conférence en différée
14 30 novembre · ADF Paris 2012
On appelle communément salive le li-
quide biologique qui baigne la cavité buc-
cale. Est-ce pertinent ? Dès lors que l’on
identifie dans ce fluide oral des micro-or-
ganismes, des leucocytes, des cellules épi-
théliales desquamées, des débris alimen-
taires, le biologiste renonce à qualifier ce
liquide de salive. Il réserve ce vocable aux
produits de sécrétion des trois paires de
glandes salivaires majeures (sous-mandi-
bulaires, sub-linguales et parotides) et des
glandes mineures réparties dans la mu-
queuse buccale. Le liquide de la cavité
buccale est dès lors appelé fluide oral, de
composition complexe et extrêmement
évolutive selon le mode de stimulation, la
situation physiologique, le cycle circa-
dien, l’état de santé du sujet, son âge…
Néanmoins, la contribution des sécrétions
salivaires est déterminante même si d’au-
tres apports endogènes (fluide gingival,
sang) et des composants exogènes enri-
chissent l’ensemble(1).
La grande originalité biologique des
composants de la cavité buccale est qu’ils
se trouvent placés sous la double in-
fluence du milieu dit intérieur, et du fluide
oral, assimilé à un « milieu buccal exté-
rieur ». On est alors fondé à rechercher les
influences qu’exerce ce fluide oral sur les
structures et fonctions buccales. Actions
antimicrobiennes, maintien des structu-
res dentaires superficielles, rôles dans la
nutrition, la gustation et l’élocution, équi-
libre muqueux trouvent leur justification
dans l’étude fine de la composition du
fluide oral et des sécrétions salivaires.
La xérostomie, étymologiquement,
bouche sèche, se réfère généralement à
une appréciation subjective du sujet, alors
que l’hyposialie renvoie à un signe objec-
tif, mesurable, une diminution du débit sa-
livaire, les deux approches n’étant pas né-
cessairement liées. Les sécrétions salivai-
res étant de compositions différentes se-
lon leur origine glandulaire, on comprend
aisément qu’il faudrait préciser si le défi-
cit sécrétoire est lié à telle ou telle glande.
Si tout le monde s’entend sur la nécessité
d’adosser un diagnostic de trouble sali-
vaire à plusieurs groupes de critères dia-
gnostiques – la xérostomie, l’hyposialie, et
une sialadénite auto-immune – on est loin
du consensus sur la signification à donner
à chaque item.
Aspects cliniques de l’hyposialie et
de sa prise en charge
Quoi qu’il en soit, l’hyposialie est un mo-
tif fréquent de nos consultations du fait de
son caractère invalidant (alimentation, vie
sociale (communication, sexualité)) en-
traînant un isolement tant physique que
psychologique. Dans la cavité buccale,
l’hyposialie engendre des modifications
du microbiote oral favorisant le dévelop-
pement d’infections opportunistes, de ca-
ries mais aussi d’altérations tissulaires
(Fig. 1), et des candidoses souvent récidi-
vantes (Fig. 2). Les infections bactériennes
sont la source de gingivites (Fig. 3), de pa-
rodontites et de caries à progression ra-
pide aboutissant à une édentation progres-
sive. Ces infections bactériennes peuvent
s’étendre aux glandes salivaires (Fig. 4).
De même, en l’absence de salive, les mu-
queuses buccales s’atrophient et ont un
aspect lisse et fin propice à une intolé-
rance aux prothèses dentaires amovibles.
La diminution du pouvoir tampon engen-
dre sur les dents une déminéralisation
amélaire à l’origine d’érosions dentaires
pouvant atteindre les surfaces non fonc-
tionnelles (Fig. 5) et des lésions carieuses.
Plus l’interception est précoce, adaptée
et prolongée, plus grandes seront les chan-
ces de conserver les aspects fonctionnels
et esthétiques des dents. Il est donc néces-
saire de connaître les aspects cliniques et
de rechercher les étiologies car les consé-
quences peuvent aboutir à un édentement
précoce qui aggravera la qualité de vie de
ces patients.
Les traitements proposés pour l’hypo-
sialie sont préventifs et curatifs. Ils sont
fonction de l’étiologie. Les agents aggra-
vants comme le tabac et l’alcool sont à pro-
scrire.
Le traitement va inclure l’utilisation
des solutions allant des rinçages buccaux
et des substituts salivaires à la prescrip-
tion de sialogogues, l’élimination éven-
tuelle de médicaments ayant des effets
anti-cholinergiques, le suivi des soins
conservateurs et la prévention carieuse
par un praticien(2).
Parfois, lorsqu’il n’y a plus de possibi-
lité de stimulation salivaire, la prise en
charge est palliative et associe le maintien
de l’humification orale à une fluoruration
topique et des conseils d’hygiène et de dié-
tétique. Ainsi, la collaboration avec un dié-
téticien trouve toute sa place, car celui-ci
pourra suggérer des aliments et des bois-
sons aidant le patient à retrouver du
«goût».
Il appartient donc à l’odontologiste de
dépister au plus tôt l’hyposialie, souvent
évoquée par le patient, de trouver l’étiolo-
gie pour proposer une thérapeutique et un
suivi adaptés. Une prise en charge multidi-
ciplinaire précoce permettra d’en limiter
les effets néfastes.
La salive comme biomarqueur de la
santé générale
L’analyse de la salive humaine permet
aujourd’hui d’investiguer un certain nom-
bre de pathologies comme le syndrome de
Gougerot-Sjögren, la cirrhose, la cystite,
certains diabètes ainsi que des diagnostics
bactériologiques (parodontite, cariologie)
et viraux (HIV). Des biomarqueurs spéci-
fiques peuvent être identifiés dans la sa-
live et sont le reflet d’un exsudat du sérum.
Ces biomarqueurs sont associés à l’instal-
lation d’un écosystème microbiologique et
chimique en lien avec des facteurs de
risques (tabac, alimentation, hygiène…).
On peut certainement se permettre de
parler d’un métabolisme salivaire. Le dia-
gnostic salivaire du risque carieux par la
mesure de la charge en Lactobacillus spp.,
de Streptococcus mutans et la mesure du
pouvoir tampon de la salive en est un bon
exemple en chirurgie dentaire. Le diagnos-
tic salivaire peut-il avoir des applications
en médecine générale? La salive peut-elle
aussi être analysée pour diagnostiquer
des pathologies cancéreuses ? Il a été rap-
porté que des cellules tumorales d’un pa-
tient atteint d’un cancer oral étaient pré-
sentes dans sa salive(3). Le transcriptome
de la salive (ensemble des ARNm) compte
environ 3000ARNm différents, dont 180
sont toujours communs parmi les sujets
sains représentant ainsi le transcriptome
salivaire normal. Par ailleurs, l’évaluation
quantitative de certaines bactéries peut
être un bon marqueur de risques de can-
cers buccaux(4). Pouvons-nous y ajouter l’a-
nalyse des métabolites cellulaires, les
composés organiques volatils (COV)? En
effet, l’utilisation de molécules volatiles
Date, heure
Mardi 27novembre – 9H30 – 11H30
Thématique
Recherche, biologie, épidémiol
Type
Conférence
Cours A2 -La salive ou l’eau
à la bouche
Fig. 2 : Candidose aiguë sous sa forme pseudomembra-
neuse.
Fig. 3 : Amincissement gingival avec gingivite margi-
nale généralisée.
Fig. 4 : Pus retrouvé à l’orifice du canal parotidien.
Fig. 5 : Erosions de l’émail chez une personne souf-
frant d’asialie. Aspect gingival vernissé.
Fig. 1 : Face dorsale d’une langue sèche, fissurée.
DRBOISRAMÉ-GASTRIN SYLVIE
MCU-PH, PhD
· Ancien interne des
Hôpitaux de Brest
· Coordonnateur odontologiste
D.E.S.C.O. inter-
région Ouest
· Membre titulaire de la
Société Française de
Chirurgie Orale (SFCO)
DRFRANCK CHAUBRON
PhD
· Institut Clinident
PRBERNARD PELLAT
professeur émérite
(sciences biologiques)
· ex-doyen,
Université Paris Descartes
PRJACQUES-OLIVIER PERS
· Directeur EA2216
«Immunologie &
Pathologie»
· Vice-Doyen de l’UFR
d’odontologie de Brest
La salive ou l’eau à la bouche
Connaître les effets de l’âge et des maladies systémiques sur la salive.
Savoir organiser la prise en charge et les mesures préventives dans les cas d’hyposialie.
Appréhender la salive comme marqueur biologique de la santé générale.
Responsable scientifique : Dr Jacques-Olivier Pers( UFR de Brest PU-PH)
Conférenciers : Sylvie Boisramé-Gastrin, Franck Chaubron, Bernard Pellat, Jacques-Olivier Pers
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ADF Paris 2012 · 30 novembre
comme marqueur d’un état de santé, n’est
en fait pas une idée récente. Par exemple,
une haleine ayant une forte odeur «d’acé-
tone» révèle un dysfonctionnement hépa-
tique. L’accentuation des recherches sur
les molécules volatiles a été possible grâce
à l’essor de technologies telles que la chro-
matographie en phase gazeuse et la spec-
trométrie de masse. Correctement piégées
et analysées, les molécules volatiles don-
nent une empreinte générale qui reflète
l’état de santé d’une personne (Fig. 6).
Cette théorie est prouvée scientifique-
ment par l’analyse de l’air expiré dans cer-
tains cas pathologiques (cancer, diabète,
maladies hépatiques,…) (5).
Cependant , à ce jour, il n’existe aucun
test de salive commercialisé au niveau
mondial pour le dépistage et le diagnostic
de cancers. L’analyse des COV dans la sa-
live a donc été utilisée comme outil de dia-
gnostic précoce du cancer de l’oropharynx
(Fig. 7). Plusieurs composés volatils (COV)
sont retenus pour discriminer le groupe
« cancer » du groupe de référence « sain ». A
partir du même échantillon de salive, les
ARNm et les ADN sont analysés pour me-
surer la surexpression d’ARNm humain
et/ou d’ADN bactérien. Le sujet est consi-
déré comme présentant un cancer oropha-
ryngé dès que le résultat positif du scree-
ning COV est associé à la surexpression
d’au moins l’un des biomarqueurs ARNm
et/ou ADN.
Cette combinaison d’approches géno-
miques à d’autres types de marqueurs
vient d’être appliquée au dépistage des
cancers des voies aérodigestives supérieu-
res (VADS). Plus précisément, les cancers
de la cavité buccale représentent chaque
année en France plus de 7500 nouveaux
cas et 1875 décès. A l’heure actuelle, 70%
de ces cancers sont diagnostiqués à un
stade avancé. Or, il serait possible de les
détecter précocement et de pouvoir ainsi
améliorer leur pronostic tout en évitant
les traitements mutilants. A partir d’un
simple prélèvement de salive conservé
dans un kit fourni à divers types de prati-
ciens (médecins généralistes, dentistes,
pharmaciens, services spécialisés…), il est
possible de réaliser l’analyse diagnostique
de cancer et de fournir le résultat sous
quelques jours (Fig. 8).
Les avantages du test salivaire en can-
cérologie des VADS sont :
la praticité : prélèvement de salive par
un simple rinçage de bouche (1 minute)
la fiabilité technique : stabilité des carac-
téristiques de l’échantillon (10 jours)
– la sensibilité: taux très élevé de 98%
la fiabilité scientifique: dépistage/dia-
gnostic cancer établi directement
– la puissance: dépiste un cancer de toute
la sphère oropharyngée difficilement ac-
cessible par examen oral (nez, pharynx,
gorge…), y compris en l’absence totale de
signes visibles
– les coûts: faibles par rapport aux appro-
ches de dépistage actuel ( analyse lé-
sions/biopsie voire imagerie)
– l’accès: populations mondiales quel que
soit le niveau d’équipements de diagnos-
tic du pays
la rapidité : 72h à réception de l’échan-
tillon
Ces nouvelles approches diagnos-
tiques et de suivi thérapeutique sont donc
prometteuses et constituent des perspecti-
ves de recherche de tout premier plan.
Références :
(1) Dodds et al. Health benefits of saliva. J.
Dentistry 2005 ; 33, 223-233.
(2) Cassolato SF and Turnbull RS. Xerosto-
mia: clinical aspects and treatment. Ge-
rodontology 2003; 20: 64-77.
(3) El-Naggar AK et al. Genetic heteroge-
neity in saliva from patients with oral
squamous carcinomas: implications in
molecular diagnosis and screening. J
Mol Diagn. 2001;3:164-70.
(4) Mager DL et al. The salivary microbiota
as a diagnostic indicator of oral cancer:
a descriptive, non-randomized study of
cancer-free and oral squamous cell car-
cinoma subjects. J Transl Med.
2005;3:27.
(5) Mashir A and Dweik RA. Exhaled
breath analysis: The new interface bet-
ween medicine and engineering. Adv
Powder Technol. 2009;20:420-425.
Fig. 6 : Exemple de profil chromatographique des COV présents dans la salive humaine. Plus de 300 COV, ont pu
être identifiés dans un échantillon de salive stabilisée, par spectrométrie de masse. Parmi ces 300 COV, 60 ont été
utilisés pour développer des algorithmes de classification en cancérologie.
Fig. 7 : Discrimination de 2 populations (sain et cancer oral) avec l’aide d’un algorithme basé sur un ratio de 6 COV.
Fig. 8 : Etape de la réalisation du kit d’analyse diagnostique du cancer des VADS.
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