Le sphinx de l’œuvre
Isabelle Stengers* et Bruno Latour**
Voici le livre oublié d’un philosophe oublié. Mais pas d’un
philosophe maudit créant dans sa mansarde, inconnu de tous,
une théorie radicale qui aurait fait l’objet d’une dérision générale
avant de connaître un succès tardif. Au contraire, Étienne Sou-
riau (1892-1979) a fait carrière, a connu charges et honneurs, a
bénéficié de toutes les récompenses que la République réserve à
ses enfants méritants. Et pourtant son nom et son œuvre ont dis-
paru des mémoires, à la manière d’un paquebot, sombrant sur
place, sur lequel se serait refermé la mer étale. Tout juste se sou-
vient-on qu’il fut responsable du développement en France de
cette branche de la philosophie qu’on appelle l’esthétique. On
s’explique mal qu’il ait été si connu, si installé, et qu’il ait ensuite
si complètement disparu.
** Je dois d’avoir découvert Souriau, malgré l’oubli qui a englouti son œuvre, à un
plongeur en eau profonde, Marcos Mateos Diaz, qui inopinément, lors d’un séjour en
Cévennes, me mit entre les mains L’instauration philosophique. Depuis lors, la question
posée par Souriau, son œuvre et son destin n’ont cessé entre nous de susciter réflexions,
relances et entretiens – « confidences sans interlocuteur possible », écrit Deleuze. Puisse
cette préface ne pas en interrompre le cours.
** Ébloui par ce livre qu’Isabelle Stengers m’avait fait connaître, je l’ai d’abord saisi
comme la seule tentative proche de cette enquête sur les modes d’existence que je poursuis
depuis près d’un quart de siècle et j’en avais fait très vite un premier commentaire trop
intéressé pour être fidèle (voir l’article inédit http://www.bruno-latour.fr/articles/
article/98-SOURIAU.pdf). Quand il s’est agi de préfacer la réédition de ce livre brûlant,
j’ai naturellement appelé Isabelle au secours et n’ai conservé que quelques paragraphes de
mon commentaire.
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Souriau.prn
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mercredi 7 octobre 2009 15:46:21
Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique
Composite Trame par dØfaut