La notion d`identité dans le monothéisme Ali Magoudi

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Qu’est-ce que l’identité ? J’aimerais vous faire part des réflexions
auxquelles cette notion me renvoie à partir d’éléments
autobiographiques, de fragments de ma cure analytique et de quelques
lectures. Au décours de ma cure, comme tous les analysants, je me suis
intéressé à la question des origines. Pour ce faire, je suis parti à la
découverte du pays de mon père, que je n’avais jamais visité. C’était en
1981. J’avais trente-trois ans. La question de mes origines ne pouvait
pas ne pas se poser à moi, puisque né à Paris de père algérien, musulman,
et de mère polonaise, catholique, mon identité n’avait rien d’évident.
De surcroît, elle me posait problème. Pour ne pas dire un sacré problème.
Qui lorsque je mis cette question au travail dans ma cure devint comme
par hasard un problème quasi sacré.
La notion d’identité dans le monothéisme
Ali Magoudi
Paris
psychiatre, psychanalyste
L’identité est singulière. J’en constitue une preuve vivante. Bien que né
dans la capitale de la France, ma langue première fut le polonais, langue
maternelle de ma mère qui de sa longue existence ne me parla dans aucun
autre idiome. Polonais qui était une des langues parlées par mon Algérien
de père. Ainsi, dans les années 50, il existait un foyer domestique qui
parlait la langue de Chopin au cœur de la capitale de l’ancienne Gaule en
ignorant royalement la langue vernaculaire parlée par l’environnement
dans lequel cette famille vivait et se déplaçait. L’école de la République
Française, incarnation vivante d’un ordre collectif porteur d’une identité
certaine vint remettre de l’ordre dans cet équilibre premier. J’appris la
langue de Voltaire et de bien d’autres à l’école maternelle. Langue du
collectif national, mais aussi langue de la colonisation, à ce titre parlée
par mon Algérien de père. Français, langue totalement ignorée par ma
Polonaise de mère.
Et l’arabe me direz-vous ? Mon prénom, Ali, vous le savez sans doute, est le
nom d’un Arabe – cousin de Mohammed – qui épousa du même pas une
des filles du prophète et le monothéisme nouvellement créé : l’islam, dont
le texte écrit en arabe doit, pour rester sacré, être lu dans cette langue et non
dans une quelconque traduction. Et l’arabe me disiez-vous ? L’arabe était
la langue manquante. Mon père n’a jamais parlé sa langue maternelle à ses
enfants. Ni à moi, ni à mon frère, cadet de la fratrie, ni à ma sœur, l’aînée.
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Pour complexifier la situation, ma mère, n’entendant pas les préceptes
de l’islam, décida ne pas nous appeler par nos prénoms. Elle nous
appela par un prénom catholique et polonais. Ali, ressemblant (?) à
Alexander, elle m’appela par le diminutif de ce dernier, à savoir Alec.
Dans les moments d’effusions affectives, ce fut Aluchek. Mon père qui
interpréta ce doublage comme une traduction banale qui ne portait pas
à conséquence, fit de même, il m’appela Alec, Aluchek. Dire que j’étais
identifié par ce prénom Alec (à ce prénom ?) n’est pas peu dire. Jusqu’à
l’âge de dix-huit ans, quand quelqu’un m’appelait Ali, je ne tournais pas
la tête. Ali était un autre.
Quand j’ai débuté ma psychanalyse, l’École freudienne de Paris existait
encore. Parmi les A.E. (Analyste de l’École), je choisis un des rares
psychanalystes dont je ne connaissais pas l’identité, j’ignorais tout de ses
travaux puisque je n’avais jamais entendu son nom. Un inconnu, c’est ce
qu’il me fallait. Voici, comment je pris attache avec Pierre Legendre.
Ces questions d’identité occupèrent bien sûr l’espace analytique. En
guise de passage à l’acte, je tentais de combler le manque. Je me mis à
apprendre la langue arabe à l’école des Langues O avec une intensité et à
un rythme digne de Stakhanov.
Un jour, au printemps de l’année 1981, muni d’un viatique linguistique
respectable, je débarquai à Alger. Je me mis à parler cette langue
manquante. L’arabe. Tous les Algériens à qui je m’adressai me répondirent
en français. Une fois arrivé à Tiaret, ville d’origine de mon père, je ne fus
pas mieux loti. Mes cousins m’adressèrent la parole en français. Seule une
tante essaya de m’inculquer quelques éléments de berbère. À mon retour
à Paris, j’ai conté mes mésaventures à mon psychanalyste. Dans mon
retour aux sources, je n’avais résolu aucune de mes questions identitaires.
Je me souviens encore de son interprétation qui clôtura provisoirement
mes questionnements originaires : « On est ce que l’on parle. » « On
est ce que l’on parle. » Voici une définition de l’identité sur laquelle je
propose de m’arrêter quelques instants.
Je me souviens.
Une fois ma circoncision exécutée par un homme de l’art – j’allais sur
mes six ans – mon père décida de passer aux choses sérieuses. Il était
temps que son fils apprenne l’arabe. Il m’envoya donc à la mosquée de
Paris qui dispensait des cours. Des cours de quoi ? Des cours d’arabe à
partir du livre où la langue est sacrée. Le Coran. Lire et écrire le texte qui
m’était présenté nécessitait une alphabétisation minimum. J’appris donc
le b-a-ba, c’est-à-dire, le Alef, Ba’, Ya. Dieu merci, les journées du jeudi où
cet enseignement m’était dispensé comprenaient des pauses… consacrées
à la prière. J’appris alors dans quelle direction se trouvait La Mecque.
La notion d’ identité dans le monothéisme
Considérant sans doute qu’il devenait impossible pour moi d’assurer les
contradictions qui se faisaient jour dans la formation de mon identité,
je fis rapidement la mosquée buissonnière. Ce qui était sans doute une
façon muette et anticipée d’énoncer une partie de ce que je veux dire
aujourd’hui. L’identité suppose une appartenance à un groupe qui
répond pour vous à la question des origines avec une certaine logique.
En d’autres termes, le prêt à penser qui vous est confié par le groupe
d’appartenance contient un inestimable trésor : la vérité. Nous verrons
comment en ce domaine, il n’existe pas de métissage qui vaille. Mais
n’allons pas trop vite.
L’identité correspond à un sentiment d’appartenance. Je parle français. Je
suis Français. J’appartiens à un collectif de Français. Mais ici nul besoin
de recourir à la pratique ni à la théorie analytique pour s’entendre. Un
sociologue mâtiné de culture anthropologique aboutirait de manière
identique à des conclusions aussi approximatives.
À quel moment la question de l’identité devient-elle une question qui
relève pleinement de la psychanalyse ? À quel moment cette identité ne
se réduit-elle pas à la question de la seule langue parlée ? J’y viens.
Mon père et ma mère avaient des discords profonds. Quand mon
géniteur se disputait avec ma mère, il me prenait à témoin en me parlant
en français : « Ali, me disait-il – lui qui, par ailleurs, ne me désignait que
par mon prénom polonais Alec – Ali regarde la religion de ta mère. C’est
impossible ! Comment Dieu peut-il avoir un fils ? Si Dieu est Dieu… »
Sur ce terrain dogmatique, confortée par la majorité catholique de son
pays d’accueil, ma mère ne répondait pas, sûre qu’elle était de la vérité
véhiculée par la religion de ses pairs. Dieu avait bien un fils, nommé
Jésus-Christ. Chacun avait remarqué que l’âge auquel je m’étais résolu à
aller en Algérie correspondait comme par hasard à l’âge où ledit Christ
avait vécu Passion et Résurrection ! Bref, j’étais parti interroger mes
origines à un âge où la mort et la résurrection d’un Autre font origine
pour le catholicisme. « Dieu le verbe, fils unique de Dieu, né de la
Vierge quant à son humanité est dans deux natures qui demeurent sans
confusion, sans changement, sans division, sans séparation ». L’unité
dans la dualité du père et du fils a été arrêtée au concile de Calcédoine,
en 451 de notre ère. Cet équilibre instable implique que le Christ n’est
pas seulement le sauveur du monde mais aussi son créateur. S’il procède
du père, il est fils de Dieu et Dieu lui-même, et assume en lui tout le
rapport de Dieu et du monde. Il le crée, le régit providentiellement, le
rachète et il statuera au jour du Jugement dernier.
Ici une première question s’impose. De quelle manière l’origine
christique du monde se différencie-t-elle, dans ses textes sacrés, des
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Colloque de Fès – 2006
productions mythologiques de l’Antiquité ? Ces dernières établissaient
un distinguo radical entre un monde divin, incestueux, parricidaire, voué
à l’éternité qui fonde une place où s’exerce le pouvoir de lier et de délier
les liens de la généalogie ; et un monde humain, déjà fondé, où lorsque les
hommes s’emparent des attributs du monde divin, à savoir l’endogamie,
le parricide, l’immortalité, ils sont qualifiés de criminels, sinon de fous.
À cet égard, nous avons suffisamment en mémoire le texte de la Théogonie
pour qu’il soit nécessaire de le rappeler. J’en exhume néanmoins un
fragment comme indice d’ambiance. Cronos, né de l’accouplement de Ciel
et de Terre, fauche les bourses de son père d’un coup de serpe, à la demande
de sa mère. Une fois cet acte réalisé, il épouse sa sœur Réa et dévore les fils
issus de cette union. Un de ses rejetons échappe à cette malédiction, un
dénommé Zeus qui finit par précipiter son père dans le Tartare.
Autre civilisation, mœurs similaires. Voyons ce qui se disait en des temps
originaires en terre et civilisation mésopotamienne.
« Or Terre se tourna vers Amakandu, son fils
Et lui dit : « Viens que je te fasse l’amour ! »
Amakandu prit donc sa mère pour épouse,
Et il tua Harab, son père,
L’ensevelit à Dunnu, sa ville préférée,
Et il s’empara de son pouvoir seigneurial
Puis, il prit aussi Mer, sa sœur aînée pour épouse.
Survint alors Lahar, fils d’Amakandu,
Lequel tua Amakandu et, à Dunnu,
L’enselevit dans le tombeau (?) de son père.
Il prit alors Mer, sa mère, pour épouse,
Laquelle Mer avait égorgé (?) Terre sa mère
Le seize du mois de Kislim
16
(Lahar) s’arrogea le pouvoir-seigneural-et-royal . »
Ces mythologies déterminent un monde où la contingence des interdits
humains est exclue. En contrepartie, elle fournissait un système
étiologique du monde qui suturait le trou noir de l’origine. Comment
expliquer qu’il n’existe aucune trace de dérèglement passionnel dans
la passion du Christ ? Dans cette histoire, Jésus se présente comme le
second et dernier Adam, prêchant la réciprocité entre l’amour que Dieu
offre à ses créatures et le « Aime ton prochain comme toi-même ».
Jésus est par excellence le témoin fidèle aux hommes parce qu’il leur a
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16 Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, « La Théogonie de Dunnu », in Lorsque les dieux
faisaient l’homme, mythologie mésopotamienne, NRF, Gallimard, Paris, 1989.
La notion d’ identité dans le monothéisme
révélé tout ce que le Père lui avait commandé de leur enseigner. Les
Évangiles sont là pour en témoigner grâce aux paroles des apôtres, qui
deviennent source de connaissance et principe de transmission d’un idéal
de pur amour, une version située aux antipodes des textes fondateurs de
l’antiquité. Comment comprendre que cette invention du pur amour
refonde l’origine de l’homme et que cette nouvelle origine ne comporte
aucun acte contre nature. Pourquoi la débauche, le crime, le parricide,
n’ont-ils aucun droit de cité, pourquoi l’abstinence, la chasteté, la pureté
règnent-elles en maître ?
L’Évangile semble avoir fondé une origine religieuse nouvelle sans
traiter les questions de l’endogamie, de l’inceste, et des désirs prohibés.
Aurait-il laissé à quelques lois implicites, ou refoulées, le soin de régler les
procédures de l’alliance ? Il n’en est rien. C’est dans le même temps, le
même discours, la même construction que se nouent les prohibitions et
les désirs originaires, dans un entrecroisement sophistiqué entre discours
explicite et révélation implicite, que nous allons maintenant détailler.
Un cœur innocent, qui prendrait le mystère christique au premier degré,
donnerait une interprétation quelque peu surprenante sur les différentes
places occupées simultanément par le Christ. Il soulignerait que cette
situation, où le Sauveur est tout à la fois à la fois fils, Seigneur et père,
correspond à un inceste de premier degré, fils mère, puisque le fils est
l’époux de la mère, d’une part, et à un auto-engendrement, puisque le
Christ est son propre père, d’autre part. Cette même innocence verrait
dans la situation de Marie, à la fois enfant, mère et épousée du Très Haut,
une situation incestueuse de degré un, avec une inversion générationnelle.
Bref, dans sa fondation, le christianisme crée des personnages reliés entre
eux par des liens familiaux des plus étroits et institue des allers-retours
généalogiques étonnants. C’est par le pouvoir magique des nominations,
père, fils, mère, Dieu, qu’un point originaire incestueux s’élabore.
Notons que si on se trouve en présence d’une mise en scène permanente
de l’inceste originaire, son effacement systématique est aussi constant.
Les places généalogiques du Christ et de Marie données par le Très Haut
l’ont été par un tour de passe-passe : les rôles incestueux se jouent hors
commerce sexuel. Dans la monumentale pièce de théâtre chrétien, c’est
le Verbe qui crée la distribution, le verbe qui ordonne les liens de parenté
incestueux, et c’est toujours le même verbe qui épargne aux incarnations
humaines les conséquences charnelles du scénario originel. Une partie du
génie du christianisme est là.
Cette construction permet, du même pas, la création d’une « Image de
la mère absolue… impliquée dans l’interdit de l’inceste ». Comme le dit
Pierre Legendre, la construction d’une « mère absolue », « d’un objet
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Colloque de Fès – 2006
inatteignable » permet de mettre en scène « la femme hors commerce »,
où « l’interrogation incestueuse est posée sur le mode emblématique »,
17
où « la mère interdite est projetée jusqu’au lieu même du divin ».
Aujourd’hui cette évidence est irrecevable dans toute communauté
chrétienne, tant la mythologie christique constitue un élément de la
vérité qui permet de barrer les pulsions individuelles. Tout comme est
irrecevable l’évidence du traitement de cette question dans la Genèse.
Examinons de près les liens particuliers qui unissent le premier couple
humain et leurs enfants, Caïn, Abel et un rejeton tardif, moins célèbre
répondant au doux nom de Seth. D’Adam et Ève, « mère de tout
humain » naquirent les premiers descendants humains. Selon le texte
même de l’ancien testament, la seule femme matériellement accessible
pour Caïn était sa mère Ève. Notons au passage qu’il n’est pas question
ici d’Abel, celui-ci ayant été éliminé chacun le sait par son frère Caïn.
Comme leur querelle s’est vidée à l’âge où, en principe, éclatent les
premiers impératifs de la fonction de la reproduction, il est fort probable
que le motif de cet inaugural fratricide ne soit pas celui décrit dans le récit
biblique. Ou du moins qu’il ne se résume pas à la rivalité entre berger et
cultivateur, à la préférence de Iahvé pour l’« oblation du petit bétail »
offerte par Abel au détriment « des fruits du sol » apportés par Caïn.
En d’autres termes, le fait de disposer d’une seule famille à l’origine n’est
guère favorable à l’éclosion de l’exogamie.
Une fois posée cette descendance incestueuse, dans cette construction
mythique du monde, « On » se débrouille pour fabriquer de l’interdit,
pour instaurer une intangible division, un principe d’exogamie. Bref,
« On » tente de faire oublier la réalité symbolique qui ferait, de nous
tous, les descendants lointains d’un groupe domestique incestueux.
C’est à partir du chapitre VI de la Genèse que l’« On » sort de cette
mauvaise scène primitive. Élohim, cinéaste avant l’heure, semblant
proférer : « Mauvais. Coupez. On recommence. »
« Iahvé vit que la malice de l’homme sur Terre était grande… Iahvé dit :
je supprimerai de la surface du sol les hommes que j’ai créés… car je me
repens de les avoir faits. » La construction du monde se rejoue alors
sur un mode jusque-là inexpérimenté, Dieu noyant la première version
indivise qu’il avait ébauchée. Ce remaniement originel se fonde sur
la décision divine de sauver du Déluge les différentes entités animées,
par lui créées, ainsi que par l’entrée en lice des trois fils issus de Noé.
Pour le monde zoologique, le second contrat est simple. La machinerie
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17 Genèse, VII, 15, op.cit.
La notion d’ identité dans le monothéisme
reproductrice redémarre comme en l’an zéro plus cinq jours à partir d’un
couple unique. « Ceux qui entraient c’était un mâle et une femelle de
toute chair qui arrivaient selon ce qu’Élohim avait ordonné. » Mais,
pour les représentants de l’espèce humaine, le Maître du jeu introduit, en
catimini, une petite nouveauté. Celle qui fera, dorénavant, la différence
entre l’être parlant et les créatures édifiées sans langage articulé par le
Verbe divin. Dans le récit, la distinction est microscopique, le glissement
à peine visible. Mais, du point de vue de la civilisation, l’originalité
introduite par Élohim est considérable.
« Ce jour-là même, Noé entra dans l’arche, ainsi que Sem, Cham, et
Japhet, fils de Noé, la femme de Noé, et les trois femmes de ses fils avec
eux trois… » Avec la seconde chance offerte à l’humanité, les protégés
du Très-Haut embarquent sur l’arche avec leurs légitimes épouses et non
pas, seulement, avec père et mère. Ils offrent alors un modèle compatible
avec le standard humain. Sans le savoir, ils viennent d’inventer, pour les
besoins de la cause monothéiste, la nécessaire imposture d’un principe
originel exogamique. En effet, les résultats bénéfiques et post-diluviens
de cette arche salutaire ne se font pas attendre. « D’eux ont essaimé les
îles des nations dans leur pays, chacun d’après sa langue, suivant leurs
18
familles, dans leurs nations . » Chacun des enfants, nous est-il raconté,
Gomer, Magog, Maday, Javan, Ashkénaz, Riphath, Togarham, Élishah,
Tarsi, etc., parlera sa propre langue, sera à l’origine d’une tribu, d’un
peuple qui portera son nom.
Mais que signifie donc ce montage symbolique ? Pourquoi, l’escamotage
de l’origine endogamique du monde à peine réalisé, voit-on apparaître
une série de nouvelles énigmes : nations, langues étrangères, clans prenant
pour nom celui de leur ancêtre éponyme ? C’est qu’ici comme ailleurs le
pouvoir politique, dans sa fonction mythique, opère comme pouvoir de
fonder et de diviser. Qu’en est-il pour l’Islam ? Question originaire le
Coran n’innove pas et se contente de reprendre la version déjà donnée
dans la Genèse. Adam est avec Ève le même couple originaire que celui
19
de l’Ancien Testament . Le Coran rappelle le meurtre d’Abel par Caïn
20
même s’il ne les nomme pas ainsi puisqu’il les désigne comme les deux
fils d’Adam. De même, la sourate 11 40 rappelle l’épisode de Noé.
Revenons un cours instant sur le choix de mon analyste qui reste quoi
qu’on dise une élection amoureuse. L’analyste de mon cœur, je l’avais élu
18 Genèse, X, 5, op. cit.
19 Le coran, 2-31, op. cit.
20 Le coran, 5 27-32, op. cit.
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parce qu’il se nommait Legendre. Son patronyme constituait un rappel :
la généalogie a besoin de panneaux signalétiques. Cessons de tourner
autour du pot analytique. Ali, c’est le gendre du prophète, Muhammad.
Oui, dans son lien éponyme à l’origine, mon prénom était corrélé, de
manière homophonique, avec le patronyme de mon analyste !
Mon père m’avait bien raconté de son vivant qu’Ali était le gendre du
prophète. Mais il ne m’avait pas précisé que les prénoms musulmans
étaient pris dans une saga originaire qui se déploie à partir de la
prédication de Muhammad. Surtout, il ne m’avait pas précisé que le
destin de cette prophétie était intimement lié aux guerres de succession
que provoqua la disparition du prophète.
De quelle histoire s’agissait-il ? Elle se déroule en Arabie alors que les
autochtones s’adonnent majoritairement au culte des idoles. Çà et là, de
petites communautés de juifs et de chrétiens vivent parmi les païens. À
La Mecque demeure un jeune arabe, Muhammad de son nom, qui attend
un destin prodigieux, celui de prophète. Relater les épisodes héroïques de
sa rencontre avec le Verbe divin est inutile. Nul ne l’ignore, Muhammad
inventera un troisième monothéisme à propagation planétaire, l’islam.
Focalisons notre intérêt sur l’environnement familial du prophète,
puisqu’il s’agit d’éclairer les questions originaires en jeu dans l’islam.
Muhammad, orphelin de père, est d’abord adopté par son grand-père.
Au décès de ce dernier, le relais est pris par son oncle. Ali, mon ancêtre
éponyme, fils de cet oncle, entre dans le jeu originaire. Lors de l’adoption
de Muhammad par son oncle, par la magie des dénominations, à la qualité
de cousin, s’ajoute, pour Ali, le qualificatif de demi-frère adoptif. Par la
magie des alliances, quand Ali épousera Fatima, la fille du prophète, il
deviendra de surcroît le gendre.
Qui, après le décès de Muhammad, le 8 juin 632, allait prendre sa
succession ? Ali est sur les rangs, mais deux beaux-pères du prophète vont
devenir successivement califes à la place du calife Ali. Abu Bakr, et Umar.
Rapidement, nous sommes en 634, le premier meurt. De vieillesse.
L’histoire retient deux initiatives à l’actif du second, Umar : l’extension
de l’Islam à la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine, l’Égypte, ainsi que la
fixation de l’ère de l’Hégire au 16 juillet 622, date commémorative de la
fuite du Prophète de la Mecque où le guettait une mort certaine.
En 644, Ali postule pour prendre la tête d’un empire doté d’une Religion
révélée et d’un Calendrier. Hélas, Uthman, notable Mecquois, s’empare
du pouvoir. En fixant le texte officiel du Coran, il s’attire l’hostilité de
puristes qui l’assassineront, en 645.
Ali devient enfin calife. Le quatrième. Pour peu de temps. Très loin de
là, le gouverneur de Damas, Mu’awiya, est en embuscade pour s’emparer
La notion d’ identité dans le monothéisme
du pouvoir spirituel et seigneurial. Avec l’aide de dissidents mecquois,
il réussit l’exploit de destituer Ali, de prendre sa place et de créer la
dynastie des Omeyyades. Ali est assassiné. Apparition d’un schisme
nommé shiisme. Les trois premiers califes deviennent illégitimes aux
yeux des partisans d’Ali qui accordent à ce dernier un pouvoir semi-divin.
Des deux fils d’Ali, Hussan et Hussein, c’est ce dernier qui s’opposera
militairement aux Omeyyades. Assassiné à Karbala, son martyre y est
célébré tous les ans par des foules de flagellants. Que conclure de ces
guerres inaugurales ? Dans cette origine originaire comme ailleurs,
pouvoir souverain, endogamie et meurtre sont intimement noués.
Il m’a été loisible de dépasser l’aporie contenue dans l’opposition entre
les formulations : « Dieu n’a pas de fils » versus le « Christ est le fils de
Dieu. ». Comment ? Grâce au lieu politique où j’ai été élevé, la France
laïque et républicaine.
L’identité est structurée par un système de croyance qui dit la vérité quant
à la manière dont le collectif vient barrer la jouissance des individus dans
un groupe déterminé. Chaque monothéisme distille sa vérité, c’est-à-dire
une version des origines du monde qui traite de l’effacement de la question
incestueuse, en d’autres termes de sa prohibition. Ce qui ne serait pas grave
si cette logique ne mettait pas l’étranger à une place des plus dangereuses.
En effet, dans la mesure où il est assujetti à un autre système de croyance,
l’étranger serait celui qui aurait accès à une jouissance secrète. Celle qui est
justement prohibée par la loi. Et à ce titre, il serait autorisé à meurtre.
De ce point de vue, existe-t-il un système plus pacifiant que la laïcité ? Ce
système qui fait tiers entre les différentes versions de la vérité ? Ce dogme
qui énonce que le Politique n’a rien à dire de Vrai sur la question des
origines ? Telle est la question conclusive que je livre à votre réflexion.
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