UNIVERSITE DE NANTES UFR DE NANTES ECOLE DE SAGES-FEMMES Diplôme d’état de sage-femme TROUBLES BIPOLAIRES ET PERINATALITE BUTON Ludivine Née le 13 juillet 1983 Directeur de mémoire : Dr GUITTON Bernard Promotion 2002-2007 1 Sommaire Introduction …………………………………………………………………………………1 Première partie : Généralités sur les troubles bipolaires…………….2 1. Définition …………………………………………………………………………………2 2. Historique ………………………………………………………………………………...2 3. Epidémiologie ……………………………………………………………………………3 4. Retentissement des troubles bipolaire ……………………………………………..4 4.1. Retentissement familial …………………………………………………………….4 4.2. Retentissement professionnel …………………………………………………….4 4.3. Risque médico-légal ………………………………………………………………..4 4.4. Risque de suicide …………………………………………………………………..4 4.5. Aspects médico-économiques …………………………………………………….5 5. Classification …………………………………………………………………………….5 6. Origine du trouble bipolaire …………………………………………………………..7 6.1. Les facteurs génétiques …………………………………………………………...7 6.2. Les facteurs environnementaux …………………………………………………..7 7. Clinique …………………………………………………………………………………...8 7.1. L’état dépressif majeur …………………………………………………………….8 7.2. L’état maniaque …………………………………………………………………….8 7.3. L’état hypomaniaque ………………………………………………………………9 8. Problèmes des comorbidités ……………………………………………………….10 8.1. Les conduites addictives ………………………………………………………....10 8.2. Les troubles anxieux ……………………………………………………………...10 8.3. Les troubles des conduites alimentaires …………………………………….....10 9. Traitements et prise en charge psychothérapeutique ………………………….11 9.1. Le piège diagnostique …………………………………………………………….11 9.2. Présentation des médicaments utilisés dans le traitement des troubles bipolaires …………………………………………………………………………..11 9.3. Le traitement des épisodes aigus dépressifs ………………………………….13 9.4. Le traitement des épisodes aigus maniaques …………………………………13 9.5. Le traitement des récidives ………………………………………………………14 9.6. Les avancées pharmacologiques ……………………………………………….14 9.7. La prise en charge psychothérapeutique : la psycho-éducation …………….14 2 Deuxième partie : Troubles bipolaires et Périnatalité….………….…16 1. Généralités ………………………………………………………………………….…..16 1.1. Les réalités épidémiologiques …………………………………………………...16 1.2. La complexité de la prise en charge de ces grossesses ……………………..16 2.Problématiques ………………………………………………………………………...17 2.1 L’influence de la grossesse sur la pathologie bipolaire ………………………..17 2.2 L’influence de la pathologie bipolaire sur la grossesse ………………………..17 3. Médicaments et grossesse …………………………………………………………..20 3.1. Le lithium …………………………………………………………………………..22 3.2. L’acide valproïque et la carbamazépine ………………………………………..27 3.3. L’olanzapine ……………………………………………………………………….30 3.4. La lamotrigine ……………………………………………………………………..32 3.5. L’oxcarbazépine …………………………………………………………………..33 3.6. La rispéridone ……………………………………………………………………..34 3.7. L’aripiprazole ………………………………………………………………………34 4. Apparition d’accès aigus pendant la grossesse ………………………………...36 4.1. Conduite à tenir face à un état dépressif ……………………………………....36 4.2. Conduite à tenir face à un état maniaque ou hypomaniaque ………………..36 4.3. Conduite à tenir face à un état psychotique …………………………………...36 5. Accouchement …………………………………………………………………………37 6. Prise en charge néonatale en salle de naissance et pendant le séjour en maternité ………………………………………………………………………………..38 7. Suites de couches …………………………………………………………………….39 7.1. La reprise du traitement ………………………………………………………….39 7.2. La surveillance du nouveau-né ………………………………………………….39 7.3. La contraception …………………………………………………………………..40 8. L’allaitement ……………………………………………………………………………40 9. Psychose puerpérale et évolution vers la maladie bipolaire ………………….42 9.1. Définition et épidémiologie ………………………………………………………..42 9.2. Aspect clinique …………………………………………………………………….42 9.3. Traitement ………………………………………………………………………….42 9.4. Evolution …………………………………………………………………………...43 9.5. Vulnérabilité et facteurs de risque ………………………………………………43 3 10. Psychopathologie de la maternité ……………………………………………….45 10.1. Du côté maternel ………………………………………………………………..45 10.2. La constitution du lien mère-nouveau-né …………………………………….45 10.3. Les conséquences psychopathologiques chez l’enfant …………………….45 11. Prévention ……………………………………………………………………………46 11.1. Les unités mère-enfant ………………………………………………………….46 11.2. La place du père …………………………………………………………………47 11.3. Le rôle de la sage-femme ………………………………………………………47 11.4. Modèle suisse …………………………………………………………………...49 Conclusion ………………………………………………………………………………..50 Bibliographie Annexes : Annexe 1 : Autoquestionnaire de Angst Annexe 2 : Le traitement des épisodes aigus dépressifs Annexe 3 : Le traitement des épisodes aigus maniaques Annexe 4 : Le traitement des récidives Annexe 5 : Document d’information destiné aux patientes recevant du lithium et ayant un désir de grossesse Annexe 6 : Questionnaire simple qui pourrait être proposé dans le dossier obstétrical de la patiente 4 « L’esprit a son propre lieu de résidence et peut transformer un paradis en enfer et un enfer en paradis » . John Milton (Paradise Lost) (3) (57) 5 Introduction : Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique chronique, anciennement appelée psychose maniaco-dépressive. Il est caractérisé par l’alternance d’épisodes dépressifs et maniaques entrecoupés de phases où l’humeur reste stable. L’âge de début précoce des symptômes et la nécessité d’un traitement thymorégulateur (en grec : thymos = humeur) à vie impliquent que de nombreuses femmes en âge de procréer souhaitent fonder une famille. Deux idées reçues sont particulièrement à dénoncer : celle selon laquelle la grossesse protègerait des rechutes et celle qui édicte l’arrêt des médicaments dans tous les cas. Se pose alors le problème de mettre en balance les risques pour l’enfant et le maintien de l’équilibre maternel. Il faut également prendre en compte la diversité des situations cliniques que l’on peut rencontrer : la femme bipolaire qui désire un enfant, celle qui découvre sa grossesse alors qu’elle a poursuivi son traitement, l’apparition de la maladie pendant la grossesse et la décompensation dans le post-partum. Nous exposerons, dans un premier temps, des généralités sur les troubles bipolaires et dans une seconde partie, une revue des risques et des options thérapeutiques afférents aux 4 situations très spécifiques que posent la grossesse, l’accouchement et l’allaitement chez ces femmes. Enfin, nous verrons que la sage-femme a un rôle essentiel dans l’accompagnement de ces futures mamans afin de faciliter les premiers liens d’attachement avec leurs enfants. 6 Première partie : Généralités sur les troubles bipolaires 1. Définition Les troubles bipolaires, dénomination plus proche de la réalité clinique que celle de « maladie maniaco-dépressive », appartiennent, au sein des maladies mentales, à la catégorie des « troubles de l’humeur ». Dans son acceptation d’origine, la psychose maniaco-dépressive comprenait tous les troubles de l’humeur dotés d’un caractère cyclique. Ces troubles ont été baptisés successivement psychose maniaco-dépressive, maladie maniaco-dépressive puis, selon les classifications actuelles, troubles bipolaires. Cette nouvelle dénomination a permis un élargissement considérable du concept de bipolarité rendant davantage compte de l’hétérogénéité clinique de cette pathologie. Les troubles bipolaires sont définis par un dérèglement de l’humeur cyclique avec des phases à polarité maniaque ou hypomaniaque, caractérisées par une euphorie et une excitation et des phases à polarité dépressive séparées par des périodes au cours desquelles les sujets sont a priori indemnes de dysfonctionnement psychique majeur. Les critères du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux du DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual 4th edition) (4) indiquent comme caractéristique essentielle des troubles de l’humeur une perturbation de l’humeur définie comme une « émotion soutenue qui colore la perception du monde ». 2. Historique Les premiers cliniciens à avoir établi un lien entre manie et mélancolie sont les praticiens de la médecine antique, et il est de bon ton de rendre hommage à ce propos à Hippocrate et Arétée de Cappadoce (Ier siècle). Bien plus tard, Willis, médecin anglais (1622-1675), décrira également la succession d’états de mélancolie et de manie chez un même patient. Les travaux de Philippe Pinel et de son élève Etienne Esquirol permettront à Jules Baillarger (1809-1890) et à Jean-Pierre Falret (1794-1870) de décrire l’alternance de manies et de dépressions au sein d’une même pathologie. Baillarger en 1854 décrit la folie à double forme caractérisée par deux périodes, l’une dépressive et l’autre d’excitation. 7 Falret décrit la même année la folie circulaire, mais introduit la notion d’intervalle libre. La folie circulaire se caractérise ainsi par des attaques isolées, intermittentes ou continues, variant de 2 jours à une année avec des transitions brusques dans les attaques brèves. En 1899, Emil Kraepelin décrit la folie maniaco-dépressive. Aux deux accès typiques de manie et de dépression, Kraepelin va ajouter six formes d’états mixtes, soulevant le problème de l’hétérogénéité clinique des états thymiques rencontrés au cours de cette pathologie. En 1957, Leonhard va établir une distinction, qui demeure aujourd’hui valide, entre maladie bipolaire et unipolaire caractérisée par la récurrence d’épisodes dépressifs (6). Cette dichotomie est officiellement instituée en 1980 avec la 3ème édition du DSM puis en 1994 apparaît la classification DSM IV (4). 3. Epidémiologie La prévalence des troubles bipolaires sur la vie entière se situe autour d’une valeur moyenne d’environ 1%. Si l’on extrapole le taux de prévalence à la population française âgée de 15 ans ou plus, soit environ 50 millions d’individus, on peut estimer que le trouble bipolaire affecte presque 500.000 personnes en France. Les chiffres peuvent être même plus élevés si l’on prend en compte les formes mineures, non seulement les troubles de type II qui supposent uniquement des phases d’hypomanie mais également les formes atténuées. Les dernières études de Hirschfeld en 2003 (28) estiment qu’ils concernent de 3.7 à 5% de la population générale. D’autres patients sont naturellement extravertis, optimistes, énergiques, passionnés : ce sont des hyperthymiques, ils peuvent être considérés comme appartenant au spectre de la bipolarité. C’est donc une pathologie fréquente, qui affecte autant les hommes que les femmes. Ces derniers ayant plus souvent une hyperactivité, une augmentation de l’estime de soi et un engagement excessif dans les activités à risque, alors que les femmes ont surtout une fuite des idées et une distractibilité (7). L’âge de début se situe autour de 20 ans et plus généralement entre 15 et 24 ans : fin de l’adolescence et début de l’âge adulte. Il existe également des formes juvéniles et tardives (8). On ne retrouve pas d’influence de l’origine ethno-culturelle ou du niveau socioéconomique sur la fréquence des troubles bipolaires (8). 8 4. Retentissement des troubles bipolaires : Toutes pathologies confondues, selon une étude menée conjointement par l’école de santé publique de Harvard, la Banque mondiale et l’OMS, les troubles bipolaires constituent la 6ème cause de handicap et on évalue à 1% la proportion d’années de vie perdues ou vécues avec un handicap par les sujets bipolaires au sein de l’ensemble de la morbi-mortalité mesurée en DALYs (Disability Adjusted Life Years) (34). Au-delà de la souffrance générée par la survenue des épisodes aigus maniaques ou dépressifs, les troubles bipolaires, s’ils ne sont pas correctement pris en charge, peuvent avoir des conséquences graves. Elles concernent bien évidemment le sujet lui-même mais également ses proches et plus largement la société, notamment au niveau des coûts générés par cette maladie. 4.1. Retentissement familial : Les troubles bipolaires sont le plus souvent observés chez les sujets célibataires n’ayant jamais été mariés, divorcés, séparés, veufs, que chez les sujets mariés n’ayant jamais divorcé. Dans une étude, seulement 24% des sujets de leur enquête vivaient en couple, 50% n’avaient jamais été mariés et 26% étaient séparés ou divorcés (37). Les membres de la famille du sujet souffrent également des répercussions sur les relations intra-familiales de la maladie de leur proche. L’intensité de cette détresse est proportionnelle à la sévérité du trouble bipolaire. 4.2. Retentissement professionnel : Ces personnes sont à risque accru de chômage, d’absentéisme, d’échecs scolaires. De nombreuses études évaluant le retentissement socio-professionnel des troubles bipolaires ont montré qu’environ 40% des patients avaient une occupation professionnelle stable : 51% de ces sujets n’occupaient pas d’emploi rémunéré, 22% ne travaillaient qu’à temps partiel et seulement 11% avaient un emploi rémunéré à plein temps (8). 4.3. Risque médico-légal : La dangerosité d’un sujet en phase maniaque est souvent sous-évaluée, allant des atteintes aux biens aux agressions sexuelles en passant par des violences physiques et des excès de vitesse. Ces actes de délinquance semblent surtout le fait d’une conduite addictive alcoolique ou toxicomaniaque. Les dépenses inconsidérées, souvent réalisées lors des épisodes maniaques, peuvent fragiliser le sujet sur le plan financier et social. 4.4. Risque de suicide : Le trouble bipolaire est associé à un risque de suicide 15 fois plus élevé que celui de la population générale. D’ailleurs, environ 30% des sujets bipolaires ont déjà commis une tentative de suicide et 10% décèderont de suicide (26). 9 4.5. Aspects médico-économiques : Le coût élevé pour la santé publique résulte d’une part de la consommation de soins (coût direct) mais aussi des coûts indirects générés par les arrêts de travail, la perte d’emploi et le recours fréquent aux aides sociales. Aux Etats-Unis, on estime le coût des troubles de l’humeur à 45 millions de dollars par an dont 30 milliards pour les coûts indirects. On évalue, en France, le coût annuel des hospitalisations pour épisode maniaque à environ 1,3 milliard d’euros, dont le coût moyen du traitement a été chiffré dans un hôpital parisien à 22 297 euros dont 98.6% sont consacrés aux frais d’hospitalisation (7). Ce coût élevé montre l’importance et la nécessité d’une prise en charge adaptée et correcte des troubles bipolaires. 5. Classification et nosologie : Les troubles bipolaires sont caractérisés par une propension à présenter des fluctuations marquées de l’humeur, de manière récurrente. Les caractéristiques des accès et leur évolution dans le temps permettent de distinguer plusieurs formes cliniques. Cette pathologie est en effet extrêmement hétérogène, et chaque patient présente ses propres symptômes qui, dans la majeure partie des cas, se répéteront à l’identique au cours de chaque épisode. Il existe plusieurs classifications, celle de référence étant celle de l’association américaine de psychiatrie : Le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual 4th edition) (4) - Trouble bipolaire de type I - Trouble bipolaire de type II - Trouble cyclothymique - Trouble bipolaire non spécifié L’humeur normale : 10 Le trouble bipolaire de type I le plus typique, est caractérisé par l’alternance d’un ou plusieurs épisodes maniaques accompagnés d’épisodes dépressifs majeurs. Il correspond à l’ancienne psychose maniaco-dépressive : Le type II correspond à l’alternance de phases maniaques légères (hypomaniaques) et d’épisodes dépressifs graves sans épisode maniaque grave : c’est pourquoi cette forme est parfois considérée à tort comme un trouble dépressif unipolaire. Le trouble cyclothymique est caractérisé par une évolution chronique et fluctuante de périodes caractérisées par la présence de symptômes hypomaniaques et dépressifs légers sans dépression grave. C’est une des formes atténuées des troubles bipolaires. Le trouble à cycles rapides est défini par la présence d’au moins 4 épisodes thymiques, maniaques, hypomaniaques, dépressifs ou mixtes par an (3). Le trouble bipolaire non spécifié regroupe toutes les autres formes de bipolarité et répond à plusieurs critères : - Lorsque les critères de durée d’un état maniaque ou dépressif ne sont pas remplis. - Lorsqu’il existe des épisodes hypomaniaques sans épisode dépressif. - En cas d’épisodes maniaques ou mixtes surajoutés à un trouble psychotique. - Lorsqu’il existe un trouble bipolaire dont on ne sait s’il est primaire ou secondaire à une affection médicale générale ou induit par une substance (ce diagnostic ne sera généralement envisagé que de manière transitoire). 11 6. Origine du trouble bipolaire Les connaissances sur les causes exactes du trouble sont partielles, il semble aujourd’hui qu’il ait une origine multifactorielle où des facteurs essentiellement génétiques, psychologiques et environnementaux interagiraient entre eux pour favoriser l’apparition de la maladie. Sans constituer des causes en soi, de nombreux troubles associés viennent influer sur le cours évolutif de la maladie. 6.1. Les facteurs génétiques : 6.1.1. Les études familiales : Elles montrent l’existence d’un risque de transmission familiale de la maladie. Le risque d’être atteint chez les apparentés de premier degré d’un sujet bipolaire est d’environ 10%, soit un risque 10 fois supérieur à celui rencontré dans la population générale. Mais cela signifie également que la majorité des personnes ne souffriront pas de troubles même s’ils ont un parent atteint (8). Les études de jumeaux ont confirmé la composante génétique de la maladie : ainsi quand un jumeau homozygote souffre d’un trouble bipolaire, son jumeau en souffre également dans 40 à 70% des cas. Cela signifie à la fois qu’il existe une influence génétique mais aussi que l’environnement intervient de façon importante (à capital génétique identique, le risque n’est pas de 100%) (8). On retrouve également une corrélation familiale pour l’âge de début des troubles : les formes à début précoce (avant 17 ans) se caractérisent souvent par une plus grande sévérité. 6.1.2. Les études de biologie moléculaire : Les troubles bipolaires seraient également la résultante de dysfonctionnement du système nerveux central, d’anomalies biochimiques ou de structure et d’activité de certains circuits neuronaux qui seraient responsables de changements brutaux d’énergie. Il existe sans équivoque des facteurs génétiques complexes dans la genèse des troubles bipolaires ; la recherche concerne par exemple des gènes codant pour la tyrosine hydroxylase (enzyme limitant la synthèse des catécholamines), la monoamine oxydase A (enzyme responsable de la dégradation de la sérotonine, la dopamine et la noradrénaline), ou encore des gènes impliqués dans la neurotransmission sérotoninergique (5HTT, TPH) (52). Ces dysfonctionnements biologiques sous-tendus par une vulnérabilité génétique seront modulés par des facteurs environnementaux. 6.2. Les facteurs environnementaux : Les évènements stressants de la vie jouent un rôle important dans le déclenchement des épisodes maniaques et dépressifs. 12 Parmi ces évènements pouvant avoir un impact, on retrouve certes les conflits conjugaux, les deuils, les problèmes professionnels mais aussi tous les évènements perturbant la vie quotidienne que ce soit le rythme des repas, du sommeil, ou l’exercice physique, etc. Les intervalles libres entre les épisodes aigus ne sont pas exempts de troubles émotionnels qui gardent des répercussions notables sur la vie quotidienne. Ce trouble est donc causé par de nombreux facteurs qui interagissent entre eux (7 ; 8). 7. Clinique : 7.1. L’état dépressif majeur : Les divers symptômes et manifestations sont à rechercher à travers un interrogatoire et un examen clinique précis et approfondi. Parmi les symptômes cardinaux, on note en particulier (4 ; 6): - Tristesse de l’humeur Tristesse, pessimisme, désespoir Irritabilité, agressivité Idées noires, idées suicidaires Faible estime de soi Impression d’inutilité Culpabilité - Ralentissement psychique et moteur - Ralentissement psychomoteur - Baisse de la mémoire, difficultés de concentration - Manque d’énergie, épuisement (fatigue constante ne cédant pas au repos, envie de rester au lit, de ne plus rien faire) - Perte de l’élan vital, du plaisir Perte du plaisir pour les choses que l’on aime d’habitude Modification de l’appétit, du désir sexuel, de l’envie de voir ses proches, ses amis Indifférence affective, prise de décision difficile Perte de poids Envie de rien, plus de goût à rien Signes associés Troubles du sommeil (insomnie, hypersomnie, réveil la nuit) Anxiété, stress Somatisations Idées délirantes dans les formes les plus sévères de mélancolie 7.2. L’état maniaque (4 ; 6) : - Humeur joviale, expansive Euphorie ou énervement (état « speed », hyperexcitation) Irritabilité avec périodes de colère intenses Humour jovial, décalé et déplacé Impression de toute puissance, d’être le centre du monde Confiance excessive en soi Tenues inadaptées et provocatrices 13 - Regain anormal d’énergie Hyperactivité désordonnée Hyperactivité dans les activités agréables potentiellement dommageables Dépenses inconsidérées Augmentation anormale des désirs sexuels Accélération psychique et motrice - Accélération motrice : gestuelle, attitudes maniérées, théâtrales - Accélération du débit de la parole, idées fusant dans tous les sens, parfois incohérentes - Passage d’une idée ou d’une activité à une autre - Impression d’être plein d’énergie - Aucune sensation de fatigue malgré l’hyperactivité - Signes associés Négation ou déni de la maladie et refus de se soigner ou de voir un médecin Diminution, voir absence du besoin de sommeil. Epuisement secondaire Nerfs à fleur de peau Idées délirantes, mégalomanie Hallucinations auditives, visuelles Somatisations 7.3. L’état hypomaniaque (6) : Le côté « soleil » de l’hypomanie Moins d’heures de sommeil Davantage d’énergie et de résistance Plus de confiance en soi Plus de motivation au travail Plus d’activités sociales Surcroît d’activités physiques Plus de projets et d’idées créatives Moins de timidité Plus bavard que d’habitude Exagérément optimiste Rires, farces, calembours, jeux de mots Pensée plus rapide Le côté «sombre» de l’hypomanie Plus de déplacements, voyages, prises de risque Dépenses d’argent excessives Comportement déraisonnable dans les affaires Plus d’impatience et d’irritabilité Attention facilement distraite Augmentation des pulsions sexuelles Augmentation de la consommation de café Augmentation de la consommation d’alcool Le repérage actif de l’hypomanie est difficile car nombre de patients n’évoquent pas spontanément leurs symptômes qui sont parfois socialement avantageux. Il nécessite souvent une rencontre avec l’entourage proche du sujet et il existe des outils : l’autoquestionnaire de Angst (11) à remplir par le patient lui-même (annexe 1). 14 8. Problème des comorbidités : L’une des spécificités des troubles bipolaires est la nature et l’importance de ses comorbidités psychiatriques puisqu’elles concernent 60% des sujets bipolaires dont 25% les multiplient (27). 8.1. Les conduites addictives : Parmi les comorbidités associées aux troubles de l’humeur, les pathologies addictives occupent la première place. Dans l’étude ECAP (Epidemiologic Catchment Area Program), on a observé une conduite addictive chez 60.7% des sujets bipolaires de type I, avec 46% d’addiction envers l’alcool (13% dans la population générale), et 41% de dépendance aux drogues (6% dans la population générale) (15 ; 36). 8.2. Les troubles anxieux : La prévalence du trouble panique chez les personnes bipolaires est multipliée par 26 par rapport à la population générale (11). Dans une étude française de 2003 portant sur une cohorte de 318 patients bipolaires, on a retrouvé que 24% souffraient d’un trouble anxieux comorbide : ainsi, 16% présentaient un trouble panique, 11% des phobies sociales et 3% un trouble obsessionnel compulsif (27). 8.3. Les troubles des conduites alimentaires : Certaines pathologies somatiques semblent avoir une incidence plus grande chez les sujets bipolaires que dans la population générale. Les affections les plus fréquemment citées sont l’obésité, le diabète de type II, les maladies cardiovasculaires, les endocrinopathies et les migraines. En ce qui concerne la surcharge pondérale, elle serait liée à la présence de comportements compulsifs vis-à-vis de la nourriture (4% de boulimie), au nombre d’épisodes dépressifs, aux traitements, à la consommation excessive de sucre et à la sédentarité (32). Donc l’association des comorbidités psychiatriques au trouble bipolaire entraîne : - l’augmentation du risque suicidaire - l’aggravation du trouble bipolaire et de son retentissement psychosocial - l’allongement des délais de rémission - une moins bonne réponse thérapeutique aux thymorégulateurs. 15 9. Traitements et prise en charge psychothérapeutique : 9.1. Le piége diagnostique : Les protocoles des traitements pharmacologiques et des prises en charge thérapeutiques sont assez bien codifiés, les consensus internationaux sont convergents et s’affinent avec les améliorations des connaissances et compréhensions du génie de la maladie. Mais certainement, la première des réelles difficultés des traitements est de poser un diagnostic exact et on constate qu’il se passe très fréquemment 7 à 10 ans entre le premier épisode et le moment ou ce diagnostic est enfin posé avec certitude. En effet, ces tous premiers épisodes sont trompeurs et ne s’expriment qu’à travers l’une des manifestations du trouble bipolaire : soit l’une des comorbidités, ou par un trouble anxieux, un épisode dépressif majeur ou encore une toxicomanie et/ou un alcoolisme, soit encore un épisode délirant. L’apparition d’un état dépressif majeur sera diagnostiqué et traité en tant que tel. Ce ne sont que les récidives successives, dans les années suivantes, qui finiront par justifier de se pencher sur le véritable diagnostic. Donc, ce n’est qu’après avoir posé avec certitude le diagnostic qu’on l’on pourra proposer un traitement dans un premier temps médical à base de thymorégulateurs avec en parallèle une prise en charge psychothérapique. 9.2. Présentation des médicaments utilisés dans les traitements des troubles bipolaires : Molécules DCI Famille Lithium Acide Valproïque Divalproate de sodium Valpromide Téralithe® Dépakine® Dépakote® Carbamazépine Oxcarbamazépine Olanzapine Tégrétol® Trileptal® Zyprexa® Lamotrigine Rispéridone Aripiprazole Lamictal® Risperdal® Abilify® thymorégulateur antiépileptique antiépileptique thymorégulateur antiépileptique thymorégulateur antiépileptique antiépileptique antipsychotique atypique thymorégulateur antiépileptique antipsychotique atypique antipsychotique Dépamide® 16 Classification de la FDA (20) D D D D D D C C C ? Molécules Indications (56) Lithium Acide Valproïque Divalproate de sodium Valpromide Carbamazépine Oxcarbamazépine Olanzapine Lamotrigine Rispéridone Aripiprazole Prévention des rechutes de psychoses maniaco-dépressives. Traitement curatif des états d’excitation maniaque ou hypomaniaque. Traitement des épilepsies généralisées et partielles. Pas AMM pour les troubles bipolaires mais largement utilisé. Traitement des épisodes maniaques chez les patients souffrant de troubles bipolaires en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium. Traitement des troubles bipolaires en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium et à la carbamazépine mais efficacité non démontrée dans le traitement des accès aigus maniaques ou dépressifs. Prévention des rechutes dans le cadre des psychoses maniacodépressives, notamment chez les patients présentant une résistance relative, des contre-indications ou une intolérance au lithium. Traitement des états d’excitation maniaque ou hypomaniaque. Traitement des crises épileptiques partielles. Pas AMM dans les troubles bipolaires mais largement utilisé. Traitement des épisodes maniaques modérés à sévères. Prévention des récidives chez les patients présentant un trouble bipolaire, ayant déjà répondu au traitement par l’olanzapine lors d’un épisode maniaque. Traitement des épilepsies généralisées et partielles. Pas AMM dans les troubles bipolaires mais largement utilisé. Traitement des psychoses, en particulier schizophréniques aiguës et chroniques. Pas AMM dans les troubles bipolaires mais largement utilisé. Traitement de la schizophrénie. Pas AMM dans les troubles bipolaires mais largement utilisé. La classification FDA (Food and Drug Administration) est un système de classification pour l’administration des médicaments pendant la grossesse (20). Catégories A B C D X Interpretation Les études contrôlées chez l’Homme ne montrent aucun risque. Les études chez l’Homme et l’animal montrent peu de risques. Le risque ne peut pas être éliminé : les données humaines manquant ainsi que les études chez les animaux. Le risque est mis en évidence : les données humaines le confirment mais les avantages du traitement peuvent être supérieurs au risque. Le médicament est contre-indiqué pendant la grossesse : les données sont positives chez l’Homme ou chez l’animal. 17 9.3. Le traitement des épisodes aigus dépressifs (annexe 2): 9.3.1. Le lithium en première intention : Dans le cas des épisodes dépressifs d’intensité légère à modérée, un traitement thymorégulateur en monothérapie sera préféré, notamment le lithium. Dans le cas des épisodes dépressifs d’intensité sévère ou ceux résistant à la monothérapie, un traitement antidépresseur sera instauré uniquement sous couverture thymorégulatrice efficace. Un délai de 4 à 8 semaines est préconisé avant de réévaluer et éventuellement de changer de molécule (on privilégiera un antidépresseur de la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine plutôt qu’un antidépresseur tricyclique en raison d’un risque de virage maniaque induit de l’humeur). L’utilisation des antidépresseurs en monothérapie est contre-indiquée en raison du risque d’induction de virage de l’humeur et d’épisode mixte, mais aussi du risque de passage à un trouble bipolaire à cycles rapides (+ 4 épisodes thymiques par an). L’utilisation d’un antipsychotique atypique est recommandée en cas de dépression avec caractéristiques psychotiques (idées délirantes, hallucinations). 9.3.2. L’électroconvulsivothérapie (électrochocs): Elle reste une alternative en cas d’épisode dépressif majeur d’intensité sévère. Son utilisation est relativement peu répandue en France malgré un intérêt thérapeutique majeur (21). 9.4. Le traitement des épisodes aigus maniaques (annexe 3): Les régulateurs de l’humeur restent le traitement de première intention des phases d’excitation. En France, les 4 molécules sont : - le lithium - le divalproate de sodium - la carbamazépine - l’olanzapine Notons que l’AMM permet également, sous certaines conditions, de poursuivre le traitement comme traitement prophylactique des rechutes après une utilisation dans la phase maniaque. Dans le cas d’un épisode maniaque d’intensité légère à modérée, une monothérapie sera instaurée. Dans les formes d’intensité sévère, l’association lithium ou divalproate de sodium et olanzapine est conseillée. Un délai de deux semaines est préconisé avant de réévaluer et éventuellement de changer de traitement (21). 18 9.5. Le traitement des récidives (annexe 4): C’est au cours de la phase de maintenance que le traitement va s’orienter principalement sur les thymorégulateurs: - le lithium - la carbamazépine - le valpromide - le divalproate de sodium - l’olanzapine L’acide valproïque n’a pas l’AMM pour le traitement des troubles bipolaires mais est très largement utilisé. L’objectif est de prévenir les rechutes thymiques (dépressives et (hypo)maniaques), mais également d’améliorer les symptômes résiduels entre les épisodes, de diminuer la fréquence et la durée des hospitalisations éventuelles, d’améliorer la qualité de vie du patient et de préserver ses fonctions cognitives. Le clinicien tendra en général vers une monothérapie sachant que celle-ci est une réalité clinique pour une faible proportion des patients bipolaires. En pratique, indépendamment de ces restrictions d’utilisation liées à l’AMM, il est d’usage de poursuivre le traitement qui s’est montré efficace dans la phase aiguë. La durée de la phase de maintenance est de 1 à 10 ans, voire à vie pour certains patients. 9.6. Les avancées pharmacologiques (21): De nouvelles molécules sont actuellement disponibles dans le traitement du trouble bipolaire, certaines d’entre elles disposant d’une approbation de la Food and Drugs Administration (FDA) aux USA (20) : - L’oxcarbazépine : est une molécule apparentée à la carbamazépine. Elle semble avoir un profil d’efficacité comparable mais avec une meilleure tolérance et une utilisation plus simple. - La lamotrigine : serait intéressante en raison de son profil de tolérance (faible incidence des prises de poids). - La rispéridone - L’aripiprazole 9.7. La prise en charge psychothérapeutique : la psycho-éducation : Les mesures psychothérapeutiques sont un complément utile, voire indispensable, aux traitements pharmacologiques. Elles ne se conçoivent cependant pas en dehors du traitement médicamenteux. Cette combinaison vise à réduire les symptômes, à prévenir les rechutes thymiques, améliorer la compliance au traitement médicamenteux et diminuer la durée des hospitalisations. La psychothérapie, à elle seule, ne peut pas effectivement prétendre à réguler l'humeur. 19 Les traitements psychologiques, basés sur des théories cognitives et comportementales, peuvent aider à gérer les séquelles des épisodes, ainsi que les problèmes individuels, familiaux ou de couple. Des programmes de psychoéducation ont été conçus et mis en place à l’initiative de plusieurs thérapeutes ou organismes afin « d’améliorer les connaissances sur les troubles bipolaires des patients mais aussi de leurs proches ». Construites sur le principe de réunions d’une heure et demie environ, elles rassemblent 12 à 15 patients et sont animées par des médecins ayant une excellente connaissance de la maladie. Le programme s’étale sur 9 séances à 3 semaines d’intervalle et présentent chacune un thème spécifique (59). En Loire Atlantique, le programme Bipolact, soutenu par le laboratoire Sanofi et l’association BIPÔLES 44, est à la disposition des patients ayant des difficultés avec la bipolarité et est animé par des praticiens nantais, les séances ont pour thème : Module 1 : Généralités Module 2 : Manies, hypomanies et états mixtes Module 3 : Dépression bipolaire Module 4 : Facteurs de vulnérabilité du trouble bipolaire Module 5 : Comorbidités Module 6 : Aspects juridiques Module 7 : Stratégies de prise en charge pharmacologique Module 8 : Approches psychothérapiques Module 9 : Vivre avec sa maladie 9.7.1. Objectifs (21) : - Réduire la vulnérabilité au stress ; - Optimiser le traitement ; - Intervenir sur les différents déterminants de la maladie et sur ses conséquences ; - Favoriser la prise en charge des troubles associés ; - Aider à gérer les relations interpersonnelles, les conflits… 9.7.2. Informations et mesures psycho-éducatives : - Établir et maintenir une alliance thérapeutique ; - Reconnaître le trouble ; - Accepter la maladie ; - Améliorer l’observance du traitement ; - Savoir reconnaître précocement les symptômes d’une récidive ; - Agir sur certains facteurs aggravants ; - Mieux gérer sa vie en fonction du trouble… 20 Deuxième partie : Troubles bipolaires et Périnatalité 1. Généralités : 1.1. Les réalités épidémiologiques : L’importance épidémiologique des troubles bipolaires, la répartition égale entre hommes et femmes, l’âge de début précoce, généralement chez l’adulte jeune, et la nécessité d’un traitement thymorégulateur à vie impliquent que de nombreuses femmes en âge de procréer souhaitent une vie normale et donc une famille. Se pose alors le problème de la thymorégulation lors de leur grossesse et plus particulièrement lors du premier trimestre. Actuellement, on ne peut pas estimer le nombre de femmes bipolaires en âge de procréer car 3 sur 4 ignorent qu’elles sont malades. On ne peut donc, par conséquent, pas connaître le nombre de grossesse. Il y a 20 ans, une grossesse débutée sous traitement psychotrope se terminait très habituellement par une interruption médicale. Aujourd’hui, il n’en est plus de même. Comme lors de toutes les pathologies médicales chroniques, la grossesse met en balance des risques pour l’enfant et la réussite de la thérapeutique maternelle. Il convient de réduire le plus possible les risques pour le fœtus tout en tenant compte des conséquences pour la mère. 1.2. La complexité de la prise en charge de ces grossesses : La difficulté d’établir des recommandations précises pour la prise en charge d’une grossesse d’une femme bipolaire est due au manque d’études prospectives chez la femme enceinte (qui ne serait pas éthique) et à la diversité des situations cliniques que l’on peut rencontrer. La situation la plus « simple » à gérer est lorsque la femme bipolaire a un désir d’enfant et qu’elle prend le temps avec son gynécologue et son psychiatre « d’organiser » sa grossesse. Il arrive malgré tout que d’autres consultent leurs médecins et leur annoncent qu’elles sont enceintes (ce qui sous-entend qu’elle ont poursuivi leur traitement thymorégulateur en début de grossesse). Ces situations sont les plus délicates car il faut prendre en compte très rapidement la sévérité de leur maladie et le terme présumé de la grossesse. Enfin, une femme non malade peut commencer à décompenser des troubles de l’humeur pendant sa grossesse ou en post-partum à la suite par exemple d’une psychose puerpérale. 21 2. Problématiques 2.1. L’influence de la grossesse sur la pathologie bipolaire : L’idée de croire que la grossesse a un effet protecteur sur le risque de rechutes de troubles de l’humeur est maintenant bien révolue. Ils conservent leur incidence habituelle. En effet, l’étude de Viguera, en 2002, montre que 50% des femmes bipolaires sont symptomatiques pendant la grossesse (45). De par leurs effets tératogènes, on aurait tendance à vouloir arrêter leur traitement afin de ne pas provoquer de malformations chez leurs fœtus. Or, les conséquences d’une rechute lors de la grossesse sont potentiellement dommageables pour la mère, l’enfant et leur relation ultérieure. De plus, la dépression pendant la grossesse est le facteur le plus prédictif de dépression du post-partum (25). Certains comportements liés à une rechute peuvent être très fâcheux. En effet, une intoxication médicamenteuse volontaire ou toute autre tentative de suicide, ou encore tout comportement à risque lors d’un état maniaque (prises de drogues, alcool, tabac) peuvent compromettre la suite de la grossesse. Enfin le suicide avéré à l’arrêt des thymorégulateurs au premier trimestre de grossesse est une réalité qui a été clairement décrite dans la littérature (16). En revanche, la grossesse peut participer à l’aggravation de la maladie de par la mauvaise adhérence thérapeutique de la femme qui aurait lu que son traitement peut engendrer des malformations chez son enfant et qui l’a, par conséquent, arrêter sans l’avis de son psychiatre. Les modifications de l’organisme maternel pendant la grossesse sont également importantes. Il existe une augmentation du volume plasmatique atteignant 50% vers 30-34 semaines d’aménorrhée, il y a donc une hémodilution physiologique modifiant le volume de distribution des médicaments. De plus, l’augmentation du débit sanguin rénal entraîne une celle de la clairance des médicaments. Ces modifications rendent donc les traitements moins efficaces, il conviendra alors d’adapter les doses. Les facteurs hormonaux et psychologiques totalement bouleversés pendant la grossesse peuvent être également des facteurs d’aggravation de la maladie. 2.2. L’influence de la pathologie bipolaire sur la grossesse : 2.2.1. Les risques tératogènes, néonatals et développementaux liés à la prescription du traitement (5) : Le passage transplacentaire des médicaments a lieu pendant toute la période de développement et pour tous les médicaments sauf les grosses molécules comme l’héparine et l’insuline. Les risques majeurs de malformations se situent entre le 13 ème et le 56ème jour de vie embryonnaire. Pendant la période fœtale, la morphogenèse est achevée, mais il existe des phénomènes de croissance et de maturation (tout particulièrement, le système nerveux central). 22 A la naissance, le nouveau-né doit s’adapter à la vie extra-utérine et éliminer les médicaments reçus de la mère avec des fonctions hépatiques et rénales immatures. Pour l’évaluation du risque, les études épidémiologiques prospectives sont les plus fiables. Cependant, pour de nombreux médicaments, on manque d’informations : certains, trop récents n’ont pas assez été étudiés et, pour d’autres, le recul est insuffisant. L’inquiétude actuelle est souvent focalisée sur le risque morphologique, peut-être pas assez sur le risque fonctionnel fœtal et/ou néonatal en terme de comportement neurologique et encore moins sur les risques retardés (fonctions cognitives, capacités neurosensorielles et motrices, devenir de l’enfant). 2.2.1.1. Les périodes de risque : Globalement, il semble qu’environ 2 à 4 % des enfants naissent porteurs d’une malformation (mineures et majeures confondues). Les causes de malformations sont très mal définies avec, dans 65 à 70 % des cas, une cause inconnue. Les causes médicamenteuses ou toxiques ne représentent que 4 à 5 % des cas. La tératologie désigne l’étude des anomalies du développement sous toutes leurs formes, depuis les pathologies morphologiques jusqu’aux troubles fonctionnels dus à la perturbation des processus de différenciation et de maturation pendant la vie intrautérine. Un rapide aperçu de la chronologie du développement intra-utérin explique bien cette notion. L’implantation : Elle s’achève au 12ème jour après la conception, l’embryon est le siège d’échanges pauvres avec la mère. On considère donc au cours de cette période que le retentissement des agents extérieurs est de conséquence très faible pour le produit de conception. Cependant, la loi du « tout ou rien » n’a été réellement validée qu’en expérimentation animale avec les radiations. La période embryonnaire : C’est celle de l’organogenèse, qui succède à l’implantation. Elle va du 13ème au 56 jour après la conception. ème L’organogenèse se déroule selon un calendrier chronologique précis. C’est au cours de cette période que les risques d’atteinte morphologique sont les plus importants. Malformations possibles Anomalies cardiaques Anomalies de fermeture du tube neural Anomalies de la lèvre et du palais Anomalies des organes génitaux Périodes de risque 18ème au 40ème jour Jusqu’au 32ème jour 42ème au 63ème jour Jusqu’à la 14ème semaine 23 La survenue d’une malformation dépend de l’interférence de plusieurs facteurs : la nature de l’agent responsable, la facilité d’accès de l’agent au niveau embryonnaire, le moment et la durée d’exposition, la posologie, le nombre de médicaments (monothérapie ou polythérapie) et enfin les particularités génétiques de l’embryon. (Pour une polythérapie de 3 médicaments, on observe 11% de malformations ; pour 4, on a 13.5% de malformations et 15% pour 5 médicaments…) La période fœtale : Elle commence à la fin du 2ème mois et se poursuit jusqu’à l’accouchement. La morphogenèse étant pratiquement achevée, on assiste au cours de cette longue phase à des phénomènes de croissance, de maturation histologique et enzymatique des organes en place (système nerveux central, organes génitaux, reins…). Les agressions médicamenteuses se traduisent par des troubles souvent difficiles à déceler à la naissance, mais dont les conséquences peuvent être handicapantes pour l’enfant. La mise en évidence de ces troubles peut être encore plus tardive, allant de quelques mois pour le développement psychomoteur, à plusieurs années pour les effets carcinogènes. 2.2.1.2. Le risque néonatal (5) : Chez la mère, en fin de grossesse, on observe une augmentation importante de la distribution et de l’excrétion des médicaments. Le volume plasmatique est augmenté de 50% vers la 30-34ème semaine d’aménorrhée ; la concentration plasmatique des protides est diminuée. La fraction libre de beaucoup de médicaments est de ce fait augmentée et, par conséquent, leur activité voire leur toxicité peuvent l’être. Le débit sanguin rénal est augmenté de 50% en fin de grossesse ; la clairance de la créatinine augmente, d’où la possibilité d’excrétion accélérée de certaines molécules, par exemple le lithium. Les capacités métaboliques hépatiques fœtales, bien qu’apparaissant précocement dans la vie intra-utérine, sont faibles. Il en est de même pour les capacités excrétrices rénales. Le fœtus peut donc accumuler certains métabolites. En cas de traitement maternel prolongé jusqu’à la naissance, l’enfant peut donc être encore imprégné par le médicament pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. La demi-vie plasmatique d’élimination des médicaments est en général beaucoup plus longue chez le nouveau-né que chez l’adulte ou l’enfant. Des effets toxiques peuvent être observés chez le nouveau-né alors que les posologies maternelles sont restées dans l’intervalle thérapeutique. Pendant toute la grossesse, aucun médicament ne doit être considéré comme anodin ; les données cliniques et tout particulièrement épidémiologiques sont insuffisantes pour de nombreux médicaments. 24 2.2.2. Le risque de transmission de la maladie bipolaire à l’enfant : Cette notion est souvent une des premières questions que pose le couple qui désire un enfant. Le psychiatre peut le rassurer car le mode de transmission de cette maladie est le plus souvent sporadique : ce qui se transmet c’est le terrain, pas la maladie. Mais il faut également l’informer sur le fait qu’il existe des formes familiales et que le risque de développement d’un trouble chez un enfant de mère bipolaire est de 10% (57). 3. Médicaments et grossesse Lorsqu’une jeune femme, sous thymorégulateur, souhaite débuter une grossesse, il faut impérativement qu’elle en informe son psychiatre préalablement. L’idéal est de pouvoir arrêter le traitement pendant la conception et la période d’organogenèse du fœtus afin de se prémunir du risque malformatif. La question est de savoir si la femme peut réellement arrêter son traitement. Pour répondre à cette question, plusieurs points sont à envisager : - l’histoire psychiatrique de la patiente, qui est le meilleur facteur prédictif du besoin à maintenir le traitement (âge de début de la maladie, fréquence et sévérité des épisodes précédents, délai de réponse aux médicaments, efficacité du traitement…). - L’évaluation des capacités de la femme à rencontrer ses responsabilités quotidiennes, éducatives et professionnelles. - L’histoire de ses grossesses et accouchements précédents (délai à concevoir). - La durée plus ou moins récente de stabilité clinique avec ou sans médicaments. - La place et l’investissement du conjoint sont également à prendre en compte car il est un observateur privilégié et peut repérer les symptômes annonciateurs d’une crise et en sera le garde-fou. Il pourra intervenir très vite avant que la récurrence ne puisse s’installer. Le psychiatre doit donc informer la patiente qui disposera pour réfléchir aux enjeux de la décision de suffisamment de temps, donc jamais en cas de grossesse inopinée. Ensuite, ce sera alors la femme qui aura la décision ultime. Des questions importantes doivent nourrir sa réflexion : quel est le risque malformatif de chaque médicament et, quelle est la période de ce risque ? Quel est le risque de rechute en cas d’interruption du traitement et quelle en sera la durée ? Le psychiatre doit bien connaître les informations relatives à ces questions afin d’éclairer la décision de la patiente. Il devra également encourager la patiente à faire intervenir au maximum le conjoint dans sa réflexion et ses choix, notamment en l’introduisant, si elle l’accepte, dans les consultations préalables. Au mieux, un document d’information écrit (annexe 5) complètera l’information orale. 25 Les consultations d’information et de réflexion seront au moins au nombre de deux, espacées d’au moins une semaine, avec au mieux remise du document écrit (annexe 1) lors de la première et, si possible, avec la présence du conjoint (ou parfois d’un autre proche choisi par la patiente). Leur teneur sera bien entendu l’objet d’une retranscription dans le dossier de la patiente, en réponse aux exigences de la loi du 4 mars 2002 (17). Viguera, dans une étude de 2002, a analysé les décisions de 116 femmes bipolaires enceintes après une consultation psychiatrique au sujet des options et des risques du traitement pour leurs grossesses et sur 70 réponses, 45% des femmes voulaient éviter une grossesse avant cette consultation et après celle-ci, 63% d’entre elles ont décidé de poursuivre la grossesse. On peut donc souligner l’importance de l’autonomie dans la prise de décision des femmes et de l’importance de leur fournir des informations précises (45). Une fois la grossesse démarrée, un suivi psychiatrique très régulier de la femme est préconisé. Si l’option thérapeutique choisie est efficace, une consultation mensuelle suffira. Au contraire, si la maladie n’est pas correctement stabilisée (du fait de l’arrêt ou du changement du traitement), le psychiatre n’hésitera pas à augmenter le nombre de rendez-vous et à en informer l’obstétricien. En effet, ces grossesses sont considérées comme pathologiques, la sage-femme n’est pas en mesure de les suivre sur le plan médical (article R4127-313 du Code de Déontologie des Sages-Femmes) (50). Une femme diabétique ou ayant un lupus, qui envisage une grossesse, est amenée à en discuter avec son médecin spécialiste mais également avec un obstétricien qui la guidera dans sa décision. Le but de cette consultation préconceptionnelle n’est pas de dicter le traitement ni la conduite à suivre mais de fournir les informations précises concernant les risques pour la grossesse. Elles doivent prendre en compte les aspects malformatifs, les options thérapeutiques mais également les limites des connaissances actuelles (45). Elle devrait également favoriser la bonne collaboration entre obstétricien, psychiatre et pédiatre (54 ; 58) afin d’éviter la mauvaise compréhension, l’ambiguïté et les informations inquiétantes du diagnostic anténatal (par exemple : rassurer les patientes sur le fait que certaines cardiopathies et même certaines formes de la maladie d’Ebstein sont souvent curables). Cette consultation, dans le meilleur des cas, se fera avant la grossesse mais peut également se faire en tout début de grossesse afin d’établir le programme des consultations, des examens et d’envisager le lieu d’accouchement qui puisse parer à une éventuelle urgence psychiatrique ou à une urgence néonatale. 26 Si un arrêt du traitement est envisageable, la diminution des doses sera progressive afin de minimiser le risque de rechutes. Cependant, compte tenu de la demi-vie d’élimination des molécules, la dernière prise doit avoir lieu au plus tard à 4 SA (15 jours de grossesse), ce qui est difficilement réalisable dans la pratique. L’arrêt doit donc se faire avant le début de la grossesse. La durée de la période sans thymorégulateur n’est pas prévisible car elle dépend de la fertilité du couple (délai moyen de conception dans la population générale : 12 mois). La décision de remettre en place le traitement dépend du psychiatre et de la femme : une première possibilité est d’attendre la réapparition des symptômes afin de gagner le maximum de temps sans traitement, ou de préférer limiter le risque de rechute en réinstituant le traitement après le premier trimestre. Les données récentes nous exposent bien qu’une femme bipolaire enceinte stable pendant la grossesse a moins de risque de rechuter après l’accouchement qu’une femme symptomatique pendant sa grossesse (23 ; 35). Pour les femmes qui ont une forme grave de la maladie (multiples épisodes, +/accès psychotiques…), l’option la plus sûre est de maintenir leur traitement (ou de le substituer par un autre moins tératogène) avant et pendant la grossesse. Tout en se concentrant sur l’aspect pharmacologique, il ne faut pas ignorer les autres facteurs de comorbidité de la maladie : obésité, tabac, drogue et toutes sortes d’abus potentiels et doivent instituer un programme de consultations et d’entretiens prénataux (entretien du 4ème mois…). Comme nous venons de voir, la prise en charge est assez complexe ; nous avons donc établi, pour chaque médicament, un arbre décisionnel à partir des données de la littérature. 3.1 Le lithium : 3.1.1. Risque malformatif : Des registres de « bébés lithium » ont été mis en place à la fin des années 1960 au Danemark, aux USA et au Canada pour surveiller les enfants de mères ayant reçu du lithium lors du premier trimestre de grossesse. Les résultats initiaux de ces registres ont fait craindre un risque de cardiopathies malformatives (essentiellement la maladie d’Ebstein, une hypoplasie ventriculaire droite et malformation de la valve tricuspide, souvent associées à une malformation septale) 400 fois supérieure au risque des nouveaux-nés de la population générale (41 ; 48). Ces travaux rétrospectifs souffrent par nature d’un biais de sur-représentation des « bébés lithium » malformés, inévitablement plus systématiquement signalés que les « bébés lithium » sans anomalies. 27 Une étude cas témoin (49) et deux études prospectives (30 ; 31) sont venues contredire ou au moins fortement pondérer les résultats des registres de « bébés lithium ». Aujourd’hui, les auteurs considèrent que le risque de survenue d’une maladie d’Ebstein pour un nouveau-né issu d’une mère ayant pris du lithium pendant le premier trimestre serait multiplié par 10 à 20, soit un cas pour 1000 à 2000 naissances après une exposition au lithium (18 ; 40). Dans la population générale, ce risque est estimé à un cas pour 20 000 naissances. 3.1.2. Risque de rechute à l’arrêt du lithium : Ce risque a été évalué par Suppes et al. à partir de 14 études impliquant un total de 257 patients (43). Ils ont dénombré 50% de rechutes dans les dix semaines ayant suivi l’interruption du lithium. Une méta-analyse de Baker, impliquant 19 études, a confirmé ces résultats avec 50% des patients qui avaient rechuté dans les trois mois suivant l’arrêt du lithium (13). Viguera, dans une étude récente de 2000, a étudié le risque de rechute chez 101 femmes bipolaires (type I et type II) : 42 femmes enceintes et 59 femmes non enceintes. Il a ensuite comparé un groupe avec arrêt rapide du lithium (< 14 jours) avec un groupe avec arrêt progressif (15 à 30 jours). Le taux de récidive à 40 semaines est similaire pour les femmes enceintes (52%) et les femmes non enceintes (58%). Et pour les femmes asymptomatiques après 40 semaines d’arrêt de lithium, le risque de récurrence au cours du post-partum est 3 fois plus fréquent que chez les autres femmes bipolaires (47). De plus, si la période du risque malformatif est limitée aux 2 premiers mois de grossesse, cela ne signifie pas que le lithium sera interrompu seulement deux mois car il faut évidemment prendre en compte également la période entre la décision d’avoir un enfant (arrêt de la contraception) et la conception effective. 3.1.3. En prévision d’une grossesse : Le centre de référence sur les agents tératogènes recommande d’arrêter, si possible et en accord avec le prescripteur, le traitement thymorégulateur jusqu’à la fin de l’organogenèse cardiaque (50ème jour post-conception) pour éviter une éventuelle malformation (53). 3.1.4. Surveillance de la grossesse : Si le lithium est nécessaire à l’équilibre maternel, dans les formes sévères de la maladie, il peut être poursuivi sous réserve d’une surveillance adaptée. On tentera d’instaurer progressivement la dose effective la plus basse pour la plus courte durée possible, tout en sachant que la femme enceinte peut avoir besoin de doses plus importantes de médicament par rapport à une autre non enceinte afin de traiter en juste proportion ses symptômes (dû à la pharmacocinétique et au métabolisme des médicaments modifiés pendant la grossesse). 28 La période à risque de malformation cardiaque (J21 à J50 post-conception) est donc couverte par le lithium, le dépistage est possible et se base, outre les échographies usuellement conseillées, sur une supplémentaire à la 15 ème voire à la 14ème semaine d’aménorrhée. Elle peut détecter une forme grave de la maladie d’Ebstein. Ces formes graves peuvent relever d’une interruption médicale de grossesse (IMG). Les formes plus atténuées de la maladie ne seront détectables par l’échographie qu’à 20 ou 22 semaines d’aménorrhée. Ces formes plus légères ne relèvent pas d’une éventuelle IMG car elles ne sont pas source de handicap majeur et peuvent être opérables (17). Par ailleurs, des contrôles lithémiques mensuels (voire plus si instables) en recherchant des taux proches de 0.60 plutôt que 0.80 mEq/l sont nécessaires au cours de la grossesse afin d’éviter impérativement tout surdosage. Pour prévenir des augmentations brutales de la concentration dans le sang, et donc dans celui de l’enfant, il est conseillé de fractionner les doses pendant la journée (17). On devra aussi réitérer les informations que tout patient sous lithium doit connaître concernant les signes d’alerte d’un surdosage et les situations susceptibles d’en induire (22). D’autre part, il est indispensable d’éviter une déplétion sodée maternelle et donc de ne pas modifier les apports de sodium et d’éviter tout traitement diurétique. En fin de grossesse, il y a un risque de déséquilibre du traitement car l’élimination du lithium suit la clairance de la créatinine (attention en cas de toxémie au risque d’augmentation du taux de lithium). L’idéal est de prévoir une rencontre du couple avec le pédiatre assez tôt dans la grossesse où il pourra apprécier l’état de la mère mais également celui du père qui pourra être un appui essentiel. Le pédiatre pourra ainsi anticiper l’endroit où va vivre l’enfant et dans quelles conditions (tabac), de qui s’en occupera et prendre connaissance du soutien familial et l’importance du suivi à long terme. Ils pourront aborder à ce moment là l’accouchement et la prise en charge éventuelle pédiatrique et surtout anticiper le désir d’allaitement qui reste encore un sujet polémique. 3.1.5. Si la grossesse débute sous traitement : Même si dans certains cas, une grossesse est possible sous lithium de manière réfléchie et préparée, une grossesse inopinée sous traitement est problématique (ce qui représente 50% des grossesses). Le risque tératogène est encouru puisque la patiente ne sera pas avertie de sa grossesse dès le premier jour, et que le lithium ne s’élimine pas instantanément de l’organisme à son arrêt. Le temps de réflexion et de décision est alors très écourté (17). 29 La complexité de ces situations rend difficile l’établissement de recommandations généralisables à tous les cas. On peut en revanche formaliser les critères sur lesquels se fondera la réflexion thérapeutique. Ces critères sont : le degré de stabilisation de l’humeur qui a été obtenu grâce au thymorégulateur, le terme de la grossesse au moment où elle est détectée, le choix de la patiente, même, moins bien et moins sereinement informée. En pratique, on distingue deux situations : - La grossesse est découverte assez précocement : on aura plus facilement tendance à arrêter le médicament en cours pour deux raisons. La première est que la période de risque malformatif n’est généralement pas terminée et la seconde est que ces situations comportent malgré tout un avantage en ce sens que la période, jusqu’à la détection de la grossesse, a été couverte par un thymorégulateur et que la période qui reste jusqu’à la fin du risque malformatif se trouve donc être relativement courte. Une interruption durant cette courte période restante a donc moins de chance d’être dommageable sur le plan du risque de rechute thymique. Ainsi, pour une patiente traitée par lithium, chez laquelle une grossesse est détectée à 3 ou 4 semaines, il ne restera que 3 à 4 semaines avant la fin de la période de risque malformatif pour le cœur. Une interruption du traitement a alors peu de risques d’être très délétère sur le plan thymique. Le bon sens est donc d’arrêter le lithium avec l’espoir qu’une malformation ne soit pas déjà survenue (17). - La grossesse est découverte tardivement ; on peut alors se poser la question d’arrêter le lithium car la période à risque malformatif (2 premiers mois) a été couverte par le traitement. On préfère généralement maintenir le lithium car il n’y a pas d’avantage pour le fœtus et si une anomalie devait se produire : « le mal serait déjà fait ». On surveillera attentivement le reste de la grossesse et on recherchera une éventuelle malformation aux échographies. 30 Traitement antérieur à la grossesse : le lithium En prévision d’une grossesse Si la grossesse débute sous traitement Evaluation de la sévérité de la maladie et de l’état de la femme Découverte précoce de la grossesse Découverte tardive de la grossesse Maintien possible pendant la grossesse Maladie stable, bien équilibrée Forme sévère de la maladie Arrêt du traitement pendant le 1er trimestre Arrêt avec +/remplacement par Olanzapine ou Lamotrigine Maintien possible pendant la grossesse Evaluation de la sévérité de la maladie Réinstauration du lithium possible après le 1er trimestre Arbre décisionnel du lithium 3.1.6. A plus long terme ? Il existe très peu de données sur les effets plus tardifs chez des enfants exposés au lithium au cours de la grossesse. Une étude portant sur une durée de 5 ans après exposition durant le deuxième et le troisième trimestres n’a pas mis en évidence de changements comportementaux significatifs (41). 31 3.2. L’acide valproïque et la carbamazépine : 3.2.1. Risque malformatif : Compte tenu des données disponibles, l’utilisation du valproate est déconseillée tout au long de la grossesse. En effet, parmi tous les thymorégulateurs utilisés dans les troubles bipolaires, le valproate est probablement le plus tératogène : 11% de malformations congénitales (2 à 3% dans la population générale), surtout pour des posologies supérieures à 1 g/j. Les malformations les plus souvent rencontrées, et qui constituent le Valproate Fetal Syndrome (VFS) sont des anomalies de fermeture du tube neural (AFTN) dans 1 à 2% des cas (fréquence de base des AFTN dans la population générale : 0.03%), des malformations touchant le cœur et l’aorte (coarctation), les membres (anomalies réductionnelles du rayon radial), la face (dysmorphies et fentes), le crâne (craniosténose), les reins et les organes génitaux externes (hypospadias) ainsi que des retards de croissance intra-utérins (12 ; 20). La carbamazépine multiplie par 2 ou 3 la fréquence de base des malformations : 5.7%, entraînant un syndrome polymalformatif dans 4 à 6% des grossesses exposées au premier trimestre. Les malformations les plus souvent rencontrées sont des anomalies de fermeture du tube neural, dont les AFTN (0.5 à 1% des cas) contre 0.03%, des fentes labiales et/ou palatines, des malformations cardiaques, des atteintes des membres et des organes génitaux externes (hypospadias) (38 ; 12). On peut noter également d’autres types de malformations associées ou isolées : dysmorphie faciales, polydactylies, anomalies du septum atrial, atteintes cardiaques congénitales, hernies inguinales, absence de vésicule biliaire ou de glande thyroïde, torticolis, meningomyelocèles… De même que pour le valproate, la carbamazépine aurait un syndrome spécifique (fetal carbamazépine syndrome ou « FCS ») incluant différents types de malformations dont les principales caractéristiques sont des anomalies cranio-faciales mineures, une hypoplasie des ongles et un retard de développement. 3.2.2. En prévision d’une grossesse : D’une manière générale, pour la carbamazépine comme pour l’acide valproïque et ses dérivés, du fait de la sévérité et de la fréquence des malformations et ce même avec une supplémentation en acide folique, l’enjeu thérapeutique ne peut qu’exceptionnellement justifier leur maintien lors du premier trimestre de grossesse et surtout pas lors du premier mois, période de formation du tube neural (17). 32 3.2.3. Surveillance de la grossesse : Après le premier trimestre, la carbamazépine et le valproate (ou ses dérivés) peuvent être repris si la sévérité de la maladie l’impose, en utilisant les posologies minimales efficaces avec contrôles des taux sériques, en fractionnant les prises, en utilisant préférentiellement les formes à libération prolongée et bien sûr en évitant les polythérapies (17). Sous carbamazépine, la prescription à la mère à partir de la 36ème semaine d’aménorrhée d’un supplément oral de vitamine K (10 à 20 mg/j) et la prescription au nouveau-né d’1 mg de vitamine K intramusculaire minorent le risque d’hémorragie du nouveau-né (19). Sous valproate, cette supplémentation en vitamine K est également nécessaire du fait d’un rare risque de coagulopathie par hypofibrinémie (20). Un dépistage prénatal ciblé sur les malformations potentielles doit être mis en place en particulier pour les AFTN (celui-ci se mettant en place entre le 17 et 28e jour postconceptionnel) par des échographies du tube neural. On pourra proposer 5 mg/j d’acide folique deux mois avant et un mois après la conception. 3.2.4. Si la grossesse débute sous traitement : Nous avons vu que le maintien au premier trimestre, et particulièrement au premier mois, de la carbamazépine ou du valproate ne pouvait qu’exceptionnellement être justifié (22). Cependant, dans le cadre des grossesses imprévues l’exposition à ces produits à cette période est réelle. Si la grossesse est découverte très précocement, il est préférable, dans la mesure du possible, d’arrêter progressivement le médicament au moins jusqu’à la fin du premier trimestre. Si cette option n’est pas envisageable, on essayera de la remplacer par une autre moins tératogène afin de protéger la fin de la période d’organogénèse. Si au contraire la grossesse est découverte tardivement, le traitement ne doit pas être interrompu : il y aurait alors plus d’inconvénients que d’avantages. Une échographie supplémentaire entre la 18ème et la 20ème semaine d’aménorrhée est alors nécessaire à la recherche d’une AFTN, ainsi qu’un dosage plasmatique maternel de l’alpha-foetoprotéine, voire une amniocentèse (22). 33 Acide valproïque et carbamazépine En prévision d’une grossesse Si la grossesse débute sous traitement Arrêt progressif dans tous les cas Découverte précoce de la grossesse Découverte tardive de la grossesse Si forme sévère de la maladie Arrêt progressif dans tous les cas Poursuite possible si la maladie l’impose Remplacement possible par olanzapine ou lamotrigine Si forme sévère de la maladie Remplacement possible par olanzapine ou lamotrigine Arbre décisionnel du valproate et de la carbamazépine 3.2.5. A plus long terme ? Les données épidémiologiques actuelles n’ont pas mis en évidence de diminution du quotient intellectuel global chez les enfants exposés in utero au valproate. Cependant, une légère diminution des capacités verbales et/ou une augmentation de la fréquence du recours à l’orthophonie ou au soutien scolaire ont été décrites chez les enfants. Par ailleurs, quelques cas isolés d’autisme et de troubles apparentés ont été rapportés chez les enfants exposés in utero (10). Pour les enfants de mères traitées par carbamazépine, les données ne montrent pas d’effets significatifs sur les scores d’intelligence (57). Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ou infirmer l’ensemble de ces résultats. Observation 1 Mlle G. Tifenn, 22 ans, vendeuse. Adressée par son médecin traitant, Mlle G. décrit des alternances de phases moroses et euphoriques avec alors une sexualité exacerbée, des prises d'alcool et/ou de cannabis. Elle est de caractère rapidement irritable voire agressif et exprime une hyperéactivité émotionnelle. Ces manifestations sont apparues dès la puberté et se sont développées. Elle n'a pas d'antécédents personnels mais sa mère est, depuis plus de 15 ans, traitée pour psychose maniaco-dépressive, une sœur consulte pour des troubles similaires. Une plus jeune sœur de 14 ans commence à exprimer des difficultés caractérielles. 34 Elle accepte, bien que réticente, un traitement normothymique qui créera chez elle une abrasion de ses affects et une adynamie relative, mais elle se reconnaîtra stabilisée, en particulier, quant à son agressivité. Une aménorrhée de 2 mois sous acide valproïque générera chez Mlle G. une forte angoisse, de par la grossesse en elle-même, et de tous les risques qu’elle peut engendrer. Elle prendra donc la décision de l'interrompre. Observation 2 Mme I. Marie Blanche, 37 ans, vit maritalement, 1 enfant, assistante de vie. A sa première consultation, à l'instigation du médecin généraliste, Mme I. présente un épisode dépressif majeur de type « hostile » : c'est-à-dire avec une forte charge d'agressivité ; elle est sous antidépresseurs et sédatifs le soir. Ce traitement verra un amendement net de sa dépression mais en parallèle une apparition de TOC et une exacerbation de son irritabilité puis une surexcitation hypomaniaque (virage hypomaniaque dû aux antidépresseurs). Le psychiatre basculera sur une médication à base de carbamazépine et de rispéridone ce qui la stabilisera très correctement pendant plus d'un an. Elle et son ami désirent un nouvel enfant : elle demandera à adapter/cesser le traitement. Malgré les informations précisant les risques ainsi que les réelles possibilités médicales, son traitement sera progressivement arrêté sur un mois. Trois mois plus tard, elle se retrouve enceinte. La grossesse se déroule sans aucun problème et Mme I. donne naissance à un enfant en très bonne santé. Dès le lendemain de son accouchement, un traitement par carbamazépine en monothérapie sera remis en place. Elle pourra alors allaiter son bébé comme elle le désirait. 3.3. L’olanzapine : 3.3.1. Risque malformatif : A ce jour, aucune étude contrôlée spécifique n’a été réalisée chez la femme enceinte. Dans le Résumé des Caractéristiques du Produit, le fabricant rapporte 7 cas de grossesses exposées à l’olanzapine durant les essais cliniques : les issues ont été un avortement spontané, trois avortements thérapeutiques (cause inconnue), un décès néonatal dû à un défaut cardio-vasculaire (à priori non attribuable au principe actif) et deux naissances normales. L’effet de l’exposition à l’olanzapine, à partir du suivi prospectif de 96 femmes enceintes, se décompose comme suit : 72% des enfants nés d’une telle exposition étaient normaux, 12.5% d’avortements spontanés ont été relevés, 2% des naissances ont été prématurées et 1% de malformations majeures, sans précisions, ont été rapportées (20). 35 L’olanzapine n’est pas tératogène chez l’animal et d’après le CRAT, il ne semble pas exister de malformations congénitales attribuables à cette molécule. En pratique, c’est donc le médicament le plus utilisé pour la grossesse. 3.3.2. En prévision d’une grossesse : En raison des effets tératogènes des autres thymorégulateurs, l’olanzapine peut être poursuivie à posologie efficace pendant la grossesse et même remplacer les plus dangereux comme le lithium, l’acide valproïque et la carbamazépine (53). C’est aujourd’hui, l’option retenue par la plupart des psychiatres sans réel consensus. 3.3.3. Surveillance de la grossesse : Avant toute prescription de cette molécule, il faudra s’assurer que la femme ne soit pas diabétique (ou hypercholestérolémie) et donc pour la grossesse, un dépistage du diabète gestationnel est fortement conseillé ainsi que la surveillance de la prise de poids maternelle. 3.3.4. Si la grossesse débute sous traitement : Il ne faut surtout pas arrêter l’olanzapine sans l’avis du prescripteur. On peut se permettre de rassurer la patiente quant au risque malformatif. Si le traitement doit être maintenu, l’olanzapine pourra être poursuivie (53 ; 57). Traitement antérieur à la grossesse : l’olanzapine En prévision d’une grossesse Si la grossesse débute sous traitement Le traitement peut être maintenu Le traitement peut être maintenu Arbre décisionnel de l’olanzapine 3.3.5. A plus long terme : Aucune séquelle comportementale chez les enfants, exposés in utero, jusqu'à 6 – 10 ans n’a été retrouvée (57). 36 Observation 3 Mme X, 36 ans, mariée, 2 enfants, cadre supérieure. Mme X. a une longue histoire de troubles de type hyperthymique avec impulsivité et agressivité qu'elle aggrave par une consommation très régulière d'alcool. Un épisode dépressif majeur, qu'elle met sur le compte de l'épuisement professionnel, l'amène à consulter. Un diagnostic de trouble bipolaire est très rapidement posé et admis par Mme X. Elle acceptera un traitement mais sans remettre réellement en cause ses habitudes alcooliques peu compatibles avec sa médication, qu'elle adaptera pendant plus de 2 ans selon l'évolution de ses troubles. Les divers effets secondaires seront, en particulier, une prise de poids nette sous olanzapine et des tremblements constants avec le lithium. Mme X. vient, accompagnée de son mari, pour exprimer leur désir d'avoir un troisième enfant ce qu'elle avait toujours désiré dès le début de sa prise en charge. Le dernier traitement apparemment à peu près suivi, le psychiatre et le couple décideront de le maintenir pendant toute la grossesse, qui s’est déroulée sans difficulté majeure. Depuis, la mère et l’enfant se portent bien et Mme X a profité de ce moment particulier de la grossesse pour consulter un addictologue et arrêter totalement sa consommation d’alcool… 3.4. La lamotrigine : 3.4.1. Risque malformatif : De nouvelles données issues du Registre Nord-Americain de Grossesses exposées à la lamotrigine (NAAED Pregnancy Registry) suggèrent une possible augmentation du risque de fentes labio-palatines isolées chez des enfants de mères traitées par lamotrigine en monothérapie durant le premier trimestre de la grossesse. L’analyse des données du registre, retrouve trois cas de fentes palatines isolées et deux cas de fentes labiales parmi 564 enfants de mères traitées par lamotrigine (8.9 cas / 1000). Ce taux, comparé au taux d’incidence de 0.37 cas / 1000 observé dans la population générale, est augmenté avec un risque relatif de 24. (29). En revanche, le taux global de malformations congénitales majeures observées avec la lamotrigine dans le NAAED Pregnancy Registre n’est pas augmenté par rapport à celui de la population de référence. C’est également ce que confirme une étude prospective, publiée en 2002, qui a évalué l’effet de l’exposition au médicament en monothérapie au premier trimestre chez 334 femmes (44). 37 3.4.2. En prévision d’une grossesse : Si une grossesse est envisagée, elle représente l’occasion de peser à nouveau l’indication du traitement car il faut rappeler malgré tout que la lamotrigine n’a pas l’AMM pour le traitement des troubles bipolaires. Si au vu de l’état de la patiente, le traitement doit être maintenu, on s’assurera que la lamotrigine sera prescrite en monothérapie et on rassurera la patiente quant aux effets malformatifs pour l’enfant. 3.4.3. Si la grossesse débute sous traitement : Le traitement efficace par lamotrigine ne doit jamais être interrompu, l’aggravation de la maladie étant plus préjudiciable pour la mère et le fœtus que les avantages attendus par l’arrêt du médicament (53). Une prévention par acide folique des anomalies de fermeture de tube neural est préconisée un mois avant et deux mois après la conception chez les femmes traitées par des anti-épileptiques (5mg/jour). Traitement antérieur à la grossesse : la lamotrigine En prévision d’une grossesse Si la grossesse débute sous traitement Le traitement peut être maintenu Le traitement peut être maintenu Arbre décisionnel de la lamotrigine 3.5. L’oxcarbazépine : 3.5.1. Risque malformatif : Les données publiées chez les femmes enceintes exposées à l’oxcarbazépine en monothérapie au premier trimestre sont peu nombreuses mais d’après le CRAT, aucun effet malformatif spécifique n’a été retenu (53). Un cas de malformation cardiaque a été rapporté d’une étude argentine portant sur 55 nouveaux-nés de mères traitées par oxcarbazépine pendant leurs grossesses (33). Egalement, on peut noter qu’une autre source insiste sur le risque de fente palatine (56). 38 3.5.2. En prévision d’une grossesse : L’oxcarbazépine est une molécule proche de la carbamazépine : on aura tendance à essayer au mieux d’arrêter le traitement ou d’au moins le remplacer par un thymorégulateur qui soulève moins d’inquiétude : l’olanzapine ou la lamotrigine. On mettra également en place une prévention par acide folique. 3.5.3. Si la grossesse débute sous traitement : On ne poursuivra qu’exceptionnellement ce médicament : si toutes les autres options thérapeutiques sont vaines. On prévoira alors la prescription de vitamine K1 à la posologie de 10 mg/jour par voie orale pendant les 15 derniers jours de grossesse du fait du risque hémorragique du nouveau-né (19). 3.6. La rispéridone : 3.6.1. Risque malformatif : L’innocuité de la rispéridone pendant la grossesse n’a pas été établie. On ne dispose que de données rassurantes chez l’animal : en conséquence, par mesure de prévention, il est préférable de ne pas utiliser la rispéridone pendant la grossesse. 3.6.2. En prévision d’une grossesse : On préfèrera la remplacer par l’olanzapine. En cas d’inefficacité ou de mauvaise tolérance, l’utilisation de la rispéridone peut être, malgré tout, envisagée en cours de grossesse d’après le CRAT (53). 3.6.3. Si la grossesse débute sous traitement : Les avis sont contradictoires : le CRAT autorise sa poursuite alors que l’attitude générale des psychiatres est plutôt d’essayer de l’arrêter (53). 3.7. L’aripiprazole : 3.7.1. Risque malformatif : A ce jour, aucune étude contrôlée spécifique n’a été réalisée chez la femme enceinte. Les études animales n’ont pu exclure une toxicité potentielle sur le développement. Des études sur le rat et le lapin ont été conduites à des doses 10 à 65 fois supérieures à la dose humaine maximale recommandée. Il a été rapporté un faible accroissement de la durée de gestation et un léger retard de développement fœtal (faible poids de naissance, cryptorchidie, retard d’ossification, anomalies squelettiques) (55). 39 3.7.2. En prévision d’une grossesse : En raison d’informations insuffisantes sur la tératogenèse chez l’Homme et des interrogations suscitées par les études menées chez l’animal, le principe de précaution s’applique : le médicament ne doit pas être utilisé pendant la grossesse. On aura alors recours à l’olanzapine. 3.7.3. Si la grossesse débute sous traitement : L’aripiprazole pourra être poursuivi à la condition que la femme n’ait répondu favorablement qu’à ce médicament et que son arrêt pour la grossesse ne soit pas envisageable au vu de la sévérité de la maladie. Traitement antérieur à la grossesse : l’oxcarbazépine, la rispéridone et l’aripiprazole En prévision d’une grossesse Si la grossesse débute sous traitement Arrêt du traitement avec +/remplac. par olanzapine ou lamotrigine Arrêt du traitement avec +/remplac. par olanzapine ou lamotrigine Arbre décisionnel de l’oxcarbazépine, de la rispéridone et de l’aripriprazole 40 4. Apparition d’accès aigus pendant la grossesse : La maladie bipolaire peut se déclarer au moment d’une grossesse par des accès aigus comme une dépression majeure, un état maniaque ou psychotique. On traitera ces épisodes a priori comme tels avant de faire le diagnostic de troubles de l’humeur. 4.1. Conduite à tenir face à un état dépressif : S’il est caractéristique d’une dépression bipolaire, le psychiatre mettra en place directement un traitement thymorégulateur tel que l’olanzapine (Zyprexa®). S’il n’est pas caractéristique, il va donc être traité comme une dépression unipolaire et la décision de mettre en place un antidépresseur est à prendre au cas par cas. Le couple peut être rassuré sur l’absence d’augmentation du taux de malformations mais doit être informé sur les risques de complications néonatales (qui sont généralement bénignes et transitoires). Si le traitement est instauré ou poursuivi pendant le 3 ème trimestre, il est recommandé de choisir une maternité qui possède un service de néonatologie. Les posologies des antidépresseurs doivent être augmentées de 50% du fait du volume de distribution modifié. Puis une baisse progressive avant l’accouchement est préconisée afin de se prémunir d’un syndrome de sevrage brutal de l’enfant. Mais, dans tous les cas, il ne faudra jamais interrompre brutalement le traitement. En première intention, quel que soit le terme, le CRAT recommande un antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine tel que la fluoxétine (Prozac®) alors que les tricycliques seront plutôt de second choix (53 ; 57). Il faut rappeler que l’allaitement est déconseillé avec ces molécules. 4.2. Conduite à tenir face à un état maniaque ou hypomaniaque : De par ses conséquences qui peuvent être dramatiques, l’épisode sera traité par l’olanzapine. Mais la sévérité de l’état peut également imposer une hospitalisation d’office (57). 4.3. Conduite à tenir face à un épisode psychotique : Les troubles psychotiques sont rares pendant la grossesse. Mais un syndrome délirant est une urgence médicale : il faut donc hospitaliser la femme car il existe un risque majeur pour elle et la grossesse. En cas de signes modérés et en l’absence d’antécédents psychotiques, on essayera d’éviter dans la mesure du possible les neuroleptiques pendant le premier trimestre. En cas de signes sévères (ou après le premier trimestre, on prescrira plutôt ces neuroleptiques : l’Halopéridol (Haldol®), le Chlorpromazine (Largactil®) ou des antipsychotiques : l’amisulpride (Solian®), l’olanzapine (Zyprexa®), le sulpiride (Dogmatil®) (57). 41 5. Accouchement Dans la mesure du possible, il est recommandé de diminuer les posologies de 25 à 30%, voire d’arrêter momentanément le traitement dans la semaine qui précède l’accouchement pour deux raisons : le risque d’intoxication maternelle dans le postpartum du fait de la chute brutale du volume plasmatique. La femme se retrouve donc très vite à des concentrations plasmatiques au dessus de la fourchette thérapeutique et des effets toxiques peuvent s’observer chez le nouveau-né (22). L’accouchement ne se réalisant pas souvent à la date prévue, il est plus prudent d’interrompre progressivement le traitement pendant le 9 ème mois. Dans tous les cas, il faut l’arrêter dès que la femme est en travail (57). C’est au moment de l’accouchement que la sage-femme a un rôle très important. Elle doit être très présente auprès de la femme, la rassurer, l’écouter et ne pas hésiter, dans la mesure du possible à avoir recours à la péridurale afin de faciliter la bonne collaboration avec la femme (57). La sage-femme doit prévenir le médecin de garde dès l’entrée de la femme en salle d’accouchement. Le nouveau-né doit être accueilli par un pédiatre prévenu du traitement maternel et de ces effets possibles (17). On peut donc dire qu’au niveau obstétrical, l’accouchement d’une femme bipolaire est tout à fait comparable à celui de tout autre femme. 42 6. Prise en charge néonatale en salle de naissance et pendant le séjour en maternité Pour certains médicaments, la toxicité chez les nouveaux-nés est bien connue et des recommandations ont été mises en place pour chacun : Exposition du fœtus Répercussions pendant la grossesse néonatales Lithium Acide valproïque Carbamazépine Oxcarbamazépine Olanzapine Conduites à tenir à la naissance et pendant le séjour en maternité -accouchement prématuré - lithiémie au cordon et un - hypotonie avec troubles bilan thyroïdien respiratoires et cyanose - surveillance de la (floppy baby syndrome) fonction cardiaque et de - hypothyroïdisme son comportement - bradycardie - diabète néphrogène insipide (45) - risque de coagulopathie - éviter au maximum tout par hypofibrinémie accouchement - hypoglycémie traumatique - syndrome de sevrage - pas de prélèvement (20) sanguin ni d’électrode de scalp - 1 mg de vitamine K IM - bilan d’hémostase - surveillance de la glycémie pendant la première semaine de vie et - risque d’hémorragie (19) - éviter au maximum tout accouchement traumatique - pas de prélèvement sanguin ni d’électrode de scalp - 1 mg de vitamine K IM -tremblements - surveillance clinique - hypotonie - léthargie - somnolence 43 7. Suites de couches 7.1. La reprise du traitement : Quelque soit le médicament arrêté pour l’accouchement ou pour la grossesse, il faut impérativement le réinstituer dans les 24 heures qui suivent la naissance. La posologie doit être diminuée du fait du risque d’intoxication, il faut donc rapprocher les dosages de la lithiémie et surveiller l’apparition des signes d’intoxication (nausées, vomissements, diarrhées, ralentissement psychomoteur, tremblements). En effet, l’absence de thymorégulateur durant le post-partum est une prise de risque déraisonnable, sachant le taux très élevé de rechutes du trouble bipolaire à cette période, allant de 67% à 82% dans les études récentes selon la revue de Viguera et al. (46). Rappelons en effet que la psychose du post-partum est 100 fois plus fréquente chez les patientes atteintes de trouble bipolaire que chez les autres femmes (45). 7.2. La surveillance du nouveau-né : Tous les nouveaux-nés de mères sous thymorégulateur doivent bénéficier d’une surveillance particulière : - du rythme cardiaque - de la saturation périphérique - de sa température - du tonus et du réflexe de succion - de l’ictère L’unité « kangourou » parait une bonne solution afin de ne pas les séparer et favoriser ainsi le bon établissement de la relation mère-bébé, qui peut être fragilisée de par la pathologie maternelle. La sage-femme est certainement la mieux placée avec la collaboration de la puéricultrice pour encourager et valoriser la femme en lui conseillant le « peau à peau » en cas de syndrome de sevrage. Elle devra être attentive à la tolérance de la femme aux pleurs de son bébé, à la qualité des soins mais également aux échanges de regards mamans-bébé et à l’intérêt porté à son développement. La durée du séjour en maternité sera donc, par conséquent, allongé afin de surveiller l’état de l’enfant et pour se donner plus de temps et donc plus de chance pour que la mère et le bébé apprennent à se connaître dans les meilleures conditions possibles. En cas d’allaitement autorisé, veiller à se qu’il se fasse avec la plus grande souplesse possible et que les informations données à la nouvelle maman soient les plus cohérentes possibles pour ne pas lui engendrer de stress supplémentaire. 44 7.3. La contraception : Les médicaments inducteurs enzymatiques (acide valproïque, carbamazépine) rendent inefficaces la contraception hormonale normo et surtout mini-dosée par dégradation plus rapide au niveau du foie et par compétition au niveau des récepteurs. Chez les patientes concernées, il est donc préférable d’utiliser un autre moyen de contraception non hormonal (stérilet au cuivre, moyens locaux…) La lamotrigine est un antiépileptique de nouvelle génération qui n’a pas d’interaction avec les oestro-progestatifs ; ce médicament est donc compatible avec cette contraception. 8. Allaitement Médicaments Lithium Acide valproïque Divalproate de sodium Valpromide Carbamazépine Contre-indications éventuelles Contre-indiqué Non contre-indiqué A réévaluer Non contre-indiqué A réévaluer Olanzapine Déconseillé Lamotrigine A réévaluer Contre-indiqué Rispéridone Oxcarbazépine Aripiprazole Déconseillé 45 Effets chez le nouveau-né en cas d’allaitement Cyanose, hypotonie, léthargie, modifications de l’onde T à l’ECG, hypothermie (10 ; 20) (9 ; 10) 1 cas de purpura thrombocytopénique et 1 cas d’anémie (42) Troubles hépatiques (20) (9 ; 10) hépatotoxicité transitoire, léthargie, irritabilité (14 ; 20) Sédation, ictère, cardiomégalie, tremblements, succion insuffisante, protusion de la langue, rash cutané et diarrhée (20) (24) Toxidermie sévère, syndrome de Lyell, syndrome de StevensJohnson (20) Pas encore documentés dans l’espèce humaine L’allaitement est donc envisageable seulement pour l’acide valproïque/valpromide/divalproate de sodium et la carbamazépine mais une surveillance du taux sanguin des médicaments et les enzymes hépatiques est nécessaire : ce qui rend l’allaitement assez compliqué. Il faut également recommander à la patiente d’allaiter avant la prise de son médicament. Mais si la patiente est traitée par un autre thymorégulateur, il conviendra de conseiller de ne pas allaiter et de maintenir le traitement et jamais l’inverse. Néanmoins, le choix ultime d’allaiter ou non reviendra toujours à la patiente et il est des cas où celle-ci, informée des risques, choisira l’allaitement et le maintien du traitement. Mais, si grande soit l’importance subjective de l’allaitement pour une patiente, cela ne saurait justifier l’arrêt du médicament dans le post-partum. On peut remarquer que beaucoup de mères bipolaires souhaitent allaiter leurs enfants pour plusieurs raisons : elles ont souvent peur de leur transmettre leur maladie, alors le fait de les nourrir représente pour elles un « bienfait à leur offrir ». Elles croient également qu’en allaitant, elles fournissent une part du médicament pour les protéger de leur propre trouble. D’autres femmes, au contraire, ont très peur d’allaiter du fait du passage du médicament dans le lait et ne choisiront pas, de toute façon, cette option. Enfin, il est très important que les patientes connaissent les données et enjeux concernant l’allaitement avant l’accouchement et que leurs choix aient pu être réfléchis au préalable et non décidés à la hâte dans les heures qui suivent la naissance. Si l’allaitement n’est pas autorisé, se pose alors le problème d’empêcher la montée laiteuse. En effet, la molécule la plus utilisée dans cette indication est la bromocriptine (Parlodel*, Bromokin*). Or la bromocriptine est un agoniste dopaminergique et peut donc induire des accès maniaques et favoriser l’installation d’une psychose puerpérale. Nous conseillons donc d’éviter la prise de bromocriptine et de favoriser d’autres molécules pour stopper la lactation. (dihydroergocryptine : Vasobral®). 46 9. Psychose puerpérale et évolution vers la maladie bipolaire La survenue d’une psychose puerpérale, dans le post-partum, chez une femme n’ayant pas d’antécédent psychiatrique, peut être le premier signe annonciateur du développement de la maladie bipolaire à plus long terme. 9.1. Définition et épidémiologie : La psychose puerpérale est une entité nosographique qui rassemble les épisodes psychotiques aigus survenant de façon inattendue et brutale dans les jours suivant l’accouchement. Son incidence est estimée de 1 à 2 pour 1000 naissances. La nosographie actuelle la rattache aux psychoses affectives déclenchées par le contexte puerpéral, elle est en France considérée comme proche des bouffées délirantes. 9.2. Aspects cliniques : Elle se caractérise par un début brutal, de 48 à 72 heures après la naissance à 2 semaines après l’accouchement. Les premiers symptômes sont des troubles du sommeil, de l’irritabilité, de l’excitation. Ensuite, la phase d’état est au maximum vers le dixième jour avec un tableau clinique associant une humeur dépressive, exaltée ou mixte, un comportement désorganisé, incompréhensible, un délire et des hallucinations. La problématique délirante est généralement centrée sur l’enfant et sa naissance : négation de la maternité, sentiment de non appartenance ou de non-existence de l’enfant, ou encore conviction qu’il est mort, qu’il a été substitué ou dérobé par des proches. Le risque de suicide et/ou d’infanticide impose des mesures thérapeutiques immédiates. 9.3. Traitement : La psychose puerpérale implique une hospitalisation en service spécialisé psychiatrique (service libre ou HDT). Lorsque c’est possible, l’hospitalisation s’effectue dans une unité mère-bébé. En effet, la non-séparation de la mère et de son enfant permet de développer des liens le plus rapidement possible. Mais cela n’est possible que lorsque toutes les conditions de sécurité sont réunies. En ce sens, cette hospitalisation mère-bébé est parfois délicate et contre-indiquée dans les premiers temps. Le traitement doit assurer une sédation (benzodiazépines) et un effet antipsychotique (antipsychotiques atypiques : rispéridone, olanzapine, amisulpride). La sismothérapie (électrochocs) peut être proposée après 2-3 semaines d’échec des neuroleptiques. 47 Au vu de la relation bien établie entre la psychose puerpérale et le trouble bipolaire, certains experts argumentent que la psychose puerpérale ne peut être distinguée d’un épisode maniaque et qu’elle devrait être traitée de la même manière, c’est-à-dire avec un thymorégulateur comme le lithium, l’acide valproïque ou la carbamazépine. 9.4. Evolution : L’évolution à court terme est généralement favorable dans la mesure où les risques immédiats ont été pris en considération. Par conséquent, la rapidité du diagnostic est un élément pronostic majeur. Celui-ci ne pose habituellement pas de problème lorsque la mère est en maternité, mais l’accès aux soins peut être considérablement retardé s’il s’agit d’une mère isolée retournée à son domicile. A plus long terme, l’évolution schizophrénique est rare. En revanche, la psychose puerpérale peut être le premier épisode d’un trouble bipolaire naissant. 9.5. Vulnérabilité et facteurs de risque : Les facteurs de vulnérabilité semblent liés aux hypothèses biologiques, l’âge et la parité de la mère. En revanche, des antécédents de psychose puerpérale, de trouble bipolaire de la mère ou d’antécédents familiaux de trouble bipolaire sont à prendre en considération, de même les psychoses puerpérales sont plus élevées chez les femmes ayant eu une césarienne ou un accouchement avec des complications obstétricales. Risque de récurrence de psychose du post-partum (PPP). (57) 48 Les hypothèses mettant en jeu des facteurs biologiques n’ont pas encore éclairé le processus physiopathologique même si on connaît les interactions entre les oestrogènes et les récepteurs dopaminergiques et noradrénergiques. La chute oestrogénique en période post-natale contribuerait à une hyperactivité dopaminergique. Les évènements de vie et les facteurs de stress ne joueraient un rôle significatif que dans la vulnérabilité aux troubles non psychotiques du post-partum, en particulier il semble se dégager un mode de vulnérabilité comparable à celui des troubles bipolaires. Observation 4 Mme B. Audrey, 25 ans, vit maritalement, hôtesse d'accueil. Mme B. fait une bouffée délirante le lendemain de l'accouchement de son premier enfant, celui-ci étant dans ses bras, il fera une chute et aura le crâne fracturé. Lorsqu’on reprend ses antécédents, on note une dépression dès l'âge de 16 ans attribuée à la fatigue et au stress. Plus jeune, elle a été suivie en raison d'un bégaiement. A partir de 21 ans, elle a présenté des épisodes dépressifs majeurs toujours mis sur le compte de sa personnalité fortement angoissée. Pendant la grossesse, elle se décrit bien, voire trop bien, quasi euphorique. Le diagnostic de troubles bipolaires se fera qu’ après l’accouchement et Mme B. sera traité par lamotrigine avec une couverture ponctuelle d’anxiolytiques. Depuis, elle vit dans une exacerbation de son angoisse avec en permanence l'appréhension de refaire du mal à son enfant et compte pour cela être prise en charge sur le plan psychothérapeutique. 49 10. Psychopathologie de la maternité : 10.1. Du côté maternel : Comme pour toute femme, il existe un remaniement psychologique normal lié à la puerpéralité appelé aussi « maternalité » dont l’élément essentiel est une crise d’identité chez la femme enceinte. La maternalité, notamment lors de la première maternité, est une étape maturante qui aboutit à un épanouissement de la féminité. La grossesse provoque une crise identitaire, dans sa dimension narcissique avec tous les effets bien connus de troubles émotionnels, modifications du caractère en relation avec les modifications corporelles (51). Pour les femmes bipolaires, la grossesse engendre également tous ces remaniements mais génère aussi beaucoup d’angoisses, d’inquiétudes vis-à-vis de l’interruption de leur traitement ou de ses conséquences sur l’enfant si celui-ci est maintenu. Beaucoup de questions sur le risque de transmission de la maladie à leur bébé ou sur leur capacité à l’élever surgissent au moment de la grossesse et peut entraîner une telle anxiété qu’il faudra la prendre en considération pour ne pas que la femme se mette en retrait et s’enferme dans le cercle vicieux de l’isolement. 10.2. La constitution du lien mère-nouveau-né : D’abord, la mère doit faire le deuil de son état de grossesse et de l’enfant imaginaire, parfait, idéal. Ensuite, elle doit faire le travail inverse, celui d’attacher à l’enfant réel des désirs, des espoirs, des sentiments, c'est-à-dire aménager une place dans sa vie mentale pour ce bébé. Ce travail de réorganisation, quelques heures après l’accouchement, amène le monde mental de la mère à se restructurer en incluant le bébé dans sa dynamique et son organisation. Lors de longues séparations, la restructuration de la mère peut se faire sans inclure l’enfant (5). 10.3. Les conséquences psychopathologiques chez l’enfant : La pathologie maternelle se traduit par des accès mélancoliques ou maniaques, suivis de périodes de stabilisation qui peuvent être longues, cette pathologie thymique expose donc l’enfant à des changements d’humeur de sa mère. Il peut être confronté à une mère dépressive, abattue et, parfois, à une mère euphorique dans un état maniaque. Cet enfant est, par conséquent, soumis à des comportements imprévisibles qui ne lui permettent pas d’anticiper l’échange. La relation peut évoluer entre des rapprochements intenses et des mouvements de rejets. Le problème pour lui sera de se construire une continuité psychique (4). L’influence de la mère bipolaire, sur le fonctionnement mental de l’enfant, est extrêmement précoce. Ces risques sont liés, d’une part, aux particularités de la relation avec sa mère et, d’autre part, aux séparations itératives souvent non préparées avec des recours à des substituts maternels (lors d’hospitalisations maternelles). Les risques sont d’autant plus importants que le père présente lui aussi une pathologie psychiatrique (5). 50 Les symptômes dépressifs chez la mère risquent d’altérer ses possibilités d’ajustement aux appels du bébé. Celui-ci est confronté a un visage maternel triste, sans expression, en retrait, irritable, etc., à des échanges silencieux, à une mère absente de la relation ou au contraire intrusive, hyperstimulante. Les risques psychopathologiques sont très variables et le rôle du pédiatre sera de dépister des signes de souffrances : des troubles du tonus (hypo- ou hypertonie), un évitement du regard ou, au contraire une hypervigilance, une avidité relationnelle, une tendance à se réfugier dans le sommeil, une hyperadaptation, des troubles alimentaires… (5) L’apparition, à long terme, de carences graves de troubles cognitifs, de conduites addictives et de délinquance, est souvent évoquée. Le risque évolutif à l’âge adulte serait un tableau proche du syndrome d’abandon, dominé par la dépendance affective et la tendance au passage a l’acte (2). 11. Prévention 11.1. Les unités mères-enfants : Pendant longtemps, la pathologie mentale maternelle n’a été considérée que du seul point de vue de la clinique, sans que l’on s’attardât sur le chaos vécu par le nourrisson ou les effets des ruptures des liens d’attachement. On pensait volontiers qu’il était préférable de placer le bébé, soit en pouponnière, soit au sein du groupe familial et d’attendre que la mère soit en état de s’en occuper. Pourtant, c’est justement dans la proximité du corps à corps avec son bébé et les échanges interactifs très précoces qu’une femme devient mère. C’est à partir de ce constat que s’est créée l’unité mère-enfant qui propose un cadre thérapeutique spécifique capable à la fois de prendre en compte le désordre psychique maternel et l’instauration du lien mère-enfant (1). C’est en 1959 que fut créée la première unité d’hospitalisation mère-enfant à l’hôpital de Banstead dans le Surrey. Actuellement, en France, il existe une quarantaine de places d’hospitalisation complète (dont plus de la moitié pour la région parisienne). Ces unités ont pour vocation d’accueillir une dyade en crise, dans un lieu sécurisant pour la femme mais aussi pour l’enfant en attente d’une mère suffisamment autonome. Il s’agit de différer les décisions improvisées et d’assurer un maternage pour les mamans, sans qu’elles se sentent persécutées et de les accompagner. Leur objectif est également d’assurer auprès du bébé, une continuité des soins qui sont normalement assurés par la mère, sans se substituer à elle tout en respectant son style propre. 51 Il s’agit donc d’une hospitalisation prenant en charge une dyade, mais également une triade, père-mère-bébé (parfois même les grands-parents). Une part importante du travail implique l’observation de l’interaction mère-bébé (également grâce à la vidéo) et la mise en place de grilles d’évaluation de ces interactions permet d’objectiver l’évolution des relations. Ce travail d’observation est tout à fait essentiel (1). 11.2. La place du père : Tout au long de cet exposé, on a beaucoup parlé de la mère et de son bébé, mais il ne faut pas oublier le père qui tient une place fondamentale dans la construction de l’identité de l’enfant. Cette relation permet à l’enfant de développer des capacités à investir le monde extérieur mais il tient également une place affective très importante. Lorsque la mère est bipolaire, il a un autre rôle essentiel pour la bonne instauration de la relation mère-enfant. Il est le garde-fou des accès aigus auxquels la mère peut être soumise. C’est lui qui pourra intervenir en premier afin de prévenir une éventuelle catastrophe. Il doit donc assurer le « deuxième rempart » pour éviter à l’enfant d’être soumis à un excès d’excitation, et d’être aussi capable de contenir l’angoisse maternelle (5). C’est donc en consultations préconceptionnelles et prénatales que les professionnels pourront évaluer son soutien et sa coopération pour cette aventure. Au contraire, un père ayant également une pathologie psychiatrique, peut être parfois un obstacle à toute démarche, une réflexion multidisciplinaire s’impose alors. 11.3. Le rôle de la sage-femme : 11.3.1. Au Home : Depuis peu, un poste de sage-femme a été créé à l’unité mère-enfant de l’hôpital de Nantes afin de remplir deux missions principales : - La première est la prévention. En effet le Home peut accueillir les femmes qui n’ont pas encore accouché afin de les entourer et de les rassurer si une hospitalisation dans la structure est prévue après la naissance. Elles pourront alors faire connaissance avec le personnel, visiter les locaux et ainsi diminuer au maximum le stress généré par cette nouvelle hospitalisation. La sage-femme organise des temps pendant lesquels la future mère pourra se détendre et libérer ses tensions. Par exemple, des séances de relaxation, de massages et d’étirement sont proposées et souvent bien appréciées des femmes. Il est également possible d’envisager des « cours de rattrapage » pour la préparation à l’accouchement. 52 Le but de la sage-femme est d’amener la femme à investir sa grossesse, à se projeter après la naissance et à imaginer son bébé pour se préparer doucement à sa nouvelle vie. Pour cela, elle dispose de petits moyens qui participent à l’élaboration de cette représentation de l’enfant : elle va inciter la femme à se concentrer sur les mouvements du bébé. Elle pourra faire écouter les bruits du cœur et lui indiquer la position du fœtus dans son ventre pour qu’elle puisse l’intégrer dans son corps. - L’autre mission de la sage-femme est la prise en charge de la femme après la naissance. Elle va l’entourer au maximum afin qu’elle entoure à son tour son bébé. La sage-femme organise des séances de relaxation mais également des exercices pour la rééducation du périnée et de la ceinture abdominale ainsi que des séances d’expression corporelle afin que la femme puisse investir et prendre soin de son corps. Les mamans peuvent également bénéficier de la balnéothérapie (séances prescrites par le psychiatre) dès huit semaines après l’accouchement avec l’aide de la psychomotricienne. Tous ces temps organisés sont surtout des moments propices pour qu’elles se séparent temporairement de leurs enfants ce qui leur paraît parfois très angoissant. Petit à petit, il faut qu’elles apprennent à confier leurs bébés car au-delà de l’effet « bien-être » de ces séances, se cache un réel défit : passer le relais à des personnes de confiance. C’est un enjeu très important dans la construction du lien mère-enfant qu’il ne faut pas négliger. La sage-femme représente également le lien entre la PMI, le centre nantais de la parentalité (CNP), les services de grossesses à risque et de suites de couche des différents établissements de santé (60). 11.3.2. Le rôle des sages-femmes : Rôle d’accompagnement : L’aspect essentiel du rôle de la sage-femme est qu’à la différence des professionnels de la santé mentale, la sage-femme prend en charge une femme enceinte qui est malade et non une femme avec une pathologie bipolaire qui est enceinte. Cette nuance est fondamentale et facilite la coopération de la femme qui sent qu’on la considère comme une future mère. C’est sur cette approche un peu différente que doit insister la sage-femme. Lorsque la pathologie bipolaire est connue bien avant la grossesse, celle-ci ne peut pas être suivie médicalement par une sage-femme, mais elle a une place privilégiée auprès de la patiente : Lors des séances de préparation à l’accouchement, la sage-femme doit avoir une écoute attentive afin de faciliter la confiance pour l’expression des émotions négatives, des difficultés, des souffrances mais aussi des questions pour préparer des conditions optimales pour l’accueil de l’enfant. 53 L’entretien du 4ème mois est proposé systématiquement à toute femme enceinte. Son objectif est « de mettre en place précocement les conditions d’un dialogue permettant l’expression des attentes et des besoins des futurs parents ». La sagefemme doit rechercher le bon investissement de la femme pour sa grossesse et ne pas hésiter, devant toute interrogation à en faire part au psychiatre. Elle fait, en effet, le lien entre tous les différents intervenants : les médecins mais aussi l’assistante sociale, la PMI, le Home… Un suivi régulier par une sage-femme à domicile pour entourer la patiente pourrait être plus souvent envisagé. Sa simple présence peut aider la future maman à bien mener sa grossesse. Lors de l’accouchement et du post-partum immédiat, la sage-femme est en contact étroit avec la patiente. L’observation attentive est donc facilitée et elle doit veiller à l’attitude bienveillante sans jugement du personnel du service. La femme doit être entourée et accompagnée. Disponibilité, empathie, confiance, rigueur et souplesse sont 5 notions qui doivent guider la prise en charge de la sage-femme (57). Rôle de prévention : La sage-femme a également un rôle de dépistage lors des consultations prénatales, comme chaque obstétricien, lorsque la maladie n’est encore apparue (54). Tout comportement à risque (prise d’alcool, de drogue…), manque d’investissement de la grossesse, infidélité aux rendez-vous ou, au contraire, beaucoup de consultations en urgence sans réel motif, des troubles du sommeil, la non expression des émotions doivent alerter la sage-femme qui doit amener la femme à consulter un psychologue ou un psychiatre. 11.4. Modèle suisse : Il existe à Genève, une unité mère-bébé comprenant 16 lits au sein de la maternité afin d’accueillir des mamans, jour et nuit, avec des pathologies psychiatriques mais également des pathologies somatiques. Cette unité a été demandée par la maternité elle-même pour palier aux difficultés de prise en charge de ces mères. Un pédiatre et un pédopsychiatre sont en permanence sur place pour gérer les situations compliquées. Après une brève discussion avec des sages-femmes qui ont déjà été confrontée à ce genre de situation (surtout dans des petites structures), elles rapportent toutes la nécessité d’avoir recours au moins à un psychiatre, et en particulier la nuit, en cas de problème et trouvent ce dispositif suisse très intéressant… 54 Conclusion Deux idées sont maintenant bien révolues : celle selon laquelle la grossesse protègerait des rechutes thymiques et celle qui édicte l’arrêt des traitements pour la grossesse. En effet, le lithium, l’olanzapine et la lamotrigine sont les thymorégulateurs dont la prescription est parfois possible au premier trimestre. Une réflexion de la patiente et au mieux du couple doit être proposée et assortie d’une information très complète orale et si possible écrite, concernant les risques et les bénéfices de l’interruption comme de la poursuite du traitement. L’enjeu thérapeutique ne justifie presque jamais la prise de risque que constituerait la poursuite au premier trimestre de l’acide valproïque, le valpromide, le divalproate de sodium, la carbamazépine et l’oxcarbazépine. Pour la lamotrigine, il y a trop peu de données pour ne pas la contre-indiquer. Pour les autres molécules, le principe de prudence s’applique : l’abstention. Dans la majorité des cas et dans le cadre d’une grossesse étroitement surveillée tant sur le plan obstétrical que psychiatrique, il est possible de reprendre un thymorégulateur après la période d’organogenèse. L’allaitement est déconseillé pour toutes les molécules sauf la carbamazépine, le valproate et ses dérivés. Dans tous les cas, le traitement doit être réinstauré dès le début du post-partum. Ces grossesses sont considérées à risques mais la sage-femme a une place privilégiée auprès de la femme afin d’assurer le meilleur avenir à la mère et son enfant. Le réel problème qui persiste actuellement est que sur 4 femmes qui sont bipolaires, 3 l’ignorent. C’est pourquoi, afin de dépister plus largement ces femmes, nous avons donc proposer un questionnaire simple qui pourrait être introduit dans le dossier obstétrical, au même titre que la prévention des comportements à risque, pour les orienter tout de suite vers un spécialiste (annexe 6). 55 Bibliographie Ouvrages : 1. Bydlowski M., Candilis D. Psychopathologie périnatale Paris : Puf, 1998, 148 p. 2. Dayan J., Andro G., Dugnat M. Psychopathologie de la périnatalité Paris : Masson, 2003, 549 p. 3. De Hert M., Thys E., Magiels G., Wyckaert S. Tout ou rien Guide destine aux personnes atteintes de trouble bipolaire Houtekiet, 2004, 64 p. 4. DSM IV : Diagnostic and Statistic Manual 4th edition Paris : Masson, 1998, 247 p. 5. Francoual F., Huraux- Rendu C., Bouillié J. Pédiatrie en maternité, 2ème ed. Paris : Flammarion médecine-sciences, 1999, 622 p. 6. Henry C. Clinique des troubles bipolaires Les dossiers de l’humeur Paris : Lilly France, 2005, 122 p. 7. Rouillon F. Epidémiologie des troubles bipolaires Les dossiers de l’humeur Paris : Lilly France, 2005, 104 p. 8. Rouillon F. Epidémiologie des troubles bipolaires Brochure à l’usage des patients et de leur entourage. Les dossiers de l’humeur Paris : Lilly France, 2005, 28 p. Articles de périodiques : 9. American Academy of Pediatrics Committee on Drugs. The transfer of drugs and other chemical into human milk. Pediatrics, 1994, 93, p. 137-150. 10. American Academy of Pediatrics Committee on Drugs. Transfer of drugs and other chemical into human milk. Pediatrics, 2001, 108, p. 776-789. 56 11. Angst J. The emerging epidemiology of hypomania and bipolar II disorder. Journal of Affective Disorders, 1998, 50, p. 143-151. 12. Arpino C., Brescianini S., Robert E. et al. Teratogenic effects of antiepileptic drugs : use of an International Database on malformation and Drug Exposure (MADRE) Epilepsia, 2000, 41, p. 1436-1443. 13. Baker J-P. Outcomes of lithium discontinuation. A meta-analysis. Lithium, 1994, 5, p. 187-192. 14. Chaudron L-H., Jefferson L-W. Mood stabilizers during breast feeding : a review. Journal of Clinical Psychiatry, 2000, 61, 79-90. 15. Chen Y-M., Disalver S-C. Comorbidity of panic disorder in bipolar illness: evidence from the ECA survey. American Journal psychiatry, 1995, 152 (2), p. 280-282. 16. Dell D-L., O’Brien B-W. Suicide in pregnancy. Obstetric Gynecology, 2003, 102, p. 1306-1309. 17. Elefant E., Cournot M-P., Vauzelle-Gardier C., Assari-Merabtene F. Grossesse et trouble bipolaire. Que prescrire ? Abstract Psychiatry, 2006, 18, p. 11-14. 18. Elia J., Katz I-R., Simpson G-M. Teratogenicity of psychotherapeutic medications. Psychopharmacology Bulletin, 1987, 23, p. 531-586. 19. El-Sayed Y-Y. Obstetric and gynecology care of women with epilepsy. Epilepsia, 1998, 39 (suppl. 8), p. 517-525. 20. Ernst C-L., Goldberg J-F. The reproductive safety profile of mood stabilizers, atypical antipsychotics and broad-spectrum psychotropics. Journal Clinical Psychiatry, 2002, 63 (suppl. 4), p. 42-55. 21. Etain B. La prise en charge du trouble bipolaire. Neuronale, 2006, 27 (cahier 1), p. 11-15. 22. Even C., Dorocant E-S., Thuile J. et al. Grossesse, allaitement et thymorégulateurs : éléments de décisions et règles pour la pratique. Encéphale, 2006, 32 (cahier 1), p. 224-230. 23. Freeman M-P., Wosnitzer Smith K., Freeman S., Mc Elroy S-L. et al. 57 The impact of reproductive events on the course of bipolar disorder in women. Journal Clinical Psychiatry, 2002, 63, p. 284-287. 24. Gardiner S-J., Kristensen J-H., Begg E-J. et al. Tranfert of olanzapine into breast milk, circulation of infant drug dose, and effect on breast-fed infants. American Journal Psychiatry, 2003, 160, p. 1428-1431. 25. Graff L-A., Dyck D-G., Schallow J-R. Predicting postpartum depressive symptoms: a structural modelling analysis. Perceptual and Motor Skills, 1991, 73, p.1137-1138. 26. Harris E-C., Barraclough B. Suicide as an outcome for mental disorders. A meta-analysis. British Journal Psychiatry, 1997, 170, p. 205-228. 27. Henry C. et coll. Emotional hyper-reactivity as a fundamental mood characteristic of manic and mixed states. European Psychiatry, 2003, 18, p. 124-128. 28. Hirschfeld RMA et coll. Screening for bipolar disorder in the community. Journal of Clinical Psychiatry, 2003, 64 (1), p. 53-59. 29. Holmes L-B., Wyszynski D-F., Baldwin E-J., Habecker E. et al. Increased risk for non-syndromic cleft palate among infants exposed to lamotrigine during pregnancy. Birth Defects Research Part A: Clinical and Molecular Teratology, 2006, 76 (suppl. 5), p. 318. 30. Jacobson S-J., Jones K., Johnson K. et al. Prospective multicentre study of pregnancy outcome after lithium exposure during first trimester. Lancet, 1992, 339, p. 530-533. 31. Kallen B., Tandberg A. Lithium and pregnancy. A cohort study on manic, depressive women. Acta. Psychiatry Scand., 1983, 68, p. 134-139. 32. Keck P-E., Mc Elroy S-L. Carbamazepine and valproate in the maintenance treatment of bipolar disorder. Journal of Clinical Psychiatry, 2003, 63 (suppl.10), p. 13-17. 33. Meischenguiser R., D’Giano C-H., Ferraro S-M. Oxcarbazepine in pregnancy: clinical experience in Argentina. Epilepsy and Behavior, 2004, 5, p. 163-167. 34. Murray E-J., Lopez P. The incremental effect of age weighting on YLLs, YLDs and DALYs : a reponse 58 Bull. World Health Organisation, 1996, 74 (4), 445-446. 35. Pennel P-B., Montgomery J-Q., Clements S-D., Newport D-J. Lamotrigine clearance markedly increases during pregnancy. Epilepsia, 2002, 43 (suppl. 7), p. 234. 36. Regier D-A. et coll. Comorbidity of mental disorders with alcohol and other drug abuse. Results from the Epidemiologic catchment area (ECA) study. JAMA, 1990, 264 (19), p. 2511-2518. 37. Romans S-E., Mc Pherson H-M. The social networks of bipolar affective disorder patients. Journal of Affective Disorders, 1992, 25 (4), p. 221-228. 38. Rosa F-W. Spina bifida in infants of women treated with carbamazepine during pregnancy. New-England Journal Medecine, 1991, 324, p. 674-677. 39. Sechter D., Vandel P. Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur. Guidelines for the treatment of mood disorders. EMC-Psychiatry, 2004, 1-11. 40. Shou M. Lithium treatment during pregnancy, delivery, and lactation: an update. Journal Clinical Psychiatry, 1990, 51, p. 410-413. 41. Shou M. What happened later to the lithium babies ? A follow up study of children born without malformations. Acta. Psychiatry Scand., 1976, 54, p. 193-197. 42. Stahl M-M., Neiderud J., Vinge E. Trombocytopenic purpura and anemia in a breast-fed infant whose mother was treated with valproïc acid. Journal of Pediatrics, 1997, 130, p. 1001-1003. 43. Suppes T., Baldessarini R-J., Faedda G-L. et al. Risk of recurrence following discontinuation of lithium treatment in bipolar disorder. Archive of General Psychiatry, 1991, 48, p. 1082-1088. 44. Tennis P., Eldridge R-R. Preliminary results on pregnancy outcomes in women using lamotrigine. Epilepsia, 2002, 43, p. 1161-1167. 45. Viguera A-C., Cohen L-S., Baldessarini R-J., Nonacs R. Managing bipolar disorder during pregnancy : weighing the risks and benefits. Canadian Journal Psychiatry, 2002, 47, p. 426-436. 59 46. Viguera A-C., Cohen L-S., Bouffard S., Whitfield T-H., Baldessarini R-J. Reproductive decisions by women with bipolar disorder after prepregnancy psychiatric consultation. American Journal Psychiatry, 2002, 159 (12), p. 2102-2104. 47. Viguera A-C., Nonacs R., Cohen L-S., Tondo L., Murray A., Baldessarini R-J. Risk of recurrence of bipolar disorder in pregnant and non pregnant women after discontinuing lithium maintenance. American Journal Psychiatry, 2000, 157, p. 179-184. 48. Weinstein M-D. The international register of lithium babies. Drug Information Journal, 1976, 10, p. 94-100. 49. Zalzstein E., Koren G., Einarson T. et al. A case-control study on the association between first trimester exposure to lithium and Ebstein’s anomaly. American Journal Cardiology, 1990, 65, p. 817-818. Sites internet : 50. Article R4127-313 du Code de Déontologie des Sages –Femmes http://www.ordre-sages-femmes.fr/pro/deonto/prodeontcode0.htm 51. Duverger P., Malka J. Troubles psychiques de la grossesse et du post-partum. Module 2 : De la conception à la naissance. http://www.med.univ-angers.fr/discipline/pedopsy/cours-fichiers 52. Henry C., Gay C. Etat de la recherche dans les troubles bipolaires Encyclopédie Orphanet, 2004. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-recherchedepression.pdf 53. Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes http://www.lecrat.org 54. Schaal J-P., Poizat A., Théry G. et al. Organiser la collaboration médico-psychologique en périnatalité : proposition de la société de psychologie périnatale. http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/journee-perinatalite/pdf/07-molenat.pdf 55. Courriers du service de pharmacologie clinique [email protected] 56. Le Vidal http://www.vidal.fr 60 Conférences, réunions et stage : 57. Dépression, Bipolarité et Grossesse Marra D., Claudel B., Lebrun-Vigues B. Paris, Site Pitié Salpétrière, 20/01/2007 58. Santé mentale et périnatalité : cohérence des conduites à tenir entre professionnels. David P., Winer N., Branger B., Danon G., Chiffoleau A., Boscher C. Nantes, Clinique Jules Verne, 19/09/2006 59. Séance de psycho-éducation : dépression bipolaire Louara C. Nantes, Hôpital de Jour, 26/02/2007 60. Stage au Home pendant 3 semaines CHU de Nantes, site St Jacques, 09/06 61 Annexes 62 Annexe 1 : Autoquestionnaire de Angst (11). CHECK-LIST OUI NON Moins d'heures de sommeil Davantage d'énergie et de résistance physique Davantage de confiance en soi Davantage de plaisir à faire plus de travail Davantage d'activités sociales (plus d'appels téléphoniques, plus de visites...) Plus de déplacements et voyages Davantage d'imprudence au volant Dépenses d'argent excessives Comportements déraisonnables dans les affaires Surcroît d'activité (y compris au travail) Davantage de projets et d'idées créatives Moins de timidité, moins d'inhibition Plus bavard que d'habitude Plus d'impatience ou d'irritabilité que d'habitude Attention facilement distraite Augmentation des pulsions sexuelles Augmentation de la consommation de café et de cigarettes Augmentation de la consommation d'alcool Exagérément optimiste, voire euphorique Augmentation du rire (farces, plaisanteries, jeux de mots, calembours) Rapidité de la pensée, idées soudaines, calembours... Il est à remplir par le patient lui-même lorsqu’il n’est pas dans un épisode aigu. Un score total supérieur ou égal à 10 se révèle hautement suggestif du diagnostic d'épisode hypomaniaque. 63 Annexe 2 : Le traitement des épisodes aigus dépressifs (39) ECT : électroconvulsivothérapie. 64 Annexe 3 : Le traitement des épisodes aigus maniaques (39) 65 Annexe 4 : Le traitement des récidives (39) Traitement de consolidation : - Maintien du traitement pendant au minimum 6 mois puis suivi de longue durée - Psychothérapie - Information sur la maladie et les facteurs déclenchants GUERISON Prévention des récidives : prolongation du traitement sur une longue durée (année), voire à vie. 66 Annexe 5 : Document d’information destiné aux patientes recevant du lithium et ayant un désir de grossesse (22). Si vous êtes traitée par lithium pour stabiliser votre humeur et que vous souhaitez avoir un enfant, ce document est destiné à compléter les informations de votre psychiatre et à vous aider à réfléchir concernant l’arrêt ou non du lithium en vue d’une grossesse. er Auparavant, le lithium était toujours contre-indiqué au 1 trimestre de la grossesse. Aujourd’hui, dans certains cas, il est jugé préférable de maintenir le traitement. Ainsi, le dictionnaire Vidal ne mentionne plus la grossesse comme étant une contre-indication absolue au lithium. Il est possible que le lithium augmente le risque d’une malformation cardiaque appelée maladie d’Ebstein. Il s’agit d’une malformation souvent sévère d’une valve du cœur droit qui touche un nouveau-né sur 20 000 et qui nécessite souvent un traitement chirurgical. Cette intervention est délicate mais permet généralement une réparation complète. La réalité d’un risque accru de maladie d’Ebstein pour les grossesses au lithium est incertaine. Ce risque serait au maximum de 1/1000, soit 20 fois plus que pour les grossesses de la population générale. Il est également important de savoir que les enfants d’une grossesse sous lithium ont un développement intellectuel et moteur normal. Les autres thymorégulateurs (médicaments qui stabilisent l’humeur) n’offrent malheureusement pas une alternative satisfaisante car ils comportent un risque de malformations. En effet, le risque de spina bifida a été observé comme voisin de 1% lors de l’exposition prénatale a la carbamazépine (Tégrétol ®) et évalué de 1 a 5 % lors de l’exposition prénatale au valproate de sodium (Dépakine ®). Ce trouble peut, dans les cas les plus graves conduire à une paraplégie (paralysie des jambes). Pour les produits thymorégulateurs plus récents, on ne dispose pas de données précises et, par prudence, il vaut donc er mieux ne pas les utiliser pendant une grossesse, surtout au 1 trimestre. En pratique, il faut peser le pour et le contre du maintien comme de l’interruption du lithium. Le risque malformatif, dans le cas du maintien du lithium devra être mis en balance avec celui, dans le cas de l’arrêt du lithium, d’une rechute dépressive ou maniaque lors de la grossesse et de ses conséquences pour vous, voire pour votre enfant (ingestion médicamenteuse volontaire lors d’une rechute dépressive, conduite à risque lors d’une rechute maniaque, etc.). Il est nécessaire de prendre en compte le fait que le risque de rechute a l’arrêt du lithium est majeur (50% de rechute dans les 3 mois) et que votre grossesse ne peut survenir que des mois après la décision d’interrompre votre contraception. En pratique, si votre maladie était très sévère avant que vous ne preniez du lithium (rechutes très intenses et très nombreuses) et qu’elle est très bien stabilisée depuis, il peut être préférable de ne pas interrompre le lithium pour votre grossesse. Si votre maladie est stabilisée, vous et si possible votre conjoint, après un temps d’information et de réflexion avec votre psychiatre, prendrez la décision d’arrêter ou non le lithium en vue d’une er grossesse. En fait, le problème ne se pose que pour le 1 trimestre de la grossesse, période de la er formation des organes (organogenèse du 14ème jour à la fin du 1 trimestre) et plus précisément pour la période de formation du cœur (18ème au 40ème jour de grossesse). Si le lithium vous est bénéfique, il sera de toute façon repris après cette période. Mener une grossesse sous lithium implique un suivi obstétrical et psychiatrique rapproché : - les échographies devront être réalisées par des praticiens tout particulièrement expérimentés dans le ème diagnostic anténatal des malformations cardiaques. Une échographie à la 15 semaine d’aménorrhée permet de détecter une forme grave de maladie d’Ebstein. Une forme légère ne sera ème ème détectable en échographie que vers la 20 ou 22 semaine d’aménorrhée. Ces formes légères ne paraissent pas pouvoir relever d’une éventuelle interruption thérapeutique de grossesse ; - des contrôles fréquents de votre lithémie (taux de lithium dans le sang) seront nécessaires ; - une diminution de la dose de 25 à 30% quelques jours avant l’accouchement sera nécessaire ; - l’allaitement vous sera déconseillé sous lithium. Enfin, si votre maladie n’est pas encore bien stabilisée, une contraception efficace doit être maintenue en attendant d’obtenir une bonne stabilisation. 67 Annexe 6 : Questionnaire simple qui pourrait être introduit dans le dossier obstétrical de la patiente Pour aider les obstétriciens et les sages-femmes à dépister plus facilement un trouble de l’humeur et plus généralement une dépression, un questionnaire simple pourrait être intégré au dossier obstétrical afin de faciliter les questions qui paraissent parfois délicates : - Prenez-vous un traitement pour dormir ou des antidépresseurs ? - Avez-vous des antécédents de dépressions et/ou de troubles psychotiques dans votre famille ? - Avez-vous vous-même déjà fait une dépression ? - Est-ce que ces périodes de dépression ont été précédées ou suivies par des états de bien-être voire d’euphorie ? - Qu’en pense votre entourage ? Si ces réponses venaient à être positives, proposer l’auto questionnaire d’hypomanie de Angst (annexe 1) afin d’affiner la direction du diagnostic et faire prendre rendez-vous pour une consultation en urgence avec un psychiatre. 68 NOM : BUTON PRENOM : LUDIVINE Titre du mémoire : Troubles bipolaires et périnatalité Résumé De nombreuses femmes bipolaires posent le problème de la thymorégulation lors de leur grossesse et plus particulièrement lors du premier trimestre. On sait maintenant que la grossesse ne protège pas de la maladie et que l’arrêt systématique des médicaments peut être préjudiciable pour la mère. Le risque fœtal est donc à mettre en balance avec la réussite thérapeutique maternelle. D’après la littérature, trois thymorégulateurs sont compatibles avec la grossesse : le lithium, l’olanzapine et la lamotrigine. Ce traitement doit s’accompagner d’une prise en charge psychothérapeutique afin d’améliorer son efficacité. La maladie, sur le plan obstétrical, n’interfère pas avec l’accouchement en revanche, le post-partum est à haut risque de décompensation thymique ; une couverture pharmacologique est alors indispensable. Les médicaments tératogènes pour le fœtus, l’acide valproïque et la carbamazépine, sont au contraire les seuls autorisés pour l’allaitement. Enfin, le rôle de la sage-femme est de permettre la bonne instauration du lien mère-enfant fragilisé par la maladie. Mots-clés Troubles bipolaires – Grossesse – Thymorégulateurs – Lithium - Prise en charge Prévention 69