C. Grasland, Univ. Paris Diderot / M2 SDT GEOPRISME / Analyse spatiale des phénomènes sociaux
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Analyse spatiale des phénomènes sociaux (M2)
Chapitre 1
INTRODUCTION A lANALYSE SPATIALE DES
PHENOMENES SOCIAUX
Claude GRASLAND Professeur de Géographie - Université Paris Diderot
Objectifs
1 - Déconstruire quatre oppositions binaires sources de confusion.
2- Définir le cadre général de l'enseignement proposé
3- Appliquer ce cadre sur un exemple théorique et un exemple réel
Plan de cours
1. Quatre oppositions fallacieuses (obstacles épistémologiques)
1.1) SOCIAL / SPATIAL
1.2) SPATIAL / TERRITORIAL
1.3) QUALITATIF / QUANTITATIF
1.4) MICRO / MACRO
2. Un cadre théorique à la frontière de la géographie et de la sociologie
2.1) Blau & Tobler
2.2) Positions sociales et spatiales
2.3) Interactions et positions
2.4) Echelles et temporalités
3. Quelques exemples dapplication
3.1) Lexemple de la prison
3.2) Lexemple de lélectrification à Yemessoa
3.3) Lexemple du retard et de la mobilité des collégiens en Ile de France
Bibliographie
Blau P.M., 1977, Inequality and heterogeneity, New York, Free Press
Blau P.M., 1993, « Multilevel Structural Analysis », Social Networks, 15, pp. 201-
215.
Boudon R., 1970, L’analyse mathématique des faits sociaux, Plon, Paris, 2nd edition,
1970.
Degenne A., Forsé M., 1994, Les réseaux sociaux, Masson, Paris
Durkheim E., 1894, Le suicide, Chapitre IV, L'Imitation
Grasland C., 2009, “Spatial Analysis of Social Facts”, in :Bavaud F. & Mager C.
(Eds),. Handbook of Theoretical and Quantitative Geography, Lausanne, FGSE, pp.
117-174
Raffestin C., 1978, "Les construits en géographie humaine : notions et concepts",
Géopoint 1978, Univ. de Lyon II, Lausanne et Genève, pp. 55-73
Simmel G., 1999 (1903), Sociologie, PUF, Paris,
Tobler W., Wineburg S., 1971, A Cappadocian Speculation, Nature, Friday May 7
1971, No. 5297 Vol. 231, pp. 39-41
Tobler W.R., 2004, On the First Law of Geography: A Reply, Annals of the
Association of American Geographers, 1467-8306, Volume 94, Issue 2, 2004, pp.
290-293
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Document 1.1 : Textes de Simmel et Durkheim sur les frontières et les
discontinuités
"Dans tous les rapports des hommes entre eux, la notion de frontière est d'une importance
capitale même si son sens n'est pas toujours sociologique; car assez souvent elle ne signifie
que le fait qu'une personnalité a trouvé ses limites, quant à sa force, son intelligence, sa
résistance ou sa jouissance - mais sans qu'à ce terme s'installe une autre personnalité dont la
propre frontière rendrait plus visible celle de la première. Ce dernier cas de figure, la
frontière sociologique, implique une action réciproque tout à fait particulière. Chacun des
deux éléments agit sur l'autre en lui fixant la frontière, mais le contenu de cette action est
justement la détermination de ne pas vouloir ou pouvoir du tout agir au-delà de cette
frontière, donc sur l'autre. Si cette notion universelle de limitation réciproque est tirée de la
frontière spatiale, celle-ci n'est pourtant, plus profondément, que la cristallisation ou la
spatialisation des processus psychiques de délimitation, seuls effectifs. Ce ne sont pas les
pays, les terrains, les territoires de villes ou de cantons qui se limitent mutuellement, mais
leurs habitants ou propriétaires qui exercent cette action réciproque dont je viens de parler.
La coexistence de deux personnalités ou ensembles de personnalités confère à chacun une
cohésion interne en soi, une dépendance mutuelle de ses éléments, un rapport dynamique
entre le centre et eux; et c'est précisément ainsi que s'établit entre les deux termes ce que
symbolise la frontière dans l'espace, le parachèvement de la norme positive du pouvoir et du
soit dans son propre domaine par la conscience que le pouvoir et le droit ne s'étendent
justement pas jusque dans l'autre domaine. La frontière n'est pas un fait spatial avec des
conséquences sociologiques, mais un fait sociologique qui prend une forme spatiale."
G. Simmel, 1999 (1903), Sociologie, PUF, Paris, p. 607
"En définitive, ce que nous montrent toutes les cartes, c'est que le suicide, loin de se disposer
plus ou moins concentriquement autour de certains loyers à partir desquels il irait en se
dégradant progressivement, se présente, au contraire, par grandes masses à peu près
homogènes (mais à peu près seulement) et dépourvues de tout noyau central. Une telle
configuration n'a donc rien qui décèle l'influence de l'imitation […]"
"Il n'y a ici ni imitateurs ni imités, mais identité relative dans les effets due à une identité
relative dans les causes. Et on s'explique, aisément qu'il en soit ainsi si, comme tout ce qui
précède le fait déjà prévu, le suicide dépend essentiellement de certains états du milieu social.
Car ce dernier garde généralement la même constitution sur d'assez larges étendues de
territoire. Il est donc naturel que, partout il est le même, il ait les mêmes conséquences
sans que la contagion y soit pour rien. C'est pourquoi il arrive le plus souvent que, dans une
même région, le taux des suicides se soutienne à peu près au même niveau. […]"
"Ce qui prouve que cette explication est fondée, c'est qu'on le voit se modifier brusquement
du tout au tout chaque fois que le milieu social change brusquement. Jamais celui-ci n'étend
son action au delà de ses limites naturelles. Jamais un pays que des conditions particulières
prédisposent spécialement au suicide n'impose, par le seul prestige de l'exemple, son
penchant aux pays voisins, si ces mêmes conditions ou d'autres semblables ne s'y trouvent pas
au même degré. "
Durkheim E., 1894, Le suicide, Chapitre IV, L'Imitation
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Les géographes ne sont évidemment pas les seules à s'intéresser aux limites et aux discontinuités et les autres
disciplines de sciences sociales ou de sciences physiques peuvent apporter beaucoup à la compréhension
phénomènes de limite ou de discontinuité en géographie. Les géographes n'ont d'ailleurs même pas le monopole
de l'étude des limites territoriales ou des discontinuités spatiales auxquelles ils se ont intéressé assez tardivement,
et surtout sous l'angle de la géographie politique (e.g RATZEL) ou de la géographie physique (limites
climatiques, biogéographiques, topographiques, …). L'un des premiers auteurs français à avoir étudié de façon
détaillé la signification des discontinuités dans la distribution des phénomènes sociaux est Durkheim dans Le
Suicide (1894). Dans le chapitre 4 de cet ouvrage, Dukheim cherche à réfuter le rôle de l'imitation et veut
montrer que le suicide est un phénomène social global et non pas un phénomène psychologique reposant sur des
déterminants individuels. Il utilise un raisonnement spatial et cartographique pour montrer que, si l'imitation était
un facteur déterminant du suicide, celui-ci afficherait une distribution spatialement continue organisée par des
gradients autour des foyers émetteurs que sont les grands pôles de concentration du peuplement (Figure 1). Si
au contraire le suicide est lié à un milieu social global, sa distribution doit former des régions homogènes
séparées par des discontinuités (Figure 2).
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Document 1.2 : Trois textes de Simmel sur la question de l'individu et des
formes d'association.
« Le fait que les individus sont à côté les uns des autres, par conséquent extérieurs les uns aux autres,
n’empêche pas l’unité sociale de se constituer ; l’union spirituelle des hommes triomphe de leur séparation
spatiale. De même, la séparation temporelle des générations n’empêche pas que leur suite ne forme pour notre
représentation un tout ininterrompu. Chez les êtres que l’espace sépare, l’unité résulte des actions et des
réactions qu’ils échangent entre eux ; car l’unité d’un tout complexe ne signifie rien d’autre que la cohésion et
cette cohésion ne peut être obtenue que par le concours mutuel des forces en présence
« Le facteur dont l’idée se présente le plus immédiatement à l’esprit pour rendre compte de la continuité des
êtres collectifs, c’est la permanence du sol sur lequel ils vivent. L’unité, non pas seulement de l’Etat ,mais de la
ville et de bien d’autres associations, tient d’abord au territoire qui sert de substrat durable à tout changement
que subit l’effectif de la société. A vrai dire, la permanence du lieu ne produit pas à elle seule la permanence de
l’unité sociale ; car, quand la population est expulsée ou asservie par un peuple conquérant, nous disons que
l’Etat a changé bien que le territoire reste le même. En outre, l’unité dont il s’agit ici est toute psychique, et
c’est cette unité psychique qui fait vraiment l’unité territoriale, loin d’en dériver. Cependant, une fois qu’elle
s’est constituée, elle devient à son tour un soutien pour la première et l’aide à se maintenir. Mais bien d’autres
conditions sont nécessaires. La preuve c’est que nombre de groupes n’ont aucun besoin de cette base matérielle.
[...] En définitive, cette première condition n’assure guère que d’une manière formelle la persistance du groupe
à travers le temps. »
G. Simmel, 1896-1897, Comment les formes sociales se maintiennent, in Sociologie et Epistémologie, PUF,
1981, pp. 175-176
« Comment donc, si les êtres individuels existent seuls, expliquer le caractère supra-individuel des phénomènes
collectifs, l’objectivité et l’autonomie des formes sociales ? Il n’y a qu’une manière de résoudre cette antinomie.
Pour une connaissance parfaite, il faut admettre qu’il n’existe rien que des individus. Pour un regard qui
pénétrerait le fond des choses, tout phénomène qui paraît constituer au-dessus des individus quelque unité
nouvelle et indépendante se résoudrait dans les actions réciproques entre les individus. Malheureusement cette
connaissance nous est interdite. Les rapports qui s’établissent entre les hommes sont si complexes qu’il est
chimérique de vouloir les ramener à leurs éléments ultimes. Nous devons plutôt les traiter comme des réalités
qui se suffisent à elles-mêmes. C’est donc seulement par méthode que nous parlons de l’Etat, du droit, de la
mode, etc., comme si c’étaient des êtres indivis. C’est ainsi encore que nous parlons de la vie commune d’une
chose unique, tout en admettant qu’elle se réduit à un complexus d’actions et de réactions physico- chimiques
échangées entre les derniers éléments de l’organisme. Ainsi se résout le conflit entre la conception individualiste
et ce que l’on pourrait appeler la conception moniste de la société ; celle-là correspond à la réalité, celle-ci à
l’état borné de nos facultés d’analyse ; l’une est l’idéal de la connaissance, l’autre exprime sa situation
actuelle»
G. Simmel, 1896-1897, « Comment les formes sociales se maintiennent », in Sociologie et Epistémologie, PUF,
1981, pp. 174
« Si la sociologie devait réellement, comme on le prétend, embrasser l’ensemble de tout ce qui arrive dans la
société, et exécuter la réduction de tout l’individuel au social, elle ne serait rien, alors, qu’un nom général pour
la totalité des sciences modernes de l’esprit. Du même coup, elle ouvrirait la porte aux généralisations vides et
aux abstractions apanage de la philosophie. [...] Une sociologie proprement dite étudiera seulement ce qui est
spécifiquement social, la forme et les formes de l’association en tant que telle, abstraction faite des intérêts et
des objets particuliers qui se réalisent dans l’association.[...] Il y a société, au sens large du mot, partout où il y
a action réciproque des individus. [...] Les causes particulières et les fins sans lesquelles naturellement il n’y
aurait pas d’association, sont comme le corps, la matière du processus social ; que le résultat de ces causes, que
la recherche de ces fins entraîne nécessairement une action réciproque, une association entre les individus, voilà
la forme que revêtent les contenus. Séparer cette forme de ces contenus, au moyen de l’abstraction scientifique,
telle est la condition sur laquelle repose l’existence d’une science spéciale de la société. »
G. Simmel, 1894, Le problème de la sociologie, in Sociologie et Epistémologie, PUF, 1981, pp. 164
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Document 2.1 : Cadre théorique : le sysme des positions émentaires
Blau’s structural analysis begins by defining a multidimensional space by way of describing the social position of
individuals according to a range of properties known as structural parameters. According to Blau, structural
parameters belong to either one of two elementary kinds that may combine to form more complex combinations.
(1) Nominal parameters pertain to the qualitative attributes of individuals and define social categories such as
ethnic group, religious affiliation, professional activity, etc. The degree of differentiation of nominal positions is a
reflection of the heterogeneity defined by Blau in the simplest sense of the term as the probability that two
members of a given population belong to different groups.
(2) Graduate parameters refer to quantitative attributes, i.e. continuous distributions of differences of resources
and statuses such as income, education, etc. that serve to define social strata. The degree of differentiation of
graduate parameters reflects inequality, defined at its most basic as the coefficient of variation (or Gini index) of
differences between levels.
Applied to the study of geographical positions, Blau’s distinction overlaps with the distinction made in my own
work and discussed in the previous section between territorial parameters and spatial parameters of location.
(3) Territorial parameters pertain to qualitative variables of the location of individuals such as their affiliation with
different territorial grids, which operate an exhaustive partition of space and society. Every individual belongs to
one or several territorial grid; the status of these parameters is formally equivalent to the status of the nominal
parameters defined by Blau. In its paper of 1977 on ‘Macro sociological theory’ Blau include ‘places’ as a
particular case of nominal parameter and proposes some specific theorems related to the effect of place location
and distance. But he does not consider as useful to distinguish this parameter of other categorical variables like
sex or religion, even if it recognizes that they produce specific effects on social integration and organization of
heterogeneity and inequalities.
(4) Spatial parameters refer to quantitative variables of location such as a system of coordinates including
latitude (X) and longitude (Y). This two-dimensional space may be characterized by a metrics with the usual
properties of mathematical distance (identity, symmetry, triangular inequality). Note the significant difference with
Blau’s level variables; insofar as spatial parameters commonly operate in pairs (a system of coordinates with a
metrics) and, in most cases, they are not oriented.
MATHEMATICAL PROPERTIES
NOMINAL / QUALITATIVE
(-> Heterogeneity)
Area of
uncertainty
GRADUATE / QUANTITATIVE
(-> Inequality)
SOCIETAL PROPERTIES
Social category
(ex. religion)
(ex. Cast, social
class or
professional
category)
Social level
(ex. income)
Area of uncertainty
(ex. nationality)
(ex. ethnical
Group)
(ex. distance from a center)
Territorial location
(ex. administrative units)
(ex. position in
urban network)
Spatial location
(ex. latitude, longitude)
Source : Grasland C., 2009,
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