Prise en charge médicamenteuse de l`anxiété chez le patient

publicité
L’Encéphale (2011) 37, S83—S89
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MISE AU POINT
Prise en charge médicamenteuse de l’anxiété chez
le patient souffrant de schizophrénie
Pharmacological management of anxiety in patients suffering from
schizophrenia
F.-J. Baylé a, O. Blanc b, I. De Chazeron b, J. Lesturgeon c,
C. Lançon d, H. Caci e, R.-P. Garay f,∗, P.-M. Llorca b
a
Centre hospitalier Sainte-Anne, 75014 Paris, France
Service de psychiatrie, CHU de Clermont-Ferrand, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France
c
Centre médico-psychothérapique Sainte-Marie, 63000 Clermont-Ferrand, France
d
Service de psychiatrie, centre hospitalier Sainte-Marguerite, 13274 Marseille, France
e
Service de pédopsychiatrie, centre hospitalier Archet 2, 06202 Nice cedex 3, France
f
Inserm U999, hôpital Marie-Lannelongue, université Paris-Sud, 133, avenue de la Résistance, 92350 Le Plessis-Robinson, France
b
Reçu le 24 septembre 2009 ; accepté le 11 juin 2010
Disponible sur Internet le 12 octobre 2010
MOTS CLÉS
Anxiété ;
Schizophrénie ;
Traitement ;
Échelle
∗
Résumé L’anxiété est un symptôme fréquent et majeur de la schizophrénie. Elle est un
symptôme clinique dominant dans la phase prodromique [indice de progression vers la
« décompensation psychotique »] et accompagne souvent le premier épisode de schizophrénie.
Suite au premier épisode, l’anxiété et le stress associé sont des indicateurs de rechute. L’étude
de l’anxiété dans la schizophrénie a été abordée par deux approches distinctes : (i) approche
catégorielle (troubles anxieux comme des entités propres, en comorbidité avec la schizophrénie) et (ii) approche dimensionnelle (l’anxiété comme un symptôme majeur de la dimension
« dysphorie »). Aucun élément ne permet actuellement de dire s’il existe une différence
de nature ou d’intensité entre l’angoisse psychotique et l’angoisse névrotique. Néanmoins,
l’angoisse psychotique est souvent opposée à l’angoisse névrotique. Elle est intense, massive
et hermétique. À l’inverse de l’anxiété névrotique, elle est peu somatisée et s’accompagne d’un
retentissement psychomoteur particulier, agitation ou sidération, qui reste exceptionnel dans
les névroses. Il n’existe pas d’outil spécifiquement développé pour l’évaluation de l’anxiété
dans la schizophrénie. Récemment, nous avons élaboré une échelle spécifique d’hétéro évaluation (Échelle Anxiété Schizophrénie [échelle EAS]), échelle récemment validée et dont l’étude
Auteur correspondant. 46 bis, rue du Maréchal-Galliéni, 91360 Villemoisson-sur-Orge, France.
Adresse e-mail : [email protected] (R.-P. Garay).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2010.08.009
S84
F.-J. Baylé et al.
de sa sensibilité au changement est en cours. Il n’y pas d’approche spécifique pour la prise en
charge de l’anxiété chez le schizophrène dans les recommandations professionnelles. Parmi les
phénothiazines, la cyamémazine est couramment prescrite, en raison de sa puissante activité
anxiolytique et de sa tolérance neurologique. Certains auteurs ont préconisé un traitement
anxiolytique spécifique avec des benzodiazépines. Il faut, toutefois, contrebalancer ces avantages par les inconvénients potentiels tels le risque de dépendance, le risque de rebond et la
potentialisation de certains effets latéraux.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
KEYWORDS
Anxiety;
Schizophrenia;
Treatment;
Scale
Summary
Introduction. — Anxiety is a major and frequent symptom of schizophrenia, which is associated
with an increased risk of relapse, impaired functioning, lower quality of life and increased
incidence of suicide attempts. Despite its clinical relevance, anxiety in schizophrenia remains
poorly understood. In the prodromic phase, anxiety indicates a progression towards psychotic
decompensation. After a first episode, it is an indicator of relapse.
Literature findings. — Two approaches have been used to investigate anxiety in schizophrenia:
(i) categorical approach (comorbidity of schizophrenia and anxiety disorders) and (ii) dimensional approach (anxiety as a major symptom of the ‘‘dysphoric’’ dimension). Clinical categorical
studies reported an increased frequency of comorbidity between schizophrenia and obsessivecompulsive disorder, panic disorder, social phobia, post-traumatic stress disorder, generalized
anxiety disorder, agoraphobia, and specific phobia. The dimensional approach proposes that
five different factors contribute to the structure of the Positive and Negative Syndrome Scale
(PANSS), with anxiety as a major symptom of the ‘‘dysphoria’’ dimension. Concerning diagnosis,
it is unclear whether psychotic and neurotic anxiety differs in nature or intensity. Nevertheless,
both are frequently opposed.
Discussion. — Psychotic anxiety is intense, profound and hermetic. In contrast to neurotic
anxiety, it is associated with psychomotor disturbances, such as agitation and sideration. There
is no specific tool to evaluate anxiety in schizophrenia. The dimensional approach usually runs
an evaluation using items or factors extracted from the most widely-used scales, i.e. PANSS
or Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS) or from anxiety scales developed in non-schizophrenic
populations, such as the Hamilton Anxiety Scale (HAMA). Recently, we developed a specific scale
for hetero-evaluation (Échelle Anxiété Schizophrénie [EAS scale]). The EAS scale was recently
validated and the study of its sensitivity is ongoing.
Therapeutical issues. — Several studies have examined the effects of antipsychotics on the
anxious/depressive cluster extracted from the PANSS, and some other studies have specifically evaluated the effect of antipsychotics on depressive symptoms using the Montgomery and
Asberg Depression Rating Scale (MADRS) and Calgary Depression Scale for Schizophrenia (CDSS),
but to our knowledge, no study has reported the effect of antipsychotics or other treatment on
anxiety when using a schizophrenia-specific scale. There are no specific guideline treatments
for anxiety in schizophrenia. Among phenothiazines, cyamemazine is frequently prescribed in
France, because of its potent anxiolytic activity and good neurological tolerance. Some authors
have suggested a specific treatment with benzodiazepines. However, benzodiazepines should
be used with caution, due to undesirable actions such as dependence, rebound and potentiation
of certain lateral effects.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Introduction
L’anxiété est un symptôme majeur de la schizophrénie
[3,6,34]. Des études épidémiologiques ont montré une forte
prévalence, allant jusqu’à 60 % des cas [8,11,19,48]. Dans la
phase prodromique, l’anxiété et le retrait social sont parmi
les symptômes cliniques dominants [3,6,34]. Suite au premier épisode, l’anxiété et le stress associé sont considérés
comme des indicateurs prédictifs de la rechute dans la schizophrénie [4,6,32,34,37,39].
Nous proposons, dans cet article, une mise au point de
la prise en charge de l’anxiété chez le patient souffrant de
schizophrénie. Nous serons particulièrement attentifs aux
aspects spécifiques liés à son diagnostic et à son évaluation,
et nous essaierons de dégager les possibles développements
en termes de conduite à tenir.
Difficultés diagnostiques
Les troubles de la communication inhérents à la schizophrénie, comme la symptomatologie dissociative et délirante,
masquent souvent la présence des symptômes anxieux. Par
ailleurs, aucun élément ne permet actuellement de dire
s’il existe une différence de nature ou d’intensité entre
l’angoisse psychotique et l’angoisse névrotique [1,20].
Néanmoins, l’angoisse psychotique est souvent opposée à
l’angoisse névrotique. L’angoisse psychotique fait référence
à:
Anxiété et schizophrénie
• une approche psychopathologique complexe, où la symptomatologie schizophrénique pourrait être une réponse
anormale à des états d’angoisse extrême, de sorte qu’une
« méga-anxiété » constituerait le trouble de base du processus schizophrénique ;
• des arguments cliniques qui la distinguent de l’anxiété
névrotique ; Allilaire [1] évoque quatre éléments primordiaux qui lui confèrent son originalité clinique :
◦ elle est intense, massive et le plus souvent perçue
d’emblée par l’observateur comme une douleur intolérable,
◦ elle est hermétique, non-verbalisée ou bien mise en
mots avec imprécision, cette incommunicabilité contribuant peut-être à lui donner un aspect davantage
pathologique,
◦ elle a une traduction psychique prévalente ; à l’inverse
de l’anxiété névrotique, elle est peu somatisée, comporte peu de symptômes physiques et conduit à
peu d’élaborations hypochondriaques en dehors du
contexte délirant,
◦ elle s’accompagne d’un retentissement psychomoteur
particulier, à type d’agitation ou de sidération qui, à
l’inverse, reste exceptionnel dans les névroses.
L’existence de crises d’angoisse paroxystique n’est pas
rare chez le schizophrène. Cliniquement, ces attaques sont
proches de celles observées chez les sujets souffrant de
troubles psychotiques primaires.
Approche catégorielle versus approche
dimensionnelle
La nature et la spécificité de l’anxiété chez le schizophrène
sont discutées [1,6,15,16]. En effet, l’étude de l’anxiété
dans la schizophrénie a été abordée par deux approches
distinctes :
• approche catégorielle : études prenant en compte les
troubles anxieux comme des entités comorbides avec la
schizophrénie [15,16,28] ;
• approche dimensionnelle : études considérant l’anxiété
comme une dimension clinique pouvant pour certains
auteurs participer à la dimension « dysphorie » de la schizophrénie [29,33,47,49].
Approche catégorielle
L’angoisse a été traditionnellement considérée comme un
symptôme non-spécifique du trouble schizophrénique. De
nombreuses études se sont donc attachées à rechercher les
comorbidités entre la schizophrénie et les différentes catégories de troubles anxieux (pour revue de littérature, cf.
Braga et al., 2004 [16]). En 1996, une enquête conduite
aux États-Unis (National Comorbidity Survey) a estimé les
prévalences sur la vie entière des troubles anxieux chez les
patients souffrant de schizophrénie : phobie sociale (39,5 %),
phobie simple (30,8 %) et trouble panique (25,5 %) [31]. En
2004, une revue de la littérature, incluant 15 études [16],
suivie d’une étude détaillée sur 53 patients souffrant de
schizophrénie [15], a permis d’estimer les prévalences suivantes :
S85
•
•
•
•
•
•
•
schizophrénie
schizophrénie
schizophrénie
schizophrénie
schizophrénie
schizophrénie
schizophrénie
3,8 % ;
• schizophrénie
et phobie sociale : 17 % ;
et trouble obsessionnel compulsif : 15,1 % ;
et anxiété généralisée : 9,4 % ;
et trouble anxieux non-spécifié : 7,5 % ;
et trouble panique : 5,7 % ;
et phobie spécifique : 5,7 % ;
et trouble de stress post-traumatique :
et agoraphobie : 1,9 %.
La phobie sociale chez le schizophrène est associée à
une tendance au suicide, à l’abus de substance et à un
moindre fonctionnement social [10,28,36,41]. Les troubles
obsessionnels-compulsifs sont fréquents pendant le premier
épisode de schizophrénie [42], aggravent le pronostic et
entravent le fonctionnement social [16,28]. Les troubles
paniques sont souvent associés avec un comportement coléreux et une agressivité accrue et s’observent, dans la moitié
des cas, chez des patients présentant une schizophrénie
paranoïde [5,18,28].
Approche dimensionnelle
White et al. [49] ont été les premiers à proposer l’existence
de cinq facteurs séparés dans la structure de la Positive and
Negative Syndrome Scale (PANSS). D’autres auteurs [33,47]
ont confirmé cette structure et objectivé l’anxiété comme
symptôme majeur de la dimension « dysphorie » de la schizophrénie.
L’intensité de la symptomatologie anxieuse et/ou dépressive, évalué à la PANSS chez 177 patients schizophrènes,
s’est avérée corrélée avec les symptômes positifs (et non
avec les symptômes négatifs) ainsi qu’avec la réponse au
traitement [23]. Son intensité était aussi plus importante
lors du premier épisode [23]. Huppert et al. [29] ont observé
que l’anxiété et la dépression sont indépendamment corrélées avec la qualité de vie du schizophrène.
Importance dans la prise en charge de l’anxiété
chez le schizophrène
Les essais thérapeutiques destinés à évaluer l’efficacité des
psychotropes dans le traitement de l’anxiété chez le schizophrène ont utilisé les deux approches, catégorielle et
dimensionnelle. Ainsi, si les benzodiazépines ont été évaluées dans la dimension anxiété [24], d’autres auteurs ont
évalué l’efficacité des antidépresseurs dans le traitement
du trouble obsessionnel compulsif chez le schizophrène
[7,16,44]. Les résultats obtenus avec ces deux approches
sont donc décrits dans la section Traitement.
Aspects cliniques
Phase prodromique
La schizophrénie débute souvent de façon insidieuse, avec
des signes peu spécifiques [3,34]. Les premières manifestations de la maladie peuvent prendre la forme d’un accès
aigu ou d’une altération insidieuse des intérêts et des activités. Dans cette phase prodromique, l’anxiété et le retrait
S86
social sont les symptômes cliniques dominants à côté de
l’insomnie, des difficultés de concentration et de l’agitation
[3,6,34]. Les symptômes anxieux sont en général difficiles à
évaluer, susceptibles de recouvrir plusieurs registres d’allure
névrotique [6].
Premier épisode psychotique
Lors des expériences psychotiques primaires ou des bouffées
délirantes aiguës, les troubles émotionnels sont souvent au
premier plan : l’angoisse est intense et submerge le malade
[6].
Phase d’état
Suite au premier épisode, l’anxiété et le stress associé sont des indicateurs de rechute dans la schizophrénie
[4,6,32,37,39]. Dans les délires paranoïdes chroniques stabilisés de la phase d’état, l’angoisse est souvent plus
estompée [6]. L’altération sémantique du langage des
sujets schizophrènes gêne la communication des phénomènes subjectifs ressentis, d’où la notion d’angoisse
« incommunicable » [6,35].
Importance dans la prise en charge de l’anxiété
chez le schizophrène
L’anxiété chez le schizophrène est un facteur majeur
contribuant à une faible qualité de vie [15,27,29], à une
augmentation du risque de suicide [41] et à un fonctionnement social moindre [10], ce qui justifie une prise en
charge particulièrement attentive. Les recommandations
de pratique clinique le soulignent d’ailleurs, proposant des
traitements de l’anxiété pendant les crises psychotiques.
Ainsi, l’American Psychiatric Association (APA) conseille
l’administration des benzodiazépines pour réduire l’anxiété
et l’agitation liées aux crises psychotiques, mais met en
garde contre leur utilisation chronique, face au risque
d’abus et de dépendance [2].
Évaluation
Intérêt
Évaluer la dimension anxieuse chez les sujets souffrant de
schizophrénie présente au moins trois intérêts [13,25] :
• clinique : évaluer parmi les éléments prodromiques des
troubles schizophréniques l’importance des manifestations anxieuses ;
• psychopathologique : évaluer l’intrication avec la symptomatologie centrale de la schizophrénie ; confronter les
dimensions positive et négative à la dimension anxieuse,
ce qui pourrait rendre compte d’une étiopathogénie de
l’anxiété (par exemple, elle accompagne la dimension
positive) ;
• thérapeutique : mieux évaluer l’influence des thérapeutiques sur cette dimension, ce qui implique la
construction d’un instrument sensible au changement.
F.-J. Baylé et al.
Échelles d’évaluation
Dans la PANSS (outil de référence dans la mesure de la symptomatologie chez les patients souffrant de schizophrénie),
l’item anxiété fait partie de la dimension psychopathologie générale ; dans les analyses factorielles, cet item est
regroupé avec la dépression (facteur anxiété/dépression,
i.e. : dysphoria) [33,38,47,49].
La mesure dimensionnelle de l’angoisse psychotique
repose sur un instrument, la Psychotic Anxiety Scale (PAS)
[13]. Celui-ci a été élaboré dans un cadre théorique qui
suppose la nature spécifique de l’angoisse psychotique.
Lorsqu’elle est prise en compte, l’anxiété chez les sujets
souffrant de schizophrénie est mesurée par les instruments
habituellement utilisés pour évaluer cette dimension :
échelle d’Hamilton (HAMA), échelle de Tyrer. . .
Nous avons construit une échelle d’hétéro-évaluation
mesurant l’anxiété dans la schizophrénie (Échelle d’Anxiété
dans la Schizophrénie [échelle EAS]) (pour la méthodologie
de la construction [9]). Cet outil a pour but une évaluation de l’aspect dimensionnel de l’anxiété, dont la mesure
ne prenant pas en compte les aspects subjectifs ressentis
par le cotateur, permettrait d’avoir une meilleure fiabilité
inter-juge. L’échelle EAS a aussi pour objectif d’essayer
d’évaluer l’efficacité des thérapeutiques sur la dimension
anxieuse chez les patients schizophrènes, permettant ainsi
de mesurer la corrélation entre l’amélioration dimensionnelle de l’anxiété et le pronostic fonctionnel et de qualité
de vie chez ces patients. Le Tableau 1 montre l’échelle EAS
validée, avec 22 items et trois facteurs.
Traitement
Le traitement de l’anxiété chez le schizophrène est
empirique, du fait de l’absence d’études contrôlées et
d’échantillons suffisamment larges. Par ailleurs, il n’y pas
d’approche spécifique pour la prise en charge de l’anxiété
chez le schizophrène dans les recommandations professionnelles, bien que certains auteurs aient préconisé un
traitement anxiolytique spécifique, en association avec des
antipsychotiques, à l’image des antidépresseurs pour traiter les symptômes dépressifs [16,21]. Par ailleurs, certains
antipsychotiques ont montré une action significative sur
l’anxiété psychotique. Il convient donc de distinguer entre
prise en charge de l’anxiété dans le cadre d’une monothérapie et dans le cadre d’une coprescription.
Monothérapie avec un
antipsychotique-anxiolytique
Neuroleptiques classiques
Zuclopenthixol. L’acétate de zuclopenthixol est un neuroleptique d’action rapide et semi-prolongée (deux à trois
jours) communément utilisé pour démarrer le traitement
d’un épisode aigu de la maladie psychotique. Romain et
al. [45] ont évalué l’intérêt du zuclopenthixol, grâce à la
PAS, durant les neuf premiers jours d’hospitalisation de
46 patients psychotiques (dont 28 schizophrènes ; étude en
ouvert). Le score total de la PAS a diminué de 63 (anxiété
modérée à sévère) à 25 (absence d’anxiété) entre j0 et
Anxiété et schizophrénie
Tableau 1
S87
Échelle Anxiété Schizophrénie retenue après validation.
Facteur 1 : « Anxiété exprimée et perçue »
Item
Échelle d’origine
Contenu
1
2
3
4
5
6
9
15
16
23
HAM-A 1, AMDP 1
HAM-A 2
HAM-A 3
AMDP 3
TYRER 1
AMDP 16
HAM-A 7, Tyrer 10
HAM-A 14
HAM-A 14
CPRS 10
Crainte indéfinie
Tension intérieure
Peurs circonscrites
Anticipation anxieuse
Anxiété paroxystique
Perplexité anxieuse
Tension musculaire
Comportements anxieux observables
Symptômes physiques observables
Pensées obsédantes
Facteur 2 : « Plaintes somatiques »
10
11
12
13
14
17
20
HAM-A 8
HAM-A 9
HAM-A 10
HAM-A 11
HAM-A 13, Tyrer 7 & 9
Tyrer 8
Tyrer 3
Symptômes cénesthésiques
Symptômes cardiovasculaires
Symptômes respiratoires
Troubles digestifs
Manifestations neurovégétatives
Plaintes douloureuses
Hypochondrie
Facteur 3 : « Présence de l’anxieux au Monde »
22
25
26
27
28
CPRS 13
Tyrer 4, AMDP 5
Tyrer 5, AMDP 4
AMDP 6
CPRS 27
Indécision
Phobies
Préoccupations pour des faits ordinaires de la vie quotidienne
Anxiété en situation sociale
Déréalisation
AMDP : association for methodology and documentation in psychiatry ; CPRS : Comprehensive Psychopathological Rating Scale.
j9 et la réduction était statistiquement significative dès la
24e heure après la première injection.
Antipsychotiques de seconde génération
Rispéridone. Blin et al. [12] ont évalué l’intérêt de la rispéridone (vs halopéridol et methotrimeprazine) à la dose
moyenne de 7,6 mg/j dans le traitement des manifestations
anxieuses dans une population de 62 patients schizophrènes
en phase aiguë (quatre semaines de traitement). Le score
total de la PAS a diminué plus significativement chez les
patients traités avec rispéridone, qu’avec halopéridol ou
methotrimeprazine.
Il est important de mentionner qu’une étude rétrospective randomisée japonaise a récemment montré que la
rispéridone est parfois capable d’exacerber la symptomatologie anxieuse lors du premier épisode [46]. Ainsi, 17 des
32 patients répondant à la rispéridone par une diminution du
score Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS), ont vu la dimension anxieuse de cette échelle augmenter de deux points ou
plus, après rémission des symptômes positifs.
Quétiapine. L’analyse détaillée des différents symptômes
lors de trois essais cliniques de quétiapine versus placebo
chez le schizophrène, a montré une amélioration significative de l’anxiété sous quétiapine [17]. Kasper [30] a
récemment comparé l’efficacité de la quétiapine dans le
traitement de l’anxiété et la dépression dans le court (six
semaines, double insu) et long terme (156 semaines, étude
en ouvert). L’efficacité de la quétiapine à six et 156 semaines
a été similaire.
Olanzapine. Dossenbach et al. [22] ont conduit une
étude comparative de l’olanzapine versus la fluphénazine
chez 60 patients schizophrènes, lors des crises psychotiques. L’olanzapine (5—20 mg/jour) et la fluphénazine
(6—21 mg/jour) ont été administrées pendant six semaines
et l’anxiété a été évaluée avec l’échelle HAMA. L’olanzapine
s’est avérée significativement supérieure à la fluphénazine
pour réduire l’anxiété [22].
Coprescription d’un anxiolytique avec un
antipsychotique
Benzodiazépines
Les essais cliniques concernant la classe des benzodiazépines chez le malade souffrant de schizophrénie ont
été analysés et commentés par Gaillard et al. [24]. Ces
essais cliniques ont mis en évidence l’utilité que peuvent
avoir les benzodiazépines chez le schizophrène : diminution de l’anxiété, amélioration du sommeil, sédation
de l’agitation et leur utilité dans certains états catatoniques [24]. Mais c’est surtout l’intérêt de l’association
benzodiazépine-antipsychotique qui a été souligné [24].
Cette association a au moins un triple intérêt : diminuer
S88
la posologie des antipsychotiques, diminuer certains effets
indésirables (essentiellement neurologiques et, en particulier, l’akathisie) et contribuer à nouer une bonne relation
médecin-malade, garant d’une bonne observance thérapeutique. Il faut, toutefois, contrebalancer ces avantages par
les inconvénients potentiels tel le risque de dépendance,
le risque de rebond et la potentialisation de certains effets
latéraux.
Cyamémazine
Les enquêtes pharmacoépidémiologiques montrent que la
cyamémazine est la phénotiazine la plus utilisée en France
[26]. Elle est couramment prescrite en association avec
d’autres antipsychotiques, en raison de sa puissante activité
anxiolytique et de son effet cliniquement non-additif sur le
risque neurologique lié à la prescription d’antipsychotique
[14,40,43].
La bonne tolérance de la cyamémazine a consacré son
usage en France dans le traitement de l’anxiété sévère en
général, notamment chez des patients non-psychotiques,
surtout quand cette dernière est peu accessible à l’effet
des benzodiazépines. Lorsque des doses plus importantes
sont nécessaires (50—300 mg/j répartis en deux ou trois
prises), notamment chez des patients psychotiques ou en
cas d’anxiété aiguë, la cyamémazine s’avère peu inductrice
d’effets extrapyramidaux. Des études neuropharmacologiques récentes chez l’animal et des mesures effectuées en
imagerie chez l’homme ont montré une affinité de la cyamémazine plus forte pour les récepteurs sérotoninergiques
5HT2A que pour ceux dopaminergiques D2 [40]. Ce profil
réceptoriel semble expliquer la faible incidence des effets
extrapyramidaux induits par la cyamémazine. Sa forte fixation sur les récepteurs 5HT2 pourrait, par ailleurs, participer
à son activité anxiolytique.
Coprescription d’un antidépresseur avec un
antipsychotique
Des études pilotes ont montré que certains patients schizophrènes peuvent bénéficier de la coprescription d’un
antipsychotique avec un inhibiteur du recaptage de la sérotonine (IRS) [16]. Comme évoqué précédemment, ce type
d’approche a une fonction de prise en charge des troubles
anxieux dans une perspective catégorielle. Les auteurs se
sont plus particulièrement intéressés à la symptomatologie obsessionnelle compulsive chez ces patients. Berman
et al. [7] ont conduit une petite étude en double insu de
clomipramine ou placebo (ajoutés aux médicaments psychotropes) chez six patients schizophrènes présentant des
troubles obsessionnels compulsifs. La clomipramine s’est
avérée significativement supérieure au placebo pour réduire
les symptômes obsessionnels compulsifs [7]. Des résultats
similaires ont été obtenus par Reznik et Sirota [44] dans une
étude randomisée de fluvoxamine ajoutée ou non aux antipsychotiques, chez 30 patients schizophrènes présentant des
troubles obsessionnels compulsifs.
Conclusions
L’anxiété est un symptôme majeur de la phase prodromique
de la schizophrénie, comme des expériences psychotiques
F.-J. Baylé et al.
primaires ou des bouffées délirantes aiguës. Dans la phase
chronique, l’anxiété et le stress associé sont des indicateurs
de rechute dans la schizophrénie.
L’évaluation de la symptomatologie anxieuse chez le
schizophrène présente au moins trois intérêts (clinique, psychopathologique et thérapeutique). Or, en dépit de son
importance, il n’existe pas d’outil spécifiquement développé pour l’évaluation de l’anxiété dans la schizophrénie.
Nous avons donc élaboré une échelle d’hétéro évaluation
mesurant l’anxiété dans la schizophrénie (échelle EAS).
L’échelle EAS a été récemment validée et l’étude de sa
sensibilité au changement est en cours.
Le traitement de l’anxiété chez le schizophrène est empirique. En France, parmi les phénothiazines, la cyamémazine
est couramment prescrite, en raison de sa puissante activité anxiolytique et de sa tolérance neurologique. Certains
auteurs ont préconisé un traitement anxiolytique spécifique
avec des benzodiazépines. Il faut, toutefois, contrebalancer
ces avantages par les inconvénients potentiels tels le risque
de dépendance, le risque de rebond et la potentialisation
de certains effets latéraux. Quant aux antipsychotiques de
seconde génération, leur efficacité a été soulignée lors de
certaines études, bien que l’expérience clinique soit encore
insuffisante pour se prononcer définitivement.
L’ensemble de ces éléments illustre la nécessité pour
le psychiatre de disposer d’outils d’évaluation simples et
spécifiques de l’anxiété chez les sujets atteints de schizophrénie, ainsi que des essais cliniques bien contrôlés,
permettant d’élaborer des recommandations pour sa prise
en charge.
Conflit d’intérêt
Aucun.
Références
[1] Allilaire JF. Angoisse psychotique et angoisse névrotique. Différence qualitative ou différence quantitative ? L’Encéphale
1983;9(Suppl. 2):211B—6B.
[2] APA. American Psychiatric Association. Practice guideline for
the treatment of patients with schizophrenia, 2nd edition.
www.apa.org; 2004.
[3] Bailly D, Viellard M, Duverger H, et al. Un diagnostic
méconnu : la schizophrénie chez l’enfant. Ann Med Psychol
2003;161:652—9.
[4] Barnes TRE. Pharmacological strategies for relapse prevention
in schizophrenia. Psychiatry 2004;3:37—40.
[5] Baylé FJ, Krebs MO, Epelbaum C, et al. Clinical features of
panic attacks in schizophrenia. Eur Psychiatry 2001;16:349—53.
[6] Baylé FJ, Llorca PM, Olié JP, et al. Anxiété et schizophrénie :
situation actuelle. Ann Med Psychol 2000;158:741—9.
[7] Berman I, Sapers BL, Chang HH, et al. Treatment of
obsessive-compulsive symptoms in schizophrenic patients with
clomipramine. J Clin Psychopharmacol 1995;15:206—10.
[8] Bermanzohn PC, Porto L, Arlow PB, et al. At issue: hierarchical diagnosis in chronic schizophrenia: a clinical study of
co-occurring syndromes. Schizophr Bull 2000;26:517—25.
[9] Blanc O. Validation of a new anxiety scale in schizophrenia (EAS
scale). Schizophr Res 2008;102:224—1224.
[10] Blanchard JJ, Muser KT, Bellack AS. Anhedonia, positive and
negative affect and social functioning in schizophrenia. Schizophr Bull 1998;24:413—24.
Anxiété et schizophrénie
[11] Bland RC, Newman SC, Orn H. Schizophrenia: lifetime
comorbidity in a community sample. Acta Psychiatr Scand
1987;75:383—91.
[12] Blin O, Azorin JM, Bouhours P. Antipsychotic and anxiolytic
properties of risperidone, haloperidol, and methotrimeprazine in schizophrenic patients. J Clin Psychopharmacol
1996;16:38—44.
[13] Blin O, Azorin JM, Lecrubier Y, et al. Psychotic Anxiety
Scale (PAS) : évaluation de la fidélité intercotateurs et analyse factorielle des correspondances. L’Encéphale 1989;15:
543—7.
[14] Bourin M, Dailly E, Hascöet M. Preclinical and clinical pharmacology of cyamemazine: anxiolytic effects and prevention of
alcohol and benzodiazepine withdrawal syndrome. CNS Drug
Rev 2004;10:219—29.
[15] Braga RJ, Mendlowicz MV, Marrocos RP, et al. Anxiety
disorders in outpatients with schizophrenia: prevalence and
impact on the subjective quality of life. J Psychiatric Res
2005;39:409—14.
[16] Braga RJ, Petrides G, Figueira I. Anxiety disorders in schizophrenia. Comp Psychiatry 2004;45:460—8.
[17] Buckley PF. Efficacy of quetiapine for the treatment of schizophrenia: a combined analysis of three placebo-controlled
trials. Curr Med Res Opinion 2004;20:1357—63.
[18] Chen CY, Liu CY, Yang YY. Correlation of panic attacks and
hostility in chronic schizophrenia. Psychiatry Clin Neurosci
2001;55:383—7.
[19] Cosoff SJ, Hafner RJ. The prevalence of comorbid anxiety in
schizophrenia, schizoaffective disorder and bipolar disorder.
Aust N Z J Psychiatry 1998;32:67—72.
[20] Cutler JL, Siris SG. ‘‘Panic-like’’ symptomatology in schizophrenic and schizoaffective patients with post-psychotic
depression: observations and implications. Comp Psychiatry
1991;32:465—73.
[21] Davis LW, Strasburger AM, Brown LF. Mindfulness: an intervention for anxiety in schizophrenia. J Psychosoc Nurs Ment Health
Serv 2007;45:23—9.
[22] Dossenbach M, Jakovljevicz M, Folnegovic V, et al. Olanzapine
versus fluphenazine — 6 weeks treatment of anxiety symptoms during acute schizophrenia. Schizophr Res 1998;29:203—
1203.
[23] Emsley RA, Oosthuizen PP, Joubert AF, et al. Depressive and
anxiety symptoms in patients with schizophrenia and schizophreniform disorder. J Clin Psychiatry 1999;60:747—51.
[24] Gaillard R, Ouanas A, Spadone C, et al. Benzodiazépines et schizophrénie, revue de la littérature. L’Encéphale
2006;32:1003—10.
[25] Garvey M, Noyes R, Anderson D, et al. Examination of
comorbid anxiety in psychiatric inpatients. Comp Psychiatry
1991;32:277—82.
[26] Gury C, Fabre C, Hameg A, et al. Prescription
d’antipsychotiques en milieu hospitalier spécialisé. Inf
Psychiatr 2006;82:1—7.
[27] Huppert JD, Smith TE. Longitudinal analysis of subjective quality of life in schizophrenia: anxiety as the best symptom
predictor. J Nerv Ment Dis 2001;189:669—75.
[28] Huppert JD, Smith TE. Anxiety and schizophrenia: the interaction of subtypes of anxiety and psychotic symptoms. CNS Spectr
2005;10:721—31.
[29] Huppert JD, Weiss KA, Lim R, et al. Quality of life in schizophrenia: contributions of anxiety and depression. Schizophr Res
2001;51:171—80.
S89
[30] Kasper S. Quetiapine is effective against anxiety and depressive
symptoms in long-term treatment of patients with schizophrenia. Depress Anxiety 2004;20:44—7.
[31] Kendler KS, Gallagher TJ, Abelson JM, et al. Lifetime prevalence, demographic risk factors, and diagnostic validity
of non-affective psychosis as assessed in a US community
sample. The National Comorbidity Survey. Arch Gen Psychiatry
1996;53:1022—31.
[32] Keshavan MS, Diwadkar VA, Montrose DM, et al. Premorbid
indicators and risk for schizophrenia: a selective review and
update. Schizophr Res 2005;79:45—57.
[33] Lançon C, Aghababian V, Llorca PM, et al. Factorial structure of the Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS): a
forced five-dimensional factor analysis. Acta Psychiatr Scand
1998;97:369—76.
[34] Llorca PM. La schizophrénie. In: Leboyer M, Morselli PL, editors. Encyclopédie Orphanet. Paris, France: Inserm; 2004.
[35] Lôo H. L’anxiété dans les psychoses. In: Lebois-Offset, editor.
L’anxiété. Bar sur Aube; 1977, p. 41—57.
[36] Lysaker PH, Hammersley J. Association of delusions and lack of
cognitive flexibility with social anxiety in schizophrenia spectrum disorders. Schizophr Res 2006;86:147—53.
[37] Muller N. Mechanisms of relapse prevention in schizophrenia.
Pharmacopsychiatry 2004;37(Suppl. 2):S141—7.
[38] Norman RM, Malla AK, Cortese L, et al. Aspects of dysphoria and
symptoms of schizophrenia. Psychol Med 1998;28:1433—41.
[39] Nuechterlein KH, Dawson M, Ventura J, et al. The vulnerability/stress model of schizophrenic relapse: a longitudinal study.
Acta Psychiatr Scand 1994;382(Suppl.):58—64.
[40] Nuss P, Llorca PM, Lançon C, et al. Activité anxiolytique de
la cyamémazine : rôle des récepteurs sérotoninergiques. Inf
Psychiatr 2007;83:595—601.
[41] Pallanti S, Quercioli L, Hollander E. Social anxiety in outpatients with schizophrenia: a relevant cause of disability. Am J
Psychiatry 2004;161:53—8.
[42] Poyurovsky M, Fuchs C, Weizman A. Obsessive-compulsive
disorder in patients with first-episode schizophrenia. Am J Psychiatry 1999;156:1998—2000.
[43] Radat F. Cyamémazine : traitement symptomatique des dimensions anxieuses, impulsives et agressives. Inf Psychiatr
1995;10:967—8.
[44] Reznik I, Sirota P. Obsessive and compulsive symptoms in schizophrenia: a randomized controlled trial with fluvoxamine and
neuroleptics. J Clin Psychopharmacol 2000;20:410—6.
[45] Romain JL, Dermain P, Greslé P, et al. Efficacité de l’acétate
de zuclopenthixol sur l’anxiété psychotique évaluée lors d’une
étude ouverte. L’Encéphale 1996;22:280—6.
[46] Sannomiya M, Katsu H, Nakayama K. A clinical study of
emergent anxiety in neuroleptic-naïve, first-episode schizophrenia patients following treatment with risperidone. Seishin
Shinkeigaku Zasshi 2003;105:643—58.
[47] Sevy S, Nathanson K, Visweswaraiah H, et al. The relationship between insight and symptoms in schizophrenia. Compr
Psychiatry 2004;45:16—9.
[48] Tibbo P, Swainson J, Chue P, et al. Prevalence and relationship
to delusions and hallucinations of anxiety disorders in schizophrenia. Depress Anxiety 2003;17:65—72.
[49] White L, Harvey PD, Opler L, et al. Empirical assessment of
the factorial structure of clinical symptoms in schizophrenia.
A multisite, multimodel evaluation of the factorial structure
of the Positive and Negative Syndrome Scale. Psychopathology
1997;30:263—74.
Téléchargement