Linx
Le corpus oral dans l'observation du langage de l'enfant
C. Dannequin
Citer ce document / Cite this document :
Dannequin C. Le corpus oral dans l'observation du langage de l'enfant. In: Linx, n°20, 1989. Analyse grammaticale des corpus
oraux. pp. 21-30;
doi : 10.3406/linx.1989.1119
http://www.persee.fr/doc/linx_0246-8743_1989_num_20_1_1119
Document généré le 01/06/2016
Claudine
DANNEQUIN
ENS
de
Fontenay-Saint-Cloud
Centre
de
Recherche
et
de
Formation
en
Education
LE
CORPUS ORAL
DANS
L'OBSERVATION
DU
LANGAGE
DE
L'ENFANT
Comment aborder
l'étude
de
l'acquisition
du
langage
sans
travailler
sur
des
énoncés
réellement
produits
par
les
enfants?Et
ce,
quelle
que
soit
la
théorie
linguistique
sous-jacente
au
traitement
de
ces
données.
La
question
qui
se
pose
au
chercheur
concerne
la
façon
dont
est
recueilli
le
corpus
,les
points
sur
lesquels
va
porter
l'analyse,l'interprétation
qui
sera
faite
de
tel
ou
tel
phénomène.
Quoi
de
plus
simple,en
apparence
,que
d'entrer
en
communication
avec
un
enfant?Vers
la
fin
de
sa
première
année,
un
bébé
manifeste
déjà
une
intense
production
verbale,
aisément
comprise
par
les
adultes
proches
qui
identifient
sans
peine
des
assemblages
phoniques
appartenant
à
leur
propre
langue,des
intonations
ou
des
courbes
mélodiques
familières.
Trois
ou
quatre
ans
plus
tard
l'ensemble
du
système
paraît
acquis,
seul
le
lexique
semble
devoir
encore
faire
l'objet
d'apprentissage.
Le
début
de
l'activité
sémiotique(
1
)
En
réalité
le
processus d'acquisition
de
la
langue
maternelle
s'étend
sur
de
nombreuses
années:le
jeu
des
temps
du
verbe,des
conjonctions
et
des
adverbes
n'est
totalement
compris
et
produit
spontanément
que
vers
12-13
ans
car
il
nécessite,de
la
part
du
locuteur,le
maniement
d'opérations
cognitives
spécifiques.
La
psycholinguistique
d'inspiration
piagétienne(2)
a
largement
contribué,
ces
dernières
décennies,
à
l'exploration
de
ces
sous-systèmes
de
la
langue
qui
mettent
en
jeu
non
seulement
une
capacité
grammaticale
mais
aussi
un
raisonnement
d'ordre
22
intellectuel
(temps
des
verbes,ordre
des
constituants,respect
ou
non
de
la
chronologie
dans
le
récit
etc..
.),(Sinclair,H.
1967,
Ferreiro,
E.
1971).
Acquisition
du
langage
et
développement
de
la
pensée
apparaissent
donc
étroitement
liés.
Cependant, dès
l'âge
de
trois
ou
quatre
ans,
le
langage
de
l'enfant,bien
qu'inachevé,n'étonne
plus.La
plupart
des
énoncés
produits
ressemblent
à
ceux
des
adultes
et
seule
une
observation
attentive
permet
de
repérer
certaines
difficultés. Parfois
,
le
recours
à
des
épreuves
de
langage
spécifiques
peut
être
rendu
nécessaire
lorsque
le recueil
des
données,
dans
des
situations
informelles,
n'offre
pas
la possiblité
d'atteindre
des
aspects
particuliers
du
système.
Si
l'on
connaît
les
grandes
étapes
par
lesquelles
passe
nécessairement
toute
acquisition
de
la
langue
on
ne
peut
guère
savoir,à
priori,quels
énoncés
vont
être
produits
par
tel
ou
tel
sujet
à
une
période
donnée. Ils
auront,
bien
sûr,
des
caractéristiques
communes
mais
les réalisations
seront
multiples.le
caractère
imprédictible
des
énoncés
rend
obligatoire
la
collecte
de
données
attestées.
Le
langage
de
l'enfant
ne
se
réduit
pas
à
une
imitation
maladroite
et
simplifiée
de
celui
de
l'adulte;il
possède
une
cohérence
propre,
un
équilibre,
qui
permet
au
sujet
de
dire
le
monde
et
d'agir
sur
lui
en
fonction
de
l'appréhension
qu'il
en
a.
Pour
cette
raison
,
on
se
refuse
désormais
à
assimiler
l'acquisition
du
langage
à
un
simple apprentissage conçu
sur
le
modèle
Stimulus-Réponse.
D'ailleurs
comment
identifier
ce
qui
agit
comme
stimulus
dans
le
foisonnement
verbal
qui
entoure
le
sujet?Les
adultes
qui
tentent
de
"corriger"
les
énoncés
qui
leur
semblent
inédaquats
n'obtiennent
pas
de
meilleurs
résultats
que
ceux qui
ne
font
rien
,
comme
l'a
justement
fait
remarquer
N.Chomsky(1968)
dans la
critique
décisive,
largement
reprise
depuis
par
la
communauté scientifique,
qu'il
adressait
aux
théories
de
Skinner
.
C'est
ainsi
que la
fréquence
d'un
terme
dans
les
énoncés
adressés
à
l'enfant
n'implique
pas
obligatoirement
son
intériorisation
et
son
réemploi
car
l'activité
linguistique
ne
se
réduit
pas
à
une
simple
mémorisation;elle
prend
appui,
au
contraire,
sur
les
capacités
qu'a
le
sujet
d'agir
sur
son
environnement
et
d'entrer
en
relation
avec
23
ses
pairs, de
classer,
discriminer
et
mettre
en
relation.
Ces
capacités
se
mettent
en
place
au
cours
du
développement
cognitif
de
l'enfant
.Les
premières manifestations
sont
d'ordre
sensori-moteur
et
précèdent
la
communication
verbalisée.Dès
les
premiers
mois
de
la
vie,
le
bébé
est
en
interaction
avec
son
entourage
et
déploie
ce
que
certains
psychologues
n'hésitent
pas
à
appeler
une
activité de
"chercheur"
(Sinclair
H.
et
Stambak
M.1982,Stamback,M.1983
).
Les
premières
activités
langagières
s'inscrivent
dans
cette
perspective:
la
construction de
la
relation
signifiant/signifié
s'articule
sur
la
façon
dont
s'ordonnent
les
expériences
du
locuteur.
La
polysémie,
tant
de
fois
évoquée,
du
signifié
(les
"mots-phrases"
des
tout-petits)
ne
s'exerce
pas
au
hasard.Une
notation
fine
du
contexte
dans
lequel
se
produisent
les
énoncés,
un
nombre
suffisant
d'occurrences,permettent
de
saisir
les
opérations
qui
sous-tendent
ces
verbalisations: Sylvie,
1
an
4mois
«accompagne
tous
ses
déplacements
de
la
vocalisation
/tatatata/
distinguant
ainsi
les
activités
mobiles
des
activités
statiques;Bruno,lan
8
mois,
divise
le
monde
animal
en
deux:les
animaux
familiers
chiens,chats,
oiseaux
(même
empaillés)
sont
tous
des
/titi/
tandis
que
les
autres
(vus
au
zoo
ou
à
la campagne)
sont
des
/tivo/
(l'enfant
a
vu
naître
un
veau).
Certains
enfants
discriminent
des
éléments
leur
servant
à
organiser
les
données
de
1'
expérience
selon
des
critères
précis
qui
ne
recoupent
pas ceux
des
adultes
:par
exemple,l'énoncé
/tipo/
désignera
tour
à
tour
un
petit
pot,
un
yaourt
tun
plat
de
viande
hachée
et
une
assiette
dejpuréeiX
élément
discriminant
semblant
être,
dans
ce
cas,
ce
qui
peut
se
manger
avec
une
cuillère,
à
la
différence
d'autres
aliments
qui
nécessitent
couteau
et
fourchette).
Même
chez
les
enfants
plus
âgés
l'écoute
attentive
des
énoncés
réserve
des
suprises
car
les
ressources
du
système
ne
sont
pas
forcément
utilisées
par
eux
comme
le
veulent
les
règles
de
la
grammaire
en
usage
dans
la
communauté
linguistique
des
adultes
francophones:
Anne,
5
ans
6mois,
souligne
l'intensité
d'une
situation
en
redoublant
l'adverbe:(l)
une
vipère
ça
pique
bien
beaucoup.
(2)
et
pis
fêtais
très
beaucoup
malade.
Ces
deux
en
onces,
produits
au
milieu
d'autres
tout
à
fait
conformes
au
modèle
adulte,
n'avaient
pas
été
relevés,
à
première
audition,
par
l'observateur.En
fait
le
chercheur
doit
être
constamment
aux
24
aguets
car
l'enfant
procède
par
tâtonnements,
essais
et
erreurs;il
n'hésite
pas
à
se
saisir
d'un
terme
nouveau,à
généraliser
des
constructions
sans
tenir
compte
des
particularités
du
système,à
essayer
des
tournures
sans
maîtriser
l'ensemble
du
paradigme.On
trouve
un
bon
exemple
de
ce
tâtonnement
lorsqu'on examine
la
mise
en
place
du
système
des
relations
temporelles:
vers
6
ans,
lorsque
l'enfant
aborde
la
lecture
et
l'écriturej'équilibre
de
ce
système
est
encore
hésitant.Certains
sujets
utilisent
,dans
un
même
énoncé,des
adverbes
et
des
verbes
indiquant
des
points
de
repères
temporels
différents
:"Hier la
maîtresse
nous
donnera
des
cahiers
neufs"(6
ans
3
mois)
"Demain
j'ai
été
malade"
(5
ans
10
mois).
La
construction
des
différentes
parties
du
système
La
nécessité
de
disposer
d'un
corpus
enregistré
(pouvant donc
être
réécouté),
plutôt
que
de
notes,
même
prises
très
soigneusement,
s'impose
lorsque
l'on
cherche
à
étudier
l'installation
de
paradigmes
tels
que
les
déterminants,
les
pronoms
personnels
...
On
sait
combien
il
est
facile,
même
pour
des
transcripteurs
avertisse
modifier
des
énoncés
en
leur
donnant
une
forme
plus
proche
du
modèle
standard.
Dans
le
cas
des
productions
enfantines
cet
écueil
est
redoublé
par
le
sentiment
de
fausse
familiarité
qu'entretient
l'adulte
avec
la
langue
de
l'enfant.
Cependant,
les
formes
qu'il
identifie
entrent-elles
dans
les
mêmes
catégories
grammaticales
que
celles
des
locuteurs
plus
âgés?
La
simple
segmentation
des
unités
pose
en
soi
un
problèmexomment
distinguer
le
substantif
du
déterminant
dans
des
formes
telles
que: l'avionlle
lavionlle
naviontl
'éléphant/le
lélephantlle
néléphant
?
Par
exemple,suffit-il
de
constater
la
présence
ou
l'absence
d'une
unité
devant
le
substantif
pour
parler
d'acquisition
du
déterminant?En
réalité
le
chercheur
est
obligé
de
recueillir
divers
énoncés
chez
le
même
enfant,
produits
dans
plusieurs
contextes,
pour
étudier
la
mise
en
place
du
paradigme:les
formes
observées
peuvent
être
variées,même
si
elles
relèvent de
la
même
étape.Ainsi
deux
enfants
d'âge
similaire
ne
produiront-ils
pas
forcément,en
surface,les
mêmes
énoncés.
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !