À vos soins La cimétidine pour le traitement des verrues en pédiatrie Présentation de cas Le Dr Gagnon vous appelle un peu à court de ressources : il est en présence de J.T., un jeune garçon de sept ans, qui présente une petite constellation de verrues sur la face intérieure de son gros orteil droit. Les premières verrues sont apparues il y a plus d’un an, mais on a attendu quelques mois avant de tenter un traitement. On a déjà essayé l’acide salicylique 40 % dans de la vaseline et le « duct tape » (pour lequel il existe certaines preuves d’efficacité1). Le Dr Gagnon n’est pas très enclin à utiliser l’imiquimod topique chez un enfant de cet âge, et l’utilisation de la cryothérapie lui semble irréaliste, étant donné le nombre de lésions et la douleur associée au traitement. Discussion Les verrues (ou verrucae vulgaris), qui touchent 10 % à 20 % des individus durant leur enfance, sont causées par une famille de virus, le virus du papillome humain (VPH)2. Il existe des centaines de types de VPH qui affectent différentes parties du corps. Le virus est transmis par contact direct avec la peau, ou indirect, par l’intermédiaire d’une surface contaminée. L’autoinoculation est aussi possible si l’individu se gratte. Le virus affecte la couche basale de l’épiderme ou de la muqueuse et cause des lésions hyperkératosiques. Entre l’inoculation et l’apparition de la verrue, il peut se passer quelques semaines à près d’un an2. La première ligne de traitement des verrues est bien définie : d’abord l’acide salicylique topique, puis la cryothérapie, de préférence à l’azote liquide. Ensuite vient l’immunothérapie, telle que l’imiquimod et la cimétidine2. La cimétidine, un antagoniste des récepteurs H2, est habituellement utilisée pour inhiber la sécrétion gastrique. Certaines études ont montré que la cimétidine pourrait également moduler la réponse immunitaire3. En effet, l’histamine augmenterait la concentration d’interleukine-10 (IL-10) et diminuerait celle de l’interleukine-12 (IL-12). L’IL-12 serait responsable d’une augmentation du nombre de lymphocytes Th1 et l’IL-10, du nombre de lymphocytes Th2. Les lymphocytes Th1 sont responsables de la réponse immunitaire cellulaire et les Th2, de la réponse humorale. Chaque type de lymphocyte T inhibe l’autre par les cytokines qu’il produit. Par conséquent, en présence de cimétidine, l’action de l’histamine est inhibée, ce qui augmente la concentration d’IL-12; ainsi, le nombre de lymphocytes Th1 est plus important. Les lymphocytes Th1 sont responsables d’inhiber la réplication du VPH grâce à la libération de cytokines. La cimétidine pourrait donc être utilisée pour traiter les verrues4. Théoriquement, elle pourrait aussi être utilisée dans d’autres pathologies où l’histamine joue un rôle dans la réponse immunitaire, mais ce rôle n’a jamais été étudié. D’autres anti-H2 pourraient être utilisés dans le traitement des verrues, mais il existe encore moins de preuves à ce sujet, une seule étude peu concluante ayant été menée sur la ranitidine4. Quant aux anti-H1, ils ne semblent pas entraîner les mêmes effets3. Même non traitées, la plupart des verrues disparaîtront d’elles-mêmes. En effet, un tiers des verrues disparaîtront après six mois, les deux tiers après deux ans et près de 90 %, après cinq ans2. Plusieurs études ouvertes ont démontré l’efficacité probable de la cimétidine4,5. Dans certaines d’entre elles, plus de 80 % des patients n’avaient plus une seule lésion à la fin. Par contre, comme les verrues peuvent disparaître d’elles-mêmes et qu’il n’y avait pas de groupe témoin, nous ne pouvons conclure avec certitude que l’amélioration était due à la cimétidine. Certaines études à double insu et contrôlées par placebo ont aussi été réalisées4,6, mais aucune ne s’est révélée concluante statistiquement. Certains auteurs ayant révisé la documentation en la matière positionnent la cimétidine comme l’une des dernières options de traitement pour les verrues, lorsque les autres n’ont pas fonctionné ou sont inapplicables. Dans le cas présent, comme J.T a déjà utilisé deux traitements sans succès et que d’autres traitements de Texte rédigé par Olivier Béliveau, étudiant en pharmacie, et François P. Turgeon, B. Pharm., M.Sc., Pharmacie Éric Sansregret et François P. Turgeon. Texte original soumis le 25 juillet 2010. Texte final remis le 28 juillet 2010. Révision : Sophie Grondin, B. Pharm., M.Sc. Même non traitées, la plupart des verrues disparaîtront d’elles-mêmes. En effet, un tiers des verrues disparaîtront après six mois, les deux tiers après deux ans et près de 90 %, après cinq ans. www.professionsante.ca OCTObre 2010 vol. 57 n° 5 Québec Pharmacie 7 À vos soins première ligne ne sont pas applicables, la cimétidine serait donc à essayer. La cimétidine entraîne peu d’effets indésirables, sinon de rares cas de diarrhée, constipation, nausées et vomissements. Seule la gynécomastie peut être plus problématique et demander un arrêt ou une modification du traitement4. C’est plutôt pour son potentiel d’interaction élevé que la cimétidine est connue, surtout en tant qu’inhibiteur du CYP 3A44. n La première ligne de traitement des verrues est bien définie : d’abord l’acide salicylique topique, puis la cryothérapie, de préférence à l’azote liquide. Ensuite vient l’immunothérapie, telle que l’imiquimod et la cimétidine. Opinion pharmaceutique S J.T. présente des verrues douloureuses. O Garçon de 7 ans, 25 kg, nombreuses verrues sur son gros orteil droit depuis plus d’un an. A utilisé de l’acide salicylique 40 % et du « duct tape ». Le prescripteur veut éviter l’imiquimod et la cryothérapie. ALa vaste majorité des traitements possibles a échoué ou a été rejetée. Compte tenu de cela, il semble logique d’essayer un traitement moins bien démontré, mais qui ne présente pratiquement aucun risque pour l’enfant. La cimétidine, en augmentant la réponse immunitaire, pourrait permettre de faire disparaître les verrues. P Proposer au médecin l’utilisation de la cimétidine 30 à 40 mg/kg/j tid, soit 300 mg tid. Conseiller à la mère de donner le médicament environ toutes les 8 heures, sans égard aux repas. n Faire un suivi au prochain renouvellement, dans un mois. On devrait observer une diminution du nombre et de la taille des verrues. n n Bonjour Docteur Gagnon, À la suite de votre demande pour le traitement des verrues de J.T., j’ai tenté de trouver, dans la littérature scientifique, une autre option de traitement. Celle qui me semble la plus intéressante est la cimétidine à dose variant entre 30 et 40 mg/kg/j tid. Cette solution est intéressante lorsque les autres ont échoué ou sont inutilisables, comme cela semble être le cas pour ce patient. La cimétidine a pour fonction d’augmenter la réponse immunitaire naturelle du corps au virus VPH causant les verrues. Elle présente peu d’effets indésirables et pourrait donc être prise en considération en dernière ligne de traitement. En toute collaboration, Le pharmacien Références 1. Focht DR, Spicer C, Fairchok MP. The efficacy of duct tape vs cryotherapy in the treatment of verruca vulgaris (the commun wart). Arch Pediatr Adolesc Med 2002; 156(10): 971-4. 2. Herman BE, Corneli HM. A practical approach to warts in the emergency department. Pediatr Emerg Care 2008; 24(4): 246-51. 3. Elenkov IJ, Webster E, Papanicolaou DA, Fleisher TA, Chrousos GP, Wilder RL. Histamine potently suppresses human IL-12 and stimulates IL-10 production via H2 receptors. J Immunol 1998; 161(5): 2586-93. 4. Fit KE, Williams PC. Use of histamine2-antagonists for the treatment of verruca vulgaris. Ann Pharmacother 2007; 41(7): 1222-6. 5. Gooptu C, Higgins CR, James MP. Treatment of viral warts with cimetidine : An open-label study. Clin Exp Dermatol 2000; 25(3): 183-5. 6. Rogers CJ, Gibney MD, Siegfried EC, Harrison BR, Glaser DA. Cimetidine therapy for recalcitrant warts in adults : Is it any better than placebo ? J Am Acad Dermatol 1999; 41(1): 123-7. Question de formation continue 1) Lequel des énoncés suivants est faux ? A. La cimétidine est la première option à essayer lorsqu’un enfant de 6 à 12 ans présente une verrue. B. La dose efficace de cimétidine pour le traitement des verrues est de 30 à 40 mg/kg/jour. C. Le virus causant les verrues appartient à la famille des virus du papillome humain. D. La cimétidine aide à la disparition des verrues en augmentant l’immunité contre le virus responsable. E. Même non traitées, la plupart des verrues disparaîtront d’elles-mêmes. Veuillez reporter votre réponse dans le formulaire de la page 86 8 Québec Pharmacie vol. 57 n° 6 octobre 2010