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Renaud Payre, Gilles Pollet
social
1
. La question des approches proprement historiques des politiques publiques
n’a donc tout simplement aucun sens. Pour autant, il existe, dans le champ des sciences
humaines et sociales, des approches intellectuelles, des modes particuliers de cons-
truction des objets scientifiques, des méthodologies, enfin, qui se relient à des
habitus
professionnels, à des savoir-faire, à des impensés disciplinaires, à des « tours de
main », différenciés et liés, en bonne partie, à des positions, elles-mêmes différentes
dans l’espace académique
2
.
L’analyse des politiques publiques, si elle n’échappe pas à cette règle générale, se
caractérise également par une série de modèles analytiques, de types de problématisa-
tion et de recherches théoriques et empiriques qui, manifestement, ne ressortissent pas
à l’univers des sciences sociales. Elle s’est, en effet, constituée originellement, aux
États-Unis, comme science de l’action et science pour l’action
3
. Malgré cette dimen-
sion normative et prescriptive très marquée, une partie de ses travaux pionniers s’ins-
crit tout de même dans une perspective de sciences sociales et constitue une boîte à
outils aujourd’hui encore souvent utilisée. L’analyse de l’État et des institutions
publiques, dans une perspective de sociologie historique anglo-saxonne au départ tra-
ditionnelle, puis renouvelée, a, par ailleurs, permis d’affirmer une nécessaire histori-
cisation de ces objets. En France, si l’analyse de politiques publiques est héritière de
cette double filiation – dans et hors des sciences sociales –, elle a aussi subi, avec
quelques différences notables, les grandes inflexions qui ont marqué la science poli-
tique comme discipline. Le souci de passer d’une analyse des politiques publiques à
une sociologie de l’action publique est une manière de prendre en compte ces deux tra-
ditions imbriquées, au profit d’une approche qui soit pleinement de sciences sociales.
Cette dernière s’est construite notamment à partir d’un double tournant qui a marqué
la science politique française, sociologique d’abord, socio-historique ensuite, et qui lui
a permis de revendiquer une place légitime dans l’univers des sciences sociales. En
prenant l’exemple du renouvellement actuel des études autour du gouvernement local,
champ de recherche traditionnel des
policy studies
4
,
il est d’ailleurs possible de mon-
1. Comme le rappelle opportunément Howard Becker : « Nous ne travaillons pas dans le
monde des physiciens, où nous pourrions prendre sur une étagère un échantillon de substance
pure et savoir que c’est la même substance […] que celle que n’importe quel autre scientifique
de la planète pourra manipuler sous le même nom. Aucune de nos « substances » n’est pure. Ce
sont des combinaisons historiquement contingentes et géographiquement déterminées d’un
certain nombre de processus ; aucune de ces combinaisons ne peut être identique à une autre »
(
Les ficelles du métier. Comment conduire des recherches en sciences sociales,
Paris, La
Découverte, 2002, p. 152).
2. Sur ces aspects des impensés disciplinaires, cf., entre autres, Gilles Pollet, « Regards
croisés sur la construction de la loi : d’une histoire sociale à une socio-histoire de l’action
publique », dans Jacques Commaille, Laurence Dumoulin, Cécile Robert (dir.),
La juridicisa-
tion du politique, leçons scientifiques
, Paris, LGDJ, 2000 (Droit et Société), p. 61-80.
3. Wayne Parsons,
Public Policy. An Introduction to the Theory and Practice of Policy
Analysis
, Cheltenham, Edward Elgar, 1995.
4. Nous employons ce terme de
policy studies
par commodité de langage, pour désigner
l’ensemble des travaux et auteurs qui a contribué à fonder, au départ aux États-Unis, cet espace
tout à la fois de recherche et d’aide à la décision, que l’on a traduit en français par « analyse des
politiques publiques » ou, quelquefois même, par le seul vocable « politiques publiques ». Sur
ce point, cf., notamment, Vincent Spenlehauer, « Une approche historique de la notion de “poli-
tiques publiques”. Les difficultés d’une mise en pratique d’un concept »,
Informations sociales
,
« L’évaluation des politiques publiques », numéro spécial,
110, septembre 2003, p. 34-45. Sur
cette sociogenèse entre
policy sciences
et
policy analysis
,
cf. Patrice Duran, « Genèse de l’ana-
lyse des politiques publiques », dans Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.),
Dictionnaire des politiques publiques
,
Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 232-242.
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