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étoPia | alternatives et critiques économiques | 150 151 | Pour une (bio)diversité monétaire
la diérence. Ainsi, la création monétaire par la dette encourage une
suractivité économique superue qui a tendanciellement pour résultat
de concentrer les richesses, d’appauvrir la majorité des citoyens et
d’accélérer la destruction de l’environnement.
Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui plaident pour une (re)
nationalisation de la création monétaire. L’argent étant un bien public,
le droit d’émettre de la monnaie doit appartenir au gouvernement.
En réalité, cette solution n’est pas nouvelle2. Une telle renationalisa-
tion relèguerait les banques au statut de simple courtier de l’argent
qu’elles ont en dépôt. En pratique, et ce n’est pas nouveau non plus3,
cette décision se heurterait au puissant lobby bancaire dont on a pu
notamment mesurer l’inuence déterminante lors des multiples
épisodes de la crise grecque (et avant cela, lors de la crise de 2008). A
cette objection de fait s’ajoute une objection d’opportunité quand à la
portée de l’ecacité d’une telle mesure. En eet, si la nationalisation
de la création monétaire est susceptible de constituer une solution du-
rable à la crise bancaire, elle ne résoudra pas l’instabilité structurelle4
de notre système monétaire. Le passage d’un monopole monétaire à
l’autre n’est que le premier pas d’une sortie de crise, le dernier passera
nécessairement par une diversication des monnaies.
Ne pas quitter l’euro mais le compléter
Une économie écologique, juste et durable, requiert la n du mo-
nopole monétaire et la oraison de monnaies complémentaires. La
question de la diversité monétaire nous apparaît aussi déterminante
pour la durabilité du système économique et monétaire que ne l’est
2 Abraham Lincoln (1809-1865) armait que «le gouvernement devrait créer, émettre et faire circuler toute la
monnaie et les crédits nécessaires pour satisfaire le pouvoir de dépenser du gouvernement et le pouvoir d’achat
des consommateurs. Par l’adoption de ces principes, les contribuables économiseront d’énormes sommes en
intérêts. L’argent cessera d’être le maître et deviendra le serviteur de l’humanité»
3 James Madison (1751-1836)armait que «l’histoire a enregistré que les marchands d’argent ont eu recours à
chaque forme d’abus, d’intrigue, de tromperie, de moyens violents possible pour maintenir leur contrôle sur les
gouvernements en contrôlant la monnaie et son émission»
4 En 1996, Caprio et Klingenbiel, reprenant des chies de La Banque Mondiale, ont identié 176 crises moné-
taires depuis l’introduction par Nixon du mécanisme d’échange ottant au début des années 70.
La monnaie comme enjeu de la
réappropriation démocratique
La crise de la zone euro charrie depuis plusieurs mois son lot de
dicultés. Mais comme toutes les crises fondamentales qui ont émaillé
notre histoire, cette crise constitue une fenêtre d’opportunité pour
amorcer un changement structurel de notre système économique.
Replacer l’économie au sein de la délibération politique an de
créer les conditions d’une prospérité durable et partagée suppose
une approche progressive. Commençons par lever le voile sur la
question monétaire. Une grande majorité de nos concitoyens n’y
comprennent rien ou pas grand-chose. Il y a semble-t-il à cet égard
une «organisation intentionnelle de l’ignorance» dont le but est de
préserver les privilèges d’une communauté d’intérêts privés sur une
problématique centrale pour le devenir collectif.
La plupart des citoyens est généralement très étonné d’apprendre que
ce ne sont pas les gouvernements ou les banques centrales qui créent
l’argent. En eet, la création monétaire relève de la volonté et de l’action –
par l’octroi d’emprunts et la contraction de dettes – des banques privées.
Or, la monnaie est tout sauf un bien privé et notre histoire économique
récente nous a bien montré que les banques ne sont pas des opérateurs
particulièrement éclairés ou bienveillants. Ce privilège accordé aux
banques est problématique sur le plan de la légitimité démocratique:
comment peut-on sous-traiter aux banques privées, animées par l’unique
et immédiat désir de maximiser leurs prots, des leviers qui déterminent
aussi directement notre prospérité collective? Par ailleurs, notons que
ce processus privatisé de création monétaire a des conséquences intrin-
sèquement néfastes sur le plan social et environnemental. Comme le
note Bernard Lietaer1, «Quand une banque prête 300, il faut lui rendre
600. La croissance est nécessaire pour créer les 300 supplémentaires».
Une croissance – peu importe laquelle – est donc nécessaire pour créer
1 ww w.lemonde.fr/societe/article/2009/08/18/creer-des-monnaies-par-millions_1229556_ 3224_1.html