Construire un objet de recherche comparatif
Illustration de solutions inspirées (notamment) de l'histoire croisée
Travail en cours : ne pas citer.
Auteur : Boget Yoann
Doctorant à l'EHESS
Équipe de Recherches sur les Igalités Sociales
Centre Maurice Halbwachs.
Comme l’énonçait déjà Durkheim, « la sociologie comparée n'est pas une
branche particulre de la sociologie ; c’est la sociologie me. » (1986, [1894]) Si
bien que, lorsqu’on parle de perspectives comparatives ou de sociologie compae,
on fait en réali rence à une forme bien particulière de comparaison qu’est la
comparaison internationale. Ce qui fait la scifici de la méthode comparative ne
side ainsi pas tant dans le fait de comparer que de comparer entre des contextes très
différents.
Cette démarche de la comparaison internationale est d’ailleurs aussi vieille
que la sociologie elle-me. Que l’on pense à des précurseurs comme Tocqueville ou
Marx ou aux res fondateurs tels que Weber ou Durkheim, on s’aperçoit
immédiatement que la comparaison internationale est constitutive de la discipline
sociologie.
Pourtant, parmi la vaste littérature méthodologique sur les comparaisons
internationales1, ts peu de travaux se sont intéressés aux problèmes spécifiques
pos par l’utilisation de thodes qualitatives2. Il ne s’agit pas de ptendre qu’il
1 Pour un aperçu des contributions récentes marquantes : voir la bibliographie.
2 Dont font en particulier partie les contributions de Collet et de Vassy (voir la bibliographie).
1
n’existe aucune contribution sur le sujet. Depuis le débat, plus torique que
thodologique, entre les chercheur du LEST, partisans de l’analyse soctale et la
vision plus culturaliste de d’Iribarne et en dehors de quelques très bons chapitres
d’ouvrages collectifs (Lallement et Spurk, 2003 et Barbier et Letablier, 2005) ou de
d’écrits orientés vers l'apprentissage et construits sur le type du manuel (Vigour, 2005
et Paugam et Van de Velde, 2010), force est de constater que les contributions
centes les plus marquantes viennent de l’exrieur de la discipline (Detienne, 2000)
ou de sa marge (Werner, Zimmermann, 2003). Partant de ce constat, nous avons
organisé avec Linda Haaparvi et Aurélie Picot, deux colgues de l’Équipe de
Recherche sur les Igalités Sociales, des joures d’étude intitulées : « L'enqte
qualitative et les perspectives comparatives : spécifici, apports, limites ». Cette
contribution s’inspire notamment des discussions tenues lors de ces journées. Elle
emprunte également un certain nombre d'ie à l'histoire croisée en vue de soudre
quelques aspects probmatiques relatifs à la construction d'un objet comparatif.
Dans une première partie, nous reviendrons sur trois erreurs-pges qu'il
convient dviter. Dans une deuxme partie, nous verrons comment ses erreurs
peuvent être évies à travers une reconstruction inductive qui nécessite de rompre
avec deux pjus sur l'analyse comparative. Enfin une troisième partie permettra
d'illustrer comment ses solutions ont été appliquées conctement dans le cadre d'une
enquête sur les « travailleurs pauvres assistés » en France et en Allemagne.
Contourner les trois pges d'élaboration du comparable
La recherche comparative tend de nombreux pièges à ceux qui s'y aventurent.
Il en est trois lors de la construction de l'objet, qui bien que différents, revent d'une
me négligence à l'égard du caractère historiquement situé de l'objet, négligence
qui découle de l'entement à construire des objets similaires dans différents
2
contextes. Le premier, le biais, universaliste, sous couvert d'indicateur standardi nie
simplement le caracre histoirique de l'objet. Le second, que l'on peut nommer biais
d'équivalence mantique, passe à té de différences en raison de traductions trop
rapidement jugées équivalentes. Enfin, le dernier piège, que l'on peut qualifier de
biais d'équivalence fonctionnelle consiste à considérer comme similaires des
cagories construites en tenant compte du contexte.
Le piège universaliste
En sociologie compae, l'erreur la plus évidente consiste à construire un objet
anhistorique extrait de tout contexte. C’est ce que Barbier nomme l’universalisme
particulariste et Zimmermann le comparatisme logique. Il s’agit d’un comparatisme
anhistorique qui construit des indicateurs chiffrés standardisés. Elle permet de faire à
peu de frais de belles comparaisons terme à terme sans interroger la pertinence des
cagories ainsi construites dans la diversi des contextes étudiés. Il présente
l’avantage de prendre des allures scientifiques calqes sur le mole des sciences
exrimentales.
Souvent, ce type de comparatisme est utilisé dans l’évaluation des politiques
publiques et par les institutions internationales. Deux exemples simples permettent
d’illustrer l’ineptie consistant à ignorer le contexte historique. La mesure du chômage
au sens du BIT implique ne pas avoir travaillé durant la semaine de férence et être
immédiatement disponible pour l’emploi. De fait, dans certains pays cette mesure
exclue des chômeurs participant à des mesures dites d’activation. Elle ne tient pas
compte du chômage partiel, ni des dispositifs d’indemnisation du chômage et encore
moins des différences que recouvre la notion d'emploi. Les taux de pauvreté, mesurés
comme les revenus au-dessous de 60% du revenu médian posent le même type de
problèmes. Ils ne permettent pas de prendre en compte le contexte sociohistorique
dans lequel ces dones s’inscrivent et postulent abusivement l’équivalence
sociologique des indicateurs produits. Le probme de ces analyses side dans le fait
3
qu'elles produisent des entités dont la comparaison n’a pas de sens sociologique. Il ne
s’agit évidemment pas ici de critiquer les méthodes quantitatives mais certaines
utilisations inconsidérées de données standardisées. Les enqtes de type qualitatives
ne sont pas nécessairement à l’abri de ce genre d’erreur. Une enqte par entretiens
semi-directifs qui mettrait en évidence des différences les resituer dans leur contexte
produirait le me type d’erreur. La première vigilance de la démarche comparative
consiste donc à historiciser son objet.
Cette première remarque constitue un rappel formel. En tant que
sociologue, nous sommes en principe aguerris contre la tentation d’extraire son
objet de son histoire. Nous connaissons les particularités du raisonnement
sociologique, au sens de Passeron (1991) et nous savons que les sciences sociales
ne peuvent pas se comporter selon les modèles des sciences anhistoriques. Le
monde social ne peut être apphendé que dans un espace non-poppérien de
l’argumentation.
Le piège de l'équivalence sémantique
Pourtant, la deuxième erreur qui relève d'une me gligence du contexte
historique est beaucoup plus pandue. Elle consiste à établir des équivalents
mantiques sur la base de traductions faussement évidentes. En effet, les mots, eux
aussi, sont pris dans un sysme de significations historiques. La traduction peut donc
cacher des différences fondamentales. Dans le cas de mon enqte, les politiques
d’activation en sont un exemple grossier. Barbier (2009) a bien mont comment ce
terme aisément traduisible dans toutes les langues européennes cache en alité des
mesures différentes appliquées dans des contextes institutionnels eux aussi différents.
Il existe toutefois des cas plus pernicieux. Vassy (2003) par exemple a mont dans
une étude sur l’organisation hospitalière qu'il n’est pas correct de consirer les
infirmières, les « nurse » et les « Krankenschwester » comme des activités
équivalentes. Et même dans des domaines qui peuvent partre hautement
4
standardis et formalis comme celui de la decine, Woollven a montré lors des
journées d’étude que nous avons organies que la dyslexie ne recouvrait pas la
me alité des deux côtés de la Manche. Dans tous ces cas, le risque est d’être
abusé par des effets de langage qui, en cachant les différences, conduisent à voir de
l’identique partout. Afin de lutter contre ces fausses équivalences sémantiques,
Barbier (2002) propose de construire un « troisme langage », celui de la recherche,
qui permet de se gager des sens indigènes et de pouvoir ainsi les analyser
distinctement.
Le piège de l'équivalence fonctionnelle
La troisième erreur découle de la construction inconsciente de ce que l’on
pourrait appeler des équivalents fonctionnels. Il s’agit dans ce cas de construire des
entités contextualisés mais anmoins considérées équivalentes. Cette erreur se laisse
moins facilement saisir dans la mesure elle implique de construire les habitudes
mentales formées dans un cadre national. En effet, suivant Les gles de la thode
sociologique, le sociologue cherche à se donner une finition précise qui rompt avec
le sens commun en évitant l’ethnocentrisme afin, justement, d’échapper à une vision
anhistorique du phénomène. Souvent, cette finition, bien que détachée du contexte
national particulier, reste impgnée des schèmes de pensée propre à son contexte de
production, ne serait-ce que parce qu’elle est formulée dans une langue scifique.
Dans le cadre de l’enqte que j’ai mee, par exemple, avant de pouvoir traiter la
question des « travailleurs pauvres », il me fallait une finition de la pauvre. La
finition de Simmel, selon laquelle les personnes pauvres dans une société donnée
sont les personnes auxquelles la soc vient en aide en raison de ce manque de
moyens, permettait a priori d’éviter la vision ethnocentrique de la pauvreté. Dans le
cas de la finition de la pauvre par le dispositif d’assistance, le danger consiste
alors à rassembler sous la même catégorie de « pauvre » les allocataires du RSA et
ceux du Hatz IV (« l’équivalent » allemand). Les systèmes de protection sociale, bien
5
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !