chimie théorique DIALOGUE PASSIONNEL DE L’URANYLE AVEC SES LIGANDS Contact : Valentina Vetere - SCIB - [email protected] Le cation uranyle(V) UO2+ joue un rôle très important dans la chimie de l’uranium. Il intervient notamment au cours de processus biologiques ou encore comme élément perturbateur dans le retraitement des déchets nucléaires. Cependant ces composés restent en général extrêmement difficiles à étudier car instables. En se basant sur des résultats expérimentaux récents, une équipe du SCIB a pu modéliser de tels composés. Les résultats obtenus permettent d’envisager de nouvelles voies pour obtenir des composés uranyle(V) stables. Le cation uranyle est composé d’un ion uranium central, lié de part et d’autre à deux ions oxygène, et présente une forme de bâtonnet. Comme des sites de coordination restent vacants autour de l’uranium dans le plan perpendiculaire, celui-ci peut s’associer avec divers ligands pour former des complexes d’uranyle dont la charge globale varie selon l’état d’oxydation de l’uranium : (VI) ou (V). Dans le milieu naturel, l’uranium existe sous deux formes majoritaires : l’uranyle(VI) soluble, et l’uranium(IV) en général insoluble. Cependant les composés uranyle(V) interviennent dans les processus de réduction (milieu biologique ou minéral) des espèces (VI) vers les espèces (IV). Ils participent donc à travers la précipitation de l’uranium(IV) à l’accumulation de cet élément dans certains compartiments écologiques. Pourtant les composés de l’uranyle(V) sont très mal connus en raison de leur instabilité intrinsèque qui se manifeste par une réaction dite de dismutation : 2UV→UVI + UIV. Au cours de cette réaction, deux uranyle(V) réagissent l’un sur l’autre pour former un uranyle(VI) et un uranium(IV). Récemment les chimistes du SCIB ont réussi à bloquer cette réaction et à stabiliser des complexes uranyle(V) ouvrant la voie à une étude systématique de ces composés. Pourquoi dans ces complexes particuliers l’uranyle(V) est-il si stable ? Traditionnellement, l’uranyle(V) est perçu comme un cation capable d’interagir avec les ligands uniquement via des liaisons ioniques (électrostatiques). Aussi, une des hypothèses avancées est que les complexes stables sont tellement encombrés, qu’il leur est impossible d’interagir ensemble pour échanger leur électron. Pour en avoir le cœur net, les théoriciens du SCIB ont réalisé des calculs de DFT (théorie de la fonctionnelle densité), avec un résultat étonnant à la clef : l’uranyle(V) est capable de former des liaisons covalentes, et encore mieux de donner lieu à de la rétrodonation π (voir encart). Ces résultats surprenants sont liés à la nature électronique particulière des ligands utilisés : un phénolate, très riche en électrons qui va « enrichir » l’uranyle(V) en densité électronique, et une pyridine qui au contraire va récupérer une partie des électrons de l’uranyle(V). Ce dialogue entre ligand donneur et accepteur via l’ion uranyle(V) stabilise suffisamment ce dernier pour lui couper l’envie de se dismuter. Sur ces nouvelles bases, les chimistes du SCIB sont en train de mettre au point de nouveaux complexes uranyle(V) afin d’explorer et de comprendre la réactivité singulière de ce cation. Le prochain défi des théoriciens est alors de comprendre le mécanisme précis des réactions de dismutations. Ces deux approches complémentaires pourraient déboucher à terme sur une meilleure compréhension des mécanismes de dispersion de l’uranium dans le milieu naturel, améliorer le stockage en profondeur des déchets nucléaires et le développement de stratégies plus efficaces de dépollution (mines, armements, stockage du combustible). La précipitation de Calcul DFT des orbitales moléculaires d’un complexe uranyle(V). Les boules vertes représentent les atomes d’azote, les rouges les atomes l’uranium(IV) intervenant égaled’oxygène, les volumes bleus et jaunes représentent les orbitales mo- ment lors du retraitement industriel léculaires du complexe. A) cas d’une liaison ionique, l’uranium U n’a des déchets, la connaissance des pas d’échange avec ses ligands pyridine, et on observe une orbitale mécanismes liés à sa formation atomique de l’uranium de type f. B) rétrodonation π, les orbitales moléculaires de type π de la pyridine se recouvrent avec les orbitales permettra d’optimiser ces procédés. atomiques de type f de l’uranium. La rétrodonation π A l’instar des humains, les métaux M et les ligands L peuvent établir plusieurs types de liaisons. La première que l’on pourrait qualifier de « platonique » est la liaison ionique : les espèces se lient via des interactions électrostatiques à travers l’espace (cas du chlorure de sodium). La seconde liaison plus «physique», dite covalente, où le métal et le ligand mettent leurs électrons en commun grâce au recouvrement de certaines de leurs orbitales selon une symétrie axiale (équivalent à une liaison simple en chimie organique, de type σ). Ces liaisons covalentes peuvent également se décliner sous une forme «passionnée», où, éventuellement en plus d’une liaison σ, les partenaires échangent leurs électrons via des orbitales localisées de part et d’autre de l’axe les reliant (double liaison de type π). Pour ces liaisons π, les électrons peuvent être préférentiellement localisés sur le métal (ligand π donneur) ou sur le ligand (ligand π accepteur). Dans ce dernier cas, tout se passe comme si le métal redonnait de la densité électronique au ligand, d’où le terme rétrodonation. Lorsqu’un métal possède plusieurs ligands de nature différente (nous arrêterons la comparaison avec les humains à ce point), une synergie peut apparaître entre un ligand donneur L 2 et un ligand accepteur L 1, le centre métallique servant d’intermédiaire. LA FEUILLE ROUGE - N° 563 mai 2010 Comité de rédaction : E. Molva, J. Planès (DIR), P. Dalmas de Réotier (SPSMS), L. Dubois (SCIB), S. Lyonnard (SPRAM), G. Prenat (SPINTEC), R. Vallcorba (SBT), P. Warin (SP2M) - Mise en page : M. Benini (DIR) tél. 04 38 78 36 33 Institut Nanosciences et Cryogénie Commissariat à l’Énergie Atomique - Direction des Sciences de la Matière - Centre de Grenoble - inac.cea.fr/feuille_rouge