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RAPPEL DU SUJET
SUJET N°3 : EXPLIQUER LE TEXTE SUIVANT
Qu’est-ce qu’un jugement vrai ? Nous appelons vraie l’affirmation qui concorde avec la réalité. Mais en quoi peut
consister cette concordance ? Nous aimons à y voir quelque chose comme la ressemblance du portrait au modèle :
l’affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité. Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c’est seulement
dans des cas rares, exceptionnels, que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c’est tel ou tel
fait déterminé s’accomplissant en tel ou tel point de l’espace et du temps, c’est du singulier, c’est du changeant. Au
contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet. Prenons une
vérité aussi voisine que possible de l’expérience, celle-ci par exemple : « la chaleur dilate les corps ». De quoi
pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un certain sens, de copier la dilatation d’un corps déterminé à des
moments déterminés, en la photographiant dans ses diverses phases. Même, par métaphore, je puis encore dire
que l’affirmation « cette barre de fer se dilate » est la copie de ce qui se passe quand j’assiste à la dilatation de la
barre de fer. Mais une vérité qui s’applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux que j’ai
vus, ne copie rien, ne reproduit rien.
BERGSON, La pensée et le mouvant, 1934.
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
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LE CORRIGÉ
SUJET N°3 : TEXTE DE BERGSON
Présentation du texte
Ce texte est à mettre en rapport avec la notion du programme la vérité dans le chapitre La raison et le réel. Il est
question plus particulièrement de la vérité empirique ou expérimentale. La difficulté principale de ce texte est que son
argumentation est basée sur une réflexion sur le rapport entre la réalité et le langage, cette dernière notion n'étant
malheureusement pas au programme des séries S.
L'idée principale
C'est une critique de la définition classique de la vérité comme concordance de l'esprit et du réel, de l'intelligence qui
conçoit et énonce avec l'objet dans la réalité. La vérité est donc une propriété du langage, non du réel. La question
est de savoir comment comprendre cette notion de "concordance".
L'"affirmation vraie" serait-elle une "copie" du réel, la vérité étant alors conçue comme un simple reflet mental de la
réalité, ou le terme "copie" doit-il être compris au mieux comme une métaphore, la vérité étant alors le produit d'une
construction conceptuelle et linguistique de l'esprit humain ?
La thèse du texte est facilement repérable à la fin : "une vérité qui s'applique à tous les corps, sans concerner
spécialement aucun de ceux que j'ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien ". Alors que le réel est toujours "singulier" et
"changeant", les vérités que nous énonçons sont toujours "générales et impliquent une certaine stabilité". Dans son
effort de connaissance rationnelle du réel, l'intelligence humaine opère des abstractions où la texture sensible de la
réalité concrète singulière et changeante est perdue. Si bien que la vérité ne peut être comprise comme un simple
calque du réel.
La structure argumentative, les notions et concepts clés du texte
Les premières lignes du texte posent le problème en rappelant la définition classique de la vérité comme accord de la
pensée et du réel. L’expression « Réfléchissons-y cependant » annonce clairement une réflexion critique de cette
définition qui distingue « ce qui est réel » et la manière dont nous en parlons. Un exemple vient ensuite éclairer cette
distinction afin de préciser l’idée principale.
Les concepts les plus importants du texte sont la vérité et la réalité, qu’il fallait commencer par distinguer clairement
pour comprendre dans quel sens il fallait interpréter cette notion de concordance (en effet la réalité n'est ni vraie ni
fausse, elle est, tout simplement). Cette concordance peut-elle être comprise comme un synonyme de « copie » (le mot
revient quatre fois), la vérité n’étant alors qu’une simple retranscription neutre dans le langage de « ce qui se passe
réellement » dans les faits ?
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Il fallait être aussi attentif aux concepts et expressions qui relèvent du langage ou du discours (« affirmation » revient
trois fois, « en un certain sens », « par métaphore »). Ils permettent à Bergson de distinguer les processus réels et
la manière dont nous en parlons , même lorsque nous énonçons « une vérité aussi voisine que possible de
l’expérience ».
En ce sens, l’analyse de l’exemple est éclairante. La dilatation d’un corps est un processus complexe qui passe par des
phases continues dont même la photographie ne peut rendre compte qu’en le figeant en phases successives à des
moments déterminés, et c’est « en un certain sens » très limité que le dispositif technique lui-même de la photographie
peut être compris comme une simple « copie ».
Ce qui est vrai de la photographie est encore plus vrai de nos énoncés verbaux, même dans les jugements qui portent
sur des objets singuliers : l’affirmation « cette barre de fer se dilate » ne peut être comprise comme une « copie »
du processus réel que de manière métaphorique, c’est à dire imagée. Que dire alors de l’énoncé d’une loi générale, qui
porte sur tous les corps, sans en concerner réellement aucun ?
Ce n’est pas qu’elle contredise l’expérience, bien au contraire. C’est que parler c’est parler par concepts, c’est-à-dire par
généralités.
Pour comprendre le réel et agir sur lui, l’intelligence humaine opère des abstractions. Elle déploie un réseau de
concepts qui permet d’appréhender le réel au sens théorique et de le manipuler au sens pratique, car les concepts qui
se déposent dans les mots du langage sont en rapport avec nos besoins.
Ainsi la connaissance rationnelle du réel est le produit d’une construction mentale et linguistique qui opère une
abstraction et une spatialisation des processus concrets et temporels du réel.
Quelques pistes de réflexion
Quel est l’enjeu d’une telle réflexion critique de la définition classique de la vérité ? En écartant l’interprétation de la
notion de concordance comme synonyme de copie, l’auteur remet en question toute une tradition philosophique issue
du platonisme qui conçoit la vérité comme un reflet mental de la réalité, envisage l’intelligible comme la vérité du
sensible, et prétend à une connaissance absolue.
Bergson ouvre la voie à une conception plus pragmatique de la connaissance rationnelle. Dans une certaine continuité
avec la pensée de Kant, il montre l’aspect relatif de la vérité objective, le réel se réglant pour ainsi dire sur nos facultés
de connaître et sur les concepts que nous forgeons pour le comprendre. On peut y voir aussi une réhabilitation de la
réalité sensible et un appel à une appréhension plus intuitive de celle-ci, qui en restituerait la temporalité concrète.
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