Revue des sciences religieuses
80/2 | 2006
Une religion missionnaire
La mission comme nouvelle évangélisation
Michel Deneken
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1880
DOI : 10.4000/rsr.1880
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 1 avril 2006
Pagination : 217-231
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Michel Deneken, « La mission comme nouvelle évangélisation », Revue des sciences religieuses [En
ligne], 80/2 | 2006, mis en ligne le 10 août 2015, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://
rsr.revues.org/1880 ; DOI : 10.4000/rsr.1880
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© RSR
LA MISSION
COMME NOUVELLE ÉVANGÉLISATION
Le concept de « nouvelle évangélisation » constitue à l’évidence
un des marqueurs du pontificat de Jean-Paul II. De Vatican II à la fin
de ce pontificat, le concept d’évangélisation a tendance à devenir
synonyme de mission, voire à le supplanter (I). Pour Jean-Paul II, la
nouvelle évangélisation désigne la mission de l’Église semper refor-
manda,laquelle ne peut vraiment porter du fruit qu’au prix de sa
constante autoévangélisation (II). Cette entreprise concerne les terres
de nouvelle chrétienté, celles déjà plus anciennes d’Amérique latine,
mais aussi la vieille Europe, plus que jamais terre de mission à l’aube
du XXIesiècle (III).
I. MISSION ET ÉVANGÉLISATION :DEUX SYNONYMES ?
L’entrée « mission » dans le Dictionnairecritique de théologie
réserve un sujet de relatif étonnement1.En effet, le terme mission ne
figure pas seul, mais se trouve relié avec un tiret au mot évangélisa-
tion.Ainsi, la tendance que l’on peut déceler dans le discours magis-
tériel, surtout depuis 1978, se trouve entériné et figure conceptuelle-
ment dans un dictionnaire qui s’affirme comme théologique et
critique. L’article a été confié à un théologien luthérien :
En son sens large, la mission est une caractéristique fondamentale de
l’Église appelée à être signe et instrument du salut de Dieu dans le
monde, pour toute l’humanité. Deux tâches incombent ainsi à l’Église
et à chaque croyant :rendre témoignage à l’Évangile (évangélisation)
et servir les hommes (diaconie).
Notons que cet auteur luthérien déploie la problématique dans un
sens très fidèle à Vatican II, notamment au moyen de la sémantique
ecclésiologique du sacrement, signe et instrument. Le concept même
1. F. LIENHARD,« Mission-Évangélisation», dans J.-Y. LACOSTE (dir.), Diction-
naire critique de théologie,Paris, P.U.F., 1998, p. 744-747.
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d’évangélisation, faut-il le rappeler, n’appartient pas d’abord pas au
vocabulaire catholique. Il puise son origine dans l’espace protestant,
plus précisément dans sa sphère anglo-saxonne. On admet générale-
ment qu’il remonte, dans sa première acception connue, au missio-
logue écossais Alexander Duff, au cours d’une conférence en 1854 au
Congrès de New York2.Il a connu une véritable inculturation dans le
catholicisme contemporain, faisant florès sous la plume de Jean-
Paul II, sa fortune se trouvant renforcée grâce à l’épithète « nouvelle »
qui lui est adjointe.
Vatican II et Paul VI
Au concile Vatican II, le terme « évangélisation » apparaît fami-
lier,mais non central. Le concile affirme que toute l’Église est mis-
sionnaire et que « l’œuvre de l’évangélisation constitue un devoir fon-
damental du peuple de Dieu » (Ad Gentes n. 35). Le travail
postconciliaire de réception de Vatican II, tant de la part du Magistère
que dans la réflexion pastorale ou missiologique, n’aura de cesse de
préciser cette notion. C’est ainsi que Paul VI explique que l’évangéli-
sation constitue la vocation propre de l’Église et structure son identité
la plus profonde (Evangelii nuntiandi n. 14). L’évangélisation est
d’actualité, mais non parce qu’elle prendrait une place de plus en plus
centrale dans le discours du Magistère ou dans le débat théologique.
Elle devient au contraire un thème central parce que l’annonce de la
Bonne Nouvelle demeure d’une actualité brûlante alors que le monde
évolue, que de vieilles chrétientés s’étiolent et de jeunes Églises lan-
cent nombre de défis, notamment celui de l’inculturation. Toutefois
nombreux, et parfois profonds, sont les désaccords sur les manières
d’aborder stratégiquement cette question. Ainsi, à la lecture des nom-
breux débats, les divergences apparaissent dès le diagnostic. Dans le
processus d’évaluation de la situation présente et dans la réflexion au
sujet du contenu conceptuel et pastoral des expressions « évangélisa-
tion » et « nouvelle évangélisation », nous nous trouvons au cœur
d’une controverse qui sort de l’Église catholique elle-même. Dans
cette perspective, l’apparition, depuis au moins 20 ans, de la rencontre
des autres religions a conféré à cette réflexion un caractère encore plus
central, parce qu’il touche au cœur même de cette activité mission-
naire de l’Église. L’aspect œcuménique de la question n’est pas le
moindre. En effet, nombreux sont les chrétiens, de diverses confes-
2. Alexander Duff (1806-1878) est un missionnaire de la Church of Scotland qui
sera d’abord actif en Inde. Après le schisme qui intervint dans son Église, il rejoint
l’Église libre d’Écosse. En 1867 il sera le premier titulaire d’une chaire de science
missionnaire à Edimbourg, unique en Europe alors.
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sions, qui craignent que le discours de la nouvelle évangélisation, telle
que la développe l’Église catholique avec Jean-Paul II, ne corres-
ponde à une recatholicisation du monde et particulièrement, sur le
modèle de la chrétienté médiévale, à une recatholicisation de l’Eu-
rope.
Une déspatialisation de la mission
Le terrain de la nouvelle évangélisation se circonscrit d’abord à
partir d’un diagnostic visant à qualifier la situation concrète rencon-
trée par le qualificatif le plus adéquat possible. Or, il suffit de pointer
quelques expressions pour mettre en évidence la diversité des diag-
nostics posés et révéler la diversité des réalités recouvertes par le
concept d’évangélisation. Alors que les uns comprennent la nouvelle
évangélisation dans le sens d’une restauration, dans l’optique d’un
passé à faire resurgir qui soit en mesure de transformer le monde par
un mouvement de retour, d’autres l’interprètent dans le sens d’un
renouveau fondamental de la mission de l’Église, qu’il convient de
remettre en contact avec une société décrite comme postmoderne,
postchrétienne, sécularisée ou, comme tout récemment, en phase
d’exculturation du christianisme3.Le chemin ainsi tracé est un retour
non au passé mais à l’Évangile. Le concept d’évangélisation se révèle
donc bien vite polysémique4.
S’agissant de la mission, il atteste de la transformation de l’élé-
ment missiologique de l’ad extra àl’ad intra.Prenons l’exemple de
discours d’évêques intervenant lors de l’accueil de confrères africains
ou l’exemple de la prédication dominicale de curés de paroisse pour
la journée missionnaire mondiale. Depuis vingt ans au moins, on
passe d’une prédication qui insistait sur l’élan missionnaire vers d’au-
tres pays à une autre qui vise la mission à l’intérieur des communautés
chrétiennes. On cite alors les prêtres africains ou indiens présents dans
les paroisses catholiques de la vieille Europe, souvent présentés aux
fidèles comme le fruit d’une mission à fronts renversés. À une spiri-
tualisation de la mission correspond sa déspatialisation. Si les protes-
tants parlent de mission intérieure pour désigner leurs efforts pasto-
3. D. HERVIEU-LÉGER,Catholicisme. La fin d’un monde,Paris, Bayard, 2003.
4. Cf. J. LOPEZ GAY,«Evolución histórica del concepto ‘evangelización’ », dans
M. DHAVAMONY,Evangelisation,Rome, 1975, p. 161-190 ; D. GRASSO, « Evangeliz-
zazione. Senso di un termine », ibid., p. 21-47. Ces deux études mettent en évidence
les sens du concept d’évangélisation avant l’ère Jean-Paul II. En ce sens, elles per-
mettent de constater que l’usage qu’en fera le pape Wojtyla sera toujours plus déter-
miné par l’adjectif « nouvelle ».
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raux de réveil, le catholicisme a de facto de plus en plus compris la
mission comme mission intérieure sous l’impulsion de Jean-
Paul II. Cette évolution ne commence pas cependant en 1978. Elle se
manifeste déjà, de la manière la plus spectaculaire et la plus féconde,
dans le titre même du fameux France, pays de mission de H. Godin et
Y. Daniel, dès 1943.
II. L’ITINÉRAIRE SYMBOLIQUE DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION
De Medellin à « Evangelii Nuntiandi »
De Medellin à Port-au-Prince, en passant par Saint Jacques de
Compostelle, se dessine un itinéraire symbolique de la nouvelle évan-
gélisation5.Si fortement identifié soit-il à son pontificat, le concept de
« nouvelle évangélisation » n’apparaît pas avec Jean-Paul II, même si
c’est sous sa plume que l’expression prend l’importance que l’on sait.
Celle-ci apparaît pour la première fois, semble-t-il, à la deuxième
assemblée générale de la conférence épiscopale d’Amérique latine, à
Medellin en 1968, dans le document final. Directement référée à
Vatican II, elle vise à interpréter dans les documents de Medellin ce
que le concile avait défini comme mission de l’Église. L’assemblée
des évêques voulait contribuer ainsi à dépasser le fossé qui ne cesse
de grandir entre la foi de l’Église et la vie vécue par les communautés
chrétiennes.
C’est dans ce contexte que se définit également la fameuse option
préférentielle pour les pauvres ainsi que l’engagement collégial à
vivre la pauvreté évangélique. Cette assemblée, qui a pris une impor-
tance considérable dans la vie de l’Église catholique, notamment dans
l’émergence d’un catholicisme proprement sud-américain, appelle
dans ce contexte à une « nouvelle évangélisation, à une catéchèse
intensive qui soient à même d’atteindre aussi bien les élites que les
masses […] afin de [les] conduire à une foi claire et engagée6
Àl’issue des travaux du 3esynode romain de 1974, qui avait pris
pour thème l’évangélisation, Paul VI publie l’exhortation apostolique
Evangelii nuntiandi (E.N.),« au sujet de l’évangélisation dans le
monde d’aujourd’hui ». Ce document s’imposera d’emblée comme le
texte postconciliaire le plus important sur la question. Or, même si
5. Cf. G. COLLET,«Bis an die Grenzen der Erde». Grundfragen heutiger Mis-
sionswissenschaft,Fribourg en Brisgau, Herder, 2002, p. 249-257. Cette remarquable
étude met en évidence les itinéraires symboliques de la nouvelle évangélisation de
Jean-Paul II à travers ses voyages.
6. Discours à Medellin, La Documentation catholique [DC], n° 1524 (1968),
col. 1564 (col. 1559-1570).
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