I hommes & migrations n° 1275 183
Résumer l’importance des rites de l’enfance dans la société réunionnaise en si peu
de lignes constitue une gageure. Aussi ai-je choisi d’aborder les choses par le biais
de la métaphore.
L’expression incluse dans le titre, “le fil d’Ariane”, peut être interprétée ici de
plusieurs manières : dans la mythologie grecque, le fil d’Ariane sauva Thésée
du Minotaure en lui permettant de sortir du labyrinthe – lequel Thésée, détail
intéressant, était lui-même un hybride, issu de l’union entre deux individus
d’espèces différentes, une femme et un taureau. Ce labyrinthe n’avait qu’une seule
entrée. Cet aspect de la métaphore, dans le cas des sociétés créoles, peut faire l’ob-
jet d’une interprétation discutable : il ne me semble pas que l’on puisse se perdre
dans les sociétés créoles ; bien que complexes, elles ne sont donc pas assimilables
à des labyrinthes, surtout à sortie unique. Si j’emploie ici l’expression “fil
d’Ariane”, c’est à la fois pour l’acception qu’elle possède au sens propre dans le sens
commun, celui d’un fil conducteur, et pour le sens qui lui est attribué dans les
nouvelles technologies – et notamment sur Internet : celui d’un chemin d’accès
qui aide à la navigation et à la localisation, qui relie et articule entre eux chacun
des documents recherchés.
“Relire” la société créole réunionnaise
J’aurais également pu nommer cet article “Relire” – la société créole réunion-
naise – et “Relier” – le tout. Car les rites de l’enfance sont une clé qui permet tant
de relier les différentes tranches de vie relevées par l’anthropologue que de relire,
au regard de l’importance des rites, du sacré, tous les éléments présents dans la
société. Comme l’ont montré bien avant moi Doris Bonnet chez les Mossi du
Burkina(1) ou Jean Benoist à La Réunion(2), le corps biologique – et le traitement
qui lui est réservé, qu’il soit thérapeutique ou rituel – est représentatif du corps
social ; il révèle la société elle-même, ses logiques et ses cohérences, les dyna-
miques à l’œuvre. De l’étude de la petite enfance et des rites de l’enfance – qu’il
s’agisse des rites pratiqués à la naissance de l’enfant, tels le rite d’accueil ou l’exa-
men du nouveau-né, des divers rites conjuratoires pratiqués par les familles en cas
de circulaire du cordon, des rites de “finition” du corps du nouveau-né(3) ou du
rituel dit des sévé mayé(4), le rasage du crâne de l’enfant, un rite de passage assimi-
lable à une naissance sociale – j’ai été amenée à explorer les divers états de la créo-
lité, l’influence de ces états sur le concept de culture créole, sur la relation présente
entre corps biologique et corps social. Par l’analyse de ces rites, c’est l’enjeu des
gestes qui est envisagé, les raisons pour lesquelles certains peuvent être interprétés