Le concept de moyen de communication dans l`Ecole de Toronto

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Le concept de moyen de communication
dans l’École de Toronto
Luiz C. Martino
Universidade de Brasília
ABsTrACT This article examines the works of Innis and McLuhan as founders of a current
of communication thought whose central feature is to consider media as both objects and
vectors of explanation. It shows how Innis’s conception of the medium is related to the notion
of bias, which articulates a materialist view of communication processes with an original
conception of history. The formalization of Innis’s concept can show how McLuhan builds
on this conception of the medium, while introducing new elements. The approach of media
as extensions provides a new interpretation of materiality and can develop the problem of
the medium as technology and of its relationship to the human mind.
KEyworDs Toronto School; Media; Media theory; Technology theory; History
résUMé Cet article analyse les œuvres d’Innis et de McLuhan en tant que fondatrices d’un
courant de la pensée communicationnelle dont la caractéristique centrale est de considérer
les media comme objets et vecteurs d’explication. Il montre comment la conception
innisienne du medium est liée à la notion de biais, qui articule une vision matérialiste des
processus de communication avec une conception originale de l’histoire. La formalisation du
concept innisien permet de montrer comment McLuhan s’appuie sur cette conception du
medium tout en y introduisant de nouveaux éléments. L’approche des media considérés
comme des extensions donne une nouvelle interprétation de la matérialité, et permet de
développer le problème du medium en tant que technologie, et de sa relation à l’esprit
humain.
MoTs CLés École de Toronto; Médias; Théorie des médias; Théorie de la technologie; Histoire
Introduction : continuité et rupture1
D
evons-nous séparer Harold Innis et Marshall McLuhan? Ce serait certes la position
la plus facile à adopter, mais aussi la moins productive et la moins intéressante à
nos yeux. Du côté des chercheurs liés à la tradition innisienne, la question est devenue
récurrente pour ceux qui veulent récupérer la contribution originale d’Innis sans tenir
compte de l’influence postérieure de McLuhan. D’autre part, le regain d’intérêt pour la
pensée mcluhanienne qu’entraîne le développement des nouveaux media, tels que
l’Internet et les technologies numériques, l’a revêtue d’une dimension visionnaire,
renforçant la tendance à la prendre absolument pour singulière et révolutionnaire.
Luiz C. Martino is coordinator of LP Theories and Technologies of Communication (Doctoral degree) and Full Professor of Communication at University of Brasília. Email: [email protected] .
Canadian Journal of Communication Vol 37 (2012) 595-611
©2012 Canadian Journal of Communication Corporation
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La question prend évidemment un sens différent selon qu’elle est envisagée à partir
de l’idée de penseurs isolés dans leur originalité, ou à partir du contexte théorique d’où
elle émerge. C’est cette seconde alternative que retiendra cet article. Innis et McLuhan
nous intéressent comme penseurs des media en tant que membres d’une école ou d’un
courant de la pensée communicationnelle, et non pas dans les particularités de leurs
œuvres, lesquelles d’ailleurs se prêtent difficilement à l’établissement d’orthodoxies, en
raison entre autres de leur langage confus, de leur faible degré de structuration et de leur
absence de systématisation. Ces « œuvres ouvertes » autorisent ainsi maintes
interprétations (pas de « point de vue arrêté », revendique McLuhan, 1977, p. 29).
Par conséquent, la question du rapport entre ces deux penseurs ne peut pas être
épuisée par l’exégèse de leurs textes ni par l’exercice de leur comparaison directe, mais
doit se situer dans le cadre plus large d’un débat propre à un domaine spécifique de la
connaissance. Dans le présent article nous l’examinerons à partir d’une discussion du
concept fondamental dans ce domaine, le concept de medium ou moyen de
communication. si nous pouvons identifier et formaliser les définitions respectives que
ces auteurs donnent du medium, nous pourrons jeter les bases d’une analyse
comparative et surmonter le « tout ou rien » de la comparaison globale et directe, qui
tend à privilégier le profil singulier et exclusif de chacun d’eux.
Ce qui caractérise une école est la proposition d’un programme de recherche, sa
capacité à stimuler et à orienter l’investigation. son existence n’est pas nécessairement
liée à une appartenance institutionnelle, mais apparaît plutôt sur le plan
épistémologique. Tel est l’intérêt que prend pour nous la question du rapport entre
Innis et McLuhan, qui n’a la forme ni d’une opposition ni d’un parti pris. Leurs œuvres
au contraire s’éclairent réciproquement, dans la mesure où leurs principes théoriques
sont formalisés et sous-tendent la formation d’un même courant de pensée au sein des
études de la communication.
Une école de pensée ?
Plusieurs articles et ouvrages ont été écrits sur l’école de Toronto. Dreyer Berg (1985)
et Donald Theall (2003), par exemple, s’appuient sur des éléments historiques. Ce
dernier marque deux périodes, une qui commence à la fin des années 30, avec
seulement Innis et Eric A. Havelock, et une autre au début des années 50, autour de
McLuhan et Edmund Carpenter. D’un autre point de vue, Blondheim et watson
(2007) essaient d’établir les aspects théoriques qui caractérisent l’école. selon ces
auteurs l’intérêt d’Innis et McLuhan se concentre sur trois points : la communication
comme processus (en opposition à structure) ; la focalisation sur les effets ou
conséquences de la communication (approche historique du long terme et des effets
cognitifs) et l’accent mis sur la technologie ou le medium. Ces analyses historiques et
épistémologiques illustrent les principales approches de la question. Dans le présent
article, nous adoptons la dernière des trois approches. Plutôt qu’une quête de vérité
historique, cet article part de la notion de medium pour faire une reconstruction
logique visant à établir l’unité et la tension entre Innis et McLuhan, les principaux
représentants des deux périodes.
De toute façon, le point de départ n’est pas un département ou quelconque
structure formelle. selon Theall (2003, p. 1), au début des années 50 un groupe
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interdisciplinaire s’est formé autour d’une certaine perspective sur l’économie
politique des media et des études de Havelock sur l’oralité et l’écriture. À l’exception
de Thomas Easterbrook, Innis et McLuhan, ce n’étaient pas les mêmes personnes qui
ont participé au Groupe des Valeurs, au séminaire de 1949 (voire antérieurement), ou
au groupe cité par Edmund Carpenter (auquel Innis et Easterbrook ne participaient
guère). Cela suggère que l’école n’était pas vraiment stable. L’informalité et la
dispersion sont renforcées par le témoignage de Carpenter : « Il n’y a jamais eu d’école
de communication de Toronto. Il s’agissait tout simplement d’un tas d’insulaires
occupés à observer le plus grand spectacle sur terre. Une table dans le café du musée
a servi de lieu de réunion » (cité par Theall, 2003, p. 7). Il semble que c’est avec le projet
de Carpenter et McLuhan, financé par la Fondation Ford, que la dimension
institutionnelle de l’école commence à paraître (voir Buxton, 2011). Comme le
remarque Theall, il y avait plusieurs « oasis non officielles », mais interconnectées au
point de former une perspective particulière qui reflétait l’ambiance intellectuelle.
En effet, plutôt que d’un lieu institutionnel, parler d’une école de pensée signifie
que les différences à l’intérieur d’un ensemble de théories ou d’auteurs sont affirmées
à partir d’une communauté de principes. sans supposer une entière homogénéité, il
reste que leurs différences ne peuvent pas être considérées de façon absolue,
puisqu’elles se rapportent à des présupposés et à des problèmes communs. Par
conséquent, loin de remettre en cause l’unité de l’école, les désaccords et la diversité
de positions en révèlent au contraire un fond épistémologique commun. Cela nous
permet donc de poser correctement le problème de la distinction à établir entre nos
deux auteurs, mais cela déplace également le problème et remet en question sa
légitimité : dans quelle mesure Innis et McLuhan forment-ils une « école de pensée » ?
Il n’y a certes pas de réponse définitive. Innis et McLuhan n’ont pas manifesté
l’intention de former une « école », ni se sont-ils reconnus comme membres d’une
école, et par conséquent ils n’ont jamais visé à créer un projet épistémologique
commun. Cela n’empêche pourtant pas de discerner les traditions qui se sont formées
dans le sillage de la ligne de pensée qu’ils ont contribué à établir, et qui est connue
sous les divers noms d’école de Toronto, d’écologie des médias (media ecology) et de
théorie du medium (Medium Theory).2
La première appellation, « école de Toronto », quoique la plus connue, présente
l’inconvénient de suggérer une appartenance à un cadre institutionnel qui n’a guère
eu qu’une influence toute relative. En outre, elle ne permet pas d’y intégrer les autres
théoriciens qui ont contribué à produire cette pensée. La seconde appellation, media
ecology, a l’avantage de renforcer l’idée de l’objet d’étude comme un système de media,
mais elle fonctionne selon une métaphore empruntée à la biologie, ce qui la rend peu
adéquate si on la prend pour guide de réflexion.3 La troisième appellation, « théorie du
medium », qu’utilise le présent article, n’est pas non plus sans problèmes : elle suggère
en effet l’idée d’une théorie, sans au fait en être une. Tout courant comporte une
pluralité de théories qui peuvent se regrouper sous un ensemble commun de principes.
L’expression en revanche a l’avantage d’éviter les inconvénients de la première et de la
deuxième appellation, et d’indiquer clairement comme principe d’unité de ce courant
les media et le plan théorique, au lieu d’un plan institutionnel ou géographique.
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De toute évidence, le moyen de communication est le terme clé de cette école : il
en est à la fois l’objet d’étude et le concept fondamental : ce qui est étudié, mais aussi
le paramètre selon lequel s’effectue la recherche. Ce concept nous permet de
distinguer les caractéristiques internes et externes de ce courant. Par rapport au
premier aspect, les principales contributions de ces deux auteurs au domaine de la
communication concernent directement l’attention portée aux media. Ils envisagent
l’histoire et la culture comme une sorte de laboratoire des media, interprétant sociétés,
empires et civilisations comme des flux de communication. L’élaboration d’une
perspective d’analyse de la réalité à partir des media—le radicalisme d’une telle
proposition et l’engagement pour la développer—est un des rares points d’accord
entre leurs partisans et leurs critiques les plus sévères.
Le concept de medium se montre également décisif pour la caractérisation
externe de cette école, car il marque clairement sa différence spécifique par rapport à
d’autres courants de pensée dans le domaine de la communication. Que l’on considère
le cadre des courants théoriques développés à l’époque d’Innis et de McLuhan :
théorie hypodermique, diffusionnisme, théorie critique des industries culturelles,
théorie de l’information, cybernétique, structuralisme linguistique, anthropologie
structurale, sémiotique, études culturelles (Tremblay, 2003, pp. 20-21). Aucun parmi
ceux-ci ne se focalise sur les moyens de communication, qui apparaissent rarement
comme principe explicatif : dans la plupart de ces approches, le moyen est confondu
avec le contenu (ou message), ou apparaît comme l’élément à expliquer par des
instances non-communicationnelles. Le plus souvent le terme medium n’est même
pas précisément un concept, mais désigne plutôt un objet empirique ou n’est qu’une
« métaphore », le symptôme d’une autre instance (par exemple les processus
psychologiques ou l’idéologie capitaliste). Les moyens de communication sont
considérés comme véhicules et intermédiaires de l’intention individuelle ou de forces
politico-économiques, comme de puissants instruments de persuasion dont la
signification réside dans l’objectif des forces qui les dominent : l’état, les
administrateurs des médias, la culture, l’élite, la contre-culture, etc. Les processus de
communication sont assimilés ou réduits à d’autres instances telles que la culture ou
le comportement, ou encore ils sont mal interprétés comme signal (impulsion
électrique) ou comme signe, et non pas comme message ni processus intentionnel.4
Le concept de moyen de communication
Compte tenu de son importance, la définition du moyen de communication aurait dû
être véritablement élaborée; or il n’en est rien. Alors qu’Innis n’a jamais pris la peine
de définir ce qu’est un moyen de communication, McLuhan présente cette notion de
plusieurs manières. selon C. H. Cornford, ce que McLuhan comprend par moyen de
communication reste très vague : « sa terminologie ne fait presque aucune différence
entre technologie et médias » (1977, p. 9). sa définition de la communication
embrasse culture et perception, et finit par correspondre à toute manifestation de l’être
humain. En outre, certains de ses exemples, comme celui de la lumière électrique, sont
déconcertants par la portée ou le caractère incompatible qu’ils impriment à l’idée de
moyen de communication. Face à cette situation insolite, et dans les limites de cet
article, notre travail ne prendra pas en compte les critiques, parfois évidentes et
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méritées. Notre objectif est plutôt de distinguer ce que signifie moyen de
communication pour chacun de ces penseurs, la clarification de ce concept nous
permettant d’apprécier les lignes de continuité et les éléments de rupture entre eux.
Innis
Bien que les travaux d’Innis aient permis de faire de grands progrès à la recherche, sa
notion de medium reste vague et assez peu cohérente. The Bias of Communication
présente au deuxième paragraphe une liste de media : des supports matériels (argile,
parchemin, papier), associés à des alphabets (cunéiforme, grec), des instruments
d’enregistrement (stylet, stylo, pinceau), de reproduction mécanique (presse
manuelle, presse automatisée), ainsi que le cinéma et la radio. Chaque medium
marque une période historique qui sera analysée au long du texte. Mais beaucoup plus
qu’une simple annonce du schéma de sa présentation, Innis introduit une
périodisation de l’histoire à partir des moyens de communication et associe la notion
de medium à celle de support matériel, comme en témoignent plusieurs passages de
son livre tels que, par exemple :
• Un nouveau média est apparu pour surmonter les limitations du papyrus.
Les inconvénients de la fragilité des rouleaux de papyrus ont été compensés par la durabilité du parchemin codex (p. 47).
• Grâce à l’accès aux moyens les plus appropriés, tels que le parchemin et le
papyrus et à un alphabet plus efficace, les prophètes hébreux … (p. 6).
• L’accès à un support appelé papier, autre que le papyrus et le parchemin, a
permis de construire des bibliothèques dans ces centres et a obligé
Constantinople à prendre un nouvel intérêt pour l’apprentissage (p. 137).
• L’utilisation de la pierre dans la sculpture et en tant que moyen pour écrire
(p. 36).
Innis n’a jamais fourni directement de définition du concept; ce qui le guidait était
l’intuition féconde, mais jamais explicitement formulée, que le medium est le couplage
entre un objet matériel et la conscience. ses investigations articulent le plan le plus
fondamental de la matérialité des media avec les canaux sensoriels—l’œil et l’ouïe—et
vise à analyser la diffusion de la culture dans le temps et l’espace. Cela lui permet de
formuler le problème des conséquences ou de l’impact des transformations du
système médiatique sur le plan symbolique, dans les civilisations, les empires et la
culture, comme un changement de rapports de force par l’exercice de l’influence et de
la domination; mais inversement aussi le système médiatique subit des
transformations sous l’impact des empires et des civilisations.
En fait, la valeur des analyses de ces plans est inégale. Toujours rattachée à l’idée
de support physique, sa notion de moyen de communication se confond avec la
matérialité même de l’objet employé (argile, pierre, parchemin, papyrus ou papier), ce
qui équivaut à confondre une technologie avec la substance dont elle est faite. or, que
l’écriture se pose sur argile ou papyrus, cela ne fait aucunement de ces supports
matériels des moyens de communication. Malgré la précarité de cette notion, Innis en
extrait un principe important : les propriétés matérielles influencent la capacité des
media, lesquels à leur tour influencent les civilisations. C’est ce qu’il entend par bias
(tendance, biais), concept absolument capital dans sa pensée. selon lui, des propriétés
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physiques de la matière se convertissent en propriétés de la conscience humaine : des
moyens lourds favorisent la tendance au temps (continuité) et des moyens légers, la
tendance à l’espace. Notons que la notion de biais opère un glissement de sens dans
les notions de temps et d’espace, qui passent de la matière brute à l’univers humain
où elles deviennent des caractéristiques de l’esprit ou des civilisations, ce qui permet
d’envisager l’impact du medium, le seul réellement développé par l’auteur.
L’attention que porte Innis à la matérialité peut s’interpréter de plusieurs
manières, par exemple en tant que principe philosophique matérialiste ou comme
procédure méthodologique (« dirt » research, comme essaie de le montrer watson,
2006), Innis se préoccupant d’assurer un fondement empirique à ses enquêtes. En fait,
elle a un sens plus original, la matérialité constituant la base théorique de sa notion de
medium. En examinant le passage de l’économie à la communication, william Melody
observe que, pour Innis, « l’exploitation des ressources de base dans les régions
périphériques et l’étendue de la puissance des empires dépendent de systèmes de
communication efficaces » (1981, p. 5). La « découverte » de la communication
représente une importante contribution pour comprendre l’établissement et le
fonctionnement des empires. Avec les moyens de transport, les moyens de
communication forment l’infrastructure qui permet l’exploitation et le contrôle d’un
territoire. En poursuivant ce raisonnement, Innis montrera que l’infrastructure à son
tour dépend aussi des propriétés physiques des moyens employés.
Les plans s’enchevêtrent dans la constante recherche d’une justification
empirique ou matérielle, mais sous un autre angle ce sont des propriétés immanentes
à chaque plan qui constituent le vecteur explicatif. Cependant, dans aucun de ces
plans l’interprétation ne se fait de manière automatique, les supports matériels de
l’écriture ne générant ni « temps » ni « espace », sinon dans un certain contexte (par
exemple, une société historique, une certaine culture ou un cadre politique). L’impact
ou les effets du medium dépendent du contexte et admettent des interprétations
complexes, qui peuvent même inverser les caractéristiques premières de chaque
medium (Blondheim, 2003, p. 170). D’où la valeur théorique et non strictement
empirique du concept de biais, ce qui fait de la pensée innisienne autre chose qu’un
déterminisme technologique ou un matérialisme naïf.
on l’observe également dans la dissymétrie entre la formulation négative et la
formulation affirmative de la thèse innisienne sur l’influence du medium (Martino,
2011). Ainsi, selon la thèse négative, l’absence d’un support spécifique tel que le
papyrus dans l’Empire romain entraîne la désagrégation de celui-ci. L’explication
repose sur deux constatations simples : d’abord, qu’il n’est pas possible d’utiliser
l’argile de la même manière que le papyrus; ensuite, qu’une altération du support
modifie la capacité administrative de l’Empire et compromet son organisation. Mais la
formulation affirmative—le papyrus est disponible—ne repose plus sur des
observations intuitives. L’influence des media est au contraire expliquée comme
favorisant une tendance soit au temps soit à l’espace, et requiert une argumentation
plus complexe. Cette dissymétrie montre qu’entrent en jeu plus que des propriétés
empiriques. Car les effets des media ne peuvent pas entièrement s’expliquer par les
propriétés physiques (lourd, léger) saisies directement par nos canaux sensoriels : ces
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propriétés doivent être converties dans des constructions théoriques (telles que space
bias et time bias). Innis est convaincu qu’il existe un lien étroit entre les propriétés des
matériaux et les constructions théoriques, à tel point même qu’il se dispense de
discuter du sujet. soit qu’il ne se rende pas compte de la différence, soit qu’il croit que
les premières sont le fondement des dernières, sa conviction matérialiste seule
assurant cette transition.
Formulée en tant que matérialité, et non comme message, l’approche innisienne
des media est un véritable choc. Elle se développe parallèlement à une conception
communicationnelle de l’histoire, conséquence d’une nouvelle perspective sur notre
relation avec le temps. Pour Innis, les moyens de communication sont une source
d’influence directe, constante et collective du passé sur le présent; ils apportent le passé
à nous tous comme des forces vivantes. Au contraire de l’historien, le document écrit
n’est pas l’instrument d’un voyage solitaire dans le passé. Il ne s’agit pas de se servir des
media comme instruments d’une investigation savante, mais de réfléchir sur
l’introduction de la matérialité technique dans la sphère d’action de la tradition orale,
lien entre le passé et le présent. L’histoire n’est plus vue comme un flux de moments
successifs dont le plus récent remplace le précédent. Plutôt, les moyens de
communication changent le devenir. selon le système médiatique en vigueur, le passé
peut s’étendre et se conserver comme une force vivante, déterminant le présent, ce
qu’Innis exprime par la notion de temps ou comme le problème de la continuité; mais
le passé peut aussi fonctionner simplement comme un patrimoine, un répertoire dont
les forces du présent se servent et font une libre interprétation, ou qu’elles peuvent
simplement ignorer. En revanche, l’annulation du passé renforce les influences venues
d’ailleurs, ce qu’Innis désigne comme le problème de l’espace. Dans ce cas, l’influence
ne vient pas du passé, mais de forces du présent qui occupent d’autres régions de
l’espace, interconnectées par des flux communicationnels engendrés par des « moyens
légers » : papyrus, parchemin, reproduction mécanique de l’écriture par les journaux et
magazines, ou même reproduction électronique par la radio et la télévision. Autrement
dit, les « moyens lourds » créent une puissante mémoire artificielle, qui tend à mettre
en valeur le passé; les « moyens légers », au contraire, font circuler l’information et
développent une puissante perception qui excède les limites de l’espace immédiat, ce
qui permet l’influence à distance par des forces du présent. Pour Innis le régime
historique dépend de la base matérielle qu’exprime le type de medium, c’est-à-dire des
conditions effectives qui nous lient au passé ou donnent accès au présent.
L’oralité elle-même n’est pas indifférente aux media. Elle peut véhiculer une
tradition qui s’est imposée au présent soit par l’oralité simple, soit avec l’aide de
l’écriture. Dans ces cas là elle est employée en tant que mémoire, ou elle peut
inversement représenter la force plastique du présent, qui actualise cette tradition en
lui donnant une interprétation et un sens, l’oralité s’opposant à la rigidité canonique
du texte écrit.
si Innis n’était pas très clair à l’égard de cette ambiguïté de la tradition orale, il
saisit la signification de l’écriture comme moyen de communication : les media
modifient la dynamique de l’influence des êtres humains les uns sur les autres, le
conflit des forces entre le passé et le présent ou entre le local et le global. Un medium
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comme l’écriture peut enrichir le passé, dans la mesure où il est utilisé comme un
système artificiel de mémoire. Nous avons alors un prolongement dans le temps,
établissant une continuité entre le passé et le présent, une sorte de continuité sans
succession, une simultanéité. Il ne s’agit pas d’une succession de moments. Le présent
établit plutôt une tension avec le passé et celui-ci devient contemporain du présent.
De façon analogue, ce même processus d’intervention dans la dynamique de
l’influence—ou d’enrichissement de la réalité immédiate—se produit dans la
dimension spatiale. En conséquence de l’action des moyens légers et de l’agilité dans
la circulation de l’information, l’« ici » est relié à l’« ailleurs », et le plan local est tendu
par le global. Les media peuvent alors étendre le passé et le rendre contemporain de
l’expérience présente, par un effet de simultanéité par rapport au temps; ou étendre le
plan local par un effet de simultanéité par rapport à l’espace; ils peuvent faire perdurer
l’information ou la faire circuler, modifiant ainsi notre rapport à la réalité.
Ces considérations sont suffisantes pour formaliser la définition d’Innis : les
moyens de communication sont des supports matériels dont les propriétés physiques ont
une influence sur nos canaux sensoriels et sur notre rapport au temps et à l’espace
(conscience). Elle nous servira de cadre pour la comparaison avec McLuhan.
McLuhan
McLuhan établit une interaction complexe faite de continuité et de rupture avec la
pensée de son prédécesseur. En général, il suit son orientation et maintient la structure
de sa définition de moyen de communication, mais non sans y introduire des
changements significatifs.
Tout le problème concernant le rapport entre ces deux auteurs réside dans
l’affirmation de tel ou tel des aspects suivants : soit on retient les lignes générales qui
structurent la pensée sur les media, soit on se concentre sur le développement
particulier que chaque auteur imprime aux thèses centrales de l’école de Toronto
dérivées de cette définition de medium (voir ci-dessous). Le débat, par conséquent, ne
peut pas prétendre à une quelconque résolution finale, puisqu’il s’agit de positions de
départ. La continuité ou la rupture entre les deux penseurs, plus que toute autre chose,
doit être considérée comme un outil heuristique. signaler leurs différences, leurs
points de convergence ou de chevauchement nous aide à préciser leurs positions
théoriques, en même temps que les caractéristiques de l’école de Toronto.
Continuité
Innis et McLuhan avaient fait connaissance à travers « un ami commun, Tom
Easterbrook, ils ont échangé correspondance, chacun a lu les ouvrages de l’autre et ils
ont pris part aux réunions du “Groupe des Valeurs” à l’Université de Toronto au cours
de l’année scolaire 1949-1950 » (Buxton, 1996). Les notes des réunions montrent
qu’Innis développait le thème des moyens de communication, alors que la
présentation de McLuhan s’appuyait sur une périodisation historique pour montrer le
rôle innovateur de l’artiste aussi bien qu’une perspective critique sur l’art
contemporain, séparé de la vie par sa marchandisation (Buxton 2004, p. 191). En 1951,
lorsque McLuhan publiait son premier livre et Innis quasiment son dernier, cette
situation avait peu changée. McLuhan exprimait pratiquement l’héritage qu’il
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603
rapportait de son séjour à Cambridge, où la littérature était un « art vivant » (Berg, p.
252), et il refusait de saisir la culture contemporaine à partir de catégories comme
« supérieure » ou « populaire » (Berg, p. 254). Les media faisaient partie d’un ample
panorama, mais n’occupaient pas une place spéciale.
Le point le plus contrastant certainement était la vision historique présentée par
Innis. The Bias of Communication développe en effet une analyse originale des empires
et des civilisations en les rapportant à leurs systèmes de communication. Les media y
sont décrits par des fonctions peu connues jusqu’alors; ils sont l’infrastructure
matérielle à travers laquelle s’exerce la gestion du temps et de l’espace. Ainsi, pour Innis,
l’écriture peut avoir deux effets distincts, selon sa capacité d’enregistrement par des
moyens lourds ou sa capacité de circulation de l’information par des moyens légers. À
la différence de l’approche historique conventionnelle, l’écriture n’est plus envisagée
comme un moyen qui permet au chercheur de retrouver et de reconstituer la véracité
d’événements révolus. Elle n’est ni document, ni instrument d’une reconstitution, mais
elle est prise en tant que processus collectif à travers lequel le passé atteint le présent,
en permettant aux individus d’une société actuelle de se rendre contemporains de
cultures disparues. Il en va de même pour l’espace, puisque l’écriture sur support léger
permet au plan local de se soumettre à des influences extérieures. L’écriture est alors
comprise comme la mise en œuvre d’un passé ou d’un ailleurs qui deviennent source
d’influence, et constituent des altérités composant le champ de l’expérience actuelle. La
réalité immédiate est réintroduite dans la totalité de l’espace et de l’histoire de
l’humanité, elle est formulée comme une tension permanente et dramatique entre le
temps (passé-présent) et l’espace (local-global, ici-ailleurs).
L’analyse de la culture de masse dans The Mechanical Bride (1951—traduit en
français sous le titre La Mariée mécanique en 2012), innovante en un sens, essayait
d’échapper à la tendance de l’époque de voir la culture des media comme un
phénomène de dégradation de la haute culture, le problème dans ce cas-là se
concentrant sur l’analyse des messages et l’investigation prenant la forme d’un
jugement de valeur. À contre-courant, McLuhan essayait d’échapper à ce point de vue
de décadence, auquel d’ailleurs Innis aussi restait attaché, en saisissant directement la
culture à partir du présent, sans la juger par les critères et les valeurs de la tradition.
Mais de cette façon l’histoire restait éclipsée par le reflet du présent. The Mechanical
Bride « manquait » de contraste espace-temporel, c’est-à-dire de tension historique, et
d’ambiance multidimensionnelle de la culture, conditions qui ne favorisaient pas
l’appréhension de la singularité des nouvelles configurations culturelles de la société
technologique que l’auteur se proposait d’analyser.
Le contact avec Innis lui a permis de surmonter les carences de cette approche.
Dès la première ligne de La Galaxie Gutenberg, McLuhan montre qu’il a compris la
nécessité d’utiliser l’histoire comme distanciation, comme expédient pour générer des
contrastes entre les media et leurs contextes socioculturels, définis comme des
périodes de prédominance d’un certain medium. Ces périodes ont été considérées
comme des synthèses entre les moyens et leurs contextes culturels : oralité, Galaxie
de Gutenberg, Galaxie de Marconi. McLuhan reprend l’idée d’Innis selon laquelle les
sociétés sont immergées dans des environnements générés par des media, et va plus
604
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loin en affirmant que la culture reste opaque aux individus qui y vivent. seule
l’explicitation de la différence des moyens, et des environnements qu’ils génèrent,
nous permet de capter la spécificité des formes culturelles immédiates. Les media euxmêmes ne sont pas visibles sans la distanciation qu’engendre la comparaison
historique et ethnologique, ou sans la confrontation de media différents.
Grâce à Innis, McLuhan a incorporé un principe épistémologique de base des
sciences sociales—l’histoire comme distanciation—et a mis en œuvre une clé de
lecture inédite : les media influencent notre relation au temps et à l’espace. Autrement
dit, le contraste lui-même, la source d’où résulte la distanciation historique, doit être
analysé à partir de l’action des médias. Cela a fourni à McLuhan un point de vue aussi
riche qu’inhabituel sur les media et sur la culture de masse qu’il n’abandonnera jamais.
En d’autres termes, la continuité entre la pensée d’Innis et de McLuhan apparaît
dans leur façon d’aborder la culture, ainsi que dans leur façon de comprendre les
processus de communication, ce qu’exprime la définition générale des media comme
articulation entre l’objet matériel et la conscience. Les thèses centrales de cette approche
ou la formalisation possible des principes épistémologiques intrinsèques à cette
définition, peuvent être formalisées dans les points suivants :
• Définition générale du moyen de communication comme relation entre l’objet matériel et la conscience humaine. Le medium est une articulation
entre les propriétés matérielles de l’objet technique et les facultés mentales de l’homme.
• Définition restreinte : chaque medium établit un rapport particulier avec la
conscience (temps, espace, mémoire, perception, etc.).
• La centralité des moyens comme clé de lecture, c’est-à-dire comme principe
d’interprétation de la réalité. Le moyen de communication en tant qu’objet d’étude, dans le double sens du terme, apparaît comme élément empirique à étudier, mais aussi comme élément théorique à partir duquel
s’opère l’investigation des phénomènes.
• Distinction du moyen et du message : bien que dérivée de la définition du
medium en tant que matérialité, cette distinction mérite d’en être détachée. L’analyse d’un medium ne tient pas compte du contenu des messages, l’attention se concentrant sur l’action, le fonctionnement et les
effets du medium lui-même.
Ces principes demeurent implicites dans le travail d’Innis. Le plus connu est le
dernier, que McLuhan explicite dans le chapitre initial d’Understanding Media, avec
son célèbre paradoxe : « Le medium est le message ». Le troisième principe souligne
l’importance épistémologique des media et l’option d’en faire le vecteur d’explication
(compréhension, analyse, et cetera) de la réalité.
Les deux premiers principes établissent la définition générale et la définition
restreinte du moyen de communication. Notons que le dernier aborde le problème de
la spécificité de chaque medium, ce qui représente un important progrès
épistémologique. Le souci de comprendre l’effet particulier de chaque medium,
ébauché seulement dans l’approche innisienne, a été totalement incorporé à la
perspective de l’école de Toronto comme l’un de ses traits les plus caractéristiques.
Martino Le concept de moyen de communication dans l’École de Toronto
605
Certes la formation d’Innis l’aidait à poser correctement cette dimension de
l’étude des media : de même que les transformations dans l’infrastructure économique
se traduisent par des nouvelles configurations de l’économie, des media différents
produisent des effets différents. Cependant, les limitations du binarisme de la notion
de biais font que les media sont classés en deux catégories seulement : l’espace et le
temps, à partir de propriétés exclusives et opposées, ce qui ne permet pas le plein
développement de la définition restreinte du moyen de communication. Nous
retrouvons cette même limitation théorique chez McLuhan, avec sa classification des
media en chauds ou froids.
McLuhan suit encore Innis dans la question des canaux sensoriels, opposant l’œil
à l’oreille, bien qu’il démontre quelque intérêt pour d’autres canaux sensoriels et qu’il
se serve aussi du concept d’extension technologique. Il ne s’est pourtant pas rendu
compte de tout le potentiel théorique qu’offre l’interprétation des media comme
extensions de la conscience. Il ne s’est jamais préoccupé de distinguer les technologies
du symbolique, ni de cerner la spécificité technologique des moyens de
communication en les distinguant d’autres formes de technologies (Martino, 2012). En
outre, sa notion d’extension reste attachée à un rapport avec le corps humain, et est
employée le plus souvent comme complément des catégories de medium chaud et de
medium froid, tout en gardant le binarisme que l’on retrouve à l’origine chez Innis.
Cela suggère que sur ce point McLuhan n’a pas vraiment surmonté le cadre
conceptuel innisien, mais l’a plutôt développé.
De toute façon, en laissant de côté la question du binarisme, l’ensemble de ces
principes épistémologiques marquent non seulement une continuité entre ces deux
penseurs, mais aussi sont suffisamment généraux et cohérents pour s’appliquer à tous
les membres de l’école de Toronto ou de la théorie du medium, comme
caractéristiques de ce courant. Ils constituent les thèses centrales d’un programme de
recherche (Martino, 2008).
Rupture
Le point fort de la pensée innisienne était de montrer que les moyens de
communication influencent notre compréhension de la réalité par leur matérialité, et
non par les messages qu’ils véhiculent. En altérant notre rapport au temps et à l’espace,
ils interviennent dans le mode par lequel se présente l’influence des hommes les uns
sur les autres, et modifient donc les conditions de production de la conscience
humaine. Mais sa conceptualisation du medium est rudimentaire et laisse la place à
McLuhan qui propose une interprétation plus consistante, en remplaçant la notion de
support matériel par celle de technique (ou technologie, technical, technological), terme
qui évidemment n’est pas étranger à Innis, mais qui mérite d’être analysé avec soin.
Notons tout d’abord que dans Empire and Communications, les termes technique
et ses dérivés ne sont presque pas employés, à peine 16 fois, dont l’emploi le plus
important (9 fois) est celui de changement ou de progrès technologique, les autres
usages étant plus vagues5. Dans The Bias of Communication le terme technique et ses
dérivés apparaissent avec plus de fréquence (48 fois), mais sans attention spéciale; le
plus souvent ils sont pris au sens générique ou appliqué à l’ensemble des techniques.6
on ne trouve pas chez Innis une analyse ou un développement du concept de
606
Canadian Journal of Communication, Vol 37 (4)
technologie. Même dans la section intitulée « La technologie et l’opinion publique aux
états-Unis », le terme est peu employé (8 fois).
Ce faible indice de références peut être justifié par l’utilisation de synonymes,
notamment les termes de mécanisation et d’industrialisme, ou probablement par le
fait que l’auteur avait déjà à l’esprit que les media sont des technologies. Cette dernière
affirmation semble particulièrement valide lorsqu’Innis parle de la presse, puisqu’il
utilise le terme de mécanisation dans le sens de technique de reproduction de
l’écriture. Pour les anciens media cependant, l’affirmation est moins évidente, car ils
sont identifiés aux supports matériels (moyen argile, moyen pierre, moyen papyrus),
dont les propriétés physiques expliquent les caractéristiques des media. Innis ne fait
référence à aucun medium ancien comme étant une technologie.
Ce terme n’est pas non plus directement appliqué aux médias modernes que sont
la radio et la télévision, et reste attaché à l’idée d’infrastructure, de développement ou
de l’impact des media sur la civilisation en général, comme l’impact de la
spécialisation,7 la centralisation ou l’accent sur l’éphémère.8 À proprement parler,
l’analyse des moyens modernes est très peu développée, elle occupe un volume bien
moindre que les autres médias.9 Même quand il est question de l’évaluation de leurs
conséquences, celle-ci se fait par une simple opposition au mouvement général de la
mécanisation de l’industrie graphique (décentralisation-centralisation) ou en
accompagnant les effets de celle-ci (éphémère, superficialité). Le manque d’intérêt
pour l’analyse de la technologie, ou plus précisément pour son approche générale,
vient de ce que l’objet d’Innis est constitué par les régimes de l’influence, d’où la place
considérable faite aux analyses de la force militaire, des invasions, des codes de droit,
de l’exercice du pouvoir, de la domination politique, économique ou marchande. La
communication est l’un des vecteurs dans cette problématique majeure.
Dans le cas de l’imprimerie seulement (printing, industrie graphique), Innis
avance un vecteur proprement technologique pour comprendre les moyens de
communication. À la différence de l’approche des autres media, la reproduction
mécanique de l’écriture ne peut pas se réduire à une caractéristique de la matière.
Innis n’a jamais remarqué les différences entre ses approches aux media, malgré un
important déplacement de sens : le remplacement des propriétés physiques par la
technologie représente un changement de paradigme de la matérialité des media.
C’est précisément un changement de ce type qui nous permet d’apprécier la
contribution de McLuhan. À l’exception de ses analyses sur la lumière électrique, il
s’éloigne de l’idée que les media correspondent à des propriétés physiques du support
matériel. sa compréhension des media repose sur la notion d’extension, principe
intrinsèquement technologique, qui non seulement lui permet de dégager l’analyse de
la technologie des principes physiques, mais aussi de la perspective de l’ingénieur
(ondes, spectre radiophonique), de principes économiques (infrastructure,
développement) et de certains courants de la philosophie de la technique, qui
discutent la valeur de la technologie pour l’homme (est-elle une source d’aliénation ou
est-elle neutre, c’est-à-dire dépourvue de sens propre?).
Le concept d’extension permet à McLuhan de poser un tout autre ordre de
questions concernant le rapport entre l’être humain et la technique (Narcisse),
Martino Le concept de moyen de communication dans l’École de Toronto
607
l’impact de l’innovation technologique (effet de narcose), l’impact sur les fonctions
mentales (atrophie/hypertrophie) et l’impact sur les états psychologiques comme la
perception, l’aptitude, l’émotion, la dispersion-engagement (hot-cool).
En fait, Ernst Kapp a proposé la notion d’extension en 1877, dans Principes d‘une
philosophie de la technique, ouvrage qui inaugure ce domaine d’étude. À partir de cette
date s’est lentement constituée une tradition autour de la question de la technique, et
lorsqu’en 1964 McLuhan lance son œuvre majeure, Understanding Media: The
Extensions of Man, ce concept avait déjà une ample histoire. Il l’emprunte au livre
d’Edward T. Hall, The Silent Language, qui interprète l’objet technique comme une
dérivation directe du corps humain, dans une perspective trop biologiste. Les
extensions sont prises en continuité avec l’évolution animale et non pas comme une
conquête de la spécificité humaine.
McLuhan ne s’est pas soucié de distinguer les moyens de communication d’autres
extensions (armes, vêtements, mobilier, argent, moyens de transport), ni s’est-il rendu
compte de l’imprécision de la notion d’Edward T. Hall : si « l’argent est le moyen
d’étendre les bénéfices et de stocker le travail » (1959, p. 55), le travail serait-il une partie
du corps ? Hall se rend compte en partie du problème et change sa notion d’extension :
au lieu de prolonger une partie du corps, la notion se réfère aux capacités du corps, à
ce qu’il peut faire : « Nous pouvons traiter toutes les choses matérielles faites par
l’homme comme des extensions ou des prolongements de ce qu’il fait avec son corps
ou une partie spécialisée de son corps » (1959, p. 55). Une telle définition de la
technologie est évidement assez lacunaire; elle laisse en dehors des objets comme
l’avion qui vole, les bombes qui explosent, le briquet qui brûle, et tant d’autres objets
et inventions sans analogie avec le corps humain. En outre McLuhan ne voit rien de
bizarre quand Hall envisage la bombe atomique comme étant une extension de la
dent, comme toutes les armes d’ailleurs. Nous avons ici une illustration d’un
dysfonctionnement de la métaphore biologiste qui mène à une étroite réduction au
biologique. Dans ce sens le concept d’extension n’est qu’une idée imprécise ou une
analogie grossière.10
L’avantage de penser la technologie comme extension est de problématiser le
medium d’une telle manière que l’on puisse articuler son analyse à d’autres objets
techniques et établir un dialogue entre les études de communication et d’autres
domaines qui se sont intéressés à la question, comme la philosophie de la technologie
et l’anthropologie. Dans ce dernier cas, par exemple, la publication en 1964-1965 des
deux volumes de l’ouvrage d’André Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole, constitue un
repère important. Le concept d’extériorisation (proche de celui d’extension) y est
employé et associé à celui de cycle opératoire, qui apporte une décomposition
analytique de la technique, dont la transposition pour notre domaine d’études fournit
un bon point de départ pour la réflexion sur la spécificité des media en tant qu’objets
techniques (Martino, 1997), problème qui est largement négligé.
Mais d’une façon intrinsèque, le premier point d’intérêt pour le concept
d’extension réside dans sa capacité de fournir une continuité entre l’objet technique et
le plan symbolique; en d’autres mots, il met en lumière comment s’effectue
l’articulation ou la médiation entre le plan matériel inhérent aux objets techniques et
608
Canadian Journal of Communication, Vol 37 (4)
celui de l’esprit humain (Martino, 2012). C’est justement ainsi que McLuhan se sert du
concept d’extension lorsqu’il parle de medium, et dans ce sens celui-ci est analogue au
concept de biais chez Innis.
McLuhan change l’idée de matérialité, qui n’est plus interprétée comme l’ensemble
des propriétés physiques du support : le point de départ devient les sensations, ce qui
lui donne une position plus consistante. Le concept d’extension effectue
immédiatement la synthèse entre l’être humain et la matière, et évite le
réductionnisme à la matière brute, qui constituait l’un des excès de l’empirisme ingénu
auquel la pensée innisienne donne parfois l’impression d’acquiescer. sans entrer dans
le mérite de ses analyses controversées, on peut affirmer que l’approche de McLuhan
permet de développer quelques questions implicites dans l’approche innisienne, et d’en
aborder d’autres qui ne pouvaient pas être exploitées dans leur cadre originel.
Par exemple, pour Innis, les moyens de communication agissent sur la dynamique
de l’influence entre les êtres humains, selon les modalités que constituent les relations
politiques, religieuses, culturelles et économiques. L’influence peut venir du passé,
sous la forme de tradition, ou du présent, mais aussi d’ailleurs (espace). Pour McLuhan
les media agissent directement sur l’esprit humain en altérant sa perception du monde.
Apparaît ainsi la question de la liaison du moyen de communication avec l’esprit
humain, du rapport direct entre l’utilisateur et l’objet technique, qui restait vague chez
Innis, même s’il l’articulait au temps et à l’espace.
En considérant les media comme des technologies, et celles-ci comme des
extensions, l’approche mcluhannienne permet un saut de compréhension peut-être
aussi important que celui qu’a permis Innis lorsqu’il a rattaché les media à leur
matérialité.
Conclusion
Tout au long de cet article, on a pu alternativement dissocier ou faire converger les
œuvres d’Innis et de McLuhan, et cette possibilité restera toujours ouverte, selon la
façon de poser le problème. rupture et continuité, différences et similarités : il ne peut
y avoir de cohérence absolue. Un même élément conceptuel peut prendre des sens
distincts selon le cadre de l’analyse. La valeur relative ne constitue pas une objection
à la discussion; ce qui importe n’est pas d’aboutir à une réponse définitive. Au
contraire, la comparaison, qui n’est pas une fin en soi-même, fournit un précieux
principe heuristique qui nous permet de faire avancer la connaissance sur les
processus de communication médiatique.
Nous avons essayé de montrer que les différences théoriques entre ces deux
penseurs de la communication reposent sur une même base épistémologique. Pris en
eux-mêmes, ces auteurs couvrent un grand nombre de thèmes, utilisant chacun des
concepts, des méthodes et des caractéristiques qui leur sont propres. Mais on peut
formuler un ensemble de principes qui permettent de considérer leurs œuvres
comme complémentaires, sans nier leurs différences. Au contraire, celles-ci ouvrent
un débat qu’ils partagent avec d’autres auteurs, en créant ainsi une école dans le
domaine de la communication.
L’approche innisienne des media est liée à la notion de biais, qui articule une
vision matérialiste des processus de communication avec une conception originale de
Martino Le concept de moyen de communication dans l’École de Toronto
609
l’histoire. Les composants fondamentaux de ses investigations sont le concept de
medium, se fondant sur la matérialité et distinguant le medium du message, et ses
analyses sur l’équilibre des media et leur impact sur empires et civilisations. Ce concept
de medium représente une base de continuité épistémologique sur laquelle viennent
s’installer les différences théoriques. McLuhan non seulement adoptera l’approche de
la centralité des moyens de communication, mais aussi ces mêmes composants
fondamentaux auxquels il donnera ses propres formulations théoriques. L’approche
des media comme étant des extensions entraîne une nouvelle interprétation de la
matérialité, et permet de développer le problème des media en tant que technologies
ainsi que celui de leur rapport avec l’esprit humain.
Ainsi les similarités concernent le plan le plus profond des fondements
épistémologiques, liés au découpage ou à la construction de l’objet d’étude, et se
traduisent par les principes de base et par la définition générale de medium, alors que
les différences s’expriment au niveau de l’interprétation théorique de la définition
restreinte, plus proche de l’explication des phénomènes.
Notes
1. Je remercie les éditeurs pour leurs corrections et suggestions très pertinentes.
2. selon Theall, c’est lui qui a introduit l’expression « école de communication de Toronto » en 1983
(2003, p.2). L’expression media ecology a été proposée par Neil Postman en 1968, à partir de l’idée de
McLuhan que les media génèrent des environnements. L’association homonyme, The Media Ecology
Association, avec la même inspiration, apparaît en 1998, proposée par certains anciens élèves de
Postman. L’expression medium theory a été proposée par Joshua Meyrowitz en 1994.
3. Le terme « écologie » est connu des biologistes depuis la fin du XIXe siècle, avant de gagner de nouveaux champs d’application au siècle suivant. Dans son sens le plus large, l’idée qui sous-tend ses différentes applications est celle de système (analyse des relations, spécialement celles de complémentarité
et d’interdépendance entre des éléments hétérogènes). or, d’une part l’idée de système est très connue
en sciences sociales, puisque plusieurs positions épistémologiques en font usage (fonctionnalisme,
structuralisme, marxisme…), et ne caractérise donc pas une position spécifique. D’autre part, prise
dans son sens strict (biologique), le système des media doit être adapté aux concepts et logiques employés dans l’analyse des systèmes des êtres vivants. Une telle réduction doit répondre aux mêmes critiques faites à la réduction des sciences sociales aux sciences de la nature. En bref, est-ce que les
questions sur les media peuvent vraiment être réduites au problème de la survie (au sens biologique),
comme le fait Neil Postman (les médias facilitent-ils ou entravent-ils nos chances de survie) ? Les métaphores ne peuvent être utiles que jusqu’à un certain point.
4. Contrairement à d’autres modes de relation, les processus de communication se caractérisent par la
production de messages. Donc ni les signes (les animaux aussi ont cette capacité), ni les signaux (ou
information) provenant exclusivement du support matériel (comme dans les approches des ingénieurs) ne peuvent démarquer la spécificité de la communication humaine en tant que processus
symbolique (Martino, 2001).
5. Les autres occurrences se rapportant aux techniques sont liées au langage (total de 6 fois) : des techniques littéraires, épique, dramatique, narrative (3 fois); du journalisme (1 fois), du juriste (1 fois), de
transcription (1 fois). Il y a aussi l’usage technique de répression mentale (1 fois). David Godfrey emploie
plusieurs fois le terme « technologie » dans son intéressante édition de Empire and Communications
(1986) : dans l’introduction, dans les présentations et sous-titres de chapitres (par exemple : technologie de l’alphabet, du parchemin, du papyrus). Le terme cependant ne présente aucun intérêt spécial
pour Innis, qui l’emploie de manière ordinaire.
610
Canadian Journal of Communication, Vol 37 (4)
6. Plus de la moitié des 48 occurrences sont d’usage général (27 fois, advanced, change, diffusion).
Quelques exemples : « Les invasions employant la force, ayant pour base de nouvelles technologies,
principalement celles autour du cheval, ont entraîné l’union des cités-états » (p. 6). « La marine et l’infanterie lourde de la Grèce n’étaient pas à la hauteur de l’infanterie légère et de la cavalerie qui attaquait
par derrière. Les premiers grands coups de marteau de la technologie ont été donnés, le pouvoir et la
langue vernaculaire ont façonné les monopoles de la connaissance en des formes malléables » (p. 10).
7. « La civilisation moderne dominée par la mécanisation de l’industrie est toujours impliquée dans la
spécialisation. … La spécialisation peut être vue comme un excès » (p. 139). « L’industrialisme implique
technologie et découpage du temps en des fragments précis, selon les besoins de l’ingénieur et de l’agent comptable. L’incapacité d’échapper aux demandes de l’industrialisme sur le temps affaiblit la possibilité d’une évaluation des limitations de l’espace » (p. 140).
8. « L’influence de la mécanisation de l’industrie graphique a été évidente avec l’importance croissante
de l’éphémère. La superficialité est devenue essentielle pour atteindre les nombreuses demandes d’un
plus grand nombre d’individus, et a été développée comme un art par ceux qui ont été obligés de répondre à ces demandes. La radio a accentué l’importance de l’éphémère et du superficiel. Pour le cinéma
et pour la radiodiffusion (broadcast), il est devenu nécessaire de chercher la distraction et le divertissement. … La radio … a fait plus que sa part dans la dégradation de nos normes intellectuelles » (p. 82).
9. Le seul passage qui analyse la radio et la télévision en tant que media se trouve dans l’Annexe 1,
écrite par son fils, Donald Quayle Innis (2008). En réalité il représente très bien l’approche innisienne,
avec tous ses éléments essentiels. Il part de la radiodiffusion, en cherchant à comprendre les caractéristiques des media par leur dépendance à une longueur d’onde. En suivant la même approche des
moyens anciens, il essaie de discuter des technologies électriques à partir de leurs propriétés
matérielles : « Les limitations concernant le nombre et la variété des programmes disponibles pour
un auditeur sont donc le résultat de la nature du spectre électromagnétique » (p. 200). Donald suit
rigoureusement les mêmes principes d’interprétation de son père, les caractéristiques de l’infrastructure
déterminent les effets de ce type de communication : centralisation, accent sur l’éphémère et le superficiel (p. 82). s’installe une évidente concentration, très propice à constituer des monopoles de la connaissance, et capable de « dégrader nos normes intellectuelles » (p. 82).
10. L’analogie des objets techniques avec le corps humain n’est pas nécessaire. L’approche de la technique par le concept d’extension s’appuie, en fait, sur une mise en équation symbolique de la réalité,
en faisant des comparaisons et analogies entre systèmes (phénomènes naturels, comportement des
animaux, dispositifs techniques, tout ce qui peut produire une action efficace). Le corps humain, évidement, est un point privilégié pour établir des analogies, mais il n’est pas le seul, et il n’est pas obligatoire
non plus. Le problème de l’extension n’est donc pas bien posé si on insiste sur l’analogie avec le corps.
Pour plus de détails et une discussion critique du concept d’extension (extériorisation, circuit fonctionnel, organe fonctionnel externe, simulation), voir Martino, 1997.
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