De toute évidence, le moyen de communication est le terme clé de cette école : il
en est à la fois l’objet d’étude et le concept fondamental : ce qui est étudié, mais aussi
le paramètre selon lequel s’effectue la recherche. Ce concept nous permet de
distinguer les caractéristiques internes et externes de ce courant. Par rapport au
premier aspect, les principales contributions de ces deux auteurs au domaine de la
communication concernent directement l’attention portée aux media. Ils envisagent
l’histoire et la culture comme une sorte de laboratoire des media, interprétant sociétés,
empires et civilisations comme des flux de communication. L’élaboration d’une
perspective d’analyse de la réalité à partir des media—le radicalisme d’une telle
proposition et l’engagement pour la développer—est un des rares points d’accord
entre leurs partisans et leurs critiques les plus sévères.
Le concept de medium se montre également décisif pour la caractérisation
externe de cette école, car il marque clairement sa différence spécifique par rapport à
d’autres courants de pensée dans le domaine de la communication. Que l’on considère
le cadre des courants théoriques développés à l’époque d’Innis et de McLuhan :
théorie hypodermique, diffusionnisme, théorie critique des industries culturelles,
théorie de l’information, cybernétique, structuralisme linguistique, anthropologie
structurale, sémiotique, études culturelles (Tremblay, 2003, pp. 20-21). Aucun parmi
ceux-ci ne se focalise sur les moyens de communication, qui apparaissent rarement
comme principe explicatif : dans la plupart de ces approches, le moyen est confondu
avec le contenu (ou message), ou apparaît comme l’élément à expliquer par des
instances non-communicationnelles. Le plus souvent le terme medium n’est même
pas précisément un concept, mais désigne plutôt un objet empirique ou n’est qu’une
« métaphore », le symptôme d’une autre instance (par exemple les processus
psychologiques ou l’idéologie capitaliste). Les moyens de communication sont
considérés comme véhicules et intermédiaires de l’intention individuelle ou de forces
politico-économiques, comme de puissants instruments de persuasion dont la
signification réside dans l’objectif des forces qui les dominent : l’État, les
administrateurs des médias, la culture, l’élite, la contre-culture, etc. Les processus de
communication sont assimilés ou réduits à d’autres instances telles que la culture ou
le comportement, ou encore ils sont mal interprétés comme signal (impulsion
électrique) ou comme signe, et non pas comme message ni processus intentionnel.4
Le concept de moyen de communication
Compte tenu de son importance, la définition du moyen de communication aurait dû
être véritablement élaborée; or il n’en est rien. Alors qu’Innis n’a jamais pris la peine
de définir ce qu’est un moyen de communication, McLuhan présente cette notion de
plusieurs manières. Selon C. H. Cornford, ce que McLuhan comprend par moyen de
communication reste très vague : « Sa terminologie ne fait presque aucune différence
entre technologie et médias » (1977, p. 9). Sa définition de la communication
embrasse culture et perception, et finit par correspondre à toute manifestation de l’être
humain. En outre, certains de ses exemples, comme celui de la lumière électrique, sont
déconcertants par la portée ou le caractère incompatible qu’ils impriment à l’idée de
moyen de communication. Face à cette situation insolite, et dans les limites de cet
article, notre travail ne prendra pas en compte les critiques, parfois évidentes et
598 Canadian Journal of Communication, Vol 37 (4)