4 JOËL BELLAÏCHE
Comme nous l’avons dit, cette forme précise du théorème de Chebotarev effectif n’a à notre connais-
sance pas été utilisée jusqu’ici (mentionnons tout de même que dans le livre [15] de Kowalski, une variante
pour L/Qremplacée par une extension de corps de fonctions l’est). En revanche, des formes affaiblies
de ce résultat ont souvent été utilisées, à savoir celles qu’on obtient en remplaçant λ(D)par |D|, ce qui
revient à appliquer la majoration triviale λ(D)≤ |D|– c’est le théorème employé par exemple dans
[23], qui est une légère amélioration du théorème de Lagarias et Odlyzko, [16], que nous appellerons ici
la version de Lagarias-Odlyzko-Serre, ou bien λ(D)par p|D|(ce qui revient à appliquer la majoration
dite "de Cauchy-Schwarz" λ(D)≤p|D|) – c’est le théorème employé par exemple dans [19] et [20], que
nous appellerons la version de Murty-Murty-Saradha.
Pour obtenir une application du théorème de Chebotarev effectif ci-dessus qui ne soit pas directement
conséquence de la version de Murty-Murty-Saradha, il faut donc, dans des cas particuliers intéressants,
prouver une meilleure majoration de λ(D)que la borne p|D|. Dans la plupart des applications, on
travaille avec une famille (Lν)ν≥1de corps de nombres galoisiens sur Qde groupes de Galois Gν, dont
l’ordre |Gν|tend vers l’infini, et avec une famille de sous-ensembles Dνde Gνinvariants par conjugaison,
et il importe d’obtenir une majoration de λ(Dν)qui soit asymptotiquement meilleure que la majoration
λ(Dν)≤ |Dν|1/2, par exemple une majoration de la forme λ(Dν)≤ |Dν|αavec α < 1/2. Afin d’aider
à l’obtention de telles majorations, nous développons une "boîte à outils" permettant de manipuler cet
invariant λ(D)(et plus généralement λ(f)). Certains de ces outils sont des transpositions de techniques
utilisées par Serre dans [23] ou par Murty-Murty-Saradha dans [19] pour obtenir de meilleurs résultats
que ce qu’ils obtiendraient par une application directe de leurs versions respectives du théorème de
Chebotarev. Cependant, alors que pour Serre et Murty-Murty-Saradha ces techniques supposaient de
changer, souvent plusieurs fois, l’extension de corps de nombres considérée et de traduire, de manière
parfois un peu délicate, les résultats pour une extension en termes d’une autre, elles deviennent dans
le langage de la complexité de Littlewood des lemmes élémentaires sur les représentations des groupes
finis. Ainsi, la complexité de Littlewood permet non seulement d’obtenir de meilleurs résultats que ceux
de [23] et [19] par exemple, mais aussi de retrouver plus simplement les leurs.
Quand la table des caractères d’un groupe fini Gest connue, on peut en théorie calculer la complexité
de Littlewood λG(D)de n’importe quel ensemble invariant par conjugaison D, et la comparer avec la
majoration de Cauchy-Schwarz p|D|. La table des caractères est connue dans plusieurs cas particuliè-
rement importants dans les applications : celui où Gest abélien, celui où Gest le groupe symétrique Sn,
pour lequel on dispose d’une description combinatoire de la table des caractères, ou encore celui où G
est un groupe fini de type de Lie, où la théorie de Deligne-Lusztig et les travaux subséquents de Lusztig
donnent une description complète des caractères. "En théorie" seulement, car le calcul se révèle souvent
extrêmement difficile, même dans le cas abélien. Nous donnons dans cet article un certain nombre de
tels calculs : dérangements dans Sn, matrices de traces fixées dans GLn(F`)ou dans GSP4(F`). Comme
cette liste le suggère, il reste beaucoup à faire, en particulier une étude systématique en utilisant la
théorie de Deligne-Lusztig de la complexité de Littlewood de l’ensemble des matrices de trace donnée
dans un sous-groupe de type de Lie de GLn(F`).
Notons par ailleurs qu’il n’est pas difficile de voir (cf. §2.1) que λ(f)est égale à la norme d’algèbre
||f||A(G)de f, une notion introduite par Pierre Eymard en 1964 pour une fonction fsur un groupe
localement compact ([8]), et bien plus ancienne dans le cas d’un groupe abélien localement compact G,