Texte de Descartes, Règles pour la direction de l`esprit

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RAPPEL DU SUJET
SUJET 3 : Explication de texte
Expliquer le texte suivant :
On voit clairement pourquoi l'arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences :
c'est que seules elles traitent d'un objet assez pur et simple pour n'admettre absolument rien que l'expérience ait rendu
incertain, et qu'elles consistent tout entières en une suite de conséquences déduites par raisonnement. Elles sont donc
les plus faciles et les plus claires de toutes, et leur objet est tel que nous le désirons, puisque, sauf par inattention, il
semble impossible à l'homme d'y commettre des erreurs. Et cependant il ne faut pas s'étonner si spontanément
beaucoup d'esprits s'appliquent plutôt à d'autres études ou à la philosophie : cela vient, en effet, de ce que chacun se
donne plus hardiment la liberté d'affirmer des choses par divination dans une question obscure que dans une question
évidente, et qu'il est bien plus facile de faire des conjectures sur une question quelconque que de parvenir à la vérité
même sur une question, si facile qu'elle soit.
De tout cela on doit conclure, non pas, en vérité, qu'il ne faut apprendre que l'arithmétique et la géométrie, mais
seulement que ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s'occuper d'aucun objet, dont ils ne puissent
avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie.
DESCARTES, Règles pour la direction de l'esprit, 1628.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
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LE CORRIGÉ
I/ Présentation du texte
Ce texte de Descartes est extrait des Règles pour la direction de l'esprit, un ouvrage de 1628. Descartes y traite de
mathématiques et de géométrie. Le sujet n'étonnera guère les candidats de la filière scientifique qui chaque année
doivent s'attendre à composer directement ou indirectement sur la connaissance, la vérité ou la science.
S'il n'y a pas de surprise sur le sujet, il y a toutefois une difficulté du texte : les candidats scientifiques connaissent les
mathématiques et la géométrie essentiellement à travers les opérations qu'ils ont l'habitude de faire, ils sont moins
habitués à réfléchir sur le type de connaissance et de certitude qu'elles procurent. Au-delà de la certitude de ces deux
sciences, ce qui est en jeu, dans le dernier paragraphe du texte, c'est la valeur des mathématiques pour toutes les
autres connaissances, ce qui constitue une ouverture supplémentaire à ne pas négliger.
II/ L'idée principale du texte
Le texte porte précisément sur la certitude des mathématiques et de la géométrie comparée à celle procurée par les
autres sciences ou les autres connaissances, comme la philosophie.
Cette supériorité ne condamne pas l'esprit à s'enfermer dans les mathématiques au détriment des autres
connaissances, elle doit bien plutôt servir de modèle à l'esprit dans sa recherche de toute vérité. Ainsi les autres
connaissances qui, par définition, ont un moindre degré de certitude que les mathématiques peuvent augmenter leur
certitude par le biais de cette méthode.
III/ Les notions et concepts-clés du texte
Il fallait donner sens aux notions clés. Par exemple en définissant la notion de certitude comme une connaissance
objective fondée sur des preuves. Démontrer, un mot qu'on rencontre souvent en mathématiques signifie justement
montrer avec des preuves.
Un autre mot que les candidats ont rencontré en cours et dont ils pouvaient se servir ici est celui d'apodictique. Il
désigne une vérité nécessaire et universelle, ce qui est le cas des vérités de type mathématique.
Il fallait ensuite définir la nature de ces deux sciences que sont les mathématiques et la géométrie, sciences du nombre
et de la figure.
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Il fallait souligner leur caractère hypothético-déductif.
Si l'on prend la géométrie d'Euclide, telle qu'elle est exposée dans les Eléments, on voit qu'Euclide commence par
poser des définitions, comme celle du point, de la ligne, du cercle. Il pose ensuite des axiomes, c'est-à-dire des vérités
d'évidence (comme "Le tout est plus grand que la partie", ou bien "Deux grandeurs égales à une troisième sont égales
entre elles"), enfin il pose des postulats, qui sont des demandes dont la démonstration sera donnée plus tard dans son
livre.
Cet ensemble constitue les hypothèses (en grec, hypo-thémi signifie je pose dessous) qu'on appelle aussi des
prémisses ou les points de départ du raisonnement.
A partir de ces hypothèses, les mathématiques et géométrie procèdent par déduction : la déduction étant une
opération qui consiste à tirer une proposition à partir d'une autre proposition selon les règles du système dans lequel on
opère.
Un exemple simple : dans le système des nombres, l'opération de l'addition est matérialisée par un symboles, qui est,
comme le dit Gaston Granger, "un mode d'emploi dans un système formel". Devant le symbole +, je sais qu'elle
opération je dois faire, je connais les propriétés de cette opération, et l'erreur ne peut venir que de l'inattention.
Il fallait peut-être, signe d'intelligence du texte, remarquer l'emploi de la métaphore "le droit chemin de la vérité". Chemin
en grec se dit odos, et c'est la racine qu'on retrouve dans méthode : autrement dit, Descartes souligne la valeur des
mathématiques comme méthode pour trouver la vérité.
On pouvait à ce propos se souvenir qu'il sera l'auteur, une dizaine d'années plus tard, du Discours de la méthode, pour
bien conduire sa raison et rechercher la vérité dans les sciences.
Il était aussi utile de donner sens au terme de divination qui est le mode de connaissance que Descartes oppose à la
déduction. La divination est l'art de deviner, de découvrir ce qui est ignoré ou caché en sortant des voies ordinaires de
la connaissance par le recours à des procédés occultes, à des pratiques magiques. Cette pratique s'oppose à la
méthode des mathématiques : les règles de ses découvertes sont inconnues et la vérité de la divination dépend
seulement de l'autorité de celui qui la prononce. La connaissance par divination s'oppose donc à la connaissance
rationnelle car ses règles demeurent inconnues et ne sont pas partageables.
IV/ La structure du texte
* Dans les sept premières lignes, Descartes dresse un constat, celui de la certitude liée aux mathématiques et à la
géométrie et en donne les causes.
Cette certitude tient à la pureté et à la simplicité de leur objet. En effet, nombre et figure sont des objets engendrés
par l'esprit humain. Ainsi les définitions en géométrie sont-elles dites "génétiques" car il suffit de les appliquer pour
engendrer l'objet qui leur correspond. Par exemple quand je définis le cercle comme la figure dont tous les points
sont à égale distance d'un seul, il suffit que je trace un point dans un plan, à partir de là je peux tracer tous les
points équidistants et engendrer ainsi un cercle.
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Seconde caractéristique qui fonde les certitudes des mathématiques et de la géométrie, toutes deux "consistent
tout entières en une suite de conséquences déduites par raisonnement" (cf. définitions des notions-clés). Ailleurs
Descartes parle aussi de "chaînes de raisons". La raison définissant le "principe d'une conséquence valable", et
l'image de la chaîne indiquant que ces raisons tiennent solidement les unes aux autres et ne peuvent donc pas
être brisées. Cela s'oppose à l'incertitude de l'expérience qui est toujours incertaine et fluctuante.
A propos de l'incertitude de l'expérience opposée à la certitude des raisonnements, on pouvait faire appel à la
critique platonicienne des connaissances sensibles, toujours fluentes, labiles, et à chaque instant différentes
(image des ombres au fond de la Caverne, dans la célèbre Allégorie du livre VII de la République).
* Les lignes 7 à 13 soulèvent un paradoxe : pourquoi donc, après ce que Descartes vient de dire, l'esprit humain
choisit-il d'autres objets et d'autres méthodes que celles qui peuvent lui apporter une certitude entière et qu'il
connaît parfaitement ? La réponse est la hardiesse, la liberté, la facilité (tous ces mots sont dans le texte). On voit
bien que l'esprit humain préfère la liberté à la rigueur, la hardiesse à la sécurité de raisonnements éprouvés et
certains, et finalement la facilité de dire ce qui relève de sa fantaisie plutôt que la difficulté de raisonner selon des
règles partagées par tous. Il y a donc là une critique sous-jacente de certains discours qui prétendent à la vérité
sans se donner les moyens de l'obtenir parce qu'ils raisonnent mal et sans règles.
* Enfin, les cinq dernières lignes concluent en mettant en avant les mathématiques et la géométrie non pas comme
les seules sciences dignes d'être étudiées pour leur degré incomparable de certitude, mais comme modèles de
tous les raisonnements qui prétendent à la vérité.
V/ Quelques pistes de développement de l'intérêt philosophique.
* Descartes s'est appliqué à lui-même le modèle de raisonnement et de pensée qu'il préconise. Dans le
Discours de la méthode, il énonce des règles de sa méthode philosophique en s'inspirant des mathématiques. Il y
en a quatre : la règle de l'évidence (« Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse
évidemment être telle ») ; la règle de la division (« Diviser chacun des problèmes en autant de partie qu'il est
nécessaire pour les mieux résoudre ») ; la règle de l'ordre (« Conduire par ordre ses pensées en partant des objets
les plus simples, pour monter peu à peu jusqu'à la connaissance des plus composés ») ; enfin la règle des
dénombrements (« Faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse certain de
ne rien omettre »).
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Ces règles ont toutes pour but de permettre la recherche méthodique de la vérité et l'établissement d'une vérité
absolument indubitable. Ce sera le cas avec le Cogito ergo sum, « Je pense, donc je suis », qui constitue la
première vérité de la philosophie cartésienne, et la base sur laquelle Descartes fondera toute la connaissance
humaine grâce aux critère de clarté et de distinction dont on peut dire qu'ils sont eux-mêmes dérivés du type de
certitude produit par les mathématiques.
* On pouvait insister sur le fait que les mathématiques ont été au cœur de la révolution scientifique du XVIIe siècle,
avec notamment l'œuvre de Galilée qui a formulé les premiers éléments de la physique moderne en appliquant les
mathématiques au réel par la quantification des phénomènes et le développement d'un type d'explication
fonctionnelle sous la forme d'un rapport constant entre des phénomènes quantifiés. Il en a donné la clé dans une
formule célèbre en disant que le grand livre de l'univers était écrit en langage mathématique : « Cet immense livre
qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l'univers, (...) on ne peut le comprendre si l'on ne
s'applique d'abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit
dans la langue mathématique. » (L'Essayeur, 1623).
A noter que cet idéal de mathématisation, toutes les sciences ont essayé de l'intégrer, y compris dans la période
moderne les sciences humaines, comme la sociologie. Elles y sont parvenues à des degrés divers. Seule la
physique a atteint dans ce domaine un degré de certitude comparable à celui des mathématiques.
* L'idéal de connaissance mathématique a été partagé au XVIIe siècle par d'autres philosophes. Leibniz avait ainsi
pensé élargir encore le domaine d'application des mathématiques en mettant au point une méthode susceptible de
résoudre tous les problèmes qui pouvaient se poser à l'homme. Cette Caractéristique universelle se serait appuyée
sur un Alphabet général de la pensée humaine, Alphabet qui aurait recensé toutes les idées simples à la base des
idées complexes. Ce recensement fait, les signes de cet Alphabet universel devaient permettre de composer les
idées à la façon dont les lettres composent les phrases. A partir de là, la déduction de toutes les vérités serait
devenue une simple affaire de calcul. « Il ne sera plus besoin entre deux philosophes de discussions plus longues
qu'entre deux mathématiciens, puisqu'il suffira qu'ils saisissent leur plume, qu'ils s'asseyent à leur table de calcul
(en faisant appel, s'ils le souhaitent, à un ami) et qu'ils se disent l'un à l'autre : “Calculons!” ».
* Finalement on pouvait souligner que si toute recherche de la vérité ne peut se passer de modèle, et que ce
modèle est parfaitement symbolisé par les procédures mathématiques et la certitude qu'elles procurent, tout le
domaine de l'expérience ne saurait y être réduit, et il faut compléter ce modèle par d'autres procédures, comme
celle de l'accord intersubjectif mis en œuvre par exemple par Socrate en philosophie. On encore, le rapport entre
hypothèse et vérification dans les sciences expérimentales qui procèdent pour partie de la raison mais ont besoin
de confronter leurs raisons à la réalité qu'elles décrivent.
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