Anxiété et schizophrénie S85
•une approche psychopathologique complexe, où la symp-
tomatologie schizophrénique pourrait être une réponse
anormale à des états d’angoisse extrême, de sorte qu’une
«méga-anxiété »constituerait le trouble de base du pro-
cessus schizophrénique ;
•des arguments cliniques qui la distinguent de l’anxiété
névrotique ; Allilaire [1] évoque quatre éléments primor-
diaux qui lui confèrent son originalité clinique :
◦elle est intense, massive et le plus souvent perc¸ue
d’emblée par l’observateur comme une douleur into-
lérable,
◦elle est hermétique, non-verbalisée ou bien mise en
mots avec imprécision, cette incommunicabilité contri-
buant peut-être à lui donner un aspect davantage
pathologique,
◦elle a une traduction psychique prévalente ; à l’inverse
de l’anxiété névrotique, elle est peu somatisée, com-
porte peu de symptômes physiques et conduit à
peu d’élaborations hypochondriaques en dehors du
contexte délirant,
◦elle s’accompagne d’un retentissement psychomoteur
particulier, à type d’agitation ou de sidération qui, à
l’inverse, reste exceptionnel dans les névroses.
L’existence de crises d’angoisse paroxystique n’est pas
rare chez le schizophrène. Cliniquement, ces attaques sont
proches de celles observées chez les sujets souffrant de
troubles psychotiques primaires.
Approche catégorielle versus approche
dimensionnelle
La nature et la spécificité de l’anxiété chez le schizophrène
sont discutées [1,6,15,16]. En effet, l’étude de l’anxiété
dans la schizophrénie a été abordée par deux approches
distinctes :
•approche catégorielle : études prenant en compte les
troubles anxieux comme des entités comorbides avec la
schizophrénie [15,16,28] ;
•approche dimensionnelle : études considérant l’anxiété
comme une dimension clinique pouvant pour certains
auteurs participer à la dimension «dysphorie »de la schi-
zophrénie [29,33,47,49].
Approche catégorielle
L’angoisse a été traditionnellement considérée comme un
symptôme non-spécifique du trouble schizophrénique. De
nombreuses études se sont donc attachées à rechercher les
comorbidités entre la schizophrénie et les différentes caté-
gories de troubles anxieux (pour revue de littérature, cf.
Braga et al., 2004 [16]). En 1996, une enquête conduite
aux États-Unis (National Comorbidity Survey) a estimé les
prévalences sur la vie entière des troubles anxieux chez les
patients souffrant de schizophrénie : phobie sociale (39,5 %),
phobie simple (30,8 %) et trouble panique (25,5 %) [31].En
2004, une revue de la littérature, incluant 15 études [16],
suivie d’une étude détaillée sur 53 patients souffrant de
schizophrénie [15], a permis d’estimer les prévalences sui-
vantes :
•schizophrénie et phobie sociale : 17 % ;
•schizophrénie et trouble obsessionnel compulsif : 15,1 % ;
•schizophrénie et anxiété généralisée : 9,4 % ;
•schizophrénie et trouble anxieux non-spécifié : 7,5 % ;
•schizophrénie et trouble panique : 5,7 % ;
•schizophrénie et phobie spécifique : 5,7 % ;
•schizophrénie et trouble de stress post-traumatique :
3,8%;
•schizophrénie et agoraphobie : 1,9 %.
La phobie sociale chez le schizophrène est associée à
une tendance au suicide, à l’abus de substance et à un
moindre fonctionnement social [10,28,36,41]. Les troubles
obsessionnels-compulsifs sont fréquents pendant le premier
épisode de schizophrénie [42], aggravent le pronostic et
entravent le fonctionnement social [16,28]. Les troubles
paniques sont souvent associés avec un comportement colé-
reux et une agressivité accrue et s’observent, dans la moitié
des cas, chez des patients présentant une schizophrénie
paranoïde [5,18,28].
Approche dimensionnelle
White et al. [49] ont été les premiers à proposer l’existence
de cinq facteurs séparés dans la structure de la Positive and
Negative Syndrome Scale (PANSS). D’autres auteurs [33,47]
ont confirmé cette structure et objectivé l’anxiété comme
symptôme majeur de la dimension «dysphorie »de la schi-
zophrénie.
L’intensité de la symptomatologie anxieuse et/ou dépres-
sive, évalué à la PANSS chez 177 patients schizophrènes,
s’est avérée corrélée avec les symptômes positifs (et non
avec les symptômes négatifs) ainsi qu’avec la réponse au
traitement [23]. Son intensité était aussi plus importante
lors du premier épisode [23]. Huppert et al. [29] ont observé
que l’anxiété et la dépression sont indépendamment corré-
lées avec la qualité de vie du schizophrène.
Importance dans la prise en charge de l’anxiété
chez le schizophrène
Les essais thérapeutiques destinés à évaluer l’efficacité des
psychotropes dans le traitement de l’anxiété chez le schi-
zophrène ont utilisé les deux approches, catégorielle et
dimensionnelle. Ainsi, si les benzodiazépines ont été éva-
luées dans la dimension anxiété [24], d’autres auteurs ont
évalué l’efficacité des antidépresseurs dans le traitement
du trouble obsessionnel compulsif chez le schizophrène
[7,16,44]. Les résultats obtenus avec ces deux approches
sont donc décrits dans la section Traitement.
Aspects cliniques
Phase prodromique
La schizophrénie débute souvent de fac¸on insidieuse, avec
des signes peu spécifiques [3,34]. Les premières manifesta-
tions de la maladie peuvent prendre la forme d’un accès
aigu ou d’une altération insidieuse des intérêts et des acti-
vités. Dans cette phase prodromique, l’anxiété et le retrait