3
Prologue
Héritée des comédies de Plaute et des fabliaux populaires, la farce s’est développée au
milieu du Moyen Âge pour connaître son véritable âge d’or entre 1450 et 1560. Elle cons-
tituait à l’origine un petit intermède comique que l’on jouait sur le parvis des églises, au
cours de la représentation d’un mystère : on disait alors que l’on « farcissait » la représen-
tation, en référence au latin farcire qui signifie « remplir », « bourrer ». Ces pièces, géné-
ralement courtes, faisaient dialoguer des personnages typés, avec tous les défauts associés
à leur emploi, et reproduisaient un schéma linéaire toujours identique, fondé sur un ren-
versement de situation, où un trompeur devenait trompé, ou réciproquement. Au principe
de la farce, il y a donc toujours la mise en action d’une ruse, d’une duperie, ce qui conduit
certains historiens de la littérature à rapprocher la farce de son étymon médiéval, fart,
c’est-à-dire « fard », « grimage », « grimaces » et « faux-semblants ». Ne dit-on pas à ce
sujet que farcer quelqu’un, c’est le tromper ? Maris bernés, femmes infidèles, valets ru-
sés, médecins charlatans, faux savants, hommes de loi manipulateurs…, chaque person-
nage de la farce assume sa part de supercherie.
Si les poètes de la Pléiade, tout épris de raffinement et de culture antique, semblent si-
gner son arrêt de mort, la farce à l’âge baroque se renouvelle profondément en emprun-
tant aux types conventionnels de la commedia dell’arte, alors en plein essor. L’objectif
reste le même : chasser la mélancolie par des éclats de rire, en puisant dans un registre
bas comique, souvent féroce et parfois obscène. Mais les bouleversements de structure
qui secouent la scène littéraire française en moins d’un siècle, avec la création de
l’Académie Française, la fixation du bon usage de la langue, l’élaboration d’une doctrine
classique et l’institution des privilèges des théâtres, modifient considérablement la
donne : les anciens farceurs sont priés de s’effacer devant les nouveaux comédiens pen-
sionnés par le roi. La résistance s’organise, et tout d’abord avec Molière qui, en régalant
le roi de ses farces, se met les rieurs dans la poche et devient le porte-drapeau de ce genre
en France. Jusqu’à sa mort, les « petites comédies » redeviennent à la mode et les théâtres
rivaux, qui tentent d’arracher à Molière le monopole du rire, redonnent toute leur place à
ce type de spectacles. Mais la création de l’Académie royale de musique en 1672 et de la
Comédie-Française en 1680 fait figure d’ultime coup de force institutionnel visant à
« nettoyer » la scène française : farceurs et bouffons sont relégués loin des scènes offi-
cielles. Le répertoire de la farce, quant à lui, est abandonné aux saltimbanques de toute
espèce qui improvisent des parades en marge des événements culturels, lors des proces-
sions du Carnaval ou bien à l’occasion des foires parisiennes. Empruntant alors un autre
canal, la farce investit les différents théâtres des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent,
ainsi que l’Hôtel de Bourgogne, siège de la Comédie-Italienne. Les spectacles qui s’y
tiennent donnent peu à peu naissance à des formes nouvelles de divertissement – paro-
dies, opéras-comiques, vaudevilles – dont le succès ne va aller que croissant au fil des
ans. Poètes et musiciens s’encanaillent et passent ainsi de la scène noble de l’Opéra aux
préaux de la Foire, en proposant des spectacles insolites, qui sont une occasion unique de
critiquer les normes dramatiques et musicales, mais aussi sociales ou morales de
l’époque.