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L’Encéphale (2012) 38, 170—178
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
THÉRAPEUTIQUE
Personnalité dépendante et dépendance affective :
stratégies psychothérapeutiques
Dependent patient and interpersonal dependency: Psychotherapeutic
strategies
C. Versaevel
EPSM Lille Métropole, rue du Général-Leclerc, BP 10, 59487 Armentières cedex, France
Reçu le 5 janvier 2011 ; accepté le 9 juin 2011
Disponible sur Internet le 7 octobre 2011
MOTS CLÉS
Article synthèse ;
Dépendance
relationnelle ;
Personnalité
dépendante ;
Personnalité
borderline ;
Personnalité
évitante ;
Psychothérapie
KEYWORDS
Interpersonal
dependency;
Dependent
personality disorder;
Borderline
personality disorder;
Résumé Cet article propose de faire le point sur les approches psychothérapeutiques chez les
patients souffrant de personnalité dépendante et de dépendance relationnelle pathologique.
Nous mettons en exergue les psychothérapies ayant fait l’objet d’une évaluation. La recherche
évaluative sur le sujet est pauvre : seules huit études permettent d’évaluer des psychothérapies dans cette indication en 2005. Nous abordons les thérapies d’inspiration analytique, les
psychothérapies comportementales, cognitives, humanistes et systémiques brèves. Nous considérons la dépendance comme étant une façon de s’adapter, de compenser une estime de soi
altérée. En ce sens, la psychothérapie devra également s’attacher à restaurer l’estime de soi.
L’évaluation du type de dépendance aiguille l’approche thérapeutique. Il faut rechercher les
comorbidités et leur apparition dans le temps par rapport à la dépendance. Ainsi, la dépendance primaire, « héritée de l’enfance », précède les autres troubles psychiques. Dans cette
situation, la thérapie se centre principalement sur l’estime de soi. La dépendance secondaire
fait suite à un événement altérant l’estime de soi, comme une maladie mentale par exemple.
Dans cette situation, outre le fait de favoriser la rémission de la maladie mentale, la thérapie
visera l’accompagnement du patient vers l’autonomie et le « rétablissement ».
© L’Encéphale, Paris, 2011.
Summary
Objectives. — This article is a review of psychotherapies for patients suffering from dependent
personality and interpersonal dependency.
Method. — We synthesized articles making reference to this question, notably those written
by Bornstein, author who refers to the dependent personality. We highlighted the psychotherapies that have been the object of an evaluation. The research on the subject is sparse:
only eight studies permitting assessment of psychotherapies in this indication in 2005. Besides
these psychotherapies, we detailed other approaches which are used by practitioners in these
indications.
Adresse e-mail : [email protected]
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011.
doi:10.1016/j.encep.2011.08.006
Personnalité dépendante et dépendance affective
Avoidant personality
disorder;
Psychotherapy
171
Results. — The therapy does not aim at autonomy ‘‘at all costs’’, but that the patient finds a
dependence ‘‘adapted’’ to his/her environment. Before starting a therapy, an evaluation is useful to specify the type of dependence. First of all, is there a ‘‘pathological’’ dependence? Is the
suffering of the patient secondary to his personality or not supportive enough? Does insight exist?
What is the reaction of the patient if we suggest the hypothesis of a dependence on his/her part?
Does he/she consider this idea or reject it? Finally, is the dependence primary or secondary? For
that purpose, it is necessary to study the biography of the patient and the appearance of the
comorbidity over time. The primary dependence is seen in childhood and precedes the other
psychological disorders. The secondary dependence follows after the comorbidity and events of
life that alter self-esteem (depression, for example). Various therapeutic strategies arise from
various currents. The therapies of analytical inspiration recommend replaying the relationship
of object and explicitly evoking the transfer. The behavioural and cognitive psychotherapies
aim at making the patient identify the cognitions which underlie the dependence, then leading
the patient to modify his/her cognition and to behave in a more autonomous way, using the
theory of learning. The humanist therapies aim at a therapeutic relationship of acceptance and
respect for the patient, so that he/she increases self-esteem and finds autonomy. The brief
systemic therapy develops tools to deviate from the relationship of dependence in the therapy.
It aims at the change through a modification in the beliefs of the patient. The dependence can
be envisaged as a way of adapting itself, of compensating for altered self-esteem. In this way,
the psychotherapy must also attempt to restore self-esteem in an implicit or explicit way.
Conclusion. — The evaluation of the type of dependence helps the therapeutic approach. It is
necessary to look for the comorbidity and its appearance over time with regard to the dependence. So, in primary dependence, the therapy focuses on the increase of self-esteem. In the
secondary dependence, the therapy focuses on the adaptation to this event, the treatment of
the mental illness, and then to the accompaniment in restoring and autonomy. If the patient
doesn’t have insight, it is necessary either to enhance it, or to work in an indirect way.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
Introduction
Cet article propose une synthèse sur les approches psychothérapeutiques dans les problématiques de personnalité
dépendante et de dépendance relationnelle (affective).
L’objectif du traitement des patients souffrant de dépendance n’est pas une autonomie « à tout prix », mais vise à
retrouver une dépendance adaptée lui permettant de moins
souffrir dans son environnement.
Le plus souvent, les patients dépendants se sentent
mieux et rassurés par leur suivi et imaginent difficilement
une rupture de la relation thérapeutique. Si le patient se
sent mieux dans un suivi « au long cours », pourquoi ne pas
l’accepter ? Parce que premièrement sur les plans éthique
et déontologique, la question de la privation de liberté du
patient qui reste sous l’influence forte du thérapeute est
problématique. Ensuite, sur ce même plan, l’objectif de
tout thérapeute n’est-il pas de viser l’autonomie du patient ?
Enfin, parce que le psychiatre qui accepte une dépendance
au long cours de ces patients n’a progressivement plus de
temps pour rencontrer de « nouveaux patients », tant il est
accaparé par sa clientèle de « dépendants chroniques ».
Liens entre clinique et psychopathologie
Du normal au pathologique
Chaque personne est plus ou moins dépendante sans que
cela soit « pathologique ». Aussi, pour un même individu, la
dépendance à l’autre fluctue au cours de sa vie. En proie aux
souffrances de l’existence, les individus adultes recherchent
à nouveau une figure d’attachement pour se reconstruire.
Dans chaque situation, la question suivante devra toujours
être posée : la personne qui souffre en demande-t-elle trop
à son entourage ou est-ce son entourage qui n’est pas assez
étayant ? En période de crise, le simple fait que le psychiatre
sollicite le soutien de l’entourage du patient peut suffire
(fonction de médiation).
Cependant parfois, l’intensité de la dépendance à autrui
inscrit le sujet dans la pathologie. Les classifications médicales définissent la personnalité dépendante [16]. Il s’agit
d’une catégorie diagnostique et le patient qui se voit
ainsi « étiqueté », n’est pas censé « guérir », puisque la
personnalité est stable par définition dans ce modèle. Si
l’on s’écarte des nosographies psychiatriques catégorielles,
certains auteurs développent le concept de dépendance
affective (dont la dépendance amoureuse) [4,33], comprise
comme une dimension de la personnalité en lien avec une
altération de l’estime de soi. Cet abord dimensionnel de
la dépendance psychique semble mieux rendre compte de
la dynamique psychique des patients rencontrés en clinique
[43].
Liens entre clinique et psychopathologie
Livesley et al. ont identifié deux dimensions comme étant le
socle des phénomènes de dépendance psychique [26]. Cette
hypothèse a été étayée sur un plan expérimental par Gude
et al. [20]. En effet, certains critères de la personnalité
dépendante se rapprochent de ceux de la personnalité évitante dans un spectre commun qu’il est possible de nommer :
172
« dépendance/incompétence », tandis que d’autres critères
se rapprochent de ceux de la personnalité borderline dans
un autre spectre nommé : « attachement/abandonnique ».
Psychopathologie du spectre
« attachement/abandonnique » : manque d’amour de soi
et insécurité affective
Deux types de pensées récurrentes traduisent ce spectre
psychopathologique. La première est : « Je ne mérite pas
d’être aimé ». La seconde est : « On ne m’aime pas ».
La relation à l’autre n’est donc jamais pleinement sécurisante, mais de type anaclitique. La personne met
en place des mécanismes de compensation de l’amour
de soi en cherchant à conserver l’amour de l’autre :
attitude séductrice active (histrionisme), asservissement
passif, dévouement ou relation d’emprise. Si la personne présente constamment ce fonctionnement de façon
intense, on peut évoquer le trouble de la personnalité
de type état-limite ou borderline [16] : « Efforts effrénés
pour éviter un abandon réel ou imaginé ».
Psychopathologie du spectre
« dépendance/incompétence » : manque de confiance en
ses capacités
Des idées récurrentes traduisent ce spectre : « Je ne suis pas
à la hauteur, je suis nul(le), je vais rater ». En conséquence,
plusieurs réactions peuvent s’observer :
La personne peut se persuader du fait de ne pas être
capable et se dévalorise. Elle a peur d’affronter seule le
monde. Elle est inhibée, indécise et reste dans l’évitement.
Ce sentiment amène la personne à peu entreprendre et à
l’échec, ce qui renforce ce sentiment. Si la personne présente constamment ce fonctionnement de façon intense, on
peut évoquer une personnalité évitante [16].
Cette inquiétude peut également induire une dépendance à l’autre. La personne recherche un individu, une
institution capable de la sécuriser, de pallier ses carences
supposées. Pour établir et garder le lien avec cette personne, elle est prête à se soumettre et à accepter un manque
de respect, voire d’être maltraitée [28]. Si la personne présente constamment ce fonctionnement de façon intense, on
peut évoquer une personnalité dépendante [16].
Mais l’évitement et la dépendance ne sont pas les seules
voies chez ces personnes. Elles peuvent mettre en place
des mécanismes de compensation de l’estime de soi pour
répondre à leur besoin de valorisation étayant leur manque
interne. Elles se réfugient dans des domaines où elles sont
reconnues et compétentes. Le perfectionnisme et le besoin
de contrôle les caractérisent. L’expression de la dépendance
ne se réduit donc pas à la passivité, comme le soutiennent
Morgan et al. [32] dont les travaux identifient deux facteurs : un facteur « passif/soumis » se caractérisant par un
manque d’assertivité et un facteur « actif/émotionnel » se
manifestant par une recherche active de soutien émotionnel. En ce sens, Bornstein propose une autre définition
de la personnalité dépendante [8] : « Vision de soi même
comme faible qui pousse le sujet à s’engager dans des
comportements actifs ou passifs pour maintenir la relation
protectrice ».
C. Versaevel
Évaluation préalable à la psychothérapie :
dépendance consciente ou
inconsciente/primaire ou secondaire
Une évaluation est utile avant d’engager la thérapie d’un
patient dépendant.
Dépendance consciente ou non consciente
Pour évaluer la dépendance dont le patient a conscience,
il est possible d’envisager des autoévaluations.
L’Interpersonal Dependency Inventory (IDI) d’Hirschfeld
et al. [21], validé en français par Loas et al. [27], comporte
48 items et évalue différents sous-types de dépendance
relationnelle. Avec 19 items, la sous-échelle « EmotionalReliance » est corrélée au pôle « actif/émotionnel » de la
dépendance selon Morgan et al. (coefficient de corrélation :
0,86) [32].
Avec huit items, le questionnaire pour personnalité
dépendante (QPD) de Tyrer et al. [41], validé en version
française par Loas et al. [30], est plus souple d’utilisation,
mais ne dépiste que les personnalités dépendantes au sens
du DSM [16]. Le QPD est corrélé au pôle « passif-soumis »
de la dépendance selon Morgan (coefficient de corrélation :
0,71), de même que la sous-échelle « Lack of Social SelfConfidence » de l’IDI (coefficient de corrélation : 0,86) [32].
Synthétiquement, deux dimensions principales de la dépendance émergent des recherches empiriques, corroborant les
constatations cliniques :
• un manque de confiance en soi (en ses capacités) dans un
registre passif/soumis ;
• une insécurité affective qui s’exprime dans une recherche
active de soutien.
Si le patient présente des traits de dépendance dont il
n’a pas conscience, il est possible de l’objectiver en réunissant des éléments cliniques (aspects discursifs, cognitifs,
émotionnels, motivationnels et comportementaux), voire en
réalisant un test projectif : le ROD (Rorscharch Oral Dependency) de Masling, Rabie et Blondheim [31].
Dépendance primaire ou secondaire
Dans l’optique de traiter ces patients, Bornstein conseille
de différencier les dépendants de type primaire et les
dépendants de type en secondaire [9,10]. En effet, ces
patients présentent de nombreux troubles comorbides [3]
(anxiété, troubles de l’humeur, troubles de l’adaptation,
addictions avec ou sans drogues [troubles du comportement
alimentaire]). Mais dans certains cas, l’expression de la
dépendance précède les symptômes (dépendance primaire
dans le cas de l’apparition d’une boulimie sur une personnalité dépendante, par exemple). Dans d’autres, elle est
consécutive à l’expression de ces comorbidités (dépendance
secondaire). Des études démontrent que pour de nombreux
troubles de l’axe 1 du DSM (dépression, trouble panique,
phobie sociale, trouble obsessionnel-compulsif, troubles
psychotiques), les traits de dépendance s’intensifient au
moment de leur expression. Mais ce qui pose problème, c’est
Personnalité dépendante et dépendance affective
173
que ces traits restent exacerbés après l’amélioration de ces
troubles de l’axe 1 [5,10,19,35]. Cela montre l’importance
de rechercher et de traiter la dépendance secondaire chez
chaque patient. En effet, si le traitement est uniquement
ciblé sur le trouble de l’axe 1, il sera incomplet puisqu’il ne
permettra pas au patient de recouvrer la pleine jouissance
de son autonomie et de ses capacités fonctionnelles.
accompagner le patient vers l’autonomie ou le rétablissement dans un second temps. Si la dépendance n’est
pas consciente, la thérapie consistera à en faire prendre
conscience au patient ou à utiliser des outils de psychothérapie permettant une approche indirecte.
Causes de la dépendance primaire
Nous n’avons pas la place pour développer les hypothèses
psychopathologiques riches et multiples issues de ce courant. Les stratégies psychothérapeutiques sont détaillées
par Coen [12] et Van Sweden [42].
Les causes de la dépendance primaire pathologique se
retrouvent dans l’interaction entre le ressenti de la personne et son environnement dans le passé. On peut parler
d’altération de l’estime de soi « héritée du passé ou de
l’enfance ». C’est dans les interactions avec son entourage, dans l’enfance le plus souvent, que se construit ce
qui s’exprimera par une psychopathologie de type attachement/abandonnique ou dépendance/incompétence à l’âge
adulte. Mais déjà dans l’enfance de la personne, on retrouve
dans 70 % des cas un attachement non sécurisant ou une
angoisse de séparation [29]. Deux facteurs interagissent
pour construire ces spectres psychopathologiques :
• d’un côté, on distingue les facteurs exogènes. Il est
démontré que les parents qui ont des comportements
surprotecteurs ou très autoritaires ont des enfants qui
présentent de forts taux de dépendance [10]. Il y a aussi la
confrontation à des événements de vie altérant l’estime
de soi ou à valeur traumatique : maltraitance (abandon,
dévalorisation), agression sexuelle, deuil, maladie grave,
handicaps. . . Les théories sur lesquelles reposent les différents courants de psychothérapie expliquent comment
ces facteurs interagissent avec le psychisme pour induire
une dépendance psychique pathologique ;
• de l’autre côté, on distingue les facteurs endogènes.
L’hypersensibilité de la personne qui lui fera ressentir
avec une intensité émotionnelle forte les événements.
Cette hypersensibilité émotionnelle repose sur un corrélat neurobiologique inné (transporteur de la sérotonine
[7]) ou acquis (modification de l’expression des gènes
par un phénomène épigénétique [45]). De nombreux
facteurs biologiques jouant un rôle dans l’attachement
peuvent être incriminés [11] : dopamine, opioïdes, ocytocine, vasopressine. . .
Orientations de la thérapie
Si de nombreux articles évoquent les psychothérapies adaptées aux patients dépendants, en revanche l’évaluation
scientifique est pauvre. Seules huit études contrôlées
étaient relevées en 2005 [10]. Deux d’entre-elles montrent
des résultats positifs : celle d’Alexander et Abeles axée sur la
prise de conscience en 1968 [2] et celle de Rathus et al. axée
sur le travail cognitif en 1995 [34]. De ce bilan, aucun type
de psychothérapie ne s’est vraiment imposé comme étant le
traitement de choix des patients dépendants. L’évaluation
préalable permet cependant de guider la psychothérapie. Si
la dépendance est primaire, la thérapie devrait se centrer
sur le traitement de la dépendance et de l’estime de soi
[10]. Si la dépendance est secondaire, la thérapie devrait
d’abord s’attacher à améliorer le trouble primaire, puis
Le courant psychanalytique/psychodynamique
Analyser les thèmes relationnels fondamentaux
Lors de la verbalisation du patient, le thérapeute doit
l’accompagner pour dégager les problématiques récurrentes. Cela amène le patient, en prenant de la distance, à
mieux prendre conscience de ses schémas relationnels dysfonctionnels et à remettre en cause ses interprétations.
Rejouer la relation d’objet
Le thérapeute doit créer une relation thérapeutique qui
ne pourra pas s’altérer face aux schémas destructeurs que
met en place le patient dans les autres secteurs de sa vie.
Ainsi, le patient fait pour une fois l’expérience d’un nouveau schéma relationnel et sort de la répétition, ce qui est
sécurisant et promeut l’autonomie.
Winnicott [44] estime indispensable de laisser certains
patients s’installer dans un état de dépendance vis-à-vis du
thérapeute : « Quand le sujet est dans un tel état qu’il ne
peut plus exprimer quoi que ce soit, la première chose à
faire est de satisfaire son besoin de dépendance. Sinon il
y a le risque de reproduire une situation de carence primitive ». C’est un « holding », qui permet la mise en place de
la confiance, de la réciprocité, en évitant le recours à toute
parole ou tout geste qui pourrait être perçu comme autant
d’empiétements sur sa liberté. C’est dans un second temps
qu’il pourra se rendre compte qu’il est dépendant et trouver
une motivation pour s’autonomiser. Comme le pense Bornstein, la dépendance, dans le fait de rechercher une figure
d’attachement fiable pour être soutenu et conseillé, peut
être un comportement adapté à « dépathologiser » [8].
Évoquer le transfert
Les patients dépendants idéalisent souvent le thérapeute
et le perçoivent comme un puissant substitut parental qui
délivre de bons soins. En réaction à ce transfert du patient,
le thérapeute peut ressentir de la valorisation, se sentir
poussé au paternalisme, ressentir de la frustration devant la
passivité du patient ou devant l’impression que la thérapie
stagne. . . Ces réactions peuvent à leur tour être nuisibles au
patient. Évoquer explicitement cette réaction transférentielle avec le patient serait une clé de la thérapie.
Le courant comportemental
Ce courant pense que les patients expriment des comportements de dépendance parce que ces derniers ont
été conditionnés par une combinaison de conditionnements opérants (réponses positives à ce comportement), de
conditionnements vicariants (par l’observation de modèles).
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Les comportements de dépendance seraient maintenus
par renforcement positif (récompenses pour montrer un
comportement dépendant). Les comportements autonomes
se raréfient par un renforcement négatif (anxiété qui résulte
du comportement autonome). Kazdin [24], Turkat et Maisto
[40] proposent des stratégies de soins découlant de ce
modèle.
Remplacer le comportement dépendant par des
comportements autonomes
Les techniques d’extinction des comportements dépendants
seront toujours couplées à un programme de traitement qui
augmentera la fréquence des comportements autonomes.
Non pas uniquement parce que l’autonomie est l’objectif
du traitement, mais parce que l’augmentation des comportements autonomes inhibe d’elle-même les comportements
dépendants.
Ne pas rassurer
Le courant comportemental considère que le soulagement
secondaire à un comportement de dépendance (réassurance
par un tiers) est un renforçateur positif de ce comportement. La personne a peur, elle établit un lien avec autrui
pour se rassurer, ce qui diminue sa peur. Ce faisant, elle
n’utilise pas ses ressources internes de réassurance. Elle
est donc plus encline à s’inquiéter et à redemander qu’on
la rassure. Une circularité négative existe. Pour en sortir,
il est nécessaire de demander au patient de stopper ces
comportements dans le cadre thérapeutique (« J’ai peur. . .
ça ira mieux Docteur ? » —– « Non ! Ça ira mieux si vous acceptez que je ne vous rassure pas »), puis dans l’environnement
proche du patient.
Utiliser la désensibilisation des stimuli qui induisent un
comportement dépendant
Bien souvent, les comportements dépendants sont exacerbés chez le patient lors des situations de gêne, d’abandon ou
de critiques. Il s’agit d’abord de les repérer. Ensuite, la technique de désensibilisation systématique de Wolpe, décrit par
Cottraux [13] (relaxation et exposition en imagination, puis
in vivo) peut être utilisée pour gérer l’anxiété issue de ces
situations.
Le courant cognitif
Ball, Young et al. ont travaillé sur la thérapie cognitive des patients dépendants [6,47]. Le courant cognitif
conceptualise la dépendance comme la production de schémas cognitifs dysfonctionnels précoces qui font douter les
patients de leurs capacités et exagérer les conséquences
de leurs erreurs. Ces schémas diminuent l’estime de soi,
augmentent l’anxiété et induisent des distorsions cognitives qui maintiennent les patients dans leurs croyances
préexistantes. Différentes distorsions cognitives sont particulièrement retrouvées chez les patients dépendants :
• les lectures de pensées (le patient imagine savoir ce que
les autres pensent : leurs défauts sont perçus, ce qui peut
amener un évitement ou un abandon) : « Tout le monde
voit que je ne suis pas à l’aise et que je ne suis pas
capable » ;
C. Versaevel
• des autoévaluations négatives (le patient se blâme luimême, ce qui diminue le manque de confiance en lui) :
« Je suis un bon à rien. . . personne ne peut m’aimer ou
m’accepter tel que je suis ». Le patient se dit alors qu’il
doit plaire et faire plaisir à l’autre pour être apprécié ;
• des biais d’attribution : le patient attribue à une cause
externe ses évènements de vie, il ne se félicite pas de ses
réussites qu’il attribue à autrui, ce qui amène un schéma
de dépendance : « J’ai eu l’examen parce que j’ai été aidé
par un ami : je ne peux pas réussir seul ».
Ces thérapies utilisent les ingrédients suivants :
• mettre en évidence les troubles cognitifs et les modifier :
les programmes des traitements cognitifs visent à faire
connaître au patient ses distorsions cognitives à propos de
situations concrètes (à l’aide du tableau à cinq colonnes
de Beck [13]) et ses schémas cognitifs dysfonctionnels
(technique de la flèche descendante [13]) pour ensuite
les modifier ;
• utiliser une guidance active et directive du patient au
début du traitement : quand le patient progresse dans sa
thérapie, le thérapeute donne graduellement plus de responsabilités au patient. De cette façon, y compris dans
le cadre thérapeutique, le patient fait l’apprentissage de
l’autonomie ;
• promouvoir une autonomie par l’entraînement aux techniques de résolution de problèmes : pour faciliter cet
objectif, le thérapeute utilise la méthode socratique pour
aider le patient à générer par lui-même des prises de
conscience et des solutions. Des stratégies de résolution
de problème sont apprises au patient pour qu’il puisse de
façon autonome et en pleine conscience gérer les situations problématiques plutôt que de faire appel à autrui.
Il faudra cependant aider le patient à identifier les situations où la demande d’aide et de soutien reste appropriée,
de façon à ce qu’il ne culpabilise pas et ne se mette pas
en danger en refusant toute aide au delà de la thérapie ;
• anticiper une rechute lors des dernières phases du traitement : à la fin de la thérapie, on apprend au patient à
repérer les situations à fort risque de rechuter dans ses
cognitions et ses comportements dépendants. Les alternatives sont discutées et anticipées. Le thérapeute insiste
sur le fait que les « rechutes » à certains moments ou dans
certains domaines de la dépendance ne signent pas un
échec global de la thérapie. Elles sont envisagées comme
des occasions d’apprendre de nouvelles choses et la thérapie peut reprendre sur un temps limité.
Le courant humaniste
Ce courant défend le fait que le regard des parents sur
l’enfant conditionne les comportements de dépendance.
L’enfant construit une vision altérée de lui-même en percevant les regards des autres le concernant. L’enfant s’y
adapte : il conçoit l’autonomie comme inacceptable et se
construit sur un faux soi centré sur le désir des autres.
Schneider et May [38] et Yalom [46] définissent les grandes
lignes de cet abord thérapeutique qui se calque sur la
thérapie centrée sur la personne développée par Rogers
[36].
Personnalité dépendante et dépendance affective
Un regard positif inconditionnel et de l’empathie de la
part du thérapeute
Rogers a développé une approche relationnelle centrée sur
l’empathie et l’acceptation sans conditions du patient [36].
En s’écartant de la peur du jugement, le patient accède à
des aspects inconnus de son soi. Le thérapeute fait aussi en
sorte de ne pas apparaître comme un gourou omniscient.
Le thérapeute reformule et sert de miroir au patient, ce
qui lui permet d’approfondir son vécu émotionnel. Il doit
faire émerger la solution du patient, mais ne jamais donner
de conseils. Le thérapeute doit également être animé par
la certitude que le patient a un potentiel et des ressources
qu’il peut utiliser. La conséquence est que le patient intègre
ces éléments : il se connaît mieux, il s’accepte davantage tel
qu’il est et il prend confiance en ses capacités.
Promouvoir des expériences, dans et en dehors du cadre
de la thérapie
L’élément principal de cette thérapie est de faire vivre
au patient des expériences où il ne pourra pas utiliser ses
retranchements défensifs habituels et devra réinventer une
nouvelle relation au monde. Il existe une liste d’exercices
thérapeutiques à cette fin : des exercices pour construire
des habilités, des scénarios de jeux de rôle dans et en
dehors de la thérapie. La gestalt-thérapie a développé des
« jeux gestaltistes » dans cette optique [22]. Durant ces
jeux, le patient est accompagné par le thérapeute pour
« déconstruire » son ancien rapport au monde, de façon à
reconstruire un nouvel ajustement induisant moins de souffrance.
Toujours dans la mouvance humaniste, durant la phase de
conclusion de la thérapie de type analyse transactionnelle,
le thérapeute veille à mettre fin à la relation de manière
à ce que le patient ne se trouve pas abandonné [15]. Les
problèmes d’abandon non résolus chez le patient peuvent
ici impliquer un nouveau cycle important de travail de deuil
avant l’arrêt effectif de la thérapie.
Autres thérapies brèves
Notons que les thérapies décrites ci-après (le courant de la
thérapie systémique brève, l’EMDR, le travail de restauration de l’estime de soi) n’ont pas fait l’objet d’évaluation
dans cette indication.
Le courant de la thérapie systémique brève
Tenir compte du système
Ce courant considère que les relations entre les personnes
sont définies par les lois des systèmes. Lors de la thérapie,
même individuelle, il faudra donc tenir compte des relations entre les différents membres qui gravitent autour du
patient, pour contourner les résistances au changement.
Une vision des problèmes et une méthodologie de
changement
Ce courant explique qu’une personne réagit toujours de la
même façon devant un problème. Si le problème persiste,
la personne augmente l’intensité de sa solution, en accord
avec ses croyances, mais ne changera pas de gamme de solutions. Il peut en résulter une causalité circulaire, dans le
175
sens où la tentative de solution réalisée par la personne
entretient en fait le problème. C’est bien souvent en raison
d’une souffrance émotionnelle faisant suite à des conflits
interpersonnels que la personne vient consulter. L’étude de
ces conflits, sous l’éclairage systémique, peut mettre en évidence l’expression de comportements dépendants comme
tentative de solution. Il faudra donc lui faire modifier sa
gamme de réaction habituelle (la dépendance), en utilisant
la technique de recadrage de ses croyances (de façon plutôt
indirecte en employant des métaphores) ou en prescrivant
au patient d’autres comportements (plus autonomes) qui
vont lui permettre, de par cette expérience, de modifier ses
croyances [14].
Les thérapeutes systémiques brefs partagent dans une
certaine mesure les enseignements de la théorie de
l’engagement développée par Joule et Beauvois [23] : seuls
les actes nous engagent et nous font changer. Si l’on veut
qu’un patient aille vers le changement, rien ne sert de le
convaincre. Il faut mettre l’accent sur les modifications
comportementales. Ce n’est que dans un second temps,
après le vécu de cette expérience, que les croyances se
modifient. Différentes techniques peuvent être utilisées
pour augmenter la probabilité que le patient effectue les
« tâches thérapeutiques » et modifie son comportement :
• rendre le libre choix : un patient est beaucoup plus engagé
s’il croit qu’il a pris lui-même la décision de réaliser un
acte. Si le thérapeute propose une tâche, il peut ajouter :
« Réfléchissez bien, vous avez le choix de le faire ou pas.
Faites-le seulement si vous pensez que c’est bénéfique
pour vous » ;
• le pied-dans-la-porte (le phénomène du premier pas) a
été décrit en premier par Freedman et Fraser [17] ; si
l’on demande à une personne une action très peu coûteuse, le fait qu’elle l’effectue entraîne qu’elle réalisera
beaucoup plus facilement une action qui lui coûte un peu
plus. En théorie, il faudrait commencer à « prescrire des
tâches thérapeutiques » qui ne coûtent rien au patient,
pour qu’il effectue ensuite les « tâches » réellement thérapeutiques.
Lutter contre le risque de relation de dépendance
Le courant systémique bref refuse que la relation
thérapeute-patient s’oriente vers une relation de dépendance. La thérapie s’inscrit dans une durée limitée : dès la
première consultation, le thérapeute peut fixer un nombre
précis de séances. Pour motiver le patient à agir et prendre
une place active dans sa thérapie, le thérapeute lui fait
prendre conscience de sa responsabilité dans les interactions conflictuelles : « La relation, c’est comme du tennis :
la balle ne revient que si on la renvoie ! ». Il lui attribue
la propriété de son problème : « C’est votre problème ! ». Il
reconnaît et augmente la perception de la souffrance du
patient pour le motiver aux soins. Il exige la réciprocité
et la rapidité : « Je ne vous abandonnerai jamais si. . . vous
faites tout pour me rendre inutile aussi vite que possible ». Il
vise l’amélioration de l’estime de soi en s’appuyant sur les
ressources propres du patient en s’inspirant de l’hypnose
ericksonnienne [14]. Ici, les problématiques de l’estime de
soi et de la dépendance ne sont jamais abordées explicitement puisque c’est le « langage du patient » qui est utilisé
par le thérapeute. Le travail s’effectue de façon indirecte.
176
L’Eyes Mouvements Desensibilisation and
Restructuration (EMDR)
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est une
pathologie invalidante et chronique qui peut conduire à
une altération de l’estime de soi et une dépendance secondaire. Il est utile ici d’utiliser l’EMDR (Eyes Mouvements
Desensibilisation and Restructuration) [14,39]. En effet, les
travaux démontrent un fort taux de rémission et une rapidité d’action de ce procédé thérapeutique [37]. Outre la
disparition des symptômes du SSPT amenant une restauration de l’estime de soi, il semble logique de considérer que
ce qui explique la diminution de la dépendance secondaire
résulte préférentiellement du travail sur les cognitions. Au
cours de la thérapie en effet, le patient doit énoncer une
conviction négative qu’il a de lui-même et qui résulte de
l’événement traumatique (par exemple : Je suis faible/Je
ne sais pas me défendre/Je ne vois pas le danger). Il doit
ensuite donner son degré de conviction à cette cognition
sur une échelle analogique. Nous voyons comment ces cognitions liées au traumatisme dictent le rapport du patient
envers lui-même et autrui, et sous-tendent les comportements de dépendance. Le patient doit également énoncer
une cognition positive en répondant à la question : « Que
préféreriez-vous penser de vous-même à la place de cette
conviction négative ? » (par exemple : Je peux me faire
confiance/Il peut m’arriver des choses positives dans ma
vie/J’aimerais lâcher prise) et également évaluer son degré
de conviction envers cette cognition. Après le traitement,
une restructuration cognitive est constatée. Le souvenir
de l’événement n’est plus associé à des émotions douloureuses et des croyances négatives et dépréciatives sur soi.
L’association du souvenir avec des cognitions positives les
renforce jusqu’à ce que le patient les perçoive comme
vraies sur un plan rationnel et émotionnel. En résumé,
quand les distorsions cognitives à la base d’une dépendance semblent reliées à un psychotraumatisme, l’EMDR
paraît un traitement de choix de par son aptitude à les
modifier.
Le travail de restauration de l’estime de soi
Nous considérons la dépendance psychique comme une
façon de s’adapter, de compenser des altérations dans
différents secteurs de l’estime de soi [43]. Une composante fondamentale du travail de psychothérapie consiste
donc à restaurer l’estime de soi. Les étapes ci-dessus
tracent cette restauration [4]. La thérapie peut se faire
en individuel ou en groupe. Les thérapies de groupe accélèrent l’évolution thérapeutique en utilisant l’émulation
du groupe, l’identification à d’autres membres du groupe,
le soutien au sein du groupe, l’apprentissage par jeux de
rôle.
Apprendre à se connaître
La personne qui souffre de dépendance a tellement besoin
de reconnaissance, que sa vie est dirigée sur les besoins et
les désirs des autres. Il existe donc chez eux une grande
fragilité identitaire. Il est donc proposé à ces patients
d’apprendre à se connaître en parlant d’eux, en vivant de
nouvelles expériences, en écrivant un « journal intime ».
C. Versaevel
Respecter ses besoins et s’affirmer
Une fois que la personne se connaît un peu plus, il lui est
demandé de se respecter et se faire respecter. Lorsqu’elle y
arrive, cette expérience nourrit considérablement l’estime
de soi et le sentiment d’efficacité personnelle et pousse la
personne à s’affirmer davantage (cercle vertueux).
Construire des frontières avec autrui
Une réflexion sur le fonctionnement relationnel du patient
amène le constat qu’il a des difficultés à protéger son espace
personnel et qu’il a tendance à envahir celui des autres.
Dans cette optique, la méditation en pleine conscience,
en identifiant et en procurant une position « méta » sur ses
propres pensées, peut favoriser une meilleure connaissance
de soi et l’accès à l’intersubjectivité.
Promouvoir l’autothérapie par « bibliothérapie »
Il est possible de proposer au patient de lire des ouvrages sur
l’estime de soi [1] ou la dépendance affective [4,33] pour
ensuite échanger sur ces lectures : « En quoi s’est-il reconnu
dans les descriptions ? Qu’est-ce qu’il pourrait appliquer ? »
Goudreau et Côté suspectent que la « bibliothérapie » nuise
à l’alliance thérapeutique [18]. C’est précisément ici ce
qui est recherché : une déliaison patient-thérapeute dans
la thérapie. De cette façon, le patient n’a pas l’impression
d’« aller mieux » grâce à quelqu’un, ce qui pourrait renforcer
sa dépendance.
Le mode de vie
Tant que les patients sont en couple, ils ont tendance à
répondre aux besoins de l’autre et à compenser, par leurs
relations, leurs manques. Arkady [4] conseille de ne pas
s’investir dans de nouvelles relations tant que la personne
n’a pas « comblé elle-même sa coquille vide ».
Dans le cadre d’une dépendance secondaire
Nous l’avons évoqué, à la suite d’un trouble de l’axe
1 ou des événements de vie difficiles (deuil, par exemple),
la dimension « dépendance » de la personnalité tend à
augmenter. Aussi, elle ne régresse pas systématiquement
après la résolution des symptômes du trouble ou après
l’adaptation à l’événement de vie [5,10,19,35]. Il est donc
important de veiller à évaluer les soins sur la dimension dépendance-autonomie pour chaque patient, de façon
à proposer, en plus des soins visant le centre de la scène
(trouble de l’axe 1 ou trouble de l’adaptation, par exemple),
des stratégies psychothérapeutiques amenant le patient
vers la récupération de son autonomie antérieure. Nous pouvons nous demander si le système soignant n’a pas une part
de responsabilité dans le phénomène de dépendance secondaire. Le patient n’est-il pas parfois étayé ou surprotégé
plus qu’il n’aurait besoin pour conserver son autonomie ? Les
soins ne favorisent-ils pas parfois la rupture du patient avec
son réseau de soutien habituel, le fragilisant davantage ? Les
arrêts de travail sont-ils toujours bénéfiques ? Le thérapeute
joue-t-il pleinement sa fonction en acceptant la seule mission de soutien (souvent la seule demande qu’un patient en
souffrance peut effectuer), en perdant de vue les objectifs
de rémission et de réautonomisation ?
Personnalité dépendante et dépendance affective
Dans les troubles mentaux plus invalidants (psychoses et troubles bipolaires), la dépendance secondaire
est d’autant plus envahissante. Dans cette situation,
la personne retourne souvent les préjugés sur elle-même et
s’auto-stigmatise. Elle pense ne plus être capable « comme
avant » et perd l’espoir de concrétiser ses projets. Altérée
dans son estime de soi, elle reste dépendante des soignants
ou d’une institution. Le paradigme du « rétablissement »
lutte contre ce processus comme l’expliquent Lagueux et al.
[25]. C’est une façon d’insuffler à la personne un nouvel
état d’esprit en se positionnant différemment vis-à-vis de
la maladie. Il s’agit de ne plus donner tout pouvoir à la
maladie pour contrôler sa vie. Tout en gérant sa maladie
et en acceptant ses limites, la personne doit redécouvrir
ses capacités, ses rêves, reprendre une position d’acteur
de sa vie en réalisant des choix et en prenant des risques.
Le soignant n’est pas le mieux placé pour cet accompagnement au rétablissement car il fait partie du problème.
Dans l’idéal, cet accompagnement s’appuie sur des professionnels qui sont des ex-usagers eux-mêmes rétablis : les
pairs-aidants/médiateurs de santé. Ils forment un partenariat avec les soignants. Leur expérience de type « je suis
passé par là » et leur position décentrée des soins font que
leur influence est très bénéfique.
Une place pour les psychotropes ?
Seule l’étude de Lauer en 1976, citée par Loas et al. [27] a
montré qu’un traitement antidépresseur donné à un groupe
de patients présentant des traits passifs dépendants améliorait ces traits. Aussi, l’association entre la dépendance, la
dépression et les personnalités limites et impulsives pose
la question de la chimiothérapie au long cours (antidépresseurs, thymorégulateurs, antipsychotiques. . .), bien que
l’absence d’études ne permette pas de recommander ces
pratiques.
Conclusion
Au-delà des diverses stratégies thérapeutiques se dégagent
des éléments consensuels : il convient d’évaluer le type de
dépendance. Il faut différencier la dépendance primaire et
secondaire et savoir si la dépendance est consciente ou pas
pour le patient.
Les stratégies thérapeutiques divergent par moment :
tout d’abord, la dépendance au thérapeute doit-elle être
acceptée dans un premier temps (thérapie analytique et
Winnicott) ou combattue (thérapie brève systémique) ?
Ensuite, si le patient n’a pas conscience de sa dépendance, faut-il l’accompagner dans une thérapie de type
indirecte (thérapie brève systémique et approche Ericksonnienne) ou s’attacher à lui faire prendre conscience de ses
troubles (thérapies cognitives et comportementales, travail
sur l’insight en thérapie analytique) ? L’évaluation scientifique ne permet pas encore de répondre à ces questions. Le
thérapeute doit s’inscrire dans l’éclectisme, s’adapter au
patient et à son contexte de vie.
Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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