INTRODUCTION
D’après Lovallo et Kahneman (2003), les contre-performances sont monnaie courante dans le
monde des affaires : 70 % des nouvelles usines de fabrication en Amérique du Nord ferment
leurs portes au cours de leur première décennie de fonctionnement, environ trois quart des
fusions et acquisitions ne se traduisent pas par une situation plus avantageuse, la grande
majorité des nouveaux produits sont abandonnés au bout de quelques années seulement, etc.
Cependant, malgré la fréquence élevée des échecs dans l’univers organisationnel, on
remarque que la plupart des travaux en management ont un biais en faveur du succès. Un tel
constat justifie pleinement l’intérêt que nous portons, dans cet article, aux échecs. En
particulier, les lancements de produits ratés retiendront toute notre attention, dès lors qu’ils
sont théoriquement les plus propices à l’apprentissage. En effet, certains travaux (e.g. Lynn et
al., 1996) envisagent l’innovation comme un « jeu à plusieurs coups », qui se traduit par des
projets successifs, interdépendants sur le plan technique. Dans cette perspective, l’échec d’une
innovation doit permettre de tirer des enseignements pour les produits suivants. A ce titre,
l’histoire regorge d’exemples de déconvenues commerciales qui ont conduit, par la suite, à
des succès bien plus importants (IBM, Apple, Motorola, etc.). L’échec n’a donc rien d’une
abomination et est, au contraire, synonyme d’expérience. Cependant, même si cette idée est
largement répandue dans l’opinion publique, Cannon et Edmondson (2005) notent qu’il existe
très peu d’entreprises qui apprennent de façon systématique de leurs échecs. Cet article vise
justement à faire le point sur cette question, en essayant de savoir si une déconvenue peut
faire office de « stimulus » et déclencher un processus d’apprentissage organisationnel.
Pour cela, nous partons tout d’abord des travaux sur l’innovation qui traitent – très
sommairement – de la question de l’apprentissage par l’échec commercial (e.g. Maidique et
Zirger, 1985 ; Lynn et al., 1996). Nous en arrivons à la conclusion que cette littérature
manque d’un cadre théorique pour ancrer ses propositions. Nous nous proposons, par
conséquent, d’inscrire la question des échecs commerciaux dans les modèles d’apprentissage
de l’école behavioriste (cf. J.G. March et collaborateurs). Cela nous permet de montrer que la
dynamique d’apprentissage par l’échec est souvent défectueuse, dès lors qu’elle se heurte à de
nombreux obstacles. Qui plus est, en admettant que l’organisation tire – malgré tout –
quelques leçons de l’échec, une telle « performance d’apprentissage » ne garantit pas pour
autant une meilleure « performance organisationnelle ».