L`accueil des personnes avec un syndrome d`Ehlers

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Accueil et conduite à tenir face aux personnes avec un syndrome d’Ehlers-
Danlos en situation d’urgence. Risques et incompréhensions.
Professeur Claude Hamonet, consultation Ehlers-Danlos Service de médecine physique et de
Réadaptation. Hôtel-Dieu de Paris
Avec le soutien de la Fondation de France
Introduction
Dans notre expérience du syndrome d’Ehlers-Danlos, nous avons constaté que très souvent
les situations d’urgence sont mal vécues ou à risque compte-tenu du fait que la quasi-
totalité des médecins ignorent l’existence du syndrome d’Ehlers-Danlos et les manifestations
cliniques qui le caractérisent. Pire ! La fragilité de ces personnes face à certains actes
diagnostics (ponction lombaire) ou thérapeutiques (manipulation cervicale, chirurgie
orthopédique) étant ignorée ou niée, malgré les dires des patients dans certains cas les
expose à des accidents graves sur le plan vital comme sur le plan fonctionnel. Ce qui est le
plus traumatisant pour ces patients est de ne pas être crus, de s’entendre dire « c’est dans la
tête », voire d’être pris pour des simulateurs.
Ce syndrome qui porte le nom de deux descripteurs dermatologues (Ehlers, Copenhague,
1900, et Danlos, Paris 1908) reste quasiment inconnu aujourd’hui des professions de santé
et pourtant sa symptomatologie est riche et parfois inquiétante, à l’origine de nombreuses
situations vécues de façon dramatique et conflictuelles parce qu’incomprises et, pour les
personnes concernées et leurs proches, frustrantes voire humiliantes.
Le syndrome d’Ehlers-Danlos se caractérise par une altération d’origine génétique, du tissu
conjonctif, particulièrement des collagènes (ils sont aujourd’hui, au nombre de trente) qui
assurent la cohésion des fibres de ce tissu. Le conjonctif qui constitue 75% au moins du corps
humain est mince, donc fragile, et a perdu ses capacités physiques de réactivité aux
sollicitations mécaniques, principalement par manque d’élasticité.
De ce fait les capteurs qui sont placés dans ces tissus et renseignent sur les sensations
corporelles, ne rempliront pas ou mal leur rôle. La perception de leur propre corps par ceux
qui sont atteints sera modifiée : déformée, absente ou exagérée (dans le sens de la douleur
surtout). On a alors affaire à un gigantesque syndrome proprioceptif qui conduit les patients
à dire que : « leur esprit et leur corps sont séparés » ou bien qu’ils « voudraient se
débarrasser de leur corps », ou encore que « leur corps ne leur obéit pas », « qu’ils ne sont
pas maître chez eux. »
Les altérations des sensations, les dérèglements du contrôle moteur, des sensations et du
système neurovégétatif qui s’ensuivent sont à l’origine d’une symptomatologie, pouvant
être spectaculaire et angoissante et, du fait de l’ignorance du syndrome par le corps de
santé, sont à l’origine de situations d’incompréhensions et d’erreurs psychologiques et
thérapeutiques parfois graves. L’intensité des symptômes et l’allure dramatique du tableau
clinique (sensation de mort imminente parfois), contrastent, heureusement, avec l’absence
habituelle d’issue dramatique.
Ce contexte doit être d’autant mieux connu que ce syndrome, classé à tort parmi les
maladies rares donc rarement évoquées est en fait fréquent puisqu’on estime sa
prévalence- incidence, en France, à 500.000 personnes au moins. Par contre, il est rarement
diagnostiqué et constamment confondu avec d’autres tableaux cliniques plus familiers aux
médecins.
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Ayant créé, depuis 15 ans une consultation dédiée à ce syndrome qui a accueilli plus de
1400 personnes dont une majorité a été suivie avec des épisodes aigus, conduisant à
consulter les urgences. Nous avons recensé, ici, les tableaux cliniques les plus souvent
observés en indiquant les modalités de réponses qui nous semblent les plus appropriées
compte-tenu de notre expérience d’un syndrome qui est bien mal placé entre sa diversité
d’expression et la méconnaissance du corps médical de son existence.
Les situations d’urgence et Le Syndrome d’Ehlers-Danlos
Chacun des nombreux symptômes qui font partie du syndrome peuvent réaliser une
situation d’allure dramatique qui conduit, tout naturellement, aux services d’urgences
médicales ou chirurgicales. Parmi les situations cliniques que nous avons identifiées par
l’interrogatoire et le suivi de nos patients figurent : les crises douloureuses, les malaises avec
ou sans perte de connaissance, les détresses respiratoires, les subocclusions, les accidents
hémorragiques, les troubles aigus de la vision, les crises vertigineuses, les pseudos
paralysies, les crises dystoniques, les dystocies, les urgences stomatologiques.
La première étape est de savoir reconnaître le syndrome diagnostiquer le syndrome, de ne
pas « passer à côté. » Ceci est aujourd'hui facile par quelqu’un qui est averti. Les patients qui
en sont atteints savent d’ailleurs très bien les dépister dans leur propre famille devant un
regroupement de signes cliniques dans les formes les plus expressives d’Ehlers-Danlos.
Faire rapidement le diagnostic de syndrome dans un contexte d’urgence.
« Écoutez votre patient, il vous fera le diagnostic » (Osler)
C’est possible par la seule clinique. La symptomatologie qui conduit aux urgences est déjà un
élément d’orientation puisqu’elle s’intègre dans le tableau clinique de ce syndrome qui doit
être systématiquement discuté concurremment avec les diagnostics plus familiers aux
urgentistes. La négativité des examens paracliniques est, en soi, un facteur d’orientation.
Les signes d’orientation.
Trois signes simples font suspecter le SED:
-le signe de la porte (se heurter à l’encadrement des portes) qui exprime les troubles
proprioceptifs.
-Le signe de la portière (ressentir une décharge électrique lorsqu’on saisit le portière d’une
voiture ou d’un caddy) qui exprime la minceur de la peau très conductrice.
-Le signe de la chaussette (mettre des chaussettes ou une bouillotte pour dormir au niveau
des pieds qui sont froids). Il exprime le faux syndrome de Raynaud habituel du fait de la
dysautonomie importante avec troubles de la thermorégulation.
Les signes de certitude
Six signes permettent de l’affirmer de façon formelle, en l’absence de test biogénétique
parce que ce regroupement de symptômes est caractéristique, parce qu’il n’y a pas d’autre
tableau clinique pouvant donner le même ensemble de manifestations, enfin il y a un ou
plusieurs cas familiaux, qui peuvent être moins évocateurs (surtout chez les
hommes),signant le caractère nétique. Tous ces symptômes sont variables avec des
renforcements lors de « crises » qui conduisent, précisément aux urgences. L’absence d’un
ou même de plusieurs de ces signes ne permet pas d’éliminer le diagnostic comme on le voit
trop souvent faire. Les formes incomplètes sont nombreuses. L’existence d’autres
symptômes (digestifs, respiratoires, ORL, ophtalmo, neurovégétatifs (dysautonomie) prend
alors une signification importante surtout si d’autres cas familiaux sont identifiés, souvent
porteurs de diagnostics erronés fibromyalgie, sclérose en plaques, PSR, PR, Gougerot-
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Sjögren, myopathie, myasthénie, endométrioses, maladie caeliaque ou de Crohn, asthme
etc.
1- Les douleurs. Elles sont multiples et variables dans leurs localisations (périarticulaires,
cutanées, musculaires, abdominales, thoraciques, crânio-encéphaliques, génitales…) tout le
corps est ou peut être douloureux. Elles sont souvent difficiles à décrire, souvent très
intenses (dépassant le score 10 sur les échelles analogiques où ils ne sont jamais à 0, disent-
ils), toujours sous-estimées, souvent rebelles aux traitements antalgiques usuels même
puissants.
2- La fatigue et la somnolence. C’est le symptôme considéré comme le plus handicapant.
Remarquable par son intensité, allant jusqu’à l’endormissement brutal en pleine activité. Il
freine toutes les activités y compris la marche et l’idéation. Il contraste fréquemment avec
un état insomniaque.
3- Les troubles proprioceptifs. Sous ce terme se regroupent toutes les difficultés du contrôle
des mouvements et des gestes des membres, du cou et du tronc : pseudo entorses,
luxations et subluxations, maladresses, déséquilibre, heurt d’objets, pseudo paralysies.
4- Les signes cutanés : finesse, fragilité, vergetures, troubles de cicatrisation, étirabilité
(inconstante et modérée contrairement à une idée fausse solidement ancrée dans l’esprit les
croyances des médecins).
5-Une tendance hémorragique : elle est due à la fragilité des petits vaisseaux (peau et
muqueuses) et se traduit par des ecchymoses, des hématomes, des gingivorragies, des
épistaxis, des hémorragies digestives et urinaires.
6-L’hypermobilité articulaire est un signe classique fréquent mais qui peut manquer,
d’autant que le test de Beighton, habituellement utilisé pour la mesurer, s’avère peu fiable
et que certains prônent son abandon.
Bon nombre d’autres symptômes sont à rattacher au SED (digestifs, respiratoires, vésico-
sphinctériens, bucco-dentaires, ORL, ophtalmologiques, neuro-végétatifs, cognitifs), ils ne
doivent pas égarer le clinicien vers d’autres pathologies mais, au contraire, apporter leur
contribution au diagnostic, du fait même de leur diversité témoin de l’étendue des lésions
du conjonctif.
Faire face aux situations d’urgences dans le syndrome d’Ehlers-Danlos.
Six tableaux cliniques sont habituellement rencontrés : Douleurs, détresse respiratoire,
luxations et entorses, pseudo paralysies, pertes de connaissance, occlusion intestinale.
Ce qu’il ne faut pas faire
-Ne pas écouter le patient et son entourage et ne pas le croire écoutez votre malade, il
vous fera le diagnostic », Osler).
-Manipuler le cou (risque de lésions des vaisseaux du cou (artère vertébrale surtout) ou
ostéo-articulaires (hypermobilité).
-Donner des anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires (risque majeur d’accident
hémorragique),
-Faite une coloscopie (risque hémorragique et/ou de perforation intestinale),
-Faire une ponction lombaire (risque de plaie méningée) sauf contexte impératif (c’est le cas
de la péridurale lors d’un accouchement). Etre alors très prudent d’autant que le rachis est
très mobile et le passage de l’aiguille à PL pas toujours aisé.
-Opérer une articulation (épaules, genoux surtout), les échecs sont la règle même après 17
tentatives sur un même genou comme nous l’avons vu!
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-Donner des anti-inflammatoires (risque d’hémorragies digestives) et des corticoïdes
(mêmes risques et prises de poids, ostéoporose sur os ostéopénique, prise de poids facile
dans le syndrome).
Ce qu’il faut faire, une fois le SED identifié.
1-Devant une crise douloureuse
« Sur une échelle de 10, mes douleurs ne sont jamais inférieures à 2 et, lors de crises, elles
sont à 15 plutôt qu’à 10! » (Paroles de patientes avec un SED.
Ces crises sont de deux sortes : localisées ou diffuses, généralisées
Les crises localisées peuvent être trompeuses:
Les douleurs sterno-costales sont très fréquentes (71% de nos 644 cas) )dans ce syndrome,
évoquant une douleur d’origine cardiaque, si elle prédomine à gauche et comporte (comme
nous l’avons observé) une irradiation au membre supérieur vers les deux derniers doigts.
Elles sont facilement identifiées par la douleur provoquée à le pression des articulations
sternocostales. Elles sont soulagées par un traitement local (stimulations électriques
antidouleurs par TENS, patch antidouleurs, injections anesthésiques sternocostales) ou par
voie générale. Surtout pas d’anticoagulant ou d’antiagrégant. Les gilets proprioceptifs,
compressifs mis au pour ce syndrome peuvent être d’un très bon appoint et ont un rôle
préventif pur le futur.
Les douleurs pseudo-phlébitiques d’un membre inférieur. La phlébite n’est pas, dans la
cohorte importante (700 environ) de patients que nous suivons, un motif d’appel fréquent.
Par contre des faux tableaux de phlébite sont assez fréquents associant des douleurs
musculaires, un œdème, des changements de couleur des téguments. En l’absence de signe
d’Homans, il faut être très prudent sur le diagnostic de thrombose en sachant que les
échographies sont difficiles à interpréter, du fait de la structure des tissus dans le syndrome,.
En pratique, il faut préférer les bas de contention ou les bandes Biflex (contention
« moyenne » à l’héparine, le risque est moindre.
Les migraines accompagnées peuvent être particulièrement violentes dans ce contexte. Les
antalgiques et antimigraineux sont souvent impuissants, l’oxygénothérapie (3l/minute) par
périodes de 10 à 60 minutes est très souvent efficace.
-Les douleurs abdominales et pelviennes
Elles peuvent être très violentes, pseudo-chirurgicales, brèves (mais pas toujours), à type de
coup de couteau. Ailleurs, elles sont plus diffuses. L’examen est difficile avec une paroi
abdominale molle qui ne révèle pas la contracture et un abdomen douloureux dans son
ensemble.
Si elles prédominent à droite avec ou sous irradiation scapulaire, il faut soupçonner un
syndrome vésiculaire. Les lithiases sont fréquentes sur ces vésicules atones mais fines qui
peuvent se rompre sous le double effet de l’action traumatisante des calculs et de
l’infection. L’échographie s’impose suivie de l’ablation des calculs s’ils sont présents et de la
vésicule. Certains calculs peuvent migrer et conduire à un tableau de pancréatite aigue. Les
appendicites peuvent avoir une évolution rapide vers une péritonite même en l’absence de
fièvre apparente chez une personne avec une température de base basse (35), comme nous
l’avons observé chez une de nos patients.
Ailleurs, c’est l’estomac qui est en cause dans le cadre de reflux gastro-oesophagiens
responsables de brûlures pouvant être violentes. Ils sont accessibles aux inhibiteurs de la
pompe à protons (Oméprazole à fortes doses) et aux pansements gastriques. Si
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malencontreusement un anneau gastrique a été mis en place, il peut s’agir d’un volvulus
gastrique comme nous l’avons observé.
L’intestin, distensible, ballonné, peu contractile, est lui aussi à l’origine de douleurs avec des
tableaux clinques qui vont du ballonnement douloureux et « encombrant » à la
subocclusions parfois sanctionnée par un acte chirurgical mutilant qu’il faut s’efforcer
d’éviter à l’aide de toutes les techniques médicales d’évacuation accessibles. Les massages
abdominaux, la chaleur, les stimulations électriques abdominales peuvent être utilisées
conjointement avec les traitements usuels des ralentissements du transit. L’effet néfaste des
opiacés et de la codéine est à rendre en compte. Un étranglement herniaire, malgré la
distensibilité des tissus est possible, comme nous l’avons observé récemment.
Les douleurs pelviennes sont fréquentes. L’origine génitale est habituelle, les règles sont très
douloureuses. L’échographie peut montrer des images pseudo kystiques qui régressent
habituellement spontanément ou sous traitement hormonal et qu’il faut s’abstenir
d’opérer. Des tableaux simulant l’endométriose peuvent aussi être réalisés. Ailleurs, il s’agit
de douleurs pelviennes très intenses, décrites comme transfixiantes, sans substratum
anatomique évident. Le vagin peut aussi être très douloureux en permanence ou lors des
rapports sexuels, des gels locaux et la Xylocaïne visqueuse sont indiqués.
Lors d’un accouchement, les contractions utérines peuvent coexister avec un col qui ne
s’ouvre pas, donnant faussement l’indication que le travail n’est pas commencé et créant
une situation douloureuse et épuisante pour la mère. Les techniques de dilatation du col
sont à effectuer. Il faut savoir aussi que les péridurales peuvent ne pas être efficaces ou ne
lêtre que partiellement.
Les Douleurs articulaires. Elles sont très fréquentes, liées à des positions de sommeil
(réalisation d’un syndrome de défilé par distension musculaire des scalènes), à des
phénomènes de tendinite, d’algodystrophie, d’ébranlement des tissus après une pseudo
entorses, une luxation ou une activité pétée repassage, Kinésithérapie isotonique trop
« vigoureuse ». L’usage d’orthèses légères, d’injections locales de corticoïdes et de
Xylocaïne, les emplâtres antidouleurs, le TENS contribuent au soulagement.
Les douleurs musculaires sont souvent intenses venant juste après les douleurs articulaires
pour leur intensité aux dires des patients. Elles peuvent s’accompagner de crampes, de
secousses musculaires, faisant évoquer une note dystonique et incitant à utiliser (avec une
efficacité fréquente) le Mantadix. L a Carnitine (Lévocarnil) per os apporte aussi ne
amélioration sur ces douleurs.
Les syndromes douloureux diffus.
Il s’agit de crises douloureuses qui concernent l’ensemble des articulations (rachis compris),
les muscles, la peau qui s’associent plus ou moins aux autres douleurs déjà décrites. Ils sont
souvent un élément d’une crise plus globale avec accentuation de la fatigue, des désordres
proprioceptifs et des difficultés cognitives.
Les supports proprioceptifs (coussins, matelas, oreillers), les vêtements proprioceptifs et les
autres orthèses (lombaires en particulier mais aussi des bandes élastiques Biflex placées aux
membres inférieurs si les douleurs prédominent à cet endroit, la balnéothérapie chaude, les
exercices proprioceptifs et les massages, la relaxation, l’hypnose peuvent aider. En effet ,les
médications antalgiques même puissantes sont peu efficaces dans ce syndrome et se
singularisent surtout par l’importance de leurs effets secondaires. Il y a deux exceptions dans
la pratique quotidienne pour les fortes douleurs: le Tramadol et l’Acupan.
Dans ces douleurs diffuses, le rôle de la dystonie, souvent retrouvée dans ce syndrome, peut
justifier un traitement par un dopaminergique tel que le Mantadix.
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