C. Grasland, Univ. Paris Diderot / M2 SDT GEOPRISME / Analyse spatiale des phénomènes sociaux
412
Document 1.2 : Trois textes de Simmel sur la question de l'individu et des
formes d'association.
« Le fait que les individus sont à côté les uns des autres, par conséquent extérieurs les uns aux autres,
n’empêche pas l’unité sociale de se constituer ; l’union spirituelle des hommes triomphe de leur séparation
spatiale. De même, la séparation temporelle des générations n’empêche pas que leur suite ne forme pour notre
représentation un tout ininterrompu. Chez les êtres que l’espace sépare, l’unité résulte des actions et des
réactions qu’ils échangent entre eux ; car l’unité d’un tout complexe ne signifie rien d’autre que la cohésion et
cette cohésion ne peut être obtenue que par le concours mutuel des forces en présence .»
« Le facteur dont l’idée se présente le plus immédiatement à l’esprit pour rendre compte de la continuité des
êtres collectifs, c’est la permanence du sol sur lequel ils vivent. L’unité, non pas seulement de l’Etat ,mais de la
ville et de bien d’autres associations, tient d’abord au territoire qui sert de substrat durable à tout changement
que subit l’effectif de la société. A vrai dire, la permanence du lieu ne produit pas à elle seule la permanence de
l’unité sociale ; car, quand la population est expulsée ou asservie par un peuple conquérant, nous disons que
l’Etat a changé bien que le territoire reste le même. En outre, l’unité dont il s’agit ici est toute psychique, et
c’est cette unité psychique qui fait vraiment l’unité territoriale, loin d’en dériver. Cependant, une fois qu’elle
s’est constituée, elle devient à son tour un soutien pour la première et l’aide à se maintenir. Mais bien d’autres
conditions sont nécessaires. La preuve c’est que nombre de groupes n’ont aucun besoin de cette base matérielle.
[...] En définitive, cette première condition n’assure guère que d’une manière formelle la persistance du groupe
à travers le temps. »
G. Simmel, 1896-1897, Comment les formes sociales se maintiennent, in Sociologie et Epistémologie, PUF,
1981, pp. 175-176
« Comment donc, si les êtres individuels existent seuls, expliquer le caractère supra-individuel des phénomènes
collectifs, l’objectivité et l’autonomie des formes sociales ? Il n’y a qu’une manière de résoudre cette antinomie.
Pour une connaissance parfaite, il faut admettre qu’il n’existe rien que des individus. Pour un regard qui
pénétrerait le fond des choses, tout phénomène qui paraît constituer au-dessus des individus quelque unité
nouvelle et indépendante se résoudrait dans les actions réciproques entre les individus. Malheureusement cette
connaissance nous est interdite. Les rapports qui s’établissent entre les hommes sont si complexes qu’il est
chimérique de vouloir les ramener à leurs éléments ultimes. Nous devons plutôt les traiter comme des réalités
qui se suffisent à elles-mêmes. C’est donc seulement par méthode que nous parlons de l’Etat, du droit, de la
mode, etc., comme si c’étaient des êtres indivis. C’est ainsi encore que nous parlons de la vie commune d’une
chose unique, tout en admettant qu’elle se réduit à un complexus d’actions et de réactions physico- chimiques
échangées entre les derniers éléments de l’organisme. Ainsi se résout le conflit entre la conception individualiste
et ce que l’on pourrait appeler la conception moniste de la société ; celle-là correspond à la réalité, celle-ci à
l’état borné de nos facultés d’analyse ; l’une est l’idéal de la connaissance, l’autre exprime sa situation
actuelle»
G. Simmel, 1896-1897, « Comment les formes sociales se maintiennent », in Sociologie et Epistémologie, PUF,
1981, pp. 174
« Si la sociologie devait réellement, comme on le prétend, embrasser l’ensemble de tout ce qui arrive dans la
société, et exécuter la réduction de tout l’individuel au social, elle ne serait rien, alors, qu’un nom général pour
la totalité des sciences modernes de l’esprit. Du même coup, elle ouvrirait la porte aux généralisations vides et
aux abstractions apanage de la philosophie. [...] Une sociologie proprement dite étudiera seulement ce qui est
spécifiquement social, la forme et les formes de l’association en tant que telle, abstraction faite des intérêts et
des objets particuliers qui se réalisent dans l’association.[...] Il y a société, au sens large du mot, partout où il y
a action réciproque des individus. [...] Les causes particulières et les fins sans lesquelles naturellement il n’y
aurait pas d’association, sont comme le corps, la matière du processus social ; que le résultat de ces causes, que
la recherche de ces fins entraîne nécessairement une action réciproque, une association entre les individus, voilà
la forme que revêtent les contenus. Séparer cette forme de ces contenus, au moyen de l’abstraction scientifique,
telle est la condition sur laquelle repose l’existence d’une science spéciale de la société. »
G. Simmel, 1894, Le problème de la sociologie, in Sociologie et Epistémologie, PUF, 1981, pp. 164