Torah et Sagesse : quand les Juifs rencontrent les
Grecs
Quand les Juifs ont-ils rencontrés la sagesse grecque ?
Après le retour d'exil à Babylone, la Torah fut traduite en grec. Pourquoi alors ne pas intégrer certains
éléments de la sagesse grecque, pourvu que la clé d'interprétation reste toujours la foi en YHWH ? C'est
ainsi qu'à l'époque de l'expansion de l'empire grec (Alexandre le grand - 333), la religion biblique s'est
ouverte à la sagesse grecque.
Jusqu'au jour où l'occupation par les Grecs d'Egypte a été remplacée par l'occupation par les Grecs de Syrie
qui imposèrent leurs coutumes et placèrent leur idole dans le temple, provoquant les martyres, mais nous n'y
sommes pas encore.
Quelle était la sagesse de l'Antiquité grecque ?[1]
L'Antiquité grecque, depuis Héraclite (mort entre 480 et 450 avant J-C)[2] parle du « cosmos », c'est le
monde en bon ordre, et donc élégant et beau (cosmos donne « cosmétique »). On peut bien distinguer le
ciel, qui nous échappe, et la terre, qui est à notre portée. La beauté du monde peut lui mériter d'être ciel. Les
Anciens n'étaient cependant pas naïfs sur le mal régnant sur la terre (cataclysmes volcaniques, violence
animale, etc.), ils pensaient que ce mal était limité à ce que tout petit espace que représente la terre dans
l'immense univers, et que partout ailleurs, l'ordre et le bien régnait.
Socrate (470-399 av J-J) opère une révolution (dans Phédon) en faisant remarquer que la connaissance des
réalités naturelles, à supposer qu'elle soit possible, « n'a rien à voir avec la vie bonne »[3]
Mais Platon (424-348 avant J-C) restaura (dans Timée) l'idée que la vie humaine a pour tâche d'imiter le
cosmos, il faut donc connaître l'astronomie[4]. Une similitude est souvent évoquée : la tête humaine a la
même forme que arrondie que la sphère parfaite que constitue l'univers entier. Et la gymnastique doit, elle
aussi, se régler sur le mouvement cosmique[5].
La doctrine de Platon aura une influence énorme, elle se retrouvera chez les latins, chez Cicéron, chez
Plutarque (46-125). « Pour Platon, /.../ notre âme, en contemplant les astres qui cheminent dans le ciel,
s'accoutume à goûter et à chercher l'ordre et l'harmonie et prendre en horreur le déséquilibre et les
égarements des passions, à éviter l'à peu près et le bon plaisir, source de tout mal et de toute discordance. »
[6]
Quels sont les fruits de la rencontre des Juifs avec les Grecs ?
La Torah, révélée dans l'histoire, prend la place de la Sagesse cosmique grecque intemporelle :
Le livre du Siracide (écrit à Jérusalem entre 200 et 175) affirme :
« La Sagesse fait son propre éloge [...] Tout cela n'est autre que le livre de l'alliance du Dieu Très-Haut, la
Loi promulguée par Moïse, laissée en héritage aux assemblées de Jacob. » (Siracide 24,1.23)
Le judaïsme identifie la Sagesse grecque à la Loi. « Vivre en accord avec la Loi, c'est donc réaliser, mais en
court-circuitant la nature, l'idéal de la vie ordonnée »[7].
Le judaïsme se représente la création comme ayant elle-même pour modèle une Sagesse identifiée à la Loi.
La Sagesse grecque se veut intemporelle. Mais la prophétie biblique s'inscrit dans l'histoire.
Les sages juifs pourront annoncer la fin du Cosmos (courants apocalyptique, livre de Daniel...) : c'est la
Torah qui est éternelle, mais la figure de ce monde passera. La sagesse verse dans l'apocalyptique[8].
Le judaïsme intègre la recherche de l'harmonie cosmique :
Au contact des Grecs, les Juifs font la synthèse entre la Création et l'Histoire, entre la recherche du bonheur
présent et l'écoute du projet d'avenir de Dieu. La Torah est la Sagesse présente auprès de Dieu lors de la
création, prenant ses délices parmi les hommes, et les invitant à l'écouter :
« J'étais à ses côtés comme le maître d'œuvre, je faisais ses délices, jour après jour, m'ébattant tout le temps
en sa présence, m'ébattant sur la surface de sa terre et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes. Et
maintenant, mes fils, écoutez-moi: heureux ceux qui gardent mes voies ! » (Proverbes 8, 30-32)
Le judaïsme oppose la sagesse du monde impie et celle des croyants :
« Car ils disent entre eux, dans leur faux calculs : [...] courte et triste et notre vie, usons des créatures avec
l'ardeur de la jeunesse... opprimons le juste qui est pauvre... car ce qui est faible s'avère inutile. [...] Tendons
des pièges au juste... car son genre de vie ne ressemble pas aux nôtres et ses sentiers sont tout différents et ...
il se vante d'avoir Dieu pour Père...» (Sagesse 2,1 -20)
La Sagesse impie a peur de la faiblesse tandis que la Bible sait que Dieu regarde le pauvre.
Les philosophies grecques, au contact des Juifs, trouvent une ouverture moins abstraite :
Le philosophe grec Parménide accéda à l'intuition de l'être et fut ébloui par cette perception globale et
spirituelle. Mais la perception de l'Etre éclipsait pour lui le monde ambiant.
Platon concevait un monde des Idées, prototype et modèle immobile des réalités sensibles de notre monde
multiple et changeant.
Aristote médita sur l'Etre suprême, son unité source du multiple et du mouvement. Mais cet Etre serait-il
solitaire et égoïste ? Sans doute l'une des raisons qui empêchèrent Aristote de définir Dieu comme une
personne est ce narcissisme de l'Un.
Nous le voyons, toutes ces idées grecques sur Dieu restaient abstraites.
Les Juifs au contraire avaient adopté le mot Élohim pour désigner Dieu, c'est un pluriel qu'une logique
abstraite aurait dû récuser. Et pour les Juifs, « [La Sagesse] est un miroir sans tache de l'activité de Dieu,
l'image de sa bonté » (Sg 7,26).
On peut ajouter qu'en Grèce, les philosophes stoïciens avaient imaginé que Dieu était présent à sa création,
exerçant une Providence quasi paternelle à l'égard du monde. Mais cette découverte entraîna les stoïciens
vers le monisme (une confusion de Dieu et du monde).
Les livres bibliques (Sg 14,3 ; Dn 6,18 ; 2 M 4,6) précisent cette notion de Providence.
Ainsi, les Juifs confrontés aux Grecs ont approfondi leur propre Sagesse, qui résonne d'une manière
différente de celle des nations[9].
[1]Nous suivons Rémi BRAGUE, La sagesse du monde, Fayard, Paris 1999, p. 33 à 58 et p. 157 à 226
[2]HERACLITE, H. Diels and W. Kranz, Die Frangmente der Vorsokratiker, grec et allemand, 3 vol,
Zuriche et Berlin, 1964. 22 B 30
[3]SOCRATE, cité par Cicéron, Académiques, I, IV, 15.
[4]PLATON, Lois, VII, 818 a5
[5]PLATON, Timée, 43, a-b ; 44, b-c ; 44 d.
[6]PLUTARQUE, Sur les délais de la justice divine, ch 5, 550 ce.
[7]Rémi BRAGUE, La sagesse du monde, Fayard, Paris 1999, p. 229
[8]Cf. Charles PERROT, Christ et Seigneur des premiers chrétiens. Descléee 1997. p.189-190
[9]C. LARCHER, Etudes sur le livre de la Sagesse, ed. Gabalda, Paris, 1969, Ibid., p. 386-388
Françoise Breynaert
Partie : Histoire d’Israël (Ecriture)
Dieu se communique par étape (CEC)
Quelques dates historiques (Ancien Testament)
Les récits de Genèse 1-3
Abraham et l’archéologie
Abraham. Promesse et espérance (Pape François)
Le patriarche Joseph et l'archéologie
Les étapes du livre de l’Exode
L'Exode ou sortie d'Egypte
Le sens religieux de l'Exode
Dieu forme son peuple, l’Alliance du Sinaï (CEC)
Espace sacré et loi, prêtres et prophètes
Le décalogue
L'entrée en Canaan (Josué)
L'entrée en Canaan (autres sources archéologiques)
L'entrée en Canaan (livre des Juges) et la croissance de la foi.
L’émergence de l’Etat d’Israël et le roi David
Elie, Amos, Osée, les prophètes du Nord (Samarie)
L’analogie de Dieu comme époux
L'Exil : vue d'ensemble
Michée
Le 1er Isaïe
Josias et le Deutéronome
La théologie de l'élection (Dt 7)
Jérémie
Histoire deutéronomiste (Histoire des rois par ceux qui restent au pays)
Ezéchiel
Daniel
Le 2° Isaïe
Le retour d'Exil, vue d'ensemble
Le 3° Isaïe et le retour d'exil
Esdras-Néhémie
Zacharie
Torah et Sagesse : quand les Juifs rencontrent les Grecs
La persécution grecque
Les oracles du Serviteur dans l'attente messianique
La prophétie des 70 semaines (Dn 9)
Tout l’Ancien Testament devient une immense prophétie
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