Vivre ensemble dans les bâtiments scolaires : un défi permanent

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Vivre ensemble
dans les bâtiments scolaires :
un défi permanent
Quelques situations scolaires, analysées ici dans des
établissements neufs ou récemment rénovés, révèlent
«L
es locaux, l’architecture? Ça ne suffit
pas mais ça compte… ». À l’école
Vannier, au lycée Querré, au collège
Prévert2 et ailleurs, beaucoup se retrouvent dans ce jugement rapide – Radidja et Kewin,
élèves de cinquième, Odile, enseignante de sciences et vie de la terre, la conseillère principale
d’éducation, Carole, André, le factotum, Malik,
l’assistant de vie scolaire, etc. –; mais il est plus
❚ Marie-Claude DEROUET-BESSON
difficile d’en démêler les fondements. Les analyses personnelles qui y mènent reposent chacune
sur une situation particulière liée à la position,
au métier de chacun.
l’importance à la fois des dispositions spatiales et les
rapports complexes qui se tissent entre bâtiments et
vie scolaire1.
plique pas l’existence d’une communauté d’usages. Les
constantes d’usage – tels la réunion de tous les collégiens
dans la cour pendant les récréations et son pendant, l’interdiction de la fréquentation des bâtiments, ou l’importance du contrôle visuel – concernent plutôt les grandes
catégories d’usagers que la communauté scolaire dans son
ensemble – au sens que lui donne la loi Haby de 1975 qui
introduit la notion dans le monde de l’école.
La première évidence est celle de la multiplicité des points
de vue qui coexistent et parfois se heurtent. Une deuxième
évidence est que le sentiment d’appartenance à un établisLes usages spatiaux, quelle que soit la nature
sement, à la communauté qui l’incarne à un moment
de l’équipement concerné – une poste, une gare,
donné et dont le souvenir perdure au fil du temps, mêle
un musée, une habitation, une école… –, ne
des impressions multiples où l’architecture et les espaces
sont pas plus identiques que les lieux, toujours
qu’elle crée ne sont pas déterminants : s’ils peuvent fortesinguliers, où ils prennent place. Routiniers,
ment contribuer à l’identité de l’établissement, ce sont bien
répétitifs mais aussi innovants et imprévisibles,
les interactions entre les personnes qui étayent davantage
les usages dépendent autant des ressources
ce sentiment d’appartenance – ou de rejet –, et non la
que les usagers trouvent dans la disposition
commodité ou l’agrément des lieux qu’elles occupent.
des locaux que des relations sociales qu’ils
Enfin, si l’esthétique est souvent mise en avant, bien d’auentretiennent entre eux (Derouet-Besson, 1998).
tres caractéristiques, techniques et matérielles, des locaux
Peut-on parler, à l’école ou ailleurs, d’usages
jouent un rôle incontestable sur l’ambiance de l’établissecommuns? La notion de maîtrise d’usage n’imment. Les différentes formes de confort thermique, hygrométrique, acoustique bien sûr, mais aussi
❚ 1 Merci à Danièle Bordessoule, enseignante associée de l’INRP, et aux étudiants
volumétrique et d’éclairage conditionnent
du master Administration des établissements éducatifs (Lyon II) pour avoir
largement les activités et les échanges qui
attiré mon attention sur des situations significatives.
❚ 2 Les noms des établissements et des personnes sont fictifs.
s’y déroulent.
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U
NE PLURALITÉ DE REGARDS,
DE BESOINS, D’ENVIES…
La présence de tel ou tel dans les bâtiments scolaires dépend
de la fonction de ces derniers. L’existence même de l’établissement crée un lieu d’apprentissage où chacun est censé
trouver sa place pour exercer son métier dans de bonnes
conditions. Si les locaux sont communs, les usages n’en sont
pas forcément partagés et n’inscrivent pas automatiquement les usagers dans une communauté scolaire cohérente.
Dans des bâtiments où la présence est contrainte par l’obligation scolaire ou professionnelle, la vie déborde largement
les usages prévus. Au collège Prévert, au lycée Querré ou
ailleurs, échapper au contrôle visuel des adultes et trouver un coin tranquille pour « se poser un peu », négocier
des objets, s’échanger à l’interclasse des informations sur
l’humeur du professeur ou l’organisation de la « teufeu »
du prochain samedi sont des envies d’élèves qui a priori ne
sont pas centrales dans le projet d’établissement.
Quand on est enseignant et parfois en retard, trouver un
itinéraire qui vous masque au regard accusateur ou
ironique du principal adjoint peut devenir un enjeu.
À chaque fois, les dispositions spatiales des lieux sont une
ressource que chaque acteur tente de maîtriser au mieux
pour parvenir à ses objectifs, avouables ou non.
Il en est de même pour le déroulement des activités scolaires ordinaires : chacun les voit à sa façon et tente d’utiliser
la ressource spatiale en l’adaptant à son projet.
Une extension – rénovation réussie
Cette diversité des approches des lieux est constante mais
plus ou moins facilement repérable. Les usages d’un
nouveau bâtiment comprenant un amphithéâtre et un CDI,
intégré lors de l’extension – rénovation d’un lycée polyvalent de petite ville, en sont une illustration efficace.
Accueillant un peu moins de sept cents élèves de sections
générales ou professionnelles, les banals bâtiments des
années 1970 du lycée Querré ont été réaménagés et agrandis après un chantier de plusieurs années. La conception du
bâtiment nouveau a cherché, et semble-t-il réussi auprès des
habitants, à faire du lycée un geste architectural fort en centre
ville. «Original, beau, emblématique» sont les termes de l’architecte pour qualifier l’insertion de son bâtiment dans le
tissu urbain. Les matériaux, parmi lesquels dominent le bois
et le verre, tranchent avec le béton des constructions antérieures, et l’introduction de la courbe dans un environne-
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ment orthogonal accroche le regard et fait du
nouveau bâtiment un repère urbain.
À l’intérieur, le vaste CDI, proche de la nouvelle
salle des professeurs, s’inscrit dans la courbe
générale du bâtiment neuf et offre un espace
remarquable, visiblement travaillé par l’architecte concepteur. Ouvert en 2003, il a immédiatement été investi, voire subverti par ses
usagers. Disposant désormais d’une grande
salle d’informatique et de nombreuses baies
d’ordinateurs, certains professeurs, de mathématiques en particulier, font cours systématiquement dans ces lieux qu’ils réservent à l’année. Les mêmes enseignants reproduisent ainsi
leurs usages, quasi exclusifs, depuis l’ouverture, et semblent installés dans un lieu qui
convient à leurs pratiques pédagogiques.
L’espace nouveau du CDI, prévu pour un fonctionnement flexible, est de fait accaparé…
Les élèves eux aussi aiment ce lieu spatialement insolite. Moins gênés par le bruit de la rue
et de la circulation automobile toutes proches,
ils préfèrent le CDI aux salles de permanence
et à la maison des lycéens, pourtant agréables,
et ont visiblement plébiscité les choix de l’architecte.Y venir quand ils en ont l’opportunité
– un trou régulier ou ponctuel de l’emploi du
temps, une tâche particulière, une envie d’être
au chaud ou à l’ombre pour discuter, occuper
l’avant ou l’après-déjeuner, etc. – est indéniablement plaisant pour un bon nombre d’entre
eux. Ainsi, le flou sur la délimitation de l’entrée, l’imprécision relative, en dehors des salles,
des limites des zones de consultation, de
lecture, de travail individuel ou en groupe et la
diversité des usages engendrée par cette flexibilité conduisent à une sur-utilisation du CDI,
en décalage avec les définitions ordinaires d’un
tel service.
Pourtant, ici, les caractéristiques spatiales et
leur attractivité sont accusées d’amplifier les
difficultés de fonctionnement du CDI: le niveau
de bruit déjà élevé – la rue – est accentué par
les déplacements incessants, les flux d’élèves
allant en salle informatique, les conversations,
l’ampleur du volume et la réverbération du
son ; de même l’impossibilité du contrôle visuel
direct est mise en cause…
Comment démêler ce qui relève du dispositif
spatial et ce qu’il faut attribuer aux conditions
d’usage ?
L’arrivée d’une nouvelle direction à la rentrée
2006 a permis de tester en vraie grandeur
plusieurs formes de gestion des flux. Trois
formules ont été mises au point avec les
conseillers principaux d’éducation pour créer
au CDI une ambiance plus propice au travail.
L’estimation des résultats varie fortement selon
les points de vue. Lors du conseil d’administration de mars 2007, une question diverse
posée sur l’usage du CDI a conduit cette assemblée à demander au personnel du CDI de revenir à l’accueil de tous les élèves qui le souhaitent à tout moment de la journée.
Cet exemple, spatialement étonnant, est donc
terriblement ordinaire en termes de vie scolaire
et de réactions d’une communauté scolaire. Les
points de vue et les usages sont comme ailleurs
souvent incompatibles entre eux, dérogeants
par rapport aux prescriptions – par exemple,
un CDI ne doit pas accueillir plus de 10 % de
l’effectif d’un établissement, il doit pouvoir le
faire facilement sans règle contraignante autre
que celle du travail et de l’ordre… –, sources de
difficultés, parfois de conflits ouverts. Au lycée
Querré, la vie continue : la tension entre les
personnels de documentation et certains enseignants s’accentue, des alliances se dessinent
avec d’autres enseignants souhaitant utiliser
également les moyens informatiques…
R
EPÈRES, APPARTENANCE ET COMMUNAUTÉ SCOLAIRE
Comment définir la part que peuvent prendre l’architecture
et les dispositions spatiales dans le sentiment d’appartenance à un établissement et à la communauté scolaire
qu’il est censé constituer ?
Leur esthétique et leurs formes jouent sans doute le rôle
le plus évident. La coupole du collège Prévert, l’extension
de bois et de verre du lycée Querré sont des repères dans
leurs villes respectives.
Les productions architecturales ont renoué aujourd’hui un
dialogue spatial avec la rue. L’affichage du sens symbolique
de la fonction du bâtiment dans un quartier est désormais
affirmé et de nombreux élus des collectivités territoriales,
maîtres d’ouvrage depuis la décentralisation du 1er janvier
1986, insistent pour que les constructions scolaires qu’ils
financent participent à l’attrait de leur ville, à l’agrément
des habitants autant – plus parfois – qu’à la satisfaction de
leurs utilisateurs directs. La monumentalité ou plutôt le
signe dans la ville sont de retour. Indéniablement, les usagers
directs y sont sensibles et la place du jugement lié à l’émotion esthétique est réelle. «C’est beau», «J’aime» sont des
réflexions habituelles dans toutes les catégories d’usagers,
adultes ou élèves. Elles reflètent une tendance nouvelle, qui
accorde davantage d’importance au cadre bâti, à sa forme
urbaine et à son état, qu’il y a quelques décennies.
Si nul ne doute aujourd’hui qu’un élève puisse réussir grâce
à d’excellentes études faites dans des locaux vétustes – ce
qui a longtemps été le lot commun d’établissements très
réputés de centre ville, abrités dans des bâtiments anciens
–, les exigences ordinaires en matière d’équipement et de
matériels pédagogiques se doublent de revendications sur
des conditions «décentes» d’accueil et de travail des élèves
et des personnels. C’est le terme qu’emploie Carole, la CPE
de Prévert. Elle vient d’un collège proche qui n’a que partiellement été rénové. «On a repeint quelques murs et mis des
stores, ça améliore beaucoup mais ça reste moche» dit-elle
en jetant un regard heureux sur la coupole et ses abords.
Ainsi, dire qu’on est de Prévert est visiblement un plus. C’est
aussi un caractère distinctif, interprétable de mille façons à
l’extérieur, dans le quartier. Ce n’est pas non plus l’arrivée
dans un monde enchanté qui effacerait les difficultés, en
particulier les frictions entre élèves ou entre élèves et adultes. Prévert reste un collège de ZEP. Pourtant, selon André,
le factotum, les élèves sont difficiles, comme ailleurs, mais
ils respectent les bâtiments parce qu’ils les trouvent beaux.
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Carole est moins optimiste. Elle reconnaît volontiers que
le collège est respecté mais elle souligne les difficultés que
pose son architecture en termes de contrôle visuel et de
surveillance. Dans des lieux où la courbe tient une si grande
place, il est impossible de laisser leur liberté de déplacement aux élèves.
Si le repère urbain est déjà construit, les repères sociaux
sont en perpétuelle définition et l’atmosphère de l’établissement ne résulte pas de la seule qualité architecturale.
À Brel, un collège neuf de la banlieue parisienne, l’admiration d’un visiteur journaliste pour le cadre n’est pas partagée par un groupe d’élèves de troisième rencontré dans la
cour. Incrédule devant leurs réticences face à une architecture qu’il trouve splendide, le journaliste les interroge sur
ce qui ne va pas. «La décoration et l’administration» répond
Jérémy, largement approuvé par les autres. La décoration
leur paraît digne d’une école maternelle, certainement pas
d’un collège, et les mosaïques murales, arc-en-ciel, leur
prouvent qu’ils sont considérés comme des bébés et leur
rappellent en permanence ce qu’ils voient comme une
forme d’humiliation par les murs.
Quant à l’administration… autoritarisme, ridicule, paternalisme, présence obsédante, rigorisme excessif, rappels à
l’ordre incessants, pressions sur les parents sont évoqués
en termes plutôt crus pour confirmer l’assimilation des
élèves à des bébés. Le poids des hommes l’emporte sur
celui des murs.
Les formes architecturales sont donc soumises à des interprétations qui prennent corps dans un ensemble dépassant totalement leurs caractéristiques propres.
Quand on interroge les élèves sur ce que la rénovation et
l’extension des lieux a changé dans l’atmosphère de l’établissement ou pour eux personnellement, plusieurs points
reviennent souvent. D’abord, l’essentiel est inchangé : les
professeurs, les personnels de vie scolaire, la direction, l’administration sont toujours là, ni meilleurs ni pires, aimés,
détestés, pareils à eux-mêmes.
Ensuite, l’importance des relations entre élèves saute aux
yeux (Rayou, 2007). Le repère, l’appartenance et leurs
dimensions émotionnelles se construisent dans le groupe
des pairs par adhésion, rejet, défi, conflit, etc. C’est ce qui
rend la question des déplacements et des lieux de stationnement si sensible – à l’école bien sûr mais aussi en dehors,
dans l’immeuble, dans le quartier. Se retrouver avec qui
on veut, éviter ceux qu’on ne veut pas rencontrer, pouvoir
discuter librement entre soi est d’autant plus important
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qu’il faut bâtir sa personnalité et apprendre à
se situer dans l’espace public (Breviglieri, 2007).
C’est sans doute à travers la notion de considération que l’effet est le plus perceptible.
Même si les troisièmes de Brel trouvent que
l’architecture les assimilent à des bébés, ils
reconnaissent que c’est plus agréable, c’est
grand, c’est propre, ça a coûté cher et cette
dépense a été faite pour eux. Presque partout,
à l’école, au collège ou au lycée, les élèves voient
dans les rénovations un signe de respect, de
prise au sérieux qui les touche. Les protestations contre le mépris à leur égard dont témoignent l’inadaptation et surtout la vétusté, la
saleté des bâtiments cèdent partout devant la
reconnaissance de l’effort consenti pour eux.
Les élèves restent cependant très réalistes face
aux effets d’une rénovation sur leur propre
travail et leur réussite personnelle. «Ouais, c’est
beau, j’aime bien, ça devrait aider mais je suis
pas au niveau »…
C
ONFORT ET BIEN-ÊTRE
Si l’accord est malaisé entre les usagers sur
l’utilisation de la ressource spatiale, leurs dires
convergent sur la gêne ressentie face aux conditions matérielles et techniques. Le confort –
acoustique, thermique, hygrométrique mais
aussi volumétrique et d’éclairage – et donc le
sentiment de bien-être qui peut en résulter
jouent un rôle fort, souvent sous-estimé dans
les établissements.
L’entrée de Myrtille, professeur des écoles, dans
l’extension du groupe scolaire Vannier le
montre.
Après quatre ans, une tranche de la rénovation
lourde est terminée et, à la rentrée de la
Toussaint 2006, Myrtille a migré avec ses élèves
vers le nouveau bâtiment. Quand elle raconte
son installation, elle dit d’abord son mal-être.
Quittant une salle de 55 m2, elle se sent perdue,
écrasée dans sa nouvelle salle de 75 m2. Elle
se souvient qu’elle a spontanément regroupé
ses élèves et la plupart de leurs activités dans
l’équivalent de la surface antérieure. Il lui a
fallu un mois à peu près pour occuper et faire
utiliser toute la surface de la salle.
Pourtant, son constat immédiat a été la différence de comportement de ses élèves de CM2,
leur calme, le changement subit d’atmosphère.
Elle a d’abord cru que la taille de la salle expliquait la diminution de l’agitation et des bavardages. Étant fortuitement retournée dans la
classe d’une de ses collègues dans l’ancien bâtiment, elle a été saisie par le niveau sonore. Ses
élèves ne sont pas devenus des anges mais ils
sont sensibles au calme. Myrtille est convaincue que l’éclairage naturel dominant, la
hauteur sous plafond plus importante que dans
sa salle précédente et surtout la qualité acoustique s’ajoutent à la taille de la salle pour créer
cette ambiance nouvelle.
Ce cas de figure, où la superficie de la salle est
augmentée, n’est pas majoritaire, surtout en
collège et en lycée où la tendance est plutôt à
sa diminution au profit des espaces extérieurs
aux classes. Les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre cherchent aujourd’hui à favoriser
les échanges et accordent souvent la priorité
aux lieux dits « intermédiaires » : les circulations, le CDI, le restaurant, la cafétéria, la
maison des collégiens ou des lycéens où l’on
se croise, on se côtoie, on se mélange et l’on est
supposé partager (Pourchet et Cerfontaine,
2004). «Les progrès de nos architectures doivent
raconter les nouvelles façons de vivre au lycée»
explique, par exemple, l’architecte Denis
Debaig.
Les conditions techniques du confort minimal
font souvent défaut. L’acoustique en particulier, malgré les dispositions de la loi de 1995,
reste défectueuse dans de très nombreux bâtiments anciens, et même parfois dans les
nouveaux…
Le proviseur du lycée Bayle n’a pas de mots
assez durs pour décrire, au CDI, le bruit, l’absence de lumière, la chaleur l’été. À Bayle, l’esthétique, remarquable, ne fait donc pas le poids.
Le principal du collège Wattigny constate qu’il
arrive de plus en plus souvent que la température à l’intérieur des classes situées à l’ouest
dépasse 40 degrés en mai ou juin, parfois même
en septembre. La ventilation est inexistante, les stores intérieurs en loques et la rénovation n’est toujours pas
programmée dans les années qui viennent. Il est obligé
d’autoriser les enseignants à aménager des pauses quand
il fait trop chaud.
Les élèves du lycée Branly en ont ras-le-bol de faire
deux cents mètres dans la neige ou sous la pluie, à l’aller
et au retour, pour aller en cours de maths dans un autre
bâtiment. Ils voudraient une allée couverte.
Tout cela exaspère, et chacun essaie de tirer son épingle
du jeu, de trouver le lieu adapté à son activité.
Rien d’étonnant à ce que la salle attribuée aux assistants
de vie scolaire qui proposent du soutien scolaire soit la plus
« pourrie » au collège Terviest. C’est le seul espace « qui
reste » : personne ne veut y faire cours à cause du bruit
émanant du hall, de la passerelle métallique, de l’éclairage
et de la chaleur. On y travaille finalement volets fermés
pour assurer un minimum de concentration aux élèves…
Pour autant, les conditions difficiles créées par des locaux
inadaptés ou inconfortables soudent la communauté
scolaire dans la revendication de conditions meilleures,
établissent des pratiques de proximité, donnent une
impression de liberté liée à la vétusté. La détérioration par
un usage un peu déviant n’est pas dramatique – impossible d’abîmer davantage, donc on peut transformer un peu,
bricoler pour adapter…
C
ONCLUSION
L’esprit des lieux n’est donc pas nécessairement au rendezvous ; ou, plutôt, il doit autant aux hommes qu’aux murs.
Des bâtiments qui emportent l’adhésion ne créent pas de
fait une communauté scolaire harmonieuse, mais ils
donnent à tous davantage de ressources pour faire co-exister des usages toujours divers, liés aux fonctions et aux
pratiques des uns et des autres. À côté des qualités esthétiques, l’état des lieux, les conditions matérielles et techniques, en particulier l’acoustique, jouent un rôle important
dans le vivre-ensemble propre à chaque établissement.
Mais des usagers qui se côtoient dans un même lieu ne
parviennent pas à éviter tous les conflits d’usage. Le vivreensemble est à construire en permanence.
Les rénovations, très nombreuses aujourd’hui, sont une
occasion à ne pas manquer de prendre au sérieux la dimension spatiale des situations pédagogiques et éducatives dès
la programmation (Derouet-Besson, 2004), d’y réfléchir
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entre usagers, pour donner à l’architecte des éléments
utiles à sa conception. C’est un défi à relever collectivement au sein de l’école, avec les maîtres d’ouvrage.❚
❚ MARIE-CLAUDE DEROUET-BESSON est maître de conférences à l’UMR Éducation
et Politiques de l’INRP de Lyon (université de Lyon II).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
❚ BREVIGLIERI M., 2007, «L’arc expérientiel de l’adolescence:
esquive, combine, embrouille, carapace et étincelle… »,
Éducation et Sociétés, n° 19.
❚ DEROUET-BESSON M.-C., 1998, Les Murs de l’école. Éléments
de réflexion sur l’espace scolaire, Paris, Métailié.
❚ DEROUET-BESSON M.-C., 2004, « L’apport de l’école à la
construction d’une culture architecturale en France», Revue
de l’Inspection générale, n° 2.
❚ POURCHET G. et CERFONTAINE J.-Y., 2004, « Des espaces
d’enseignement aux lieux de vie : leçons d’une enquête »,
Revue de l’Inspection générale, n° 2.
❚ RAYOU P., 2007, « De proche en proche, les compétences
politiques des jeunes scolarisés», Éducation et Sociétés, n° 19.❚
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