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Transversal n° 35 mars-avril éthique
générale, abonde : « L’image que les soignants ont des
patients CMU est souvent caricaturale : soit ils sont per-
çus comme totalement désocialisés ; soit ce sont des tri-
cheurs qui profitent. Cela ne correspond pas du tout à la
majorité, qui travaille, élève une famille et dispose de
faibles revenus. » Selon elle, l’accord ne répond absolu-
ment pas aux obstacles rencontrés par les patients : « Il
est indispensable de former et d’informer les médecins.
Même si ces patients sont reçus, ils sont souvent mal
soignés. Il faudrait intégrer des modules de formation sur
la précarité, les pathologies qui y sont liées et rappeler
que la CMU est un droit et non une concession. »
Le cas de l’AME. Le problème est encore plus manifeste
pour les bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME), pre-
mières victimes du refus de soins. Cette aide est destinée
aux étrangers en situation irrégulière, présents depuis plus
de trois mois sur le territoire et dont les ressources sont
inférieures au plafond de la complémentaire CMU (soit
158 000 personnes concernées au premier trimestre
2005). Les résultats du sondage mené par MDM auprès
des médecins enquêtés téléphoniquement en octobre der-
nier indiquent que 40 % des praticiens consultés ont refusé
de soigner ces malades ou tenté de les dissuader de venir
les consulter. Ces aspects, hormis l’annonce de la mise
en place fin janvier d’un comité de suivi spécifique, ont
été laissés en suspens lors des négociations du mois de
décembre. Une saisine de la Halde par l’Observatoire du
droit à la santé des étrangers est en cours. Objectifs :
condamnation des refus pour AME et intégration au dossier
CMU. Ce qui fait débat sur le terrain.
Chirurgiens-dentistes et CMU
La question de la CMU dans le domaine dentaire a toujours été problématique. L’enquête menée par le Fonds CMU
révèle un taux de refus de soins par les chirurgiens-dentistes aux bénéficiaires de la CMU de 39 %. Premier problème :
les tarifs des prothèses CMU. Les deux principaux syndicats de médecins, la Confédération nationale des syndicats
dentaires (CNSD) et l’Union des jeunes chirurgiens-dentistes (UJCD) ont critiqué la loi, arguant qu’elle faisait peser
sur les praticiens une partie significative du coût de la prise en charge, allant parfois jusqu’au soin à perte. Lors de
l’assemblée générale de la CNSD du 18 décembre 2004, une « motion CMU » avait été adoptée, appelant au report
immédiat de la réalisation des actes prothétiques et orthodontiques pour les bénéficiaires de la CMU et à la limita-
tion aux seuls soins d’urgence de la participation au dispositif CMU. Face au tollé suscité par cet appel, la motion a
finalement été retirée. Une nouvelle convention dentaire a été signée en mai 2006. Et les tarifs des prothèses appli-
cables dans le cas de la CMU ont été revalorisés de 30 %. Bilan de l’Inspection générale des affaires sociales :
«Négliger les soins pour ne faire que de la prothèse devient moins intéressant. » Plusieurs points sont toujours en
discussion. Le premier concerne l’abandon de traitements : « Pour que le dentiste soit honoré, le patient doit aller
jusqu’au bout, explique Hervé Parfait, de la FCDF. Or il arrive que certains abandonnent le traitement en cours, et la
facture incombe au chirurgien. On parle alors de “charité ordonnée… sur les autres”. » Deuxième point d’achoppe-
ment, selon lui : « Le panier de soins dentaires pour les bénéficiaires de la CMU, qui ne correspond au mieux qu’à
60 % des tarifs de la profession. »
«C’est une erreur parce que ce sont deux populations
très différentes, estime Jean-François Chadelat. Les
CMUistes entrent dans une catégorie définie au niveau
de la Sécu, alors que les bénéficiaires de l’AME n’ont pas
intérêt à se manifester auprès des administrations. » Pierre
Volovitch ajoute : « C’est un mélange d’accès aux soins
et de repérage de clandestins, et l’absence de carte vitale
devient un moyen d’identifier les étrangers sans papiers. »
«Accepter que ces patients accèdent à la Sécurité sociale
revient à faire un premier pas vers une forme de régula-
risation symbolique, explique Pierre Michelleti. La résis-
tance politique est manifeste à droite comme à gauche,
c’est pour cela que personne ne s’en est saisi jusqu’à pré-
sent. » Le sondage mené par MDM auprès des médecins
enquêtés téléphoniquement plaide en faveur d’une inté-
gration de l’AME au dispositif de la CMU. Conclusion du
président de cette association : « D’après les premiers
résultats, ils demandent assez massivement un système
identique à celui de la CMU avec accès à la carte vitale. »
En cristallisant les débats sur les zones de faille du système
de santé français, ce phénomène des refus de soins l’inter-
roge en profondeur. Quel modèle voulons-nous mettre en
place pour demain ? Les négociations en cours sur la mise
en place d’un secteur optionnel permettant aux spécialistes
de pratiquer des dépassements tarifaires en sont la parfaite
illustration. « La grande majorité des usagers a tout à perdre
de ce désengagement accru de l’Assurance-maladie si ce
secteur optionnel se met en place, esquisse Marie Kayser.
Les complémentaires augmenteront leurs tarifs, alors que
10 % de la population ne peut déjà pas s’en payer. »