La Farce à l’époque baroque
Paris, 1600-1750
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B
IBLIOTHÈQUE NATIONALE DE
F
RANCE
Exposition réalisée par la Bibliothèque nationale de France,
présentée au Château de Sablé dans le cadre du Festival baroque de Sablé,
du 26 au 29 août 2015, de 11h00 à 17h00.
Puis jusqu’aux Journées du Patrimoine, 19 et 20 septembre 2015.
Renseignements : 02 43 95 00 60
Commissariat : Élizabeth G
IULIANI
et Jean-Michel V
INCIGUERRA
Avec la collaboration de : Pierre V
IDAL
, Mathias A
UCLAIR
, Guillaume L
ADRANGE
(Bibliothèque-musée de l’Opéra), Catherine V
ALLET
-C
OLLOT
(Département de la
Musique), Bruno B
LASSELLE
, Sophie N
AWROKI
(Bibliothèque de l’Arsenal), Joël
H
UTHWOHL
, Julien O
PPETIT
(Département des Arts du Spectacle), Annie B
ONNAUD
,
Michel C
HOLEAU
, Bernard D
ULAC
, Didier F
ORTUNE
, Bernard G
ALLOIS
, Jocelyne
G
RINIÉ
, Patrice G
RINIÉ
et l’ensemble du personnel du Sablé (Centre Joël Le Theule),
ainsi qu’Agnès P
UAUX
et Pierre
V
ERDRAGER
.
Mise en espace et réalisation : Pascal B
LIN
, Jean-Yves C
ORMIER
,
Jean-François G
OUAS
et Virginie G
RIFFISCH
.
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Prologue
Héritée des comédies de Plaute et des fabliaux populaires, la farce s’est développée au
milieu du Moyen Âge pour connaître son véritable âge d’or entre 1450 et 1560. Elle cons-
tituait à l’origine un petit intermède comique que l’on jouait sur le parvis des églises, au
cours de la représentation d’un mystère : on disait alors que l’on « farcissait » la représen-
tation, en référence au latin farcire qui signifie « remplir », « bourrer ». Ces pièces, géné-
ralement courtes, faisaient dialoguer des personnages typés, avec tous les défauts associés
à leur emploi, et reproduisaient un schéma linéaire toujours identique, fondé sur un ren-
versement de situation, où un trompeur devenait trompé, ou réciproquement. Au principe
de la farce, il y a donc toujours la mise en action d’une ruse, d’une duperie, ce qui conduit
certains historiens de la littérature à rapprocher la farce de son étymon médiéval, fart,
c’est-à-dire « fard », « grimage », « grimaces » et « faux-semblants ». Ne dit-on pas à ce
sujet que farcer quelqu’un, c’est le tromper ? Maris bernés, femmes infidèles, valets ru-
sés, médecins charlatans, faux savants, hommes de loi manipulateurs…, chaque person-
nage de la farce assume sa part de supercherie.
Si les poètes de la Pléiade, tout épris de raffinement et de culture antique, semblent si-
gner son arrêt de mort, la farce à l’âge baroque se renouvelle profondément en emprun-
tant aux types conventionnels de la commedia dell’arte, alors en plein essor. L’objectif
reste le même : chasser la mélancolie par des éclats de rire, en puisant dans un registre
bas comique, souvent féroce et parfois obscène. Mais les bouleversements de structure
qui secouent la scène littéraire française en moins d’un siècle, avec la création de
l’Académie Française, la fixation du bon usage de la langue, l’élaboration d’une doctrine
classique et l’institution des privilèges des théâtres, modifient considérablement la
donne : les anciens farceurs sont priés de s’effacer devant les nouveaux comédiens pen-
sionnés par le roi. La résistance s’organise, et tout d’abord avec Molière qui, en régalant
le roi de ses farces, se met les rieurs dans la poche et devient le porte-drapeau de ce genre
en France. Jusqu’à sa mort, les « petites comédies » redeviennent à la mode et les théâtres
rivaux, qui tentent d’arracher à Molière le monopole du rire, redonnent toute leur place à
ce type de spectacles. Mais la création de l’Académie royale de musique en 1672 et de la
Comédie-Française en 1680 fait figure d’ultime coup de force institutionnel visant à
« nettoyer » la scène française : farceurs et bouffons sont relégués loin des scènes offi-
cielles. Le répertoire de la farce, quant à lui, est abandonné aux saltimbanques de toute
espèce qui improvisent des parades en marge des événements culturels, lors des proces-
sions du Carnaval ou bien à l’occasion des foires parisiennes. Empruntant alors un autre
canal, la farce investit les différents théâtres des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent,
ainsi que l’Hôtel de Bourgogne, siège de la Comédie-Italienne. Les spectacles qui s’y
tiennent donnent peu à peu naissance à des formes nouvelles de divertissement paro-
dies, opéras-comiques, vaudevilles dont le succès ne va aller que croissant au fil des
ans. Poètes et musiciens s’encanaillent et passent ainsi de la scène noble de l’Opéra aux
préaux de la Foire, en proposant des spectacles insolites, qui sont une occasion unique de
critiquer les normes dramatiques et musicales, mais aussi sociales ou morales de
l’époque.
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La rencontre de la farce française et de la commedia dell’arte
L’arrivée en 1571 de la première troupe de comédiens italiens en France est un évé-
nement qui est loin d’avoir été sans conséquence sur l’histoire du théâtre français. Les
premiers comédiens italiens qui arrivent à Paris se produisent à l’Hôtel de Bourgogne
devant un public large et curieux, aux côtés des farceurs français, avec lesquels ils se
trouvent parfois associés dans des représentations bilingues. Pour bien se faire com-
prendre, les comédiens italiens, qui s’expriment dans leur langue maternelle, sont amenés
à développer un jeu de scène tout à fait nouveau, fondé sur l’expression corporelle, tout
particulièrement faciale, qui va laisser son empreinte sur la farce française. Le public
parisien découvre alors un personnel comique très différent de la farce médiévale : ce ne
sont plus des hobereaux lubriques ou de sots campagnards qui suscitent le rire, mais des
personnages typés, dont les vices, les passions excessives, les accoutrements, les gestes et
les attitudes sont de part en part ridicules : Arlecchino, avec sa batte et son costume bigar-
ré, incarne un valet fruste et roublard, au service d’un grand seigneur ; Pantalone, avec sa
grande barbe et son manteau noir, est le représentant des vieillards ou des maris trompés ;
quant au Dottore, avec sa fraise et sa soutane noire, il symbolise tout à la fois l’autorité, la
vanité et le savoir pédant.
Abraham Bosse, L’Hôtel de Bourgogne, vers 1633-1634. Cat. 1
Les points de contact entre la comédie all’improviso et la farce commencent à être
tangibles dans les années 1610-1630, quand les comédiens italiens recrutent des farceurs
français et constituent les premières troupes italo-françaises. Une nouvelle génération de
farceurs apparaît sur la scène française : Gros-Guillaume (1554-1634), Gaultier-Garguille
(1573-1633), Tabarin (1584-1633) et Turlupin (1587-1637)
[cat. 1]
. Gros-Guillaume est
immédiatement reconnaissable à son physique « gros, gras et ventru », à son visage enfa-
riné (il était boulanger avant de devenir farceur) et aux deux ceintures qui lui garrottent le
ventre, quand Gaultier-Garguille, lui grand et maigre, apparaît sur scène toujours avec un
masque pour interpréter les rôles de vieillards et de cocus. Il est en cela une sorte de
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Pantalone à la française et présente des analogies avec le vecchio de la comédie italienne.
Poète et chansonnier à ses heures, ce dernier va également jusqu’à introduire des couplets
grivois de son cru dans les farces qu’il interprète. Quant à Tabarin et Turlupin, si le pre-
mier haranguait les passants dans la rue et improvisait, sur la place Dauphine, quelques
farces et facéties, le second, en excellant dans les rôles de valets, déclenchait le rire de la
foule avec ses célèbres calembours : leur gloire à tous les deux est d’avoir chacun donné
naissance à un mot, « tabarinade » pour l’un, « turlupinade » pour l’autre, qui renvoie à
ces fameuses farces qui, à l’époque d’Henri IV puis de Louis XIII, réjouissaient le bon
peuple de Paris.
Grégoire Huret, Jodelet, 1639. Cat. 2
Tous ces bateleurs et excellents farceurs auront un glorieux successeur : le célèbre
Jodelet, alias Julien Bedeau (1591-1660), qui commence sa carrière en 1634 et dont les
gazettes de l’époque rapportent que la simple apparition sur scène suffisait à déclencher
des éclats de rire généralisés
[cat. 2]
. Rattaché à la troupe de l’Hôtel du Marais, il se spé-
cialise dans les rôles de valets, mais finit par en créer un type original : le valet lubrique,
glouton, vantard et riant de tout. Sur le plan moral, il se rattache aussi bien au bouffon
qu’au gracioso de la comédie espagnole, sacrifiant tout à son insatiable gourmandise,
tandis que, sur le plan physique, il est, comme Gros-Guillaume, un comédien « enfari-
né », c’est-à-dire un lointain ancêtre des clowns blancs de nos cirques. Ce personnage
comique finit alors par devenir un nom de convention dans le théâtre français : c’est ainsi
que Scarron (1610-1660) crée pour lui en 1643 le rôle-titre de Jodelet ou le Maître valet,
une comédie en cinq actes qui ne cessera d’être reprise sur la scène française
[cat. 3] et
dans laquelle il incarne un valet déguisé en gentilhomme, dont les balourdises réjouis-
santes et le langage truculent suscitent le rire des spectateurs. Le succès de cette pièce
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