Proposition d`une nouvelle approche Marketing des médias

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1re conférence francophone en sciences de l’information et de la communication
Faculté de journalisme de l’Université de Moscou - 14 au 14 mai 2004.
Proposition d’une nouvelle approche Marketing des médias
Communication de Claude Le Bœuf
Professeur Émérite, CRIC-Université de Montpellier 1
Résumé
Les « nouvelles » approches Marketing mises en œuvre par les organisations médiatiques
s’inscrivent dans une dynamique concurrentielle. Elles conduisent à une course au « toujours
plus ». Jusqu’à quand l’obsolescence sera-t-elle ainsi programmée pour nourrir la demande ?
Nous proposons de « faire autrement », d’adopter une « nouvelle » approche du Marketing
tenant compte de la rupture épistémologique mise en évidence par Edgar MORIN pour
appréhender la complexité du secteur des médias. La « pensée complexe » permet au Marketing
de sortir de l’impasse. Elle délaisse « l’empirisme logique » du Positivisme pour recourir à la
Systémique et au Constructivisme afin d’appréhender globalement les marchés et comprendre
pleinement les pratiques des médias. Elle invite à travailler à une Anthropologie de
l’information au profit de tous les acteurs du secteur.
1
Mots clefs
MÉDIAS, MARKETING, COMPLEXITÉ, SYSTÉMIQUE, CONSTRUCTIVISME
Proposition d’une nouvelle approche Marketing des médias
De la relativité des choses dans un univers de plus en plus complexe
La question des nouvelles approches Marketing mises en œuvre par les médias m’interpelle
depuis longtemps1. Cette conférence est une opportunité pour croiser les Sciences de gestion et
les Sciences de l’information à propos du Marketing et du Journalisme et produire un autre
regard.
La nouveauté en Marketing s’inscrit dans une démarche habituelle de différenciation. Le
mythe du nouveau est alimenté de tout temps par les praticiens et les auteurs. L’obsolescence,
inhérente au système, est programmée pour nourrir la demande. Aussi, mon projet n’est-il pas,
comme celui d’illustres fondateurs du Marketing moderne (T. LEVITT, Marketing Myopia,
E. DICHTER, Le Marketing mis à nu) de décrire l’objet, mettre en évidence les ficelles du
métier et contribuer à la course au toujours plus décriée par ailleurs par Paul WATZLAWICK.
Je suis partisan de ne pas limiter la nouveauté des approches au seul contexte spatio-temporel
mais d’expliciter la posture scientifique, les références théoriques2, le regard porté à l’objet
« Marketing » donc quitter les paradigmes de l’économie néolibérale pour gagner en efficacité.
Je propose effectivement une « nouvelle » approche du Marketing tenant compte de la
rupture épistémologique mise en évidence par Edgar MORIN pour appréhender la complexité.
I - Le « toujours plus », approche traditionnelle du Marketing des médias
Le Marketing est un outil de gestion, qui permet de construire l'offre en fonction de la
demande. Sa particularité tient au processus visant à satisfaire les objectifs de l'entreprise à
travers la satisfaction des clients et des partenaires, elle se fonde sur leur connaissance
préalable. Contraintes par la concurrence, les entreprises qui « font du Marketing » n'imposent
pas leurs propres vues aux clients, elles les interrogent, cherchent à connaître leurs besoins,
leurs attentes, leurs modes de perception et d'interprétation, leurs modes de vie… et, au-delà, le
fonctionnement des marchés en analysant de la même manière les partenaires, les concurrents,
et les institutions.
L’« approche » Marketing, à distinguer de la décision et de l’action Marketing3, est une
façon de faire, une façon de mettre en œuvre, une façon de voir, un état d’esprit avec lequel on
appréhende l’autre (client, concurrent…), c’est-à-dire une démarche de connaissance.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment pensent les « marketers » ? Quelles sont leurs
« visions » des consommateurs ? Y a-t-il une tendance commune bien qu’il faille tenir compte
des spécificités radio, télévision, presse écrite, Internet ?
1 Enseignant-chercheur en Marketing pendant 25 ans, puis en Journalisme pendant 12 ans, j’ai appliqué mes
recherches à différents secteurs d’activité dont ceux de la télévision par câble et la PQR.
2 « Il n’est pas de cas où la théorie se base sur des observations. C’est le contraire, la théorie détermine ce que nous
pouvons observer », EINSTEIN cité par WATZLAWIK in LE BŒUF 2000 a.
3 Les fameux quatre « P » (produit, prix, place ou distribution, promotion) constituant le Marketing Mix.
2
1- Le Marketing d’imitation
Faute d’avoir pu lancer à temps une étude systématique auprès des organisations
médiatiques et leurs consultants permettant de répertorier toutes les nouvelles approches
Marketing mises en œuvre dans le secteur des médias, nous avons confié aux étudiants du
DESS de Management des médias de Montpellier une enquête auprès des entreprises qui les
accueillent en stage, en février 2004. Ils n’ont pas repéré d’approches Marketing nouvelles4.
Les études d’audience et les études ad hoc traditionnelles sont encore majoritaires dans les
médias. La plupart des organisations médiatiques confient leurs « sujets sensibles » à des
prestataires extérieurs, principalement IPSOS, Médiamétrie et SOFRES. Dans la presse écrite
quotidienne, seuls, L’Équipe et Le Parisien ont un service Marketing interne.
Actuellement, les médias connaissent des succès variables5. Dans la plupart des cas, pour
relancer ou développer l’activité, on applique les recettes ayant déjà fait leurs preuves ailleurs. Il
s’agit d’un Marketing d’imitation (la qualification n’est pas péjorative, T. LEVITT soulignait à
son époque les avantages d’une stratégie d’imitation qui évite les risques majeurs de
l’innovation). Ainsi approche-t-on le marché en se demandant quel « plus » améliorerait la
satisfaction de la clientèle. Les exemples sont multiples. Citons des professionnels des médias :
- Pour L. BOSIO, DG adjoint de Carat Expert, « Les succès de Capital, de Courrier
International, de Psychologies Magazine ou d'Entrevue sont les exemples les plus frappants de
cette capacité à répondre aux attentes du lectorat. Au-delà de ces innovations éditoriales, les
audaces Marketing ont aussi permis à la presse d'attirer davantage de clients. En France, les
suppléments magazines des quotidiens dopent la diffusion. Les ventes ont augmenté de 37 %.
Une stratégie efficace pour résister à la concurrence de la télévision et de l'Internet. Côté
magazines, l'introduction du Marketing a donné naissance à la multiplication des suppléments
régionaux des titres. Une proximité fortement appréciée qui se répercute également sur les
ventes ».
- D'autres recettes ont fait leurs preuves à l'échelle mondiale. L'innovation passe aussi par
l'adaptation aux techniques commerciales des grandes surfaces. B. SCHMUTZ, Directeur
Études et Recherches à Hachette/Interdéco, explique que « la presse - produit culturel - fait de
plus en plus appel au Marketing de la grande distribution. À l’instar de l’Italie où les journaux
sont vendus avec des parfums, des disques ou des livres afin d'appâter le client. Malgré ce
potentiel d'attraction, ce « plus produit » n'est pas un concept encore très répandu en France ».
- P. MOATI, directeur de recherche au CREDOC, généralise cette approche avec la notion
de Marketing de bouquet. « Certains relais H ont déjà exploré cette voie en proposant en plus
des produits traditionnels de presse un espace restauration. Les journaux ayant un lectorat ciblé
pourraient être distribués dans des boutiques dont les clients partagent le même centre
d'intérêt ». Il conclut que « pour dégager de nouvelles stratégies de diffusion de la presse, il
faudrait raisonner de manière transversale et non plus par filière ».
4 Nombre de petites organisations médiatiques ne pratiquent pas du tout le Marketing. La diffusion de la culture
Marketing est limitée dans le secteur des médias. D’après les spécialistes, seuls PRISMA, et Hachette dans une
moindre mesure (gestion titre par titre), ont une approche globale du marché. Le Marketing centralisé au niveau des
groupes de presse coupe souvent les établissements membres de leurs terrains. Les succès remportés par la presse
n’occultent pas pour autant les échecs, exemple marquant, Infomatin créé en septembre 1995 et mis en liquidation
judiciaire fin janvier 1996.
5 « 2003 a été une nouvelle année difficile et contrastée pour la diffusion de la presse. Les magazines s’en sortent
mieux que les quotidiens », Le Monde 26/03/2004.
3
- Le Monde annonce pour le 9 janvier, en guise de cadeau pour son cinquantième
anniversaire, une nouvelle formule « plus facile d'accès, plus contemporaine, plus mondiale » :
Le Monde 26.
2- Des approches Marketing « nouvelles »
Dans le domaine de la recherche quantitative, les nouvelles technologies d’information et
de communication revitalisent l’analyse multidimensionnelle des données des années soixantedix et les techniques de sondage. Elles donnent de « nouveaux visages au Marketing » (BOSS
1997). L'entreprise capitalise ses connaissances dans des bases de données et les exploite
dans une véritable optique Marketing. Différentes approches sont mises en œuvre :
- L’approche technologique
Internet permet de s’affranchir des distances et des contraintes de temps et génère à des
coûts compétitifs une multitude de données sur les marchés. Les distinctions entre information,
publicité, vente tendent à disparaître du fait de l’interactivité avec les clients (LE BŒUF 1986).
L’approche vise à proposer une offre individualisée. Elle se décline en approche interactive,
approche relationnelle…
Le Marketing interactif est « une métamorphose impérieuse de la fonction Marketing dans
son ensemble, reposant sur une nouvelle approche du consommateur, la décision d’achat étant
perçue comme le fruit d’un échange continu entre vendeur et acheteur pendant lequel le contrôle
de l’information est partagé » (LEHU 1996).
Avec le Marketing relationnel, concept médiatique du moment (Customer Relationship
Management), l’entreprise vise à produire du lien, de la relation de fidélisation. Les outils qui
existent pour améliorer la gestion de la relation client sont conçus dans une approche intégrée
vente-Marketing-service. C’est en ce sens que la personnalisation accrue de la relation client
modifie l’approche Marketing, les clients et non plus les produits sont au centre des
préoccupations.
Interactif ou relationnel, « le Marketing segmenté devient un Marketing personnalisé »
(BOSS 1997) pouvant évoluer vers le « Marketing One to One ». Ainsi, la presse Internet offret-elle des produits sur mesure (ou en tout cas en « customisation de masse » comme le dit
BOSS).
- Le GéoMarketing
L’approche est spatiale. Elle repose sur le constat qu’une activité n’a pas le même impact en
fonction du lieu géographique de sa réalisation, qu’il s’agisse d’une agence commerciale, de
points de diffusion… Elle se fonde sur des systèmes d’information géographique (SIG)
combinant des bases de données existantes avec des informations géographiques. L’approche
est mise en œuvre par les prestataires de service au profit des grands éditeurs. La baisse des
coûts des logiciels la met cependant à la portée des entreprises de taille moyenne.
- La modélisation
L’approche modélisante combine différents outils de mesure d’audience, de diffusion, de
population… afin d’estimer un marché difficilement appréhendable par sondage. IPSOS, par
exemple, propose aux éditeurs à petit tirage une modélisation de leur titre en fonction de la
famille de presse d’appartenance.
6 Cela bouge dans le quotidien français. www.comu.ucl.ac.be/reci/orm/Doc/Lettre2.html
4
Dans le domaine de la recherche qualitative (LE BŒUF 1996), l'évolution s’est faite par
emprunts aux différentes disciplines scientifiques allant de l'économique vers le psychologique
et le social. Après une longue période dominée par les styles de vie du CCA et les styles
socioculturels de la COFREMCA, les approches dites nouvelles se succèdent de plus en plus
rapidement. Elles se focalisent sur des aspects des consommateurs jusque-là négligés qui, par
différence, devraient apporter des avantages concurrentiels (PORTER 1986).
Les médias mettent principalement en œuvre des approches quantitatives. La pression de la
concurrence devrait les inciter à recourir plus volontiers aux approches qualitatives « à la
mode ».
- L’approche éthique (PASTOR-REISS et NAILLON 2002)
L’actualité est marquée par la publication d’ouvrages mettant en cause les pratiques de
certaines organisations médiatiques et la crédibilité de certains journalistes. L’approche éthique
est centrée sur le cœur de métier : l’information. Elle devrait permettre aux organisations
médiatiques de transmettre ses valeurs dans ses produits et services, les partager avec ses clients
et conforter leur confiance.
- L’approche sensorielle (LE BŒUF 2003)
Le Marketing sensoriel considère que les consommateurs utilisent leurs cinq sens – l’ouïe,
la vue, le toucher, l'odorat et le goût – lorsqu’ils perçoivent et interprètent les offres de produits.
L’approche constitue une nouvelle voie pour comprendre et solliciter les cibles et se différencier
par rapport à la concurrence.
- L’approche tribale (COVA et COVA 2001)
Le Marketing tribal considère que les liens affinitaires entre individus affectent les
comportements de consommation et sont constitutifs de communautés. À l’encontre de la
segmentation traditionnelle (les segments agrègent des individus présentant des caractéristiques
communes - CSP, âge, sexe…), la tribu rassemble des individus différents mais ayant les
mêmes affinités, les mêmes valeurs. « Le Marketing relationnel utilise la relation comme un
moyen de toucher les consommateurs alors que le Marketing tribal fait de la relation son
objectif »7. Sous composante du Marketing viral, il s’appuie sur les comportements sociaux des
tribus pour promouvoir produits et services.
- L’approche virale (GODIN 2001)
Le Marketing viral vise dans un groupe d’individus ceux qui peuvent promouvoir l’offre de
l’entreprise, qui se diffuse alors comme un virus. Ce Marketing de propagation, avec ou sans
parrainage récompensé (les réunions du type Tupperware des années soixante), connaît un
nouvel essor avec Internet et le téléphone mobile (les dernières élections espagnoles ont montré
l’importance de ce phénomène de diffusion massive et rapide d’informations).
On redécouvre que les individus ont cinq sens (LE BŒUF & CONSTANTIN 1972), qu’ils
vivent en communautés, qu’ils sont actifs, réactifs, voire pro actifs et l’on conçoit des stratégies
pour exploiter ces découvertes, comme si elles déterminaient unilatéralement les
comportements, faisant abstraction des interactions dans le système. Mais, la nouveauté de la
plupart des approches Marketing mises en œuvre par les médias porte plus sur la forme
(l’appellation) que sur le fond et ne constitue pas de véritables innovations. Le Marketing tribal
et le Marketing ethnique, par exemple, sont simplement des modalités de segmentation. Ces
approches sont faites de « petits bouts » se faisant écho les uns les autres et pointant un élément
du réel construit par les consultants en Marketing. Elles sont déterministes, caractéristiques de
« l'empirisme logique » issu du Positivisme d’E. Durkheim et d’A. Comte (DUBOIS & JOLIBERT
7 « Pourquoi le phénomène tribal échappe au Marketing traditionnel » 29/01/03, [email protected]
5
1992).
Les variables, les valeurs sont a priori déterminées comme explicatives et donnent lieu à
des investigations sur le terrain afin de les valider. Mais, bien qu’elles bénéficient d’énormes
bases de données, elles n’ont qu’une vue partielle de la complexité des marchés qu’elles visent.
Fondamentalement, les interactions entre les acteurs du système ne sont pas prises en compte.
Certes les éditeurs ont compris l’intérêt de ces tendances du moment pour se différencier et c’est
le poids de leurs actions qui l’emporte aujourd’hui sur la réflexion scientifique. Au-delà des
déclarations péremptoires qui les accompagnent (« C’est la fin du Marketing de masse avec
Internet », « Le Marketing relationnel apparaît comme une révolution incontournable pour
l’entreprise » « Le Marketing interactif est une réinvention des fondamentaux stratégiques »…),
on peut conclure à la myopie des approches spécialisées.
II - Comment sortir le Marketing de la situation paradoxale des médias
Construire son offre en fonction de la demande (et du jeu des concurrents…) constitue en
fait une démarche paradoxale pour les organisations médiatiques. Les stratégies de niche, de
différenciation conduisent à une course sans fin au « toujours plus » : plus de titres et émissions
différentes, plus d’attrait, plus de lisibilité, plus de facilité, plus de cadeaux, plus de gratuité,
mais aussi plus de publicité, plus de concessions. Nous proposons de « faire autrement » :
d’approcher les marchés en tenant compte de la rupture épistémologique annoncée par Edgar
Morin avec la perspective d’un changement prometteur.
1- La nécessité d’un changement d’optique
Comme tout système social, le secteur des médias est complexe, mais en plus il présente des
spécificités qui militent pour un changement d’optique : les journalistes sont aux prises avec
leurs paradoxes : l’information n’est pas un produit ordinaire, les distributeurs et les
consommateurs d’information sont pleinement des acteurs du système.
La complexité du secteur médiatique est décrite par de nombreux auteurs et associations,
elle est même parfois décriée8. L’évolution économique du secteur entraîne des changements au
niveau des acteurs et des activités : diversification, concentration, démonopolisation…
(PELISSIER et RUELLAN 2003). Des essayistes développent une approche critique des médias
qui interpelle l’ordre établi : « Une transformation des rapports entre les médias et l'économie
est intervenue au cours des vingt dernières années. Auparavant, la radio-télévision, souvent
publique, et les journaux commentaient l'économie de marché - en général avec complaisance mais comme un sujet qui leur était extérieur. Désormais, les médias dominants ne sont plus
seulement des relais idéologiques de la mondialisation capitaliste : ils en sont eux-mêmes des
acteurs de premier plan. Autrefois associés, le parti de la presse et celui de l'argent ont
dorénavant opéré leur fusion »9.
8 ACRIMED http://acrimed.samizdat.net/; Observatoire international des médias http://www.observatoiremedias.info/
9 Serge Halimi au séminaire : « Observation et critique des médias : les médias et les luttes sociales », à Ivry,
Forum social européen, 14 novembre 2003.
6
La situation est paradoxale, le Marketing déterminant les priorités éditoriales en fonction de
la demande affecte la mission d’information, la publicité nécessaire à l’équilibre financier
perturbe la qualité de l’information10, les sondages destinés à mesurer l’audience façonnent
l’opinion publique, on ferme des points de vente alors que les distributeurs sont des agents de
promotion des titres, la concurrence se développe mais recourt aux mêmes journalistes qui
cumulent les emplois…
L’information est un produit complexe
Un journal, une émission radiophonique ou télévisuelle sont des produits complexes car les
informations contenues ont une spécificité que ne possèdent pas la plupart des produits
marchands. Elles sont des représentations de la réalité de second ordre (WATZLAWICK
1978), chargées de la subjectivité des journalistes et de leur contexte professionnel qui les
produisent. « À partir d’événements, d’opinions, de faits qui n’existaient pas la veille, on crée
un ensemble qui donne du sens à chacun de ces événements, opinions, faits, on en fait de l’écrit.
Ils s’incarnent et s’enrichissent en interagissant avec le terrain socioculturel du lecteur, la
société, le moment, le lieu, le regard du lecteur sur eux, l’implication qu’il veut ou peut donner
à ces éléments, bref l’environnement au sens large, l’écologie du système » (BIAUSSER)11.
Rapportons le témoignage de cette journaliste : « Dès le début de mon activité journalistique,
j’avais pu constater qu’un média était un produit complexe… /… Je voyais bien que dans le
média, le Tout est plus que la somme des parties, mais je manquais d’outils pour aller plus loin
dans le décodage de cette néguentropie ». Membre de l’Association pour la Pensée Complexe,
elle applique les principes d’E. Morin et met à jour des éléments de complexité de
l’information écrite :
- Combiner la reconnaissance du singulier et du local avec l’universel est un antagonisme de
base présent dans la presse écrite,
- Les lois de proximité censées simplifier le travail du journaliste, entrent en antagonismes (la
loi de proximité psychoaffective sollicite l’universel, la loi de proximité spécifique sollicite le
singulier),
- La complexité règne dans la liaison de l’antagonisme entre les informations locales et les
universelles,
- Dans la conception d’un média, il y a continuellement cette polytemporalité
déstructurante/structurante à gérer ; le temps du média est tripartite : il est constitué par le
prévisionnel/l’urgence/l’imprévu, se construisant et reconstruisant sans cesse,
- Il y a un antagonisme profond entre la permanence que nécessite la ligne rédactionnelle et les
tentatives d’altération qu’elle subit /engendre sans cesse, à travers l’ego et les fantasmes des
rédacteurs, ou les pressions de l’environnement commercial.
- Dans un dossier ou une enquête, on peut ne lire qu’une partie, on aura un niveau
d’information, mais les liens avec le tout donneront un autre niveau d’information. L’éclatement
de l’information en encadrés ou hypertextes venant rétroagir sur la partie principale de l’article,
joue le même rôle. Idem avec les photos ou vignettes : les relations partie-tout sont à la fois
produits et producteurs ».
L’information doit se situer à un juste et difficile milieu entre apporter des connaissances
utiles et plaire aux téléspectateurs au risque de tomber dans la démagogie. Hervé BARBOT,
10 A propos du lancement de Glamour,Véronique Maurin tire la sonnette d’alarme : « Sur le marché, totalement
artificiel et dérégulé de la presse féminine, aujourd'hui ce sont les produits industriels et Marketing, qui mènent la
danse. Des produits, qui comme Glamour, Shopping (Groupe Prisma) Mod's (Groupe Marie Claire) Elle Girl
(Groupe HFM) n'ont plus rien à voir ni avec la presse ni avec le journalisme » (6 avril 2004).
11 E. BIAUSSER in http://ns3833.ovh.net/~mcxapc/atelier.php?a=display&ID=27
7
DGA d’IPSOS Médias, souligne la dimension éthique lorsqu’il observe que le Marketing le plus
compliqué concerne la presse quotidienne, PQN et PQR, « car les éditeurs ont une mission
d’information au-dessus des contingences de marché », ce qui n’est pas tout à fait le cas pour les
magazines, qui pensent essentiellement en termes de cible et de vente. Si le Marketing
s’intéresse trop au contenu de l’information, il risque d’engendrer des excès, ce qui amène, par
exemple, A. Chabaud, directrice de l’information d’Antenne 2, à qualifier le journal de TF1 de
« journal Marketing »12.
Les journalistes sont aux prises avec leurs paradoxes
Pour N. PELISSIER et D. RUELLAN (2003), « la profession journalistique se situe au cœur
d’un processus d’interactions sans cesse plus complexes. Ils proposent d’évaluer cette
complexité à trois niveaux : complexité de l’identité professionnelle, des interactions avec
l’environnement et surtout de l’environnement lui-même (et donc des attentes du public) ».
Reprenant, eux aussi, les travaux de Palo Alto, ils considèrent que « la complexité de la
profession journalistique est issue des relations circulaires, permanentes, contextualisées,
récursives et surtout paradoxales que les journalistes entretiennent entre eux et avec leur
environnement ».
PELISSIER (2000) situe ces interactions paradoxales à cinq niveaux :
- Les relations à la règle : les journalistes estiment dans certaines situations ne pas devoir
respecter la règle de droit alors qu’ils devraient s’y soumettre comme tous citoyens,
- Les relations aux pairs : les journalistes sont pris entre soumission et sanction,
- Les relations au public : la course à l’audience entraîne les journalistes sur la voie de la
démagogie mais à l’opposé le risque d’ignorance de ce même public est grand,
- Les relations aux sources : les journalistes doivent être proches de leurs sources pour obtenir
de l’information sans risquer les excès de la connivence,
- Les relations au produit (l’information) : les journalistes sont écartelés entre l’objectivité
qu’on attend d’eux et leur propre subjectivité.
Il répond indirectement à E. BIAUSSER, qui se demande comment les journalistes pourraient se
défaire de ses interactions avec leur environnement, alors même qu’elles l’ont constitué, en
préconisant le débat public sur leur situation paradoxale.
Les distributeurs et les consommateurs d’information sont aussi des acteurs du
système
Les recherches en sciences sociales reconnaissent le caractère « actif » des individus. Ils ne
sont plus des sujets « passifs », soumis aux médias. Les consommateurs d’information sont
d’abord des acteurs dans le système médiatique, tout comme les distributeurs de presse et les
autres intermédiaires. Ce sont les individus qui, dans leur rapport aux autres et aux objets,
construisent leur vision du monde. Les responsables des organisations médiatiques ont intérêt à
reconnaître l’importance des interactions contextualisées.
L’offre d’information participe d’ailleurs à la complexité : Sa multiplicité et sa diversité
entraînent des comportements plus variés donc plus difficiles à comprendre et à mesurer. « Rien
ne paraît plus simple que les usages, la pratique des médias, au point qu’ils apparaissent
naturels. Rien n’est plus complexe et ne fait appel à plus de ressources dans l’être même des
sujets…/… les pratiques telles que les scrutent les marchands et telles qu’ils veulent les
développer n’ont pas grand-chose à voir et à faire avec la complexité des pratiques réelles »
(BÉLISLE, BIANCHI & JOURDAN 1999).
12 Le baromètre IPSOS-Stratégies du 25/03/2004 annonce 50% de français contents du JT de TF1 et 25% pour A2.
8
L’intérêt de la Pensée complexe est de cadrer autrement les marchés, quittant le niveau
individuel pour le social avec la composante fondamentale - à côté des acteurs - que sont les
interactions.
2- Une approche Marketing systémique et constructiviste
L’approche repose sur une autre conception du chercheur, par rapport à son objet, et de
l’individu, par rapport au système. Elle est relativement nouvelle, D. DESJEUX, Professeur
d'Anthropologie sociale, considère que dans le domaine du Marketing les recherches
anthropologiques sont encore peu nombreuses alors qu’elles permettent de comprendre la
construction de la rencontre entre l'offre et la demande13. Son centre de recherche s’est
spécialisé dans l’anthropologie de la consommation et a développé une approche « ethnoMarketing »14 proche de celle que nous préconisons.
L’approche est fondée sur de nouveaux paradigmes
L'objet et le sujet sont interdépendants. L’observateur peut pénétrer le vécu et le ressenti
d'un autre homme par un effort d'empathie. Ainsi, l’approche Marketing sera-t-elle
compréhensive, l’observateur et l’observé étant intégrés dans les procédures d'observation.
Edgar MORIN énonce trois principes directeurs pour approcher la complexité :
- Le principe dialogique : éclairer le processus d’oppositions (complémentarité et antagonisme
en même temps) mis en œuvre dans la situation, retraçant donc le dépassement des
antagonismes dans une « construction » supérieure,
- Le principe récursif : éclairer le processus auto producteur mis en œuvre dans la situation,
retraçant donc les effets en boucle,
- Le principe hologrammatique : éclairer le processus d'inclusion (le tout est dans la partie et
inversement) mis en œuvre dans la situation.
Le recours à la Systémique est complété par le Constructivisme, car à la différence de la
Cybernétique, les individus, éléments du système, ne sont pas des machines, même douées de
feedback, ils ont leur propre vision du monde et construisent leur propre réalité. Rappelons que
pour WATZLAWICK, la réalité qui nous est transmise par nos sens est une réalité du premier
ordre. Inévitablement il y a une attribution de valeur, une explicitation de ce qui est perçu, c’est
ce qu’il appelle réalité du second ordre.
L’approche présente des caractéristiques « nouvelles »
La proposition est en rupture avec l’approche Marketing traditionnelle.
- L’approche est descriptive : On ne recherche pas les causes, le Pourquoi ? mais le
Comment ? Au lieu de partir des motivations individuelles, l’observateur est centré sur les
situations vécues socialement par les acteurs. L’analyse des comportements n’est pas conduite
« en termes d’actions et réactions individuelles, mais en termes de codes et contextes qui
rendent possible le comportement individuel et collectif, c’est-à-dire autorisent une certaine
prévisibilité sociale » (WINKIN 2001). Ainsi, l’observateur appréhende, hic & nunc, les
situations d’usage des médias en décrivant les éléments composant le système qu’il a su cadrer,
leurs relations ou interactions, les stratégies des acteurs, les logiques et raisonnements, les
processus mis en œuvre.
13 DESJEUX fait référence au travail de Bernard COVA et d'Olivier BADOT à l'EAP. Citons également
CORNELOUP J., Pour une autre approche en management du sport, Revue Gestion 2000, 5/1999.
14 http://www.argonautes.fr/desjeux/desjeux.html
9
L’approche est holistique : L’individu n’est plus fragmenté en unités élémentaires.
L ‘approche est globale, elle considère l’individu dans tous ses aspects et ne l’abstrait pas de son
contexte temporel et spatial. Il est pris en compte dans le système. Ce qui le fait qualifier par J.J. WITTSÆLE (2003) « d’homme relationnel ». La pratique du recadrage permet de comprendre
ce qui se passe dans un système à partir de son méta cadre.
- L’approche est expérientielle: elle s’effectue principalement par observation participante.
3- Conséquences pratiques
L’approche systémique et constructiviste remet en cause des notions bien établies,
fondamentalement celles de demande et de consommateur… Elle invite à construire autrement
l’offre de l’entreprise médiatique.
La notion de demande est remise en cause
WATZLAWICK préconise l’abandon de l’intrapsychique (in LE BŒUF 2000a). Il rejette
toute investigation cherchant à percer les motivations et besoins des individus. La solution est à
trouver dans les interactions contextualisées. Il en découle que la demande, au sens Marketing,
est elle-même une notion ambiguë, relevant plus de la structure sociale que des individus. « Ceci
ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'aspiration au changement, mais que le lien entre ce qui est
exprimé verbalement par une personne, puis ses intentions, puis ce qu'elle pense implicitement
ou inconsciemment et enfin le passage à l'action, ne va pas de soi. Entre l’intention, ou
l'aspiration, ou la demande, et la pratique, il y a les contraintes sociales » (DESJEUX).
L’offre est co construite par les acteurs du système
Les principes de la complexité nous invitent à considérer que l’offre n’est pas produite par la
seule organisation médiatique (qui peut dans une approche Marketing tenir compte de la
demande). Elle est coproduite par tous les acteurs du système concerné. Les effets des médias
sur les individus ne sont pas unilatéraux, il y a récursivité. Les stratégies sont à repenser en
termes d’ « action avec » et non d’ « action sur » les individus.
Aussi, l’approche Marketing doit-elle impliquer en premier lieu l’ensemble des acteurs des
organisations médiatiques (y compris les journalistes et pas seulement les commerciaux et les
publicitaires), puis l’ensemble des acteurs des organisations partenaires (distributeurs,
annonceurs…) et enfin les clientèles (ne serait-ce que par l’approche Marketing). L’offre
pertinente devrait résulter d’une bonne compréhension de l’ensemble des interactions de ceuxci. Nous partageons les conclusions de D. DESJEUX traitant de l’innovation en domotique :
« Puisque c'est la mise en contact entre l'offre d'innovation et la demande qui est problématique,
il nous semble important de faire sortir le champ de l'étude de la décision d'innover du seul
champ de la motivation et de la cognition propres aux usagers ou aux consommateurs… pour
analyser comme un seul champ celui de la production et celui de la consommation ». Laissons la
parole à E. MORIN (1999) pour terminer : « Une organisation telle une entreprise se situe dans
un marché. Elle produit des objets ou des services, des choses qui lui deviennent extérieures et
entrent dans l'univers de la consommation. Se limiter à une vision hétéro productrice de
l'entreprise serait insuffisant. Car en produisant des choses et des services, l'entreprise, en même
temps, s'auto-produit… le producteur est lui-même son propre produit ».
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Une Anthropologie de l’information en perspective
Avec cette contribution se dessine le projet d’une « anthropologie de l’information »15,
couvrant la production, la distribution et la consommation des informations et visant la
compréhension des usages de l’information dans la réalisation des individus, dans leur
construction du monde. Ce qui revient à développer une approche Marketing systémique et
constructiviste fondée sur des paradigmes explicités par Edgar Morin et l’Ecole de Palo Alto en
rupture avec l’approche Marketing traditionnelle fondée sur un déterminisme réducteur de la
réalité.
Un travail de fond est à entreprendre, il devrait ouvrir des perspectives intéressantes pour les
professionnels des médias, qui se donneraient « les moyens d’observer avec une attention
nouvelle un phénomène d’une consternante banalité » (GOFFMAN 1973, cité par WINKIN
2001).
15 L’Anthropologie de la communication (WINKIN 2001) peut servir de modèle.
11
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