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territorial chez certains oiseaux), dans l’appel sexuel (le chant nuptial), dans la
communication du jeune avec ses parents ou entre individus de l’espèce. Ceci
inclut la communication des divers états émotionnels.
Beaucoup d’animaux vivent en colonies : grenouilles, otaries, manchots… Dans
le laboratoire CNRS de Thierry Aubin à la faculté des sciences d’Orsay, des travaux
particulièrement intéressants ont été effectués sur les grands manchots, le manchot
empereur et le manchot royal, qui vivent au sein de colonies de plusieurs milliers
d’individus, dans lesquelles le niveau sonore excède en moyenne 70dB. Comment
le membre du couple parti à la recherche de nourriture parvient-il, exclusivement
par reconnaissance vocale du « chant de cour » émis par son partenaire, à le
retrouver dans une telle cacophonie, tandis que ce dernier incube leur œuf ou élève
leur poussin ? L’identification des paramètres des messages sonores qui portent la
signature de l’identité vocale individuelle se fonde sur des études comportementales
qui mettent en jeu la reconnaissance vocale. Le « chant de cour » enregistré est
ré-émis en « play back » après en avoir ou non modifié une ou plusieurs
caractéristiques. Les spectrogrammes de ces chants font apparaître leur modulation
en intensité (amplitude des sons) et en fréquence, au cours du temps. La propagation
de ces sons dans le milieu est également analysée. Ce « chant de cour », véritable
empreinte vocale, à l’origine d’une reconnaissance infaillible, ne comporte que cinq
à six syllabes, séquences sonores d’environ une demi-seconde, riches en harmoniques
(multiples entiers de la fréquence fondamentale). Leur spectrogramme montre que
toutes les bandes de fréquence sont doublées : on parle de phénomène de « double
voix ». Cette « double voix » augmente considérablement le nombre des
combinaisons possibles des signaux fréquentiels, et diminue donc la probabilité de
l’existence de deux signatures vocales identiques. Ces deux voix tiennent aux
particularités de l’appareil phonatoire des oiseaux, le syrinx. Il se situe à la base de
la trachée, et non à son sommet comme le larynx des mammifères. Dans cet
organe vibratoire, comme dans le larynx, la pression de l’air venu des poumons est
modulée par la vibration de membranes, créant ainsi des ondes de pression sonores.
Or, chez certains oiseaux, la forme du syrinx est telle que sa partie droite et sa
partie gauche peuvent vibrer indépendamment, et donc à des fréquences distinctes,
d’où le phénomène de « double voix », présent chez les manchots empereurs et
royaux. La signature vocale tient aussi à la modulation en fréquence (basses
fréquences) des sons émis, qui est caractéristique de chaque individu. Une signature
vocale unique est donc obtenue par la combinaison de la modulation en fréquence
et de la double voix. Chez les manchots, la résistance au masquage produit par un
bruit ambiant est telle qu’ils sont capables de discriminer un chant dont l’intensité
est de 6 dB inférieure à celle du bruit environnant. Cette possibilité tient
essentiellement à la redondance de l’information qui existe dans le message sonore ;
les différentes syllabes sont répétées un grand nombre de fois. De plus, la localisation
de la source émettrice est facilitée par la modulation en amplitude du message
sonore. Si ces caractéristiques du son émis représentent une adaptation évolutive,
d’autres types d’adaptation peuvent être observés lors d’un changement
d’environnement, créant par exemple des bruits anthropogéniques. L’adaptation est