DOSSIER Soins de support ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER Retour sur la 4e journée CAMI/ICACT L’ activité physique en oncologie est devenue incontournable. Il s’agit d’un soin de support qui modifie fatigue et qualité de vie, mais c’est aussi un traitement qui modifie la survie et le risque de comorbidités. Elle s’intègre dans les modifications comportementalistes post-thérapeutiques incluant, outre l’activité physique, les problèmes d’alimentation. L’activité physique est susceptible de modifier un certain nombre de comorbidités particulièrement délétères, y compris des complications comme les lymphœdèmes qui ne sont plus une contre-indication à l’activité physique et sportive. Sa mise en place passe par une définition des objectifs individuels et collectifs, une évaluation des réalisations présentes et des organisations idéales à mettre en place dans le futur. Mais elle nécessite aussi une évaluation des pratiques et croyances actuelles, tant vue du côté des patients que vue du côté des professionnels de la santé. L’objectif secondaire sera d’aboutir à une prise en charge socio-économique de cet apport thérapeutique majeur avec ses déclinaisons en milieu hospitalier et en médecine de ville. Comme chaque année, OnKo+ vous présente un panaroma de ces questions théoriques, pratiques et n économiques. Dr Thierry Bouillet Oncologue au CHU Avicenne (Bobigny), Président national de la fédération CAMI Sport et Cancer 1L es aliments anticancer������������������������������������������������������������������������������������������������� p. 64 Sophie Laurent (Micro-nutritionniste, Clinique des Martinets, Rueil-Malmaison) 2P lan cancer 3 et activité physique : où en sommes-nous, quelles perspectives ? ����������������������������������������������������������� p. 65 Julie Gaillot (Département Prévention de l’INCa) 3 Trilogie muscles, graisses et cytokines dans les cancers du sein ����������������������� p. 66 Dr Thierry Bouillet (CHU Avicenne ; CAMI) 4S port et lymphœdème après cancer du sein : que dire, que faire ?������������������� p. 69 Dr Stéphane Vignes (Hôpital Cognacq-Jay, Paris) 5 I nnovation organisationnelle dans la prise en charge des patients en oncologie ������������������������������������������������������������������������������������������� p. 70 Pr Étienne Minvielle (EHESP ; Gustave Roussy, Villejuif ) 6 Mieux comprendre les enjeux pour mieux intégrer l’activité physique et sportive dans l’offre de soin : enquête nationale Sport et Cancer 2015 ��������� p. 72 Jean-Marc Descotes (CAMI ; Université Paris 13) 7L a prise en charge physique des patients en onco-hématologie en Belgique : deux axes majeurs de prise en charge��������������������������������������������� p. 75 Ingrid de Biourge (Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles) 8U ne innovation en milieu hospitalier : le pôle Sport et Cancer ������������������������� p. 76 Florent Hyafil (CAMI) et Pr Laurent Zelek (CHU Avicenne) 9 Comment les progrès des thérapies anticancéreuses nous obligent à la réforme ���� p. 77 Nicolas Bouzou (Asterès, Fondation Roche) ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER 1 - LES ALIMENTS ANTICANCER DOSSIER Sophie Laurent (Micro-nutritionniste, Clinique des Martinets, Rueil-Malmaison ) RECOMMANDATIONS Actuellement en France, la prévention nutritionnelle des cancers s’appuie sur les recommandations élaborées à partir d’une évaluation scientifique collective internationale (WCRF/AICR, 2007). Selon cette évaluation, il est estimé « que la mise en œuvre des recommandations nutritionnelles permettrait d’éviter environ un tiers des 12 cancers les plus connus dans les pays développés ». Ainsi, les facteurs nutritionnels qui augmentent le risque de cancers sont : boissons alcoolisées, surpoids et obésité, viande rouge et charcuterie, sel et aliments salés. Les facteurs qui, au contraire, réduisent le risque sont : l’activité physique et les fruits et légumes. Ce rapport stipule que l’effet protecteur des fruits et légumes serait associés à leur teneur en divers micronutriments capables d’agir tant sur des mécanismes de la cancérogenèse que sur des mécanismes protecteurs, comme la stimulation du système immunitaire ou l’activité antioxydante. Il n’existe, à ce jour, pas de régime anticancer. Toutefois, certains aliments, pour lesquels il existe beaucoup de documentations, sont protecteurs et référencés par le Pr David Khayat dans son nouveau livre Prévenir le cancer, ça dépend aussi de vous. LE BROCOLI Le brocoli a une densité nutritionnelle élevée, il est riche en vitamines B9, C et K, en caroténoïdes et en manganèse. Le brocoli contient des glucosinolates, dont 80 % de glucopharanine hydroly64 sée par la myrosinase pour former le sulforaphane. Le sulforaphane est un anti-inflammatoire agissant sur l’enzyme COX-2. Il s’agit également d’un modulateur du système enzymatique des phases 1 et 2 de la détoxification hépatique. Il influence l’apoptose et réduit l’angiogenèse. LE CURCUMA Le curcuma contient de la curcumine, un principe actif aux propriétés anti-inflammatoires.En effet, la curcumine inhibe le NF-κB, la phospholipase, la lipoxygénase et COX-2. Sur la cancérogenèse, la curcumine freinerait les stades d’initiation, de promotion et de progression des cancers ainsi que l’angiogenèse (1). De nombreuses études ont été réalisées ou sont en cours en association avec la chimiothérapie (2, 3). LA QUERCÉTINE La quercétine est un flavonoïde très présent dans les câpres, le sureau, les oignons rouges et les airelles. Elle inhibe la libération de TNFα et d’interleukine 6 pro-inflammatoires. La quercétine possède une activité anti-aromatase et inhibitrice de la tyrosine kinase et de l’EGFR des cellules cancéreuses. En clinique, plusieurs études ont été réalisées, notamment : • une étude sur l’association avec le curcuma dans la polypose adénomateuse (4) ; • une étude rétrospective sur le cancer de l’ovaire (5) ; • une autre sur l’incidence du cancer du pancréas (6). L’AIL L’ail contient un composé organo-sulfuré, l’allicine, qui sera transformé en diallyl sulfide et diallyl disulfide. Ces composés permettent de stimuler le système immunitaire en augmentant significativement le nombre de cellules NK, ils induisent l’apoptose et l’anti-angiogenèse. De nombreuses études épidémiologiques ont démontré les effets positifs de l’ail sur la cancérogenèse (7, 8). L’EXTRAIT DE GRENADE L’extrait de grenade contient des tanins hydrolysables, dont les punicalagines et l’acide ellagique. Ce sont de puissants antioxydants. Ils permettent de bloquer la croissance tumorale et l’angiogenèse (blocage de VEGF et PGEF), et suppriment la signalisation inflammatoire cellulaire dans les cellules cancéreuses du côlon (8). En clinique, dans le cancer de la prostate, la prise de jus de grenade a permis de quadrupler le temps de doublement des PSA (10). LE THÉ VERT Le thé vert riche en catéchines, dont l’épigallocathéchine gallate (EGCG), bloque les récepteurs et le signal de prolifération et d’angiogenèse (11). Il favorise également l’apoptose et inhibe la mutagenèse induite par les hydrocarbures polycycliques. La consommation régulière de thé vert diminue le risque de cancer du sein (12) et réduit le taux d’insulin growth factor (IGF-1) dans le cancer de la prostate (13). onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 CONCLUSION Ces micronutriments font l’objet de nombreuses études in vitro et in vivo afin de démontrer un réel intérêt à être apportés chaque jour dans l’assiette des patients atteints de cancer ou en prévention, avec la possibilité d’entrevoir, afin d’avoir les doses recommandées, une supplémentation nutritionnelle. n Mots-clés : Aliments anticancer, Nutrition, Cancer, Prévention BIBLIOGRAPHIE 1. Aggarwal BB, Kumar A, Bharti AC. Anticancer potential of curcumin: preclinical and clinical studies. Anticancer Res 2003 ; 23 : 363-98. 2. Bayet-Robert M, Kwiatkowski F, Leheurteur M et al. Phase I à doses essai d’escalade de docetaxel plus curcumine chez les patients atteints de cancer avancé et métastatique. Cancer Biol Ther 2010 ; 9 : 8-14. 3. Dhillon N, Aggarwal BB, Newman RA et al. Essai de phase I de la curcumine chez les patients atteints de cancer du pancréas avancé.Clin Res Cancer 2008 ; 14 : 4491-9. 4. Cruz-Correa M, Shoskes DA, Sanchez P et al. Combination treatment with curcumin and quercetin of adenomas in familial adenomatous polyposis. Clin Gastroenterol Hepatol 2006 ; 4 : 1035-8. 5. Nöthlings U, Murphy SP, Wilkens LR et al. Flavonols and pancreatic cancer risk: the multiethnic cohort study. Am J Epidemiol 2007 ; 166 : 924-31. 6. Bobe G, Weinstein SJ, Albanes D et al. Flavonoid intake and risk of pancreatic cancer in male smokers (Finland). Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2008 Mar ; 17 : 553-62. 7. Galeone C, Pelucchi C, Levi F et al. Onion and garlic use and human cancer. Am J Clin Nutr 2006 ; 84 : 1027-32. 8. Fleischauer AT, Poole C, Arab L. Garlic consumption and cancer prevention: meta-analyses of colorectal and stomach cancers. Am J Clin Nutr 2000 ; 72 : 1047-52. 9. Adams LS, Seeram NP, Aggarwal BB et al. Pomegranate juice, total pomegranate ellagitannins, and punicalagin suppress inflammatory cell signaling in colon cancer cells. J Agric Food Chem 2006 ; 54 : 980-5. 10. Pantuck AJ, Leppert JT, Zomorodian N et al. Phase II study of pomegranate juice for men with rising prostate-specific antigen following surgery or radiation for prostate cancer. Clin Cancer Res 2006 ; 12 : 4018-26. 11. Jankun J, Selman SH, Swiercz R, Skrzypczak-Jankun E. Why drinking green tea could prevent cancer. Nature1997 ; 387 : 561. 12. Inoue M, Tajima K, Mizutani M et al. Regular consumption of green tea and the risk of breast cancer recurrence: follow-up study from the Hospital-based Epidemiologic Research Program at Aichi Cancer Center (HERPACC), Japan. Cancer Lett 2001 ; 167 : 175-82. 13. Gupta S, Hastak K, Ahmad N et al. Inhibition of prostate carcinogenesis in TRAMP mice by oral infusion of green tea polyphenols. Proc Natl Acad Sci USA 2001 ; 98 : 10350-5. 2 - PLAN CANCER 3 ET ACTIVITÉ PHYSIQUE : OÙ EN SOMMES-NOUS, QUELLES PERSPECTIVES ? E Julie Gaillot (Chef de projet au département Prévention de l’Institut national du Cancer [INCa]) n France, plus de 3 millions de personnes ont ou ont eu un cancer au cours de leur vie. Généraliser une démarche de prévention après un diagnostic de cancer (arrêt du tabac, réduction de la consommation d’alcool, pratique d’une activité physique, réduction des temps de sédentarité et d’une surcharge pondérale, repères alimentaires) est un nouvel enjeu à relever, enjeu inscrit dans le Plan cancer 3 (2014-2019). Il ne s’agit plus seulement d’éradiquer la maladie cancéreuse mais de considérer le patient dans sa globalité pour réduire ses risques de morbidité et de mortalité sur le long terme. ACTIVITÉ PHYSIQUE : DES BÉNÉFICES MULTIPLES Dans ce sens, de nombreuses publications scientifiques mettent onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 en évidence que l’activité physique pendant et après le traitement en cancérologie améliore la qualité de vie (bénéfice sur l’anxiété, la dépression, le sommeil, l’image du corps et le bien-être) et diminue la sensation de fatigue des patients atteints d’un cancer, sans effet secondaire. Les bénéfices en termes de survie ont également été observés chez des patients atteints de cancer du sein et de cancer colorectal notamment. Pourtant, un grand nombre de patients augmente leur temps de sédentarité et réduisent le niveau de leur activité physique quotidienne (déplacements, activités domestiques, sport) dès l’annonce d’un diagnostic de cancer. UNE EXPERTISE DE L’INCA EN COURS Une expertise scientifique est en cours à l’INCa pour analyser l’ensemble des données existantes en termes de bénéfices pour le patient, mais aussi l’ensemble des barrières et des leviers qui peuvent favoriser la pratique des patients (publication prévue fin 2015). Cette expertise constitue une étape indispensable pour promouvoir l’activité physique auprès des professionnels de santé et des patients, afin de disposer d’un argumentaire scientifiquement validé pour notamment renverser la représentation du malade « allongé », constituant, dans bien des cas, un frein à la mise en mouvement de la personne ayant un diagnostic n de cancer. Mots-clés : Activité physique, Prévention, INCa, Qualité de vie 65 DOSSIER ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER 3 - TRILOGIE MUSCLES, GRAISSES ET CYTOKINES DANS LES CANCERS DU SEIN DOSSIER Dr Thierry Bouillet (Service d’oncologie, CHU Avicenne ; Fédération nationale sport et cancer CAMI) QUELLE EST LA SITUATION CLINIQUE DU RAPPORT ENTRE POIDS ET PRONOSTIC DU CANCER DU SEIN ? Ces relations existent tout au long de l’histoire naturelle de la maladie tumorale mammaire. Il existe ainsi une corrélation entre la mortalité globale ou spécifique et la présence d’une surcharge pondérale lors du diagnostic de cancer du sein localisé. Un IMC élevé, supérieur à 25, voire à 30, est associé à une surmortalité globale et spécifique, tant en statut préque post-ménopausique, et ce, par rapport à la population ayant un IMC dit normal, soit entre 18,5 et 25 kg/m2 (1). Outre cet impact sous forme d’une surmortalité, un IMC élevé est associé, d’une part, à un risque de toxicité de grade 3/4 et, d’autre part, à une diminution du taux de réponse histologique lors des chimiothérapies néoadjuvantes (2). Outre cet impact du poids initial, il existe une prise de poids régulière en cours et après la chimiothérapie pour cancer du sein. Cette prise de poids, de l’ordre de 2 à 3 kg, s’installe au cours des 2 premières années après le diagnostic, elle est suivie d’une stabilisation en plateau du poids. Moins de 10 % des patientes reviennent au poids qu’elles avaient avant la réalisation de la chimiothérapie (3, 4). Cette prise de poids, quasi systématique, a un impact sur la mortalité globale et spécifique liée au cancer du sein. Cette corrélation mortalité et variation de poids existe, que cette prise de poids survienne dans l’année ou après 1 an 66 par rapport au diagnostic du cancer du sein (1). Cette surcharge pondérale aboutit au maximum au syndrome métabolique, syndrome dont le diagnostic passe par la mise en évidence d’une association d’au moins trois facteurs parmi quatre anomalies que sont l’obésité abdominale, une hypertension artérielle, une dyslipidémie et une hyperglycémie. L’existence d’un syndrome métabolique chez une femme suivie pour cancer du sein est associée à une surmortalité par cancer du sein et une augmentation du risque de survenue d’un deuxième cancer du sein (5). Il existe donc une association entre, d’une part, le poids et sa variation dans le temps et, d’autre part, une surmortalité globale et spécifique par cancer du sein. GRAISSE ET MUSCLE, UN COUPLE ANTAGONISTE Cette corrélation poids-survie correspond à une dualité existant au cours de la maladie cancéreuse entre une prise de graisse et une fonte musculaire dite sarcopénique. L’existence d’une masse graisseuse abdominale est en effet un facteur lié à une surmortalité globale et spécifique. L’évaluation de la masse graisseuse lors du diagnostic de cancer est associée ainsi à un accroissement de la mortalité spécifique par cancer du sein. Ainsi, dans une population analysée selon une répartition en quatre quartiles de la masse graisseuse abdominale appréciée sur le tour de taille ou le rapport hanche/taille, le fait d’être dans le quartile haut, que ce soit sur le tour de taille ou le ratio taille/hanche, est associé à une surmortalité spécifique avec un risque relatif de 2 à 4. Il existe donc une relation entre adiposité centrale et survie dans les cancers du sein (6). Le deuxième paramètre de ce couple est la masse musculaire. Le muscle est le plus gros organe de l’organisme représentant 40 à 50 % du poids total d’un adulte en bonne santé non obèse. L’analyse de cette masse musculaire se fait selon son volume. Ce volume peut être facilement quantifiable par une technique de handgrip ou par la mesure de la masse musculaire déterminée en regard de la 3e vertèbre lombaire sur les coupes scanners. D’autres techniques plus complexes existent, comme le DXA scan ou les mesures d’enzymes du catabolisme musculaire (7). La variation de la masse musculaire aboutit en cancérologie à la notion de cachexie tumorale qui correspond à une fonte musculaire massive, une malnutrition et une inflammation, mais, dans un premier temps, avant ce stade évolué, existe une sarcopénie, qui correspond à une fonte encore modérée mais symptomatique des masses musculaires. Cette sarcopénie est précoce dans les cancers du sein. Ainsi, une femme sous chimiothérapie adjuvante perd 1,3 kg en moyenne de masse musculaire et cette sarcopénie se majore à distance du traitement (4). Cette sarcopénie précoce et progressive est prédictive des risques de complications iatrogènes. Des complications postopératoires onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER Muscle squelettique Tendon Désadaptation Nerfs et vaisseaux Tissu conjonctif sanguins Troubles du comportement Fatigue Anomalies musculaires Anomalies hormonales Tissu conjonctif Faisceau de fibres musculaires Noyau Myocyte Cytokines Sarcopénie/induction enzymes Cytokines Troubles du comportement Fatigue Prise de graisse par : NK Lyse Lymphocyte B Cytokines Macrophage Ig T CD4 T CD28 - Baisse AP - Cortisol - TNFα - Troubles alimentaires Interleukines Cellules dendritiques Figure 1 – Trilogie tumeur-muscles-graisses et cytokines. peuvent survenir, en particulier après résection colique ou CHIP, avec une association entre taux de complications et existence d’une sarcopénie (8). Il existe également une valeur prédictive de la sarcopénie sur les risques de complications des chimiothérapies avec une augmentation du risque de toxicité de grade 3/4 en cas de sarcopénie (2, 9, 10). Outre cet aspect prédictif de complications, la sarcopénie est également prédictive de survie, tant en contexte adjuvant (11) qu’en situation métastatique (10). Il existe donc une trilogie dans le cadre des cancers du sein : prise de poids, sarcopénie, prise de graisse, avec une prise de poids de 2 à 4 kg, une perte de muscle d’1,3 kg, une prise de graisse viscérale de 3 à 5 kg, trilogie survenant en particulier chez des femmes à poids normal lors du diagnostic de cancer du sein (4). onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 CYTOKINES, LES CLÉS DE CE COUPLE MUSCLEGRAISSE Cette prise de graisse et cette sarcopénie sont liées à des sécrétions de cytokines par plusieurs sources : les cellules cancéreuses et inflammatoires péritumorales, d’une part, et d’autre part, les tissus graisseux, en particulier la graisse abdominale (12). Les cytokines sécrétées par les cellules tumorales et les cellules inflammatoires sont multiples. Il s’agit principalement de l’interleukine 1, l’interleukine 6 et le TNFα, qui, par voie sanguine, diffusent au niveau du système nerveux central, provoquant troubles du comportement, fatigue, troubles du sommeil (13) mais aussi au niveau musculaire, activant le système NF-κB ce qui aboutit à une sarcopénie précoce par induction d’enzymes de dégradation des myofibrilles (Fig. 1). Cette sécrétion de cytokines d’ori- gine tumorale et inflammatoire se produit de façon précoce, expliquant donc la fatigue, les troubles du comportement ainsi que la faiblesse musculaire dont l’existence est rapportée par les patientes avant le diagnostic de cancer (14). D’autres cytokines sont issues des tissus graisseux, il s’agit de la leptine, dont le gène est situé sur le chromosome 7, qui favorise la formation de graisse, facilitant l’insulinorésistance et ayant un effet anti-apoptotique sur les cellules de cancer du sein (15). Inversement, l’adiponectine, dont le gène est située sur le chromosome 3 et le taux sérique est inversement proportionnel au poids, favorise le captage du glucose et l’oxydation des acides gras par les muscles, a un effet antiinflammatoire, diminue le taux d’œstrogènes sériques, réduit le poids et a un effet pro-apoptotique sur les cellules des cancers mammaires (16). 67 DOSSIER Le muscle squelettique ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER DOSSIER Le couple graisse-muscle est donc biologiquement lié à la sécrétion de cytokines des tissus graisseux et des cellules inflammatoires qui agissent sur les masses musculaires, le système nerveux central et l’équilibre glucose-insuline. Cette inflammation et cette sécrétion de cytokines par les tissus tumoro-inflammatoires et graisseux favorisent l’insulinorésistance. En effet, sous l’action des cytokines, les tissus adipeux libèrent des acides gras libres. Ces acides gras passent par voie sanguine dans le foie, stimulant au sein du parenchyme hépatique la synthèse des triglycérides et la néoglucogenèse hépatique. Dans les muscles, ces cytokines provoquent une compétition entre une consommation des acides gras et du glucose. Les acides gras sont ainsi oxydés, produisant des acétyl-coA qui inhibent la glycolyse musculaire (17). Il existe donc à la fois une diminution de la quantité de glucose utilisée par les muscles et une augmentation de la quantité de glucose produite par le foie, aboutissant à une hyperglycémie qui induit une augmentation de la sécrétion d’insuline par le pancréas, insuline qui agit comme facteur de croissance tumorale (18). ACTION DE L’ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SPORTIVE SUR CES CYTOKINES ? L’activité physique s’inscrit directement dans ces relations graissemuscle, cytokines du tissu inflammatoire-cytokines des graisses. Cette activité physique se décline en exercice aérobie et anaérobie. L’activité physique aérobie va accroître les capacités cardio-respiratoires tandis que les exercices en résistance accroissent les masses musculaires. L’activité physique, en particulier contre résistance, va modifier les cytokines. Il existe ainsi pendant 68 les 72 heures immédiatement après l’activité physique, une diminution des taux de leptines, une diminution de la sécrétion de TNFα, une augmentation de la sécrétion d’adiponectine et une diminution de la sécrétion d’insuline. Cette action biologique, sur cytokines et insuline, va durer à peu près 72 heures après la réalisation de l’exercice (19). ACTIONS PHYSIOLOGIQUES DE L’ACTIVITÉ PHYSIQUE ET DE SES CONSÉQUENCES SUR LES CYTOKINES La fatigue est le principal symptôme ressenti par les malades, avant, au cours et au décours des soins. Il s’agit d’un sentiment d’épuisement persistant habituel en relation avec le cancer, interférant avec la vie quotidienne et ne cédant pas au repos, frappant la quasi-totalité des patients. 25 à 30 % des patients sont atteints de fatigue plusieurs années après les soins. Il existe dans cette fatigue deux aspects distincts : • la fatigue musculaire périphérique physique ; • une fatigue cérébrale, central, cognitive avec des troubles de l’attention et de la mémoire immédiate (20). Cette fatigue doit être distincte de la dépression pour laquelle il existe des critères diagnostiques et des échelles particulières publiées par l’ASCO (21). Cette fatigue a donc une origine multi-factorielle, périphérique et centrale, nécessitant une analyse multidimensionnelle de ce symptôme, et correspond à une pénétration dans les muscles et le cerveau des cytokines (22). Le niveau de ces cytokines est proportionnel au niveau de fatigue avant le traitement, en particulier dans les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM), les cancers de l’ovaire et du sein. Ces cytokines augmentent par la suite pendant la radiothérapie, en particulier pour les cancers du sein et de la prostate, et sont proportionnelles au niveau de fatigue mesurée en cours de soins (23). Ces cytokines expliquent aussi la fatigue tardive et prolongée observée chez 25 à 30 % des patients. Cette fatigue prolongée correspond à une élévation persistante des cytokines comme l’interleukine 6, le TNFα et l’interleukine 1β. Cette sécrétion anormalement prolongée, qui explique la fatigue tardive par rapport aux soins, est liée à des polymorphismes génétiques (24). L’activité physique, diminuant les cytokines et le taux d’insuline, réduit les taux d’œstrogènes par une induction de sécrétion d’adiponectine, réduit les masses graisseuse et accroît le volume musculaire. Ces actions modifient les niveaux de fatigue et les taux de rechute comme déjà décrit dans les cancers du sein, du côlon et de la prostate (25). Les conditions d’efficacité de l’activité physique sont une intensité suffisante pour modifier les cytokines et l’insulinorésistance, une fréquence d’au moins trois fois par semaine pour modifier la sécrétion des cytokines sur l’ensemble de la semaine, un programme sur au moins 6 mois pour impacter sur le temps le rapport graisse/ muscle. Ce programme doit faire intervenir des exercices en aérobie et en résistance sur une modalité associant plaisir et sécurité, ce qui nécessite des intervenants sportifs formés en oncologie, dans ses composantes théoriques, pratiques et psychologiques, aptes à évaluer les possibilités, progrès et complications oncologiques et iatrogènes. n Mots-clés : Poids, Cytokines, Insulinorésistance, Activité physique onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER 12. Onesti JK, Guttridge D. Inflammation based regulation of cancer cachexia. BioMed Research International 2014 ; 2014 : 168407. 13. Cheung YJ, Lim SR, Ho HK. Cytokines as mediators of chemotherapyassociated cognitive changes. PLOS one 2013 ; 8 : 1-12. 14. Norden D, Bicer S, Clark Y et al. Tumor growth increases neuroinflammation, fatigue and depression-like behavior prior to alterations in muscle function. Brain behav Immun 2015 ; 43 : 73-85. 15. Newman G, Gonzalez-Perez RB. Leptin-cytokine cross talk in breast cancer. Moll Cell endocrinol 2014 ; 381 : 1. 16. Nalabolu MR, Palasamudram K, Jamil K. Adiponectin and Leptin molecular actions and clinical significance in breast cancer. IJHOSCR 2014 ; 8 : 1. 17. Abdul-Ghani MA, DeFronzio R. Pathogenesis of insulin resistance in skeletal muscle. J BioMed Biotechnology 2010 ; 2010 : 476279. 18. Salisbury TB, Tomblin JK. Insulin/Insulin-like Growth factors in cancer. Frontiers in endocrinology 2015 ; 6 : 12. 19. Golbidi S, Laher I. Exercise induced Adipokine changes and the metabolic syndrome. J Diabet Res 2014 ; ID 726861. 20. Morris G, Berk M, Galecki P et al. The neuro-immune pathophysiology of central and peripheral fatigue in systemic immune-inflammatory and neuro-immune diseases. Mol Neurobiol 2015 ; on line. 21. Kruse JL, Strouse TB. Sick and Tired: Mood, Fatigue, and Inflammation in Cancer Curr Psychiatry Rep 2015 ; 17 : 16. 22. Berger A, Mitchell SA, Jacobsen PB et al. Screening, Evaluation, and Management of cancer-related fatigue. CA Cancer J J Clin 2015 ; on line. 23. Bower JE. Cancer-related fatigue – mechanisms, risk factors and treatment. Nat Rev Clin Oncol 2014 ; 11 : 597-609. 24. Bower J, Ganz P, Irwin M et al. Cytokine genetic variations and fatigue among patients with breast cancer. J Clin Oncol 2013 ; 31 : 1656-62. 25. Bouillet T, Bigard X, Brami C et al. Role of physical activity and sport in oncology. Crit Rev Oncol Hematol 2015 ; 94 : 74-86. 4 - SPORT ET LYMPHŒDÈME APRÈS CANCER DU SEIN : QUE DIRE, QUE FAIRE ? Dr Stéphane Vignes (Unité de Lymphologie, Centre national de référence des maladies vasculaires rares [lymphœdèmes primaires], Hôpital Cognacq-Jay, Paris) L es lymphœdèmes du membre supérieur secondaires après cancer du sein représentent la principale cause des lymphœdèmes en France, avec une fréquence estimée entre 15 et 20 % après curage axillaire classique, et entre 6 et 8 % après technique du ganglion sentinelle (1). FACTEURS DE RISQUE ET ACTIVITÉ PHYSIQUE Les principaux facteurs de risque sont le curage axillaire, la radiothérapie et l’obésité. Il est très souvent recommandé aux patientes opérées d’un cancer du sein d’éviter les efforts physiques et/ou les sports considérés comme violents et/ou répétitifs, sans que ces définitions soient clairement précisées. Ces conseils ont – ou plutôt auraient – onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 un objectif préventif pour réduire le risque de lymphœdème. Cependant, dans une étude cas-témoins datant de 2002, Johansson et al. avaient montré que les femmes ayant un lymphœdème avaient réduit leurs activités (quotidiennes, ménagères, sportives) après le cancer du sein comparées aux femmes n’ayant pas de lymphœdème (2). Ce premier message paraissait déjà contradictoire avec les conseils habituels de réduction d’activité encore donnés aux femmes après cancer du sein. DONNÉES RÉCENTES Concernant les activités sportives, les données les plus récentes ont permis de modifier les conseils encore donnés aux femmes après cancer du sein. Les études les plus démonstratives ont été publiées en 2009 et 2010. Selon le même protocole, les auteurs avaient étudié la pratique de l’haltérophilie chez des femmes opérées d’un cancer du sein n’ayant pas de lymphœdème d’une part, et chez des femmes ayant un lymphœdème du membre supérieur d’autre part. Dans la première étude, l’haltérophilie diminuait la fréquence du lymphœdème – défini par une augmentation de volume de 5 % par rapport au membre controlatéral – à 1 an en comparaison avec le groupe contrôle (11 vs 27 %). Dans la seconde étude, l’haltérophilie n’entraînait pas d’aggravation chez les femmes ayant un lymphœdème avec, là encore, un suivi de 1 an (3, 4). Quelles étaient les spécificités et particularités de cette pratique intensive ? Il y avait un encadrement 69 DOSSIER BIBLIOGRAPHIE 1. Chan DS, Vieira AR, Aune D et al. Body Mass Index and survival in women with breast cancer. An Oncol 2014 ; 25 : 1901-14. 2. Fontanella C, Lederer B, Gade S et al. Impact of body index mass on neoadjuvant treatment outcome: a pooled analysis of eight prospective neoadjuvant breast cancer trials. Breast Res Cancer Treat 2015 ; 150 : 127-39. 3. Makari-Judson G, Braun B, Jerry D et al. Weight gain following breast cancer diagnosis. World J Clin Oncol 2014 ; 5 : 272-82. 4. Nissen M, Shapiro A, Swenson KK. Changes in weight and body composition in women receiving chemotherapy for breast cancer. Clin Breast Cancer 2011 ; 11 : 52-60. 5. Calip GS, Malone KE, Gralow JR et al. Metabolic syndrome and outcomes following early-stage breast cancer. Breast Cancer Res Treat 2014 ; 148 : 363-77. 6. George SM, Bernstein L, Smith AW et al. Central adiposity after breast cancer diagnosis is related to mortality in Health, Eating, Activity, and Lifestyle study. Breast Cancer Res Treat 2014 ; 146 : 647-55. 7. Aversa Z, Bonetto A, Penna F et al. Changes in myostatin signaling in non-weight-losing cancer patients. Ann Surg Oncol 2012 ; 19 : 1350-6. 8. Lieffers JR, Bathe OF, Fassbender K et al. Sarcopenia is associated with postoperative infection and delayed recovery from colorectal cancer resection surgery. Br J Cancer 2012 ; 107 : 931-6. 9. Tan B, Brammer K, Randhawa N et al. Sarcopenia is associated with toxicity in patients undergoing neo-adjuvant chemotherapy for oesophagogastric cancer. Eur J Sur Oncol 2015 ; in press. 10. Prado CM, Baracos VE, McCargar L et al. Sarcopenia as a determinant of chemotherapy toxicity and time to tumor progression in metastatic breast cancer patients receiving capecitabine treatment. Clin Cancer Res 2009 ; 15 : 2920-6. 11. Villasenor A, Ballard-Barbash R, Baumgartner K et al. Prevalence and prognostic effect of sarcopenia in breast cancer survivors: the HEAL Study. J Cancer Surviv 2012 ; 6 : 398-406. ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER DOSSIER par des professionnels formés, dans un centre de fitness avec un accès gratuit pendant 3 mois, puis les femmes continuaient seules pendant 9 mois. Les exercices étaient progressifs en fréquence et en intensité, et guidés par le ressenti des femmes. Le port du manchon était conseillé pour la pratique des exercices. D’autres sports comme le Dragon Boat (sorte de canoë de grande taille, avec deux rangées de 10 pagayeurs) – qui avait fait l’objet d’études de cohorte antérieures – ou la marche nordique avaient montré l’absence d’aggravation ou de déclenchement d’un lymphœdème chez des femmes traitées pour cancer du sein (5, 6). L’ACTIVITÉ PHYSIQUE EST RECOMMANDÉE Il est donc recommandé de pratiquer des activités physiques sans restriction médicale spécifique au lymphœdème – sans changement si les femmes en pratiquaient antérieurement –, de ne pas les diminuer en les laissant gérer leur effort en fonction de leur ressenti. De plus, l’activité physique a d’autres effets positifs : diminution des symptômes d’anxiété ou de dépression, de l’index de masse corporelle et de la mortalité par cancer, du risque de rechute et amélioration de la qualité de vie (7, 8). Pour les femmes qui ne pratiquaient pas d’activité physique au préalable, il est conseillé d’en débuter une de façon progressive et encadrée. La plupart des auteurs recommande le port de compression élastique lors de ces exercices physiques, alors que pour d’autres, il n’apparaît pas obligatoire. Cela dépend aussi de la perception de l’effort par la pan tiente elle-même. Mots-clés : Lymphœdème, Cancer du sein, Activité physique BIBLIOGRAPHIE 1. DiSipio T, Rye S, Newman B, Hayes S. Incidence of unilateral arm lymphoedema after breast cancer: a systematic review and meta-analysis. Lancet Oncol 2013 ; 14 : 500-15. 2. Johansson K, Ohlsson K, Ingvar C et al. Factors associated with the development of arm lymphedema following breast cancer treatment: a match pair case-control study. Lymphology 2002 ; 35 : 59-71. 3. Schmitz KH, Ahmed RL, Troxel A et al. Weight lifting in women with breast-cancer-related lymphedema. N Engl J Med 2009 ; 361 : 664-73. 4. Schmitz KH, Ahmed RL, Troxel AB et al. Weight lifting for women at risk for breast cancer-related lymphedema: a randomized trial. JAMA 2010 ; 304 : 2699-705. 5. Harris SR, Niesen-Vertommen SL. Challenging the myth of exerciseinduced lymphedema following breast cancer: a series of case reports. J Surg Oncol 2000 ; 74 : 95-9. 6. Jönsson C, Johansson K. Pole walking for patients with breast cancerrelated arm lymphedema. Physiother Theory Pract 2009 ; 25 : 165-73. 7. Fong DY, Ho JW, Hui BP et al. Physical activity for cancer survivors: metaanalysis of randomised controlled trials. BMJ 2012 ; 344 : e70. 8. Ibrahim EM, Al-Homaidh A. Physical activity and survival after breast cancer diagnosis: meta-analysis of published studies. Med Oncol 2011 ; 28 : 753-65. 5 - INNOVATION ORGANISATIONNELLE DANS LA PRISE EN CHARGE DES PATIENTS EN ONCOLOGIE Pr Étienne Minvielle (EHESP ; Gustave Roussy, Villejuif ) L a prise en charge des malades atteints de cancer nécessite une innovation organisationnelle majeure, la coordination des soins. L’explication en est simple. Avec le développement de l’innovation technologique, le recours accru à l’ambulatoire, l’évolution vers la chronicité, les prises en charge des patients en oncologie se transforment à un rythme soutenu. Elles impliquent désormais plus d’acteurs, dans des laps de temps plus courts. Or, tous ces 70 facteurs ont en commun d’exiger des modes de coordination précis. IMPORTANCE DE L’ORGANISATION Sans coordination, le risque est grand de constater des hospitalisations inutiles, des duplications dans les traitements, et d’une manière générale, de l’incohérence entre les actions menées. UN IMPACT QUALITATIF En termes de qualité, les effets négatifs d’une sous-coordination ont été largement décrits, notamment : • 70 % des analyses sur les événements indésirables graves correspondent à des défauts de communication ; • 40% des erreurs de prescription médicamenteuses sont le résultat d’une mauvaise coordination à l’arrivée ou à la sortie du patient d’un établissement de santé ; • 70 % des médecins généralistes anglais rapportent aussi des délais importants dans les envois des onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 courriers de fins d’hospitalisation, ce qui compromet la qualité des soins dans 90 % des cas avec un risque en termes de sécurité (1). Ajoutons enfin que, sur le plan de la qualité, des critères de satisfaction du patient sont également en jeu, car on imagine aisément que des venues injustifiées aux urgences ou à l’hôpital par manque de coordination sont des motifs d’insatisfaction. de la démographie médicale est en toile de fond. L’ASCO, la prestigieuse association américaine de cancérologie, estime le manque d’oncologues à 25 % en 2025 pour faire face à l’accroissement de l’activité (2). Dans ces conditions, il est essentiel que le temps médical existant soit consacré aux soins, et ne soit pas entravé par des tâches de rattrapage des défauts de coordination. UN IMPACT ÉCONOMIQUE ACCÈS AUX SOINS POUR TOUS En termes économiques, les enjeux du développement des parcours coordonnés de santé semblent également importants. Medicare estime, par exemple, que 25 à 50 milliards de dollars sont gaspillés annuellement en hospitalisations inutiles, traitements injustifiés et doublons de prescription, liés à des manques de coordination dans le système américain (données de 2004). SATISFACTION DES PROFESSIONNELS Un autre thème peut s’ajouter à ceux de la qualité et de l’économie : la satisfaction des professionnels, notamment des médecins. Ces derniers subissent la situation actuelle en consacrant un temps de leur activité à rattraper des situations de non-coordination. Certaines études ont cherché à quantifier ce temps, et donnent des estimations de l’ordre de 15 à 25 % du temps de travail consacré à cette activité. Ce point est important car la situation problématique Un des objectifs poursuivis par les parcours coordonnés est de favoriser l’accès aux soins pour tous, notamment dans les zones rurales désertifiées sur le plan médical. Il serait caricatural de considérer que les réformes actuelles, et notamment le Plan cancer 3 en France, ne tiennent pas compte de ce besoin. Mais la difficulté à laquelle se heurtent ces actions est de considérer une implantation concrète, et sans mauvais jeu de mots, coordonnée de ces approches. COMMENT DÉVELOPPER UNE MEILLEURE COORDINATION ? Le changement pour une meilleure coordination doit s’envisager dans différentes directions. Il doit s’opérer sur les modes de paiement, les modes d’organisation, les technologies de l’information et l’éducation du patient. Les modes de paiement actuels n’incitent pas à la coordination dans le cadre des filières, trop émiettés entre l’hôpital (la T2A) et la médecine libérale (paiement à l’acte). Les paiements à la coordination doivent se développer. Les modes d’organisation doivent accélérer le développement des infirmières de coordination et autres métiers de coordination. Ils doivent également favoriser tous les raisonnements transversaux. Les technologies de l’information dans ses différentes variantes de télésurveillance doivent se diffuser d’une manière industrielle, les patients étant prêts à utiliser ces nouvelles technologies (3). Ces préconisations ne sont pas en ellesmêmes innovantes, c’est le fait de les mener de front qui l’est. C’est aussi le fait de les évaluer qualitativement et par l’impact qu’elles produisent (4). Ajoutons un dernier élément : il est probable que ceux qui souffrent le plus de ce manque de coordination soient les plus démunis et vulnérables. Ces patients peuvent être parmi ceux qui ont le plus besoin de soins. Il peut y avoir aussi un sens économique à éviter de tels modes de prise en charge dégradés aux coûts importants et aussi garantir une justice sociale dans la prise en charge des malades. n Mots-clés : Organisation, Coordination, Technologie, Délai, Coût BIBLIOGRAPHIE 1. Ovretveit J. Summary of “Do changes to patient–provider relationships improve quality and save money?”. Rapport pour le National Health Service 2012. 2. American Society of Clinical Oncology (ASCO). The state of cancer care in America. Annual Report. April 2014. 3. Girault A, Ferrua M, Lalloué B et al. Internet-based technologies to improve cancer care coordination: Current use and attitudes among cancer patients. Eur J Cancer 2015 ; 51 : 551-7. 4. Minvielle E. Pour une évaluation des parcours de santé. Revue de la Santé Publique 2014 ; 88 : 51-4. onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 71 DOSSIER ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER DOSSIER 6 - MIEUX COMPRENDRE LES ENJEUX POUR MIEUX INTÉGRER L’ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SPORTIVE DANS L’OFFRE DE SOIN : ENQUÊTE NATIONALE SPORT ET CANCER 2015 Jean-Marc Descotes (Co-fondateur de la Fédération Nationale CAMI Sport et Cancer ; responsable de l’Enseignement DU Sport et Cancer, Université Paris 13 ; co-auteur du livre Sport et Cancer : État des Lieux, Édition Chiron) UN CONTEXTE FAVORABLE La bonne nouvelle, c’est le consensus autour duquel tout le monde aujourd’hui se retrouve : l’activité physique et sportive est bonne pour la santé. De manière générale, elle est même un facteur améliorant la survie globale de la population puisque l’inactivité physique est considérée comme la 4e cause de mortalité dans le monde. En cause, une évolution de notre mode de vie, entre réduction d’activité physique et transformation de nos comportements alimentaires. Ce consensus, en France, a donné naissance à une ambition politique : celle de promouvoir l’activité physique et sportive comme un enjeu de santé publique. Ce projet, impulsé à la fois par le ministère de la Santé et le ministère des Sports et porté par ce dernier, a permis la création du pôle Ressource Sport Santé Bien-être au sein du ministère des Sports (PR2SBE). Sa mission – la promotion de l’activité physique et sportive comme facteur de santé – est inscrite dans une action de politique publique en faveur du « sport-santé » pour tous et toutes, dans tous les lieux de vie ainsi que pour les publics à « besoins spécifiques » (personnes souffrant de maladies chroniques, les aînés quel que soit leur degré d’autonomie…). Ce projet a également été saisi par le Comité national olympique et sportif français, et en particulier par sa 72 commission médicale, qui a réuni des pôles Ressource autour de quatre grands axes (pathologies cardiaques, maladies métaboliques, vieillissement et cancer) afin d’éditer un « Vidal » du sport permettant, suivant des recommandations précises, de lier une ou plusieurs pratiques sportives à une typologie de personnes touchées par ces affections. Cette place accordée à l’activité physique et sportive s’appuie à la fois sur un nombre croissant d’essais cliniques venant attester des bénéfices de cette dernière en termes de santé, mais également sur un moment où le déficit de la Sécurité sociale amène à s’interroger sur la pertinence et la pérennité de notre modèle actuel de prise en charge des soins. Certains économistes, comme Nicolas Bouzou, affirment même que, si l’on veut préserver un modèle social et solidaire, « la santé est un domaine dans lequel l’optimisation des coûts va de pair avec l’amélioration de la qualité et l’intérêt collectif ». UN ENJEU SOCIOÉCONOMIQUE En cancérologie, cette réalité du coût des soins est évidente. Les dépenses de santé dans cette pathologie représentent environ 14 milliards d’euros par an, soit 8 % des dépenses de santé globales pour 2 % de la population soignée. Elle représente également un coût dans l’univers du travail puisque la perte de production potentielle est estimée à 17 milliards d’euros par an. Si l’on se concentre sur le champ de la cancérologie, le rôle majeur de l’activité physique et sportive est aujourd’hui reconnu sur le plan de la prévention tertiaire et de l’amélioration de la qualité de vie pendant les traitements. Dans une étude que nous avions réalisée il y a quelques années, nous estimions à 600 millions d’euros d’économie (1) possible l’impact sur la diminution des risques de rechute par l’activité physique et sportive sur trois types de cancers (cancers du sein, du côlon et de la prostate) et simplement basée sur les traitements anticancéreux habituellement administrés dans ces cas. Plus encore, nous arrivons aujourd’hui à faire des liens entre les conséquences d’une altération des capacités physiques des patients pendant les traitements et les risques de complications, mortalités globales et spécifiques et rechutes. Au-delà de l’approche économique que représente la détérioration de l’état de santé des patients, il s’agit également de pouvoir mieux répondre à au moins deux autres ambitions : • Sur le plan thérapeutique : la contribution à l’amélioration des chances de guérison. • Sur le plan sociologique : l’amélioration du service médical rendu par l’humanisation de la prise en charge. onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER Cependant, pour que l’activité physique et sportive puisse jouer pleinement son rôle, aussi bien dans la prévention tertiaire que dans le maintien des capacités physiques des patients pendant les traitements, elle doit être prodiguée selon des critères stricts pour favoriser les modifications métaboliques permettant d’atteindre les résultats attendus : tonicité ou hypertrophie musculaire, baisse de la production de cytokines, baisse de la glycémie et de l’insuline, lutte contre le développement des masses grasses, etc. Tout cela dans un contexte où le patient peut se retrouver également handicapé soit par les effets secondaires des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie, soit par des opérations chirurgicales invasives et mutilantes. Il devient donc essentiel de pouvoir prodiguer des séances permettant de respecter des critères d’intensité, de fréquence et de durée tout en gérant les fragilités physiques des patients, mais également leur relation à l’activité physique en général et au corps en particulier (Fig. 1). UNE ADHÉSION DES PATIENTS ENCORE FAIBLE Cette relation a aussi une autre conséquence. Celle de l’adhésion à des programmes d’activités physiques et sportives. De manière générale, nous savons que s’il existe aujourd’hui de plus en plus de messages au niveau institutionnel pour inciter les citoyens à pratiquer une activité physique, les comportements de ces derniers ne changent pas forcément. À titre d’exemple, 87 % des Français accueillent favorablement les messages sanitaires insérés dans onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 DOSSIER DES RECOMMANDATIONS À RESPECTER Figure 1 - Le cercle vicieux sur le corps en cancérologie. les publicités alimentaires et 71 % les ont mémorisés (2), mais 75 % des Français n’atteignent pas l’objectif santé des 10 000 pas quotidiens (3). En cancérologie, les freins à la pratique restent également importants : selon de récentes études, le taux d’adhésion des patients à ce type de programme varie de 10 à 30 %, tandis que près de 60 % des patients diminuent leur pratique d’activité physique 6 mois après le diagnostic et qu’ils ne sont plus que 35 % à la continuer 1 an après l’annonce de la rémission (4). Au-delà de l’adhésion, il y a également le respect des recommandations, c’est-à-dire des seuils à atteindre pour que l’activité physique ait un impact bénéfique et thérapeutique. Selon une étude anglaise (5), sur 748 patients interrogés, 52,8 % déclarent ne pas faire de sport, 29,5 % ont une activité en dessous des critères fixés et seulement 17,6 % respectent les recommandations. Mieux, parmi les patients en bon état général et ne respectant pas les recommandations, 59,9 % pensent qu’ils devraient être plus actifs physiquement. DES RÉPONSES À TROUVER L’écart, nous le voyons, entre l’adhésion des patients à des programmes d’activités physiques et sportives, les modalités de mise en place des critères à respecter et les bénéfices pouvant être obtenus, reste donc aujourd’hui très grand. Même si le contexte social et sanitaire évolue, cette approche ne représente pas un engouement déterminant dans son intégration dans le champ sanitaire en général et pour la cancérologie et l’hématologie en particulier. De notre point de vue, cela relève de deux aspects : • Le premier touche au rôle et à l’attente de la mise en place de tels programmes du point de vue des soignants. Les notions de bienêtre, de soins complémentaires et de prévention tertiaire se distinguent peu. En réalité, nous ne connaissons pas les raisons profondes qui peuvent inciter les soignants à recommander une activité physique à leurs patients et ce qu’ils en attendent en retour. Nous ne savons pas s’ils ont derrière ces « prescriptions » des objectifs thérapeutiques précis, ou une idée 73 ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER DOSSIER vague des bénéfices potentiels, s’il s’agit plus d’une pratique à visée psychosociologique ou d’une approche à potentialité physique. D’ailleurs, pour de nombreuses personnes, le sport institutionnalisé et l’activité physique se confondent. Sans parler d’activité physique adaptée, d’éducation thérapeutique, de reconditionnement à l’effort, de rééducation motrice. Dans cet article même, nous oscillons entre les mots « sport » et « activité physique et sportive », le premier étant le raccourci du second. Mais cela montre aussi la disparité des approches et donc la complexité de l’identification des structures et interlocuteurs pouvant répondre à des besoins précis dans un univers, le monde médical, qui d’habitude s’appuie sur des protocoles et des procédures cadrées et bien établies. La médecine tient, et c’est normal, à s’appuyer sur des critères validés et institutionnalisés pour des objectifs ciblés en vue d’améliorer l’état de santé des patients de manière durable et en préservant la qualité de vie de ces derniers. • Le deuxième aspect touche aux représentations des patients. Comme pour les médecins, nous ne connaissons les attentes réelles des patients qui s’engagent dans ce type de programme. Est-ce lié à l’amélioration des chances de guérison ? Est-ce une question de survie ? Un besoin de rencontrer du monde ? Un moyen de ne plus souffrir des effets secondaires des traitements ? Quelle est la part de l’influence du médecin ? Des messages d’information ? De l’injonction naissante du sport santé ? Une nouvelle étude, réalisée en France, incite à mêler témoignages et conseils d’experts (6) pour amener les patients à se mettre ou se remettre au sport puisque les récits d’expérience de tiers encouragent 74 à changer de comportement davantage que les messages à visée purement informative. Mais cela s’inscrit malgré tout dans un contexte social souvent délicat : la perte d’un travail, les difficultés financières, les réaménagements psychologiques, la gestion du quotidien, la kinésiophobie (c’està-dire la peur d’être blessé par la réalisation d’un mouvement), la capacité à croire dans le projet, etc. FAIRE UN ÉTAT DES LIEUX Ce que nous savons, c’est qu’il existe aujourd’hui de nombreuses initiatives pour permettre à des personnes touchées par un cancer de pratiquer une activité physique et sportive, ce qui tend à prouver que le sujet touche et préoccupe un certains nombre d’acteurs du monde médical et sportif au sens large du terme. Mais si nous voulons permettre la prise en charge d’un grand nombre de patients, sachant, par exemple, que la prévalence partielle à 5 ans (c’est-à-dire incluant les personnes diagnostiquées lors des 5 dernières années et majoritairement les personnes atteintes de cancers et en rémission complète, guéries ou en cours de surveillance) est de près de 1,1 million de personnes (6), il faut alors envisager un déploiement de cette approche au niveau national et l’intégrer fortement dans le parcours de soin des patients au regard des recommandations internationales. Il faut donc connaître la raison de l’implication des oncologues et des hématologues dans la promotion de l’activité physique et sportive. Il convient de cerner les motivations des patients, comprendre les bénéfices qu’ils en tirent, mais aussi les freins qui sont les leurs. Il importe également que les programmes d’activité physique et sportive respectent de manière totale ou partielle les critères scientifiques et la nature des encadrements, le suivi, l’orientation, l’adhésion des patients, tout cela dans une perspective de trajectoire de vie du patient et d’autonomisation sur le long terme. Bref, se proposer de faire un constat pour mieux cerner les forces et les faiblesses de cette approche afin de pouvoir contribuer auprès des pouvoirs publics et des institutions sur la nécessité de la soutenir et de favoriser les conditions de sa prise en charge pour tous les acteurs impliqués dans cette dynamique. C’est pour cela que nous lançons une enquête nationale1 à partir de juin 2015, destinée à tous les oncologues et les hématologues et spécialistes et à tous les patients en traitements et en rémission pour mieux nous aider à avoir un état des lieux exhaustif et réel de cette approche. Nous produirons les résultats au début de l’année 2016. Nous espérons que vous y particin perez. 1. Cette enquête est réalisée grâce au soutien institutionnel d’AMGEN. Mots-clés : Sport santé, Activité physique et sportive, Cancérologie, Hématologie BIBLIOGRAPHIE 1. Flanquart A, Descotes JM, Zelek L, Bouillet T. Prévenir et guérir par le sport. Terra Nova 2012. 2. Enquête de l’impact des messages sanitaires PNNS réalisée par l’Inpes auprès de 1 063 personnes. 3. Enquête Assureurs Prévention sur le niveau d’activité physique ou sportive et de sédentarité de la population française. 4. Martinez E. Most breast cancer patients may not be getting enough exercise. Cancer 2014. 5. Stevinson C, Lydon A, Amir Z. Adherence to physical activity guidelines among cancer support group participants. Eur J Cancer Care (Engl) 2014 ; 23 : 199-205. 6. www.sporetcancer.net onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER Ingrid de Biourge (Kinésithérapeute, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles) AXE 1 : L’INSTITUT NATIONAL D’ASSURANCE MALADIEINVALIDITÉ (INAMI) Chaque patient, lors d’une hospitalisation, peut se voir prescrire par le médecin des séances de kinésithérapie quotidienne. Un grand nombre de structures hospitalières possède, au sein de ses services d’onco-hématologie, un kinésithérapeute lié à l’unité de soins. Cette présence permet une offre de prise en charge quasi-systématique pour nos patients. Cet accompagnement spécifique de qualité permet une attention portée au risque d’altération de l’état général mais aussi à la gestion de la fatigue, des symptômes anxieux et des différents symptômes liés à pathologie et ses traitements. En hospitalisation de jour, des programmes de sensibilisation à l’importance de l’activité physique ont été mis en place (ex. : Cliniques universitaires SaintLuc, Bruxelles). Ils contiennent des fiches explicatives, des propositions d’exercices et des moyens pratiques de transposition de ces activités au quotidien. Enfin, la prescription d’une oncorevalidation par les médecins est le moyen le plus important mis en place par notre système de soins pour permettre à nos patients (traités pour un cancer ou ayant des effets secondaires importants à la suite des traitements) d’intégrer l’activité physique à leur vie quotidienne. Cette prescription offre la possibilité aux patients d’être accompagnés par un kinésithérapeute onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 pendant 48 séances, en milieu hospitalier, sous la supervision d’un médecin réadaptateur. Un examen de contre-indication standard et, si besoin, une épreuve d’effort sont les seuls critères d’inclusion à ce programme. Chaque séance est prise en charge par l’INAMI, laissant à la charge du patient une participation de 6 à 8 €. À ce jour, une étude multicentrique INAMI est en cours dans différents hôpitaux belges. Cette étude a pour objectif de démontrer l’utilité d’une intervention pluridisciplinaire post-traitement sur la qualité de vie, la fatigue, la performance physique et la composition corporelle des femmes atteintes d’un cancer du sein. Le programme évalué est constitué de ± 20 h de cours interactifs sur l’encadrement du mode de vie et de 3 mois d’activités physiques à raison de deux séances supervisées et d’une séance complémentaire réalisée au domicile par semaine. AXE 2 : LA FONDATION CONTRE LE CANCER La fondation contre le cancer a pour missions de faire progresser la science, d’accompagner les patients et leurs proches, d’accroître la prévention et le dépistage. L’un des services offert par la fondation est l’accès gratuit pendant 1 an à une activité physique adaptée aux patients atteints ou ayant été atteints d’un cancer dans l’année qui précède. Ce service, appelé RaViva (Rekanto en Flandre) est donné par des moniteurs professionnels formés et encadrés par un groupe d’experts du domaine médico- psychosocial. Différentes activités de groupes sont proposées partout en Belgique : yoga, tai chi, aquagym, marche nordique, gymnastique globale et fitness. Depuis peu, une nouvelle prise en charge est possible dans certains centres de fitness et offre l’accès à 60 séances individuelles guidées. L’objectif est d’atteindre un niveau d’activité plus intense et de donner motivation et confiance suffisantes aux patients pour qu’ils poursuivent ensuite leur activité de manière autonome. DEUX CERTIFICATS UNIVERSITAIRES (UCL) Ces différentes démarches demandent de plus en plus de moniteurs formés. Deux certificats universitaires en Exercise therapy et en Exercise Medecine ont été mis en place cette année par la Faculté des sciences de la motricité. Cette formation théorique et pratique a pour ambition de former des praticiens capables d’utiliser l’activité physique comme outil thérapeutique en prônant une approche thérapeutique scientifiquement prouvée (evidence based). n Mots-clés : Kinésithérapie, Activité physique adaptée, INAMI, Fondation contre le cancer POUR PLUS D’INFORMATIONS : • Contact : [email protected] 75 DOSSIER 7 - LA PRISE EN CHARGE PHYSIQUE DES PATIENTS EN ONCO-­HÉMATOLOGIE EN BELGIQUE : DEUX AXES MAJEURS DE PRISE EN CHARGE ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER DOSSIER 8 - UNE INNOVATION EN MILIEU HOSPITALIER : LE PÔLE SPORT ET CANCER Florent Hyafil (CAMI) et Pr Laurent Zelek (CHU Avicenne) E n France, 900 000 personnes sont suivies dans le cadre d’un parcours de soin ou d’un protocole de surveillance post-thérapeutique d’un cancer. Malgré l’avancée de la médecine face à ce fléau, ses retentissements physiques, physiologiques, psychologiques et sociaux restent majeurs. Sa chronicité oblige le corps médical à faire face à une problématique aussi bien sociale qu’économique qui n’a de cesse de s’aggraver. PRÉVENTION : UNE IMPORTANTE MARGE DE PROGRESSION Depuis 2003, les réflexions issues des différents Plans cancers visent, entre autres, à valoriser la continuité et la globalité de la prise en charge du patient dans son projet de vie. Toutefois, la marge de progression est encore très importante, notamment dans le domaine de la prévention secondaire et tertiaire. La prévention par l’activité physique a encore du chemin à parcourir malgré sa mise en avant dans le deuxième Plan cancer en 2007 et surtout sa reconnaissance officielle en 2011 par la Haute Autorité de Santé (HAS) comme une thérapeutique non médicamenteuse. DES PROGRAMMES PAS TOUJOURS ADAPTÉS La littérature scientifique révèle les effets positifs de l’activité physique (AP) dans le cadre de la prévention secondaire et tertiaire des principaux cancers. Ces effets sont visibles si les critères de durée, de 76 fréquence et d’intensité sont respectés. Malheureusement, les programmes habituels d’AP en cancérologie ne respectent pas l’intégralité des critères, ne sont pas encadrés professionnellement et n’accueillent qu’un tiers des patients éligibles. Cela remet en cause la sécurité des patients et ne permet pas d’obtenir les effets positifs escomptés. Ces lourdes carences laissent dans l’incertitude les acteurs du milieu sanitaire et le législateur sur la pertinence de ce pan de la prévention. Incertitude qui laisse donc une large place à l’interprétation individuelle, à des priorités de développement anarchiques et à une communication aux messages dissonants pouvant conduire à certains abus. De nombreuses initiatives et démarches expérimentales existent en France mais ne se modélisent pas, ni ne se dupliquent sur le territoire et ont la beauté de leur fragilité. LE PROGRAMME MÉDIÉTÉ® Pour y palier, la CAMI a développé un projet intégratif de plateforme de santé par l’AP au sein d’un service d’Oncologie médicale : le pôle Sport et Cancer CAMI. Le programme intégratif d’AP est un programme éducatif en santé basé sur une approche pédagogique innovante, le Médiété®, comprenant accueil, information, évaluation, suivi et orientation post-programme. Quatre éléments de ce programme sont prépondérants : • La sécurité par un encadrement professionnel : des intervenants médico-sportifs (EMS) issus des filières sports spécifiquement formés à l’approche Médiété®, tous obligatoirement titulaires du DU Sport et Cancer et accompagnés régulièrement pour conserver une expertise et une qualité de prise en charge optimale et homogène. • Un suivi continu interprofessionnel où ces intervenants sont encadrés par des coordinateurs dont les fonctions sont de s’assurer du respect du cahier des charges, de la bonne conduite des liens avec les équipes soignantes, des retours et des partages d’informations fluides, et surtout d’améliorer la méthode et les protocoles d’évaluation. • Un programme complet et sur mesure : une expertise permettant de construire des cours collectifs avec des objectifs individualisés ou des séances individuelles en chambre afin d’en garantir l’accessibilité quel que soit l’état physique du patient. • La gratuité du programme en réponse aux difficultés sociales et économiques que peut rencontrer la personne dès les débuts des traitements. Tous les profils de patients, exceptés ceux aux critères de contre-indications extrêmes ou associant des comorbidités, sont bénéficiaires du programme. Les personnes sont orientées par les médecins, les infirmières ou les kinésithérapeutes. Nos éducateurs reçoivent les patients en entretien individuel. Ils procèdent à un bilan médico-sportif à partir duquel ils élaborent des objectifs pour : • améliorer ou maintenir leurs onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 capacités physiques, malgré le ou les traitements anticancéreux ; • influer sur des états de fatigue, de douleurs chroniques ou de déconditionnement ; • répondre aux désirs de la personne sur ses ambitions sportives ou de qualité de vie (« objectifs partagés »). Nous procédons à des évaluations sur leur habilité motrice, leur indice biométrique, leur capacité d’endurance et nous les réévaluons plusieurs fois durant leur prise en charge. Nous corrélons les résultats obtenus en fonction des traitements suivis et nous informons le corps médical des progrès ou au contraire des affaiblissements que nous pouvons remarquer. Les soignants sont tenus informés régulièrement de notre accompagnement. Ils sont également suivis sur l’amélioration de leur qualité de vie et sur les risques d’exclusion liés à la maladie. Le cas échéant, nous alertons les soignants et les assistantes sociales ou les réseaux de soin, lorsque l’un de ces critères se trouve dégradé. Les patients se sentent mieux pris en charge, mieux entendus face à leur problème physique. Ils se sentent mieux accompagnés, supportent mieux leur présence à l’hôpital et leur traitement. Ils trouvent dans notre présence un autre interlocuteur avec une approche différente de leurs problématiques et une réponse plus efficace que de simples recommandations. Ces principes sont des points d’ancrage forts suscitant l’adhésion dans la pratique de l’activité physique et permettent également de voir l’hôpital sous un aspect un peu moins contraignant, un espace de vie, de joie, de lien social. En bref : une énergie et du positivisme que ce soit pour les patients ou les soignants. Dès lors une nouvelle approche pluridisciplinaire qualitative se dessine. Le pôle Sport et Cancer s’inscrit dans un projet de structuration plus global basé sur la coopération de tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le cancer. Cela permet ainsi d’apporter une clarification dans le pilotage de la politique de prévention par l’activité physique où objectifs thérapeutiques et sportifs peuvent devenir complémentaires au parcours de soins. Cela contribue à un accompagnement toujours plus holistique dans la trajectoire de vie et d’autonomisation de la personne, voire d’émancipation face à sa maladie. n Mots-clés : Prévention secondaire, Prévention tertiaire, Activité physique, Médiété® 9 - COMMENT LES PROGRÈS DES THÉRAPIES ANTICANCÉREUSES NOUS OBLIGENT À LA RÉFORME Nicolas Bouzou (Économiste ; directeur du cabinet de conseil Asterès ; administrateur de la Fondation Roche) INNOVATIONS ET SANTÉ Depuis l’après-guerre, l’État-providence structure nos vies d’Européens. Seulement, l’environnement économique a beaucoup changé depuis 1945 alors que les États-providence ont assez peu évolué. L’inflation, qui permettait de rembourser les dettes en monnaie dévaluée, a quasiment disparu. L’âge moyen de la population a sensiblement augmenté. Les dépenses de santé s’accélèrent constamment, moins sous l’effet du vieillissement de la population que de la généralisation des malaonKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52 dies « industrielles » (obésité, diabète, burn out…) et de l’augmentation du coût des traitements et de leur diffusion. Évidemment, la quantité de nouveaux traitements qui arrivent sur le marché de la santé est directement liée aux innovations dans le secteur médical. C’est bien là le sujet central quand on réfléchit à l’avenir des systèmes de santé dans les pays développés : l’offre de soins et son système de financement sont au début d’une révolution radicale qui va les obliger à réviser leur modèle, sauf à risquer de dis- paraître. Cette révolution est liée au cycle des NBPIC : Nanotechnologies, Biotechnologies, Printing (imprimante 3D), Informatique et Sciences Cognitives. Comme toute nouvelle révolution industrielle, ce cycle diffuse dans le système productif des technologies dites « multi-usages » qui ont des effets dans l’ensemble de l’économie. Or, l’un des domaines les plus impactés par les NBPIC est celui de la santé grâce à quatre déclinaisons principales : la génétique, la biologie moléculaire, la modélisation et la chirurgie non-invasive. 77 DOSSIER ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER ACTIVITÉ PHYSIQUE ET CANCER DOSSIER DES DÉPENSES EN CONSTANTE AUGMENTATION Ces innovations arrivent dans un contexte de grandes tensions sur le financement de notre système de soins, ce qui complique un problème déjà complexe. Depuis 2003, les dépenses des administrations de la Sécurité sociale excèdent celles de l’État. Les dépenses sociales constituent donc le principal poste de dépenses publiques, tout en étant celui qui augmente le plus vite. Les dépenses de santé, en particulier, progressent rapidement dans tous les pays développés, en niveau mais également en proportion du revenu national. En France, elles s’élèvent à quasiment 12 % du PIB. En 2050, elles pourraient avoisiner 20 % du PIB (les États-Unis n’en sont pas loin). La France est l’un des pays développés où la prise en charge de la santé par une mutualisation obligatoire et publique est la plus forte (77 %), ce qui rend d’autant plus nécessaire leur régulation. LE CAS PARTICULIER DE LA CANCÉROLOGIE Les conséquences de l’innovation sont particulièrement visibles dans le domaine de la cancérologie. L’émergence des thérapies ciblées et de l’immunothérapie annonce un double mouvement extraordinaire en matière d’espérance de vie mais mortifère pour les systèmes de financement des soins : • une personnalisation des trai- 78 tements qui limite la réalisation d’économies d’échelle et fait exploser les coûts unitaires des soins ; • une chronicisation des maladies qui allonge la durée de prise des traitements. À incidence de cancer constante (ce qui constitue une hypothèse optimiste), l’économie des thérapies ciblées entraîne une explosion des dépenses de santé, car le taux de diffusion s’envole (tous les malades veulent bénéficier d’une thérapie qui allonge leur durée de vie), mais le prix unitaire baisse peu, et sans doute pas suffisamment pour compenser la montée du taux de diffusion. DES ACTIONS À MENER Ces mutations devraient obliger les systèmes publics (notamment, en France, l’assurance maladie) à s’adapter pour garantir un accès équitable aux meilleurs soins. Mais force est de constater que, pour l’heure, c’est peu le cas. La « demande sociale » va devoir comprendre que ce qui devient techniquement possible (soigner un spectre de maladies toujours plus large) n’est pas financièrement réalisable (il faut des outils de choix collectifs pour savoir ce que la collectivité finance prioritairement). Ainsi, la solvabilité du système de prise en charge des malades qui inclut la question de l’équité de l’accès aux thérapies ciblées suggère trois principaux types d’actions : • Intensifier considérablement l’effort de prévention, ce qui n’a en réalité jamais été fait dans notre pays. • Augmenter la productivité des offreurs de soins en autorisant les pharmaciens à faire quelques prescriptions, en rémunérant les médecins de façon différenciée selon la nature des actes, en faisant monter en charge l’ambulatoire dans les hôpitaux… • Distinguer clairement ce qui relève de la solidarité, donc du monopole de l’assurance maladie (et qui peut être financé par l’impôt), et ce qui relève de l’assurance pure (par exemple la petite traumatologie sportive ou les maux d’hiver bénins) et doit être pris en charge par les assureurs, les mutuelles, les institutions de prévoyance. BILAN Les mini-réformes opérées dans nos systèmes de retraite ou de santé n’ont pas permis la franche adaptation à un nouveau contexte. Seulement, la survie d’une institution comme l’État-providence ne dépend pas exclusivement de sa capacité à se réformer, mais de sa capacité à se réformer suffisamment vite par rapport à ce que l’évolution de son environnement exige. Surtout, il faut expliquer que le système de santé français peut encore être réformé pour le meilleur : proposer un meilleur accès aux soins dans un contexte de progrès fulgurant. n Mots-clés : Innovation, Dépenses, Réforme onKo + • Avril 2015 • vol. 7• numéro 52