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Le Prix 2008 du meilleur jeune économiste
Article paru dans l'édition du 20.05.08
pécialiste des déséquilibres financiers internationaux, Pierre-Olivier Gourinchas, professeur à l'université de
Berkeley (Etats-Unis), est le lauréat 2008 du Prix du meilleur jeune économiste, remis lundi 19 mai au Sénat
par Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts. Créé en 2000 par le Cercle des économistes et
Le Monde, ce trophée récompense les travaux d'un chercheur français de moins de 40 ans. Trois autres économistes
ont été nommés : Yann Algan, professeur à Paris-Est, Philippe Choné, chef économiste du Conseil de la concurrence,
et Thibault Gajdos, chargé de recherche au CNRS.
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Quatre chercheurs en prise direct avec l'actualité
LE MONDE ECONOMIE | 19.05.08 | 15h53 • Mis à jour le 19.05.08 | 15h53
e prix du meilleur jeune économiste fait désormais partie des rendez-vous attendus du printemps. Par cette initiative, le Cercle des économistes
et "Le Monde Economie" récompensent l'engagement d'un jeune économiste français (âgé de moins de 40 ans lors de nos débats), alliant
excellence académique et capacité à "adresser" - pour utiliser un anglicisme - des questions centrales pour la politique économique et la société. Les
choix faits cette année, qu'il s'agisse du lauréat ou des nominés, n'ont pas été dictés a priori par une quelconque volonté de "coller" à l'actualité
économique et sociale. Il est pourtant remarquable que les quatre primés apportent chacun des contributions fondamentales à la compréhension des
débats en cours. Les questions de taux de change euro/dollar et de déséquilibres de l'économie américaine, avec les conséquences attendues en
termes de nécessaire ajustement ; les questions d'inégalités ; le problème de concurrence mis en exergue par la nouvelle loi de modernisation
économique ; le sujet de la réforme de la société française, enfin, se retrouvent au coeur des travaux récompensés par le prix cette année.
Cette adéquation entre domaines couverts et sujets de société, apparaissant ex-post, est de bon augure : il existe réellement une "french touch" en
économie. Non pas tant du point de vue des méthodes, que de celui des sujets, de leur diversité, de leur pertinence. Dans chacun de ces domaines,
nos quatre primés ont réussi à faire la démonstration que la science économique n'est pas un monstre froid avançant masqué derrière les
mathématiques pour justifier "l'horreur économique", mais en réalité une boîte à outils permettant de comprendre sans préjugés, et de tirer les
conséquences concrètes des analyses. Contrairement à ce que l'on entend parfois, la pertinence du propos et la liberté de choix des sujets ne
constituent pas un handicap en matière de publication et de reconnaissance scientifique. C'est bien parce qu'ils ont réussi à faire des percées sur des
questions originales que les jeunes économistes récompensés ici ont des listes de publications aussi impressionnantes.
Les parcours de nos quatre primés sont également intéressants, en ce qu'ils donnent une photographie de l'état de la profession d'économiste en
France. Le lauréat, Pierre-Olivier Gourinchas, enseigne à Berkeley. Les trois nominés, Yann Algan, Philippe Choné et Thibault Gadjos, sont
respectivement professeur à l'université Paris-Est et à l'Ecole d'économie de Paris, économiste principal au Conseil de la concurrence, et chargé de
recherche au CNRS en poste à l'université Paris-I. Nous laissons deviner au lecteur les sentiments inspirés au jury de ce prix, par la combinaison in
fine d'un praticien utilisant au quotidien l'analyse économique pour parvenir à des décisions relatives à la conduite des affaires, d'un théoricien
conduisant des recherches fondamentales au sein du CNRS et d'un professeur tentant d'éclairer de multiples sujets de société.
Le processus de sélection ayant amené à ce choix mérite d'être rappelé. A l'automne, les membres du Cercle ont compilé leurs suggestions et sont
parvenus à plus de trente primés potentiels. Chacun de ces jeunes économistes a ensuite envoyé les travaux qu'il ou elle considérait comme les plus
représentatifs. Deux rapporteurs ont fait une présentation de chacun des candidats, et une sélection en deux étapes a eu lieu. Le processus long et
approfondi a plongé, il faut bien le reconnaître, les membres du Cercle dans une grande fébrilité, chacun ayant de bonnes raisons pour trouver des
qualités exceptionnelles à la plupart des dossiers. En réalité, plusieurs excellents candidats qui auraient pu prétendre au prix ne se retrouvent pas
dans la liste des primés de 2008. La compétition sera encore plus vive l'an prochain, en raison de la qualité des dossiers en attente.
M. Gourinchas est déjà connu des lecteurs du Monde puisque ses travaux influents dans le domaine de la macroéconomie internationale ont déjà été
récompensés lors de l'édition 2007 du prix du meilleur jeune économiste. Qu'il s'agisse de la dynamique d'ajustement externe des Etats-Unis ou des
déterminants des mouvements de capitaux internationaux à destination et en provenance des pays en développement, notre primé prend à bras-le-
corps un puzzle central de l'économie mondiale. Le déficit persistant du compte courant américain, à des niveaux difficilement soutenables par
d'autres économies, la capacité des Etats-Unis à attirer les capitaux internationaux alors que les gisements de productivité et de croissance sont dans
les pays émergents, bref l'équilibre instable sur lequel chemine une économie mondiale libre de toute véritable régulation internationale, requiert
des explications renouvelées.
Les curriculum vitae de ces candidats mettent enfin en évidence que la pratique scientifique des meilleurs économistes français est devenue
largement internationale. Qu'ils soient en poste à l'étranger ou en France, dans le monde académique ou dans des positions plus opérationnelles,
qu'ils travaillent dans des domaines théoriques ou plus appliqués, les collaborations internationales et la participation au premier plan à la vie de la
communauté scientifique mondiale sont des traits communs des parcours récompensés ici. Le Cercle et "Le Monde Economie", auront cette année
encore pris acte de ces évolutions en attribuant leur prix.
Le Cercle des économistes
Article paru dans l'édition du 20.05.08
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Pierre-Olivier Gourinchas, lauréat :
"Le recyclage des pétrodollars et des nickel-dollars a limité les conséquences de la crise
financière pour les Etats-Unis"
LE MONDE ECONOMIE | 19.05.08 | 15h53
uelles leçons tirez-vous du rôle des déficits américains dans la crise financière ?
Les Etats-Unis disposent de ce qu'on appelle "le privilège exorbitant" du dollar : leur monnaie de réserve dominante attire l'épargne et les aide à
financer leurs déficits. Une grande partie de la dette américaine est en dollars, mais une grande partie de leurs actifs est libellée dans d'autres
monnaies. La forte appréciation de l'euro - une monnaie de placement importante - face au billet vert réduit mécaniquement l'endettement net
américain vis-à-vis de l'extérieur. Cet effet devrait contribuer à limiter l'ajustement à la baisse du dollar.
Comment analysez-vous l'évolution du dollar ?
Dans les premiers jours de la crise financière, le dollar a rebondi. Cela peut paraître paradoxal. L'explication tient dans la rapidité de la réaction de la
Banque centrale européenne (BCE) : elle est intervenue très vite pour fournir les liquidités nécessaires aux banques européennes touchées par la
crise des crédits hypothécaires à risque, les subprimes. Or, ces institutions, exposées à des risques en dollars, ont tout de suite revendu ces euros
pour acheter des dollars, ce qui a soutenu la devise américaine. Cela pose une question importante : dans quelle mesure une banque centrale qui est
le prêteur en dernier ressort dispose-t-elle des ressources pour soutenir son secteur financier ? Avec la globalisation financière, les banques prennent
des risques qui ne sont pas nécessairement dans leur monnaie. La Réserve fédérale américaine (Fed) et la BCE ont ensuite conclu un accord de
facilités de swaps (contrats d'échange) permettant à la BCE de fournir des dollars et, à partir de ce moment-là, le mécanisme de baisse du dollar a
été enclenché.
Le dollar a alors repris et accéléré sa chute...
La crise a révélé que la qualité des actifs financiers américains était moins élevée que prévu. Ces dernières années, les Etats-Unis ont pu financer
sans trop de mal de très importants déficits en offrant des actifs financiers stables, liquides et ayant un bon profil de risques comparé au reste du
monde et en particulier aux pays émergents. La perception des agents du marché est désormais que les produits de titrisation et le marché du crédit
sont très opaques, avec un profil du risque élevé.
Cette perte de qualité a logiquement suscité un rééquilibrage, avec des sorties de capitaux des marchés américains, une dépréciation du dollar, une
réduction du déficit de la balance des paiements courants américains et une pression baissière sur les taux d'intérêt. Pourtant, il est assez frappant
de voir qu'étant donné l'importance du choc, l'ajustement a finalement été relativement modeste, en particulier sur le dollar et le déficit externe
américain.
L'euro a pourtant battu des records...
Oui, la chute du dollar a été brutale par rapport à la monnaie unique mais moins vis-à-vis des autres monnaies. Et le retournement du déficit courant
américain - de 6 % du produit intérieur brut (PIB) à moins de cinq points - n'est pas spectaculaire. L'économie américaine ne semble pas vraiment
privée de ressources pour continuer à financer une consommation élevée et une épargne faible. Si, du jour au lendemain, les Etats-Unis devaient
couvrir leur déficit des paiements courants, nous assisterions à un véritable tremblement de terre sur le marché des changes. Dans ce cas de figure,
certaines études prédisent que le dollar devrait perdre 40 % à 50 % de sa valeur face aux autres monnaies. Nous sommes très loin de ce genre de
scénario. Quand ce type de choc se produit dans un pays d'Amérique latine, les conséquences sont autrement plus douloureuses...
Comment l'expliquez-vous ?
Paradoxalement, la flambée du cours des matières premières a contribué à limiter les ajustements nécessaires des déficits américains. Les marchés
de matières premières ont reçu ces six derniers mois un afflux massif de capitaux se détournant des actifs financiers traditionnels - à l'exception des
emprunts d'Etat, valeurs refuges traditionnelles qui restent très demandées. La croissance en Chine et dans les pays émergents, fortement
consommateurs de pétrole et de matières premières, a conduit à un déséquilibre sur ces produits, dont le prix est extrêmement sensible et volatil.
L'afflux de capitaux, via les marchés dérivés, a provoqué une envolée supplémentaire de l'or, du zinc, du nickel, etc., et un enrichissement
extraordinaire et rapide des pays producteurs, que ce soit l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour le pétrole ou le Chili pour le
cuivre. Et brusquement, cette richesse accrue s'est placée pour bonne part aux Etats-Unis, on l'a vu avec le phénomène des "fonds souverains". Ce
recyclage des pétrodollars, des nickel-dollars, etc., a limité les conséquences de la crise. Les pays émergents, contrairement aux banques
européennes ou à certains fonds de pension japonais, ont une exposition au risque des subprimes proche de zéro et ils n'ont pas trop souffert. C'est
pourquoi ils ne se sont pas détournés du marché américain. En même temps, ces investisseurs commencent à diversifier leurs placements. Ils se sont
donc aussi orientés vers la zone euro, ce qui a contribué aux records de la monnaie unique.
Ce phénomène est-il durable ?
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Les effets spéculatifs devraient se résorber et on devrait entrer dans une période d'ajustement du déficit américain et de baisse du dollar plus active,
pas nécessairement par rapport à l'euro. La baisse du dollar n'a probablement pas été assez forte vis-à-vis des autres monnaies, en particulier les
devises des partenaires commerciaux : Chine, Asie, Mexique, etc.
La Chine ne semble pas prête à laisser le yuan s'apprécier rapidement...
La Chine contrôle son taux de change et n'est peut-être pas disposée à une réévaluation rapide du yuan, mais l'ajustement ne se fera pas forcément
de cette façon. Le pays connaît une forte inflation qui affaiblit sa compétitivité : la différence de hausse des prix devrait jouer le même rôle qu'une
dévaluation du dollar, en érodant les gains de compétitivité.
Propos recueillis par Adrien de Tricornot
CV
2003
Pierre-Olivier Gourinchas enseigne l'économie à l'université de Californie (Berkeley)
après avoir exercé aux universités de Princeton et Stanford.
1996
Cet X-Ponts, titulaire
d'un DEA de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), obtient un PhD
en économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT).
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