Influence de la résistance aux hallucinations auditives sur la

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L’Encéphale (2015) 41, 25—31
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
ScienceDirect
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉMOIRE ORIGINAL
Influence de la résistance aux
hallucinations auditives sur la dépression :
étude au moyen du questionnaire révisé
des croyances à propos des voix
Influence of resistance to voices on depression
J.L. Monestès a,∗, J. Vavasseur-Desperriers b, M. Villatte c,
L. Denizot d, G. Loas e, S. Rusinek f
a
EA 4556, pôle de santé mentale, laboratoire Epsylon, CHU de la Réunion, allée des Topazes, 97405
Saint-Denis cedex, Réunion
b
EPSM Lille-Métropole, 104, rue du Général-Leclerc, 59280 Armentières, France
c
Evidence Based Practice Institute, Seattle, États-Unis
d
Pôle de santé mentale, CHU de la Réunion, Réunion
e
Université libre de Bruxelles (ULB), cliniques universitaires de Bruxelles, hôpital Erasme, Bruxelles,
Belgique
f
UDL3, PSITEC, université Charles-de-Gaulle, Lille 3, université Lille, Nord-de-France, rue du Barreau,
59650 Villeneuve-d’Ascq cedex, France
Reçu le 25 avril 2013 ; accepté le 20 janvier 2014
Disponible sur Internet le 9 mai 2014
MOTS CLÉS
Hallucinations
auditives ;
Croyances à propos
des voix ;
BAVQ-R ;
Résistance aux voix ;
Dépression
∗
Résumé
Objectifs. — Cette recherche vise à étudier l’influence de la résistance aux hallucinations auditives sur la dépression dans un groupe de patients atteints de schizophrénie, au moyen de la
version francophone du Beliefs About Voices Questionnaire Revised.
Méthode. — Trente-huit patients souffrant de schizophrénie et présentant des hallucinations
auditives ont été évalués à l’aide de l’échelle des syndromes positifs et négatifs (PANSS), de
l’échelle de dépression de Calgary (CDSS) et du questionnaire révisé des croyances à propos des
voix (BAVQ-R), qui mesure les dimensions de Malveillance, de Bienveillance, d’Omnipotence,
de Résistance et d’Engagement dans le rapport des patients à leurs hallucinations auditives.
Résultats. — Les dimensions Résistance et Malveillance sont fortement corrélées à la dépression. Mais la résistance aux voix est la seule dimension qui influe sur la dépression. Par ailleurs,
les patients déprimés résistent davantage à leurs hallucinations auditives. De plus, la résistance émotionnelle, contrairement à la résistance comportementale, est responsable de la
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J.L. Monestès).
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.01.006
0013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2014.
26
J.L. Monestès et al.
dépression chez les patients souffrant d’hallucinations. La version francophone du BAVQ-R présente une consistance interne satisfaisante et de bonnes validités concourante et de construit.
Elle retrouve les corrélations entre les dimensions Malveillance et Résistance, et entre les
dimensions Bienveillance et Engagement. Conclusion La résistance aux voix, particulièrement
la résistance émotionnelle, constitue un facteur important de la symptomatologie dépressive
chez les patients souffrant de schizophrénie. La version francophone du BAVQ-R présente des
propriétés psychométriques satisfaisantes.
© L’Encéphale, Paris, 2014.
KEYWORDS
Auditory
hallucinations;
Beliefs about voices;
BAVQ-R;
Resistance to voices;
Depression
Summary
Objective. — Beliefs about voices and reactions to voices have been proposed as important
variables influencing the course of depression in schizophrenia. Consequences of auditory hallucinations are different according to identity, goals, omnipotence, omniscience, and meanings
attributed to voices by the client. Ten to 15 % of the general population experience auditory
hallucinations during lifetime without any distress or need for medical care. In addition, neither
frequency of voices, nor their topography, influence the emotional consequences of auditory
hallucinations experiences, but the relationships to voices. The Revised Belief about Voices
Questionnaire analyzes voices along 5 dimensions: malevolence, benevolence, omnipotence,
resistance, and engagement. Malevolent voices are related to depression, whereas benevolent
voices engender more positive emotions. Subjects usually engage with benevolent voices, and
resist to malevolent voices. But resistance strategies are barely efficient and often backfire. Patients resisting to their voices consider them more malevolent and present with more
depressive symptoms. This research aims at studying the influence of resistance to auditory hallucinations on depression in a group of patients suffering from schizophrenia and experiencing
auditory hallucinations, using the Revised Beliefs About Voices Questionnaire (BAVQ-R). It also
provides a study of the psychometrics properties of the French language version of the BAVQ-R.
Method. — Thirty-eight patients suffering from paranoid schizophrenia, undifferentiated schizophrenia or schizoaffective disorder, have been tested with the French versions of the Revised
Beliefs About Voices Questionnaire (BAVQ-R), the Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS),
and the Calgary Depression Scale for Schizophrenia (CDSS). Each patient presented with auditory hallucinations during the week before evaluation, with a minimum score of 3 on P3 item
of PANSS. Mean age was 39.39 years (SD 11.33); mean duration of symptoms was 13.92 years
(SD 10.81), and patients’ mean history of hospitalizations was 7.66 (SD 9.24). Each patient
was receiving an antipsychotic medication at the time of evaluation, with a mean chlorpromazine equivalent dose of 806.69 mg/d (ET 539.51); 18.5 % of patients were receiving serotonin
reuptake inhibitor, and 31.57 % once committed a suicide attempt.
Results. — The French version of the BAVQ-R presents with a satisfying internal consistency
(Cronbach’s alpha = 0.74). Similar to the original version, Malevolence and Resistance, and
Benevolence and Engagement dimensions are strongly correlated (r = 0.73, and r = 0.90, P < 0.05,
respectively). The BAVQ-R scores correlate with the CDSS (r = 0.40, P < 0.05) and the PANSS General Psychopathology subscale scores (r = 0.44, P < 0.05), but not with the Positive and Negative
subscales. (r = 0.17, and r = 0.13, P > 0.05, respectively). Correlations and forced entry multiple regressions analyses show that Resistance and Malevolence are both strongly correlated to
depression, but Resistance is the only dimension that influences depression. Moreover, clients
presenting with depressive symptoms resist more to their auditory hallucinations. Finally, emotional resistance, in comparison to behavioral resistance, is responsible for depression in people
suffering from auditory hallucinations.
Conclusion. — Emotional resistance to auditory hallucinations constitutes the most important
variable influencing depression in schizophrenia comparing to what the voices say or are supposed to know, their malevolence or benevolence. Demonstration of the influence of resistance
to voices on depression would help the development of new therapeutic practices.
© L’Encéphale, Paris, 2014.
Résistance aux hallucinations et dépression
Introduction
Au-delà de la fréquence d’apparition et du contenu des
hallucinations, le rapport que les patients entretiennent
avec « leurs voix » a été proposé comme déterminant de
la symptomatologie dépressive [1]. Les émotions et les
comportements déclenchés par les hallucinations découleraient avant tout du sens donné par le sujet aux voix qu’il
entend. En effet, les répercussions des hallucinations sont
différentes en fonction de l’interprétation du phénomène,
de l’identité attribuée à la voix, de ses buts, de son omnipotence et omniscience supposées [2]. Ce modèle est étayé
par la variété des réponses émotionnelles et comportementales face aux hallucinations : la plupart des patients sont
effrayés et tentent d’échapper à ces voix, mais d’autres
trouvent l’expérience intrigante, voire agréable. De plus, ni
la forme des voix, leur fréquence, ou la valence des propos
entendus, n’ont d’influence sur les répercussions émotionnelles et comportementales [1—3]. Il semble que se soient
les relations entretenues avec la voix, et les croyances à
son propos, qui déterminent les répercussions des hallucinations.
On distingue plusieurs dimensions du rapport aux
hallucinations auditives. Elles concernent d’abord les intentions attribuées à la voix, selon qu’elle est considérée
bienveillante, cherchant par exemple à protéger, ou
malveillante, cherchant par exemple à punir. Les voix
jugées malveillantes engendrent plus de symptômes dépressifs ; celles jugées bienveillantes engendrent généralement
des émotions positives [1,3]. Une autre dimension est
l’omnipotence, le pouvoir attribué à la voix. Les données
sont, sur ce point, contradictoires. Certaines recherches
repèrent une association entre les symptômes dépressifs
et l’omnipotence [4—6]. D’autres ne retrouvent pas cette
association une fois prises en compte la bienveillance,
la malveillance, la durée de la maladie ou les capacités
d’insight [3]. Deux dernières dimensions concernent les
réactions émotionnelles et comportementales face aux voix,
selon qu’on leur résiste et cherche à s’en débarrasser, ou
au contraire, qu’on essaie d’entrer en contact avec elles.
Une corrélation a été retrouvée entre la bienveillance et
l’engagement vis-à-vis de la voix [1,7]. À l’inverse, le caractère malveillant est associé à la résistance à la voix [1,8].
Considérer les voix comme malveillantes conduit à chercher
à les faire disparaître [8].
Les stratégies d’évitement des voix sont proposées
comme facteur de maintien des interprétations de leur
caractère malveillant [9]. De plus, la résistance aux voix
est évoquée comme prédictive d’une plus grande souffrance
psychologique, notamment de la dépression. Deux études
suggèrent que les stratégies de résistance aux voix pourraient être directement source de symptômes dépressifs
[10,11]. Cependant, l’étude des répercussions de la résistance aux voix est encore trop marginale pour affirmer leur
influence sur la symptomatologie dépressive. La présente
recherche vise donc à avancer dans l’évaluation des liens
entre la dépression et la résistance envers les hallucinations
auditives. La plupart des recherches sur les relations des
patients à leurs hallucinations auditives utilisent le « Beliefs
About Voices Questionnaire » (BAVQ [12], forme révisée,
BAVQ-R [13]) construit pour évaluer les différentes dimensions du rapport aux hallucinations. Des traductions ont
27
été utilisées dans deux recherches incluant des populations
francophones [7,14], mais l’étude des propriétés psychométriques du BAVQ-R en langue française fait défaut. Cette
recherche a également pour but d’évaluer les propriétés de
la version francophone du BAVQ-R.
Patients et méthode
Population
L’échantillon était composé de 38 patients (25 hommes,
13 femmes), 34 répondant aux critères de schizophrénie de
type paranoïde (F20,0 × ), 1 de type indifférencié (F20,3 × ),
et 3 de trouble schizo-affectif (F25 × )1 . Tous présentaient des hallucinations auditives la semaine précédant
l’évaluation (score minimum à l’item P3 de la PANSS > 3).
La participation à l’étude a été proposée à 45 patients,
7 ont refusé de participer ou ont interrompu leur participation. Trente-trois patients étaient hospitalisés, 5 étaient
suivis en ambulatoire. L’âge moyen était de 39,39 ans (ET
11,33) ; la durée moyenne des troubles depuis le début
de la maladie était de 13,92 ans (ET 10,81). Le nombre
moyen d’hospitalisations était de 7,66 (ET 9,24). Tous les
patients recevaient un traitement neuroleptique ou antipsychotique. La dose moyenne (équivalent chlorpromazine)
était de 806,69 mg/j (ET 539,51) [15]. L’âge moyen du premier traitement par neuroleptique était de 25,92 ans (ET
6,34) ; 18,5 % des patients recevaient un antidépresseur
(IRS), et 31,57 % avaient déjà fait une tentative de suicide.
Procédure
Procédure générale
Les évaluations ont été réalisées par un des auteurs (JVD)
au cours d’un entretien unique. Treize patients ont été
évalués par un deuxième investigateur (JLM) afin de calculer un accord inter-observateurs pour la PANSS (coefficient
intra-classes = 0,93). On proposait aux patients de participer à cette recherche lors des derniers jours de leur
hospitalisation, ou lors d’une rencontre au centre médicopsychologique où ils étaient pris en charge. Un entretien
semi-structuré était réalisé pour la PANSS et la CDSS, puis le
patient remplissait le BAVQ-R en présence de l’investigateur.
Traduction du BAVQ-R
Le Beliefs About Voices Questionnaire-Revised a été traduit par deux des auteurs (JLM et JVD) avec l’accord de
l’auteur principal de la version originale, puis rétro-traduit
en anglais par une traductrice professionnelle. Les deux
versions ont été comparées, ce qui a donné lieu à des ajustements minimes.
Mesures
Les patients étaient évalués à l’aide des instruments suivants :
1 Cette recherche a reçu l’autorisation du comité de protection
des personnes sous la référence 03H32.
28
• le questionnaire révisé des croyances à propos des voix
(BAVQ-R, [13]) : auto-questionnaire de 35 affirmations,
avec réponses sur une échelle de Likert en 4 points
(de 0 = « pas d’accord », à 3 = « pleinement d’accord »).
Ce questionnaire se décompose en cinq sous-échelles.
Les trois premières explorent les significations données aux hallucinations auditives (« Malveillance »,
« Bienveillance », « Omnipotence »), les deux autres
sous-échelles évaluent les réactions émotionnelles et
comportementales aux hallucinations, selon que les
patients tentent de résister aux voix (« Résistance ») ou
qu’ils les écoutent activement (« Engagement »). Cinq
items de la sous-échelle Résistance mesurent la résistance émotionnelle (par exemple « Ma voix m’effraie »),
et quatre la résistance comportementale (par exemple
« J’essaie de l’enlever de mon esprit. »). Les sous-échelles
du BAVQ-R présentent de bonnes consistances internes
(alphas de Cronbach entre 0,74 et 0,88, moyenne = 0,86) ;
• l’échelle de dépression de Calgary (CDSS, [16]) : évalue
la symptomatologie dépressive dans la schizophrénie. La
CDSS est une hétéro-évaluation qui comprend 9 items :
Dépression, Désespoir, Autodépréciation, Idées de référence associées à la culpabilité, Culpabilité pathologique,
Dépression matinale, Éveil précoce, Suicide, Dépression
observée. La cotation de chaque item va de 0 (absent) à
3 (sévère) ;
• l’échelle des syndromes positifs et négatifs (PANSS, [17]) :
hétéro-évaluation en 30 items, répartis en trois souséchelles : positive, négative, et de psychopathologie
générale. Chaque item est noté de 1 (absence du symptôme) à 7 (symptôme extrêmement présent).
Démarche statistique
La consistance interne du BAVQ-R et de ses cinq souséchelles est évaluée au moyen de coefficients alpha de
Cronbach. Des coefficients de corrélation de Pearson sont
calculés pour estimer les relations entre les sous-échelles,
ainsi qu’entre chacune de ces sous-échelles, la CDSS, et les
différentes composantes de la PANSS. L’influence des souséchelles du BAVQ-R et de la PANSS sur le score à la CDSS
est évaluée au moyen d’analyses de régressions linéaires
multiples avec entrées forcées. Les scores à la sous-échelle
Résistance de la BAVQ-R sont comparés entre les participants recevant un score pathologique ou non à la CDSS
au moyen d’une analyse de variance unifactorielle. Toutes
les analyses statistiques sont effectuées avec le logiciel
SPSS 16.
Résultats
Propriétés psychométriques de la version
francophone du BAVQ-R
J.L. Monestès et al.
recevant la valeur la plus faible (0,74), néanmoins supérieure à celle obtenue pour la version francophone.
Validité de construit
Le BAVQ-R décompose les diverses croyances et conséquences émotionnelles et comportementales en regard des
hallucinations auditives. Chaque sous-échelle mesure une
dimension particulière ; il est donc nécessaire d’examiner
les diverses corrélations entre les sous-échelles afin de vérifier que les constructions théoriques sont fondées. Une
forte corrélation [18] existe entre les sous-échelles Malveillance et Résistance et les sous-échelles Bienveillance
et Engagement (respectivement r = 0,73 et 0,90, p < 0,05).
Ces résultats sont identiques à ceux de la version originale
du questionnaire (respectivement r = 0,68 et 0,80, p < 0,01).
La sous-échelle Omnipotence est fortement corrélée à la
sous-échelle Bienveillance (r = 0,43, p < 0,05) et à la souséchelle Engagement (r = 0,47, p < 0,05). En revanche, on ne
retrouve pas de corrélation entre la sous-échelle Omnipotence et les sous-échelles Malveillance (r = 0,09, p > 0,05)
et Résistance (r = —0,02, p > 0,05). L’étude originale [13]
retrouve une forte corrélation entre l’Omnipotence et les
sous-échelles Malveillance et Résistance, mais une absence
de corrélation avec les sous-échelles Bienveillance et Engagement. Pour les autres sous-échelles, les relations entre
les dimensions mesurées sont comparables à celles de la
version originale. Ces résultats sont en cohérence avec les
hypothèses théoriques et témoignent d’une bonne validité
de construit.
Validité concourante
Le BAVQ-R est fortement corrélé avec la CDSS (r = 0,40,
p < 0,05) et la sous-échelle de psychopathologie générale de
la PANSS (r = 0,44, p < 0,05). Les corrélations entre le BAVQR et les sous-échelles négatives et positives de la PANSS se
révèlent non significatives (respectivement r = 0,17 et 0,13,
p > 0,05). Les corrélations entre les sous-échelles du BAVQR et la CDSS ne présentent une significativité que pour la
Malveillance (r = 0,37, p < 0,05) et la Résistance (r = 0,54,
p < 0,05). Par ailleurs, seule la sous-échelle Engagement est
corrélée au score de psychopathologie générale de la PANSS
(r = 0,41, p < 0,05). Il n’existe pas de corrélation significative du BAVQ-R avec la sous-échelle de symptomatologie
positive de la PANSS, vraisemblablement en raison de la
variété des symptômes évalués par cette sous-échelle. Au
final, l’analyse des propriétés psychométriques de la version francophone du BAVQ-R met en évidence une bonne
consistance interne ainsi qu’une validité de construit et une
validité concourante satisfaisantes. Les coefficients de corrélations entre toutes les échelles sont rassemblés dans le
Tableau 1.
Influence de la résistance aux voix
Consistance interne
Pour le questionnaire dans son ensemble, l’alpha de Cronbach est de 0,74. Il se révèle également satisfaisant pour
les sous-échelles Malveillance (0,74), Bienveillance (0,81),
Résistance (0,75) et Engagement (0,89), mais présente une
valeur plus faible pour la sous-échelle Omnipotence (0,40).
Dans l’étude originale [13], chaque sous-échelle présentait un alpha supérieur à 0,70, la sous-échelle Omnipotence
Les scores aux sous-échelles du BAVQ-R, de la PANSS, ainsi
que le score total à la CDSS sont rassemblés dans le
Tableau 2.
Afin de tester l’influence de la résistance aux voix sur
la dépression en comparaison des autres dimensions du
BAVQ-R, une analyse de régression linéaire multiple avec
entrée forcée a été réalisée, avec les scores à la CDSS
Résistance aux hallucinations et dépression
29
Tableau 1 Coefficients de corrélation entre la CDSS, les
sous-échelles de la PANSS, les sous-échelles du BAVQ-R et le
score total au BAVQ-R.
BAVQ-R Total
Bienveillance
Malveillance
Omnipotence
Résistance
Engagement
PANSS
positive
PANSS
négative
PANSS
générale
CDSS
0,13
0,11
0,01
0,09
−0,11
0,21
0,17
0,24
−0,05
0,22
−0,04
0,11
0,44*
0,31
0,09
0,17
0,03
0,41*
0,40*
−0,12
0,37*
0,19
0,54*
0,00
CDSS : Calgary Depression Scale for Schizophrenia ; PANSS : Positive and Negative Syndrome Scale ; BAVQ-R : Revised Beliefs
About Voices Questionnaire ; * : p < 0,05.
comme variable dépendante et les scores aux sous-échelles
du BAVQ-R comme variables indépendantes. Le modèle présente un bon ajustement (r = 0,60). La valeur du r2 permet
d’estimer que 36 % de la variance du score de dépression est
expliquée par la combinaison des sous-échelles du BAVQ-R.
L’analyse des coefficients bêta pour chaque sous-échelle
de la BAVQ-R met en évidence que la sous-échelle Résistance est la seule contribuant significativement au modèle
(t = 2,92, p < 0,05). Contrairement aux autres, la souséchelle Résistance permet d’expliquer le score obtenu à
la CDSS. Malgré la corrélation entre les sous-échelles Malveillance et Résistance, nos résultats montrent que la
dimension Résistance est la seule qui prédit le score de
dépression. En intégrant dans le calcul de régression multiple les scores de la sous-échelle de psychopathologie
générale de la PANSS comme variable indépendante, le pourcentage de la variance expliquée passe de 36 % à 40 %, mais
la sous-échelle Résistance reste la seule variable contribuant significativement au modèle (t = 0,20, p < 0,05). Par
ailleurs, lorsqu’on sépare l’échantillon sur la base du score
seuil à la CDSS retenu pour qualifier la dépression (supérieur
ou égal à 6 [16]), les 9 participants déprimés présentent un
Tableau 2 Scores moyens (écarts-types) aux différentes
échelles et sous-échelles.
Échelles et sous-échelles
Moyenne
(écart-type)
BAVQ-R
Score
Score
Score
Score
Score
Score
total (de 0 à 105)
échelle malveillance (de 0 à 18)
échelle bienveillance (de 0 à 18)
échelle omnipotence (de 0 à 18)
échelle résistance (de 0 à 27)
échelle engagement (de 0 à 24)
47,32
8,60
6,00
9,71
14,23
8,76
(14,80)
(5,26)
(5,57)
(3,87)
(7,02)
(8,05)
PANSS
Score
Score
Score
Score
total (de 30 à 210)
échelle positive (de 7 à 49)
échelle négative (de 7 à 49)
échelle générale (de 14 à 98)
84,84
24,37
19,34
41,13
(15,40)
(5,92)
(6,72)
(8,77)
CDSS score total (de 0 à 27)
4,63 (3,48)
score moyen à la sous-échelle Résistance statistiquement
supérieur aux 29 non déprimés (Z = —3,01, p < 0,05), ce qui
n’est le cas pour aucune autre des sous-échelles du BAVQR. Enfin, la sous-échelle Résistance se décompose en deux
groupes d’items mesurant la résistance comportementale
émotionnelle. Ces deux groupes d’items présentent une
bonne consistance interne (respectivement alpha = 0,70 et
0,62) et sont fortement corrélés (r = 0,46, p < 0,05). Les
9 participants déprimés présentent des scores statistiquement plus élevés pour ces deux groupes d’items (résistance
comportementale : Z = —2,76, p < 0,05, résistance émotionnelle : Z = —2,69, p < 0,05). Cependant, lorsqu’on intègre
comme variables indépendantes ces deux groupes d’items
aux autres sous-échelles du BAVQ-R (à l’exception de la
sous-échelle Résistance), seule la résistance émotionnelle
contribue significativement aux variations des scores à la
CDSS (b = 0,40, t = 2,18, p < 0,05).
Discussion
Afin d’étudier l’influence de la résistance aux hallucinations
auditives, les propriétés psychométriques de la version francophone du Beliefs About Voices Questionnaire-Revised ont
été étudiées. Ce questionnaire présente une consistance
interne satisfaisante et de bonnes validités concourante
et de construit. Sa version francophone permet de distinguer les différentes dimensions du rapport d’un sujet à
ses voix. Nos résultats confirment la corrélation entre les
sous-échelles Malveillance et Résistance et entre les souséchelles Bienveillance et Engagement.
Malgré la corrélation entre les sous-échelles Malveillance
et Résistance, nos résultats montrent que la dimension de
Résistance est la seule qui influence significativement les
scores de dépression. Les participants déprimés résistent
statistiquement davantage à leur voix que les participants
non déprimés. Ces résultats complètent les études précédentes à propos de la Résistance [10,11], qui mettent
en avant les tentatives directes de changement ou de
résistance aux voix comme déterminantes des souffrances
psychologiques des patients. De plus, nos résultats montrent
que seule la résistance émotionnelle a un effet significatif
sur la dépression. Les items de Résistance comportementale
portent sur les démarches actives du patient pour se
débarrasser des voix ; ceux de Résistance émotionnelle
concernent les répercussions des voix sur les ressentis du
patient. Ces deux groupes d’items sont fortement corrélés.
Aussi, le fait que seuls les items de Résistance émotionnelle ont un effet significatif sur la dépression pourrait
refléter le désarroi des patients face à l’inefficacité de la
résistance comportementale. Cette dernière pourrait leur
apparaître comme la seule relation possible aux voix qu’ils
jugent insupportables. Ce ne serait donc pas la résistance
aux hallucinations en elle-même qui augmenterait la symptomatologie dépressive mais l’impossibilité de mettre en
place une résistance efficace.
Nos résultats appuient les stratégies thérapeutiques
ciblant la résistance aux voix. À l’opposé des stratégies de coping contre les hallucinations, mises en place
intuitivement par les patients et systématisées en thérapie comportementale et cognitive [19,20], des stratégies
d’acceptation et de pleine conscience commencent à être
30
évaluées. Elles impliquent une démarche active de distanciation et d’observation des voix, ainsi qu’une acceptation
de leur présence, afin de limiter le coût émotionnel lié à
la résistance. Paradoxalement, accepter la présence des
voix accroît le sentiment de contrôle face aux voix [21].
De même, les capacités d’acceptation des voix sont corrélées à moins de symptômes dépressifs, une meilleure qualité
de vie, et une moindre obéissance aux hallucinations de
commande [22]. Deux études ont évalué cette démarche
d’acceptation et de pleine conscience au travers de protocoles de thérapie d’acceptation et d’engagement [23,24],
obtenant un taux de réhospitalisation moindre sur neuf mois
[25], une diminution des symptômes dépressifs associés aux
hallucinations et une amélioration du fonctionnement global et social [26]. Une analyse conjointe des résultats de
ces deux études [27] montre que la diminution du taux de
réhospitalisation est due à la diminution de la crédibilité
accordée aux hallucinations, et non à celle des symptômes
émotionnels, ou de la fréquence des hallucinations [28]. Ces
résultats sont néanmoins à mettre en perspective du fait
qu’une part importante des échantillons présentait des hallucinations dans le cadre d’un trouble de l’humeur. Enfin,
une étude récente a également mis en évidence une efficacité notable de l’entraînement à la pleine conscience sur la
diminution des symptômes positifs [29].
Plusieurs limites cette étude pondèrent la portée
des résultats. Le nombre restreint de sujets implique
d’interpréter prudemment les résultats et appelle d’autres
recherches auprès d’échantillons plus importants. De
plus, la faible consistance interne de la sous-échelle
d’omnipotence pourrait refléter un manque de compréhension de ses items. L’omnipotence a été observée comme
associée à la dépression [4—6], mais la faible consistance
interne de cette sous-échelle dans nos résultats limite la
conclusion quant à l’absence d’influence de l’omnipotence
sur la symptomatologie dépressive. De même, l’absence
de corrélation entre Omnipotence et Résistance peut être
dépendante du manque de consistance de la sous-échelle
Omnipotence. Cependant, bien qu’une corrélation entre
Omnipotence et Résistance ait été observée précédemment [2], on n’observe pas de contribution significative de
l’Omnipotence sur la Résistance. Plutôt que l’omnipotence
supposée de la voix, il semble que le caractère malveillant
détermine la réponse d’évitement [3]. Malgré ces limitations, nos données fournissent un argument supplémentaire
en faveur du caractère prédictif de la résistance aux voix
sur les répercussions émotionnelles des hallucinations. Le
recours au BAVQ-R peut se révéler d’une grande utilité en
clinique pour évaluer la résistance face aux hallucinations,
pouvant être à l’origine de symptômes dépressifs.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
[1] Chadwick P, Birchwood M. The omnipotence of voices. A cognitive approach to auditory hallucinations. Br J Psychiatry
1994;164(2):190—201.
J.L. Monestès et al.
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