Vers un projet pénitentiaire
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la société (programmes de formation, libération conditionnelle); le pouvoir est
partagé entre les éducateurs, les gardiens et les détenus (pouvoir tripolaire) .
Durant la quatrième phase, celle du pluralisme, la société investit le pénitencier.
Les rapports de pouvoir deviennent multipolaires (délinquants, agents
correctionnels, éducateurs, administrateurs, gouvernements, juges, médias de
masse, opinion publique). D'une phase à l'autre, le pouvoir devient de plus en
plus diffus et l'on assiste à une érosion de l'autorité des agents correctionnels.
L'évolution s'est faite de l'établissement coercitif à l'établissement normatif, sans
se réaliser dans un modèle achevé.
Dans un troisième temps, nous appliquons la typologie et les phases d'évolution
définies plus haut au système pénitentiaire canadien. L'étude des commissions
et des rapports d'enquête portant sur le milieu carcéral nous renseigne sur les
grandes lignes de force de l'évolution du système en cause. Plusieurs
commissions et rapports d'enquête ont marqué le régime correctionnel
canadien. Le Comité spécial pour l'adoption d'un système pénitentiaire efficace
de 1836 marque le passage de la révélation à l'entreposage. La Commission
Brown de 1849 annonce la phase de la rééducation. Mais il faudra attendre le
rapport Fauteux de 1956 pour qu'une véritable réforme soit entreprise
(programmes de réhabilitation, libération conditionnelle, etc.). En 1977, après
avoir dressé un constat d'échec, la Commission MacGuigan critique la réforme
et propose un retour à la discipline, sans toutefois remettre totalement en
question les acquis de la période précédente. À la fin des années 70 et au cours
des années 80, le mouvement pour la reconnaissance des droits de la
personne, dont fait partie le mouvement féministe, s'intensifie. Ce mouvement
aura des répercussions importantes sur le milieu carcéral canadien, tout
comme la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. La Mission du
Service correctionnel du Canada de 1988 met de l’avant une idéologie
d’intervention active et adopte un nouveau mode de fonctionnement, soit la
gestion par unité. En 1989, le Rapport du Groupe d'étude sur les femmes
purgeant une peine fédérale propose une nouvelle approche en matière de
services correctionnels pour femmes, basée sur la vie communautaire et le rôle
d'intervenant des agentes de correction. En 1996, le rapport Arbour prône lui
aussi un retour à la philosophie normative et vient confirmer le nouvel ordre
juridique fondé sur la primauté du droit et du respect de la personne. En fait,
vers la fin des années 1970, le système correctionnel canadien est entré dans sa
quatrième phase d'évolution, celle du pluralisme.