Proposition d`une nouvelle approche Marketing des médias

1re conférence francophone en sciences de l’information et de la communication
Faculté de journalisme de l’Université de Moscou - 14 au 14 mai 2004.
Proposition d’une nouvelle approche Marketing des médias
Communication de Claude Le Bœuf
Professeur Émérite, CRIC-Université de Montpellier 1
Résumé
Les « nouvelles » approches Marketing mises en œuvre par les organisations médiatiques
s’inscrivent dans une dynamique concurrentielle. Elles conduisent à une course au « toujours
plus ». Jusqu’à quand l’obsolescence sera-t-elle ainsi programmée pour nourrir la demande ?
Nous proposons de « faire autrement », d’adopter une « nouvelle » approche du Marketing
tenant compte de la rupture épistémologique mise en évidence par Edgar MORIN pour
appréhender la complexité du secteur des médias. La « pensée complexe » permet au Marketing
de sortir de l’impasse. Elle délaisse « l’empirisme logique » du Positivisme pour recourir à la
Systémique et au Constructivisme afin d’appréhender globalement les marchés et comprendre
pleinement les pratiques des dias. Elle invite à travailler à une Anthropologie de
l’information au profit de tous les acteurs du secteur.
1
Mots clefs
MÉDIAS, MARKETING, COMPLEXITÉ, SYSTÉMIQUE, CONSTRUCTIVISME
Proposition d’une nouvelle approche Marketing des médias
De la relativité des choses dans un univers de plus en plus complexe
La question des nouvelles approches Marketing mises en œuvre par les médias m’interpelle
depuis longtemps1. Cette conférence est une opportunité pour croiser les Sciences de gestion et
les Sciences de l’information à propos du Marketing et du Journalisme et produire un autre
regard.
La nouveauté en Marketing s’inscrit dans une démarche habituelle de différenciation. Le
mythe du nouveau est alimenté de tout temps par les praticiens et les auteurs. L’obsolescence,
inhérente au système, est programmée pour nourrir la demande. Aussi, mon projet n’est-il pas,
comme celui d’illustres fondateurs du Marketing moderne (T. LEVITT, Marketing Myopia,
E. DICHTER, Le Marketing mis à nu) de décrire l’objet, mettre en évidence les ficelles du
métier et contribuer à la course au toujours plus décriée par ailleurs par Paul WATZLAWICK.
Je suis partisan de ne pas limiter la nouveauté des approches au seul contexte spatio-temporel
mais d’expliciter la posture scientifique, les références théoriques2, le regard porté à l’objet
« Marketing » donc quitter les paradigmes de l’économie néolibérale pour gagner en efficacité.
Je propose effectivement une « nouvelle » approche du Marketing tenant compte de la
rupture épistémologique mise en évidence par Edgar MORIN pour appréhender la complexité.
I - Le « toujours plus », approche traditionnelle du Marketing des médias
Le Marketing est un outil de gestion, qui permet de construire l'offre en fonction de la
demande. Sa particularité tient au processus visant à satisfaire les objectifs de l'entreprise à
travers la satisfaction des clients et des partenaires, elle se fonde sur leur connaissance
préalable. Contraintes par la concurrence, les entreprises qui « font du Marketing » n'imposent
pas leurs propres vues aux clients, elles les interrogent, cherchent à connaître leurs besoins,
leurs attentes, leurs modes de perception et d'interprétation, leurs modes de vie… et, au-delà, le
fonctionnement des marchés en analysant de la même manière les partenaires, les concurrents,
et les institutions.
L’« approche » Marketing, à distinguer de la décision et de l’action Marketing3, est une
façon de faire, une façon de mettre en œuvre, une façon de voir, un état d’esprit avec lequel on
appréhende l’autre (client, concurrent…), c’est-à-dire une démarche de connaissance.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment pensent les « marketers » ? Quelles sont leurs
« visions » des consommateurs ? Y a-t-il une tendance commune bien qu’il faille tenir compte
des spécificités radio, télévision, presse écrite, Internet ?
1 Enseignant-chercheur en Marketing pendant 25 ans, puis en Journalisme pendant 12 ans, j’ai appliqué mes
recherches à différents secteurs d’activité dont ceux de la télévision par câble et la PQR.
2 « Il n’est pas de cas où la théorie se base sur des observations. C’est le contraire, la théorie détermine ce que nous
pouvons observer », EINSTEIN cité par WATZLAWIK in LE BŒUF 2000 a.
3 Les fameux quatre « P » (produit, prix, place ou distribution, promotion) constituant le Marketing Mix.
2
1- Le Marketing d’imitation
Faute d’avoir pu lancer à temps une étude systématique auprès des organisations
médiatiques et leurs consultants permettant de répertorier toutes les nouvelles approches
Marketing mises en œuvre dans le secteur des médias, nous avons confié aux étudiants du
DESS de Management des médias de Montpellier une enquête auprès des entreprises qui les
accueillent en stage, en février 2004. Ils n’ont pas repéré d’approches Marketing nouvelles4.
Les études d’audience et les études ad hoc traditionnelles sont encore majoritaires dans les
médias. La plupart des organisations médiatiques confient leurs « sujets sensibles » à des
prestataires extérieurs, principalement IPSOS, Médiamétrie et SOFRES. Dans la presse écrite
quotidienne, seuls, L’Équipe et Le Parisien ont un service Marketing interne.
Actuellement, les médias connaissent des succès variables5. Dans la plupart des cas, pour
relancer ou développer l’activité, on applique les recettes ayant déjà fait leurs preuves ailleurs. Il
s’agit d’un Marketing d’imitation (la qualification n’est pas péjorative, T. LEVITT soulignait à
son époque les avantages d’une stratégie d’imitation qui évite les risques majeurs de
l’innovation). Ainsi approche-t-on le marché en se demandant quel « plus » améliorerait la
satisfaction de la clientèle. Les exemples sont multiples. Citons des professionnels des médias :
- Pour L. BOSIO, DG adjoint de Carat Expert, « Les succès de Capital, de Courrier
International, de Psychologies Magazine ou d'Entrevue sont les exemples les plus frappants de
cette capacité à répondre aux attentes du lectorat. Au-delà de ces innovations éditoriales, les
audaces Marketing ont aussi permis à la presse d'attirer davantage de clients. En France, les
suppléments magazines des quotidiens dopent la diffusion. Les ventes ont augmenté de 37 %.
Une stratégie efficace pour résister à la concurrence de la télévision et de l'Internet. Côté
magazines, l'introduction du Marketing a donné naissance à la multiplication des suppléments
régionaux des titres. Une proximité fortement appréciée qui se répercute également sur les
ventes ».
- D'autres recettes ont fait leurs preuves à l'échelle mondiale. L'innovation passe aussi par
l'adaptation aux techniques commerciales des grandes surfaces. B. SCHMUTZ, Directeur
Études et Recherches à Hachette/Interdéco, explique que « la presse - produit culturel - fait de
plus en plus appel au Marketing de la grande distribution. À l’instar de l’Italie les journaux
sont vendus avec des parfums, des disques ou des livres afin d'appâter le client. Malgré ce
potentiel d'attraction, ce « plus produit » n'est pas un concept encore très répandu en France ».
- P. MOATI, directeur de recherche au CREDOC, généralise cette approche avec la notion
de Marketing de bouquet. « Certains relais H ont déjà exploré cette voie en proposant en plus
des produits traditionnels de presse un espace restauration. Les journaux ayant un lectorat ciblé
pourraient être distribués dans des boutiques dont les clients partagent le même centre
d'intérêt ». Il conclut que « pour dégager de nouvelles stratégies de diffusion de la presse, il
faudrait raisonner de manière transversale et non plus par filière ».
4 Nombre de petites organisations médiatiques ne pratiquent pas du tout le Marketing. La diffusion de la culture
Marketing est limitée dans le secteur des médias. D’après les spécialistes, seuls PRISMA, et Hachette dans une
moindre mesure (gestion titre par titre), ont une approche globale du marché. Le Marketing centralisé au niveau des
groupes de presse coupe souvent les établissements membres de leurs terrains. Les succès remportés par la presse
n’occultent pas pour autant les échecs, exemple marquant, Infomatin créé en septembre 1995 et mis en liquidation
judiciaire fin janvier 1996.
5 « 2003 a été une nouvelle année difficile et contrastée pour la diffusion de la presse. Les magazines s’en sortent
mieux que les quotidiens », Le Monde 26/03/2004.
3
- Le Monde annonce pour le 9 janvier, en guise de cadeau pour son cinquantième
anniversaire, une nouvelle formule « plus facile d'accès, plus contemporaine, plus mondiale » :
Le Monde 26.
2- Des approches Marketing « nouvelles »
Dans le domaine de la recherche quantitative, les nouvelles technologies d’information et
de communication revitalisent l’analyse multidimensionnelle des données des années soixante-
dix et les techniques de sondage. Elles donnent de « nouveaux visages au Marketing » (BOSS
1997). L'entreprise capitalise ses connaissances dans des bases de données et les exploite
dans une véritable optique Marketing. Différentes approches sont mises en œuvre :
- L’approche technologique
Internet permet de s’affranchir des distances et des contraintes de temps et génère à des
coûts compétitifs une multitude de données sur les marchés. Les distinctions entre information,
publicité, vente tendent à disparaître du fait de l’interactivité avec les clients (LE BŒUF 1986).
L’approche vise à proposer une offre individualisée. Elle se décline en approche interactive,
approche relationnelle…
Le Marketing interactif est « une métamorphose impérieuse de la fonction Marketing dans
son ensemble, reposant sur une nouvelle approche du consommateur, la décision d’achat étant
perçue comme le fruit d’un échange continu entre vendeur et acheteur pendant lequel le contrôle
de l’information est partagé » (LEHU 1996).
Avec le Marketing relationnel, concept médiatique du moment (Customer Relationship
Management), l’entreprise vise à produire du lien, de la relation de fidélisation. Les outils qui
existent pour améliorer la gestion de la relation client sont conçus dans une approche intégrée
vente-Marketing-service. C’est en ce sens que la personnalisation accrue de la relation client
modifie l’approche Marketing, les clients et non plus les produits sont au centre des
préoccupations.
Interactif ou relationnel, « le Marketing segmenté devient un Marketing personnalisé »
(BOSS 1997) pouvant évoluer vers le « Marketing One to One ». Ainsi, la presse Internet offre-
t-elle des produits sur mesure (ou en tout cas en « customisation de masse » comme le dit
BOSS).
- Le GéoMarketing
L’approche est spatiale. Elle repose sur le constat qu’une activité n’a pas le même impact en
fonction du lieu géographique de sa réalisation, qu’il s’agisse d’une agence commerciale, de
points de diffusion… Elle se fonde sur des systèmes d’information géographique (SIG)
combinant des bases de données existantes avec des informations géographiques. L’approche
est mise en œuvre par les prestataires de service au profit des grands éditeurs. La baisse des
coûts des logiciels la met cependant à la portée des entreprises de taille moyenne.
- La modélisation
L’approche modélisante combine différents outils de mesure d’audience, de diffusion, de
population… afin d’estimer un marché difficilement appréhendable par sondage. IPSOS, par
exemple, propose aux éditeurs à petit tirage une modélisation de leur titre en fonction de la
famille de presse d’appartenance.
6 Cela bouge dans le quotidien français. www.comu.ucl.ac.be/reci/orm/Doc/Lettre2.html
4
Dans le domaine de la recherche qualitative (LE BŒUF 1996), l'évolution s’est faite par
emprunts aux différentes disciplines scientifiques allant de l'économique vers le psychologique
et le social. Après une longue période dominée par les styles de vie du CCA et les styles
socioculturels de la COFREMCA, les approches dites nouvelles se succèdent de plus en plus
rapidement. Elles se focalisent sur des aspects des consommateurs jusque-là négligés qui, par
différence, devraient apporter des avantages concurrentiels (PORTER 1986).
Les médias mettent principalement en œuvre des approches quantitatives. La pression de la
concurrence devrait les inciter à recourir plus volontiers aux approches qualitatives « à la
mode ».
- L’approche éthique (PASTOR-REISS et NAILLON 2002)
L’actualité est marquée par la publication d’ouvrages mettant en cause les pratiques de
certaines organisations médiatiques et la crédibilité de certains journalistes. L’approche éthique
est centrée sur le ur de métier : l’information. Elle devrait permettre aux organisations
médiatiques de transmettre ses valeurs dans ses produits et services, les partager avec ses clients
et conforter leur confiance.
- L’approche sensorielle (LE BŒUF 2003)
Le Marketing sensoriel considère que les consommateurs utilisent leurs cinq sens l’ouïe,
la vue, le toucher, l'odorat et le goût – lorsqu’ils perçoivent et interprètent les offres de produits.
L’approche constitue une nouvelle voie pour comprendre et solliciter les cibles et se différencier
par rapport à la concurrence.
- L’approche tribale (COVA et COVA 2001)
Le Marketing tribal considère que les liens affinitaires entre individus affectent les
comportements de consommation et sont constitutifs de communautés. À l’encontre de la
segmentation traditionnelle (les segments agrègent des individus présentant des caractéristiques
communes - CSP, âge, sexe…), la tribu rassemble des individus différents mais ayant les
mêmes affinités, les mêmes valeurs. « Le Marketing relationnel utilise la relation comme un
moyen de toucher les consommateurs alors que le Marketing tribal fait de la relation son
objectif »7. Sous composante du Marketing viral, il s’appuie sur les comportements sociaux des
tribus pour promouvoir produits et services.
- L’approche virale (GODIN 2001)
Le Marketing viral vise dans un groupe d’individus ceux qui peuvent promouvoir l’offre de
l’entreprise, qui se diffuse alors comme un virus. Ce Marketing de propagation, avec ou sans
parrainage récompensé (les réunions du type Tupperware des années soixante), connaît un
nouvel essor avec Internet et le téléphone mobile (les dernières élections espagnoles ont montré
l’importance de ce phénomène de diffusion massive et rapide d’informations).
On redécouvre que les individus ont cinq sens (LE BŒUF & CONSTANTIN 1972), qu’ils
vivent en communautés, qu’ils sont actifs, réactifs, voire pro actifs et l’on conçoit des stratégies
pour exploiter ces découvertes, comme si elles déterminaient unilatéralement les
comportements, faisant abstraction des interactions dans le système. Mais, la nouveauté de la
plupart des approches Marketing mises en œuvre par les médias porte plus sur la forme
(l’appellation) que sur le fond et ne constitue pas de véritables innovations. Le Marketing tribal
et le Marketing ethnique, par exemple, sont simplement des modalités de segmentation. Ces
approches sont faites de « petits bouts » se faisant écho les uns les autres et pointant un élément
du réel construit par les consultants en Marketing. Elles sont déterministes, caractéristiques de
« l'empirisme logique » issu du Positivisme d’E. Durkheim et d’A. Comte (DUBOIS & JOLIBERT
7 « Pourquoi le phénomène tribal échappe au Marketing traditionnel » 29/01/03, benoit@communautesvirtuelles.net
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