ; la dollarisation plus probable des pays d’Amérique ayant d’importants liens financiers avec les USA et trouvant très difficile d’avoir une politique monétaire autonome ; et en Asie, la continuité du flottement comme unique solution plausible, étant donnés les obstacles aux alternatives. Frankel (1996) croyait déjà que le monde a besoin d’un accord monétaire tripartite entre les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne, aujourd’hui l’Europe, pour gérer une politique monétaire mondiale. Il est vrai qu’en frappant dix pays à revenu intermédiaire entre 1994 et 1999, les crises financières ont eu des répercussions sur l’ensemble de l’économie mondiale. Elles ont conduit au redoublement des efforts visant à raffermir le système financier international en se concentrant sur deux grands volets : la prévention et la gestion des crises. Pour ce qui concerne la prévention, une attention particulière était portée à quatre niveaux : aux politiques macroéconomiques appropriées, y compris à l’établissement de régimes de change viables, à une gestion prudente des risques par les gouvernements et les institutions de prêts, à la solidité des systèmes financiers intérieurs et à la transparence des politiques nationales. Pour ce qu’il en est de la gestion des crises, on s’est entendu pour fournir au FMI des ressources supplémentaires quand vient le temps de prêter aux pays victimes d’une crise financière. De nouveaux mécanismes d’emprunt auprès du FMI ont été mis en place à l’intention des Etats qui pourraient avoir besoin d’une aide financière. Le FMI, appelé à jouer le prêteur en dernier ressort, se trouve placé en position de gérer des risques à caractère systémique par leurs effets de contagion. Tout en continuant à impulser plus de déréglementation, même après les crises. En passant des politiques traditionnelles de libéralisation à des politiques de dérégulation adaptées à la dynamique de la globalisation financière, il se trouve en position de devoir assurer la viabilité d’un marché dérégulé à l’échelle mondiale. Ce faisant, il entérinerait la fracture financière mondiale entre les marchés financiers émergents et les autres, ce qui le dispenserait de remplir ses missions originelles envers tous ses pays membres ou d’amender ses programmes et sa conditionnalité en prenant en compte les critiques et chaque contexte (Assidon 2002). La contribution très récente de Boughton (2004) est bien éclairante là-dessus. L’institution a, en effet, énormément changé dans les six dernières décennies. L’ampleur de son implication dans la mise en place des politiques économiques de pays membres, particulièrement les pays endettés, a largement accru. Les prêts sont, en grande partie, devenus générateurs de crises et l’implication du FMI dans leur prévention et résolution s’est intensifié. Il en va ainsi de ses responsabilités dans la gouvernance mondiale. Le problème 300 étant que l’évolution du Fond est plus marquée par les événements et les idées67 majeurs de ces six décennies que par la recherche interne dans le but de le réformer. Le défi pour le FMI était toujours de s’en tenir à son mandat d’origine, de promouvoir un ajustement ordonné des paiements et la stabilité financière mondiale, tout en adaptant ses activités aux nouvelles circonstances et idées. Ses engagements récents du FMI (2001, 2002) à sa ligne principale, au recentrage de ses conditions de politique économiques et au renforcement de sa coopération avec la Banque Mondiale sont pris en considération comme impératifs. Alors que le FMI poursuit la dérégulation des économies après la crise asiatique, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer l’institution. Les critiques de Stiglitz (2002), ancien vice-président de la Banque mondiale et prix Nobel d’Economie 2001, soulignent le biais idéologique des dirigeants, soumis aux principes du consensus de Washington68. Il explique comment la doctrine de libéralisation incontrôlée des marchés financiers a conduit inévitablement à la spéculation internationale et aux crises financières dans les pays émergents. Il soutient qu’à propos de la crise asiatique, les mesures préconisées par le FMI ne l’ont pas seulement exacerbée, mais l’ont en partie provoquée, la cause principale a probablement été la libéralisation trop rapide des marchés financiers. C’est le cas en Indonésie, où la crise a atteint une particulière gravité et été marquée par un chômage massif, une déstructuration sociale avancée et l’installation d’une instabilité chronique. Le FMI aurait aggravé la crise, en privilégiant la contrainte extérieure au détriment de la stabilité intérieure du pays69. Comme Krugman (1999), Stiglitz souligne que les pays qui ont évité ou minimisé les crises financières sont ceux qui, tels la Chine, l’Inde ou la Malaisie, ont mené des politiques opposées à celles préconisées par le FMI et n’ont pas hésité à maintenir des politiques publiques fortes de régulation des marchés et de contrôle des capitaux. 67 Voir Boughton (2004) pour les dix événements et idées majeurs qui ont affecté le FMI depuis sa création. 68 - Il est fondé sur la primauté des marches financiers et l’acceptation de la direction déterminante des EtatsUnis. L’expression est due à Williamson (1990) qui recense dix mesures dans la conditionnalité mise en œuvre par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Assidon (2002, p.64) en fait l’inventaire. 69 - Sur ce point, voir aussi J.K. Galbraith (2003), « L’ordre mondial selon John Maynard Keynes », Le Monde Diplomatique, Mai, pp. 22-23. 301 1.3 Les PED et la nouvelle architecture du SMI Les PED semblent être absents de ce débat sur la nouvelle architecture financière internationale. Bénassy-Quéré et Coeuré (2000) soutiennent cependant qu’une coopération intra régionale serait un moyen de se protéger contre l’instabilité du taux de change eurodollar accrue par une bipolarisation du SMI autour de ces deux devises ou un développement des ancrages sur des paniers, et également une manière de rendre viables certains régimes intermédiaires. Ils considèrent trois critères : l’engagement des autorités monétaires et politiques dans le choix d’un régime de change, sur lequel insiste l’approche d’une « solution en coin » ; la nature interne ou externe de l’ancre ; l’inscription ou non dans un cadre de coopération régionale de régime de change. L’analyse de ces trois critères montre que le choix de l’ancre n’est pas indépendant du type de l’engagement et que des solutions en coin régionales sont possibles. L’équivalent régional de la dollarisation est l’union monétaire. Dans ce cas, la monnaie unique régionale n’est pas ancrée sur une devise étrangère mais sur la politique monétaire de l’union. Dans le cas particulier où un petit pays rejoint une union monétaire préexistante, l’ancre monétaire peut être considérée comme extérieure pour le nouvel arrivant. Il s’agit alors d’une quasi-dollarisation officielle, à ceci près que l’arrivant a une influence à la marge sur la politique monétaire de l’union. L’alternative qu’offre le mécanisme de coopération régionale au PED, semble bien huilée pour les auteurs. Elle soulève néanmoins la question de la faisabilité institutionnelle de la coopération régionale qui nous paraît très difficile à faire aboutir au niveau des PED étant donné les situations économiques, financières et politiques si contrastées dans ces pays. Et puis il y a aussi l’adoption de règles. A cela s’ajoute la question de la bipolarisation du système monétaire international qui ne représente pas uniquement une chance comme le soulignent les auteurs mais aussi un handicap puisque ces pays se trouvent enfermés dans un système au sein duquel ils n’ont aucune influence et aucune marge de choix. En fait, toutes ces contributions, nous semble-t-il, s’inscrivent dans une logique très présente chez Bordo (2003), qui est celle du centre et périphérie. Il considère que la maturité financière représente la distinction clé du choix de régime de change entre pays du centre et ceux de la périphérie d’alors, avancés et émergents aujourd’hui. La dynamique du SMI et l’évolution du régime de change sont guidés par le développement financier et l’intégration financière internationale. Les crises financières telles que celles des années 1890 et 1990 sont les moments fondateurs qui révèlent la ligne de séparation en termes de régimes entre les pays avancés et les pays émergents. Elles constituent une part importante du processus de l’évolution de régime comme une ultime 302 force structurante. L’évolution de l’étalon-or et le mouvement vers un flottement réussi par les pays avancés aujourd’hui a nécessité l’atteinte d’une maturité financière. La même sera nécessaire pour le reste du monde. Nous croyons qu’il faut plaider pour un système monétaire plus ouvert où tout pays trouve plus ou moins une marge de liberté, et qu’il faut sortir de cette logique de centre-périphérie se concentrant essentiellement sur les besoins de stabilité financière pour les pays avancés et les grands espaces économiques et monétaires, ne laissant aux PED que le choix de s’y accommoder. Les diverses réflexions menées au sujet de la nouvelle architecture du SMI n’ont accordé que très peu d’attention, voire pas du tout, à la place que peuvent y prendre les PED. Il n’y aurait pas de raison donc que les pays du Maghreb en reçoivent eux aussi. C’est cependant le cas. Nous avons souligné ci-dessus le rôle important que joue l’euro dans cette nouvelle architecture. C’est par ce biais que les pays du Maghreb ont fait l’objet de certaines études. Il en ressort que l’euro constitue une monnaie régionale d’ancrage naturel (BénassyQuéré et Lahrèche-Révil 1999 ; Calès 1999 ; Bénassy-Quéré et Coeuré 2000). En effet, les pays du Maghreb effectuent l’essentiel de leur commerce extérieur avec la zone euro, leurs cycles d’activité et leurs structures de spécialisation sont aussi relativement proches de ceux de la zone euro. Ils en font presque partie. L’adoption de l’euro par l’Union Européenne constitue avec le projet en 2006, après dix ans de préparation, d’une zone de libre échange euro-maghrébine, les deux défis qu’offre, aux pays du Maghreb, l’intégration, encore inachevée, de l’Europe. D’une part, les pays qui avaient choisi d’ancrer leurs monnaies sur l’une d’entre elles ou sur un panier de devises européennes avant l’avènement de l’euro ont dû probablement réviser leurs politiques de change du fait de l’instabilité apportée par la disparition de ces dernières et de la bipolarité croissante euro-dollar. D’autre part, cette perspective impose la poursuite vigoureuse des ajustements et des réformes déjà engagés par les pays du Maghreb. Ils doivent maintenir et renforcer leurs disciplines monétaire et financière, adapter leurs structures industrielles, monétaires et financières aux contraintes résultant d’une intégration accrue des marchés. Il leur est nécessaire de promouvoir une plus grande transparence de leurs structures bancaires et de leurs politiques monétaires, afin de développer leurs marchés financiers et d’attirer plus massivement l’épargne étrangère. La zone de libre échange peut aussi appuyer un ancrage des monnaies maghrébines sur l’euro, ce qui contribuerait à rapprocher et à harmoniser leurs politiques de change. Ce type d’ancrage peut constituer un substitut à la coopération 303 monétaire en ce sens qu’il contribue à la convergence des politiques monétaires et qu’il peut devenir un vecteur important de l’intégration maghrébine, condition sine qua none de l’émergence de relations plus équilibrées entre les deux zones (Calès 1999). Mais il n’y a pas que la dynamique de l’intégration européenne et les avantages attendus de la création d’une zone de libre échange qui poussent les pays du Maghreb à revoir les politiques de change. Les effets négatifs de la zone le font aussi. Elle aura pour seuls effets sûrs et immédiats d’aggraver les déficits commerciaux, de mettre à mal une industrie faiblement compétitive et d’aggraver la situation financière en raison du manque à gagner en matière de droits de douane. La situation des pays du Maghreb se compliquerait davantage si ces effets négatifs immédiats se prolongeaient et que les bénéfices à tirer de l’accord, qui dépendent de la vitesse d’adaptation de leurs économies, tardaient à venir. En dehors des mesures d’accompagnement prévues dans le processus vers la zone de libre échange, l’euro est précisément une opportunité à saisir en ce sens qu’il peut constituer un support pour une règle monétaire qui allie à la fois clarté, simplicité et souplesse d’application. Un ancrage sur l’euro peut contenir l’ensemble de ces qualités sans pour autant sacrifier l’objectif central qui est de poursuivre le mouvement de libéralisation des économies, ce qui renforcerait à son tour le caractère irréversible de l’ancrage à l’espace économique euro-méditerranéen. Un tel ancrage ne devrait pas être perturbé par le processus d’intégration monétaire qui touche les pays d’Europe centrale et orientale (PECO). La forte progression de leurs exportations vers l’union européenne ne s’est pas faite au détriment des pays du sud de la Méditerranée, soutiennent Chevalier, Lemoine et Nayman (1999). La structure de leurs exportations est suffisamment différente pour limiter la concurrence entre les deux zones et les échanges euroméditerranéens restent très marqués par les complémentarités traditionnelles entre le Nord et le Sud. Selon les auteurs, les exportations des produits manufacturés comptent pour à peine plus de la moitié des exportations vers l’Union Européenne pour l’ensemble des pays méditerranéens et 84% pour les PECO. Les performances globalement modestes des premiers s’expliquent davantage par l’évolution trop lente de leurs spécialisations, cantonnées dans les produits primaires ou le textile, que par un détournement du commerce européen au profit des seconds. 304 Section 2 Régime de change de facto et choix du régime de change Il s’agit de montrer l’importance de la détection et de l’étude d’un régime de facto dans le choix du régime de change au Maghreb. Encore faut-il en préciser les moyens pour y parvenir. Et là-dessus, nous insistons sur le fait qu’il ne s’agit pas uniquement d’une approche économétrique, aussi probante et compliquée soit-elle, mais aussi de la nécessité d’une interprétation économique susceptible de coller au plus près de la réalité, chose, hélas, qui n’est pas souvent présente dans les foisonnants travaux d’aujourd’hui. Nous proposons ainsi de précéder l’étude économétrique d’une démarche consacrée à la détection du comportement du taux de change et des diverses stratégies de change suivies par les autorités économiques et financières, annoncées ou non. Nous cherchons avant tout à rendre à la notion du régime de facto ou effectif tout son sens, puisque l’objectif est de collecter le plus d’information possible reflétant au plus près la réalité. La construction d’un taux de change effectif réel, l’étude de son évolution ainsi que celle du taux de change nominal par rapport aux principales devises en sont le moyen. Cette démarche permet une périodisation nécessaire à l’étude économétrique. 2.1 Méthodologie du travail Plusieurs méthodes ont été utilisées dans l’identification d’un régime de change effectif. Nous les classons en deux approches. La première tente de déduire les préférences des gouvernements en s’appuyant sur l’analyse des variations de change, des réserves officielles et de la gestion des taux d’intérêt. L’étude des interventions officielles suppose qu’elles jouent un rôle dans l’évolution des taux de change. L’analyse de la gestion des taux d’intérêt ne donne pas non plus de résultat tranché, compte tenu de la fragilité des estimations de réaction des autorités monétaires. Il y a aussi la méthode consistant à effectuer des tests de coïntégration sur les variables en niveau ou à étudier les corrélations des composantes tendancielles et cycliques des taux de change. Ces méthodes que rappelle Bénassy-Quéré (1996) aident aussi à distinguer un ancrage nominal d’un autre réel. Elles peuvent être directement liées aux conséquences de la politique de change, c’est le cas quand on s’intéresse directement aux variations des taux de change. Sauf qu’en cas de chocs communs, la stabilité de change peut être obtenue sans la moindre volonté des autorités monétaires. Une panoplie d’outils statistiques peut aussi être utilisée pour avoir une idée plus précise du fonctionnement 305 de régime de facto, comme chez Kočenda (1996). La seconde approche est plus explicite et semble être la plus utilisée pour identifier les régimes effectifs. Elle consiste à expliquer les variations du taux de change de chaque monnaie par les fluctuations des taux de change de monnaies de référence. Quand une monnaie se révèle attachée à plusieurs devises via les taux de change, elle est alors dite monnaie panier. Les pays du Maghreb ont maintes fois déclaré ancrer leurs monnaies sur des paniers de devises étrangères. Cela même était le régime dominant. Les déclarations officielles récentes soutenant le suivi d’un régime de change géré comme en Tunisie n’empêchent pas qu’ils auraient adopté un régime de panier depuis l’avènement du flottement. Après tout, un pays peut adopter un régime de change géré autour d’un panier sans ne révéler aucune information concernant sa composition. La méthode que nous suivons dans cette partie conjugue les deux approches ci-dessus décrites. Dans un premier temps, nous utilisons une analyse statistique qui nous permettra de dégager une première idée et une périodisation de l’évolution des régimes de change. Dans un second temps, les résultats obtenus nous permettront de savoir à travers une analyse économétrique si un régime est possible et quelles sont les monnaies candidates pour le composer. Pour cela, nous supposons la possibilité d’un panier très large composé par les monnaies des principaux partenaires et concurrents ainsi que par celles des règlements internationaux. Il se trouve que dans le cas des pays du Maghreb les principaux concurrents sont aussi des partenaires commerciaux de même que les pays ayant des monnaies de règlements internationaux. Le panier du départ sera donc composé de treize monnaies et qui sont le Franc Français (FF), la Lire Italienne (LI), le Mark Allemand (MA), le Dollar Américain (DLA), la Peseta Espagnole (PE), la Livre Sterling (LS), le Franc Belge (FB), le Florin Hollandais (FH), le Yen Japonais (YJ), le Drachme Grec (DG), le Dirham Marocain (DM), l’Escudo Portugais (EP) et la Livre Turque (LT). Evidemment, elles n’y participent pas toutes en même temps, il est impossible de gérer un panier aussi large. L’idée est que comme nous n’avons pas d’indications sur les critères du choix de telle ou telle monnaie, nous préférons les essayer toutes en réitérant plusieurs fois le programme que nous avons construit à cette fin jusqu’à l’obtention d’un panier significatif. L’estimation se fait en régressant le taux de change de la monnaie concernée sur les autres taux de change selon l’équation suivante qui suit, entre autres, Takagi (1988) ; Edison et Vardal (1990) et Kočenda (1996), soit : 306 n N i (t , w) = ∑ wi , j N i , j (t ) + ui j =1 N i et N i , j désignent respectivement le taux de change de la monnaie nationale ( i = DT , DA, DM ) et les taux de change des autres monnaies. w j est le poids relatif d’une n monnaie ( j ). ui est un terme aléatoire. Il y a une monnaie panier quand ∑w j = 1. j =1 Mais il nous a fallu dans un premier temps régler la question de la référence ou du numéraire. Bénassy-Quéré et Coeuré (2000) proposent de s’en affranchir à travers une méthode économétrique qui traite les monnaies de référence de manière symétrique, teste directement la stabilité du taux de change d’une monnaie par rapport aux devises d’ancrage potentiel et donne les pondérations du panier. Rhee et Song (1999) ont choisi le DTS comme numéraire. Nous faisons de même en nous basant sur les analyses de Williamson (1982) et Polak (1994) considérant le DTS comme monnaie de rattachement. Elle remplit les mêmes fonctions, procure plus de stabilité au taux de change qu’un rattachement à une seule monnaie. Elle présente aussi un moyen d’intervention. Il en existe un marché à terme où elle permet la couverture aux monnaies qui lui sont rattachées, propriétés que tout autre panier ne peut avoir. Dans un second temps nous avons exprimé tous les taux de change en termes d’indices, les données sont mensuelles et de fin de période, avant de les traduire en valeurs logarithmiques. Ils sont utilisés en différence et les estimations sont, pour tout le chapitre, en variation et non pas en niveau. Il nous semble que pour un régime de monnaie panier, une fois la composition est définie et le plus souvent non révélée, c’est plutôt la variation du taux de change et non pas son niveau qui peut nous renseigner sur la réaction de la banque centrale par rapport aux mouvements d’autres monnaies et déduire ainsi les pondérations. Deux autres raisons plaident aussi pour cette option : l’une statistique, qui permet la stationnarité des séries, et l’autre économique qui permet de tenir compte de différentes formes d’ancrage, y compris les ancrages glissants. Nous menons l’estimation sur des sous périodes, de 1973, date de la chute du système de Bretton Woods, à décembre 1997. Le choix de cette dernière date n’est pas arbitraire. Elle précède en effet de quelques mois la tenue du Sommet de Bruxelles en mai 1998 qui a fixé la liste officielle des 11 participants à l’euro dès janvier 1999. En la choisissant, nous prenons en compte le fait qu’un pays ancrant d’habitude sa monnaie sur un ensemble de devises 307 européennes peut anticiper l’adoption de l’euro et l’intégrer sans que les données n’en décèlent la trace. Il nous paraît indispensable de noter qu’un panier significatif issu de cette démarche n’est autre qu’un panier moyen représentatif des devises qui auraient marqué l’évolution des monnaies maghrébines durant une période concernée. Cela n’exclut point la référence à d’autres devises pendant cette même période puisque le panier est sujet à des modifications très fréquentes et très discrètes. 2.2 Eléments d’analyse Il s’agit ici de traiter certains éléments relatifs aux taux de change afin de faciliter l’établissement d’une périodisation la plus précise possible concernant leurs évolutions et le comportement des différents paniers supposés. Pour y arriver, et déceler les caractéristiques d’un régime de change effectif qui est en cours au Maghreb, deux moyens nous sont nécessaires. En premier, nous considérons les enseignements du chapitre 3 associés aux informations officielles ou émanant d’autres travaux concernant l’évolution des taux et régimes de change. En second, nous analysons l’évolution des taux de change des monnaies maghrébines par rapport à d’autres. 2.2.1 Evolution des taux de change effectifs réels Nous avons étudié, dans le troisième chapitre, l’évolution des taux de change effectifs en insistant sur les grandes tendances. Nous en reprenons ici les enseignements et nous déterminons les périodes susceptibles de nous informer sur les changements au niveau des régimes de change. Nous reprenons ci-dessous le graphique retraçant l’évolution des taux effectifs réels et nous présentons séparément ceux des variations des taux nominaux de manière à faire apparaître des ruptures dans leurs évolutions. Le même chapitre nous a montré que les ruptures constatées dans l’évolution des taux effectifs traduisent souvent des dévaluations, plus ou moins fortes, discrètes ou annoncées. Le recours à cette pratique signifie que dans le cas d’une monnaie panier cela s’accompagne de sa modification. Nous pouvons donc considérer ces ruptures comme moyen de périodisation indiquant un changement de régime ou sa poursuite mais autrement. 308 Graphiques 46-49 : Périodisation de l’évolution des taux de change effectifs au Maghreb Evolution des taux de change effectifs réels au Maghreb Variations du taux de change effectif nominal tunisien 190.00 15.0 160.00 10.0 130.00 02 99 20 96 19 93 19 90 19 87 19 84 19 19 81 78 19 19 75 72 19 19 19 -5.0 40.00 69 0.0 66 70.00 19 en % 5.0 100.00 19 6 19 5 6 19 7 69 19 7 19 1 7 19 3 7 19 5 7 19 7 7 19 9 8 19 1 8 19 3 8 19 5 8 19 7 8 19 9 9 19 1 9 19 3 9 19 5 9 19 7 9 20 9 0 20 1 03 -10.0 TCERT TCERM -15.0 TCERA VTCENT Variations du taux de change effectif nominal marocain Variations du taux de change effectif nominal algérien 10.0 20.0 5.0 10.0 0.0 -10.0 2002 1999 1996 1993 1990 1987 1984 1981 1978 1975 1972 1969 -20.0 1966 en % 02 20 96 93 99 19 19 19 87 90 19 19 81 84 19 78 19 19 72 69 75 19 19 19 66 -5.0 19 en % 0.0 -30.0 -40.0 -10.0 -50.0 -60.0 -15.0 VTCENM VTCENA L’analyse graphique de l’évolution des taux de change effectifs nous permet de déduire que les régimes de change au Maghreb sont passés par au moins six périodes. Pour le besoin de notre estimation, les périodes s’étalent de 1970 à 1974 ; de 1974 à 1979 ; de 1979 à 1986 ; de 1986-87 à 1993 et de 1994 à 1997, dans le cas de la Tunisie. Les deux premières périodes sont aussi valables pour le Maroc et sont suivies d’autres qui s’étalent de 1979 à 1985 ; de 1986 à 1990; de 1990 à 1993 et de 1993 à 1997. Pour ce qui concerne l’Algérie, les périodes sont plus espacées et s’étalent de 1970 à 1977-79 ; de1979 à 1985 ; de 1986 à 1991 et de 1991 à 1997. 2.2.2 Evolution par rapport aux monnaies majeures L’analyse précédente mérite d’être plus approfondie et plus précise par l’étude de l’évolution des taux de change par rapport à des devises majeures qui sont aussi celles de leurs principaux partenaires commerciaux. Nous avons ainsi élaboré des indices de taux de change nominaux des monnaies maghrébines par rapport aux Dollar US (DLA), Franc français (FF), Mark allemand (MA) et Lire italienne (LI) au besoin d’une étude comparative. Leur évolution que représentent les graphiques ci-dessous confirme la périodisation ci-dessus établie. Les indices ont globalement évolué dans le même sens, des nuances doivent être néanmoins apportées à l’analyse. Il y a d’un côté, les similitudes frappantes dans l’évolution 309 des indices des taux de change de la Tunisie et du Maroc et qui ont connu plusieurs niveaux de variations, à l’opposé du cas de l’Algérie où les indices ont connu deux phases bien distinctes et ont été presque quasiment au même niveau. D’un autre côté, dans le cas de la Tunisie et du Maroc et lors de la deuxième phase pour l’Algérie, les indices n’ont pas forcement évolué dans le même sens et au même niveau. Cela nous pousse à penser que les pays utilisent un panier de monnaies dont les poids sont différents. Graphiques 50-54 : Evolution indicielle des taux de changes Evolution indicielle des taux de change nominaux du Dirham marocain par rapport aux monnaies de principaux partenaires E volu tion in dicielle d es tau x d e ch an g e n om in au x d u D in ar tun is ien p ar rap p ort au x m on n aies d e p rin c ip au x p arten aires 140 140 120 120 100 100 80 80 60 60 40 40 20 1965 1970 1975 1980 ID TD L A ID TF F 1985 1990 20 1965 1995 1970 1975 ID TL I ID TM A 1980 1985 IDMDLA IDMMA E volu tion in dicielle des tau x d e ch an g e n om in au x d u D in ar alg é rien p ar rap p ort au x m on n aies d e p rin cip au x p arten aires 1990 1995 IDMFF IDMLI Evolution indicielle de taux de change par rapport au Dollar US 700 300.00 600 250.00 500 200.00 400 150.00 100.00 300 50.00 200 0 1965 1970 1975 1980 ID A D L A ID A F F 1985 1990 Franc Belge Lire Italienne 1995 Franc Francais Dinar Tunisien 1997 1995 1993 1991 1989 1987 1985 1983 1981 1979 1977 1975 1973 1971 1969 1967 1965 0.00 100 Deutsche Mark Dirham Marocain ID A L I ID A M A Pour cela nous avons essayé de comparer l’évolution indicielle de toutes ces monnaies par rapport au Dollar US. Le constat est confirmé : l’évolution du Dinar tunisien et du Dirham marocain est moins ample que celle des autres monnaies. Nous procédons par la suite à une analyse comparative de l’évolution des trois monnaies par rapport au Dollar, devise de référence mondiale, et au Franc français, monnaie du premier partenaire. Les graphiques cidessous, qui s’y rapportent, font apparaître deux évolutions totalement opposées. Quand le Dinar tunisien ou le Dirham se déprécient par rapport au dollar (VDTDLA et VDMDLA), ils s’apprécient par rapport au Franc français (VDTFF et VDMFF) et vice-versa. Il est à noter 310 néanmoins que les variations par rapport aux deux monnaies ne sont pas de la même ampleur. Une forte appréciation par rapport à l’une est une faible dépréciation par rapport à l’autre et vice-versa. C’est le cas notamment lors de la période de l’appréciation du Dollar dans la première moitié des années 1980 et celle qui a suivi. Nous remarquons aussi qu’avant cet épisode, la variation du Dirham par rapport au Franc français était extrêmement faible comparée à la variation par rapport au Dollar. Dans le cas du Dinar algérien, ce constat est confirmé pour ce même épisode et la période qui a suivi, autrement la différence de variations (VDADLA et VDAFF) n’est pas notable. Graphiques 55-57 : Variations des monnaies maghrébines par rapport au Dollar US et au Franc Français V a ria tio n (e n % ) d u D irh a m m a ro c a in p a r ra p p o rt a u D o lla r U s e t a u F ra n c fra n ç a is V a ria tio n s (e n % ) d u D in a r t u n is ie n p a r ra p p o rt a u F ra n c fra n ç a is e t a u D o lla r a m é ric a in 40 24 20 30 16 20 12 8 10 4 0 0 -4 -1 0 -8 -1 2 65 70 75 80 V D TFF 85 90 95 -2 0 00 65 70 75 V D TD L A 80 85 VDMDLA 90 95 00 V DM FF V a r ia t io n s ( e n % ) d u D i n a r a lg é r i e n p a r r a p p o r t a u D o l l a r a m é r ic a i n e t a u F r a n c fr a n ç a is 120 100 80 60 40 20 0 -2 0 65 70 75 80 VDADLA 85 90 95 00 VDAFF Nous arrivons ainsi à conclure que les monnaies maghrébines, en moindre mesure le Dinar algérien, n’ont pas eu le même comportement face à celles de leurs principaux partenaires et sur des périodes différentes de leurs évolutions. Cela, étant données les déclarations officielles, ne peut que confirmer le recours à un régime de change panier qui reste présent même quand le régime change officiellement. Il ne nous reste plus qu’à avoir plus de précision sur les moments de modification des paniers. Pour cela nous recourons pour la 311 dernière fois à une étude comparative des variations des taux de change. C’est celle des taux de change mensuels DTS. Les graphiques font apparaître une succession de périodes de stabilité relative des taux de change séparées par des variations dépassant les 4% pour la Tunisie et le Maroc (VDT, VDM). Elles correspondent aux phénomènes ci-dessus décrits. L’évolution du Dinar algérien présente les mêmes caractéristiques mais avec des variations (VDA) supérieures à 30% au début des années 1990. Graphiques 58-60 : Variations des taux de change DTS des monnaies maghrébines Variations du taux de change Dirham marocain-DTS V ariations du taux de chang e Dinar tu nisien-DTS 16 12 en % 12 en % 8 8 4 4 0 0 -4 -4 -8 -8 1975 1 980 1985 1990 1975 19 95 1980 1985 1990 1995 VDM V DT V a r ia t io n s d u t a u x d e c h a n g e D i n a r a lg é r ie n - D T S 40 en % 30 20 10 0 -1 0 1975 1980 1985 1990 1995 VDA A l’aide des variations des taux de change DTS, nous pouvons ainsi envisager une périodisation plus précise et estimer les variations des taux de change des monnaies maghrébines. Nous choisissons comme début de période l’année 1973, avec l’avènement du flottement. Les périodes sont au nombre de cinq pour la Tunisie, quatre pour le Maroc et trois pour l’Algérie. 312 2.3 Résultats et enseignements des estimations Les résultats obtenus, tableau ci-dessous, peuvent nous renseigner sur ce qui pourrait constituer un panier effectif moyen représentatif d’une période. Les périodes sont définies selon les dates marquant des modifications substantielles du panier ou du régime de change, en nous basant sur la décomposition temporelle précédemment indiquée. Plusieurs résultats étaient possibles, nous avons donc réitéré la même estimation jusqu’à élimination de toute monnaie non significative et jusqu’à la précision de la période exacte et ce, en contrôlant les statistiques de R² et de Durbin-Watson (DW). Nous avons ainsi trouvé, dans le cas de la Tunisie par exemple, des résultats extrêmement satisfaisants tant au niveau des tests statistiques, notamment un R² autour de 98%, qu’au niveau des renseignements précis sur les compositions et les modifications des différents paniers. Cependant, ceux que nous présentons ci-dessous, sont issus des estimations sans contrainte. En effet, nous n’avons pas cherché à imposer à la somme des coefficients d’être égale à l’unité. Nous avons tout simplement cherché à expliquer les variations de la valeur d’une monnaie nationale par celles d’autres monnaies. Il nous a semblé plus intéressant de recourir à des estimations sans contrainte et de vérifier si les résultats débouchaient sur un panier que nous qualifierons de « naturel », où la somme des coefficients est égale à l’unité sans l’avoir imposée. Cela constitue pour nous une hypothèse forte, celle qui nous rapproche le plus du concept de régime de change de facto. C’était le cas pour le premier panier de la Tunisie, juste après la chute du système de Bretton Woods, de 1973 à 1976, avec 40% de FF, 46% de MA et 14% d’EP, ou le dernier pour la période de 1993 à 1996 avec 21% de DLA ; 13% de LI, 41% de FH et 25% d’EP. C’est aussi le cas pour le premier panier marocain de 1973 à 1980, avec 15% de DLA ; 45% de FF, 17% de MA, 11% de LI et 12% de PE ou le dernier avec 31% de FF, 17% de DLA, 20% de FB, 16% de LI et 16% de MA. Le premier panier algérien, de 1973 à 1976, avec 38% de FF, 18% de DLA et 44% FB, lui aussi est un panier naturel. 313 Tableau 15 : Résultats des estimations des variations des monnaies maghrébines Périodes R² Estimations DW TUNISIE 1973:06 0.40FF + 0.46MA + 0.14EP 1976:03 (2.55) 1979:06 (3.0) 2.0 (2.11) 0.42FF + 1.04DLA + 0.54LI 1981:03 (2.08) 1982:05 0.38FF + 0.11LT + 0.31FB 1985:06 1986:09 (6.31) (3.39) 77 2.02 (5.43) (2.35) 73 2.16 (2.17) 0.23DLA + 0.73FF + 0.15LI + 0.07LT 1993:04 1993:09 83.4 (3.78) (9.76) (3.43) 1.80 (3.37) 0.21DLA + 0.13LI + 0.41FH + 0.25EP 1996:12 (2.46) (2.81) (3.22) 72 73 1.88 (1.98) MAROC 1973:05 1980:09 1981:09 1983:05 1986:09 1990:04 1991:04 1997:07 0.45FF + 0.15DLA + 0.17MA + 0.11LI + 0.12 PE (3.03) (11.55) (4.94) (3.98) (5.54) 0.42FF + 0.46DLA + 0.64FH + 0.33FB - 0.65MA (4.38) (2.40) (2.61) (3.25) (-2.65) 0.33DLA + 0.09 FF + 0.16 PE + 0.15FB (20.4) (2.66) (8.05) (3.71) 0.17DLA + 0.31FF + 0.16MA + 0.16LI + 0.20FB (4.58) (4.88) (2.10) (10.7) (2.47) 85.4 2.03 74 1.92 92 2.03 94 2.0 ALGERIE 1973:01 1976:11 1977:05 1980:10 1981:09 1986:06 0.38FF + 0.18 DLA + 0.44 FB (5.58) (2.52) (6.20) 0.20FF + 0.32DLA (5.0) (9.50) 0.14FF + 0.44DLA (6.22) (.) t de student 314 (14.59) 84 2.03 71 2.08 94.3 1.98 Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce tableau. Nous en évoquons les trois principaux. Le premier, d’ordre général, nous montre que, d’une part, les régimes de change au Maghreb, depuis la chute du système de Bretton Woods et jusqu’à la veille de l’adoption de l’euro, peuvent être approchés par un régime de monnaie panier qui n’est certes pas figé mais dont la composition et la longévité dépendent de l’environnement international et de la situation du pays. En Algérie néanmoins aucune estimation n’était significative à partir de la deuxième moitié des années 1980. Cela s’explique par le contexte politico-social qui y régnait pouvant justifier l’absence d’une politique de change. Les supposés changements de régimes de change intervenus au Maghreb, par exemple le passage en Tunisie en 1988 d’un régime de monnaie panier à un flottement dirigé, ne sont qu’officiels. En fait, on n’a jamais abandonné ce régime, plus encore on l’utilise conjointement avec le glissement du Dinar. La détermination du taux de change du Dinar par rapport à un panier de monnaies est toujours en vigueur, simplement on a adopté, en plus, un glissement continu du taux de change à la place des dévaluations épisodiques. Le flottement dirigé communément connu n’est pas vérifié, à moins qu’il signifie le pouvoir discrétionnaire d’ajuster le taux de change déterminé selon un panier de monnaies. Le second enseignement est relatif à la composition très réduite des divers paniers et à la prépondérance du dollar, dans le cas de l’Algérie à la différence du Maroc et de la Tunisie. Depuis son affirmation comme pays pétrolier, l’Algérie a connu des paniers plutôt composés, indépendamment des poids, du Franc Français, monnaie du premier partenaire commercial, et du Dollar, monnaie dans laquelle sont libellées ses exportations, les hydrocarbures. Les deux autres pays ont des paniers plus larges composés de monnaies à dominante européenne et où la présence du dollar n’est ni régulière, ni à poids constants. Jusqu’à la deuxième moitié des années 1980, le régime de change en Tunisie aurait correspondu à trois paniers composés de trois monnaies dont la principale était le Franc français. Selon les périodes, il y a eu le mark allemand, l’Escudo portugais, le Dollar, la Lire italienne ou le Franc belge. Nous remarquons la disparition du Dollar du panier correspondant à la période de son appréciation à la première moitié des années 1980. Cette période d’appréciation du Dollar a aggravé les problèmes économiques internes et détérioré la compétitivité extérieure. Ce qui explique l’introduction de la Livre turque dans le panier de 1982 à 1985 à hauteur de 11%. Ce n’est apparemment pas beaucoup pour influencer tout un panier, mais le rythme avec lequel s’est dépréciée la Livre turque est assez impressionnant pour être convaincu du contraire. En effet, la LT s’est dépréciée de 900% par rapport au Dollar entre janvier 1981 et février 1984. Cette dépréciation 315 se poursuivait à un rythme très élevé, environ 1500% depuis qu’elle était intégrée dans le panier. Un tel phénomène présente un problème pour la gestion du panier. D’une part, on ne peut pas l’ignorer pour motif de compétitivité. D’autre part, on ne peut pas le prendre entièrement en compte pour ne pas risquer une fuite en avant dans les dépréciations. Ce problème se traduit par le choix de la pondération qu’on donne à la LT. La solution semblait être de retenir la Livre turque avec un poids moins élevé et la réintégration du dollar et de la Lire italienne. Cela a conduit à l’élargissement du panier à partir de la dévaluation de 1986 et sa composition dans le seul objectif de compétitivité. Cela ne semble pas être le cas pour le Maroc qui dès le début a opté pour un panier plus large, à cinq monnaies, sauf pour la période correspondant à l’appréciation du dollar ou le panier était réduit à quatre. Le troisième enseignement est qu’à aucun moment, les pays du Maghreb n’ont choisi comme régime de change un ancrage ferme à une seule monnaie. Ceci va à l’encontre des résultats de l’étude de Bénassy-Quéré et Coeuré (2000) faisant apparaître un ancrage total du Dinar tunisien sur l’euro pour la période allant d’Avril 1995 à juin 1997. L’ancrage devient brusquement partiel pour la période suivante s’étalant d’octobre 1998 à décembre 1999 : l’euro étant présent à hauteur de 56%, à côté d’un dollar américain, 40%. En fait, les auteurs ont cherché à identifier les régimes de facto avant et après la crise de 1997-1998, pour distinguer entre un ancrage total et ancrage partiel, dans le cas de 119 pays en régressant le taux de variation du taux de change d’une monnaie donnée sur celles des devises majeures, le dollar américain, l’euro (le mark ou l’Ecu, avant) et le Yen. Les coefficients sont interprétés comme le poids de chaque monnaie de référence dans le panier implicite du pays. La monnaie peut être considérée comme flottante dans le cas où aucun coefficient n’est significatif. S’il y en a un qui n’est pas significativement différent de l’unité alors que les autres sont nuls, on peut conclure à un ancrage constant sur une devise. Enfin, si plusieurs coefficients sont significatifs et compris entre 0 et l’unité, on peut conclure à l’existence d’un panier d’ancrage. La méthode utilisée impose que la somme des coefficients est égale à l’unité. 316 Section 3 Le régime de change optimal La question du choix d’un régime de change devient ainsi celui de la gestion de la flexibilité. C’est la raison pour laquelle nous allons concentrer notre analyse sur les deux régimes qui proposent des ajustements, automatiques ou plus fréquents, des taux de changes. D’ailleurs, ils sont de plus en plus adoptés par les PED. 3.1 Un régime de change souhaitable Le choix définitif d’un régime de change dans le cadre des pays maghrébins nécessite la prise en compte de certains éléments qui sont liés à l’environnement international dans lesquels ces pays cherchent à s’insérer davantage mais aussi à leurs propres situations économiques et par rapport à leurs expériences dans la gestion de change. 3.1.1 Quels régimes de change pour les pays du Maghreb ? Alors que le niveau courant des parités des monnaies maghrébines ne semblent pas être un objet d’inquiétude vu les faibles désajustements constatés dans le chapitre 6, les différentes approches de gestion du change jusqu’ici suivies dans les trois pays commencent à montrer leurs limites dans le contexte d’ouverture économique, d’intégration régionale et mondiale croissante, d’une concurrence accrue sur les marchés considérés comme les destinations traditionnelles des exportations maghrébines, d’une politique monétaire plus sophistiquée basée de plus en plus sur le marché, de relâchement des contrôles de capitaux. Bref, il est question d’un environnement nouveau qui rend nécessaire la considération d’autres approches alternatives dans la conduite de la politique de change dans le moyen terme. Nous avons constaté auparavant que la Tunisie a cherché à garder constant son taux de change effectif réel basé sur les prix à la consommation alors que celui basé sur les prix de gros n’a cessé de s’apprécier, que le Maroc accordait plus d’attention à la stabilité du taux de change nominal autour d’un panier qu’au taux effectif réel en appréciation continue et que pour l’Algérie rien ne justifie les faibles valeurs du Dinar résultants des fortes dévaluations dans la première moitié des années 1990, elles-mêmes résultats d’un contexte politique révolu. Les pays du Maghreb sont en face d’un environnement économique envisageant des changements significatifs, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Beaucoup d’entre eux ont d’importantes implications pour le choix du régime de change et la plupart sont probablement 317 en train de rendre la défense de tout type d’ancrage difficile. Fanizza et al. (2002), par exemple, soutiennent que le passage à un régime de change flottant serait la stratégie la plus appropriée pour la Tunisie. Ils axent leur analyse davantage sur les questions de fragilité financière liées aux flux des capitaux entrants, à l’ouverture du compte capital et à la contagion. Cela nous semble très exagéré vu l’exiguïté des marchés financiers maghrébins. Les auteurs appliquent sans nuance une vision soutenant que les régimes de change fixes sont inhérents à la crise dans les économies émergentes. Moussa (2001) se base sur l’importance du secteur des produits non échangeables en Tunisie et sur le peu d’importance des chocs symétriques avec la France pour conclure qu’il serait mieux de continuer avec un régime de flottement en attendant une intégration plus grande avec l’économie européenne. Nous venons de montrer cependant que ce pays n’a jamais suivi un tel régime, de facto au moins. Jbili et Kramarenko (2003) précisent que dans la région MENA, Moyen-Orient et Afrique du Nord, tous les pays sont sujets à des chocs réels à degrés variés qui incluent des variations des termes de l’échange, de la demande extérieure, en particulier le tourisme pour beaucoup de pays, de la croissance de productivité relativement aux partenaires commerciaux, les effets climatiques sur la production agricole, l’impact des flux de capitaux étrangers entrants sur le côté offre de l’économie, les répercussions des transferts des revenus des travailleurs à l’étranger sur la demande intérieure. Il semble qu’un régime de change fixe de type panier est ce qui correspond au Maroc, alors qu’un Crawling peg semble être le mieux pour la Tunisie. Toutefois, des régimes de change plus flexibles sont les options futures les mieux appropriées pour aider les pays à gérer des flux croissants de capitaux, leur volatilité et les chocs exogènes amplifiés par la libéralisation des comptes extérieurs. Il nous paraît évident qu’un régime de change fixe avec des dévaluations occasionnelles ne peut plus tenir, même s’il se fait par rapport à un panier de monnaies. Mais il n’y a pas de raisons puissantes pour adopter un régime de change flottant. Les enjeux sont multiples et le choix n’est plus entre les extrêmes, mais plutôt en faveur d’une formule intermédiaire bien adaptée aux besoins de chaque pays. Par exemple, fixer le taux de change par rapport à un panier plus ouvert composé des monnaies des pays partenaires et concurrents, mais aussi sujet à des modifications, et le laisser glisser d’une manière discrétionnaire par la suite pourrait se révéler plus efficace. En effet, l’expérience de la Tunisie a montré que l’intégration au panier de certaines monnaies qui tiraient le Dinar à la dépréciation, n’a fait que donner plus d’ampleur à un glissement nominal discrétionnaire. Le tout s’est répercuté sur le taux de change réel. De ce qui précède, il ressort qu’une flexibilité limitée du taux de change 318 s’appuyant sur un panier ouvert et un glissement nominal, en vu de limiter les variations du taux de change effectif réel pour qu’il ne s’écarte pas trop du niveau d’équilibre, serait le régime souhaitable. Néanmoins, d’autres facteurs doivent être pris en considération pour que le choix d’un régime de change soit le plus efficace possible. La plupart des travaux récents qui ont évoqué le choix du régime de change au Maghreb se sont intéressé à l’avènement de l’euro et à ses conséquences sur les pays du sud et à l’est de l’Europe. Plusieurs formules ont été discutées considérant la marge de manœuvre des autorités monétaires, la structure du commerce extérieur et le degré d’ouverture des économies, mais également les monnaies de paiements utilisées, l’origine des flux de capitaux, la maîtrise des déficits et les mesures de libéralisation. Il en résulte qu’un ancrage glissant à l’euro serait le régime le mieux adapté. C’est une formule qui présente l’intérêt de permettre une dépréciation lente de la monnaie nationale de nature à ne pas pénaliser les exportations et sans préjudice au maintien de la rigueur. Cela permet aux banques centrales de conserver une certaine marge de manœuvre en raison du différentiel de développement existant entre les deux zones. Elles pourraient ainsi imposer une discipline plus souple, tout en tenant compte des niveaux de l’endettement et de l’épargne ainsi que du développement des marchés financiers des pays concernés, de la cohérence des objectifs budgétaires et monétaires, mais aussi la prise en compte des contraintes locales. En cas de fortes tensions sur le change ou en cas de dégradation accélérée de la compétitivité, un décrochage reste possible, ce qui permet d’éviter le caractère dramatique d’une modification des parités. Dans une phase transitoire de passage à la convertibilité totale et dans un contexte de pays à fort déficit commercial, un tel ancrage prend tout son sens. Cela l’est davantage quand il s’agit d’une inflation de cœur « core inflation », sous-jacente ou fondamentale. C’est une composante structurelle de l’inflation, c’est-à-dire corrigée de l’influence du cycle économique. Les banques centrales ayant des objectifs d’inflation cherchent invariablement à la distinguer et à la mesurer d’une manière précise. Il est clair que plus cette composante est importante, plus l’inflation est rigide. De fortes dépréciations risquent de la consolider par de l’inflation importée. Le rythme des dévaluations ne doit pas être trop rapide, de façon à conserver au système la caractéristique principale d’un ancrage, à savoir la fixité du taux de change, au moins sur certaines périodes courtes. Lors du passage à la convertibilité totale, il peut donc être préférable de démarrer le processus par une dépréciation significative des monnaies maghrébines, de façon à ne pas être contraint par la suite de dévaluer trop 319 fréquemment et perdre ainsi le bénéfice de l’ancrage. Autant une surévaluation peut être préjudiciable en période de récession et conduire un ancrage nominal à bloquer tout processus d’ajustement réel, autant une sous évaluation chronique peut amener des mesures de rétorsion de la part des partenaires européens sur des produits sensibles. Mais cela reste aussi tributaire de la question de la dette extérieure dans son poids, sa composition, son évolution et ses interactions avec les recettes d’exportation. Il faut rappeler en effet le poids des exportations des matières premières libellées en dollar, poids qui a justifié pendant longtemps, aux yeux des autorités monétaires de ces pays, l’inclusion de cette devise dans leurs paniers de référence, une question que Bénassy-Quéré et Lahrèche-Révil (1999) ont considérée, en préconisant aux pays à l’est et au sud de l’Europe un ancrage réel ou un autre, nominal mais souple, qu’il faudrait définir, à peu d’exception près, par rapport à l’euro plutôt que par rapport au dollar. Cela s’explique par la complication qu’introduit le déséquilibre entre la répartition de l’échange extérieur et la répartition de la dette. Un ancrage sur l’euro constitue une bonne stratégie si c’est la stabilité de la compétitivité extérieure qui est recherchée. Mais elle peut se révéler douloureuse si le dollar s’apprécie, puisque le service de la dette se trouve alors réévalué. Un ancrage sur un panier composé de deux monnaies peut alors se révéler optimal. En minimisant une fonction de perte, deux taux de change effectifs réels basés à la fois sur les répartitions de l’échange extérieur et de la dette, ils trouvent que la part de l’euro dans le panier est de 38%, 69% et 87% respectivement pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. 3.1.2 La nature du régime Les résultats obtenus lors de la section précédente nous montrent que les différents régimes de change suivis par les pays du Maghreb depuis presque trois décennies pourraient être représentés par un régime de change autour d’un panier dont la composition et les poids relatifs des devises varient avec les objectifs de la politique économique. Ainsi, étant donné la discussion ci-dessus, nous pensons qu’un régime de change autour d’un panier et admettant un degré de flexibilité à la monnaie nationale convient mieux à ces pays. C’est un système de flexibilité limitée en accord avec beaucoup de propositions dont celles de Williamson70 (1998 et 2000) et Dornbusch et Park (1999). Il s’agit pour nous d’un système d’ancrage qui a la possibilité de se décliner sous différentes formes selon la situation du pays et les objectifs à atteindre. Nous insistons sur le fait que l’écart par rapport à la référence, aussi nécessaire soitil, n’est pas indéfini et n’est pas un résultat recherché en soi. Une bande, sans pour autant être 70 - Voir Williamson (1991) pour la discussion des différents systèmes de flexibilité limitée. 320 rigide, pourrait alors cadrer cette évolution. En fait un système de bande est suivi pour renvoyer la crédibilité sur la bande au lieu de l’envoyer sur le taux pivot. C’est-à-dire que le taux de change peut fluctuer comme change flottant tant qu’il est à l’intérieur de la bande. Une fois arrivé à la frontière de la bande, il doit cesser de fluctuer, la banque centrale doit donc intervenir pour le ramener à l’intérieur de la bande. Mais la question principale est de savoir si le régime de bande est fixe ou flexible. En fait c’est un change géré mais plus proche du fixe que du flexible puisque c’est la banque centrale qui annonce le cours pivot et les deux bornes (+ et -). Le cours pivot n’est pas un fondamental du marché. Mais cela peut être plus compliqué à cause des réalignements, comme un changement de bande sans dévaluations, continu, ou avec discontinuité où tout se passe comme si c’était une dévaluation au moment du changement de bande. Il n’y a donc pas de bande idéale et de limites fixées a priori. C’est une manière d’admettre le glissement autour de la référence. Et c’est à l’ampleur de ce glissement que se forme la bande. Ce qui est le plus important donc dans ce régime c’est la notion de glissement. Il y a par exemple la possibilité d’une bande glissante qui accompagne une parité elle-même glissante. Cette modalité s’inscrit dans une gestion stratégique de change comme facteur de compétitivité. A l’opposé, une autre modalité peut fixer les limites de la bande des fluctuations et procéder à des réalignements réguliers et fréquents pour tenir compte du différentiel d’inflation entre les pays et maintenir la compétitivité. Le taux de change se déprécie de façon à annuler le différentiel d’inflation. La variation du taux de change autour de la référence peut aussi être un mécanisme régulateur constituant une certaine protection contre les perturbations des marchés. Au total, ce type de régime constitue un compromis entre l’objectif d’une certaine flexibilité des taux de change nominaux, nécessaires pour la clarté du signal aux marchés financiers, et celui d’une certaine prédictibilité des taux réels, nécessaire au bon fonctionnement du marché des biens. Bailliu et Murray (2002) soutiennent que ce régime est utile à titre de transition et à condition que les autorités se ménagent clairement une porte de sortie. En cela, le régime de flottement géré « Managed Floating Plus » préconisé par Goldstein (2002) apparaît plus prometteur. C’est un régime qui a maints objectifs en commun avec celui de Williamson, mais qui assigne un rôle de premier plan au taux de change. Il repose sur l’établissement d’une cible interne d’inflation comme point d’ancrage nominal de la politique monétaire et accorde plus d’importance à la stabilisation de l’économie qu’au maintien de la parité de change. 321 Le panier qui constitue la référence autour de laquelle on constatera le glissement est la deuxième composante de ce régime. Une littérature importante conséquente a marqué la fin des années 1970 et le début des années 1980, Williamson (1982) en résume l’objectif comme étant le choix d’un ancrage qui minimise l’instabilité imposée par les mouvements des monnaies tierces et qui est nuisible à l’économie nationale. Si l’objectif est de minimiser l’instabilité, les moyens d’y arriver ainsi que le type d’ancrage recommandé diffèrent d’un auteur à un autre. Black (1976) propose la minimisation de la variance des prix relatifs des biens échangeables et recommande le rattachement à un panier avec des pondérations basées sur la direction du commerce total des biens et services. Crockett et Nsouli (1977) cherchent à stabiliser la balance commerciale et la production en stabilisant le taux de change effectif et en rattachant la monnaie nationale à un panier de monnaies pondéré par les parts des importations tout en considérant les DTS comme une bonne approximation. Flanders et Helpman (1979) ont établi deux objectifs différents. Pour réaliser le premier : minimiser la variance de la balance commerciale en stabilisant le taux de change effectif, ces auteurs ont associé un panier pondéré par les parts des exportations dans le cas particulier d’une inélasticité des prix à l’import et d’une demande des exportations parfaitement élastique. Le critère qui fait préférer les exports aux imports est que les élasticités prix à l’export sont plus élevées que celles à l’import. Pour réaliser le second objectif : minimiser la variance du revenu réel, c’est un panier attribuant un poids important aux concurrents et un poids faible ou éventuellement négatif vis-à-vis des fournisseurs et des pourvoyeurs qui est proposé. Lipschitz (1979) propose de minimiser les variations dans l’allocation des ressources et la distribution du revenu en stabilisant le taux de change effectif réel. Pour cela, il faut un panier pondéré en fonction des parts de commerce total quand les secteurs concurrentiels à l’importation et à l’exportation sont de même taille. Avec Lipschitz et Sundararajan (1980), l’objectif est tout simplement de stabiliser le taux de change effectif réel, ils recommandent un panier basé sur les élasticités et modifié par une covariance entre inflation et dépréciation. Pour Branson et Katseli-Papaefstratiou (1980, 1981), ce sont les termes de l’échange qui doivent être stabilisés et le panier, dans ce cas, doit refléter le poids qu’a le pays sur les marché des exportations et des importations. Connolly (1982) est le seul à évoquer le problème de l’inflation en proposant comme objectif de minimiser son niveau et sa variabilité, ce qui peut être atteint par rattachement au Dollar américain, peut-être au DTS ou à un panier pondéré par les parts de commerce. Après avoir passé en revue les différentes approches concernant la fixation du taux de change par rapport à un panier de devises, Williamson (1982) estime qu’un tel choix doit être guidé principalement par la poursuite d’un équilibre 322 interne qui nécessite le rattachement à un panier reflétant la direction et, en principe, l’élasticité du commerce total. 3.2 La détermination du régime de change souhaitable Nous avons précédemment arrêté le régime de change qui pourrait correspondre le mieux aux pays du Maghreb. Il s’agit dans ce qui suit d’en déterminer la forme définitive. Mais il faut d’abord préciser la méthode employée à cet objectif. 3.2.1 La méthode Avant d’entamer cette partie, notre idée était de déterminer un régime souhaitable à l’aide d’un modèle qui nous permettrait de préciser le degré optimal de flexibilité du taux de change. En effet, nous avons remarqué que le choix d’un régime de change est devenu plus complexe qu’avant. D’une part, il ne s’agit pas d’un choix simple entre change fixe et change flexible, d’ailleurs nous avons une multitude de régimes de change intermédiaires. D’autre part, ces derniers se définissent souvent par rapport à un objectif. Dans un régime de crawling peg, par exemple, le taux de change varie pour compenser l’érosion de la compétitivité due à l’inflation. Désormais, ce n’est pas le choix entre fixe et flexible qui est l’objet mais plutôt entre différents degrés de flexibilité. En cela, nous avons pensé que les travaux d’Edwards (1996b) et, dans une moindre mesure, de Collins (1996) pouvaient en être la base. Le premier suppose que l’autorité monétaire minimise une fonction de perte quadratique qui saisit l’arbitrage entre inflation et chômage. L’application est étendue au cas un peu plus compliqué où les autorités doivent choisir entre les régimes de change fixe mais ajustable et le régime de change flexible. Dans ce dernier cas, les coûts politiques potentiels de l’abandon des taux fixes sont pris en compte. Le deuxième se base sur une fonction de perte cherchant à minimiser les pertes perçues du désajustement du taux de change encouru sous le change fixe contre le change plus flexible. Mais plus nous nous sommes avancés dans le sujet, plus nous nous sommes rendus compte que toutes ces tentatives restaient fondamentalement théoriques et dont l’application empirique est commune. D’autres méthodes existent aussi, notamment celles basées sur la décomposition du taux de change réel. Edwards (1989), par exemple, exprime la variation du taux de change réel en fonction de celles du taux d’équilibre, du taux nominal, et de l’écart d’un indice de politique économique d’un niveau jugé soutenable. L’écart est fonction, entre autres, de l’excès de 323 crédit domestique et du niveau du PIB. Plus explicite, Lane (1999) développe un modèle dans lequel les mouvements à long terme du taux de change nominal dépendent du différentiel dans les taux d’inflation à long terme et des changements à long terme dans le taux de change réel. Il suggère que le premier facteur dépend de certaines caractéristiques du pays : degré d’ouverture, taille, niveau de dette publique et indépendance de la banque centrale ; quant au second facteur, il dépend du taux de croissance économique et des termes de l’échange. Récemment, Égert et Lahrèche-Révil (2003), supposant que les distorsions de change peuvent être éliminées par une variation du taux de change nominal, utilisent les désajustements de change pour déterminer le taux de change nominal d’équilibre par rapport à l’euro pour certains pays de l’Europe de l’est. La méthode à suivre prend en compte la discussion des méthodes précédentes, le choix théorique du régime de change qui indique un glissement autour d’un panier et le régime de facto souvent représenté par un panier. Ainsi, nous reproduisons la même méthode d’estimation non contrainte employée dans la section 2 pour expliquer les variations des taux de change au Maghreb. Deux modifications majeures seront toutefois apportées. La première concerne les monnaies censées composer le panier. En effet, l’adoption de l’euro comme monnaie unique par les pays de l’Union Européenne réduit le nombre de monnaies européennes candidates à composer le panier. En représentant toutes les monnaies européennes qui, auparavant composaient majoritairement le panier, l’euro facilite la gestion du panier et la rend plus lisible, mais prive les autorités monétaires de recourir à un nombre élevé de monnaies et de se référer à certaines d’entre elles qui sont moins fortes que d’autres, Escudo Portugais ou Drachme Grecque, dont l’intégration a contribué à l’équilibre du panier à une période ou à une autre. L’euro est appelé à jouer un rôle beaucoup plus important que celui des monnaies européennes prises ensemble, d’autant plus que dans le passé, une partie des échanges avec les pays de la zone euro, en particulier ceux du sud, était facturée en dollar américain. Autre conséquence à l’euro est son internationalisation et son appréciation par rapport aux autres devises. Les monnaies qui s’y rattachent se trouvent ainsi indirectement appréciées. Dans un monde où les trois devises majeures, le dollar, le yen et l’euro, continuent de flotter les unes par rapport aux autres, tout pays décidant d’arrimer sa monnaie à l’une d’elles se trouve forcément en régime de flottement par rapport aux deux autres. En l’absence de toute coordination entre ces devises, un panier composé de l’euro, du dollar et d’au moins une autre monnaie semble le plus approprié. 324 La deuxième modification permet d’introduire dans l’estimation, en plus des monnaies censées composer les paniers, une constante, une variable temps, le niveau du désajustement du taux de change réel et la monnaie chinoise. Les deux premières permettent à la valeur de la monnaie nationale de s’écarter de celle du panier. La constante peut faire référence à un régime de crawling peg (Bénassy-Quéré et Coeuré 2000). Elle est positive si la monnaie nationale se déprécie régulièrement pour compenser un différentiel d’inflation positif. La variable temps est présente dans le modèle de base de Frankel, Schmukler et Serven (2001) dont le coefficient n’est autre que le taux de glissement. L’intégration du niveau du désajustement du taux de change réel courant par rapport au niveau d’équilibre joue le rôle d’une force de rappel, comme un repère à la gestion du change au quotidien. Le choix d’un régime de change n’est donc pas déconnecté de la détermination du taux de change réel d’équilibre. Le régime serait de l’ordre du contenant et le taux d’équilibre, du contenu. La prise en compte de la monnaie chinoise est justifiée par l’idée qu’un pays peut recourir à la flexibilité en intégrant dans son panier une monnaie connaissant une dépréciation et qui plus est celle d’un pays concurrent, une des leçons que nous a livrées l’expérience de la gestion de change en Tunisie. Là-dessus, il faut prendre en considération l’importance de plus en plus croissante des exportations chinoises sur des marchés comme l’Europe, destination traditionnelle des produits des pays maghrébins, tel le textile tunisien. La Chine est devenue le troisième exportateur mondial, représentant 7% des exportations mondiales en 2003 derrière l’Allemagne et les Etats-Unis, dépassant le Japon. Il sera sans doute le premier dans moins de dix ans. Différentes simulations indiquaient que les exportations d’habillement de la Chine pourraient doubler et leur part du marché mondial passer de 20% à 40% (Gaulier, Lemoine et Ünal-Kesenci 2005). La progression des exportations textiles de la Chine, a été forte dès 2001. L’élimination totale des quotas d’importation au 1er janvier 2005, prévue par l’Accord sur le Textile et les Vêtements conclu en 1995 dans le cadre de l’OMC et qui prévoyait une suppression progressive des quotas jusqu’à leur élimination complète, a entraîné au premier trimestre un très gros afflux d’articles textiles chinois sur les marchés américains et européens. L’irruption de produits chinois beaucoup moins chers constitue un choc qui menace les liens industriels tissés au sein de la région euro-méditerranéenne. L’industrie textile européenne a, depuis trente ans, abandonné ou délocalisé de nombreuses activités, dans les pays du sud de la Méditerranée, Turquie et Maghreb, puis en Europe de l’est, ce qui lui a permis de préserver certains segments de la filière, particulièrement dans l’amont et le haut de gamme. Entre 1990 et 2003, les pays voisins de l’UE ont ainsi gagné des parts de marché 325 alors que l’Asie en perdait, les gains de la Chine ne compensant que le recul des textiles et vêtements originaires des autres pays. Les effets de la réévaluation de la monnaie chinoise sur les exportations des autres pays étaient aussi largement discutés ces deux dernières années, par exemple par Shafaeddin (2004). Une réévaluation augmenterait les coûts relatifs d’une unité de travail et déplacerait la frontière technologique chinoise vers des produits plus avancés et à valeurs ajoutées plus élevées. Cette question de réévaluation fait écho d’une part à la thèse de sous-évaluation du Renminbi, le Yuan étant une unité de compte et néanmoins plus usité, qui a émergé ces deux dernières années et d’autre part aux débats qu’elle a suscité sur le niveau de la monnaie chinoise et sur sa place dans le SMI (Williamson 2003 ; Bénassy-Quéré, Lahrèche-Révil et Lemoine 2003 ; Goldstein 2004). En effet, la politique de change chinoise est de plus en plus critiquée et citée pour expliquer le creusement du déficit commercial américain. Bien que le renminbi soit actuellement sous-évalué de l’ordre de 15 à 25%, sur la base de la PPA ou d’un modèle71, Goldstein (2004) soutient que toutes ces critiques qui s’abattent de divers horizons sur la politique de change chinoise sont avant tout provoquées par les difficultés de ces deux dernières années : reprise économique aux Etats-Unis mais avec chômage ; croissance anémique en Europe ; une faible croissance et, très récemment, une inflation, et une perte de leadership en Asie. Par conséquent, la Chine ne doit pas changer sa politique de change simplement parce que d’autres pays la pressent de le faire, mais par rapport à ses propres conditions économiques et ses objectifs de long terme. Bénassy-Quéré, Lahrèche-Révil et Lemoine (2003) soulignent qu’il ne faut pas surestimer les effets d’une éventuelle hausse de la monnaie chinoise. D’abord, parce que la compétitivité de la Chine s’explique surtout par des facteurs structurels. Ensuite, parce que la part de la Chine dans les échanges américains reste relativement faible. Toutefois, une appréciation de sa monnaie pourrait être suivie d’une appréciation de l’ensemble des monnaies asiatiques et l’effet sur le solde américain en serait évidemment accru. Le succès chinois et le dynamisme de son économie reviennent avant tout à des changements structurels. Williamson (2003) et Goldstein (2004) soutiennent que, dans son propre intérêt aussi bien que dans celui de la communauté internationale, la Chine doit initier au plus tôt une appréciation de sa monnaie et ne doit se satisfaire ni de son régime actuel ni opter pour un flottement libre et ouvrir ses marchés de capitaux. A la place, elle doit entreprendre une réforme monétaire en deux étapes. La première, à exécuter immédiatement, 71 - Voir Goldstein (2004) pour la méthode suivie ainsi que celles des études rapportées. 326 comporterait trois éléments : l’ancrage à un panier de monnaies au lieu d’une seule, le dollar ; une appréciation du renminbi de 15 à 25% ; des marges plus larges, de 5 à 7% de chaque côté de la nouvelle ancre. Les contrôles actuels de flux de capitaux seraient aussi maintenus ou libéralisés marginalement, au moins dans le court terme. La deuxième étape est à exécuter plus tard, quand le système bancaire chinois sera considérablement plus développé qu’aujourd’hui ; elle impliquerait une transition à un flottement géré, accompagnée d’une libéralisation significative des flux de capitaux sortants. 3.2.2 Les résultats Nous traduisons la discussion ci-dessus par la formulation générale suivante : N t = C + α × T + Desajt + βi N i ,t + ε t Elle peut correspondre à nombre de régimes de change. Elle suppose que le taux de change de la monnaie nationale ( N t ) peut, par exemple, être donné par une combinaison pondérée de n devises ( N i ,t ), avec un possible taux de glissement ( α ), qui est pour le moment supposé fixe durant une période donnée, et un terme d’erreur ( ε t ). Le panier serait possible s’il y a plus d’un coefficient ( βi ) significatif. Les devises censées composer le panier sont le Dollar américain ( Dla ), l’Euro ( Eu ), la Livre Sterling ( Ls ) et le Yen Japonais ( Yj ). La monnaie chinoise ( Yc ) est intégrée pour un motif de compétitivité. Comme le glissement, T étant le temps, la constante ( C ) et le désajustement du taux de change réel courant par rapport à son niveau d’équilibre ( Desaj ) permettent à la valeur de la monnaie de s’écarter de celle du panier. Une constante positive, un coefficient de glissement α positif et un coefficient du désajustement négatif apportent de la dépréciation à la monnaie nationale. Les données concernant la variable Desaj sont annuelles, issues de l’estimation faite au chapitre 6 et où un signe positif signifie une appréciation réelle courante par rapport au niveau d’équilibre ; nous les transformons en mensuelles en les considérant constantes pendant un an. Cela lui permet de jouer le rôle d’une variable de rappel. L’estimation porte sur la période débutant en 2000, soit un an après l’entrée en vigueur de l’Euro, pour éviter des facteurs qui peuvent interférer dans l’explication des mouvements du change par manque d’adaptation au nouveau paysage financier international. La périodisation exacte est obtenue après maintes itérations permettant de déterminer la plus significative en respectant les statistiques de R² et de DW. 327 Tableau 16 : Estimations des variations de change pour un régime souhaitable Pays Période Estimation R², DW Algérie 2000 :09 1.40 – 1.29 Desaj + 1.73 Eu + 2.72 Dla + 0.58 Ls + 0.63 Yj 2003 :10 (2.59) Maroc (-2.32) 2000 :05 2003 :08 (6.61) (3.69) (20.11) (6.32) (2.10) (10.24) (2.46) 1.82 2.03 (3.05) 0.037t + 0.22 Dla + 0.64 Eu + 0.11 Ls – 0.07 Yc (3.17) (4.0) 97.4 0.80 Eu + 0.32 Dla + 0.08 Ls 2003 :02 Tunisie 2000 :01 (5.86) 64 (-2.22) 82 2.09 (.) t de student Les résultats qui figurent dans le tableau ci-dessus montrent la possibilité de trois régimes de change différents pour les pays du Maghreb et qui nous semble refléter la réalité économique de chaque pays. Le régime le plus simple est celui du Maroc où les variations du Dirham sont expliquées par celles de l’Euro, du Dollar et de la Livre Sterling. Les variations dans les mêmes monnaies expliquent celles du Dinar tunisien, avec plus de prépondérance de l’euro dans les deux cas. Néanmoins, les variations du Dinar tunisien dépendent aussi négativement de la monnaie chinoise. Cela semble logique quand on sait, comme nous l’avons vu ci-dessus, que cette dernière est ancrée au Dollar qui n’a cessé de se déprécier par rapport à l’Euro et qu’elle est sous-évaluée de 15 à 25%. Il y a aussi la présence d’un taux de glissement positif dans l’estimation du Dinar, qui augmente la valeur de la monnaie et joue donc un facteur supplémentaire de dépréciation. C’est un régime d’un panier de monnaies avec glissement qui s’appliquerait bien dans le cas tunisien. Dans l’estimation du Dinar algérien, c’est la présence d’une constante positive qui permet une dépréciation de la monnaie par rapport à la valeur qui pourrait prendre un panier. La présence du Yen japonais laisse envisager un panier plus large que dans le cas de la Tunisie et du Maroc. Cela peut être une solution pour un pays dont les imports et les exports se font essentiellement avec la zone euro alors que ses exportations sont libellées en Dollar. La présence du Yen et de la Livre Sterling stabiliseraient davantage la monnaie algérienne en lui évitant la bipolarité entre l’Euro et le Dollar dont l’appréciation n’est que le reflet de la dépréciation du premier. Contrairement aux cas tunisien et marocain, la variable Desaj est significative et fonctionne dans le sens attendu puisque nous l’avons élaborée de sorte qu’une hausse s’explique par une appréciation du taux de change réel par rapport à un niveau d’équilibre. Ramener ce dernier à son niveau d’équilibre, ou réduire l’appréciation de la monnaie nationale, se traduit par une action opposée sur le taux de change 328 nominal. Cela est d’autant plus manifeste quand le pays cherche à stabiliser sa monnaie ou à trouver de la compétitivité par des dépréciations nominales. Toutefois, l’analyse ci-dessus menée n’est autre qu’une analyse ex-post que nous avons adoptée pour connaître l’étendue de l’application d’un régime de change intermédiaire basée sur un panier de devises et donnant la possibilité à la valeur de la monnaie nationale de s’écarter de celle du panier. Plus l’écart est important, plus le régime de change est flexible. La flexibilité préconisée n’est pas un objectif en soi. Elle est au service de la politique de change, elle même partie intégrante de la politique économique. Cette souplesse dans la gestion de change autour du panier est facilitée par la présence d’une constante, la possibilité d’un glissement, ainsi que la prise en compte de la variable Desaj et de la monnaie chinoise. L’Algérie et la Tunisie semblent pouvoir adopter sans difficultés ce régime. Les données s’en accommodent bien. Quant au Maroc, le régime préconisé ne se vérifie que dans sa partie panier, mais rien n’empêche les autorités de suivre le régime en entier et d’accorder plus de souplesse à la gestion de change d’autant plus que nous avons vu au chapitre 3 que la gestion de change jusqu’ici suivi par le pays a entraîné une appréciation prolongée des taux de change effectifs réels, nuisible à la compétitivité du pays. Il ne nous reste donc qu’à déterminer avec un peu plus de précision la composition du panier pour chaque pays. Dans ce but, nous avons choisi pour démarche de pondérer les coefficients issus de la première estimation par le rapport de la moyenne des variations de la monnaie en question à la moyenne des variations de la monnaie nationale. Les résultats sont dans le tableau suivant. Tableau 17 : Composition des paniers Pays Composition du panier Algérie 0.31 Eu + 0.48 Dla + 0.10 Ls + 0.11 Yj Maroc 0.67 Eu + 0.27 Dla + 0.06 Ls Tunisie 0.66 Eu + 0.23 Dla + 0.11 Ls Il en ressort que la Tunisie et le Maroc ont, à quelques différences près, le même panier dominé par l’Euro à hauteur de 66 et 67%. Cela confirme bien les caractéristiques propres aux deux pays dans leurs relations avec la zone euro, ce qui n’est pas le cas pour l’Algérie où le dollar est plus prépondérant dans le panier que l’Euro. Mais la différence n’est pas aussi importante que dans les deux cas précédents. Ces résultats sont proches, du moins dans le cas 329 du Maroc, de ceux de Bénassy-Quéré et Lahrèche-Révil (1999), où l’Euro est présent à hauteur de 69% et 87% dans les cas du Maroc et de la Tunisie et de 38% pour l’Algérie. Le résultat concernant les différents paniers nous permet d’évaluer le niveau de flexibilité de chaque monnaie. Le rapport du taux de change donné par le panier au taux de change courant indique le pouvoir d’explication, en %, du dernier sur le premier. Les pourcentages inexpliqués sont dus à la flexibilité apportée par l’introduction de la constante et par la prise en compte du désajustement et de la monnaie d’un pays concurrent. La flexibilité peut être représentée par les graphiques ci-dessous. Graphiques 61-63 : Variations des taux de change et paniers de référence V a ria tio n d e s ta u x d e c h a n g e D T S d u D irh a m m a ro c a in e t d u p a n ie r d e ré fé re n c e V a ria tio n s d e s ta u x d e c h a n g e D TS d u D in a r tu n is ie n e t d u p a n ie r d e ré fé re n c e 4 6 en% (e n % ) 5 3 4 2 3 1 2 0 1 -1 0 -2 -1 -3 -2 -3 -4 2001 2002 P a n ie r 2001 2003 2002 P a n ie r D in a r tu n is ie n 2003 D irh a m V a r i a ti o n s d e s ta u x d e c h a n g e D T S d u D i n a r a lg é r i e n e t d u p a n i e r d e r é f é r e n c e 4 e n% 3 2 1 0 -1 -2 -3 -4 0 0 M 0 7 0 1 M 0 1 0 1 M 0 7 0 2M 0 1 P a n ie r 0 2 M 0 7 0 3 M 0 1 D i n a r a lg é r i e n Ces graphiques sont d’une importance particulière. Trois conclusions majeures peuvent en être tirées. La première concerne la confirmation de la fonction principale d’un panier de monnaies qui est de réduire les effets de l’ancrage sur une monnaie. Nous constatons une très faible variation, voire nulle dans le cas du Maroc, de la valeur du panier de référence. Une hausse du dollar, par exemple, implique dans le cas d’une monnaie ancrée sur l’euro, une hausse du coût des matières importées en dollar ; une hausse du coût de la dette en dollar. Le 330 cas contraire implique une perte de compétitivité du textile, étant donné que la Chine ancre sa monnaie sur le dollar. Donc choisir une pondération dollar et euro c’est choisir de réduire les effets positifs et négatifs qui apparaissent quand la parité dollar/euro change aussi bien pour le commerce que pour les capitaux. La parité par rapport au panier c’est l’effet de compétitivité ou l’effet de profitabilité global. A cette fin, on peut modifier la parité, les poids ou changer même le panier. La deuxième conclusion est relative à la pratique de change dans les trois pays du Maghreb. Les régimes suivis s’apparentent à un régime panier où le taux de change courant s’enroule autour de la valeur de référence. Le cas du Maroc, par exemple, fait correspondre ce que le pays déclare officiellement à ce que nous avons trouvé comme régime de facto, à savoir le suivi d’une monnaie panier. Et ce qui est important, c’est que sur trois ans ce panier n’a absolument pas varié. C’est un panier fermement tenu, à l’exception d’une ou deux fois où il y a eu une variation exceptionnelle. Les pics dans les graphiques indiquent des ruptures dans la gestion de la monnaie panier par la banque centrale, comme une dévaluation cachée. C’est aussi le cas de l’Algérie, avec une quasi stabilité du taux de change panier mais des variations fréquentes du taux courant sans pour autant sortir d’une bande de 4%. Le cas de la Tunisie semble offrir un intérêt particulier à l’analyse, puisque le panier lui-même a connu un glissement vers la dépréciation d’au moins 1%. Un décrochage entre le taux de change courant et le taux panier s’est ainsi produit à partir du milieu de l’année 2001. Le premier ne s’enroule plus autour du second, les deux ont même connu des mouvements inverses. Le taux de change courant reste cependant stable avec des variations qui ne dépassent pas le 1 % depuis. Nous pouvons ainsi dire que le panier régulièrement glissant a permis de limiter l’appréciation, aussi faible soit-elle, du Dinar tunisien. La troisième conclusion concerne le régime futur à adopter par les pays du Maghreb. Deux éléments peuvent en être la base. Le premier révèle que quand le panier est composé d’au moins trois devises majeures, la variation de la valeur de référence est très faible, voire nulle comme dans le cas du Maroc, même sans modifier la composition et pour une durée relativement longue pour un panier. Le deuxième élément est relatif à l’ampleur de la variation du taux de change courant par rapport à la valeur de référence du panier. Nous constatons que quelle que soit la pratique suivie par les banques centrales, dévaluation cachée ou déclarée, glissement voulu ou subi, tout le mouvement de change est compris dans une bande d’une largeur moyenne de 3%, 5% au plus fort, des deux côtés de la valeur de 331 référence. Ces deux éléments favorisent un régime de change transparent autour d’un panier avec un glissement qui de surcroît ne nécessite pas d’interventions fréquentes ou de modification de la parité centrale. Il s’apparente à un régime où le taux de change devrait rester à l’intérieur d’une bande sur une période et non à tout moment. Au lieu de s’arc-bouter sur la défense au jour le jour d’un taux de change fixe, il est sans doute préférable d’adopter une bande de fluctuation pendant les périodes où les pressions du marché sont très fortes. Elle évite ainsi de perdre des réserves inutilement, tout en gardant la possibilité de revenir vers des niveaux de parités plus souhaitables, lorsque le marché est plus favorable. D’une manière générale, les régimes du flottement géré bénéficient aussi de cette souplesse dans les interventions ; ils ont aussi un avantage supplémentaire ; en n’annonçant ni parité de référence à défendre, ni largeur de bandes de fluctuations, les autorités monétaires peuvent limiter leurs interventions aux périodes les plus propices. Section 4 Autres considérations Le choix d’un régime de change optimal ne suffit pas. Comme le soutiennent Dornbusch et Park (1999), le régime de change n’est pas la panacée : les politiques monétaires et fiscales comptent aussi. Quel que soit le régime choisi, il n’est pas un remède à des mauvaises politiques. Il ne saurait suppléer à l’absence de bonnes politiques économiques et de solides institutions. Le régime de change doit être considéré comme élément constitutif d’un régime monétaire cohérent, lui-même partie intégrante d’un cadre macroéconomique sain (Bailliu et Murray 2002). D’autant plus que le choix du régime de change s’effectue dans un environnement financier international dynamique et sujet à des perturbations qui poussent à modifier le taux de change réel d’équilibre et à adapter le régime de change en cours. Il est alors nécessaire pour tout pays d’élargir la question du choix du régime de change à des éléments qui permettent de prendre en compte son caractère dynamique et changeant dans ce nouveau contexte. Il s’agit d’abord de rendre le régime choisi transparent et vérifiable, de reconsidérer la politique de change, ensuite, et d’élaborer des indicateurs de surveillance qui permettent le suivi du fonctionnement du régime, enfin. 4.1 Transparence et vérifiabilité Nous avons jusqu’ici remarqué l’importance que prend la gestion du change de facto dans les PED. Les politiques d’ancrage réel en représentent l’aspect le plus fréquent. Elles 332 sont caractérisées par une certaine opacité qui leur permet, tout en stabilisant la monnaie nationale, de bénéficier d’une souplesse d’adaptation aux chocs. En outre, cela permet de promouvoir des taux de change légèrement sous-évalués, avec une discrétion qui permet d’éviter les mesures de rétorsion de la part de partenaires. Mais le manque de transparence des politiques de change constitue un handicap sérieux. L’ancrage réel est une formule qui, audelà de son caractère officieux est assez complexe car elle exige des acteurs un suivi permanent du différentiel d’inflation avec le pays de l’ancre. Une autre forme d’ancrage de facto reste l’ancrage à un panier, largement suivi par les pays du Maghreb, qui soulève beaucoup de critiques concernant son mode de gestion. La discrétion des autorités monétaires des trois pays a présenté des avantages certains lors du processus d’accession à la convertibilité (Calès 1999). En revanche, la libéralisation des économies maghrébines et la réalisation progressive de la zone de libre échange avec l’Europe ne peuvent se contenter d’une politique secrète. Pour attirer plus largement l’épargne mondiale au travers du développement des marchés financiers, plus de transparence dans la politique monétaire, notamment dans sa dimension de gestion des taux de change, mais également plus de transparence dans le fonctionnement du système bancaire et financier sont indispensables pour rassurer les investissements, au-delà des perspectives de rendements offertes. Le meilleur indicateur de transparence du régime de change demeure la capacité des agents économiques nationaux et étrangers à vérifier le fonctionnement du régime officiel et à déduire le régime de facto. Dans ce sens, la notion de vérifiabilité « verifiability », évoquée par Frankel, Schmukler et Serven (2001), se révèle particulièrement intéressante. Elle cherche à rendre le régime choisi transparent aux yeux des agents économiques et financiers, permettant d’atténuer les critiques adressées aux régimes intermédiaires les taxant d’obscurs. Par cette notion, ils soulignent la capacité des participants au marché financier à déduire statistiquement à partir des données observables le fonctionnement du régime de change annoncé par les autorités monétaires. La vérifiabilité est exemple de transparence, un moyen de crédibilité. Ces deux notions sont au cœur du débat actuel à propos du choix du régime de change. Derrière cela se profil l’idée qu’un régime simple de type ancrage au dollar ou flottement libre est plus vérifiable par les participants sur le marché qu’un régime intermédiaire compliqué. Dans cette logique, les régimes les plus simples doivent aussi contribuer à réduire l’incertitude, qui en retour affecte les décisions des agents économiques et financiers. Frankel, Schmukler et Serven (2001) ont ainsi élaboré et évalué, d’une manière 333 économétrique, cette notion qui peut être appliquée à tous les régimes intermédiaires et de flottement. Un régime de taux de change fixe par ancrage sur un panier de monnaie, par exemple, est considéré comme vérifié quand il passe deux tests. Le premier est l’échec dans le rejet de l’hypothèse que le taux de change suit le panier annoncé. Le deuxième est que l’on trouve des paramètres de panier statistiquement significatifs, par exemple on rejette l’hypothèse de comportement aléatoire de la monnaie. En ce qui nous concerne, nous pensons que le régime de change ci-dessus proposé aux pays du Maghreb satisferait aisément les conditions de transparence et de vérifiabilité. Il est basé sur un panier réduit et dépend d’autres éléments, constante et désajustement, qui sont moins enclins à varier dans le court terme. De ce fait, le panier ne nécessite pas de modifications fréquentes. 4.2 Reconsidérer la politique de change La conduite de la politique de change comprend, selon Chandavarkar (1996), six aires de responsabilités interdépendantes : le choix du régime de change, le choix des parités, les directives spécifiques pour gérer le flottement, les décisions journalières d’intervention, l’exécution de la politique d’intervention et la gestion des réserves. Cela pour dire que le fait de déterminer un taux de change réel d’équilibre, du moins de l’approcher, et de choisir un régime de change jugé optimal est une tâche certes énorme et cruciale mais jamais suffisante. Les décideurs politiques doivent toujours surveiller la politique de change. C’est tout particulièrement dans les régimes de change intermédiaires que la notion de politique de change acquière toute sa richesse (Davanne et Jacquet 2000), car sa problématique recouvre alors la gestion d’un arbitrage nécessaire, tactique et dynamique, entre les objectifs de la politique économique et les contraintes qui leur sont associées. D’autant plus que l’évolution vers davantage de mobilité des capitaux et de complexité des activités financières renforce l’importance de l’interaction entre les politiques et les marchés, en matière de communication, de crédibilité, de formation des anticipations. Le cœur du sujet devient donc la gestion de la flexibilité de change. C’est du change géré. Le régime de change dépend toujours des priorités de la politique économique. Cela fait ainsi de la politique de change une composante importante de la politique économique dont la prise en compte est utile dans le choix du régime de change. La plupart des pays émergents, ont adopté des régimes intermédiaires fondés sur une flexibilité partielle de parités. La ligne de conduite est de réaliser un compromis entre le contrôle de l’inflation et la compétitivité 334 (Aglietta, Baulant et Coudert 1999). L’impact de la volatilité des changes sur les variables réelles justifie que la détermination d’une politique de change tienne compte non seulement du niveau, c’est-à-dire de la compétitivité, mais aussi de la volatilité du taux de change (Guérin et Lahrèche-Révil 2001). Dans les faits, la majorité des pays émergents arbitrent entre la stabilisation du change nominal et le maintien de la compétitivité, en recourant à des formes d’ancrage souple. Indépendamment du type d’ancrage, il est important qu’il y ait concordance entre zone commerciale et zone monétaire : l’intensité des échanges commerciaux, qui s’explique en grande partie par la proximité géographique des partenaires, renforce l’intérêt de la stabilisation réciproque des monnaies. Artus (1997) montre la complexité de la politique économique qui permet une appréciation réelle du taux de change en maintenant la stabilité de la dette ou des avoirs extérieurs et l’équilibre du marché des biens, puisqu’elle dépend énormément du degré de mobilité du capital. Si celui-ci est élevé, une appréciation impose un enrichissement du secteur privé, donc une politique budgétaire restrictive. Corden (1994) suggère quatre propositions qui, selon lui, ont d’importantes répercussions. Premièrement, en général, une approche en termes de cible réelle pour la politique de taux de change est la bonne. Le taux de change doit suivre plus que conduire, tenant en compte les différents chocs ou les changements dans des variables tenant aux politiques fiscale et commerciale et les variations des termes de l’échange. Deuxièmement, la politique de change doit être associée à une politique monétaire non inflationniste. En l’absence d’un engagement anti-inflationniste, elle devrait être assignée à une cible réelle, le taux de change réel, à moins qu’il y ait des raisons de croire que cela pourrait affecter significativement l’engagement lui même. Troisièmement, en raison de la mobilité des capitaux, si un ajustement du taux de change s’avérait nécessaire, il devrait être réalisé rapidement, sans ajournement. Quatrièmement, l’ancrage nominal peut jouer un certain rôle pour des pays à niveaux d’inflation opposés. Les pays qui ont des systèmes de change fixe établis depuis longtemps et des niveaux d’inflation relativement faibles peuvent bien garder leurs systèmes, tant que leurs engagements apparaissent crédibles. Pour les pays à tradition de forte inflation et qui sont prêts à stabiliser en changeant radicalement leurs politiques et en formant un engagement nécessaire, ils peuvent trouver dans le taux de change fixe, ou dans un Crawling peg actif, une ancre valable aidant à contraindre les politiques monétaires et apportant de la crédibilité. Mais cela serait probablement coûteux en raison du désajustement du taux de change, du moins pour une période limitée. 335 L’importance de la politique de change réside aussi dans le fait de vouloir à la fois une référence au taux de change et de la souplesse au régime. La référence doit être surveillée et éventuellement révisée en fonction des changements repérés de ses déterminants. L’essentiel est que le marché découvre que la banque centrale mène une politique active et cohérente. C’est avant tout de la qualité du « policy mix » que dépend la gestion du change (Aglietta et Baulant 2000). Des actions souples et progressives à l’égard du marché de change sont aussi nécessaires. La gestion des taux d’intérêt et de crédits et le contrôle des capitaux doivent être menés en accompagnement au fonctionnement du marché et pas nécessairement contre et ni de manière prolongée. Le contrôle des capitaux par exemple doit être conçu comme un instrument de maîtrise de la liquidité à côté du maniement du taux d’intérêt. L’objectif doit être la minimisation d’un risque de crise. 4.3 Indicateurs de surveillance Le suivi du fonctionnement du régime de change mais aussi du niveau du taux de change d’équilibre sera productif et facilité par l’élaboration d’un ensemble diversifié d’indicateurs de surveillance. Deux catégories viennent à l’esprit, celles d’indicateurs de compétitivité comme chez Borowski et Couharde (1999). La première concerne les taux de change qui égalisent les mesures de prix et coûts dans les différents pays, en utilisant les prix des dépenses finales ; de production ; à la consommation et les coûts salariaux horaires, etc. La deuxième concerne les taux de change qui ramèneraient différents indicateurs de compétitivité à leur niveau moyen des 25 dernières années, en utilisant les prix des exportations manufacturières ; à la consommation ; du PIB et les coûts salariaux unitaires dans l’ensemble de l’économie. Ces indicateurs permettent de juger l’origine des écarts à un niveau de compétitivité considéré comme normal. Ils peuvent soit résulter d’une inefficience du marché de change, des interventions ou d’une communication adaptée pour les corriger, soit refléter des divergences cycliques entre économies ou des écarts de taux d’intérêt qui poussent les investissements à arbitrer les devises entre elles. Même sur des marchés totalement efficients, rien n’assure que les taux de change soient en permanence alignés sur leurs niveaux normaux. Les différentiels d’intérêt réels et les primes de risque jouent un rôle clé et sont à examiner de façon approfondie. Lorsque les écarts ne peuvent être expliqués, la politique de change peut y remédier par des interventions. 336 Une troisième catégorie d’indicateurs est justifiée par les crises financières. Différents travaux (Kaminsky, Lizondo et Reinhart 1998 ; Cartapanis, Dropsy et Mametz 1999) ont alors cherché à évaluer la fiabilité d’un ensemble d’indicateurs de vulnérabilité à une crise de change. S’ils apportent des éléments d’évaluation des seuils de déclenchement, notamment pour les variables les plus significatives, ces travaux confirment également la difficulté d’un tel exercice en raison du caractère toujours très spécifique d’une crise et de la diversité des contextes nationaux qui déclenchent la crise de confiance des investisseurs internationaux. Cette expérience confirme la nécessité d’intégrer, aux indicateurs d’alerte, des variables représentatives de la configuration macroéconomique du pays concerné et de la fragilité du système bancaire ou des intermédiaires financiers. Les différentes études revues par Kaminsky, Lizondo et Reinhart (1998) indiquent qu’un système de signalisation efficace des crises monétaires devrait prendre en compte une large variété d’indicateurs. Elles sont souvent précédées par des signes qui apparaissent dans plusieurs pays. Parmi les indicateurs d’alerte qui ont prouvé leur utilité, il y a la surévaluation du taux de change par rapport à son niveau d’équilibre ; le comportement des réserves ; le déséquilibre commercial ou courant ; l’endettement externe ; les déséquilibres budgétaire et monétaire ; les chocs internationaux ; le crédit intérieur, le crédit au secteur public, et l’inflation intérieure. Sur la base de ces indicateurs, on a même élaboré un indice de crise de change. Les périodes d’attaque spéculative sont identifiées par des valeurs extrêmes de l’indice. Les indicateurs, pris un par un, ne sont pas suffisants. L’indice de crise, non plus. Le suivi de l’activité économique, des processus de libéralisation commerciale et financière et des accords d’association avec l’Union Européenne en est l’élément complémentaire. Cet accord augmente la concurrence subie par les producteurs locaux, tant à l’exportation que sur le marché intérieur. Les autorités nationales voudront augmenter l’efficacité de leur système financier. L’implantation des banques étrangères introduira des fonctions financières pour lesquelles l’expertise locale manque. La concurrence bancaire conduira à la suppression du contrôle direct de crédit. Mais toute l’expérience de la libéralisation financière montre qu’il ne faut pas le faire tant qu’il n’est pas remplacé par une réglementation prudentielle imposée aux banques que les autorités soient capables de faire respecter. Cette réglementation doit être simple et robuste, fondée sur des ratios définis par les autorités. Les marchés dérivés doivent être découragés tant que l’expertise pour gérer les risques, pouvant devenir extrêmement élevés en un temps très court, n’est pas réunie. Lorsque ces conditions sont réunies, un régime de change plus souple serait envisageable. 337 Chapitre 9 Réexamen des performances économiques Dans ce dernier chapitre, nous revenons sur la relation entre le taux de change et les performances économiques largement développée lors des trois premiers. Nous proposons de la réexaminer à travers une étude économétrique qui intègre les résultats relatifs aux variables de change, notamment la variabilité du taux de change effectif réel et son désajustement. Parmi les performances économiques, la croissance reste largement considérée dans l’évaluation du niveau du taux de change et dans le choix du régime, mais aussi comme fond du message adressé aux PED pour une transition vers des régimes de flottement, du moins plus flexibles. C’est pourquoi nous concentrons ce chapitre sur la question de la croissance. Quatre sections sont nécessaires avant de prolonger l’étude économétrique, dans une cinquième et dernière section, à l’exportation et à la balance commerciale dont les niveaux représentent le plus souvent une motivation aux PED pour surveiller les taux de change et changer de régime. La première étudie les différentes approches de la croissance en relation aux PED. La deuxième traite de la relation de la croissance au taux de change. Les troisième et quatrième sections sont consacrées à l’estimation économétrique et aux interprétations des résultats. Contrairement à la plupart des études économétriques qui se basent sur des données de panel, nous suivons ici une approche des séries temporelles. Nous l’estimons plus intéressante pour notre étude qui cherche avant tout à tirer des enseignements spécifiques à chaque pays, éléments que les études transversales fournissent peu et dont le message reste plutôt comparatif et à titre discriminatoire entre pays. Section 1 1.1 Les approches de la croissance et les PED Principaux enseignements Pour les théories traditionnelles, la croissance de longue période résulte des facteurs exogènes, en général : démographie et progrès technique. Ce n’est pas un phénomène autoentretenu et cumulatif. Elle est déséquilibrée dans les modèles post-keynésiens de Harrod et Domar et équilibrée dans les modèles néoclassiques de Solow et Swan. Ces derniers, explicitent les vertus d’une économie flexible à croissance équilibrée. Mais, tout en mettant en avant le rôle essentiel du progrès technique, ils ont situé « les sources de la croissance hors du champ économique » (Amable et Guellec 1992). En assignant un grand rôle à la technologie 338 comme source de croissance, la théorie en minore ceux des autres facteurs et manifeste une incapacité à expliquer la grande diversité observée dans les taux de croissances (Lucas 1988). La fin des années 1980 et le début des années 1990 viennent toutefois apporter aux théories de la croissance du renouveau. L’étude des divergences entre croissances de différentes régions du monde et des crises semble démontrer que la croissance économique n’est pas un phénomène naturel provenant seulement de la démographie et du progrès technique. Certaines régions connaissent une croissance qui semble s’auto entretenir, malgré des conditions démographiques qui semblent défavorables, alors que d’autres ne parviennent pas à enclencher le processus. Il y a d’une part, une incompatibilité apparente entre les implications de la théorie néoclassique et le manque de convergence vers une croissance stationnaire même parmi les économies développées et d’autre part une incapacité à bien expliquer les différences dans les taux de croissance des revenus ou dans leurs niveaux (Romer 1986, 1994). Il est donc devenu important pour la nouvelle théorie de la croissance de construire un modèle où le taux de croissance de long terme ne dépend pas uniquement des seuls paramètres des fonctions de production et d’utilité, mais aussi des politiques démographique, fiscale et du commerce extérieur. Les théories voyant le jour dans les années 1980 ont cherché à endogénéïser les facteurs de la croissance, c’est-à-dire à rechercher ses origines dans le système économique lui-même. Elles peuvent alors être considérées comme exploration des modèles économiques72 qui endogénéïsent les sources exogènes du changement technologique de Solow. Le modèle de la croissance endogène offre un boîtier commode qui accueille n’importe quel facteur : éducation, approfondissement financier, stabilité politique… La recherche dans ce domaine n’est pas close pour autant. L’approche institutionnaliste (North 1994) insiste sur le rôle des institutions politiques, économiques et sociales comme déterminants sous-jacents des performances économiques. Palley (1997) joint la théorie de la demande à celle de la croissance endogène, admettant par cela une théorie de croissance endogène à la Keynes-Kaldor. Cela contraste avec la théorie néoclassique où l’influence de la demande globale est complètement absente. Il présente un modèle qui incorpore la théorie de distribution de revenu et un mécanisme de croissance endogène dans lequel le progrès technique est potentiellement affecté à la fois par l’étendue et la vitesse de l’accumulation du capital. En principe, il ne peut exister d’état stationnaire dans un modèle Keynes-Kaldor, et l’économie peut être caractérisée par une accumulation soutenue du capital, ou par des cycles 72 - Jones et Manuelli (1997a) résument les aspects communs de tous les modèles de croissance endogène et donnent des exemples détaillés des principaux types qui ont été utilisés. 339 comprenant des périodes d’accumulation et d’autres de tarissement. La possibilité d’un équilibre local multiple signifie que la gestion de la croissance de la demande ne peut être utilisée que pour amener l’économie d’un taux de croissance d’équilibre bas à un autre élevé. Cela révèle que la gestion de la trajectoire de la croissance est plus difficile et plus problématique que la gestion du niveau de la production. Sur le plan empirique, en dehors des pays développés, les travaux ont cherché surtout à explorer les sources de croissance des pays nouvellement industrialisés d’Asie et ceux connaissant une croissance rapide. Les résultats sont à l’encontre du consensus conventionnel soutenant qu’une croissance élevée de la productivité dans les secteurs manufacturiers compte largement dans le taux de croissance rapide et global de ces pays. Young (1995) les attribue, essentiellement, à une hausse dans les taux de participation de la force de travail et dans le rapport de l’investissement au PIB, à des améliorations dans l’éducation et au transfert intersectoriel du travail à partir de l’agriculture. Les taux annuels de croissance de la productivité totale des facteurs, près de 2% en moyenne, étaient élevés, mais pas assez pour parler de miracle. Un grand débat entoure les résultats empiriques. Barro (1997) trouve une vitesse de près de 2.5% par an, ce qui signifie une convergence très lente comparée aux prédictions du modèle sous-jacent. Quah (1996) se demande si un taux de convergence uniforme, à 2%, pourrait venir de raisons impertinentes aux modèles de croissance. L’idée ici est qu’une telle cohérence pourrait refléter quelque chose de mécanique, indépendante de la structure économique de la croissance. Des procédures de simulation alternatives, techniques d’estimation de panel dynamique et différencié et méthodes des moments généralisés, ont produit des estimations robustes et efficientes avec des vitesses de convergence qui sont deux à trois fois plus rapides que celles obtenues en utilisant les procédures standards (Islam 1995 ; Canova et Marcet 1995 ; Caselli, Esquivel et Lefort 1996). Elles indiquent aussi que la convergence conditionnelle provient de la productivité, ou du rattrapage technologique, aussi bien de la dynamique de transition de l’input type néoclassique. Islam (1995) avance la notion de clubs de convergence où chaque pays voit converger sa croissance vers son propre taux d’état stationnaire, conditionné par les différences dans la technologie et les institutions. Cependant, la démarche fait débat aussi. Le coefficient du revenu initial peut, selon Klenow et Rodriguez-Clare (1997), ne pas refléter exactement la vitesse de convergence conditionnelle parce que certaines variables de contrôle contiennent des informations à propos de la dynamique de transition. Barro (1997) présente une critique intuitive de procédures économétriques alternatives en notant qu’il y a peu de variations temporelles dans beaucoup 340 de variables explicatives communément entrées dans les régressions de croissance. Plus encore, en se focalisant sur la croissance à plus court terme, la technique de panel dynamique peut exagérer le biais d’erreur de mesure, qui tendra à exagérer la vitesse de convergence et à réduire la signification d’autres variables explicatives. 1.2 Théories de la croissance et Economie du développement Que doivent apprendre les économistes du développement de la recherche conduite à l’intérieur du modèle néoclassique, par exemple ? Le changement technologique y est considéré comme étant la source de croissance la plus importante. Les estimations conséquentes à cette analyse et employant des définitions plus larges du capital ont cependant révélé une faible contribution du changement technique à l’explication de la croissance. Cela n’a pas empêché que ce facteur ait continué d’être prédominant dans les études conduites dans les pays développés. Ce rôle accordé à la technologie dans l’explication de la croissance demeure important dans la nouvelle théorie de la croissance et tout particulièrement dans les premiers travaux qui se considèrent comme adaptation du modèle néoclassique pour comprendre les comportements observés des économies, riches et pauvres. C’est ainsi qu’en cherchant à comprendre le miracle coréen comme l’échec des Philippines, Lucas (1993) voyait les miracles de la croissance comme étant celles de la productivité. La recherche sur les sources de croissance dans les PED a tout particulièrement mis en évidence que la croissance est très faiblement expliquée par la productivité. L’interprétation la plus souvent avancée est que la technologie inappropriée transférée des économies à salaires plus élevés, où elle était développée, à des économies à faibles salaires, n’a pas généré des gains élevés de productivité dans ces dernières comme c’est le cas dans les premières (Ruttan 1998). Aussi, les réponses à des questions plus fondamentales, telles que pourquoi certains pays épargnent et investissent plus que d’autres ou réagissent aux chocs plus efficacement, demeurent hors d’atteinte des modèles néoclassiques et ceux de la nouvelle croissance. Beaucoup de travaux dans l’économie du développement se sont focalisé sur les changements dans la technologie et dans les institutions et suggèrent même un retour au programme de recherche avancé dans les années 1950 axant les sources les plus profondes des changements techniques et institutionnels associés aux préconditions et au décollage à l’intérieur d’une croissance autoentretenue. 341 Cependant, des implications pour l’économie du développement peuvent en être tirées. Beaucoup de travaux se basant sur la méthodologie de croissance endogène suggèrent qu’une estimation du taux de croissance pour les PED puisse se faire avec la même méthodologie appliquée aux pays développés, avec néanmoins quelques spécificités au niveau des variables, par exemple. C’est en effet le cas des variables institutionnelles. Le degré de liberté politique se révèle être un contributeur significatif à la croissance économique en Afrique (Savvides 1995). Une qualité institutionnelle élevée encourage les activités productives plus que la recherche de rente ou la corruption et autres activités non productives (Hakura 2004). D’autres variables, telles que l’ouverture commerciale ou la croissance de la population économiquement active par rapport à la population globale (Bloom et Williamson 1998) et surtout les conditions initiales, sont plus pertinentes dans le cadre d’une économie en développement. Un niveau initial de revenu relativement élevé réduit la possibilité de rattraper les économies développées, toutes choses égales par ailleurs, et un stock initial élevé du capital humain facilite l’engagement dans la recherche et le développement ainsi que l’adoption des nouveaux produits et idées développés dans ces économies, faisant promouvoir la croissance (Barro 1991). L’importance des modèles de croissance endogène réside dans l’insistance sur le fait que le changement technique est le résultat d’investissements économiques consciencieux et des décisions explicites par de diverses unités économiques (Griliches 1992). L’endogénéïsation de la formation du capital humain est, pour Ruttan (1998), la contribution la plus importante, un résultat analytique majeur en découle : pour un investissement dans une économie à rendements d’échelles croissants, le produit marginal du capital ne décroît pas nécessairement au niveau du taux d’intérêt. L’incitation à accumuler le capital physique et humain peut ainsi continuer indéfiniment et la croissance de long terme peut être soutenue. Mais le plus important est la stimulation qu’a fournie la théorie de la croissance endogène à la recherche théorique et empirique dans les domaines de croissance et du développement. Bardhan (1995), par exemple, soutient que la contribution la plus importante qui peut inspirer l’économie du développement est de formaliser un progrès technique endogène en termes de modèle traitable de concurrence imparfaite dans lequel le pouvoir du monopole temporaire agit comme une force de motivation pour les innovations privées. Pour Assidon (2002), l’essentiel est moins dans l’identification des facteurs de croissance que dans le processus d’hystérèse. En effet, outre la redéfinition du capital qui gomme la distinction entre capital physique et travail, la nouvelle théorie de la croissance réintroduit une 342 optique d’accumulation qui lie le taux de croissance au stock initial du capital, avec, éventuellement, l’existence d’une trappe de sous-développement. Par rapport aux modèles traditionnels qui prédisent une tendance à la convergence des économies de niveau de développement différent, le nouveau modèle intègre les cas où les écarts se maintiennent ou s’aggravent. Cela peut constituer une piste pour enrichir, voire dépasser, les approches standard de la croissance. Des modèles de trappes à sous-développement permettent, selon Lahrèche-Révil (1999), de concilier observation empirique et analyse théorique. En effet, une économie peut, en raison de son trop faible niveau de développement, demeurer avec un régime de croissance lente et un faible développement. Une telle situation peut être inversée grâce à des politiques économiques adéquates ou un choc favorable permettant d’atteindre un seuil de développement critique, au-delà duquel un régime de croissance auto-entretenu et éventuellement un processus continu de développement économique deviennent possible. L’auteur précise qu’il s’agit bien d’une trappe, car les agents n’ont pas conscience de la nécessité d’accumuler du capital au-delà du seuil critique et qu’en dehors d’un choc ou d’une intervention publique tout équilibre est sous optimal. C’est d’une question de moyen plutôt que de conscience dont il s’agit, nous semble-t-il, ce qui met plus en évidence le rôle d’une politique économique pour sortir de la trappe à sous-développement. 1.3 Apport de l’Economie du développement à la théorie de la croissance Selon Ruttan (1998), la nouvelle économie de la croissance était atteinte par l’importation de trois concepts conventionnels de l’économie du développement. Le premier est celui des économies d’échelles qui a occupé un rôle prééminent dans la toute première littérature du développement. Le second concerne le rôle du capital humain avancé initialement par les économistes du développement. Le troisième est celui du changement technique endogène, qui, sous le concept de changement induit, a eu un grand succès auprès des économistes du développement et des historiens de l’économie dans l’interprétation du taux et de la direction du changement. Assidon (2002) soulève, cependant, que la théorie du capital humain de Lucas ne préjuge en rien de l’économie politique de l’investissement en capital humain. C’est hors de son champ. Or la question du savoir, de son transfert sous toutes ses formes, de son accessibilité, dans les faits, a été dès le départ cruciale dans le cas des industrialisations tardives. L’expérience du demi-siècle dernier est, pour Amsden (2001), sans précédent puisque tout aura été apprentissage. Des pays se sont développés sans eux-mêmes innover. Ils se sont appropriés la technologie à partir des modes d’organisation et 343 d’intégration internationales. Ils ont mis en place des institutions pour imposer une discipline dans le comportement économique, en particulier à travers un mécanisme de réciprocité : les subventions en termes de taux de change ou d’intérêt ont été systématiques à partir des années cinquante, et elles avaient pour contrepartie, sauf en Argentine, des engagements de résultats à atteindre. C’est moins l’alternative « Etat-marché » qui était déterminante d’une croissance auto-entretenue, mais un renforcement institutionnel. Plusieurs autres concepts doivent être importés pour que la nouvelle théorie de croissance puisse enrichir la pratique du développement. Il s’agit, entre autres, de la transformation structurelle, la transition démographique, la distribution du revenu et le changement institutionnel, questions centrales en économie du développement. Or les hypothèses de préférences homothétiques et de neutralité du changement technique employées par la plupart des modèles de croissance excluent toute analyse de transformation structurelle (Matsuyama 1992 ; Bardhan 1995). Une fois que ces hypothèses sont abandonnées, le changement structurel, la transition d’une économie primaire agraire à une économie industrialocommerciale, émerge comme un aspect central du processus du développement (Syrquin 1994 ; Echevarria 1997). Il ne semble donc pas sérieux d’analyser le développement économique avec un modèle sans mécanisme pour générer des transformations structurelles. Ce qu’il s’agit plutôt d’expliquer c’est le développement en tant que changement structurel, c’est le passage de la cour des petits à la cour des grands (Guellec et Ralle 1997). Quant à la transition démographique, les économistes du développement ont fait un grand progrès dans la construction des modèles endogènes des décisions de fertilité familiale. Mais peu de progrès était accompli pour explorer la relation entre l’investissement dans la santé et la nutrition qui influencent les taux de mortalité infantile et la croissance du capital humain. Concernant la relation entre la distribution du revenu et le développement économique, la littérature sur les sources de la pauvreté était enrichie par celle stimulée par Sen (1981, 1992). Des tentatives étaient faites pour endogénéïser le mécanisme qui génère la relation de Kuznets en U inversée, selon laquelle l’inégalité croît dans une première phase puis décroît. Elle serait vérifiée mais elle n’explique pas l’ampleur des variations dans l’inégalité à travers les pays et dans le temps (Barro 1999). Ni les modèles néoclassiques ni ceux de la nouvelle croissance n’ont explicitement traité des questions de pauvreté et de distribution du revenu. Quant aux changements institutionnels, des avancées incluent la littérature sur le choix de contrat et sur le rôle des droits de propriété et de contrat dans la transition démocratique. Mais la réussite de la nouvelle croissance dans l’endogénéïsation du changement technique n’était pas suivie par 344 celle du processus du changement institutionnel ou d’incorporation de la théorie de l’architecture institutionnelle. Ni l’ancienne ni la nouvelle littérature de la croissance n’ont, selon Olson (1996), confronté avec succès l’observation empirique et cela en dépit de la disparité croissante entre les pays riches et les pays pauvres. Prescott (1998) préconise que la recherche soit dirigée vers les facteurs qui déterminent la résistance au transfert et l’adoption du savoir et de la technologie. Les économistes de la croissance furent longs à incorporer ces questions et concepts fondamentaux dans la théorie de la croissance. La principale cause semble se situer dans la difficulté du traitement analytique et de la modélisation. L’insistance sur le travail à l’intérieur des contraintes étroites des modèles de croissance à état stationnaire a représenté l’obstacle principal pour construire sur ce riche corps de littérature initialement avancée par les économistes du développement. Ruttan (1998) évoque l’obsession autour de la question de la convergence qui compte dans l’explication de l’échec des théories de croissance à étendre leurs portées et comprendre certaines des principales sources du développement économique. Section 2 Croissance et taux de change Nous étudierons la relation du taux de change à la croissance et nous cherchons à savoir comment elle était prise en compte par les différents modèles dans ce domaine, comment les différentes variables relatives au change : variabilité, désajustement et régime peuvent l’affecter directement ou par l’entremise d’autres variables. 2.1 Le taux de change dans les modèles de croissance Très peu de travaux consacrés à la croissance dans le cadre des approches évoquées cidessus ont accordé une place à des déterminants relatifs à la politique de change. Une raison principale nous semble être derrière ce constat. C’est l’utilisation des estimations en coupe et souvent pour des pays ayant le même régime de change. La notion de désajustement de change, par exemple, requiert la référence à un niveau d’équilibre du taux de change réel. Lorsque l’on considère des pays ou des zones en développement et des groupes de pays de niveau de développement différent, la référence la plus pertinente et la plus utilisée est celle de Balassa (1964). La conclusion ne peut qu’être d’ordre comparatif. Cela ne laisse pas apparaître les effets de variation du taux de change ou de changement de régime de change au 345 sein d’un pays mais, c’est le cas, entre groupes de pays. Il n’y a que récemment que ce thème est devenu présent dans les études de performances économiques grâce à l’intérêt suscité par des questions relatives au change et au développement financier et non plus lié à l’explication de ces performances en elles-mêmes. Collins et Razin (1997), par exemple, ont cherché à mesurer l’effet du désajustement sur la croissance, soutenant toutefois qu’il n’y a ni consensus sur l’indicateur du désajustement ni sur la méthodologie pour l’édifier. Après avoir construit le leur, sur une base plus large applicable à des pays développés et en développement, ils ont exploré cette relation à travers une régression intégrant d’autres variables explicatives de la croissance qui sont devenues standards dans la littérature et dont le choix est largement influencé par l’analyse classique de Barro et Lee (1994). Le constat que soulève LahrècheRévil (1999) sur le peu de formalisation théorique de la relation de long terme observé empiriquement entre taux de change réel et développement peut en être une explication. Même quand des explications théoriques de cette relation existent, elles ne permettent pas, en général, de rendre compte de l’influence à long terme du taux de change réel sur la croissance et le processus de développement, car les approches sur lesquelles elles reposent ne s’y prêtent pas. C’est une approche qui se base sur l’analyse en termes de dumping monétaire, par exemple, et qui s’attache à expliquer les gains de croissance dont profiteraient les pays qui parviennent à sous-évaluer durablement leur taux de change réel. Elle insiste cependant surtout sur les pertes de croissance que subissent les pays industrialisés du fait du dumping monétaire des PED, et beaucoup moins sur les gains de croissance que ces derniers peuvent en tirer. Elle relève en outre également d’une analyse de moyen terme, puisque le taux de change réel ne saurait, en théorie, s’écarter à long terme de son niveau d’équilibre. Lahrèche-Révil (1999) propose le recours aux modèles de trappes à sous-développement, où la relation du taux de change réel à la croissance et au processus du développement intervient par l’intermédiaire de deux mécanismes. Le premier traduit l’influence qu’exerce le taux de change réel sur les mouvements de capitaux qui peuvent, sous formes des IDE par exemple, s’ajouter à l’investissement domestique. En effet, la dépréciation du taux de change réel diminue le coût des facteurs immobiles internationalement, accroît la compétitivité et augmente la valeur en monnaie étrangère des capitaux engagés. Le deuxième traduit l’influence qu’exerce le taux de change réel sur l’accumulation du capital humain, par le biais de son effet sur les exportations qui permettent un processus d’apprentissage et génèrent des externalités favorables à l’accumulation des connaissances. Le taux de change réel détermine donc à la fois l’accumulation du capital humain, par le biais des exportations, et du capital 346 physique, par le biais des investissements directs. Tout désajustement temporaire du taux de change réel peut donc affecter la croissance de long terme ou le niveau du développement. Si une dépréciation réelle produit toujours une accélération de la croissance, elle n’en modifie, toutefois, durablement le profil que dans les pays dans lesquels l’accumulation domestique du capital a été suffisante pour que le stock de capital soit proche du seuil critique au-delà duquel ces pays peuvent basculer dans un régime de croissance endogène. Dans le cas où le stock initial serait très faible, il est probable qu’elle ne permette pas une accumulation suffisante pour dépasser la trappe. Le taux de change réel n’est pas un déterminant systématique de la croissance, mais un catalyseur : si les conditions internes sont réunies, une dévaluation réelle peut avoir un impact favorable à long terme sur la croissance. Il n’est toutefois pas difficile de lier dans un modèle la croissance au taux de change réel. Prenons l’exemple d’un modèle de croissance néoclassique simple où la production ( Y ) dépend du capital ( K ), du travail ( L ) et du progrès technique ( A ), sous forme d’une fonction Cobb-Douglas: α 1−α Y = AK L Dans le cadre d’un PED, la production est essentiellement contrainte par le capital, le travail étant abondant. Nous pouvons ainsi, dans un premier temps, modifier la fonction de production précédente par l’intégration des inputs importés ( M ), ce qui donne l’expression suivante : α Y = AL K β M 1−α − β Ou en décomposant le stock du capital en domestique ( K d ) et étranger ( K e ), comme suit : K = K dλ K e1−λ Dans un second temps, nous introduisons une expression supplémentaire dans le modèle qui fait dépendre les inputs et les capitaux étrangers du taux de change réel, par la simple supposition qu’un niveau bas, par exemple, renchérit les premiers, ralentissant ainsi la production, et constitue en même temps un facteur de compétitivité et d’attraction des seconds qui cherchent à investir et à exporter à partir du pays d’accueil. Prenons un autre exemple, celui d’une économie qui a pour objectif de stabiliser la balance commerciale, une modélisation très réduite nous fera apparaître ce lien direct entre croissance et taux de change. Les exportations ( X ) dépendent de la production étrangère et du taux de 347 change réel ( R ), qui, avec le niveau de la production nationale, déterminent les importations (M ) : αx X = Y* R βx αm et Le taux de change réel s’exprime avec R = M =Y R − βm P* E , où P , P* et E sont respectivement les P indices des prix nationaux et étrangers et le taux de change nominal. Si l’on veut stabiliser la balance commerciale par la stabilisation d’un rapport des exportations aux importations : T = Px X , où Px Pm sont les prix à l’export et à l’import, il s’ensuit que : Pm M • • • • PX X PM M + − − =0 PX X PM M • * Si PX = P et PM = P E , On en déduit que : alors • • PX PM R − = − = −rˆ , où ˆ désigne taux de variation PX PM R − rˆ + α x yˆ * + β x rˆ + α m yˆ + β m rˆ = 0 Une croissance compatible avec un équilibre stable de la balance commerciale se traduit alors par : β + βm −1 α x yˆ = x rˆ + α m αm * yˆ (1) Nous pouvons prolonger l’analyse par la prise en compte de l’équilibre extérieur qui cherche à faire correspondre aux besoins de financement de l’économie des flux structurels dont les facteurs d’attractivité sont le taux de change réel et les différentiels des productivités globales ( π − π * ) et des taux d’intérêt réels par rapport à l’étranger ( q − q* ), soit : f = f 0 + f1r + f 2 (π − π * ) + f 3 (q − q* ) (2) En intégrant (2) dans (1) et en approximant ( f − f 0 ) par ( ide ), nous obtenons : ^ β + βm α x * 1 ^ f2 f3 ^ * * ˆ ˆ yˆ = x r y ide ( ) + − + − + π π (q − q ) αm αm α m f1 α m f1 α m f1 (3) C’est une expression plus large du taux de croissance qui dépend des variations du taux de change réel, de la production étrangère, des investissements directs et des différentiels des productivités globales et des taux d’intérêt réels par rapport à l’étranger. 348 2.2 Analyse de la relation Nous étudierons la question de la croissance par rapport au niveau et à la variation du taux de change dans un premier temps et par rapport au régime de change dans un second temps. Les deux éléments de cette relation témoignent du rôle important du taux de change dans la croissance des économies en développement, comme le montrent les multiples études menées ces dernières années, par exemple Atlan et al. (1998). Les résultats relatifs aux pays d’Amérique Latine et africains soutiennent l’idée d’un important lien entre le comportement du taux de change réel et la performance économique. Il est soutenu qu’autant l’instabilité des taux de change réels était néfaste à la croissance des exportations dans les pays d’Amérique Latine, autant leur stabilité était centrale dans la promotion de l’expansion des pays de l’Asie de l’est. Des contributions à la littérature empirique soulèvent la relation fortement négative entre la variabilité des taux de change et la croissance économique (Bosworth, Collins et Chen 1995). D’un autre côté, beaucoup de pays africains ont enduré des désajustements soutenus de taux de change réels qui, en retour, ont entravé le développement de l’agriculture et réduit l’offre alimentaire intérieure. Le désajustement est le facteur le plus souvent mis en cause puisqu’il peut mener à une réduction dans l’efficience économique, une mauvaise allocation des ressources et une envolée du capital. Il peut y avoir des conséquences à long terme qui vont au-delà de l’impact couramment exercé à court terme, sur la compétitivité des entreprises du pays considéré (Collins et Razin 1997). Une surévaluation très sensible tendra à ralentir la croissance alors qu’une sous-évaluation importante, sans être toutefois excessive, aura pour effet de l’accélérer. C’est pourquoi ce phénomène a reçu une attention considérable dans les discussions politiques comme source importante de déséquilibre macroéconomique dont la correction est l’une des conditions cruciales pour améliorer la performance économique et assurer la stabilité macroéconomique (Domaç et Shabsigh 1999). Les politiques visant à stabiliser le taux de change réel autour d’un niveau réaliste pourraient, via ce mécanisme, encourager la croissance. De larges mouvements du taux de change réel sont associés à une plus grande incertitude par rapport aux prix relatifs qui, en retour, entraînent des risques plus grands et des horizons d’investissement plus courts. Cela entraîne des coûts d’ajustement très élevés : des reculs dans la production, un mouvement du secteur échangeable vers le non échangeable et une volatilité croissante des taux d’intérêt menant à une instabilité financière. Le désajustement affaiblit aussi la profitabilité dans les industries où les prix relatifs sont réduits, c’est souvent une surévaluation de la monnaie domestique 349 défavorable aux activités des échangeables. Deuxièmement, la croissance et le taux de change réel sont influencés par la politique, qui en retour accroît la corrélation entre les variables sans impliquer nécessairement une causalité dans un sens ou dans un autre. En ce qui concerne le régime de change, le débat ne semble pas si tranché comme dans le cas du désajustement. Il existe deux arguments qui s’opposent totalement sur la relation entre taux de change fixe et croissance. Collins (1996) évoque l’expérience latino-américaine de 1987 à 1992 laissant entendre que le change fixe aurait favorisé une croissance plus faible et qu’une flexibilité accrue l’aurait accéléré. Néanmoins, le choix du régime de change doit être vu comme endogène. Les pays ayant une faible croissance ont dû très probablement choisir un régime fixe et rien n’indique qu’un pays donné connaîtrait une croissance plus rapide s’il adoptait un régime flexible. Pour ces mêmes pays, l’auteur souligne aussi que la stabilité du taux de change réel tend à être associée à une croissance économique plus rapide autant que le passage vers la flexibilité était associé à un accroissement de volatilité des taux de change. Le régime de change ne devrait pas affecter les valeurs d’équilibre des variables réelles, mais il pourrait influer sur le processus d’ajustement, soutiennent Bailliu, Lafrance et Perrault (2002). Quel que soit le régime de change, à long terme, le taux de change réel retrouverait sa valeur d’équilibre après un choc économique. Cette affirmation fait émerger des questions concernant la manière de retrouver les valeurs d’équilibre, la durée de l’ajustement et son influence sur la croissance, de l’hystérèse, c’est-à-dire que la croissance perdue n’est jamais rattrapée. Le processus dynamique de transition peut cependant varier selon le type de régime. S’il existe des rigidités sur les marchés des biens et du travail par exemple, le retour à l’équilibre sera sans doute moins heurté si les taux de change flottent librement. Un flottement pur peut réduire la probabilité d’un déséquilibre durable du taux de change, susceptible d’entraîner une crise économique. Même quand elle indique que le choix du régime de change a un effet sur la croissance, la théorie économique ne permet pas d’établir clairement quel régime lui est le plus favorable. Les quelques études ayant abordé la question ont porté sur des concepts indirectement liés à la croissance, comme celle des exportations ou les crises de change. La théorie offre certaines indications sur les canaux par lesquels le régime de change peut influer sur la croissance, mais elle ne va pas jusqu’à avancer que celle-ci est favorisée par un régime de change flottant, par exemple. Certains font valoir qu’il peut favoriser la croissance en permettant à une économie caractérisée par une rigidité des prix et des salaires nominaux d’amortir les chocs 350 économiques et de s’y ajuster plus facilement, grâce au rôle de tampon joué par les fluctuations du taux de change. De plus, un taux de change flottant permet à un pays de mener une politique monétaire indépendante, ce qui lui laisse un autre moyen pour absorber les chocs internes et externes. Une économie qui s’ajuste plus facilement aux chocs devrait jouir d’une croissance de la productivité plus élevée, compte tenu du fait qu’elle tourne en moyenne plus près des limites de sa capacité. Néanmoins, les taux de change flottants sont par nature volatils et enclins à des déséquilibres durables (Baxter et Stockman 1989 ; Flood et Rose 1995). Caporale et Pittis (1995) concluent que le régime de change peut influer sur la persistance des chocs économiques. Les chocs de taux de change, qui sont davantage associés aux changes flottants, pourraient perturber les décisions en matière d’affectation des ressources. En outre, les pays dotés de systèmes financiers sous-développés ou fragiles éprouveraient plus de difficultés face aux variations importantes des taux inhérentes aux régimes de changes flottants. Le régime de change choisi influerait donc sur la croissance d’une économie par l’entremise de ses effets sur le processus d’ajustement. 2.3 Le taux de change et les déterminants de la croissance L’effet des variables relatives au change sur le taux de croissance d’un pays se conjugue à ceux d’autres variables. Il peut donc être plus ou moins prononcé en présence d’une catégorie de variables que d’une autre. Prenons l’exemple de l’ouverture au commerce international, la théorie de la croissance endogène lui attribue un lien positif avec la croissance économique. En plus des avantages comparatifs et des économies d’échelle, les économies les plus ouvertes sont les plus en mesure d’intégrer le progrès technologique et de tirer avantage de l’élargissement des marchés (Barro et Sala-i-Martin 1995). La nature du lien entre échange extérieur et croissance se précise par l’entremise du taux de change (Busson et Villa 1997). Un taux de change réel bas permet d’accroître les exportations par effet de compétitivité. Leur développement desserre la contrainte extérieure et permet d’importer du capital non produit localement, ce qui favorise la croissance. A l’inverse, un taux de change réel élevé favorise le secteur traditionnel, pour les PED, ou le secteur abrité, pour les pays développés. En revanche, une grande variabilité du change ou des demandes d’exportations accroît l’incertitude sur le rendement à l’export et risque de les entraver en faisant jouer un rôle important à la profitabilité à l’export lorsque les producteurs nationaux sont averses au risque. Bien que le lien entre commerce international et croissance ait davantage retenu l’attention, l’ouverture aux flux de capitaux peut aussi générer des investissements qui ont des 351 retombées positives (Bailliu 2000). Le régime de change peut donc influer sur la croissance par l’entremise de ses effets sur les échanges extérieurs et les flux de capitaux internationaux. La littérature consacrée au sujet le confirme sans établir pour autant clairement la nature du régime le plus favorable. Toutefois, peu importe le régime de change, ses effets sur la croissance, par le truchement du commerce international, seraient plus prononcés pour les pays les plus ouverts. L’idée répandue est que les flux de capitaux favoriseraient davantage la croissance en régime de flottement, du fait qu’un régime plus rigide entraînerait une augmentation des flux spéculatifs. En effet, certains, notamment Dooley (1996), ont prétendu que les importants flux de capitaux vers les marchés émergents dans les années 1990 étaient largement encouragés par les garanties implicites que représentaient les régimes de changes fixes ou quasi fixes. Les flux de capitaux sont moins, voire, contre-productifs quand ils sont dirigés vers des placements improductifs. Krugman (1998) et Corsetti, Pesenti et Roubini (1999) soulignent le rôle des banques locales dans l’affectation de ces placements et celui de l’Etat qui les garantissent implicitement. Rizzo (1999) met en évidence tout simplement la complexité de la relation entre le régime de change et la croissance et les incertitudes théoriques qu’elle soulève. On peut s’attendre à ce que le régime de change influe sur la croissance de la production soit par une action sur le taux de croissance des quantités des facteurs soit par une action sur la croissance de la productivité totale. Mais les canaux de transmission sont multiples et contradictoires et l’impact final n’est pas évident à déterminer a priori. L’action du régime de change sur la productivité totale des facteurs peut intervenir soit à partir d’un effet sur la vitesse d’ajustement sectoriel aux chocs, soit à partir d’un effet sur la croissance du commerce extérieur, ou de l’ouverture en général, qui est à son tour censée stimuler la croissance de la productivité à travers de multiples voies. En particulier, les pays les plus ouverts sur l’extérieur connaissent une plus forte croissance de la productivité totale des facteurs que ceux qui refusent la compétition internationale, parce qu’ils absorbent plus vite et avec plus d’efficience les innovations technologiques développées à l’étranger (Edwards 1993b). Mais les deux canaux de transmission demeurent flous et controversés, notamment, pour le second, il n’y a pas d’unanimité concernant la nature réelle du lien entre le régime de change et la croissance des échanges internationaux. De la même façon, la relation entre régime de change et croissance des quantités de facteurs est sujette à débat. Parce qu’ils réduisent l’incertitude, les taux d’intérêt réels et la variabilité des taux de change réels, les changes fixes doivent favoriser l’investissement et accélérer la croissance. Mais, en éliminant de fait un important 352 mécanisme d’ajustement, la variation du taux de change, ils tendent à exacerber les pressions protectionnistes et, dans la mesure où les activités liées au commerce extérieur ont une productivité supérieure, ils réduisent le niveau d’efficience d’un stock donné du capital. Les taux de change fixes peuvent, en plus, induire un désajustement du taux de change réel qui déforme les signaux des prix dans l’économie et empêche l’allocation efficiente des ressources entre les secteurs. Autant d’éléments qui jouent négativement sur la croissance. Les effets du régime de change sur la volatilité de la production sont tout aussi ambigus. Les taux flexibles, en facilitant les ajustements des prix et des salaires réels, sont généralement censés générer une faible volatilité de la production. Mais, si les forces spéculatives font du taux de change nominal une source indépendante de volatilité, un taux de change flexible peut également exacerber les variations de la production et de l’emploi. Autre exemple d’interaction des variables relatives au change avec d’autres concerne celles liées à la présence d’un marché financier plus ou moins développé. L’hypothèse veut que pour qu’un pays puisse tirer avantage d’un régime de change flottant, il doit être doté d’un marché financier suffisamment développé. Ce type de régime s’accompagne généralement d’une volatilité accrue du taux de change nominal, laquelle peut freiner la croissance en réduisant les investissements et le niveau des échanges extérieurs. Un pays devrait donc afficher une croissance plus élevée en régime de flottement s’il dispose d’un système financier suffisamment développé pour amortir les chocs du taux de change et offrir des instruments qui permettent de se protéger contre la volatilité de change. Ce n’est pas le cas des PED, ils ont des marchés financiers peu développés. Pour financer leurs besoins en capitaux, les producteurs comptent essentiellement sur le marché intérieur, qui est souvent séparé du marché international à cause du niveau élevé des risques propres au pays. Une plus grande stabilité du taux de change entraîne une réduction des taux d’intérêt, par la baisse de la prime de risque, et donc une augmentation de la production. Car dans un régime de change fixe, la plus faible volatilité du taux de change réduit l’incertitude, à l’opposé des changes flottants qui peuvent l’engendrer et ainsi ralentir les investissements par la détérioration du profil risque – rendement et le report de projets d’investissement. Un meilleur accès aux marchés financiers internationaux réduit cependant cet effet et augmente ainsi le degré de flexibilité optimal du taux de change. Même si les effets du degré de développement du secteur financier sur la croissance peuvent être plus prononcés dans le cas des pays qui ont un régime de changes flottants, un secteur financier sain et bien développé favorise la croissance quel que soit le régime. Le développement du système financier, mesurable par sa capacité à mobiliser 353 l’épargne ; à faciliter la répartition des capitaux et à améliorer la gestion du risque, peut favoriser la croissance par le jeu de ses effets sur l’accumulation du capital et l’allocation des ressources offrant des opportunités aux entreprises qui en sont les plus dépendantes (Rajan et Zingales 1998 ; Levine 1997, 2004 ; Fisman et Love 2004). De plus, les recherches empiriques confirment qu’un système financier efficace contribue à la croissance économique. La causalité ici n’est toutefois pas unidirectionnelle. Le niveau d’activité économique et les innovations technologiques influencent la structure et la qualité des systèmes financiers. En outre, des facteurs tels que le système juridique et les institutions politiques d’un pays jouent un rôle important dans le développement financier et économique d’un pays à divers moments critiques de son processus de croissance. En effet, selon la plupart des études, le développement de système financier aurait une incidence positive sur la croissance du PIB par habitant. La probabilité d’une crise bancaire est plus forte en régime de changes fixes, surtout si le secteur bancaire est peu développé et mal réglementé. Par contre, un régime de changes flottants peut aider à éviter les crises, dans la mesure où les dépôts bancaires sont libellés dans la monnaie du pays et où la banque centrale est disposée à faire office de prêteur de dernier ressort, soutiennent Chang et Velasco (2000b). Un régime de change très rigide représente une forme de garantie implicite et peut constituer une source d’aléa moral. Il peut conduire à des emprunts en devises non couverts et porter les engagements en devises des intermédiaires financiers et des sociétés non financières du pays concerné à des niveaux dangereusement élevés. Aussi, d’après Caballero et Krishnamuthy (1999), les entreprises des pays dont les marchés financiers sont peu développés, ce qui représente un manque de garanties intérieures, sous-estiment presque toujours la valeur sociale de leur accès aux marchés financiers internationaux. Par conséquent, ces pays sont pris au dépourvu lors d’un ralentissement de l’activité et peuvent subir des crises coûteuses. En outre, une chute des prix des actifs financiers peut provoquer une détérioration de la situation financière des banques et un goulet d’étranglement du crédit dans le pays. Section 3 Estimation économétrique de la croissance Il nous paraît nécessaire, avant de réaliser les régressions économétriques, de clarifier le cadre théorique et pratique de notre travail. En effet, ce que nous cherchons ici c’est à explorer les effets des variables liées au change sur la croissance économique. Mais à la différence de la plupart des travaux, nous appliquerons une approche des séries temporelles. Ce sont plutôt les études transversales, en coupe ou en panel, qui sont le plus souvent suivies. 354 Elles sont très importantes puisqu’elles ont l’avantage d’explorer un nombre élevé de variables susceptibles d’influencer la croissance et de pouvoir la comparer entre différentes zones de développement. Elles demeurent toutefois fondamentalement comparatives malgré le recours à des techniques de panel dynamique qui admettent les effets fixes ; peu d’éclairage est jeté sur le processus même de croissance par pays. Elles soulignent, par exemple, l’énorme effet de l’investissement sur la croissance, mais qui peut ne pas être directement mis en évidence dans une approche des séries temporelles. L’explication en est très simple. Dans les études transversales, où les groupes de pays peuvent être discriminés, la différence des taux d’investissement, par exemple, se voit tout de suite entre un PED et un pays de l’OCDE. Alors si nous regardons de près l’évolution dans le temps du taux d’investissement du même PED, nous pourrons observer qu’il était presque stable sur toute la période. Cela ne signifie pas une absence d’effet, mais, tout bonnement, il agit autrement. Par là, nous soutenons que l’approche transversale fait appel à des variables qui influencent intuitivement la croissance sans une portée pratique pour un pays particulier, or c’est le propre d’une politique économique. Notre recours à une approche des séries temporelles nous permettra de dépasser cela, mais il modifiera aussi notre spécification de l’estimation. Avant de détailler la procédure de l’estimation, il nous paraît intéressant d’évoquer certains aspects généraux relatifs à la croissance dans ces pays. 3.1 Aspects généraux Dans les travaux empiriques s’intéressant aux PED, peu ont évoqué les pays du Maghreb ou de MENA. Ce sont souvent les pays d’Asie de l’est, d’un côté, et de l’Afrique Subsaharienne, de l’autre, qui sont intégrés comme l’exemple des performances économiques et son contraire. Ils pointent la faiblesse institutionnelle combinée à une forte présence du secteur public comme principaux obstacles à la croissance. L’instabilité politique est aussi avancée comme ayant joué un rôle dans la faible croissance de la région. Domaç et Shabsigh (1999) et Hakura (2004) sont parmi les rares exemples qui ont voulu combler ce vide. Les premiers ont cherché à explorer l’impact des politiques de change sur la croissance économique de quatre pays arabes qui sont l’Egypte, la Jordanie, Le Maroc et La Tunisie pour la période allant de 1970 à 1996. La seconde, Hakura (2004), a consacré son étude aux pays de MENA. Sur les deux dernières décennies, la croissance économique dans la région était faible : entre 1980 et 2000, le Pib réel par tête a stagné, comparé au taux de croissance moyenne annuelle de 4.1% en Asie de l’est et 0.3% dans tous les autres PED sur la même 355 période. La faible performance de croissance de la région durant les années 1980 et 1990 contraste aussi énormément avec les années 1970, quand le taux de croissance du Pib par tête annuel était de 2.3% en moyenne, au-dessus de ceux des autres PED hors Asie de l’est par environ 2/3 de point. Ce manque de croissance était une préoccupation des décideurs politiques du fait qu’il exacerbe les problèmes posés par des taux de chômage en général élevés et une croissance relativement importante de la force du travail dans la région. Graphiques 64-65 : Taux de croissance des PIB réel/tête au Maghreb Ta ux d e c ro is s a nc e d u P IB ré e l/tê te m a ro c a in ($ U S c o n s ta nt, 1 9 9 5 ) Ta ux d e c ro is sa nce d u P IB ré e l/tê te ($ U S c o ns ta nt, 1 9 9 5 ) 30 12 en % (e n % ) 8 20 4 10 0 0 -4 -1 0 -2 0 1965 -8 1970 1975 1980 Tunisie 1985 1990 1995 2000 -1 2 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 A lg é r ie Sur le plan de la littérature empirique de la croissance, les études les plus récentes ont identifié un ensemble de causes structurelles potentielles derrière la faible performance de croissance dans la région MENA. Dasgupta, Keller et Srinivasan (2002) soulignent le retard, par rapport à d’autres régions, dans les réformes macroéconomiques et commerciales. Bien que l’investissement dans la région reste à un niveau élevé selon les normes internationales et historiques, Artadi et Sala-i-Martin (2002) soutiennent qu’il est en grande partie public et improductif. Ils affirment en plus que l’investissement privé était contraint par l’instabilité politique, l’intervention publique excessive, la protection et la régulation, et le capital humain inadéquat. Abed (2003) attribue la faible croissance de la région à cinq facteurs structurels clés : faibles institutions, domination du secteur public, marchés financiers sous-développés, régimes commerciaux hautement restrictifs, et régimes de change inappropriés. D’une manière générale, la croissance dans la région se concentrait sur un nombre limité de déterminants. Aussi, les études qui ont fait appel à un nombre élevé de facteurs ne pouvaient pas tirer de conclusions sur leur importance relative étant donné que leurs analyses étaient principalement basées sur des comparaisons transversales de facteurs identifiés dans la littérature comme affectant la croissance. Fattah, Limam et Makdisi (2000) ont tenté 356 d’entreprendre une analyse empirique, mais leur étude examine le rôle d’un nombre très réduit de facteurs et omet, en particulier, une variable qui capte le poids de l’Etat. En essayant de remédier à cela, Hakura (2004) a d’abord utilisé un modèle empirique permettant une évaluation plus rigoureuse des déterminants de la croissance identifiés par des études précédentes expliquant la faible performance économique de la région. Elle s’appuie aussi sur la prescription politique pour accélérer la croissance dans la région. Par exemple, une analyse empirique peut aider à déterminer s’il est plus important pour les pays MENA de rationaliser les dépenses publiques ou d’améliorer la gestion du secteur public et la qualité institutionnelle. Les pays du Maghreb font partie des pays de la Méditerranée dont la croissance des années soixante-dix reposait en grande partie sur l’endettement, ils ont subi gravement le retournement des conditions financières internationales et ont dû comprimer la demande intérieure. Cet ajustement s’est effectué au détriment de l’investissement. Les performances des pays méditerranéens sont corrélées, en moyenne, avec leur niveau de développement financier. Le recours à l’endettement dans les années soixante-dix et des conditions extérieures favorables à la croissance ont permis à l’investissement d’atteindre des niveaux parfois très élevés sans commune mesure avec la croissance de la production passée, l’affectation de ce capital étant apparue en outre peu productive. Dans la plupart des pays, cela se traduit par un coefficient marginal du capital élevé. La mesure de l’efficacité de l’investissement en termes de production engendrée (ICOR, Incremental-capital-output ratio) confirme l’existence, dans de nombreux pays, d’un problème d’efficience de l’investissement. L’ICOR, mesuré par le rapport de la moyenne arithmétique des taux d’investissement annuels et du taux de croissance annuel moyen de la production en termes réels, est beaucoup plus élevé dans les pays méditerranéens que dans d’autres régions. Il était de 6.1, 12.2 et 46 sur la période 1990-1995, respectivement, pour la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. L’efficacité de l’investissement est faible et s’est fortement dégradée à partir du milieu des années quatrevingt. Pour Bisat, El-Erian et Helbling (1997), la faible efficacité du capital doit être associée dans une certaine mesure à de fortes dépenses en capitaux publics. Aujourd’hui, l’investissement apparaît faible, fortement orienté vers le secteur public, reflétant le rôle dominant de l’Etat, très dépendant des conditions extérieures et moins productif que dans beaucoup d’autres régions. 357 Graphiques 66-67 : Investissements et Dépenses publiques en % de PIB au Maghreb D e p e n s e s p u b liq u e s e n % d e P IB Inve s t i s s e m e n t e n % d e P IB 24 50 22 40 20 18 30 16 14 20 12 10 1965 1970 1975 T un i s i e 3.2 1980 1985 1990 M a ro c 1995 10 1965 2000 1970 1975 Tunis ie A lg é ri e 1980 1985 M a ro c 1990 1995 2000 A lg é ri e Procédure de l’estimation Il s’agit de régresser une variable dépendante taux de croissance du PIB réel par tête ( Crt ) sur une série de variables explicatives ( X t ) auxquelles nous ajoutons une constante ( C ), qui peut saisir les facteurs non observables, et une variable muette temps ( T ), censée prendre en compte les répercussions des chocs mondiaux, comme les chocs pétroliers des années 1970 ou la crise de l’endettement des années 1980, ainsi que des évènements d’ordre climatique qui génèrent un profil anormal de croissance économique. Nous pouvons spécifier l’équation à estimer, où ut est un terme d’erreur, comme suit : Crt = C + α T + β X t + ut Les variables explicatives peuvent être présentées en trois groupes. D’une part, elles sont de nature différente et agissent différemment sur la croissance. Il est ainsi intéressant de mettre cela en évidence. D’autre part, cette démarche s’avère nécessaire pour mener à bien l’estimation. Etant donné la disponibilité limitée de données, l’approche basée sur les séries temporelles nous oblige à utiliser un nombre réduit de variables. Notre démarche consiste à effectuer quatre régressions. A chaque fois, nous augmentons le nombre de variables traitées jusqu’à en considérer la totalité. La première régression constitue la référence et concerne les variables du premier groupe, les plus souvent utilisées. Dans les deuxième et troisième nous incorporons celles des deux autres groupes. Dans la quatrième nous introduisons la variable muette temps. Nous y estimons le taux de croissance, hormis la variable muette, toutes les autres étant en variation, ce qui les rend stationnaires. Nous suivons donc une simple 358 régression MCO, sur la période 1966-2003, en effectuant de nombreuses itérations, vu le nombre élevé de variables, en suivant, en plus du test de student, les critères de R² et DW. Le premier nous renseigne sur le pouvoir explicatif et le second sur l’autocorrélation des résidus. A chaque régression, l’estimation retenue est celle qui donnera le R² le plus élevé et le DW le plus proche de 2 et où les variables explicatives sont significatives. Dans ce qui suit nous présentons et analysons les variables. Le premier groupe concerne des variables relatives à la politique économique à l’intérieur du pays : investissement (INVPIB), dépense publique (GPIB), épargne (EPPIB), spécialisation (SPEC) et richesse (RICH) ; et à la relation de l’économie avec l’extérieur : ouverture (OUV), demande étrangère (YETR), termes de l’échange (TE), investissement direct à l’étranger (IDE). Les trois premières variables sont en fait des ratios au PIB. Le taux d’investissement mesure l’accumulation du capital physique réalisé par le pays. Elle est censée favoriser la croissance du PIB réel par tête. Levine et Renelt (1992) montrent que les taux d’investissement, en capital physique et humain, affectent positivement et significativement le taux de croissance. Les pays ayant connu une croissance durable se sont appuyés sur de forts taux d’épargne intérieure. Quant à l’investissement, au début de la croissance tout au moins, son volume n’est pas apparu impressionnant, suggérant que l’amélioration de l’efficience ait été un facteur plus déterminant que l’augmentation du stock de capital. Une étude de la Banque Mondiale (1989) portant sur quatre-vingt PED et sur la période 1965-1987, met également en évidence le lien entre taux de croissance économique, taux d’épargne et taux d’investissement. Une autre étude du FMI (1995b) montre qu’au cours des dix dernières années, dans quatorze des vingt pays ayant connu la croissance la plus rapide, le taux d’épargne a dépassé 25%. Dans aucun de ces vingt pays, il n’a été inférieur à 18%. Sur la même période, huit des vingt pays dont le taux de croissance a été le plus faible ont connu des taux d’épargne inférieurs à 10% et quatorze inférieurs à 15%. Cependant, se pose un problème de causalité entre croissance et taux d’épargne et d’investissement. Il semble admis, aujourd’hui, qu’elle est double : d’une part il n’y a pas d’essor économique durable sans effort d’épargne et d’investissement et d’autre part la croissance induite rétroagit sur ces deux variables par l’intermédiaire du revenu. L’épargne dont ont besoin les PED à forte croissance peut ainsi s’auto-générer en partie et aider à l’accumulation du capital. Hakura (2004) évoque aussi le fait que plusieurs variables clés affectent la croissance à travers leur effet sur l’investissement, la dépense publique y agit de façon significativement négatif. Elle est censée traduire l’impulsion budgétaire mais elle vise aussi la consommation 359 du secteur public qui, selon Barro et Sala-i-Martin (1995), n’influe pas directement sur la productivité et peut fausser les décisions du secteur privé. Si l’investissement est inclus comme variable explicative supplémentaire dans une régression, le seul canal à travers lequel les variables restantes peuvent affecter la croissance reste leur effet sur l’efficience de l’allocation de ressources. Avec les variables spécialisation et richesse, nous considérons le processus de transformation structurelle de l’économie. Pour ce qu’il en est de la spécialisation, deux stratégies normatives se profilent. Soit le pays se spécialise dans des produits dont la demande mondiale croît rapidement ; il réalise alors une bonne spécialisation interbranche qui tire sa croissance. En se développant, une augmentation naturelle du commerce intra-branche évincera progressivement la spécialisation interbranche initiale. Soit le pays ne parvient pas à ce type de spécialisation ; il gagnera alors à développer fortement le commerce intra-branche qui lui apportera une grande diversité de biens capitaux et lui permettra donc d’augmenter la productivité globale de ses facteurs de production, bénéfique à sa croissance. Il évitera ainsi le piège d’une spécialisation excessive sur des produits peu porteurs ou très risqués du point de vue de la demande en volume dans lequel sont tombés beaucoup de pays d’Afrique et d’Amérique Latine. Nous ne disposons pas de données sur toute la période d’étude, 19652003, concernant les indices de spécialisation. Nous utilisons donc le rapport de la production manufacturière à la production industrielle, dans le cas de la Tunisie, et à la production minière, dans le cas du Maroc. Dans le cas de l’Algérie, c’est le rapport de l’exportation du pétrole raffiné au pétrole brut qui est utilisé. Ces variables se sont révélées les plus informatives sur le processus de transformation structurelle dans ces pays. En ce qui concerne la variable richesse, nous l’intégrons aussi comme un équivalent à la mesure de convergence dans l’approche transversale. En effet, l’augmentation de son niveau dans le temps signifie une réduction de l’écart du développement avec les pays les plus riches. Rizzo (1999), par exemple, emploie l’indice du développement de la Banque Mondiale pour capter un éventuel effet de convergence. Elle est mesurée par le rapport du revenu réel par tête en dollar constant 1995, base Chelem, au revenu pondéré des principaux riches partenaires commerciaux. 360 Quant aux échanges extérieurs, les effets attendus sur la croissance sont positifs. L’ouverture73 en elle-même en est un facteur. En se basant sur des données comparatives pour 93 pays et en employant neuf indices de politique commerciale, Edwards (1998) soutient que la croissance de la productivité totale des facteurs est plus rapide dans les économies les plus ouvertes. Il y a aussi l’ouverture sur les marchés internationaux de capitaux dont le degré peut être mesuré par les flux de capitaux privés ainsi que les entrées d’investissements directs de l’étranger. Leurs effets attendus sont aussi positifs puisqu’ils présentent une source de financement de la croissance. Si l’apport de capitaux étrangers n’est pas une condition suffisante au démarrage d’une forte croissance, il peut être un déterminant important de son maintien. Les termes de l’échange sont l’autre facteur lié à l’ouverture aux échanges extérieurs et qui influence la croissance. Mais c’est plutôt leur volatilité qui est la plus souvent évoquée. Elle est susceptible de constituer une entrave au commerce en raison de l’incertitude qu’elle induit sur les rendements. Busson et Villa (1997) en avancent deux raisons. La première est que la variabilité des prix conduit les exportateurs à arbitrer entre les quantités offertes et le risque associé à ces ventes. Elle les amène à fixer leur offre d’exportation en fonction croissante de la profitabilité espérée et décroissante de la variance des prix à l’exportation. La seconde est que la variabilité des prix à l’import entache d’incertitude les coûts des équipements et des matières premières importés, renforçant l’incertitude des rendements et donc limitant l’offre de producteurs averses au risque. Mendoza (1995) soutient même que les chocs des termes de l’échange comptent pour près de la moitié de la variabilité du PIB courant. Nous utilisons le ratio de la somme des importations et des exportations au PIB pour mesurer le degré d’ouverture. L’investissement direct est rapporté au PIB, alors que la demande étrangère correspond au taux de croissance réel par tête pondéré des partenaires. Le deuxième groupe concerne les variables monétaires, rapportées au PIB : crédit intérieur (CRINT), crédit privé (CRPRIV) et masse monétaire, monnaie et quasi-monnaie (MPIB). Elles sont censées traduire l’approfondissement financier de l’économie, le degré du développement du secteur financier dont les effets attendus sur la croissance sont en général positifs. 73 - Voir, par exemple, Edwards (1998) et Berg et Krueger (2003) pour une discussion de différentes mesures de l’ouverture commerciale. 361 Graphiques 68-73 : Ouverture, Termes de l’échange, Crédits, Monnaie et Epargne au Maghreb Ind ic e s d e s t e rm e s d e l'é c ha n g e (1 9 9 0 = 1 0 0 ) T a u x d 'o u v e rtu re é c o n o m i q u e (X + M )/ P IB 100 200 (e n % ) 90 160 80 70 120 60 80 50 40 40 30 20 1965 1970 1975 1980 T unis ie 1985 1990 M a ro c 1995 0 1965 2000 1970 A lg é ri e 1975 1980 T un is ie 1985 1990 1995 M a ro c 2000 A lg é ri e C ré d i ts e t m o n na i e a u M a r o c C r é d i ts e t m o n n a i e s e n T u n i s i e 100 70 ( % P IB ) 90 60 80 70 50 60 50 40 40 30 30 20 20 1965 1970 1975 1980 i n té r i e u r 1985 1990 1995 p rivé 10 1965 2000 1970 MQM 1975 1980 p ri vé 1985 1990 i n té ri e u r 1995 2000 MQM E p a r g n e e n % d e P IB C r é d i ts e t m o n n a i e e n A lg é r i e 120 50 100 40 80 30 60 20 40 10 20 0 1965 1970 1975 p rivé 1980 1985 1990 i n té r i e u r 1995 0 1965 2000 MQM 1970 1975 T un is ie 1980 1985 M a ro c 1990 1995 2000 A lg é r i e Le troisième groupe concerne les variables relatives au change : la variation du taux de change réel (VTCER), son désajustement par rapport à l’équilibre (DESAJ) et le régime de change (RC). Elles étaient amplement traitées lors de la section précédente. Il y a seulement à noter que les niveaux du taux de change effectif réel et du désajustement ici utilisés étaient déjà vus aux chapitres précédents, notamment les 3 et 6. Les études sur les politiques de change dans les pays du Maghreb et leur impact sur la performance économique étaient bien rares. Dans une étude en panel portant sur les données de quatre pays arabes, Egypte ; Jordanie ; Maroc et Tunisie, de 1970 à 1996, Domaç et Shabsigh (1999) ont construit trois 362 mesures de désajustement du taux de change réel pour explorer l’impact des politiques de change sur la croissance économique. Les trois mesures sont basées sur PPA, sur le taux du marché noir et sur un modèle. Elles affectent défavorablement la croissance, confirmant les effets contraignants d’une mauvaise gestion de change sur la croissance, prédits par les modèles de croissance endogène. Hakura (2004) emploie un indice de surévaluation de taux de change réel basé sur les comparaisons PPA, mesure de Summers-Heston. En cas d’indisponibilité, elle utilise l’écart du taux effectif réel courant, calculé par le FMI, à sa valeur donnée par le filtre Hodrik-Prescott. Lahrèche-Révil (1999) emploie un indice de distorsion moyen du taux de change réel au cours de la période, et un indice de volatilité de la distorsion de change. Le premier est le rapport du taux de change réel observé au taux calculé à partir d’une relation d’équilibre de long terme issue du modèle de Balassa, estimée en coupe sur chacune des années disponibles (1960- 1993) et pour un échantillon d’environ 80 pays dont les données sont issues de la base Chelem. Les deux taux de change réels sont exprimés au certain par rapport aux Etats-Unis. Le deuxième est alors calculé par le coefficient de variation de l’indice de distorsion sur la période. Il apparaît, toujours selon Lahrèche-Révil, que le taux de change réel n’influence pas la croissance des pays les plus pauvres de l’échantillon dont le niveau du développement représente moins de 10% de celui des EtatsUnis. Globalement, on constate que le taux de change réel a une faible influence sur la croissance et qu’une dépréciation tend plutôt à l’accélérer. L’étude économétrique confirme une sensibilité variable de la croissance au taux de change réel selon le niveau initial du développement. Il apparaît aussi que l’ensemble des pays du sud de la Méditerranée se trouve dans la zone de développement où une variation du taux de change réel a un impact réel et durable sur la croissance. En ce qui concerne le régime de change, c’est une variable muette qui est censée indiquer plutôt le changement dans le régime de change que le régime lui-même. Nous avons remarqué lors du troisième chapitre qu’il n’y a pas eu de changement manifeste de régime de change dans les pays du Maghreb, malgré les déclarations officielles. Ils ont maintenu presque le même régime de change fixe et parfois ajustable avec des ruptures de temps à autres. Deux alternatives s’offrent à nous pour caractériser le régime de change. La première alternative consiste à repérer les années de grandes dévaluations et donner à la variable muette la valeur de 1 pour ces années et 0 par ailleurs. La deuxième alternative consiste à suivre l’évolution du taux de change effectif nominal, d’en dégager les tendances et de leur attribuer une valeur allant de 0 à 1 ou 2 selon le nombre de phases. C’est elle que nous adoptons. Deux phases 363 similaires très nettes se dégagent pour les trois pays. L’amorce d’une forte dépréciation nominale et réelle dans les années 1980, 1981 pour le Maroc ; 1985 pour la Tunisie et 1986 pour l’Algérie, en fait la démarcation. Dans le cas du Maroc, néanmoins, une troisième phase est possible puisque depuis la mi-1990, on constate une stabilité, voire une légère appréciation du taux de change effectif nominal. Nous ajoutons à ces trois groupes une variable muette temps (T) signalant les événements majeurs qui ont un effet inhabituel sur la croissance régulière tels qu’un choc pétrolier, un problème de la dette, une pluviométrie ou une sécheresse exceptionnelle, variable exogène par excellence. Elle prend les valeurs -1, 0 et 1. En effet, quand nous constatons une évolution du revenu réel par tête qui ne peut être expliquée que par un phénomène inhabituel, nous attribuons à T les valeurs de -1, lorsque l’évolution est défavorable, et 1 dans le cas contraire. Le taux de croissance du revenu réel par tête algérien, par exemple, passe de -13.97% en 1971 à 23.25% en 1972. Sur ces deux même années, le taux de croissance du revenu réel par tête tunisien passe de 9.07% à 15.96% pour retomber l’année suivante à -1.6%. Le Maroc aussi a connu des phénomènes similaires, avec un taux de croissance qui passe de -5.6% à 11.45% de 1981 à 1982, ou de 8.5% à -8.15% de 1994 à 1995 pour retrouver un niveau assez élevé avec 10.4% en 1996. Le climat en est largement responsable. Au cours de la décennie 1990, la production céréalière globale au Maghreb a varié de 4 à 8 millions de tonnes au cours de cinq années de sécheresse et de 10 à 18 millions de tonnes au cours de cinq bonnes années74. Baccouche, Bouaziz et Goaied (1997) remarquent que les fluctuations conjoncturelles en Tunisie demeurent fortement influencées par le cycle agricole aussi bien dans leur profil que dans leur ampleur. Le cycle tunisien présente, durant la période 1970-1986, un profil temporel atypique caractérisé par une nette asymétrie favorable aux phases de croissance. Cette asymétrie tend à disparaître sur la période 1989-1995 avec l’ouverture croissante de l’économie tunisienne sur l’extérieur. Le profil du cycle de l’économie tunisienne se rapproche alors davantage de celui de ses principaux partenaires européens, l’Allemagne, la France et l’Italie. 74 - Pour plus d’information, voir le système mondial d’information et d’alerte rapide sur l’alimentation et l’agriculture de la FAO : http://www.fao.org 364 Section 4 Résultats et interprétations Nous avons cherché, à travers de multiples régressions, à savoir comment les variables relatives au change influencent, en jonction avec d’autres, les taux de croissance des pays du Maghreb. Les résultats sont présentés par pays dans les trois tableaux ci-dessous. Ils confirment l’amélioration considérable du pouvoir explicatif du modèle qu’apporte l’intégration de variables autres que celles habituellement utilisées. Avant d’analyser les résultats par pays, quelques observations communes s’imposent. Premièrement une accélération de la spécialisation par l’augmentation de la part de la production manufacturière dans la production industrielle globale en Tunisie, par rapport à la production minière au Maroc ou par l’accroissement du rapport exportation du pétrole raffiné au pétrole brut en Algérie, n’a aucun effet. Deuxièmement, l’ouverture qui est largement supposée favoriser la croissance n’a aucun effet dans le cas de l’Algérie et du Maroc et agit négativement dans le cas de la Tunisie. Troisièmement, la variation du taux de change effectif réel n’influence pas la croissance au Maroc et en Tunisie, alors que les deux pays s’appuient sur une extraversion de leur production dont le taux de change est un élément important. Nous remarquons aussi que pour les trois pays, les variables significatives gardent le même signe dans toutes les régressions. Les résultats de la Tunisie inspirent deux remarques majeures. La première est que la régression de référence présente déjà un pouvoir explicatif qui semble intéressant par rapport aux résultats qu’on rencontre dans les régressions transversales et cela seulement avec quatre variables. Par contre l’intégration de variables monétaires n’augmente en rien le pouvoir explicatif puisqu’elles ne sont pas significatives. Cela n’empêche pas qu’elles puissent agir indirectement sur la croissance. Alors que celles liées à la politique de change font monter le pouvoir explicatif jusqu’à 77%, voire 90% en intégrant la variable muette temps, lors d’une quatrième régression. Mais cette dernière est entachée d’une auto-corrélation des résidus puisque le DW s’écarte largement du 2, soit 2.64. Nous retenons donc les résultats de la troisième régression comme ceux de la meilleure estimation. La deuxième remarque concerne les effets attendus. Les résultats confirment l’effet positif de l’investissement sur la croissance. Un effet qui joue indépendamment de la forme : national ou en flux d’IDE. Ils confirment aussi l’effet négatif de la dépense publique. Nous n’excluons pas que cette dernière puisse avoir un effet positif par l’entremise de la dépense dans les infrastructures, l’éducation, etc. C’est ce que nous avons essayé de vérifier mais l’indisponibilité des données 365 par catégorie de dépense publique en était la limite. Les autres variables semblent agir défavorablement sur la croissance. Tableau 18 : Estimation de la croissance en Tunisie : 1965-2003 Régressions 1 2 3 4 C 2.182 (2.93) ----- 2.354 (3.14) 1.671 (4.14) INVPIB 0.172 (3.66) 0.166 (3.52) 0.135 (3.56) 0.110 (4.35) GPIB -0.648 (-7.04) -0.641 (-6.85) -0.501 (-6.31) -0.333 (-5.68) EPPIB ----- ----- ----- ----- SPEC ----- ----- ----- ----- RICH ----- 0.267 (2.83) ----- ----- OUV -0.162 (-3.09) -0.157 (-2.99) -0.155 (-3.74) -0.112 (-4.01) YETR ----- ----- ----- ----- TE ----- ----- ----- ----- IDE 0.317 (2.28) 0.317 (2.22) 0.351 (3.05) 0.316 (4.21) CRINT ----- ----- ----- CRPIV ----- ----- ----- MPIB ----- ----- ----- VTCER ----- ----- DESAJ 0.424 (4.44) 0.358 (5.65) RC -1.218 (-1.94) ----- Variables T 4.492 (6.93) R² 60.65 60.07 77 89.87 DW 2.04 1.95 1.96 2.64 (.) : t de student ; ----- : variable non significative 366 C’est ainsi que plus d’ouverture et un régime de change, caractérisé par la dépréciation du taux de change effectif, influencent négativement la croissance, alors qu’un désajustement du taux de change réel, signifiant sa surévaluation, l’affecte positivement. Cela n’est pas couramment admis, excepté dans certaines analyses comme celle de Rodrik, et n’aurait pu être possible sans une approche des séries temporelles et sans suivre l’évolution historique de chaque variable. Les effets communément attendus sont le plus souvent issus des études transversales. Nous dirons même que les trois variables en question sont liées et concourent pour donner un tel résultat. En effet, d’une part, nous avons remarqué, dans le chapitre 6 consacré à la détermination du taux de change réel d’équilibre, que les monnaies maghrébines exhibent, en moyenne, un très faible désajustement. D’autre part, la Tunisie a entamé depuis plus de trois décennies une stratégie de développement orientée vers le marché extérieur et qui s’est davantage confirmée depuis les années 1990. Mais cela ne semble pas s’être accompagné d’une modification structurelle dans la spécialisation qui demeure interbranche autour de produits, comme le textile, qui sont davantage concurrencés et dont la valeur ajoutée est de plus en plus faible. Alors que l’importation de biens en capital s’est davantage accrue et que l’accélération et l’intensification de cette stratégie, avec une politique de change à son service, depuis une décennie se sont traduites aussi en partie par un déplacement de la production nationale de l’intérieur vers l’extérieur. Le résultat en est que cela a joué en défaveur de la croissance. Cette analyse peut trouver appui chez McCallum (1999) et Harris (2000), dont les travaux portent sur l’économie canadienne, qui soutiennent que les dépréciations du taux de change, en protégeant les secteurs inefficaces et en renchérissant les intrants, abaissent la productivité. McCallum avance que la dépréciation du taux de change nominal réduit les incitations à investir dans le capital physique et humain et en recherchedéveloppement en vue d’améliorer la productivité. Harris fait valoir que la dépréciation du taux de change nominal a entraîné une hausse du prix relatif des nouvelles technologies et du coût relatif de la main-d’œuvre de ce secteur, incitant ainsi les entreprises à se détourner des activités porteuses de technologie. Il avance aussi que la dépréciation a également permis à de petites entreprises peu rentables de survivre au Canada alors que d’autre, dans la même situation financière, ont dû fermer leurs portes aux Etats-Unis. 367 Tableau 19 : Estimation de la croissance au Maroc : 1965-2003 Estimations 1 2 3 4 C -65.2 (-4.0) -60.44 (-3.64) -67.91 (-4.18) -43.88 (-4.44) INVPIB ----- ----- 0.101 (2.87) ----- GPIB ----- ----- ----- 0.101 (3.38) EPPIB 0.063 (1.74) 0.068 (1.89) 0.061 (2.16) ----- SPEC ----- ----- ----- ----- RICH 12.575 (4.10) 11.85 (3.82) 12.67 (4.30) 8.278 (4.64) OUV ----- ----- ----- ----- YETR ----- ----- 0.624 (2.36) 0.396 (2.41) TE ----- ----- ----- ----- IDE ----- ----- ----- ----- CRINT -0.375 (-2.69) ----- -0.097 (-3.05) CRPRIV 0.221 (1.78) ----- ----- MPIB ----- -0.373 (-4.11) ----- VTCERT ----- ----- DESAJ ----- 0.142 (1.76) RC 2.255 (2.99) 1.327 (2.53) Variables T 5.773 (9.71) R² 41.58 57.33 72.02 89.72 DW 2.43 1.90 1.90 2.09 (.) : t de student ; --- : variable non significative En ce qui concerne le Maroc, l’augmentation du pouvoir explicatif d’une régression à une autre est assez considérable, avec un R² de près de 90% quand toutes les variables sont prises en compte. La variable muette temps apporte beaucoup à l’explication de la croissance au Maroc, confirmant l’importance des facteurs climatiques, notamment dans les années 1980. 368 Quant aux variables significatives, nous remarquons que l’investissement qui était significatif avant l’introduction de la variable muette ne l’est plus après et c’est la dépense publique qui le devient avec le coefficient positif. La variable richesse agit positivement sur la croissance signifiant que la réduction de l’écart du développement par rapport aux principaux riches partenaires se traduit par des possibilités supplémentaires de production. C’est aussi l’effet d’une croissance chez les mêmes partenaires. Les deux cycles sont positivement corrélés. Un point de croissance chez les partenaires se traduit par près de 0.4 point de croissance nationale. Les variables de change ont aussi un effet positif. Le raisonnement concernant le désajustement du taux de change réel est le même que pour la Tunisie. C’est-à-dire, dans le cas où le taux de change réel était déjà bas et où le désajustement n’était pas très prononcé, une légère appréciation de la monnaie nationale favoriserait la croissance en rendant les importations en biens de capital moins chères. Il semble que le régime de change prévalent depuis la mi-1990 est plus favorable à la croissance. C’est un régime de stabilité relative du taux de change nominal, mais bien après une période de forte dépréciation. La seule variable qui agisse négativement sur la croissance est celle du crédit intérieur alloué par les banques. Cela laisse penser qu’il contient une grande part improductive. En Algérie, c’est le passage de la troisième à la quatrième régression qui fait significativement augmenter le pouvoir explicatif et par là même montrer l’importance de la variable temps. Malgré l’effort accompli surtout sur les décennies 1970-1980, l’investissement n’explique en rien la croissance. Cela confirme la thèse de l’inefficience de l’investissement en Algérie, à laquelle s’ajoute celle de la nature improductive des dépenses publiques, confirmée ici par un coefficient négatif. L’épargne a aussi un effet négatif, laissant suggérer qu’elle n’était pas dirigée vers des activités productives ou qu’elle s’est faite au détriment de l’investissement. Les variables qui reflètent les relations extérieures du pays soulèvent quelques interrogations. Alors que l’IDE a produit l’effet attendu, même si sa significativité faiblit légèrement lors de la quatrième régression, un t de student de 1.90, l’ouverture et la croissance étrangère n’ont aucun effet sur la croissance et les termes de l’échange l’affectent négativement. Au premier abord, cela semble étrange pour un pays dont l’activité économique tourne autour de cet axe. 369 Tableau 20 : Estimation de la croissance en Algérie : 1965-2003 Estimations 1 2 3 4 C -18.58 (-3.03) -13.07 (-2.07) ----- 1.931 (3.72) INVPIB ----- ----- ----- ----- GPIB -0.35 (-3.11) -0.40 (3.66) -0.308 (-2.74) -0.324 (-4.14) EPPIB -0.006 (-3.16) -0.005 (-2.57) -0.005 (-2.81) -0.003 (-2.49) SPEC ----- ----- ----- ----- RICH 2.71 (3.23) 1.902 (2.18) ----- ----- OUV ----- ----- ----- ----- YETR ----- ----- ----- ----- TE -0.102 (-2.80) -0.071 (-1.93) -0.081 (-2.39) -0.072 (-3.12) IDE 2.406 (3.39) 2.25 (3.35) 0.652 (3.71) 0.256 (1.90) CRINT 0.139 (2.21) ----- ----- CRPRIV ----- 0.068 (2.09) ----- MPIB ----- ----- 0.130 (2.48) VTCERT 0.145 (2.22) ----- DESAJ -0.674 (-2.96) -0.411 (-2.57) RC ----- ----- Variables T 7.30 (6.25) R² 52.7 59.1 61.5 83.6 DW 1.93 2.08 2.05 2.08 (.) : t de student ; ----- : variable non significative C’est peut-être là que réside l’explication. En effet, les hydrocarbures, qui composaient 80% des exportations algériennes dans les années 1970, sont aujourd’hui à près de 97%. L’Algérie est devenue un pays presque mono producteur et sûrement mono exportateur d’un produit dont les principaux partenaires restent largement dépendants. Il est donc compréhensible que 370 l’ouverture ou la croissance étrangère, ne modifiant en rien la relation qui lie l’Algérie à ses partenaires, n’influencent pas la croissance nationale. De même pour les termes de l’échange, leur appréciation ne modifie pas forcément l’offre nationale ou la demande étrangère. Elle peut entraîner un supplément de recettes financières dont l’effet sur le volume de la production nationale reste tributaire de leur utilisation. Un effet négatif des termes de l’échange sur la croissance est donc largement possible. Ce raisonnement qui insiste sur la dépendance de l’Algérie à son pétrole et au marché international reste valable pour les variables de change. C’est ainsi que ni la variation du taux de change réel, ni la nature du régime de change n’ont un effet sur la croissance. En revanche, nous retrouvons, à l’opposé des cas tunisien et marocain, l’effet négatif, largement admis par la littérature théorique et empirique, du désajustement du taux de change réel sur la croissance. Il nous semble toutefois que l’explication habituelle soutenant que la surévaluation du taux de change réel par rapport à son niveau d’équilibre nuit à la compétitivité de l’économie et à sa croissance n’est pas plausible dans le cadre de l’économie algérienne dont l’insertion à l’économie internationale n’est pas du type concurrentiel. Précédemment dans le chapitre 6, nous avons constaté que la monnaie algérienne n’a pas manifesté de tendances lourdes de désajustement et qu’elle a même été légèrement sous-évaluée jusqu’au milieu des années 1980. La période de surévaluation la plus franche et la plus longue était entre le contre-choc pétrolier de 1986 et le début de la crise civile en 1990-1991, en passant par les événements de 1988 avec un pic de 8%. C’était la période de toutes les difficultés, économiques, politiques et sociales, pour l’Algérie et qui allaient la plonger dans une décennie de chaos, les années 1990. Quant à l’augmentation de la masse monétaire, monnaie plus quasi-monnaie en part de PIB, elle affecte positivement la croissance. Etant donné le poids des devises, via les exportations en hydrocarbures, dans le financement de l’économie algérienne une augmentation de la masse monétaire peut traduire aussi un effet de retour de l’effort productif sur le marché intérieur en permettant l’accès à plus de liquidité et plus de possibilité de production. Section 5 Autres estimations Au cours des années 1980, un nombre croissant de PED se sont ralliés à l’idée qu’ils devaient accélérer l’ouverture de leurs économies et augmenter et diversifier leurs exportations, l’extraversion est censée être plus propice à la croissance que l’introversion. L’assimilation et l’adaptation constantes de la technologie étrangère, voire l’innovation technique, moteur du développement, sont plus favorisées par la première que la dernière. 371 Mais ceci reste conditionné par les importations. Elles sont à la fois nécessaires pour augmenter et diversifier la production exportatrice et pour pallier au déplacement de l’effort productif vers l’extérieur. Cela n’est pas sans conséquence sur le niveau et l’évolution de la balance commerciale. Aussi, dans le cas où les importations ne suivraient pas la croissance de l’exportation, une baisse de la production et du niveau de vie peut en être le résultat. Dans ce contexte, la question de change revêt toute son importance et devient même central pour la poursuite d’une certaine politique économique. C’est pourquoi nous prolongeons ici le travail économétrique menée sur la croissance et étudions l’effet des mêmes variables de change sur l’exportation et la balance commerciale. Dans la littérature consacrée à ce sujet, le taux de change effectif réel a reçu une attention considérable comme composante clé de la promotion de la croissance de l’exportation. Bien qu’il ne soit pas un instrument de politique économique en lui-même, l’indice du taux de change effectif réel est souvent considéré comme indicateur de la compétitivité extérieure, utilisé pour guider les politiques monétaire et de change (Ghose et Kharas 1993, Agosin 1994). En ce qui concerne la relation du taux de change réel à la balance commerciale, souvent utilisée pour tester la condition Marshall-Lerner, le résultat oscille entre peu ou pas d’effet et une évidence dans le long terme (Rose 1991 Shirvani et Wilbratte 1997). Quant au régime de change, cette même littérature laisse penser qu’il influence le niveau des échanges extérieurs sans établir clairement la nature de celui qui les favorise le plus. Certains sont d’avis que le niveau des échanges extérieurs tend à être plus élevé en régime de changes fixes, notamment les unions monétaires, car une plus faible volatilité du taux de change réduit l’incertitude, ce qui diminue les coûts liés aux échanges et augmente donc leur niveau (Frankel et Rose 2000 ; Rose 2000). D’autres soutiennent que les régimes de change flottants favorisent davantage les exportations en réduisant la probabilité de déséquilibres durables du taux de change. Nilson et Nilson (2000), qui analysent les flux d’exportations de plus de 100 pays en se servant d’un modèle gravitationnel, constatent qu’un régime de change flottant favorise la croissance des exportations et, par conséquent, celle de la production. De cette littérature, Mckenzie (1999) conclut à une ambiguïté fondamentale non résolue75. 75 - Ce point est traité avec plus de détail dans le chapitre 1. 372 Graphiques 74-77 : Exportations et Balances Commerciales au Maghreb Ind ice s d e s e xp o rta tio n s e n vo lum e (1 9 9 0 = 1 0 0 ) B a la nc e c o m m e rc ia le e n % d e P IB e n T u n is ie 2 160 0 140 -2 120 -4 100 -6 80 -8 60 -1 0 40 -1 2 20 1965 1970 1975 1980 Tunis ie 1985 1990 M a ro c 1995 2000 -1 4 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 A lg é rie B a la nc e c o m m e rc ia le e n % d e P IB e n A lg é ri e B a la n c e c o m m e rc i a l e e n % d e P IB a u M a r o c 30 4 0 20 -4 10 -8 0 -1 2 -1 0 -1 6 -2 0 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 -2 0 1965 2000 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 D’autres variables comptent beaucoup pour l’explication des comportements des exportations et de la balance commerciale. Empiriquement, la fonction d’exportation de long terme la plus souvent estimée ressemble à celles employées par Chowdhury (1993) et Aristetolous et Fountas (2000) où le volume réel des exportations est déterminé par le revenu réel étranger ; le prix relatif, mesure de la compétitivité ; la volatilité du taux de change, indicateur de la compétitivité du taux de change. Quant à la balance commerciale, à ces mêmes variables, peuvent être ajoutées le niveau de la production nationale (Shirvani et Wilbartte 1997) et les termes de l’échange dont l’effet reste néanmoins mitigé. Mendoza (1995) soutient que les exportations nettes sont faiblement corrélées aux termes de l’échange, alors que pour Backus, Kehoe et Kydland (1994) une telle relation dépend d’une manière critique de la source de fluctuation. Les derniers auteurs évoquent aussi une tendance de la balance commerciale à être corrélée négativement avec les mouvements passés. C’est ainsi que nous considérons dans notre estimation la présence d’une tendance et de la variable dépendante décalée en plus de deux autres catégories de variables explicatives. La première concerne la spécialisation, la 373 demande étrangère et les termes de l’échange. Une spécialisation qui va dans le sens de l’évolution de la demande étrangère ne peut qu’encourager les exportations. L’effet sur la balance commerciale semble être mitigé. En effet, si elle se traduit par une importation forte et durable de biens en capital sans pour autant générer des exportations à forte valeur ajoutée, il est fortement probable que l’effet serait négatif. La deuxième est celle des variables relatives au change (VTCER, DESAJ, RC) qui aident à capter les effets du prix relatif, de l’incertitude, de la volatilité et du changement de régime de change. Nous commentons cidessous les résultats des estimations. 5.1 Exportations Les échanges des pays du Maghreb se font essentiellement avec l’Union Européenne et restent comme l’ensemble des échanges euro-méditerranéens très marqués par les complémentarités Nord-sud traditionnelles. Les échanges intra-branches avec l’UE en 1996 représentaient, selon l’étude de Chevalier, Lemoine et Nayman (1999) respectivement 1.6%, 8.8% et 19.4% du total du commerce pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. La même étude indique un indice de similarité des exportations, FINGER, de 65 pour la Tunisie et le Maroc. Plus l’indice est élevé, plus la concurrence est potentiellement forte. Elle souligne aussi que les performances globalement modestes des pays du Maghreb s’expliquent davantage par l’évolution trop lente de leurs spécialisations, cantonnées dans les produits primaires ou le textile, que par un détournement du commerce européen au profit des pays de l’est. Le tableau ci-dessous qui résume le résultat de l’estimation de l’exportation peut nous fournir une explication de ces performances. En effet, les résultats qui ressortent de ce tableau s’avèrent d’une grande importance puisqu’ils mettent en évidence les différences d’insertion dans les échanges internationaux entre les trois pays du Maghreb et les facteurs sous-jacents. C’est ainsi que les exportations algériennes manifestent une tendance sur l’ensemble de la période et sont positivement corrélées avec leurs mouvements passés et la demande étrangère, alors qu’elles ne sont affectées ni par les variables de change ni par la spécialisation sur les deux périodes. Tous ces éléments caractérisent une demande étrangère relativement stable et durable sur laquelle peu de facteurs ont une influence. C’est le cas pour l’Algérie mono exportatrice d’hydrocarbures. 374 Tableau 21 : Estimation des exportations en volume Tunisie Pays Variables C TREND Maroc Algérie 1966 1985 1966 1981 1966 1986 2003 2003 2003 2003 2003 2003 5.515 3.61 1.692 ----- 2.561 ----- (4.90) 2.54 (3.55) ----- ----- 0.023 (5.11) ----- ----- ----- 0.483 ----- 0.342 0.71 (2.58) (4.78) ----- ----- 1.1 0.13 0.30 (9.36) (2.25) (2.0) ----- -0.103 ----- (3.25) SPEC YETR TE 0.99 0.936 (8.66) 5.53 ----- ----- -0.181 ----- 0.431 (2.11) --------- ----- (-2.35) (-2.54) TCER DESAJ ----- (3.75) (3.25) Xvol(-1) 0.013 ----- ----- ----- ----- ----- ----- ----- ----- ----- ----- -0.707 -0.581 (-3.85) -2.26 0.016 ----- ----- ----- -0.332 (-4.02) (4.16) RC -0.347 (-5.73) R² 87.8 70.14 97.3 95.2 92.53 81.6 DW 1.87 1.59 1.91 2.08 1.93 1.32 (.) : t de student ; ----- : non significative C’est aussi en grande partie le cas pour le Maroc, où sur l’ensemble de la période, le volume des exportations n’est expliqué, très fortement avec un R² de 97.3%, que par une tendance et par ses mouvements passés. C’est-à-dire que la structure des exportations marocaines n’a pas beaucoup changé sur près de 40 ans, celles-ci restant marquées par les matières premières, notamment le phosphate. Ce constat est mis en évidence avec une estimation sur la période 1985-2003 où la spécialisation, la demande étrangère et le taux de change effectif réel agissent significativement dans le sens attendu. Autrement dit, le volume des exportations 375 augmente avec un rapport de la production manufacturière à la production minière et une croissance étrangère plus élevés et une dépréciation du taux de change effectif réel. Cependant, ce virage constaté dans la structure des exportations marocaines est encore assez faible pour peser sur l’ensemble de la période. Ce n’est pas le cas de la Tunisie qui a, très tôt dans les années 1970, réorienté ses exportations vers des produits manufacturés qui représentent aujourd’hui près de 60% de la production industrielle. Ce sont des produits très sensibles aux aléas de la concurrence internationale et de la demande étrangère, donc aux prix relatifs. Ce qui justifie la présence des termes de l’échange et des variables de change. Aussi, la deuxième estimation, sur la période 1985-2003, n’apporte pas de pouvoir explicatif supplémentaire, confirmant ainsi la structure et l’orientation engagées depuis longtemps en Tunisie. Quant aux variables explicatives, la spécialisation, les termes de l’échange et le taux de change effectif réel ont le signe attendu, alors que le désajustement et le régime de change semblent être ambigus. Ces deux dernières variables ne jouent pas pendant la deuxième période, celle d’une intensification de la politique extravertie au niveau du commerce extérieur. Cela signifie qu’elles ont le plus compté avant le virage de la mi-1980 où il était plus facile d’appuyer cette orientation avec des taux de change légèrement appréciés et un régime de change plus rigide puisqu’ils rendent plus aisée l’importation des inputs nécessaires à cette phase. 5.2 Balance commerciale Le schéma d’insertion dans le commerce international et la structure des exportations ne sont pas sans conséquences sur celle de la balance commerciale. L’analyse ci-dessus menée sur les exportations s’avère très éclairante en ce sens. Il y a plus de variables significatives dans le cas de la Tunisie que pour les deux autres pays. De même, aucune variable relative au change n’est significative dans ces deux derniers cas, alors qu’elles le sont toutes pour la Tunisie. Cela confirme, comme pour les exportations, une différence dans la structure de la balance commerciale entre pays. L’estimation sur la deuxième période n’apporte plus de pouvoir explicatif que dans le cas du Maroc, mais une seule variable explicative en plus de la tendance et qui n’a pas de surcroît le signe attendu. Malgré un pouvoir explicatif légèrement élevé, autour de 75%, les balances commerciales de l’Algérie et du Maroc demeurent faiblement expliquées en dehors d’une tendance ou des mouvements passés. Ce qui traduit une structure assez particulière des balances commerciales et de plus 376 rigide, expliquée essentiellement par les mouvements passés et qui sont significativement positifs pour les trois pays. Tableau 22 : Estimation des Balances Commerciales Tunisie Pays Variables C Maroc 1966 1985 1966 1981 1966 1986 2003 2003 2003 2003 2003 2003 -2.127 ----- ----- 75.15 -4.708 ----- (3.47) (-2.93) 0.66 0.23 (9.95) (3.10) ----- 0.605 0.781 (5.30) (6.55) ----- ----- --------- (-2.05) TREND BCpib(-1) -0.192 -0.147 (-3.58) (-9.28) 0.333 ----- -0.134 ----- TE 0.827 -14.92 0.072 0.184 7.78 -21.11* -0.088* (3.17) (3.93) (2.94) (-4.40) (-2.22) ----- ----- -2.607 ----- 0.146 0.213 (6.01) (5.37) (-2.46) TCER ----- (-2.70) (-3.08) YETR ----- (9.94) (3.2) SPEC Algérie ----- ----- ----- ----- ----- 0.333 0.452 ----- ----- ----- ----- (3.75) (2.32) 5.0 ----- ----- ----- ----- ----- -0.141 (-2.16) DESAJ RC (4.11) R² 75.4 36.5 77.3 84.4 77.61 71.3 DW 1.95 2.06 1.63 1.75 1.96 2.01 (.) : t de student ; ----- : variable non significative ; * : variable décalée d’une période. Il n’y a que dans le cas de la Tunisie où la structure de la balance commerciale est intéressante à expliquer puisque l’ensemble des variables, hormis les termes de l’échange, est impliqué. La sensibilité de la balance commerciale tunisienne à toutes ces variables traduit plutôt le degré de l’insertion au commerce international de la Tunisie et surtout qu’elle est plus confrontée à la concurrence internationale que les deux autres pays. La balance reflète une tendance à la 377 détérioration qui se trouve aggravée par la spécialisation. Cela s’explique aisément, puisque cette spécialisation s’est traduite par l’augmentation de la production manufacturée, dont le textile est une grande composante, restant dans une configuration interbranche. Elle n’apporte qu’une valeur ajoutée de plus en plus faible à une production de moins en moins compétitive, qui reste néanmoins totalement dépendante d’inputs étrangers. Cela fait qu’un léger désajustement allège un peu cette situation, de même qu’un régime de change plus flexible, autour d’une dépréciation nominale, qui a agi défavorablement sur les exportations, mais en a largement dissuadé les importations. Ceci explique l’effet positif sur la balance commerciale. Le taux de change effectif réel et la croissance étrangère ont les signes attendus. Ce qui nous semble important à noter ici est que la Tunisie a engagé davantage et plus tôt que les autres une spécialisation et diversification des ses exportations. Mais le schéma suivi jusqu’ici semble arriver à ses limites et tend plutôt à une détérioration de la balance commerciale. Le Maroc paraît suivre le même schéma que la Tunisie, mais avec près d’une décennie et demi de retard. Il est important pour lui de dégager des enseignements de l’expérience tunisienne avant qu’il ne soit trop tard. Pour ce qui concerne l’Algérie, la question semble tout autre, c’est celle de mettre ce type de spécialisation, mono exportation d’hydrocarbures, et qui ne pose pas de problème de balance commerciale, au service d’une politique économique tournée vers le marché intérieur et la diversification du tissu productif national. 378 CONCLUSION 379 La question de la relation entre performances économiques et taux de change dans les PED se posait avec insistance à la fin des années 1990, le climat qui y régnait laissait entendre que plus ce dernier est flexible, meilleures sont les premières. Nous avons cherché dans ce travail à examiner cette relation dont le discours sous-jacent sous-tend l’hypothèse suivante: laisser flotter la monnaie conduit à de bonnes performances, quelque chose d’automatique et d’inéluctable. Cependant, le climat trouble qui a caractérisé cette période, a rendu très difficile la conduite de ce projet. En effet, au moment où l’on croyait pouvoir comprendre la crise mexicaine de 1994-1995 (Sachs, Tornell et Velasco 1996 ; Edwards et Savastano 1998 ;…), d’autres frappaient l’Asie du sud-est, le Brésil et la Russie en 1997-1998 et une encore en Argentine, quatre ans plus tard. L’analyse retardait toujours d’une crise... A cela s’ajoute le lancement de l’euro. Une redéfinition de l’« architecture financière internationale » est alors mise à l’ordre du jour. Les publications foisonnent et déconcertent. Cinq ans après le recueil de Williamson (1994a) sur le taux de change réel d’équilibre, au moins deux autres sont apparus en la seule année 1999 avec MacDonald et Stein et Hinkle et Montiel. L’interrogation régnait concernant tout ce qui se rapportait au taux de change. Une multitude de titres évocateurs en témoignent, pour ne citer que : « What do we know ? What do we need to know » (Edwards et Savastano 1999), « Exchange rate policy for developing countries: what have we learned ? what do we still not know? » (Velasco 2000), « currency conundrum » (Eichengreen 2000b), « To peg or not to peg ? » (Berger, Jensen et Schjelderup 2001), « Flexibility or nominal anchors ? » (Dornbusch et Park 1999), « Does exchange rate policy matter for growth ? » (Bailliu, Lafrance et Perrault 2002). Il va sans dire qu’un tel climat tout à la fois trouble et bouillonnant stimule la réflexion, la grande difficulté néanmoins étant de trouver une grille de lecture pour démêler cette abondante littérature théorique et empirique. Dans ce but, nous avons construit notre travail en trois parties. Dans la première, nous avons suivi une logique deconstructiviste : elle reprend et examine les arguments d’un discours dominant qui soutient l’existence d’une relation forte allant de soi entre la flexibilité de change et les performances économiques. Forts de nos réflexions dubitatives autour de cette relation, il nous est apparu qu’indépendamment de celleci et au-delà, un niveau approprié du taux de change accompagné d’un bon choix du régime de change sont consubstantiels aux meilleures performances économiques. Sur ces bases de réflexions et dans une logique de proposition, les deuxième et troisième parties ont débattu de ces questions et procédé à des applications économétriques. 380 De cette démarche, il découle un résultat d’une importance cruciale, tant pour le message adressé aux PED, en ce qui concerne la conduite des politiques et des régimes de change, que pour la poursuite de notre étude. Il invite à nuancer tout discours traitant du taux de change. Les transitions dans les régimes de change ne sont pas linéaires, sans retour en arrière, et n’obéissent pas aux mêmes critères en tout pays. L’insoutenabilité du change fixe n’est pas si évidente qu’on veut nous le faire croire, ni théoriquement ni empiriquement, de même que les facteurs qui la provoquent. La relation entre flexibilité de change et meilleures performances économiques n’est pas non plus robuste. Ce résultat est issu de l’examen des transitions dans les régimes, des performances économiques des PED et des facteurs d’insoutenabilité du change fixe mais ajustable. Trois éléments sont souvent avancés pour soutenir cette relation. En ce qui concerne le premier, il est vrai qu’en comparant la distribution des régimes sur deux dates éloignées, le constat parait saisissant : la tendance est au flottement libre, du moins flexibilité. Mais cela ne saurait expliquer le déroulement de cette évolution ni les leçons à en tirer. Se focaliser sur la tendance générale uniquement peut conduire à des conclusions hâtives. La dernière phase de cette évolution, qui date du milieu des années 1990, s’inscrit à contre courant de ce qui est largement admis aujourd’hui, à savoir le mouvement incessant vers la flexibilité et notamment sous sa forme de flottement libre, d’un côté, et la disparition des régimes intermédiaires, de l’autre. En effet, la tendance dans l’évolution du flottement libre semble s’inverser, en passant de 31% en 1994, soit 48 pays, le nombre le plus élevé jamais atteint, à 19% ou 31 pays en 2001. Cette phase s’est déterminée avec plus de netteté après 1998 avec une accélération dans le rythme de l’évolution de régimes, notamment le flottement géré : de 33% à 41%, soit 67 pays. La distribution semble par conséquent se stabiliser autour de deux catégories prédominantes représentant à elles seules les trois-quarts de l’ensemble des régimes suivis. Il s’agit du flottement géré et du change fixe par rapport à une seule monnaie, respectivement 41% et 34% en 2001. Ce constat est aussi confirmé par les nombreuses études basées sur la notion de régime de facto soutenant que la classification officielle exagère la flexibilité courante du taux de change. En somme, les régimes intermédiaires continuent d’être une part importante des régimes de change en cours et le passage à des régimes plus flexibles observé depuis les années 1970 semble moins prononcé que dans les déclarations et classifications officielles. L’adoption des taux de change flottants par les PED est un phénomène qui doit donc être finement évalué. En ce qui concerne le deuxième élément, l’ensemble des études transversales établissent peu de différence entre le change fixe et flexible en matière de taux de croissance par tête. Elles 381 établissent aussi que la production est plus volatile dans le premier qui affiche une supériorité en matière d’inflation. Le double effet discipline-crédibilité est souvent avancé pour justifier cet avantage. Toutefois, les pays qui changent fréquemment leurs parités malgré le maintien d’un ancrage n’en bénéficient pas pleinement. Plusieurs autres éléments amènent vers un constat encore plus nuancé : histoire inflationniste du pays, problèmes d’endogénéïté et de causalité inverse, etc. Ce constat mitigé caractérise aussi d’autres phénomènes qui font souvent différence entre change fixe et flexible, comme le rapport à l’échange (Bacchetta et Wincoop 2000) et la volatilité et son impact sur les flux commerciaux, où Mckenzie (1999) conclut à une ambiguïté fondamentale non résolue. La manière de conduire le régime de change joue un rôle important, de même quand il s’agit d’un ancrage unilatéral ou coopératif. Les enseignements tirés des effets d’une plus grande flexibilité sur les performances économiques demeurent des tentatives spéculatives (Edwards et Savastano 1999). Tout régime exerce une influence positive sur la croissance quand il est assorti d’un point d’ancrage à des fins de politique monétaire (Bailliu, Lafrance et Perrault 2002). Par ailleurs, les régimes intermédiaires et de change flottant nuisent à la croissance s’ils en sont dépourvus. Les résultats permettent donc de croire que la présence d’un cadre de politique monétaire solide, plutôt que le régime de change comme tel, est un facteur déterminant de croissance économique. Il ne faut donc pas conclure à une relation nécessaire entre régime de change et performances économiques. On ne peut pas dire que la flexibilité s’accompagne forcément d’une inflation élevée, un certain nombre de PED ayant suivi un change flexible ont connu une inflation relativement faible et une croissance robuste. On ne peut pas dire le contraire non plus. La croissance peut afficher la vigueur voulue, et l’inflation présenter la modération souhaitable, quel que soit le régime, encore faut-il que soient réunies les conditions nécessaires. Les performances économiques d’un pays ne sont que la résultante du régime de change adopté, des objectifs qu’il s’assigne et des contraintes auxquelles il est confronté. Pour le troisième élément, le changement dans l’environnement financier international depuis les années 1990 a remis en débat et d’une manière exacerbée la thèse de l’insoutenabilité du change fixe mais ajustable. Ce type de régime est considéré comme incompatible avec les forts mouvements de capitaux (Eichengreen 2000b ; Fisher 2001), source de fragilité financière (Mishkin 1998) et inhérent à la crise. Ces facteurs de transition à des régimes plus flexibles, semblent être contestés et « la sainte trinité » n’est pas vérifié (Rose 1996), surtout dans les pays du sud-est asiatique où la compatibilité mutuelle des trois éléments était due à 382 une intervention stérilisante à grande échelle (Reisen 1996). Le vrai problème réside dans un conflit d’objectifs gouvernementaux, un mauvais fonctionnement du système bancaire et une politique de crédit inadéquate. C’est la fragilité de tout un système qui cause l’abandon des ancrages. De toutes les études consacrées aux crises financières, un enseignement capital se dégage : les désajustements de change et les crises monétaires se produisent dans le cadre des régimes de change fixes aussi bien que flexibles (Aliber 2000). L’idée selon laquelle la crise est inhérente au change fixe ne tient guère. Des facteurs autres que la fixité relative du change ont été à l’origine des problèmes. De toute évidence, les crises ne sont pas mono causales. Suite à cette analyse, nous avons essayé d’étudier l’évolution et le fonctionnement des régimes de change au Maghreb et leurs relations avec les performances économiques. Pour commencer, nous avons construit des séries des taux de change effectifs réels, ce qui nous a permis, entre autres, de nuancer la portée de beaucoup de travaux qui peuvent délivrer un message contradictoire. Fanizza et al. (2002) ne tarissent pas d’éloges sur la politique de change tunisienne fondée sur la stabilité du taux de change réel. Or, il s’agit d’un taux effectif basé sur l’indice de prix à la consommation et fourni par le FMI, alors que celui basé sur l’indice de prix de gros s’appréciait. C’est aussi le cas au Maroc. La construction des taux de change réels PPA ainsi que leurs régressions sur les PIB par tête relatifs au PIB américain confirme la thèse de la sous-évaluation importante et durable des monnaies maghrébines et de la robustesse de l’effet Balassa (Busson et Villa 1996 ; Aglietta et Baulant 2000). Cependant l’application même de la méthode de Busson et Villa en apporte la nuance : les valeurs obtenues sont largement moins élevées que celles des auteurs et de surcroît s’orientent différemment. Il n’y a pas de tendance manifeste à la sur ou sous-évaluation. Nous avons également essayé d’analyser la politique de change à travers l’intervention, le recours à une forme quelconque de flexibilité et la volatilité des taux, en employant une panoplie de techniques (Glick, Kretzmer et Wihlborg 1995 ; Wickam 2002 ; Hausmann, Panizza et Stein 2001). L’analyse montre que les variations des réserves dépassant les 10% se sont concentrées sur la période marquée par l’appréciation du Dollar américain, plus précisément de 1981 à 1983. Les coefficients de stérilisation n’ont pas beaucoup varié dans le temps et leur faible niveau en Tunisie ou moyen au Maroc et en Algérie ne semble pas refléter une politique volontairement non stérilisante. Le rapport des réserves à la masse monétaire, la volatilité relative du taux de change par rapport aux réserves et les techniques statistiques de détection de la flexibilité ne révèlent rien qui ressemble au flottement dans le 383 cas de la Tunisie et du Maroc. Dans le cas algérien, ce sont plutôt de fortes dévaluations successives qui laissent croire à une forme de flottement. La volatilité de change, bien qu’elle soit faible, est le résultat de la manipulation des taux de change à travers des dévaluations annoncées ou discrètes comme se fut le cas en Tunisie et au Maroc dans les années 1970 et 1980 pour la première catégorie et dans les années 1990 pour la deuxième. Ce constat ne peut qu’être amplifié avec la détérioration du climat politico-social, comme en Algérie. Il n’est pas surprenant que la mesure de volatilité que nous avons appliquée atteigne ses plus hauts niveaux aux moments des fortes dévaluations et des troubles politiques et ses plus faibles niveaux en dehors de ceux-ci, quels que soient le pays et le taux de change. L’analyse de causalité (Granger 1969 ; Rey 2001) enregistre des résultats faibles et mitigés. Il est intéressant de ne remarquer aucune causalité significative entre le taux de change et les exportations et les balances commerciales sur la période 1988-2003 où le taux de change réel est censé être au service d’une stratégie d’extraversion en Tunisie et au Maroc. Nous avons par la suite cherché à étudier les effets et l’efficacité des modifications de parités de change. Nous avons utilisé l’« Indice d’Efficacité de Dévaluation » d’Edwards (1989b) et retenu pour l’étude des variations aux niveaux des taux de change effectifs nominaux de près de 10% au minimum, après les avoir confrontées à celles des taux de change par rapport au dollar américain et au franc français. Nous avons tiré trois enseignements majeurs. Tout d’abord, une dévaluation n’est pas suffisante en soi pour retrouver l’équilibre des comptes extérieurs : il faut qu’elle soit engagée lors d’une phase ascendante de la balance commerciale, qu’elle se transforme en dévaluation réelle et que les effets inflationnistes puissent être contenus après. Ensuite, un régime de glissement continu, de faible ampleur et sur une longue période finit toujours par épuiser ses avantages et favoriser l’anticipation de la conduite de la politique de change par les agents économiques. Enfin, comme le montre le cas algérien, les modifications de parités de change, quelle qu’en soit l’ampleur, peuvent être sans relations et sans effets sur les variables et les performances économiques d’un pays. Elles sont le produit d’un contexte politico-social qui dépasse totalement le cadre purement économique. La transition dans les régimes de change vers plus de flexibilité ne s’associe donc pas forcément à de meilleures performances économiques. Encore faut-il, bien déterminer le taux et choisir le régime de change. Pour ce qu’il en est d’un niveau approprié du taux de change, la PPA constitue une première solution. Cependant, le consensus l’érigeant en référence de long terme et soutenant un retour à la moyenne d’une durée moyennement courte est bien 384 fragile et très récemment mis en doute par Cashin et McDermott (2004), trouvant que les estimations conventionnelles des moindres carrés sont biaisées à la baisse. En dehors des considérations techniques, il semble qu’on s’éloigne de la PPA originelle (Breuer 1994 ; MacDonald 1995). Les modèles basés sur sa modification, apportent davantage d’explication au comportement du taux de change, mais ils demeurent néanmoins insuffisants. Cette nouvelle interprétation de la PPA déborde du cadre de celle-ci. Plus large, elle n’est pour autant pas complète ni suffisante puisqu’elle part d’une vision réduite. Somme toute, un désappointement total caractérise les études de la PPA dans les PED. Il nous paraît difficile voire dangereux d’en tirer des leçons pour un pays particulier, les PED ne forment pas un bloc homogène : les structures économiques et les régimes de change sont très contrastés. La pertinence de la PPA dépend autant de la vitesse des ajustements vers la valeur d’équilibre, d’ailleurs difficile à estimer, que de leur variabilité à court terme. L’effet Balassa-Samuelson qui concentre tout l’intérêt porté à la PPA dans les PED, semble être contesté (Wood 1991 ; Isard et Symansky 1996). De même, les comparaisons des prix avec d’autres pays et avec le passé ne donnent guère d’indications utiles pour déterminer le taux de change. Devant l’échec de la PPA à servir de référence au taux de change réel, est apparue une toute autre littérature en termes d’équilibre macroéconomique. C’est de cette nécessité et de la manière d’y parvenir, de la définition du taux de change réel et de son rôle, que découlent plusieurs approches mettant l’accent sur les caractéristiques macroéconomiques des pays dans la détermination d’un taux de change réel d’équilibre (FEER, DEER, NATREX, BEER…). Cependant, il nous semble que l’analyse est de plus en plus dominée par une approche récente à équation réduite dénommée BEER, où l’estimation des paramètres du modèle empirique importe plus que l’identification des valeurs soutenables des fondamentaux économiques. Elle est fort pratique mais présente néanmoins un glissement dangereux dans la détermination et l’interprétation du taux de change réel d’équilibre. Car, elle s’appuie sur des méthodes de détermination du taux de change qui ont montré leurs limites : parités des taux d’intérêt et des pouvoirs d’achat ou décomposition du taux de change réel. Elle se traduit par une équation réduite qui occulte le fonctionnement économique du système et elle ignore complètement la variable à expliquer, à savoir le taux de change réel dont la définition constitue l’élément de base de toute approche. Ce dernier point est l’un des trois principaux qui nous semblent faire la différence entre les modèles. Les deux autres sont relatifs à la structure du modèle choisi, avec le degré de complexité qui y est introduite et le choix des variables, et à l’objectif recherché à travers la détermination d’un taux d’équilibre. Pour ce dernier, il s’agit d’analyser 385 le comportement du taux de change comme tel ou de déterminer un niveau donné, cela tant pour un petit pays connaissant un important désajustement du change que pour un grand cherchant une coordination avec ses semblables. Pour saisir toute la dimension de la question dans le cadre d’un PED, un modèle structurel nous a semblé nécessaire. La résolution du modèle et sa réduction en équation unique n’ont pas entamé son importance, elles ont, au contraire, enrichi notre compréhension du fonctionnement d’une économie en développement. Le modèle a permis d’éviter l’aspect tautologique et non réduit d’un modèle standard à équation réduite, très répandu aujourd’hui comme chez Clark et MacDonald (1999). Ceci est facilité par la référence à la structure des prix dans la détermination de l’offre. En outre, la résolution de la boucle prix-salaire et la détermination du niveau de l’offre restent tributaires de celui de l’emploi en économie, lui-même introduit grâce à la prise en compte de l’effet Keynes-Kalecki ou de la part salariale dans le revenu sur la consommation. L’expression de l’offre révèle encore une fois l’intérêt de notre modèle, elle met en évidence les différentes formes d’ajustement et de coïntégration permettant de déterminer l’équilibre interne. En plus de l’ajustement à travers les prix et les salaires aux niveaux sectoriel et global, elle permet un ajustement quantitatif par le biais de l’emploi urbain, dans le secteur moderne. La prise en compte explicite des formes de régulation sur le marché du travail nous a donc permis de qualifier l’équilibre interne. Il correspond au niveau d’activité économique qui assure la cohérence entre les comportements des prix et des salaires. La relation de la production au taux de change réel n’est pas établie indépendamment des comportements des ménages et des entrepreneurs. Une dépréciation du taux de change réel peut avoir un effet négatif sur la production d’autant plus fort que le salaire réel se révèle sensible aux tensions sur le marché des produits et que la demande intérieure est faiblement satisfaite par des produits étrangers. Une dépréciation réelle, hausse du niveau, ne peut stimuler la production nationale qu’en cas d’un puissant effet Marshall-Lerner. La réalisation simultanée des équilibres interne et externe, obtenu grâce à l’endogénéïsation des flux structurels de capitaux, a permis d’exprimer un taux de change réel d’équilibre dans le cadre d’une économie en développement. Il dépend de variables qui traduisent d’une part le fonctionnement interne de l’économie : écart des productivités et prix relatifs sectoriels, taux de marge et spécialisation ; et d’autre part l’influence extérieure : production étrangère, écart de la productivité globale par rapport à l’extérieur et flux d’investissement direct. Beaucoup d’intuitions théoriques se sont révélé vérifiées. Cependant, l’analyse mérite d’être nuancée 386 quand il s’agit de l’écart des productivités sectorielles, de la spécialisation et de la demande étrangère. Une amélioration dans la productivité du secteur manufacturier par rapport au secteur agricole, par exemple, peut entraîner une dépréciation de la monnaie nationale par l’intermédiaire de la demande. Des gains de productivité se traduisent par une accumulation des profits pour les entrepreneurs et une hausse du pouvoir d’achat pour les salariés par le biais du partage des fruits de la croissance et/ou par la baisse de prix. Le résultat est une hausse de la demande qui sera en grande partie satisfaite par l’importation des produits étrangers. Les entrepreneurs, surtout dans les PED, vont employer une partie de leurs profits dans l’acquisition des techniques de production plus modernes, essentiellement des biens en capital importés, et les ménages, de leur côté, dans l’acquisition des biens de consommation. Dans un PED devant relever le défi de l’industrialisation et la modernisation de son économie, certaines variables comme la productivité, la spécialisation ou la demande étrangère, pourraient avoir un effet ambigu sur le taux de change réel. La résolution du modèle nous a aussi montré que les variables impliquées ne sont pas forcément celles qui sont largement répandues en suivant une modélisation à équation réduite. Certaines d’entre elles sont peu susceptibles de varier de façon significative dans le temps et surtout dans les PED. Cette intuition s’est confirmée dans l’application empirique, où elles se sont révélées non stationnaires au même ordre. Ce résultat a compliqué davantage notre tâche qui l’était déjà par manque de données nous obligeant à construire le taux de change effectif réel. Il ne nous était donc pas possible d’utiliser les méthodes habituelles de coïntégration. Nous nous sommes appuyés sur une approche récente (Pesaran, Shin et Smith 1999, 2001) établie autour d’une version à correction d’erreur d’un modèle à retard échelonné, indépendamment de l’ordre de l’intégration des variables. La démarche d’estimation a nécessité deux grandes étapes. La première nous a permis la détermination de la forme définitive du modèle qui, outre la présence d’un trend décroissant dans le cas du Maroc, révèle que la variable dépendante a une mémoire de deux ans dans le cas de l’Algérie, amenant une correction à la hausse. Dans la deuxième, à l’aide d’une transformation à la Koyck, nous avons pu obtenir du modèle à retards échelonnés une équation en niveau qui traduit la relation de long terme. Pour compléter l’analyse, nous avons calculé le niveau de désajustement du taux de change effectif réel par rapport à son niveau d’équilibre. 387 L’application faite aux données des pays du Maghreb montre encore une fois l’intérêt de la modélisation suivie et de l’approche spécifique au pays. En effet, nous avons laissé envisager une ambiguïté de signe pour certaines variables. Une hausse dans les niveaux de l’agriculture et de la productivité entraîne la dépréciation du taux de change réel d’équilibre tunisien. Nous avons expliqué cela par la hausse du prix relatif des produits agricoles en termes de produits manufacturiers, défavorable à l’investissement qui est très demandeur d’inputs étrangers. Mais il y a un double effet que nous avons ignoré : celui d’une augmentation de l’importation des produits de même nature, une politique que le pouvoir en place a toujours pratiquée, d’un côté, et celui d’un surplus primaire qui encourage la modernisation du secteur agricole et donc l’investissement et l’importation des biens en capital, un phénomène qui s’est accéléré avec le processus de privatisation et de cession de terrains domaniaux dans la décennie 1990. Il nous semble que ce dernier effet a dominé le premier. L’explication de l’effet négatif de l’écart des productivités globales, qui est en fait, par manque de données, un différentiel des richesses, est de même ordre que celle qui vient d’être avancée. Autrement dit, un supplément de richesse peut avoir un effet global qui se traduit par une dépréciation réelle de la monnaie nationale, ce qui invalide en quelque sorte l’effet Balassa. Pour beaucoup de PED, le différentiel de richesse par rapport aux pays développés est tellement énorme que la moindre réduction se traduit avant tout par un effet de rattrapage qui exige plus de transformation structurelle de leurs économies et donc plus d’investissement amenant une dépréciation réelle. Un retour à l’origine de l’effet Balassa-Samuelson nous conforte dans l’idée qu’il serait pertinent de considérer la contribution sectorielle, telle la part de la production manufacturière dans la production industriel, comme variable représentative plutôt que le différentiel des productivités globales ou de richesses et qui n’a pas beaucoup évolué dans le temps. En effet, notre cas est plus proche de l’affirmation de Ricardo selon laquelle les prix réels des biens nationaux sont élevés « dans les pays où les manufactures sont florissantes ». L’évolution des taux de change d’équilibre dans les trois pays nous assure de la solidité du modèle et de la démarche suivie et nous conforte dans le choix d’une base d’une quarantaine de données annuelles. Elle permet de retrouver l’histoire économique et politique de ces pays. En cela, l’évolution du taux de change réel d’équilibre algérien est saisissante : les niveaux de désajustement les plus élevés correspondent à deux pics de 8% en 1988 et de -8% en 1991 et sont mis en évidence par le test de CUSUMSQ qui enregistre un point de rejet de l’hypothèse de stabilité des paramètres où l’intervalle de confiance est légèrement franchis. Les dates marquent deux événements majeurs, d’ordre intérieur et extérieur à la fois. L’Algérie a connu 388 durant l’année 1988 un ralentissement de l’activité économique amplifié par les conséquences sur les prix du pétrole de la fin de la guerre Irako-iranienne et par celles dues au prolongement du contre-choc pétrolier de 1986 ainsi que les importantes émeutes populaires. En 1991, c’est le début de la guerre civile dans un contexte international tendu. Il y a eu comme une surréaction du pouvoir politique et des agents économiques. Dans le premier cas, le pouvoir a maintenu le taux de change à un niveau que l’activité économique, perturbée par le climat politique, ne justifie pas. Dans le deuxième cas, c’est un comportement de sur-réaction aux événements de l’époque, nourri de pessimisme et de dépression « collective ». Sinon, le taux de change réel s’enroule autour de son niveau d’équilibre. Ceci est peut être facilité par les caractéristiques de l’économie algérienne mono productrice et mono exportatrice du pétrole dont le prix est fixé à l’échelle mondiale et représente une ressource de devises relativement stable. Celles-ci neutralisent la politique de change, si elles ne la rendent pas inutile. Cette même pertinence est aussi constatée dans le cas du Dinar tunisien : le désajustement a atteint le niveau le plus élevé, après que les phases d’évolution soient devenues plus nettes, de 5.4% en 1986, année d’une crise économique et politique entraînant le changement du gouvernement, la dévaluation du Dinar et l’adoption de l’ajustement structurel. En confrontant l’évolution du taux d’équilibre à celles de ses déterminants, nous avons constaté qu’elle était plus marquée, jusqu’au milieu des années 1980, par celles de l’agriculture et la demande étrangère, ce qui justifie un désajustement maximal de presque 11% en 1972. En cette année, la production agricole était exceptionnelle avec un rapport au PIB en volume de 24%, jamais atteint depuis, dans un contexte d’abandon définitif du programme de collectivisation et de transition vers une politique d’ouverture sur l’extérieur. La dépréciation continue du taux d’équilibre depuis la deuxième moitié des années 1990 laisse penser à un épuisement du modèle de croissance tunisien basé sur l’exportation manufacturière et le tourisme, connaissant, surtout ces dernières années, une concurrence accrue réduisant ainsi leurs valeurs ajoutées et leurs apports en devises, donc leur capacité à drainer de l’épargne étrangère. Il y a peut-être là matière à réflexion quant à la réalisation davantage de transformations structurelles. La politique de change jusqu’ici adoptée a peut-être, aussi, épuisé sa capacité d’influence. L’évolution du taux change réel d’équilibre marocain a beaucoup de similitudes avec celle du Dinar tunisien. Comme pour la Tunisie, c’est au bout d’une période de désajustement du taux de change réel, de 6 à 8%, et des difficultés économiques, dans la première moitié des années 1980, qu’allait s’opérer le passage à une stratégie de développement extravertie basée sur davantage d’insertion à l’économie 389 internationale et dont la politique de change reste un moyen privilégié. Depuis, le désajustement reste maîtrisé. En remontant jusqu’à 1965, une certaine variabilité caractérise le taux d’équilibre avec des écarts qui atteignent près de 8% en 1967 et 1971, sans pour autant déceler un déphasage prolongé. Les pics enregistrés au niveau de l’évolution du taux d’équilibre coïncident parfaitement avec ceux de la demande étrangère. L’étude, tant théorique qu’empirique, de la question du choix du régime de change nous a permis de déduire un enseignement capital. Il s’agit de la relativité de la notion d’optimalité d’un régime de change. Plus particulièrement, il n’y a pas de régime qui soit meilleur en tout lieu et en tout temps, ni d’évolution linéaire, sans retour en arrière, dans les régimes de change. Aucun modèle théorique permettant le choix au sein d’une palette complète de régimes n’admet de solutions extrêmes. Un manque de consensus sur ce qui constitue le meilleur régime de change caractérise le débat en la matière et la controverse y demeure considérable. Il est toutefois admis que le régime de change optimal dépend en général des caractéristiques structurelles de l’économie, de la nature et sources des chocs, de l’ampleur de l’ouverture et de la libéralisation économiques et financières et des préférences des décideurs politiques, etc. Des politiques monétaire et budgétaire adéquates demeurent nécessaires au bon fonctionnement de tout régime et l’optimalité n’y peut être jugée indépendamment. Chaque PED doit se servir d’un modèle spécifique où le choix du régime n’est qu’éclectique et pragmatique, ce qui pose la question de la gestion de la flexibilité. C’est dans cet esprit que nous avons inscrit la recherche d’un régime de change souhaitable au Maghreb. L’étude des évolutions des taux de change et les estimations économétriques de leurs variations, révèle que les régimes suivis, depuis la chute du système de Bretton Woods et jusqu’à la veille de l’adoption de l’euro, peuvent être approchés par un régime de monnaie panier. Ce dernier n’est certes pas figé, sa composition et sa longévité dépendent de l’environnement international et de la situation du pays. Les divers paniers se révèlent de composition généralement réduite et caractérisée par une prépondérance du dollar dans le cas algérien à la différence de ceux marocain et tunisien. Ils sont composés de monnaies à dominante européenne, la présence du dollar n’y est ni régulière ni à poids constants. L’étude montre aussi qu’à aucun moment, les pays du Maghreb n’ont choisi un ancrage ferme à une seule monnaie. Ceci va à l’encontre des résultats de l’étude de Bénassy-Quéré et Coeuré (2000), dont la démarche nous semble très contestable, laissant envisager la possibilité d’une euroïsation totale du Dinar tunisien. 390 En plus de l’expérience dans la gestion de change, le choix définitif d’un régime dans le cadre des pays maghrébins nécessite la prise en compte de certains éléments relatifs à l’environnement international dans lesquels ils cherchent à s’insérer davantage mais aussi à leurs propres situations économiques. Alors que les parités de change ne sont pas sujettes à préoccupation, les désajustements sont faibles, les différentes approches de gestion de change jusqu’ici suivies commencent à montrer leurs limites. Nous avons soulevé auparavant le fait que la Tunisie a cherché à garder constant son taux de change effectif réel basé sur les prix à la consommation alors que celui basé sur les prix de gros s’appréciait. Le Maroc accordait plus d’attention à la stabilité d’un taux-panier nominal qu’au taux effectif réel en appréciation continue. En Algérie, rien ne justifie la faible valeur du Dinar résultant des fortes dévaluations de la première moitié des années 1990 et d’un contexte politique révolu. Le Maghreb est en face d’un environnement économique envisageant des changements significatifs, à l’intérieur des pays comme à l’extérieur. Beaucoup de ces changements ont d’importantes implications pour le choix du régime de change et sont probablement en train de rendre la défense de tout type d’ancrage difficile. Un régime de change autour d’un panier et admettant un degré de flexibilité à la monnaie nationale, en accord avec Williamson (1998, 2000), Dornbusch et Park (1999) et Goldstein (2002), nous semble convenir le mieux. Il a la possibilité de se décliner sous différentes formes selon la situation du pays et les objectifs à atteindre. Pour déterminer ce régime, nous avons suivi une estimation économétrique non contrainte des variations des taux de changes en fonction des monnaies majeures, Euro, Dollar, Yen et Livre Sterling. Mais en plus de ces devises censées composer les différents paniers, nous avons introduit quatre autres éléments explicatifs qui peuvent apporter de la flexibilité autour de ceux-ci : une constante, une variable temps, le niveau du désajustement du taux de change réel et la monnaie chinoise. Les deux premiers constituent deux manières différentes de considérer le glissement de change et permettent à la valeur de la monnaie nationale de s’écarter de celle du panier. Le désajustement joue le rôle d’une force de rappel, un repère dans la gestion du change au quotidien. C’est aussi un moyen pour que le choix du régime de change ne soit pas déconnecté de la détermination d’un taux de change d’équilibre. Le régime de change est de l’ordre du contenant et le taux de change d’équilibre du contenu. Quant à la monnaie chinoise, nous avons voulu prendre en compte le débat sur sa sous-évaluation ainsi que l’importance de plus en plus croissante des exportations chinoises sur des marchés comme l’Europe, destination traditionnelle des produits maghrébins tel le textile tunisien. 391 Les résultats des estimations révèlent que trois régimes de change différents sont possibles. Le plus simple est celui du Maroc où les variations du Dirham sont expliquées par celles de l’Euro, du Dollar et de la Livre Sterling. Les trois devises composent, à quelques différences près pour la Tunisie, un panier plus prépondérant en euros, soit près de deux tiers. Cela confirme bien les caractéristiques propres aux deux pays dans leurs relations avec la zone euro, à la différence de l’Algérie où le dollar est plus prépondérant dans le panier que l’Euro, 48% contre 31%. Ces résultats sont proches, du moins dans le cas du Maroc, de ceux de Bénassy-Quéré et Lahrèche-Révil (1999). Néanmoins, le niveau du Dinar tunisien dépend aussi, négativement, de la monnaie chinoise et de la présence d’un taux de glissement qui y agit positivement et joue comme un facteur de dépréciation. C’est un régime d’un panier de monnaies avec glissement qui s’appliquerait bien dans le cas tunisien. Dans l’estimation du Dinar algérien, c’est la présence d’une constante positive qui permet une dépréciation de la monnaie par rapport à la valeur que pourrait prendre le panier. La présence du Yen laisse envisager un panier plus large, ce qui peut être une solution pour un pays dont les échanges se font essentiellement avec la zone euro alors que ses exportations sont libellées en Dollar. La présence du Yen et de la Livre Sterling dans le panier stabiliserait davantage la monnaie algérienne en lui évitant la bipolarité Euro-Dollar. Contrairement aux cas tunisien et marocain, le désajustement a un effet significatif et de sens attendu. Ramener le taux de change réel à son niveau d’équilibre, ou réduire l’appréciation de la monnaie nationale, se traduit par une action opposée sur le taux nominal. Cela est d’autant plus manifeste quand le pays cherche à stabiliser sa monnaie ou à améliorer sa compétitivité. L’Algérie et la Tunisie adopteraient sans difficultés le régime de change que nous avons préconisé. Les données s’en accommodent bien. Quant au Maroc, le régime ne se vérifie que dans sa partie panier, mais rien n’empêche les autorités de le suivre en entier et d’accorder plus de souplesse à la gestion de change d’autant plus que les taux de change effectifs réels connaissent une appréciation prolongée, nuisible à la compétitivité. Deux autres raisons majeures poussent aussi à l’adoption de ce régime. La première concerne la confirmation de la fonction principale d’un panier qui est de réduire les effets de l’ancrage sur une monnaie. Quand le panier est composé d’au moins trois devises majeures, la variation de la valeur de référence est très faible, voire nulle comme dans le cas du Maroc, même sans modifier la composition et pour une durée relativement longue pour un panier. La deuxième concerne l’évolution des taux de change courants par rapport aux valeurs de référence. Elle y est très étroite. Les écarts enregistrés sont plutôt des pics indiquant des ruptures dans la gestion des 392 paniers par les banques centrales, telle une dévaluation cachée. Quelle que soit la pratique suivie, tout le mouvement de change est compris dans une bande d’une largeur moyenne de 3% à 5% au plus fort, des deux côtés de la valeur de référence. Dans de telles proportions, le régime préconisé ne nécessiterait ni intervention ni modification des parités, ce qui le rendrait pleinement transparent et crédible. La bande serait moins large si l’évolution était considérée sur une période entière et non à tout moment. Le régime préconisé éviterait donc de s’arcbouter sur la défense au jour le jour d’un taux fixe et de perdre des réserves inutilement. A la fin de ce travail, nous avons tenté de réexaminer, dans une approche de séries temporelles, la relation du taux de change aux performances économiques, celle de la croissance en particulier. Nous avons intégré des variables de change à l’ensemble des déterminants en formant trois groupes. Nous avons effectué une estimation par étapes. A chaque fois, nous avons augmenté le nombre de variables traitées jusqu’à en considérer la totalité. La première régression constitue la référence et concerne les variables les plus souvent utilisées, qui sont relatives à la politique économique intérieure : investissement, dépense publique, épargne, spécialisation et richesse ; ainsi qu’aux liens avec l’extérieur : ouverture, demande étrangère, termes de l’échange, investissement direct à l’étranger. Dans la deuxième, nous avons incorporé les variables monétaires, rapportées au PIB : crédit intérieur, crédit privé et masse monétaire. Elles sont censées traduire l’approfondissement financier de l’économie, le degré de développement du secteur financier dont les effets attendus sur la croissance sont en général positifs. Dans la troisième nous avons introduit les variables relatives au change : la variation du taux de change réel, son désajustement par rapport à l’équilibre et le régime de change. Dans la quatrième nous avons intégré une variable muette signalant les événements majeurs qui ont eu un effet inhabituel sur la croissance. Les résultats ont confirmé l’idée que l’intégration des variables autres que celles souvent utilisées améliorent considérablement le pouvoir explicatif du modèle, un R² de près de 90%. Ils montrent que la spécialisation : rapport de la production manufacturière à celle industrielle, en Tunisie, et à celle minière au Maroc ou de l’exportation du pétrole raffiné au brut en Algérie, n’a aucun effet sur la croissance. L’ouverture, supposée favoriser la croissance, n’a aucun effet dans les cas algérien et marocain et agit négativement dans le cas tunisien. Les variations des taux de change effectifs réels n’influencent pas la croissance au Maroc et en Tunisie, alors qu’elles font partie d’une stratégie d’extraversion de la production des deux pays. 393 Le cas de la Tunisie révèle un résultat important à analyser : l’ouverture et le régime de change caractérisé par la dépréciation du taux de change effectif ont un effet négatif sur la croissance alors que le désajustement, qui est une surévaluation, l’affecte positivement. Cela n’est pas couramment admis, excepté dans certaines analyses comme celle de Rodrik, et n’aurait pu être possible sans une approche des séries temporelles et sans suivre l’évolution historique de chaque variable. Les effets communément attendus sont le plus souvent issus des études transversales. Nous dirons même que les trois variables en question sont liées et concourent pour donner un tel résultat. D’une part, les monnaies maghrébines exhibent, en moyenne, un faible désajustement. D’autre part, la Tunisie a entamé il y a plus de trois décennies une stratégie extravertie de développement qui s’est intensifiée depuis les années 1990. Mais cela ne semble pas s’être accompagné d’une modification structurelle dans la spécialisation qui demeure interbranche autour des produits, comme le textile, qui sont davantage concurrencés et à valeur ajoutée de plus en plus faible. Alors que l’importation de biens capitaux s’est accrue et que l’accélération de cette stratégie, avec une politique de change à son service, se sont traduites en partie par un déplacement de la production nationale de l’intérieur vers l’extérieur. Cela a joué en défaveur de la croissance. Pour le Maroc, la variable muette apporte beaucoup à l’explication de la croissance, ce qui est aussi le cas en Algérie, soutenant l’idée de l’importance des facteurs climatiques. La réduction de l’écart de richesse par rapport aux principaux partenaires se traduit par des possibilités supplémentaires de production. C’est aussi l’effet d’une hausse de la production de ces mêmes partenaires. Les deux cycles sont positivement corrélés et un point de croissance entraîne près de 0.4 au niveau national. Les variables de change ont aussi un effet positif. Le raisonnement concernant le désajustement du taux de change réel est le même que pour la Tunisie. C’est-à-dire, dans le cas où le taux de change réel était déjà bas et où le désajustement n’était pas très prononcé, une légère appréciation de la monnaie nationale favoriserait la croissance en rendant les importations en biens de capital moins chères. Pour le régime de change, il semble que celui qui a prévalu depuis la mi-1990 est plus favorable à la croissance. C’est un régime de stabilité relative de taux de change nominal, mais bien après une période de forte dépréciation. Le crédit intérieur est la seule variable qui agisse négativement sur la croissance, il semble être composé d’une grande part improductive. En Algérie, malgré l’important effort accompli, surtout sur les décennies 1970 et 1980, l’investissement n’explique en rien la croissance confirmant la thèse de son inefficience et de 394 la nature improductive des dépenses publiques. L’effet de l’épargne est négatif, laissant penser à une mauvaise allocation. Les variables reflétant les relations extérieures du pays soulèvent quelques interrogations. L’ouverture et la croissance étrangère n’ont aucun effet sur la croissance et les termes de l’échange l’affectent négativement. Au premier abord, cela semble étrange pour un pays dont l’activité économique tourne autour de cet axe. C’est peutêtre là l’explication. En effet, les exportations algériennes sont aujourd’hui constituées de près de 97% d’hydrocarbures, près de 80% dans les années 1970. L’Algérie est un pays presque mono producteur et sûrement mono exportateur d’un produit dont les principaux partenaires restent largement dépendants. Il est donc compréhensible que l’ouverture ou la croissance étrangère, ne modifiant en rien la relation qui lie l’Algérie à ses partenaires, n’influencent pas la croissance nationale. De même pour les termes de l’échange, leur appréciation ne modifie pas forcément l’offre nationale ou la demande étrangère. Elle peut entraîner un supplément de recettes financière dont l’effet sur le volume de la production nationale reste tributaire de leur utilisation. Un effet négatif est donc possible. Cette analyse qui insiste sur la dépendance de l’Algérie à son pétrole et au marché international reste valable pour les variables de change. C’est ainsi que ni sa variation, ni la nature du régime n’affecte la croissance. En revanche, à l’opposé des cas tunisien et marocain, le désajustement a l’effet négatif largement admis. Le prolongement de l’analyse aux exportations et aux balances commerciales s’avère d’une grande importance puisqu’il met en évidence les différences d’insertion dans les échanges internationaux entre les trois pays du Maghreb ainsi que les facteurs sous-jacents. C’est ainsi que les exportations algériennes manifestent une tendance sur l’ensemble de la période et sont positivement corrélées avec leurs mouvements passés et la demande étrangère, alors qu’elles ne sont affectées ni par les variables de change ni par la spécialisation sur les deux périodes. Tous ces éléments caractérisent une demande étrangère relativement stable et durable. C’est le cas pour l’Algérie mono exportatrice d’hydrocarbures. C’est aussi en grande partie le cas pour le Maroc, où sur l’ensemble de la période, le volume des exportations n’est très fortement expliqué, avec un R² de 97.3%, que par une tendance et par ses mouvements passés. C’est-àdire que la structure des exportations marocaines n’a pas beaucoup changé sur près de 40 ans. Ce constat est mis en évidence avec une estimation portant sur la période 1985-2003, où les variables spécialisation, demande étrangère et taux de change deviennent significatives et agissent dans le sens attendu. Cependant, ce virage est encore assez faible pour peser sur l’ensemble de la période. Ce n’est pas le cas de la Tunisie qui a, très tôt dans les années 1970, 395 réorienté ses exportations vers des produits manufacturés qui représentent aujourd’hui près de 60% de la production industrielle. Ils sont très sensibles aux aléas de la concurrence et de la demande étrangère, donc aux prix relatifs. Aussi, l’estimation sur la période 1985-2003 n’a pas apporté de pouvoir explicatif supplémentaire, confirmant ainsi la structure et l’orientation engagées depuis longtemps en Tunisie. Quant aux variables explicatives, la spécialisation, les termes de l’échange et le taux de change effectif réel ont le signe attendu, alors que le désajustement et le régime de change semblent être ambigus. Ces deux variables ne jouent pas pendant la deuxième période, celle d’une intensification de la politique d’extraversion. Ceci signifie leur importance avant le virage de la mi-1980 où il était plus facile d’appuyer cette orientation avec des taux de change légèrement appréciés et un régime de change plus rigide puisqu’ils rendent plus aisée l’importation des inputs nécessaires à cette phase. Le schéma d’insertion dans le commerce international et la structure des exportations ne sont pas sans conséquence sur la balance commerciale, elles la conditionnent. L’analyse ci-dessus concernant les exportations reste valable en ce qui concerne les balances commerciales : celles de l’Algérie et du Maroc dépendent essentiellement des mouvements passés, alors que celle de la Tunisie est sensible à presque toutes les variables. Elle semble manifester une tendance à la détérioration qui se trouve aggravée par la spécialisation interbranche, à faible valeur ajoutée, de moins en moins compétitive et totalement dépendante d’inputs étrangers. Un léger désajustement et un régime de change, autour d’une dépréciation nominale, allègent la situation, en agissant défavorablement sur les exportations. L’effet positif sur la balance commerciale s’explique par le fait qu’ils ont largement dissuadé les importations. Le Maroc paraît suivre le même schéma que la Tunisie, mais avec près d’une décennie et demi de retard. Il est important pour lui de dégager des enseignements d’une expérience qui commence à montrer les limites du modèle suivi, avant qu’il ne soit trop tard. En ce qui concerne l’Algérie, la question semble tout autre, c’est celle de mettre la mono exportation d’hydrocarbures, qui ne pose pas de problème de balance commerciale, au service d’une politique économique tournée vers le marché intérieur et la diversification du tissu productif national. En terminant, nous nous rendons compte que de nombreux points traités mériteraient des approfondissements. Le modèle du taux de change réel d’équilibre par exemple, bien qu’il ait satisfait à l’objectif recherché qui est celui de mettre en évidence la possibilité d’un taux d’équilibre propre au PED, pourrait être élargi en introduisant un troisième secteur. L’analyse 396 deconstructiviste que nous avons adoptée, surtout dans la première partie, dans le but de nuancer un discours triomphant qui prêche le flottement du change à tout va, nous a poussé à analyser, confronter et rapporter une littérature considérable dans une période où elle était des plus foisonnantes. Un tel exercice est délicat et d’ailleurs n’a-t-il pas risqué de trahir, mal interpréter,…certains arguments. Néanmoins, l’élaboration même d’un sujet qui fait appel à des domaines de recherche aussi divers et entiers que le taux de change d’équilibre ou la croissance était pour nous le moyen d’un grand enrichissement tant sur le plan intellectuel que sur celui de la pratique économétrique. Nous avons pu lier la question du choix du régime de change à celle de la détermination du taux d’équilibre, souvent traitées séparément et formant chacune un sujet de recherche à part. Nous avons essayé, non sans difficultés, de montrer en matière de change d’équilibre, par exemple, que si l’approche théorique est différente de celle couramment suivie, la démarche économétrique de même que les résultats et leurs enseignements le sont aussi. Beaucoup d’enseignements largement admis à propos des PED sont issus des études économétriques utilisant des données de panel, très puissantes et surtout palliant au manque de données qui caractérisent ceux-ci. Ils peuvent être dangereux et aboutir à des conclusions non pertinentes, par l’abondance de travaux qui occultent l’aspect spécifique du pays. Les exemples sont nombreux : l’investissement ou l’approfondissement financier de l’économie, par exemple, sont positivement corrélés avec la croissance. Cela est largement contesté sur le plan spécifique d’un PED. La thèse de l’inefficience de l’investissement algérien, la non vérification de l’effet Balassa, l’effet négatif de l’ouverture sur la croissance, entre autres, en témoignent. Il y a là matière à réfléchir sur les spécificités des PED tant au niveau de l’analyse et de la modélisation qu’aux niveaux de la démarche économétrique, de la pertinence des données et de l’interprétation des résultats. Il y a matière à réfléchir, encore, sur des questions méthodologiques et épistémologiques, notamment sur la relation existant entre la réflexion économique et l’outil empirique. Un double piège est à éviter allant d’un discours hermétique à un empirisme dominant. La réflexion donne à l’économiste le recul nécessaire et la profondeur souhaitable ; la connaissance des réalités et l’obligation de conclure et de proposer apportent à la réflexion le réalisme qui lui fait souvent défaut. Bien d’autres leçons peuvent être tirées, la plus importante nous paraît être celle de la nuance et de la relativité. Ces deux notions doivent retrouver leur place dans l’analyse économique d’aujourd’hui, où la recherche et la publication nous semblent de par trop attirées vers des « objectifs d’agenda » qui à la longue dévitalisent la richesse des interrogations, raison d’être de notre discipline. 397 BIBLIOGRAPHIE 398 ABED G. T. (2003), “Unfulfilled Promise: Why the Middle East and North Africa region has lagged in growth and globalization”, Finance & Development, 40(1), March, pp.10-14. http://www.imf.org/external/pubind.htm. ABUAF N. and JORION P. (1990), “Purchasing power parity in the long run”, Journal of Finance, 45(1), March, pp.157-74. ADAMS C. and GROS D. (1986), “The consequences of real exchange rate for inflation: Some illustrative examples”, IMF Staff papers, 33(3), September, pp. 439-76. 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