
© Hatier 2002-2003
saurait ébranler : je peux bien douter de l’existence du monde en effet ou de celle de mon
corps, rien ne peut mettre en doute que je pense puisque je doute, et que, pensant, je sois
quelque chose (cf. la première méditation des Méditations métaphysiques).
Pour cette raison, la conscience, immédiatement accessible et transparente à elle-même, est
indivisible et non pas double. Voilà pourquoi elle ne saurait se tromper délibérément, résister
à la vérité qu’elle connaît. Dans ce contexte, le préjugé n’est que le résultat de mauvaises
habitudes mentales – soit d’un défaut de méthode, lequel me pousse à juger par ouï-dire ou à
affirmer hâtivement ce que pourtant je ne suis pas en mesure de savoir.
En un mot, s’il arrive que l’on juge par « prévention » (selon une idée préconçue) ou par
« précipitation » (de manière irréfléchie), cela reste accidentel et non pas volontaire, car
l’unité de la conscience exclut, par définition, la possibilité de refuser ce que l’on sait.
Conclusion et transition
La vérité s’impose à tous ; elle se manifeste sur le mode de l’évidence, ce pour quoi elle est
irrésistible.
En particulier, la vérité concernant ma propre existence, comme pensée, me révèle l’unité de
ma conscience et, partant, l’impossibilité de nier la vérité lorsque j’en ai la connaissance.
Toutefois, il semblerait que le propre du préjugé ou de l’illusion, distincts en cela de la simple
erreur, soit précisément de résister à la connaissance de la vérité : comment est-ce possible ?
2.Oui, on peut résister à la vérité
A. La dualité du psychisme est la condition de possibilité d’une telle résistance
Il arrive fréquemment que l’on sente une résistance intérieure à reconnaître un désir ou une
réalité qui nous blesse, une pensée dont on a honte.
Or ce refus de reconnaître une vérité que l’on juge, « au fond de soi », épouvantable ou
dérangeante ne saurait être l’effet d’une simple erreur de méthode, susceptible d’être rectifiée
grâce aux secours de la réflexion et de la volonté, comme le voulait Descartes.
Procédant en effet d’un désir irrépressible d’éviter une souffrance ou un malaise intérieur à la
suite d’une contradiction avec soi-même – d’un conflit entre l’image que l’on a de soi et la
pensée, honteuse, susceptible de la ternir –, le refus d’une vérité est, à peine vécu, aussitôt
oublié, ainsi que la pensée qu’il vise à effacer. Comme tel, il relève d’une tendance intérieure
inconsciente et, pour cette raison, incontrôlée. Cette tendance consiste à chasser hors du
champ de la conscience ce que pourtant l’on connaît mais qui, tel le désir oedipien (le désir
pour le parent du sexe opposé) par exemple, représente une pensée incompatible avec les
aspirations morales de l’individu et l’image de lui-même qu’il a intériorisée dès l’enfance.
C’est à proprement parler ce que Freud appelle « refoulement ». L’inconscient psychique en
serait la cause.
Puisque le psychisme est double – par conséquent conscient d’un côté, inconscient de l’autre
–, il connaît ce qu’il refoule. Cette « connaissance » se manifeste dans ce que Freud nomme
précisément « résistance », laquelle désigne une opposition intérieure active à la réintégration,
dans la conscience, des pensées refoulées.
B. Le scepticisme révèle l’inappétence de l’individu
Il convient ici de revenir sur la définition de la vérité : s’il existe une résistance inconsciente à
la vérité en effet, c’est que celle-ci n’est pas objective et absolue mais, subjectivement définie,