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possible conception de l’égalité et de la fraternité, par la croyance dans le
progrès de l’humanité et son accès à la raison universelle. L’ex-culturation
actuelle du christianisme réalise son œuvre dans un autre sens.14Ainsi, nous
pouvons observer depuis 50 ans, plusieurs ruptures dans les conceptions
anthropologiques qui habitent la culture occidentale.
Une rupture philosophique : A l’heure même où l’Eglise catholique
reconnaissait des valeurs humaines positives et se rapprochait de tous les
hommes de bonne volonté, (GS) la philosophie opérait une entreprise de
déconstruction radicale des présupposés du sujet moderne mettant à mal
l’humanisme15 que l’Eglise pensait rejoindre dans sa quête d’ouverture au
monde.16
Une rupture anthropologique : Si le déconstructivisme ne toucha d’abord
qu’une élite intellectuelle et artistique,17 les penseurs comme Foucault et Derrida
restent les références d’un mouvement profond de remise en cause de
l’humanisme qui dépasse largement le strict domaine de la philosophie pour
pénétrer toutes les disciplines attenantes à l’anthropologie. Cela créée
aujourd’hui un éclatement complet du consensus humaniste et ouvre une
véritable crise anthropologique que nous n’avons pas fini de devoir comprendre,
évaluer et affronter. Si de nombreux observateurs ont parfaitement montré
poche, 2004, p.23. Luc Ferry développe les mêmes idées dans L’homme-Dieu ou le sens de la vie, essai, Grasset,
1996. Aussi, J.-F. Mattéi, « Le christianisme comme religion de la sortie du monde séculier », dans
Transversalités, n°123, juillet-septembre 2012, p.83-92.
13 Charles Taylor, Les sources du moi, La formation de l’identité moderne, coll. La couleur des idées, Seuil,
Paris, 1989.
14 Il ne faut évidemment pas oublier les expériences politiques extrêmes de la négation de l’homme au XXè
siècle, (Stalinisme, Nazisme, Pol Pot…)
15 La fin de l’ouvrage de Foucault, Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, ouvre une
brèche dans le consensus humaniste : « L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre
aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine. Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont
apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne
connaissons pour l’instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du
XVIIIè siècle le sol de la pensée classique, - alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la
limite de la mer un visage de sable. », coll. Bibliothèque des sciences humaines, nrf, Gallimard, Paris, 1966,
p.398.
16 Le mouvement de déconstruction philosophique de l’humanisme a été anticipé par les artistes, cf François
Chevallier, La société du mépris de soi, de l’urinoir de Duchamp aux suicidés de France télécom,
Gallimard,2010. Bruno Pelletier, La crise catholique, religion, société, politique en France (1965-1978), Petite
bibliothèque Payot, Paris, 2002, chap. 1.
17 François Chevallier, dans son essai, La société du mépris de soi… op.cit., avance la thèse suivante qui n’est
pas sans argument ; une part des mouvements artistiques du XXè fut une anticipation d’une évolution vers la
post-modernité et le mépris du sujet moderne. « Comme si le nouvel art annonçait en réalité un nouvel homme
dont Duchamp était le prototype et dont la caractéristique principale semblait bien le désir de faire table rase de
lui-même. De se débarrasser de soi. A cet égard on n’a pas assez remarqué ce fait troublant qu’au début du XXè
siècle le dadaïste Raoul Hausmann fait sa tête mécanique « pour prouver que la conscience est inutile », au
moment où John Broadus Watson, inventeur du Béhaviorisme, affirme que le fonctionnement de l’homme par
stimulus et réaction « rend inutile » le rôle de la conscience. » p.16-17 aussi, « avec l’intervention du hasard dans
les œuvres (dripping, pliages, accumulations, art cinétique, Land art, emballages, etc.) la désubjectivation battait
son plein sans que le mot puisse être encore prononcé. » p.67. Nathalie Heinich défend un point de vue assez
proche, en parlant « d’incivilités artistiques », « Incivilité du regard ou éthique de la transparence », dans
Malaise dans la civilité, Claude Habib, Philippe Raymaud, (dir), coll. Tempus essai, Perrin, 2012, p.31.