L’Encéphale
(2012)
38,
170—178
D
i
spo
nible
en
ligne
sur
www.sciencedirect.com
j
o
ur
nal
homepage:
www.em-consulte.com/produit/ENCEP
THÉRAPEUTIQUE
Personnalité
dépendante
et
dépendance
affective
:
stratégies
psychothérapeutiques
Dependent
patient
and
interpersonal
dependency:
Psychotherapeutic
strategies
C.
Versaevel
EPSM
Lille
Métropole,
rue
du
Général-Leclerc,
BP
10,
59487
Armentières
cedex,
France
Rec¸u
le
5
janvier
2011
;
accepté
le
9
juin
2011
Disponible
sur
Internet
le
7
octobre
2011
MOTS
CLÉS
Article
synthèse
;
Dépendance
relationnelle
;
Personnalité
dépendante
;
Personnalité
borderline
;
Personnalité
évitante
;
Psychothérapie
Résumé
Cet
article
propose
de
faire
le
point
sur
les
approches
psychothérapeutiques
chez
les
patients
souffrant
de
personnalité
dépendante
et
de
dépendance
relationnelle
pathologique.
Nous
mettons
en
exergue
les
psychothérapies
ayant
fait
l’objet
d’une
évaluation.
La
recherche
évaluative
sur
le
sujet
est
pauvre
:
seules
huit
études
permettent
d’évaluer
des
psychothéra-
pies
dans
cette
indication
en
2005.
Nous
abordons
les
thérapies
d’inspiration
analytique,
les
psychothérapies
comportementales,
cognitives,
humanistes
et
systémiques
brèves.
Nous
consi-
dérons
la
dépendance
comme
étant
une
fac¸on
de
s’adapter,
de
compenser
une
estime
de
soi
altérée.
En
ce
sens,
la
psychothérapie
devra
également
s’attacher
à
restaurer
l’estime
de
soi.
L’évaluation
du
type
de
dépendance
aiguille
l’approche
thérapeutique.
Il
faut
rechercher
les
comorbidités
et
leur
apparition
dans
le
temps
par
rapport
à
la
dépendance.
Ainsi,
la
dépen-
dance
primaire,
«
héritée
de
l’enfance
»,
précède
les
autres
troubles
psychiques.
Dans
cette
situation,
la
thérapie
se
centre
principalement
sur
l’estime
de
soi.
La
dépendance
secondaire
fait
suite
à
un
événement
altérant
l’estime
de
soi,
comme
une
maladie
mentale
par
exemple.
Dans
cette
situation,
outre
le
fait
de
favoriser
la
rémission
de
la
maladie
mentale,
la
thérapie
visera
l’accompagnement
du
patient
vers
l’autonomie
et
le
«rétablissement
».
©
L’Encéphale,
Paris,
2011.
KEYWORDS
Interpersonal
dependency;
Dependent
personality
disorder;
Borderline
personality
disorder;
Summary
Objectives.
This
article
is
a
review
of
psychotherapies
for
patients
suffering
from
dependent
personality
and
interpersonal
dependency.
Method.
We
synthesized
articles
making
reference
to
this
question,
notably
those
written
by
Bornstein,
author
who
refers
to
the
dependent
personality.
We
highlighted
the
psychothe-
rapies
that
have
been
the
object
of
an
evaluation.
The
research
on
the
subject
is
sparse:
only
eight
studies
permitting
assessment
of
psychotherapies
in
this
indication
in
2005.
Besides
these
psychotherapies,
we
detailed
other
approaches
which
are
used
by
practitioners
in
these
indications.
Adresse
e-mail
:
0013-7006/$
see
front
matter
©
L’Encéphale,
Paris,
2011.
doi:10.1016/j.encep.2011.08.006
Personnalité
dépendante
et
dépendance
affective
171
Avoidant
personality
disorder;
Psychotherapy
Results.
The
therapy
does
not
aim
at
autonomy
‘‘at
all
costs’’,
but
that
the
patient
finds
a
dependence
‘‘adapted’’
to
his/her
environment.
Before
starting
a
therapy,
an
evaluation
is
use-
ful
to
specify
the
type
of
dependence.
First
of
all,
is
there
a
‘‘pathological’’
dependence?
Is
the
suffering
of
the
patient
secondary
to
his
personality
or
not
supportive
enough?
Does
insight
exist?
What
is
the
reaction
of
the
patient
if
we
suggest
the
hypothesis
of
a
dependence
on
his/her
part?
Does
he/she
consider
this
idea
or
reject
it?
Finally,
is
the
dependence
primary
or
secondary?
For
that
purpose,
it
is
necessary
to
study
the
biography
of
the
patient
and
the
appearance
of
the
comorbidity
over
time.
The
primary
dependence
is
seen
in
childhood
and
precedes
the
other
psychological
disorders.
The
secondary
dependence
follows
after
the
comorbidity
and
events
of
life
that
alter
self-esteem
(depression,
for
example).
Various
therapeutic
strategies
arise
from
various
currents.
The
therapies
of
analytical
inspiration
recommend
replaying
the
relationship
of
object
and
explicitly
evoking
the
transfer.
The
behavioural
and
cognitive
psychotherapies
aim
at
making
the
patient
identify
the
cognitions
which
underlie
the
dependence,
then
leading
the
patient
to
modify
his/her
cognition
and
to
behave
in
a
more
autonomous
way,
using
the
theory
of
learning.
The
humanist
therapies
aim
at
a
therapeutic
relationship
of
acceptance
and
respect
for
the
patient,
so
that
he/she
increases
self-esteem
and
finds
autonomy.
The
brief
systemic
therapy
develops
tools
to
deviate
from
the
relationship
of
dependence
in
the
therapy.
It
aims
at
the
change
through
a
modification
in
the
beliefs
of
the
patient.
The
dependence
can
be
envisaged
as
a
way
of
adapting
itself,
of
compensating
for
altered
self-esteem.
In
this
way,
the
psychotherapy
must
also
attempt
to
restore
self-esteem
in
an
implicit
or
explicit
way.
Conclusion.
The
evaluation
of
the
type
of
dependence
helps
the
therapeutic
approach.
It
is
necessary
to
look
for
the
comorbidity
and
its
appearance
over
time
with
regard
to
the
depen-
dence.
So,
in
primary
dependence,
the
therapy
focuses
on
the
increase
of
self-esteem.
In
the
secondary
dependence,
the
therapy
focuses
on
the
adaptation
to
this
event,
the
treatment
of
the
mental
illness,
and
then
to
the
accompaniment
in
restoring
and
autonomy.
If
the
patient
doesn’t
have
insight,
it
is
necessary
either
to
enhance
it,
or
to
work
in
an
indirect
way.
©
L’Encéphale,
Paris,
2011.
Introduction
Cet
article
propose
une
synthèse
sur
les
approches
psy-
chothérapeutiques
dans
les
problématiques
de
personnalité
dépendante
et
de
dépendance
relationnelle
(affective).
L’objectif
du
traitement
des
patients
souffrant
de
dépen-
dance
n’est
pas
une
autonomie
«à
tout
prix
»,
mais
vise
à
retrouver
une
dépendance
adaptée
lui
permettant
de
moins
souffrir
dans
son
environnement.
Le
plus
souvent,
les
patients
dépendants
se
sentent
mieux
et
rassurés
par
leur
suivi
et
imaginent
difficilement
une
rupture
de
la
relation
thérapeutique.
Si
le
patient
se
sent
mieux
dans
un
suivi
«
au
long
cours
»,
pourquoi
ne
pas
l’accepter
?
Parce
que
premièrement
sur
les
plans
éthique
et
déontologique,
la
question
de
la
privation
de
liberté
du
patient
qui
reste
sous
l’influence
forte
du
thérapeute
est
problématique.
Ensuite,
sur
ce
même
plan,
l’objectif
de
tout
thérapeute
n’est-il
pas
de
viser
l’autonomie
du
patient
?
Enfin,
parce
que
le
psychiatre
qui
accepte
une
dépendance
au
long
cours
de
ces
patients
n’a
progressivement
plus
de
temps
pour
rencontrer
de
«
nouveaux
patients
»,
tant
il
est
accaparé
par
sa
clientèle
de
«
dépendants
chroniques
».
Liens
entre
clinique
et
psychopathologie
Du
normal
au
pathologique
Chaque
personne
est
plus
ou
moins
dépendante
sans
que
cela
soit
«
pathologique
».
Aussi,
pour
un
même
individu,
la
dépendance
à
l’autre
fluctue
au
cours
de
sa
vie.
En
proie
aux
souffrances
de
l’existence,
les
individus
adultes
recherchent
à
nouveau
une
figure
d’attachement
pour
se
reconstruire.
Dans
chaque
situation,
la
question
suivante
devra
toujours
être
posée
:
la
personne
qui
souffre
en
demande-t-elle
trop
à
son
entourage
ou
est-ce
son
entourage
qui
n’est
pas
assez
étayant
?
En
période
de
crise,
le
simple
fait
que
le
psychiatre
sollicite
le
soutien
de
l’entourage
du
patient
peut
suffire
(fonction
de
médiation).
Cependant
parfois,
l’intensité
de
la
dépendance
à
autrui
inscrit
le
sujet
dans
la
pathologie.
Les
classifications
médi-
cales
définissent
la
personnalité
dépendante
[16].
Il
s’agit
d’une
catégorie
diagnostique
et
le
patient
qui
se
voit
ainsi
«
étiqueté
»,
n’est
pas
censé
«
guérir
»,
puisque
la
personnalité
est
stable
par
définition
dans
ce
modèle.
Si
l’on
s’écarte
des
nosographies
psychiatriques
catégorielles,
certains
auteurs
développent
le
concept
de
dépendance
affective
(dont
la
dépendance
amoureuse)
[4,33],
comprise
comme
une
dimension
de
la
personnalité
en
lien
avec
une
altération
de
l’estime
de
soi.
Cet
abord
dimensionnel
de
la
dépendance
psychique
semble
mieux
rendre
compte
de
la
dynamique
psychique
des
patients
rencontrés
en
clinique
[43].
Liens
entre
clinique
et
psychopathologie
Livesley
et
al.
ont
identifié
deux
dimensions
comme
étant
le
socle
des
phénomènes
de
dépendance
psychique
[26].
Cette
hypothèse
a
été
étayée
sur
un
plan
expérimental
par
Gude
et
al.
[20].
En
effet,
certains
critères
de
la
personnalité
dépendante
se
rapprochent
de
ceux
de
la
personnalité
évi-
tante
dans
un
spectre
commun
qu’il
est
possible
de
nommer
:
172
C.
Versaevel
«
dépendance/incompétence
»,
tandis
que
d’autres
critères
se
rapprochent
de
ceux
de
la
personnalité
borderline
dans
un
autre
spectre
nommé
:
«
attachement/abandonnique
».
Psychopathologie
du
spectre
«
attachement/abandonnique
»
:
manque
d’amour
de
soi
et
insécurité
affective
Deux
types
de
pensées
récurrentes
traduisent
ce
spectre
psychopathologique.
La
première
est
:
«
Je
ne
mérite
pas
d’être
aimé
».
La
seconde
est
:
«
On
ne
m’aime
pas
».
La
relation
à
l’autre
n’est
donc
jamais
pleinement
sécu-
risante,
mais
de
type
anaclitique.
La
personne
met
en
place
des
mécanismes
de
compensation
de
l’amour
de
soi
en
cherchant
à
conserver
l’amour
de
l’autre
:
attitude
séductrice
active
(histrionisme),
asservissement
passif,
dévouement
ou
relation
d’emprise.
Si
la
per-
sonne
présente
constamment
ce
fonctionnement
de
fac¸on
intense,
on
peut
évoquer
le
trouble
de
la
personnalité
de
type
état-limite
ou
borderline
[16]
:
«
Efforts
effrénés
pour
éviter
un
abandon
réel
ou
imaginé
».
Psychopathologie
du
spectre
«
dépendance/incompétence
»
:
manque
de
confiance
en
ses
capacités
Des
idées
récurrentes
traduisent
ce
spectre
:
«
Je
ne
suis
pas
à
la
hauteur,
je
suis
nul(le),
je
vais
rater
».
En
conséquence,
plusieurs
réactions
peuvent
s’observer
:
La
personne
peut
se
persuader
du
fait
de
ne
pas
être
capable
et
se
dévalorise.
Elle
a
peur
d’affronter
seule
le
monde.
Elle
est
inhibée,
indécise
et
reste
dans
l’évitement.
Ce
sentiment
amène
la
personne
à
peu
entreprendre
et
à
l’échec,
ce
qui
renforce
ce
sentiment.
Si
la
personne
pré-
sente
constamment
ce
fonctionnement
de
fac¸on
intense,
on
peut
évoquer
une
personnalité
évitante
[16].
Cette
inquiétude
peut
également
induire
une
dépen-
dance
à
l’autre.
La
personne
recherche
un
individu,
une
institution
capable
de
la
sécuriser,
de
pallier
ses
carences
supposées.
Pour
établir
et
garder
le
lien
avec
cette
per-
sonne,
elle
est
prête
à
se
soumettre
et
à
accepter
un
manque
de
respect,
voire
d’être
maltraitée
[28].
Si
la
personne
pré-
sente
constamment
ce
fonctionnement
de
fac¸on
intense,
on
peut
évoquer
une
personnalité
dépendante
[16].
Mais
l’évitement
et
la
dépendance
ne
sont
pas
les
seules
voies
chez
ces
personnes.
Elles
peuvent
mettre
en
place
des
mécanismes
de
compensation
de
l’estime
de
soi
pour
répondre
à
leur
besoin
de
valorisation
étayant
leur
manque
interne.
Elles
se
réfugient
dans
des
domaines
elles
sont
reconnues
et
compétentes.
Le
perfectionnisme
et
le
besoin
de
contrôle
les
caractérisent.
L’expression
de
la
dépendance
ne
se
réduit
donc
pas
à
la
passivité,
comme
le
soutiennent
Morgan
et
al.
[32]
dont
les
travaux
identifient
deux
fac-
teurs
:
un
facteur
«
passif/soumis
»
se
caractérisant
par
un
manque
d’assertivité
et
un
facteur
«
actif/émotionnel
»
se
manifestant
par
une
recherche
active
de
soutien
émotion-
nel.
En
ce
sens,
Bornstein
propose
une
autre
définition
de
la
personnalité
dépendante
[8]
:
«
Vision
de
soi
même
comme
faible
qui
pousse
le
sujet
à
s’engager
dans
des
comportements
actifs
ou
passifs
pour
maintenir
la
relation
protectrice
».
Évaluation
préalable
à
la
psychothérapie
:
dépendance
consciente
ou
inconsciente/primaire
ou
secondaire
Une
évaluation
est
utile
avant
d’engager
la
thérapie
d’un
patient
dépendant.
Dépendance
consciente
ou
non
consciente
Pour
évaluer
la
dépendance
dont
le
patient
a
conscience,
il
est
possible
d’envisager
des
autoévaluations.
L’Interpersonal
Dependency
Inventory
(IDI)
d’Hirschfeld
et
al.
[21],
validé
en
franc¸ais
par
Loas
et
al.
[27],
comporte
48
items
et
évalue
différents
sous-types
de
dépendance
relationnelle.
Avec
19
items,
la
sous-échelle
«Emotional-
Reliance
»
est
corrélée
au
pôle
«
actif/émotionnel
»
de
la
dépendance
selon
Morgan
et
al.
(coefficient
de
corrélation
:
0,86)
[32].
Avec
huit
items,
le
questionnaire
pour
personnalité
dépendante
(QPD)
de
Tyrer
et
al.
[41],
validé
en
version
franc¸aise
par
Loas
et
al.
[30],
est
plus
souple
d’utilisation,
mais
ne
dépiste
que
les
personnalités
dépendantes
au
sens
du
DSM
[16].
Le
QPD
est
corrélé
au
pôle
«
passif-soumis
»
de
la
dépendance
selon
Morgan
(coefficient
de
corrélation
:
0,71),
de
même
que
la
sous-échelle
«
Lack
of
Social
Self-
Confidence
»
de
l’IDI
(coefficient
de
corrélation
:
0,86)
[32].
Synthétiquement,
deux
dimensions
principales
de
la
dépen-
dance
émergent
des
recherches
empiriques,
corroborant
les
constatations
cliniques
:
un
manque
de
confiance
en
soi
(en
ses
capacités)
dans
un
registre
passif/soumis
;
une
insécurité
affective
qui
s’exprime
dans
une
recherche
active
de
soutien.
Si
le
patient
présente
des
traits
de
dépendance
dont
il
n’a
pas
conscience,
il
est
possible
de
l’objectiver
en
réunis-
sant
des
éléments
cliniques
(aspects
discursifs,
cognitifs,
émotionnels,
motivationnels
et
comportementaux),
voire
en
réalisant
un
test
projectif
:
le
ROD
(Rorscharch
Oral
Depen-
dency)
de
Masling,
Rabie
et
Blondheim
[31].
Dépendance
primaire
ou
secondaire
Dans
l’optique
de
traiter
ces
patients,
Bornstein
conseille
de
différencier
les
dépendants
de
type
primaire
et
les
dépendants
de
type
en
secondaire
[9,10].
En
effet,
ces
patients
présentent
de
nombreux
troubles
comorbides
[3]
(anxiété,
troubles
de
l’humeur,
troubles
de
l’adaptation,
addictions
avec
ou
sans
drogues
[troubles
du
comportement
alimentaire]).
Mais
dans
certains
cas,
l’expression
de
la
dépendance
précède
les
symptômes
(dépendance
primaire
dans
le
cas
de
l’apparition
d’une
boulimie
sur
une
person-
nalité
dépendante,
par
exemple).
Dans
d’autres,
elle
est
consécutive
à
l’expression
de
ces
comorbidités
(dépendance
secondaire).
Des
études
démontrent
que
pour
de
nombreux
troubles
de
l’axe
1
du
DSM
(dépression,
trouble
panique,
phobie
sociale,
trouble
obsessionnel-compulsif,
troubles
psychotiques),
les
traits
de
dépendance
s’intensifient
au
moment
de
leur
expression.
Mais
ce
qui
pose
problème,
c’est
Personnalité
dépendante
et
dépendance
affective
173
que
ces
traits
restent
exacerbés
après
l’amélioration
de
ces
troubles
de
l’axe
1
[5,10,19,35].
Cela
montre
l’importance
de
rechercher
et
de
traiter
la
dépendance
secondaire
chez
chaque
patient.
En
effet,
si
le
traitement
est
uniquement
ciblé
sur
le
trouble
de
l’axe
1,
il
sera
incomplet
puisqu’il
ne
permettra
pas
au
patient
de
recouvrer
la
pleine
jouissance
de
son
autonomie
et
de
ses
capacités
fonctionnelles.
Causes
de
la
dépendance
primaire
Les
causes
de
la
dépendance
primaire
pathologique
se
retrouvent
dans
l’interaction
entre
le
ressenti
de
la
per-
sonne
et
son
environnement
dans
le
passé.
On
peut
parler
d’altération
de
l’estime
de
soi
«héritée
du
passé
ou
de
l’enfance
».
C’est
dans
les
interactions
avec
son
entou-
rage,
dans
l’enfance
le
plus
souvent,
que
se
construit
ce
qui
s’exprimera
par
une
psychopathologie
de
type
attache-
ment/abandonnique
ou
dépendance/incompétence
à
l’âge
adulte.
Mais
déjà
dans
l’enfance
de
la
personne,
on
retrouve
dans
70
%
des
cas
un
attachement
non
sécurisant
ou
une
angoisse
de
séparation
[29].
Deux
facteurs
interagissent
pour
construire
ces
spectres
psychopathologiques
:
d’un
côté,
on
distingue
les
facteurs
exogènes.
Il
est
démontré
que
les
parents
qui
ont
des
comportements
surprotecteurs
ou
très
autoritaires
ont
des
enfants
qui
présentent
de
forts
taux
de
dépendance
[10].
Il
y
a
aussi
la
confrontation
à
des
événements
de
vie
altérant
l’estime
de
soi
ou
à
valeur
traumatique
:
maltraitance
(abandon,
dévalorisation),
agression
sexuelle,
deuil,
maladie
grave,
handicaps.
.
.
Les
théories
sur
lesquelles
reposent
les
dif-
férents
courants
de
psychothérapie
expliquent
comment
ces
facteurs
interagissent
avec
le
psychisme
pour
induire
une
dépendance
psychique
pathologique
;
de
l’autre
côté,
on
distingue
les
facteurs
endogènes.
L’hypersensibilité
de
la
personne
qui
lui
fera
ressentir
avec
une
intensité
émotionnelle
forte
les
événements.
Cette
hypersensibilité
émotionnelle
repose
sur
un
corré-
lat
neurobiologique
inné
(transporteur
de
la
sérotonine
[7])
ou
acquis
(modification
de
l’expression
des
gènes
par
un
phénomène
épigénétique
[45]).
De
nombreux
facteurs
biologiques
jouant
un
rôle
dans
l’attachement
peuvent
être
incriminés
[11]
:
dopamine,
opioïdes,
ocyto-
cine,
vasopressine.
.
.
Orientations
de
la
thérapie
Si
de
nombreux
articles
évoquent
les
psychothérapies
adap-
tées
aux
patients
dépendants,
en
revanche
l’évaluation
scientifique
est
pauvre.
Seules
huit
études
contrôlées
étaient
relevées
en
2005
[10].
Deux
d’entre-elles
montrent
des
résultats
positifs
:
celle
d’Alexander
et
Abeles
axée
sur
la
prise
de
conscience
en
1968
[2]
et
celle
de
Rathus
et
al.
axée
sur
le
travail
cognitif
en
1995
[34].
De
ce
bilan,
aucun
type
de
psychothérapie
ne
s’est
vraiment
imposé
comme
étant
le
traitement
de
choix
des
patients
dépendants.
L’évaluation
préalable
permet
cependant
de
guider
la
psychothérapie.
Si
la
dépendance
est
primaire,
la
thérapie
devrait
se
centrer
sur
le
traitement
de
la
dépendance
et
de
l’estime
de
soi
[10].
Si
la
dépendance
est
secondaire,
la
thérapie
devrait
d’abord
s’attacher
à
améliorer
le
trouble
primaire,
puis
accompagner
le
patient
vers
l’autonomie
ou
le
rétablis-
sement
dans
un
second
temps.
Si
la
dépendance
n’est
pas
consciente,
la
thérapie
consistera
à
en
faire
prendre
conscience
au
patient
ou
à
utiliser
des
outils
de
psychothé-
rapie
permettant
une
approche
indirecte.
Le
courant
psychanalytique/psychodynamique
Nous
n’avons
pas
la
place
pour
développer
les
hypothèses
psychopathologiques
riches
et
multiples
issues
de
ce
cou-
rant.
Les
stratégies
psychothérapeutiques
sont
détaillées
par
Coen
[12]
et
Van
Sweden
[42].
Analyser
les
thèmes
relationnels
fondamentaux
Lors
de
la
verbalisation
du
patient,
le
thérapeute
doit
l’accompagner
pour
dégager
les
problématiques
récur-
rentes.
Cela
amène
le
patient,
en
prenant
de
la
distance,
à
mieux
prendre
conscience
de
ses
schémas
relationnels
dys-
fonctionnels
et
à
remettre
en
cause
ses
interprétations.
Rejouer
la
relation
d’objet
Le
thérapeute
doit
créer
une
relation
thérapeutique
qui
ne
pourra
pas
s’altérer
face
aux
schémas
destructeurs
que
met
en
place
le
patient
dans
les
autres
secteurs
de
sa
vie.
Ainsi,
le
patient
fait
pour
une
fois
l’expérience
d’un
nou-
veau
schéma
relationnel
et
sort
de
la
répétition,
ce
qui
est
sécurisant
et
promeut
l’autonomie.
Winnicott
[44]
estime
indispensable
de
laisser
certains
patients
s’installer
dans
un
état
de
dépendance
vis-à-vis
du
thérapeute
:
«
Quand
le
sujet
est
dans
un
tel
état
qu’il
ne
peut
plus
exprimer
quoi
que
ce
soit,
la
première
chose
à
faire
est
de
satisfaire
son
besoin
de
dépendance.
Sinon
il
y
a
le
risque
de
reproduire
une
situation
de
carence
primi-
tive
».
C’est
un
«
holding
»,
qui
permet
la
mise
en
place
de
la
confiance,
de
la
réciprocité,
en
évitant
le
recours
à
toute
parole
ou
tout
geste
qui
pourrait
être
perc¸u
comme
autant
d’empiétements
sur
sa
liberté.
C’est
dans
un
second
temps
qu’il
pourra
se
rendre
compte
qu’il
est
dépendant
et
trouver
une
motivation
pour
s’autonomiser.
Comme
le
pense
Born-
stein,
la
dépendance,
dans
le
fait
de
rechercher
une
figure
d’attachement
fiable
pour
être
soutenu
et
conseillé,
peut
être
un
comportement
adapté
à
«
dépathologiser
»
[8].
Évoquer
le
transfert
Les
patients
dépendants
idéalisent
souvent
le
thérapeute
et
le
perc¸oivent
comme
un
puissant
substitut
parental
qui
délivre
de
bons
soins.
En
réaction
à
ce
transfert
du
patient,
le
thérapeute
peut
ressentir
de
la
valorisation,
se
sentir
poussé
au
paternalisme,
ressentir
de
la
frustration
devant
la
passivité
du
patient
ou
devant
l’impression
que
la
thérapie
stagne.
.
.Ces
réactions
peuvent
à
leur
tour
être
nuisibles
au
patient.
Évoquer
explicitement
cette
réaction
transféren-
tielle
avec
le
patient
serait
une
clé
de
la
thérapie.
Le
courant
comportemental
Ce
courant
pense
que
les
patients
expriment
des
com-
portements
de
dépendance
parce
que
ces
derniers
ont
été
conditionnés
par
une
combinaison
de
conditionne-
ments
opérants
(réponses
positives
à
ce
comportement),
de
conditionnements
vicariants
(par
l’observation
de
modèles).
174
C.
Versaevel
Les
comportements
de
dépendance
seraient
maintenus
par
renforcement
positif
(récompenses
pour
montrer
un
comportement
dépendant).
Les
comportements
autonomes
se
raréfient
par
un
renforcement
négatif
(anxiété
qui
résulte
du
comportement
autonome).
Kazdin
[24],
Turkat
et
Maisto
[40]
proposent
des
stratégies
de
soins
découlant
de
ce
modèle.
Remplacer
le
comportement
dépendant
par
des
comportements
autonomes
Les
techniques
d’extinction
des
comportements
dépendants
seront
toujours
couplées
à
un
programme
de
traitement
qui
augmentera
la
fréquence
des
comportements
autonomes.
Non
pas
uniquement
parce
que
l’autonomie
est
l’objectif
du
traitement,
mais
parce
que
l’augmentation
des
compor-
tements
autonomes
inhibe
d’elle-même
les
comportements
dépendants.
Ne
pas
rassurer
Le
courant
comportemental
considère
que
le
soulagement
secondaire
à
un
comportement
de
dépendance
(réassurance
par
un
tiers)
est
un
renforc¸ateur
positif
de
ce
comporte-
ment.
La
personne
a
peur,
elle
établit
un
lien
avec
autrui
pour
se
rassurer,
ce
qui
diminue
sa
peur.
Ce
faisant,
elle
n’utilise
pas
ses
ressources
internes
de
réassurance.
Elle
est
donc
plus
encline
à
s’inquiéter
et
à
redemander
qu’on
la
rassure.
Une
circularité
négative
existe.
Pour
en
sortir,
il
est
nécessaire
de
demander
au
patient
de
stopper
ces
comportements
dans
le
cadre
thérapeutique
(«
J’ai
peur.
.
.
c¸a
ira
mieux
Docteur
?
»
—–
«
Non
!
C¸a
ira
mieux
si
vous
accep-
tez
que
je
ne
vous
rassure
pas
»),
puis
dans
l’environnement
proche
du
patient.
Utiliser
la
désensibilisation
des
stimuli
qui
induisent
un
comportement
dépendant
Bien
souvent,
les
comportements
dépendants
sont
exacer-
bés
chez
le
patient
lors
des
situations
de
gêne,
d’abandon
ou
de
critiques.
Il
s’agit
d’abord
de
les
repérer.
Ensuite,
la
tech-
nique
de
désensibilisation
systématique
de
Wolpe,
décrit
par
Cottraux
[13]
(relaxation
et
exposition
en
imagination,
puis
in
vivo)
peut
être
utilisée
pour
gérer
l’anxiété
issue
de
ces
situations.
Le
courant
cognitif
Ball,
Young
et
al.
ont
travaillé
sur
la
thérapie
cogni-
tive
des
patients
dépendants
[6,47].
Le
courant
cognitif
conceptualise
la
dépendance
comme
la
production
de
sché-
mas
cognitifs
dysfonctionnels
précoces
qui
font
douter
les
patients
de
leurs
capacités
et
exagérer
les
conséquences
de
leurs
erreurs.
Ces
schémas
diminuent
l’estime
de
soi,
augmentent
l’anxiété
et
induisent
des
distorsions
cogni-
tives
qui
maintiennent
les
patients
dans
leurs
croyances
préexistantes.
Différentes
distorsions
cognitives
sont
parti-
culièrement
retrouvées
chez
les
patients
dépendants
:
les
lectures
de
pensées
(le
patient
imagine
savoir
ce
que
les
autres
pensent
:
leurs
défauts
sont
perc¸us,
ce
qui
peut
amener
un
évitement
ou
un
abandon)
:
«
Tout
le
monde
voit
que
je
ne
suis
pas
à
l’aise
et
que
je
ne
suis
pas
capable
»
;
des
autoévaluations
négatives
(le
patient
se
blâme
lui-
même,
ce
qui
diminue
le
manque
de
confiance
en
lui)
:
«
Je
suis
un
bon
à
rien.
.
.
personne
ne
peut
m’aimer
ou
m’accepter
tel
que
je
suis
».
Le
patient
se
dit
alors
qu’il
doit
plaire
et
faire
plaisir
à
l’autre
pour
être
apprécié
;
des
biais
d’attribution
:
le
patient
attribue
à
une
cause
externe
ses
évènements
de
vie,
il
ne
se
félicite
pas
de
ses
réussites
qu’il
attribue
à
autrui,
ce
qui
amène
un
schéma
de
dépendance
:
«
J’ai
eu
l’examen
parce
que
j’ai
été
aidé
par
un
ami
:
je
ne
peux
pas
réussir
seul
».
Ces
thérapies
utilisent
les
ingrédients
suivants
:
mettre
en
évidence
les
troubles
cognitifs
et
les
modifier
:
les
programmes
des
traitements
cognitifs
visent
à
faire
connaître
au
patient
ses
distorsions
cognitives
à
propos
de
situations
concrètes
l’aide
du
tableau
à
cinq
colonnes
de
Beck
[13])
et
ses
schémas
cognitifs
dysfonctionnels
(technique
de
la
flèche
descendante
[13])
pour
ensuite
les
modifier
;
utiliser
une
guidance
active
et
directive
du
patient
au
début
du
traitement
:
quand
le
patient
progresse
dans
sa
thérapie,
le
thérapeute
donne
graduellement
plus
de
res-
ponsabilités
au
patient.
De
cette
fac¸on,
y
compris
dans
le
cadre
thérapeutique,
le
patient
fait
l’apprentissage
de
l’autonomie
;
promouvoir
une
autonomie
par
l’entraînement
aux
tech-
niques
de
résolution
de
problèmes
:
pour
faciliter
cet
objectif,
le
thérapeute
utilise
la
méthode
socratique
pour
aider
le
patient
à
générer
par
lui-même
des
prises
de
conscience
et
des
solutions.
Des
stratégies
de
résolution
de
problème
sont
apprises
au
patient
pour
qu’il
puisse
de
fac¸on
autonome
et
en
pleine
conscience
gérer
les
situa-
tions
problématiques
plutôt
que
de
faire
appel
à
autrui.
Il
faudra
cependant
aider
le
patient
à
identifier
les
situa-
tions
la
demande
d’aide
et
de
soutien
reste
appropriée,
de
fac¸on
à
ce
qu’il
ne
culpabilise
pas
et
ne
se
mette
pas
en
danger
en
refusant
toute
aide
au
delà
de
la
thérapie
;
anticiper
une
rechute
lors
des
dernières
phases
du
trai-
tement
:
à
la
fin
de
la
thérapie,
on
apprend
au
patient
à
repérer
les
situations
à
fort
risque
de
rechuter
dans
ses
cognitions
et
ses
comportements
dépendants.
Les
alter-
natives
sont
discutées
et
anticipées.
Le
thérapeute
insiste
sur
le
fait
que
les
«
rechutes
»
à
certains
moments
ou
dans
certains
domaines
de
la
dépendance
ne
signent
pas
un
échec
global
de
la
thérapie.
Elles
sont
envisagées
comme
des
occasions
d’apprendre
de
nouvelles
choses
et
la
thé-
rapie
peut
reprendre
sur
un
temps
limité.
Le
courant
humaniste
Ce
courant
défend
le
fait
que
le
regard
des
parents
sur
l’enfant
conditionne
les
comportements
de
dépendance.
L’enfant
construit
une
vision
altérée
de
lui-même
en
per-
cevant
les
regards
des
autres
le
concernant.
L’enfant
s’y
adapte
:
il
conc¸oit
l’autonomie
comme
inacceptable
et
se
construit
sur
un
faux
soi
centré
sur
le
désir
des
autres.
Schneider
et
May
[38]
et
Yalom
[46]
définissent
les
grandes
lignes
de
cet
abord
thérapeutique
qui
se
calque
sur
la
thérapie
centrée
sur
la
personne
développée
par
Rogers
[36].
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