Du Contrat de Lecture au Contrat de Conversation 53
dans un dispositif sémiotique. Les études qui en découlent s’inscrivent à la fois dans
des approches « en émission », sous forme d’analyses sémiotiques d’un Contrat de
Lecture spécifique dans son champ de concurrence (les titres du même segment
de presse), et en « réception », sous forme d’analyses qualitatives du discours
rationnel, mais aussi imaginaire, « projectif » des lecteurs engagés dans ce type
de contrat. La plupart des dispositifs d’étude mis en œuvre dans ce domaine
articulent ces deux dimensions, vérifiant, dans des démarches qualitatives auprès
des lecteurs interrogés en groupe ou individuellement, des hypothèses sémiotiques
posées en chambre à travers l’analyse souvent comparative de corpus et portant sur
l’ensemble des dimensions du magazine : textes, images, mise en page, couverture,
etc. Ces approches ont vocation à contribuer au pilotage d’un titre dans le temps et
à son optimisation, justement quand l’éditeur pressent que le contrat est en train
de se dénouer ; mais elles sont aussi utilisées pour accompagner des lancements de
titres nouveaux, l’analyse des réactions des lecteurs et du champ de concurrence
permettant d’hypostasier une identité et un positionnement encore virtuels. Cette
méthodologie est aussi utilisée de manière un peu différente pour bâtir des
argumentaires visant à convaincre les annonceurs de la pertinence des supports
qu’ils peuvent choisir pour communiquer, puisque le « Contrat de Lecture »
permet de dessiner la figure idéalisée du récepteur. Si le concept s’est vulgarisé, si ses
fondements théoriques sont moins lisibles aux acteurs eux-mêmes, il est devenu,
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une méthode effectivement mise en œuvre.
Le modèle, et c’est un autre signe de son succès, a été rapidement étendu avec
profit à la télévision, à la radio et à l’ensemble des médias. On a pu ainsi parler de
« contrat de chaîne » en télévision, mais aussi de « contrat d’émission », montrant
par là qu’il pouvait être utilisé à différents niveaux d’intelligibilités médiatiques.
Deux journaux télévisés du soir obéiront au même genre (celui du journal du
20 heures, par exemple de France 2 et de TF1) et traiteront des mêmes sujets,
mais dans des Contrats de Lecture parfaitement distincts aux yeux mêmes des
téléspectateurs par la relation établie avec eux, symétrique et distante ici, proche
et dissymétrique là, et par la manière de mettre en scène le monde, construit ici sur
le mode de l’intelligibilité, là sur le mode de l’affectivité, ici en mettant en scène
le citoyen, là le peuple. Autre exemple, Turbo(surM6)etAuto-Moto (sur TF1)
parleront ainsi identiquement du monde automobile, mettront en scène les mêmes
modèles, mais l’un dans une relation d’abord accessible et pédagogique, inscrivant
la voiture dans un paysage dont elle est le prétexte, l’autre sur une base plus experte
et plus polémique, avec une tendance à soulever davantage le capot des voitures
présentées pour elles-mêmes. La relation avec le téléspectateur et la construction du
monde automobile sont bien différentes. Ainsi cette conceptualisation théorique
est-elle devenue un véritable outil, volontiers schématisé, et un langage commun
aux producteurs, ou au moins certains d’entre eux, et aux analystes spécialisés
formés à la sémiotique du discours, verbal ou visuel. Cet outil a l’avantage
d’objectiver sous ses deux faces (production/réception) la relation entre le lecteur
etletitreetdepermettredesrecommandationspréciseséchappantauseulflair
ou au seul talent des journalistes. Il fait partie de l’habitus professionnel des gens
de presse et rapproche méthodologiquement les publics des médias qui les visent,
communication & langages – n◦169 – Septembre 2011