Vincent SULLEROT - Bibliothèques

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Université de Montréal, 30 septembre-2 octobre 2004
Colloque « G. W. Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain (1704-2004) »
Vincent Sullerot
(Université Paris IV – Sorbonne)
La naturalisation du probable
Une réforme conceptuelle dans les Nouveaux Essais de Leibniz
• Nouveaux Essais sur l’entendement humain, livre IV, chapitre XV, § 1
Réf. : A VI VI 457-458 (éd. J. Brunschwig, Paris, GF-Flammarion, 1990, p. 361-362).
N. B. : le texte et la variante sont ceux de l’édition de l’Académie ; l’orthographe a été
ici modernisée.
Chapitre XV
De la Probabilité
§. I. PHILAL. Si la démonstration fait voir la liaison des idées, la probabilité
n’est autre chose que l’apparence de cette liaison fondée sur des preuves où l’on ne voit point
de connexion immuable. §. 2. Il y a plusieurs degrés d’Assentiment depuis l’assurance
jusqu’à la conjecture, au doute, à la défiance. §. 3. Lors qu’on a certitude, il y a
intuition dans toutes les parties du raisonnement, qui en marquent la liaison ; mais ce qui me
fait croire est quelque chose d’étranger. §. 4. Or la probabilité est fondée en des conformités
avec ce que nous savons, ou dans le témoignage de ceux qui le savent.
THÉOPH. J’aimerais mieux de soutenir qu’elle est toujours fondée dans la vraisemblance ou dans la conformité avec la vérité : et le témoignage d’autrui est encore une
chose que le vrai a coutume d’avoir pour lui à l’égard des faits qui sont à portée. On peut
donc dire que la similitude du probable avec le vrai est prise ou de la chose même ou de
quelque chose étrangère. Les Rhétoriciens mettent deux sortes d’arguments : les artificiels qui sont tirés des choses par le raisonnement, et les inartificiels qui ne se fondent
que dans le témoignage exprès ou de l’homme ou peut-être encore de la chose même. Mais
il y en a de mêlés encore, car le témoignage peut fournir lui-même un fait qui sert à
former un argument artificiel.
19 d’étranger. | THÉOPH. J’ai déjà dit que la probabilité est fondée dans la similitude avec la
vérité barré | §. 4. Or L1
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
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Avertissement : le texte qui suit est une version à peine remaniée de la communication
donnée au colloque ; il en conserve donc largement le caractère oral.
I. Le problème et la méthode : le probable dans les Nouveaux Essais
1. La raison du lieu et le choix d’une lecture interne
La question du probable chez Leibniz est une question « embarrassée ». Leibniz
formule trop souvent le desideratum d’une logique du probable, ou tout au moins d’une
théorie des degrés de probabilité, pour que l’on s’autorise à l’ignorer purement et
simplement ; simultanément, il semble avoir trop peu avancé ce projet pour qu’il soit possible
d’en traiter sérieusement ex professo. Si l’on s’obstine pourtant à poursuivre les linéaments de
cette question dans son œuvre, il apparaît que les Nouveaux Essais sont un lieu d’élaboration
majeur, peut-être le principal, d’une théorie du probable et de la connaissance probable.
Avant de tenter une présentation synthétique d’un aspect de cette réflexion,
relativement dispersée dans le texte des NE, il convient donc de se demander pourquoi il
fallait que ce fût ici, à l’occasion de ses « remarques » ou « observations » sur l’Essay de
Locke, que Leibniz réunît la plus grande partie de ses considérations sur cette question – en
termes leibniziens : pourquoi ici plutôt qu’ailleurs, car on sait bien que si « c’est partout
comme ici », deux textes de Leibniz ne diffèrent pourtant jamais solo numero. Cette question
initiale de la raison du lieu, simplement circonstancielle en apparence, pourrait bien nous
aider à saisir la signification d’ensemble de cette théorie en l’inscrivant dans son contexte
propre.
Cette suggestion appelle comme son corrélat un choix méthodologique : celui d’une
lecture interne des NE, qui tire sa substance de ce seul texte. On ne s’autorisera à en sortir
(pour aller ailleurs dans le corpus leibnizien) que dans le but d’éclairer ou de développer un
élément des NE eux-mêmes, et non pour trouver ailleurs une réponse aux questions que
poseraient les NE, ou pour poser aux NE des questions qui ne sont pas les leurs.
Cette option méthodologique est sous-tendue par une hypothèse exégétique relative au
statut des NE au sein du corpus leibnizien, hypothèse selon laquelle l’économie du texte des
NE obéit à une relative clôture problématique. Elle n’implique pas nécessairement de clôture
conceptuelle ; encore moins, bien sûr, de clôture génétique : on peut, et il faut souvent aller
chercher ailleurs des éléments qui rendent intelligible le texte des NE, l’origine et le sens de
certains termes et de certains énoncés. On peut aussi trouver ailleurs des éléments qui rendent
problématiques certaines thèses ou formules des NE. Mais si l’on veut comprendre les NE au
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seul plan des problèmes qui y sont posés et du traitement qu’ils y reçoivent, l’Essay de Locke
et les NE devraient en principe suffire.
2. Le problème : probabilité et connaissance (du) probable
Ces contraintes formelles étant explicitées, reste à donner une première formulation de
notre problème. J’ai déjà mentionné l’énoncé, récurrent chez Leibniz, du desideratum d’une
logique du probable. Quelle qu’en soit la forme, on sait qu’il s’agit en général d’un projet qui
vise à doter l’esprit humain de la pièce maîtresse d’une méthode spécialement adaptée à la
connaissance des vérités contingentes. On sait aussi que la logique et la métaphysique de
Leibniz assignent à ces vérités une nature à part ; cette nature, d’un seul et même mouvement,
élève en droit ces vérités à une intelligibilité rationnelle complète, et soumet en fait la
connaissance effective de ces vérités à des exigences plus qu’humaines. Il est donc essentiel à
la pensée leibnizienne d’élaborer, sur le plan épistémologique, des procédures qui permettent
une appréhension concrète de ces vérités par la raison humaine. C’est ici qu’intervient le
probable, comme une norme épistémique générale propre à régler ces procédures, mais aussi
comme un concept qui s’y révèle directement opératoire – un concept, ou plutôt une famille
de concepts qui lui associe notamment la certitude morale, la présomption ou la conjecture.
Cet effort théorique de Leibniz est cependant toujours fragmentaire. Son apparente
disparité conceptuelle, et sa dispersion matérielle bien réelle, obligent à s’interroger sur sa
véritable unité. On est tout naturellement porté, pour ce faire, à poser la question de l’exacte
signification donnée par Leibniz au concept de probabilité, soit, pour parler comme Leibniz,
de la nature du probable. C’est à cette seule question que sera consacré cet exposé, où
j’essaierai de décrire par quelle réforme conceptuelle Leibniz restitue au probable ce qu’il
tient pour son unité et son fondement réels. Les résulats de cette enquête permettraient par
ailleurs, ce que l’on ne fera pas ici, de mieux comprendre les fonctions épistémologiques du
probable, autrement dit les usages qui lui sont assignés dans le cadre de la théorie de la
connaissance probable qui se dessine progressivement au fil des pages des NE. Il s’agirait
alors de mieux cerner le statut ou le type de cette connaissance, c’est-à-dire de la situer au
sein des différents régimes de perception distingués par Leibniz, et d’apprécier les parts
respectives que prennent l’art et la nature à sa mise en œuvre.
3. Une stratégie : du réseau des réflexions probabilistes au commentaire du chap. XV
Un tel programme serait trop ambitieux, et je me concentrerai exclusivement sur le
problème de la nature du probable. Il faut cependant situer ce problème en décrivant
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brièvement le réseau de pensées des NE dont il constitue un nœud décisif, pour mieux en faire
percevoir la portée.
Il s’agit d’une part des différents cas particuliers d’usages du probable dans les NE :
les concepts et les arguments probabilistes, hors du cadre où ils apparaissent thématiquement,
sont en effet opératoires en de nombreux autres lieux. Leibniz les mobilise en particulier pour
défendre les pouvoirs de la raison humaine contre les défis du scepticisme, qu’il s’agisse des
preuves de la vérité de la religion chrétienne (ou motifs de crédibilité pour la foi humaine), de
la défense des vérités qui sont de foi divine, ou encore des preuves de l’extériorité – preuves
de l’existence de la res extra et de la réalité des phénomènes. Je laisserai a fortiori de côté les
champs déjà traités ici par d’autres intervenants, tels que la théorie des espèces au livre III, la
méthode des hypothèses présentée par F. Duchesneau ou encore l’art de disputer traité par
M. Dascal. L’ensemble de ces usages particuliers permet de constater comment opère
effectivement la théorie de la connaissance probable.
D’autre part, et concernant cette fois le traitement thématique du probable, je ne
m’attarderai pas sur certains aspects pourtant très importants des réflexions de Leibniz. J’ai
déjà évoqué le problème du statut de la connaissance probable et de sa position au sein de la
gradation des types de perception, entre le régime empirique des bêtes et le régime de pure
raison dont est capable l’esprit humain. Mentionnons enfin d’autres éléments plus étroitement
liés au problème de la nature du probable, déjà relativement connus 1 ou développés ailleurs
par Leibniz au moins autant que dans les NE, qu’il s’agisse de la critique du probabilisme
théologique ou de la question du fondement logico-métaphysique du probable en termes de
degré de possibilité.
Le but ici est plus modeste, et la stratégie est simple : clarifier la nature du probable en
proposant un commentaire du début du chap. XV du livre IV (cf. texte supra). En restreignant
ainsi l’objet de mon attention, j’espère pouvoir examiner dans son détail un échantillon du
dialogue noué sur ce point avec Locke. Une petite originalité de ce commentaire : je me
donnerai la liberté de parcourir ce passage dans le désordre, et plutôt selon une lecture
régressive, de la fin au début de l’intervention de Théophile, espérant ainsi mieux mettre au
jour ses conditions d’intelligibilité.
1
Notamment par les travaux de Marc Parmentier : L’estime des apparences. 21 manuscrits de Leibniz
sur les probabilités, la théorie des jeux, l’espérance de vie, Paris, Vrin, 1995 ; « Concepts juridiques et
probabilistes chez Leibniz », Revue d’Histoire des Sciences, 46, 1993, p. 439-485.
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4. Le cadre conceptuel de la réforme leibnizienne
Concernant la nature du probable, on pourrait réunir les interventions de Leibniz dans
les NE sous le titre de réforme conceptuelle, réforme dont l’orientation principale se
comprend comme une naturalisation du probable. On peut ici parler de réforme au sens où il
arrive à Leibniz de définir la reformatio comme un « changement » fondé en raison ou
« accompagné d’un motif d’amendement » (mutatio cum praetextu emendandi) 2. Cette
réforme, on va le voir, s’accompagne d’un déplacement terminologique qui conduit du
« probable » au « vraisemblable ». Pour la comprendre, il convient de porter la plus grande
attention à l’usage que l’on fait dans le commentaire de notions empruntées à l’histoire
ultérieure et à la philosophie contemporaine de la probabilité.
Je voudrais en particulier mentionner, pour la mettre à distance, la dualité du concept
de probabilité telle que l’a décrite Ian Hacking en 1975 dans son Émergence de la
probabilité 3, dualité conceptuelle à laquelle est subordonnée son interprétation de la pré- ou
protohistoire philosophique de la probabilité classique, elle-même menée sous les auspices
d’une généalogie « hégéliano-foucaldienne ». Le premier versant de ce concept dual est la
probabilité « statistique », qui s’applique aux lois des processus aléatoires, soit la tendance
présentée par certaines techniques aléatoires (chance devices) à produire des fréquences
stables. Son second versant est constitué par la probabilité « épistémique » (epistemological),
qui sert à évaluer les degrés de la croyance raisonnable, garantie par certains éléments
d’évidence factuelle. Cette division constitue par ailleurs une version possible du partage
entre probabilité objective et probabilité subjective.
Cette distinction, comme Hacking le mentionne lui-même, vient en ligne directe de
l’article séminal publié en 1945 par Rudolf Carnap : « The two concepts of probability » 4.
Carnap, recherchant une « explication » du « concept préscientifique de probabilité »,
distingue entre une « probabilité1 », le « degré de confirmation » logique, et une
« probabilité2 », la fréquence relative observée dans une longue suite, ou fréquence
statistique. Or cette distinction permet à Carnap de défendre la compatibilité de la probabilité
« logique » (probabilité1) avec le programme de l’empirisme, pour faire de cette probabilité le
2
[Vorarbeiten zur Characteristica Universalis. Definitionentafel], A VI II 508, 2e moitié 1671printemps 1672 ? (où Leibniz suit l’ordre de l’Essay… de John Wilkins).
3
The Emergence of Probability. A philosophical study of early ideas about probability, induction and
statistical inference, Cambridge, Cambridge University Press, 1975 ; réimpr. 1978 ; L’émergence de la
probabilité, trad. Michel Dufour, Paris, Seuil, 2002.
4
Philosophy and phenomenological research, 5, 1945 ; reproduit avec quelques légers changements in
R. Feigl & M. Brodbeck (dir.), Readings in the philosophy of science, New York, Appleton Century Crofts,
p. 438-451 ; trad. R. Blanché in R. Blanché, La méthode expérimentale et la philosophie de la physique, Paris,
A. Colin, 1969, p. 355-367.
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5
concept fondamental de la logique inductive qu’il cherche à construire. Et Hacking lui-même
a publié, quatre ans avant l’ouvrage dont j’ai parlé, soit dès 1971, un article dont le titre est
suffisamment éloquent : « The Leibniz-Carnap Program for Inductive Logic » 5. On aura
compris qu’il s’agit d’attribuer à Leibniz la paternité de ce programme de recherche,
augmentant ainsi sa descendance logicienne d’une nouvelle branche, symétrique de la branche
déductive qui lui est poussée depuis Frege, Russell et Couturat.
Or je partage entièrement les « doutes » simultanément formulés par Margaret Wilson
à propos de cette thèse de Hacking 6. Mais, en deçà de cette reconstruction, il faut peut-être
revoir l’interprétation du concept de probabilité dont elle dépend. Tout d’abord en vertu des
critiques dont le livre de Hacking a été l’objet depuis 1975, à commencer par celles de Daniel
Garber 7. Plus récemment encore, James Franklin, dans The Science of Conjecture, a réuni un
matériau suffisamment riche pour qu’il ne soit plus possible de reconduire un certain nombre
d’analyses de Hacking 8. Cependant, Franklin emploie lui aussi le couple de l’aléatoire et de
l’épistémique, pour faire de Leibniz le dernier représentant, quoique peut-être le plus illustre,
d’une époque de confusion entre ces deux versants du probable. Or, de quelque profit que
puisse être cette distinction pour une analyse conceptuelle « décontextualisée », on peut
douter qu’elle éclaire beaucoup l’interprétation leibnizienne du concept de probabilité
considérée in situ. Et avant de risquer une histoire du probable par récurrence, et de lui
appliquer du même coup cette distinction, il serait prudent de procéder à une opération
préliminaire : la mise au jour de l’interprétation que Leibniz lui-même propose de la notion,
en termes suffisamment explicites pour être pris au sérieux.
Pour ce faire, je propose de substituer à cette distinction relativement anachronique
une autre distinction, plus modeste, mais peut-être plus appropriée. Elle correspond
notamment à la distinction faite par Jean-Marie Le Blond, dans son commentaire Logique et
méthode chez Aristote, entre « probabilité intrinsèque » et « probabilité extrinsèque » 9. Je
prends soin de citer Le Blond, moins comme une source pour cette terminologie que parce
l’objet de son commentaire est en relation directe avec le problème qui m’intéresse chez
5
Journal of Philosophy, 68, 1971, p. 597-610.
Cf. « Probability, Propensity and Chance : Some Doubts about the Hacking Thesis », Journal of
Philosophy, 68, 1971, p. 610-617.
7
Cf. Daniel Garber et Sandy Zabell, « On the Emergence of Probability », Archive for History of Exact
Sciences, 21, 1979, p. 33-53.
8
Cf. The Science of Conjecture : Evidence and Probability before Pascal, Baltimore/London, The
Johns Hopkins University Press, 2001, 2002² ; voir aussi, du même, « The Ancient Legal Sources of
Seventeenth-Century Probability », in Stephen Gaukroger (dir.), The Uses of Antiquity. The Scientific Revolution
and the Classical Tradition, Dordrecht/Boston/London, Kluwer Academic Publishers, 1991, p. 123-144.
9
Cf. Jean-Marie Le Blond, Logique et méthode chez Aristote. Étude sur la recherche des principes dans
la physique aristotélicienne, Paris, Vrin, 1939, 19702, p. 10-11.
6
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6
Leibniz : il s’agit en effet de la contribution de la dialectique aristotélicienne des Topiques à la
méthode de connaissance effectivement suivie par Aristote, en particulier pour la recherche
des principes dans la science de la nature. Selon Le Blond, la probabilité intrinsèque, ou
vraisemblance, est celle qui « a pour soi des raisons sérieuses, mais non contraignantes » ; elle
fait de la dialectique une « logique du probable » 10. Quant à la probabilité extrinsèque, ou
plausibilité, elle correspond à la définition qui fonde l’ƒνδοϕον (endoxon) sur l’autorité, celle
des sages ou du plus grand nombre 11, que l’on trouve au premier chapitre des Topiques 12.
II. Refonte et refondation du probable : la vraisemblance
Sur quoi se fonde cette substitution d’une conceptualité à une autre, et comment cette
autre dualité du probable est-elle repensée par Leibniz ?
1. Du probable au vraisemblable
J’irai maintenant droit au but, soit au chapitre XV du livre IV, « De la probabilité ». Au
§ 1, Locke y définit la probabilité comme l’apparence de l’accord ou du désaccord de deux
idées, apparence procurée par des preuves faillibles. Il faut donc considérer, d’une part, la
caractérisation de la probabilité comme « apparence », ou encore likeliness to be true (§ 3), et
d’autre part les fondements de probabilité, ces preuves faillibles détaillées à partir du § 4. Je
passe pour le moment sur les transformations subies par ce texte dans la bouche de Philalèthe,
pour m’arrêter sur la fin de la réponse de Théophile :
Les Rhétoriciens mettent deux sortes d’arguments : les artificiels qui sont tirés des choses
par le raisonnement, et les inartificiels qui ne se fondent que dans le témoignage exprès ou de
l’homme ou peut-être encore de la chose même 13.
Sur la notion d’argument, on peut se reporter, dans le même livre IV, au chap. I, § 1 :
on y lit que, chez « certains logiciens du siècle de la réformation, qui tenaient quelque chose
du parti des ramistes », les argumenta sont « les Topiques ou les lieux d’invention » qui
servent à expliquer ou à éclaircir une idée aussi bien qu’une thèse (ou proposition),
indépendamment de la considération de leur vérité ou de leur preuve 14. Nos « Rhétoriciens »
sont donc aussi bien des dialecticiens, mais qui tous ont hérité de la distinction faite par
10
Ibid., p. 10 (et p. 11 pour sa caractérisation comme « vraisemblance »).
Cf. ibid., p. 11.
12
Cf. Aristote, Topiques, I, 1, 100 b 21-23 : « […] sont des idées admises [ƒνδοϕα/endoxa] les opinions
partagées par tous les hommes, ou par presque tous, ou par ceux qui représentent l’opinion éclairée, et pour ces
derniers par tous, ou par presque tous, ou par les plus connus et les mieux admis comme autorités » (texte établi
et traduit par J. Brunschwig, Paris, Les Belles Lettres, 1967, p. 2).
13
NE I XV 1 (A VI VI 457-458 ; nouvelle éd. J. Brunschwig, Paris, GF-Flammarion [désormais « GF »],
1990, p. 362).
14
A VI VI 356 ; GF 281.
11
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Aristote dans sa Rhétorique (chap. 2) entre les preuves « techniques », qui dépendent des
seules ressources argumentatives de l’art oratoire, et les preuves « extra-techniques »
( τεξνοι/atekhnoi) ou étrangères à cet art, au premier rang desquelles il faut citer les
témoignages 15. On trouve par ailleurs dans les Topiques de Cicéron une définition de
l’argumentum comme « moyen servant à convaincre d’une chose douteuse 16 » (rationem
quae rei dubiae faciat fidem), et une reprise de la preuve extra-technique sous le nom
d’argument « pris en dehors » (extrinsecus) du sujet dont il est question 17 : cette
argumentation extrinsèque est dite « sans art » (artis expers), elle « repose sur le témoignage
et nous appelons ici témoignage tout ce qui est emprunté à une circonstance extérieure [ab
aliqua re externa] pour fonder la conviction 18 ». Enfin, pour le « parti des ramistes » et plus
près de Leibniz, la distinction entre argument artificiel et argument inartificiel se trouve en
effet telle quelle dans la Dialectique de Pierre de La Ramée de 1555 19, faisant passer dans le
français philosophique les dérivés de l’ars latin qui traduisent ceux du grec tekhnè.
Pour en finir sur ce point, j’ajoute que le vocabulaire de l’extrinsèque et de
l’intrinsèque a également l’avantage d’une parenté évidente avec celui des Messieurs de PortRoyal : dans leur Logique, au chap.
XIII
du livre IV, à propos de « la créance des événements
qui dépendent de la foi humaine », Arnauld distingue entre les « circonstances intérieures »,
qui « appartiennent au fait même », et les circonstances « extérieures », qui « regardent les
personnes par le témoignage desquelles nous sommes portés à le croire » 20. Et l’on sait
l’importance de ces chapitres de la Logique de Port-Royal pour les premières formulations de
la notion d’espérance, l’usage moderne du mot de probabilité (qui n’est pas celui de Pascal),
et enfin l’application de techniques de mesure de la probabilité à des situations d’incertitude
indépendante des phénomènes aléatoires et de leurs fréquences statistiques.
Outre que cette filiation nous invite à employer la distinction de l’intrinsèque et de
l’extrinsèque, elle nous renseigne sur la tradition rhétorico-dialectique à laquelle va puiser
Leibniz, et dans laquelle il s’inscrit lui-même plus largement qu’il ne veut bien le laisser
paraître en général. On peut maintenant reprendre l’examen du chap.
XV,
et continuer de
parcourir la réponse de Théophile à rebours.
15
Aristote, Rhétorique, I, 2, 1355 b 35-39.
Cicéron, Topiques, in Cicéron, Divisions de l’art oratoire. Topiques, texte établi et traduit par Henri
Bornecque, Paris, Les Belles-Lettres, 1924, § 8.
17
Ibid., § 8, 24 et 72.
18
Ibid., § 73.
19
Pierre de La Ramée, Dialectique [1555], texte modernisé par Nelly Bruyère, Paris, Vrin, 1996.
20
A. Arnauld et P. Nicole, La Logique ou l’Art de Penser [1662], éd. P. Clair et F. Girbal, Paris, PUF,
1965, IVe partie, chap. XIII, p. 340.
16
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On peut donc dire que la similitude du probable avec le vrai est prise ou de la chose même
ou de quelque chose étrangère.
L’alternative de la « chose même » et de la « chose étrangère » est bien celle de
l’intrinsèque et de l’extrinsèque. Elle vient corriger en la complétant une affirmation de Locke
que Leibniz prend soin de reproduire dans son texte, selon laquelle les fondements de
probabilité sont extérieurs à l’objet de la croyance probable : « That which makes me believe,
is something extraneous to the thing I believe […] », ou « ce qui me fait croire est quelque
chose d’étranger » (§ 3). Non que la probabilité de Locke soit exclusivement extrinsèque : ses
fondements consistent, selon les mots de Philalèthe, dans « des conformités avec ce que nous
savons, ou dans le témoignage de ceux qui le savent » (§ 4). Le premier fondement, dans sa
formulation complète chez Locke, inclut la conformité avec notre connaissance, notre
observation et notre expérience 21, et ce n’est que le second fondement qui réside dans le seul
témoignage d’autrui. Pourtant Leibniz a quelque raison d’amender les formulations de Locke,
qui sont loin d’être aussi claires que les siennes relativement à cette distinction, et qui sont
sans doute compromises par des exemples qui relèvent tous de la probabilité extrinsèque :
croire sur parole un mathématicien qui m’assure que les trois angles d’un triangle sont égaux
à deux droits (§ 1) ; croire quelqu’un qui m’assure qu’il a vu un homme marcher sur l’eau
gelée en Angleterre, ou entre les Tropiques, ou encore, comme le roi de Siam, ne pas croire
l’ambassadeur de Hollande qui rapporte que l’eau gèle parfois si fort dans son pays qu’elle
peut alors supporter le poids d’un éléphant (§ 5).
L’amendement de Leibniz peut enfin être lu dans toute sa généralité, au début de la
réponse de Théophile :
J’aimerais mieux de soutenir qu’elle [= la probabilité] est toujours fondée dans la
vraisemblance ou dans la conformité avec la vérité […]
Initialiement, Leibniz avait écrit : « J’ai déjà dit que la probabilité est fondée dans la
similitude avec la vérité » (A VI
VI
457 ; je souligne). La modification de l’amorce
(« J’aimerais mieux de dire » plutôt que « J’ai déjà dit ») a le mérite d’épargner finalement un
interlocuteur nécessairement sourd aux remarques de Philalèthe ; elle montre aussi la
précaution subtile de Leibniz, qui « aimerait mieux » dire les choses ainsi plutôt
qu’autrement, ce qui ne signfie pas qu’il s’oppose à Locke, mais bien qu’il préfère amender
ses formulations pour clarifier la pensée. Par ailleurs, le terme de similitude qui figurait dans
21
« The conformity of any thing with our own Knowledge, Observation, and Experience. » (§ 4).
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9
la rédaction initiale est simplement reporté dans le texte définitif à la phrase suivante (« la
similitude du probable avec le vrai »).
La refonte leibnizienne du probable est donc aussi une refondation, qui déplace le
centre de gravité de la notion du probable au vraisemblable. Que signifie cette préférence de
Leibniz quant au fondement du probable ? La dualité des grounds of probability de Locke
divise en effet le fondement du probable, selon un partage qui paraît correspondre à celui de la
probabilité intrinsèque (conformité avec notre savoir, au sens large) et de la probabilité
extrinsèque (le témoignage autorisé). Ce premier fondement est certes extérieur à la chose
crue, puisqu’il mesure la probabilité d’un fait particulier à sa conformité avec mon expérience
ou ma connaissance en général. Mais il ne s’agit pas pour autant alors d’une probabilité
extrinsèque, tributaire de l’autorité d’autrui. Reste que le second fondement vient s’ajouter au
premier selon un rapport relativement indéterminé, et sans que Locke s’inquiète de perdre
ainsi l’unité du probable. Leibniz, quant à lui, « aimerait mieux » fonder la probabilité dans la
seule vraisemblance : « J’aimerais mieux de soutenir qu’elle est toujours fondée dans la
vraisemblance ou dans la conformité avec la vérité » (je souligne).
Remarquons d’abord ce que Leibniz conserve de Locke : le terme de « conformité ».
Mais le fondement change. La probabilité de Locke est fondée dans certaines conformités (et
Leibniz attribue à Locke un pluriel qui n’est pas dans son texte) avec ce qu’un sujet ou ses
témoins savent ou sont réputés savoir. À ces savoirs subjectifs, Leibniz ne substitue rien de
moins que « la vérité ». Le probable n’est pas fondé dans la conformité avec un savoir
subjectif, mais avec la vérité en personne, indépendamment des personnes supposées la
connaître. Dans le bref chap.
V
du même livre, la vérité a été définie par Leibniz comme
« correspondance des propositions qui sont dans l’esprit avec les choses dont il s’agit 22 ». Je
ne vais pas m’attarder sur cette définition, mais si le probable est conforme au vrai, il est donc
conforme à une relation, qui est elle-même de correspondance, entre propositions et choses.
En assimilant conformité et correspondance, et en dotant cette relation de la propriété de
transitivité, on irait vite jusqu’à dire du probable qu’il est conforme aux choses, ou qu’il leur
correspond.
Et c’est bien, dans une certaine mesure, ce que dit Leibniz, sans pourtant confondre
vérité et vraisemblance. C’est que la vraisemblance, cette « conformité » du probable avec la
vérité, est aussi désignée comme « similitude ». Il s’agit d’une authentique vrai-semblance,
comme l’écrit parfois Leibniz au plus près du latin, une « semblance » du vrai, à la fois
22
NE IV V [4] (A VI VI 397 ; GF 313).
10
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ressemblance ou similitude avec la vérité, et manifestation, apparition ou phénoménalisation
de cette vérité. Et si Leibniz écrit plus souvent « vraisemblance », ou trouve, en IV
II
14, le
substantif « vérisimilitude ». On ne peut donc avoir, cela va de soi, une stricte transitivité, du
probable au vrai et du vrai à la chose. S’il ressemble au vrai, le probable peut donc ne pas lui
être parfaitement identique ; il ne lui est pas toujours substituable salva veritate. Ce
qu’indiquait déjà, en un sens, le terme de conformité, si l’on songe à la « conformité de la foi
avec la raison » du discours préliminaire de la Théodicée, qui désigne une communauté de
forme sans identité stricte 23.
2. Le vraisemblable et son fondement
Reste donc que la vraisemblance, fondement du probable, doit être entendue à la
lettre : une conformité qui n’est pas un accord subjectif des savoirs, mais une ressemblance
avec la vérité, laquelle correspond aux choses. Leibniz tient plus qu’il n’y paraît à ce terme de
vraisemblance : au chap. II, § 14, alors que Locke refuse à l’opinion le titre de connaissance,
Leibniz suggère qu’elle pourrait pourtant le mériter à condition qu’elle soit « fondée dans le
vraisemblable 24 ». Et déjà, au livre II, chap.
XXI,
§ 66, on lit que les casuistes n’ont pas
compris la nature du de la probabilité, « la fondant sur l’autorité avec Aristote, au lieu de la
fonder sur la vraisemblance comme ils devraient, l’autorité n’étant qu’une partie des raisons
qui font la vraisemblance 25 ». On peut également citer un texte particulièrement clair de 1686
environ sur la science générale : « Je ne parle pas ici de cette probabilité des Casuistes, qui est
fondée sur le nombre et sur la réputation des Docteurs, mais de celle qui se tire de la nature
des choses à proportion de ce qu’on en connaît, et qu’on peut appeller la vraisemblance 26. »
Enfin, dans une lettre en allemand de 1696 à Gabriel Wagner, Leibniz écrit qu’il faut
employer les degrés de probabilité « dans les questions contingentes où l’on doit choisir le
plus vraisemblable » (in zufälligkeiten, wo man das wahrscheinlichste wehlen muß 27).
Pourquoi donc avoir choisi ce terme de « vraisemblance » pour désigner le véritable
fondement du probable ? À l’époque de Leibniz, il arrive en effet qu’il soit encore réservé par
certains auteurs à la seule probabilité extrinsèque, comme c’est le cas chez Herbert of
Cherbury, dans son ouvrage latin de 1624 traduit en français en 1633, De la Vérité, en tant
23
On pourrait aller jusqu’à approfondir la définition du probable par la similitude en tentant de lui
appliquer certaines définitions de la similitude proposées par Leibniz dans d’autres contextes, mais l’opération
serait risquée, et nous conduirait de toute façon trop loin des NE.
24
A VI VI 372 ; GF 293.
25
A VI VI 206 ; GF 161 (Leibniz souligne).
26
[Recommandation pour instituer la science générale], avril-oct. 1686 ?, A VI iv A 707 (GP VII 167).
27
GP VII 521.
11
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
qu’elle est distincte de la Révélation, du Vraisemblable, du Possible et du Faux 28. On sait par
ailleurs que Pascal lui-même, bien qu’il évite le vocabulaire de la probabilité qui sent trop son
probabilisme de casuiste, n’emploie pas pour autant le vocabulaire de la vraisemblance dans
sa propre « géométrie du hasard ». Enfin, bien que Leibniz puisse lui aussi entendre le terme
de probabilité selon son acception théologique, il lui arrive très souvent de l’employer pour
désigner la probabilité intrinsèque ; il lui arrive aussi, quoique plus rarement, de faire de la
vraisemblance un usage traditionnel, pour dénoncer la trompeuse vraisemblance des orateurs.
Il fallait donc qu’il trouvât un intérêt lexical particulier au terme de vraisemblance pour en
faire si constamment le fondement réel de la probabilité, ce qui ne s’explique que par
l’importance qu’il accorde en fait à sa définition littérale : conformité ou similitude avec la
vérité, ce qui s’accord avec le français, le latin et l’allemand, mais aussi avec l’expression qui
se trouve une fois dans l’anglais de Locke au chap.
XV,
§ 3 (quoique tue par Philalèthe) :
« Probability is likeliness to be true ».
Cette définition est cohérente avec la caractérisation que donne Leibniz du fondement
du probable dans d’autres passages des NE : le probable ou le vraisemblable doit en effet se
« tirer de la nature des choses 29 », selon une autre formule du l. IV, chap. II, § 14. Cette
expression remarquable, « la nature des choses », se trouvait déjà dans le texte de 1686 (?)
cité à l’instant, où la vraisemblance est définie comme la probabilité « qui se tire de la nature
des choses à proportion de ce qu’on en connaît ». Enfin, quelques années après les NE, on la
retrouve encore dans le brouillon d’une lettre à Koch dont la copie est datée du 2 septembre
1708. Leibniz y oppose une fois encore la véritable doctrine de la probabilité à la définition
aristotélicienne des endoxa, car « la vraisemblance […] dépend non seulement des jugements
des autres, mais aussi des choses mêmes [rebus ipsis] ». Il l’oppose aussi aux casuistes, qui
« appliquent mal » la probabilité « aux questions de conscience, où il faut considérer la
vraisemblance des choses plus que l’opinion des hommes » 30. La réalité de la chose même
leste d’un poids nouveau le vraisemblable, appelé pour cette raison à de nouvelles fonctions.
3. Les choses mêmes
Encore faudrait-il éclaircir la nature de ces « choses mêmes ». On pourrait être tenté
d’interpréter ce fondement à la lumière de ce que Leibniz dit ailleurs du rapport de la
28
Edward Herbert (baron de Cherbury), De la Vérité, en tant qu’elle est distincte de la Révélation, du
Vraisemblable, du Possible et du Faux, 3e éd., 1639 (1re éd. en latin, Paris, 1624 ; 2e éd. en latin, Londres, 1633)
[Chap. XI], « Du Vray-semblable », p. 296-306 : « Toute sorte de tradition et d’histoire, et tout ce que l’on a
jamais dit, de quelque chose que ce soit, n’est que Vraisemblable [Vray-semblable] à notre égard, parce qu’il
dépend de la seule autorité de l’Auteur, ou de celui qui le raconte […]. » (p. 296).
29
A VI VI 372 ; GF 294.
30
GP VII 477.
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
12
probabilité avec la facilité (facilitas). Ailleurs, c’est-à-dire hors des NE, et surtout dans
certaines tables de définitions des années 1670 où Leibniz suit l’ordre de l’Essay towards a
Real Character and a Philosophical Language (London, 1668) de John Wilkins. Je cite l’un
des passages les plus clairs, publié dans A VI II : « Facile est valde possibile, seu cujus pauca
sunt requisita. Quod facile est in re, id probabile est in mente 31. » On retrouve encore cette
mesure de la facilité en proportion inverse du nombre des réquisits dans certains textes
publiés en A VI IV 32, et notamment dans un projet d’Encyclopédie de 1678-1679, où le plus
probable est assimilé au plus facile, défini de la même manière : « Facilius autem est cujus
minora aut pauciora sunt requisita 33. » On ne retrouve cependant pas cette caractérisation
logico-métaphysique du probable dans les NE, alors même que la « nature des choses » à
laquelle ils renvoient le probable est en attente d’interprétation. Leibniz ne l’a pourtant pas
oublié à l’époque des NE, et il pourrait aussi bien la formuler en français, puisqu’on la trouve
aussi dans une lettre en français à Bourguet du 22 mars 1714, où Leibniz explique même à
son correspondant que « facile » signifie « faisable », en remontant au latin. De plus, cette
lettre applique immédiatement cette caractérisation du probable au cas de la probabilité du
résulat d’un lancer de dé : « avec deux dés, il est aussi faisable de jeter douze points, que d’en
jeter onze, car l’un et l’autre ne se peut faire que d’une seule manière ; mais il est trois fois
plus faisable d’en jeter sept, parce que cela se peut faire en jetant 6 et 1, 5 et 2, et 4 et 3 ; et
une combinaison ici est aussi faisable que l’autre 34 ». Je laisse de côté l’habituelle erreur de
Leibniz qui lui fait omettre l’ordre, et donc oublier de compter plusieurs cas favorables. Mais
on trouve, avec le même genre d’erreur, un passage très proche dans les NE (IV xvi 5 ; A VI
VI
465-466 ; GF 368).
Pourtant, dans les NE, et sauf erreur de ma part, Leibniz n’emploie pas ce vocabulaire
de la facilité ou faisabilité, ni dans ce passage ni ailleurs. J’y vois deux raisons possibles.
D’une part, le style réputé populaire ou exotérique des NE 35, qui lui interdirait d’entrer dans
ce genre de technicités logico-métaphysiques. Mais, si Leibniz destine peut-être les NE à ceux
qui n’atteignent pas les profundiora, comme l’a suggéré ici M. Fichant 36, cette raison paraît
31
[Vorarbeiten zur Characteristica Universalis. Definitionentafel], 2e moitié 1671-printemps 1672 ?,
A VI II 492.
32
Par exemple : « Facile est cujus pauca sunt praerequisita sufficientia » [Definitiones notionum ex
Wilkinsio…], oct. 1677-mars 1686 ?, A VI IV A 27-29.
33
[Praecognita ad Encyclopaediam sive Scientiam universalem], hiver 1678-1679 ?, A VI IV A 133136 (GP VII 43-49).
34
GP III 569-570.
35
Au regard, du moins, de l’ensemble du corpus leibnizien, et ce malgré la caractérisation par Leibniz
de son propre « système » comme plus « acroamatique » que celui de Locke, dans la préface des NE.
36
En empruntant à Leibniz la caractérisation qu’il donne lui-même de ses Animadversiones sur
Descartes.
13
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
fragile dans le cas qui nous occupe : dans ce même paragraphe du chap.
XVI,
Leibniz
mentionne bien l’axiome aequalibus aequalia, « pour des suppositions égales il faut avoir des
considérations égales », et la comparaison des suppositions inégales n’est pas plus
« populaire » ou « exotérique » que la définition de la facilité par le nombre des réquisits. De
plus, et toujours dans ce même passage, Leibniz oppose explicitement sa propre interprétation
du probable aux « règles populaires » des Topiques d’Aristote. Il aurait donc pu assumer la
technicité de sa pensée jusqu’à définir la probabilité par la facilité. Je préfère donc invoquer
une autre raison, qui n’est pas suffisante, mais qui me paraît au moins également recevable :
dans le cas qui nous occupe, et peut-être au-delà, le caractère apparemment populaire des NE
vient peut-être de la perspective principalement épistémologique de ce texte, fidèle en cela à
l’Essay de Locke. Cela n’empêche pas Leibniz d’y introduire sa logique et sa métaphysique,
mais cela l’incite peut-être, dans un cas comme celui-ci, à privilégier les dimensions
épistémologiques de sa propre pensée. La doctrine du probable n’est pas plus populaire
qu’une autre, mais elle n’a pas besoin d’être reformulée dans le vocabulaire de la facilité pour
être épistémologiquement complète – du moins, autant qu’elle peut l’être chez Leibniz.
III. L’ambivalence du témoignage
On peut cependant en apprendre un peu plus sur ces « choses mêmes » dans les NE,
mais à condition de procéder indirectement, soit en s’arrêtant sur un cas plus ambivalent qu’il
n’y paraît : celui du témoignage. Dans les différents passages cités des NE, Leibniz répète
qu’il ne faut pas fonder le probable sur l’autorité ou l’opinion populaire (soit sur l’opinable ou
« endoxe », selon un terme que lui reproche un correcteur 37), comme Aristote et les casuistes,
mais sur la vraisemblance. Ce qui signifie deux choses.
1° ) La vraisemblance est plus que la probabilité extrinsèque : la référence aux
« choses mêmes » fait clairement signe vers la probabilité intrinsèque, qui correspond à ces
arguments artificiels « tirés des choses par le raisonnement ». Elle correspond bien au cas où
la « similitude du probable avec le vrai est prise […] de la chose même » (IV xv). Les
définitions aristotélico-casuistiques du probable ont le défaut de le priver de sa plus belle
partie.
2° ) Le probable leibnizien comprend aussi la probabilité extrinsèque. Mieux : la
probabilité extrinsèque, celle des arguments inartificiels, relève aussi de la vraisemblance.
Dans ce cas, la « similitude du probable avec le vrai est prise […] de quelque chose
étrangère ».
37
Cf. Notes de correction de Jean Barbeyrac, automne 1704 ? : « ce mot d’Endoxe ne saurait guère se
souffrir en Français » (A VI VI 551).
14
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
En un mot : la probabilité extrinsèque est bien une partie de la probabilitévraisemblance, mais c’en est seulement une partie propre qui ne doit pas être prise pour le
tout, car elle « n’achève pas la vérisimilitude ». L’autorité n’est « qu’une partie des raisons
qui font la vraisemblance » (II XXI 66), et, en IV
II
14 : « le probable ou le vraisemblable est
plus étendu [sous-entendu : que l’endoxe] […] ; et l’opinion des personnes dont l’autorité est
de poids est une des choses qui peuvent contribuer à rendre une opinion vraisemblable, mais
ce n’est pas ce qui achève toute la vérisimilitude », comme en atteste l’exemple de la
vraisemblance de l’opinion copernicienne. Le probable refondé est donc du même coup plus
étendu, mais n’exclut pas l’autorité.
1. La coutume de la vérité
Leibniz ne se contente pas de cet accueil fait à l’ancienne probabilité dans le cadre de
la nouvelle vraisemblance. Il tente d’articuler ensemble ces deux aspects de la probabilité, fort
de la nouvelle unité que confère au concept son unique fondement : la similitude avec la
vérité. Non pas au nom d’une sympathie arbitraire de Leibniz pour l’opinion, mais parce que,
dit notre texte du chap.
XV,
« le témoignage d’autrui est encore une chose que le vrai a
coutume d’avoir pour lui à l’égard des faits qui sont à portée ». Nous nous en tiendrons à trois
remarques sur cette formule elliptique.
D’une part, Leibniz parle ici du témoignage, et non de l’opinion d’une autorité. De
fait, dans la suite du chapitre, il approuve Locke de privilégier (au § 6) le témoignage au
détriment de l’opinion. Le témoignage étend mon expérience en me faisant bénéficier de
l’expérience d’autrui, alors que l’opinion me soumet aux incertitudes du jugement d’autrui.
Leibniz nuance néanmoins cette préférence de Locke, et n’exclut pas totalement pour sa part
l’opinion autorisée de la probabilité, et ce pour des raisons qui impliqueraient d’examiner
aussi les chap.
XVIII
et
XX.
D’autre part, cette vérité du témoignage, ou plutôt ce témoignage
de la vérité, est une « coutume » de la vérité : de même que le probabilisme humien sera
fondé sur une coutume de la nature (nature de l’esprit humain), le probabilisme leibnizien
s’appuie sur une « coutume » de la vérité. Là encore, c’est la nature de la vérité qui détermine
la fécondité du probable, et non la nature de l’esprit humain.
Enfin, la vérité du témoignage d’autrui concerne les choses qui « sont à portée » : pour
que l’expérience d’autrui viennent compléter ou confirmer la mienne, encore faut-il que cette
expérience soit possible, et suffisamment facile pour être assez fréquente et solide. Il faut
donc que les faits soient « à portée », disons à portée de nos sens : ni trop petits ni trop grands,
et pas trop lointains, ni dans l’espace ni dans le temps – d’où, a contrario, l’improbable
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
15
vraisemblance de l’opinion copernicienne. La crédibilité du témoignage ne dépend donc pas
principalement, comme chez Locke, des qualités morales des témoins (§ 4), mais plutôt de la
portée de notre connaissance empirique en général, et donc du point de vue de chacun en tant
qu’il détermine cette portée.
Car c’est bien là l’intérêt du témoignage : il me permet de me mettre à la place
d’autrui, non dans ce cas pour conjecturer stratégiquement ses intentions et ses actions
futures, mais pour bénéficier de son expérience en matière de connaissances factuelles,
laquelle vient compléter et confirmer celle que mon point de vue me procure.
2. Les arguments mêlés
C’est ce qui explique que les deux ingrédients de la probabilité puisse composer un
intéressant mélange, celui des arguments mêlés de la toute fin de notre passage : « le
témoignage peut fournir lui-même un fait qui sert à former un argument artificiel ». La
probabilité extrinsèque du témoignage, si elle est suffisamment élevée, est en quelque sorte
reversée au fait lui-même, jusqu’à produire ensuite une nouvelle probabilité intrinsèque.
N’oublions pas d’ailleurs que les arguments artificiels sont « tirés des choses par le
raisonnement » (je souligne) : il faut par exemple raisonner à partir de plusieurs faits connus
pour en inférer un fait inconnu ou imparfaitement connu, et un fait attesté avec suffisamment
de certitude peut servir à cet effet. La part du raisonnement est aussi celle de la logique
démonstrative, qui sert à établir la validité des conséquences de la logique du probable 38. Au
sein même de la rationalité mixte – mélange de raison et d’expérience – qui règle nos
inférences probables, les deux parties de la probabilité peuvent donc se mêler pour former une
vraisemblance mixte, probabilité à la fois extrinsèque et intrinsèque.
3. Le témoignage de la chose même
Reste une ultime difficulté : les arguments inartificiels se fondent « dans le
témoignage exprès ou de l’homme ou peut-être encore de la chose même ». Comment la
chose même pourrait-elle témoigner, et comment le témoignage de la chose pourrait-il différer
d’un argument artificiel tiré des choses mêmes ? Le contexte judiciaire de la distinction
d’Aristote explique que les preuves extra-techniques, qui ne sont pas dues aux seules
ressources de l’art oratoire, ne soient pas pour autant restreintes aux témoignages : une preuve
matérielle, le corpus delicti ou une preuve littérale, sont extra-techniques ou inartificiels, et
pourtant « de la chose même ». Mais le « peut-être » de Leibniz vient compliquer cette
38
Cf. IV XVII 5 (A VI VI 484 ; GF 383) : la probabilité des conséquences propres à la logique des
probables doit être démontrée par les conséquences de la logique des nécessaires.
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
16
explication. Il me semble que cette dernière éventualité contribue, ensemble avec le cas des
arguments mêlés, à brouiller la distinction dans certains cas particuliers.
Au risque d’être un peu rapide, disons que si les choses peuvent témoigner, c’est aussi
parce que les témoins eux-mêmes peuvent être considérés comme des choses. La distinction
de l’intrinsèque et de l’extrinsèque est ici surdéterminée par celle des personnes et des choses,
et compliquée par l’inversion des rôles que Leibniz suggère parfois entre ces deux classes
d’éléments. Dans la lettre de Leibniz à Koch déjà citée, on lit en effet : « les jugements des
autres et les témoignages appartiennent d’une certaine manière à la vraisemblance des choses
[mais ils en font seulement une partie, dans la mesure où les personnes sont comptées parmi
les choses. Il y a en effet quelque chose de la vraisemblance en cela, à supposer que nous
croyions que les autres sentent correctement 39] ». Il y a donc des cas où les personnes
peuvent être comptées parmi les choses, et le témoignage des personnes être tenu pour le
témoignage des choses mêmes, la probabilité extrinsèque se transformant en probabilité
intrinsèque. Il faut pour cela croire dans la perception d’autrui, soit faire preuve de fides 40.
On rencontre cette fides à deux reprises au moins dans les NE. D’une part dans le cas
des preuves de la religion chrétienne : il est de probabilité extrinsèque qu’un miracle ait
effectivement eu lieu ou non, conformément au témoignage d’autrui, mais il est de probabilité
intrinsèque que ce miracle établisse ou non le caractère sacré des Écritures, et il est enfin de
foi que ces Écritures établissent les mystères. Or cet itinéraire de l’assentiment est
indispensable aux preuves de la religion révélée. Il transforme du même coup le témoignage
des personnes, le testamentum des Écritures, en parole révélée, soit en témoignage de Dieu,
qui vaut au moins autant que l’enseignement des choses mêmes. D’autre part, et de manière
analogue, la preuve de l’extériorité suppose de considérer le témoignage d’autrui au même
titre qu’une chose (sans même compter qu’il s’agit du témoignage d’une chose dont il s’agit
aussi de prouver l’existence). Et Leibniz dit la chose avec une élégance qui justifie qu’on la
cite, au livre IV, chap. II, § 14 : « le vrai criterion en matière des objets des sens est la liaison
des phénomènes, c’est-à-dire la connexion de ce qui se passe en différents lieux et temps, et
dans l’expérience de différents hommes, qui sont eux-mêmes les uns aux autres des
phénomènes très importants sur cet article 41. » Par le témoignage de son expérience, autrui
ne me donne pas seulement un argument de probabilité extrinsèque en faveur de la réalité
39
GP VII 477 (je souligne) ; le texte entre crochets figure dans le brouillon, mais pas dans la copie.
Au sens le plus général, qu’elle a selon la définition suivante : « Fides est sententia de veritate
verborum alterius » [Vorarbeiten zur Characteristica Universalis. Definitionentafel], 2e moitié 1671-printemps
1672 ?, A VI II 493.
41
A VI VI 374 ; GF 295 (je souligne).
40
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
17
d’un phénomène qui se trouverait en position de tiers, comme « chose » subordonnée au
commerce de deux personnes. Par ce même témoignage en même temps que par son existence
et son comportement, autrui est un phénomène. Il n’y a pas à s’inquiéter que sa personne,
comptée parmi les choses, soit à cette occasion méconnue parce que réifiée ; Leibniz tend
plutôt ici à élever le témoignage d’autrui au niveau de la manifestation de la chose même – en
un mot, il pourrait y avoir dans cette phrase matière à une curieuse phénoménologie
leibnizienne de l’altérité.
Conclusion. Une métaphore lumineuse
Leibniz a pour partie modifié la terminologie de la probabilité, pour lui donner un
nouveau fondement réel, la similitude avec la vérité, qui exige de tirer le probable des choses
mêmes. Ce fondement réel augmente l’extension de la probabilité au-delà de l’autorité ; il en
unifie aussi la compréhension. Cette unité est enfin exploitée au profit d’une complication de
la distinction, qui permet à l’assentiment, dans certains cas particuliers, de parcourir les
différents stades qui mènent de la probabilité extrinsèque à une certitude morale, voire à la
foi. Cette réforme conceptuelle ouvre une nouvelle carrière au probable dans la philosophie de
Leibniz, et dans les NE en particulier. J’ai choisi de la désigner comme naturalisation, en
référence à la « nature des choses » qui en fait le fondement, et par opposition à ce qu’a
d’« artificiel » la probabilité purement extrinsèque 42 ; mais on pourrait aussi parler de
réalisation du probable, devenu « réel » à la faveur de son nouveau rapport aux res, qui
accompagne un mouvement plus général d’intériorisation des « circonstances » au fait même
(et aux substances qu’il met en jeu) dans la pensée de Leibniz. Il est de toute façon
remarquable que ce soit dans ce texte que cette réforme ait trouvé à se formuler le plus
complètement.
Je reviens donc pour finir à la question de la raison du lieu, pour lui donner une
réponse oblique et métaphorique. Locke voit dans ce qu’il appelle un « crépuscule de
probabilité » (IV
XIV
2) le moyen de suppléer les insuffisances de la connaissance humaine,
dont il marque rigoureusement les limites, sans pour autant tomber dans le fanatisme des
enthousiastes qui, pour citer le Philalèthe du chap. XIX du livre IV, « voient la lumière divine
comme nous voyons celle du soleil en plein midi, sans avoir besoin que le crépuscule de la
raison la leur montre 43 ».
42
Mais il ne faut pas ici se laisser égarer par la terminologie aristotélicienne, qui met paradoxalement
cette probabilité « naturelle » du côté des preuves « artificielles ».
43
§ 8 ; A VI VI 504 ; GF 398.
Colloque NE – Montréal, 30 sept.-2 oct. 2004
18
On sait que Leibniz, de son côté, dans un Songe philosophique édité par Bodemann, se
rêve en Platon chrétien, recherchant dans une grotte obscure le meilleur point de vue pour
bénéficier des rayons de la lumière naturelle, afin de se rendre le « plus capable d’agir dans
cette obscurité ». Dans ce songe, Leibniz est tiré de la grotte par un messager céleste qui le
hisse au sommet d’une montagne 44. Dans le réel de sa veille philosophique, Leibniz n’est
peut-être pas vraiment sorti de la caverne. Mais il a appris à se méfier lui aussi des
enthousiastes et des visionnaires, dont il rapproche parfois les partisans de l’évidence. Il se
serait alors tracé la voie d’un philosophe qui avait besoin de la vraisemblance pour continuer
de suivre la raison là même ou sa lumière naturelle n’est pas celle d’un « plein midi ». C’est la
voie d’un rationaliste, moins désireux que Locke de limiter sévèrement la connaissance
humaine – mais d’un rationaliste « raisonnable », qui se sert du probable pour étendre
l’empire de la raison dans les régions où l’on prétend justement le borner. (On pourrait
trouver là un nouvel argument pour ne pas faire de Leibniz un « anti-Hume », comme l’a
suggéré par ailleurs Mark Kulstad dans sa communication.)
Il pouvait donc en 1712 tirer de sa lecture de Shaftesbury la note suivante, publiée en
supplément d’une lettre à Coste, et qui éclaire d’un demi-jour suggestif la rencontre de Locke
et de Leibniz sur la question du probable :
On a raison p. 211 de comparer avec des gens qu’on appelle moonblinds, qui ne voient
qu’au clair de la Lune, ceux qui cherchent des démonstrations partout, et ne sauraient rien voir
au jour ordinaire : car il y a quantité de vraisemblances qu’on est obligé de suivre dans la vie ;
cependant le plus sûr est de satisfaire encore ces gens-là, s’il est possible 45.
44
Cf. Die Leibniz-Handschriften der Königlichen öffentlichen Bibliothek zu Hannover, Beschrieben von
Eduard Bodemann, Hannover und Leipzig, Hahn’sche Buchhandlung, 1895, p. 108-111.
45
« Remarques sur les trois volumes intitulés : Characteristicks of Men, Manners, Opinions, Times, in
three volumes », supplément à la lettre de Leibniz à Coste du 30 mai 1712 ; GP III 431.
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