Michel HUSSON Un pur capitalisme Lausanne, Page 2, Collection Cahiers Libres, 2008, 206 pages L’ouvrage de Michel Husson se présente comme une série d’articles articulés autour d’une thèse centrale clairement explicitée dès les premières lignes du livre. Il s’agit de montrer que « le capitalisme contemporain tend vers un fonctionnement pur, en se débarrassant progressivement de toutes les « rigidités » qui pouvaient la réguler ou l’entraver (…) et ce à travers deux grandes tendances : la « remarchandisation » de la force de travail et la formation tendancielle d’un marché mondial » (p. 9). Michel Husson nous propose ainsi un ensemble de réflexions critiques sur l’état et le devenir du capitalisme mondial, non sans évoquer leurs conséquences sur la dégradation des conditions de vie des salariés. Prenant acte de l’affirmation de ces transformations, il réfléchit ensuite à la construction d’alternatives, élaborées essentiellement pour la France, et fondées notamment sur l’augmentation des revenus du travail (et en particulier du SMIC), mais aussi sur la poursuite de la diminution du temps de travail et sur la taxation des revenus du capital. La première partie de l’ouvrage intitulée « le capitalmonde » a pour ambition d’offrir un état des lieux du capitalisme contemporain caractérisé par la « hausse tendancielle du taux d’exploitation », – c’est-à-dire dans les termes de la statistique nationale du taux de marge –. L’auteur montre très clairement que la part de la richesse nationale revenant aux détenteurs de capital s’accroît au détriment de celle revenant aux salariés. Cette hausse tendancielle des taux d’exploitation et de profit s’explique par la dégradation de la position des travailleurs dans les rapports de forces sociales suite essentiellement à l’affirmation de la finance, à la mobilité accrue du capital, à l’abandon des politiques keynésiennes et à la persistance d’un chômage de masse. En outre, et compte tenu de l’imbrication croissante des économies nationales, l’auteur précise que la « mondialisation capitaliste, [qui] vise essentiellement à la constitution d’un marché mondial et à la mise en concurrence directe des travailleurs, tend à établir des normes salaires et la rentabilité » (p. 43) et qui exercent une pression à la baisse sur les conditions d’existence de cette classe. Pour compléter ses explications relatives à une telle dégradation du rapport de forces sociales, Michel Husson s’intéresse ensuite aux conséquences de la montée des pays dits émergents. Il souligne qu’une nouvelle répartition géographique des richesses mondiales se fait désormais, et ce de plus en plus au détriment des pays de la Triade, mais au profit de la Chine et de l’Inde notamment. Il complète son panorama de l’économie monde en s’intéressant à la situation de deux pays phares de la mondialisation actuelle. La Chine tout d’abord, dont il nous décrit les grands axes de son développement, non sans souligner également ses limites, potentiel facteur d’essoufflement de la croissance économique mondiale future. Les États-Unis ensuite dont la « suprématie repose sur la capacité à drainer un flux Recensions permanent de capitaux venant financer son accumulation et reproduire les bases technologiques de cette domination » (p. 45). Mais cet impérialisme étatsunien, désigné comme « prédateur », est également précaire et instable compte tenu du niveau de la dette extérieure de ce pays. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux « contraintes du profit » et vise à faire la critique de certaines thématiques en vogue actuellement. L’auteur y montre que ni la flexibilité, ni les mesures destinées à alléger le coût du travail ne se sont traduites par une relance de la croissance ou par une résorption du chômage. Ces politiques n’ont fait qu’amplifier une répartition des revenus défavorable aux salariés et ont contribué à accentuer le dualisme du marché du travail. Une dernière idée préconçue est battue en brèche, celle de la dette publique, prétexte contemporain aux réformes ou plutôt au progressif démantèlement de l’État et de la Sécurité sociale. L’auteur explique que l’origine de la dette de l’État doit être majoritairement attribuée à la diminution des recettes fiscales causée essentiellement par la diminution des impôts sur le capital ou sur les revenus les plus élevés. Les avantages fiscaux octroyés aux plus riches ont eu une double conséquence : la première est que les déficits se sont mécaniquement creusés. La seconde est que ces mesures destinées aux plus riches, n’ont stimulé ni la consommation ni la croissance, mais ont, au contraire, favorisé l’épargne. L’auteur propose donc qu’un prélèvement exceptionnel soit mis en place sur les patrimoines les plus élevés pour résorber les déficits et contrecarrer l’accroissement de la dette. Dans une troisième partie, Michel Husson revient sur les débats relatifs à la fin du travail pour en critiquer ses partisans. Réaffirmant que seul le travail est à l’origine de la valeur et de la production de richesses, l’auteur souligne notamment que « la montée du chômage n’est pas le résultat mécanique de l’évolution de la productivité. Elle résulte de la nonredistribution des gains de productivité aux salariés que ce soit sous forme de progression du pouvoir d’achat ou de réduction du temps de travail » (p.115-116). Il revient ensuite sur la question de l’instauration d’un revenu universel et évoque ses probables conséquences sur la partition de la société, entre ceux qui ont un emploi et ceux qui ne disposeraient (que) du revenu universel. Il pose également la question des conséquences de la mise en place d’un tel revenu qui pourrait participer à l’asservissement des femmes en apparaissant comme un revenu familial ou maternel déguisé. C’est la raison pour laquelle l’auteur réaffirme la nécessaire revendication d’un emploi pour tous, fondement essentiel des droits sociaux. Cette proposition n’est que la première de sa « construction d’alternatives » visant à dépasser l’esclavage salarié en soumettant le capital aux droits des travailleurs et en valorisant la poursuite de la diminution du temps de travail. Michel Husson est ainsi amené à appeler de ses voeux une « démarchandisation » de la force de travail, qui s’opèrerait notamment par l’affirmation d’un droit à l’emploi et à la continuité du revenu, par la contestation de l’actuelle répartition des richesses, par l’exigence d’une baisse du temps de travail avec embauches proportionnelles, par le contrôle des salariés sur l’embauche et les conditions de travail, et par le refus du pouvoir patronal sur l’emploi et les conditions de travail. Il s’agirait ainsi d’être « Tous salariés, pour abolir le salariat », c’est-à-dire de promouvoir la socialisation de l’emploi. Reste une question en suspend que l’auteur n’aborde pas : de qui serions-nous alors les salariés ? Sans doute d’un État ? Mais cette situation signerait-elle alors réellement la libération des salariés ? Michel Husson propose en tout cas un programme de transformation sociale fondé sur la continuation des 35 heures et sur la redistribution des richesses en s’attaquant à la fois aux revenus financiers par la fiscalité directe et par l’augmentation des salaires. L’auteur est ainsi amené à réaffirmer l’idée que la croissance doit être soutenable et utile en permettant la satisfaction des besoins sociaux les plus urgents. Il propose donc à la fois l’instauration d’un SMIC à 1500 euros indexé sur la progression moyenne de la productivité du travail par tête, mais aussi la mise en place de minima sociaux unifiés, portés à 1200 euros (80 % du SMIC et indexés sur la progression du SMIC). Il évalue le coût de ces mesures à 235 milliards d’euros répartis sur 5 ans et propose de le financer par une ponction sur les revenus financiers et par les gains de productivité réalisés sur cette période. Il faut donc bien percevoir que ce schéma ne postule pas une accélération de la croissance mais plutôt un changement de son contenu et une transformation de la répartition des richesses produites lesquelles seraient davantage attribuées aux revenus du travail. Mais son programme ne s’arrête pas là puisqu’il souhaite la mise en place des 32 heures de concert avec une progression des salaires de 13% sur 5 ans, moyen selon lui de résorber également le chômage. Une série d’interrogations viennent alors à l’esprit d’un lecteur sans doute plus fataliste que l’auteur. La première a trait à l’aspect incitatif du niveau du SMIC par rapport à celui des revenus minimaux. Si l’auteur s’oppose au revenu universel, ou à des minimaux sociaux équivalents au SMIC pour valoriser l’emploi, la fixation de ceux-ci à 80% du SMIC laisse sceptique surtout si le travailleur est amené à prendre en compte la contrainte et les coûts liés directement ou indirectement à son emploi comme les coûts de transport. La seconde prend acte des positions de l’auteur, et viserait à se demander si les minima sociaux ne devraient pas avoir une contrepartie qui pourrait prendre la forme d’un emploi d’utilité sociale permettant à la fois de contribuer à satisfaire les besoins sociaux les plus urgents et à revaloriser l’emploi. La dernière enfin porte sur le financement de ces mesures. Si l’auteur entend taxer le patrimoine et les revenus du capital, la mobilité du capital (et particulièrement des patrimoines financiers) risque de rendre la chose impossible. Même si nous avons bien pris acte de la proposition de l’auteur, d’exproprier les propriétaires « inciviques » pratiquant l’évasion fiscale, même si nous comprenons concrètement comment la mettre en place quand il s’agit de sanctionner des propriétaires de capitaux fixes et physiques, elle nous semble impossible à pratiquer sur des patrimoines financiers sans que ne soit instaurée au préalable une coopération fiscale internationale. Enfin l’auteur termine son ouvrage sur des questions plus théoriques, s’interrogeant sur les raisons de la domination de l’économie néoclassique orthodoxe et libérale. Il est alors amené à réaffirmer l’intérêt d’une analyse de l’économie d’inspiration marxiste, soulignant comme il l’avait déjà laissé entendre que le travail humain, contrairement à la finance, est à la source de la production de valeurs et de richesses. Il n’est donc pas étonnant que sa Postface soit consacrée à la crise actuelle des subprimes. C’est ici que le lecteur attendrait peut-être une réflexion sur les moyens d’endiguer et de « réencastrer » la finance pour éviter les crises financières. La proposition d’une loi programmatique relative à la taxation de la finance l’aurait ainsi intéressé. De même, une réflexion sur l’intervention du prêteur en dernier ressort (c’est-à-dire de l’Etat ou des autorités monétaires), nécessaire pour endiguer les crises de liquidités, aurait été appréciable. Elle aurait pu être soumise à une réflexion de politique économique en suggérant la possibilité d’une éventuelle prise de contrôle par le prêteur en dernier ressort des institutions bancaires ou financières bénéficiant d’une telle intervention, ce qui permettrait alors de limiter le risque d’aléa moral qu’un tel secours fait traditionnellement peser. Pour conclure, l’ouvrage est riche et offre un ensemble d’intéressantes réflexions sur des problématiques actuelles, tant économiques que sociales. Il contribue ainsi au débat politique et prouve que face à la mondialisation, une politique économique ambitieuse qui viserait la satisfaction des besoins sociaux est d’une part possible mais également souhaitable. Jean-Daniel Boyer Université Marc Bloch, Strasbourg Laboratoire “Cultures et sociétés en Europe” Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40