Pour sortir de l'impasse, osons une stratégie de rupture !
La crise de la sociale-démocratie européenne :
La sociale-démocratie européenne est en crise. Les partis socialistes, sociaux-démocrates ou travaillistes
dans l'Union Européenne étaient majoritaires dans les gouvernements européens à la fin des années 1990 ;
ils sont aujourd'hui une poignée et les possibilités de voir les gouvernements français, belge (coalition
baroque) et danois être rejoints dans un proche avenir sont faibles.
Un modèle théorique épuisé :
Mais cette bérézina électorale a été précédée de l'épuisement d'un modèle et d'une pensée. On a toujours
opposé la tradition du socialisme républicain français au modèle social-démocrate européen nordique,
supposé plus efficace. Pourtant, il comporte en son sein les éléments de rebond efficaces pour sortir de la
crise actuelle, concomitante de l'épuisement de ce fameux modèle. Le discours qui a voulu imposer l'idée
que le socialisme français – appuyé sur le rôle de l’État, des services publics et de l'intervention plus ou
moins directe de la puissance publique dans l'économie – était caduque ou archaïque correspond également
à cette période d’affaiblissement majeur du mouvement socialiste et social-démocrate en Europe.
Cette crise est lourde et durable car structurelle.
Le projet social-démocrate nordique est né dans l'immédiat après-guerre, anticipé de peu par les sociaux-
démocrates suédois. Il a été triomphant à la fin des années 1960 et dans les années 1970, en Allemagne et
en Europe du Nord, avec des formes différentes adaptées à chaque États-Nations. Or ce n'était pas un
modèle idéologique autonome, mais un entre-deux, un juste milieu, la réponse que ces pays d'Europe
occidentale avaient trouvé entre le modèle capitaliste américain et le modèle totalitaire soviétique. Dans les
débats qui ont pu opposer socialistes français et sociaux-démocrates nordiques, ils ne revendiquaient
d'ailleurs pas l'idéologie : nous étions les idéologiques et eux les « pragmatiques », ceux qui défendaient le
juste équilibre, l'idée française d'une autonomie politique vis-à-vis des États-Unis apparaissant par ailleurs
comme une aberration.
Le congrès de Bad Godesberg a cependant esquissé la théorisation de ce pragmatisme : il s'agissait de
construire un compromis entre le monde du travail et celui du capital, détenteur du pouvoir dans l'entreprise,
de privilégier la négociation sociale (contrat) à l'intervention directe du politique (loi) dans le champ
économique et social. L’État était donc réduit à un rôle de régulateur, prélevant et redistribuant (et la force du
modèle nordique est évidemment l'ampleur de cette redistribution sociale organisée), plutôt qu'un État acteur
et organisateur de l'économie. La régulation du marché était par ailleurs légère. Cette économie sociale de
marché, ce compromis bâti avec la démocratie chrétienne n'était pas une alternative au modèle dominant
mais une évolution plus sociale du modèle dominant et inégalitaire.
Ce modèle ne peut plus fonctionner. Il s'était construit et fonctionnait dans un équilibre, à la suite d'un
rapport de force au sein de l'État-Nation, lorsque les résultats électoraux en leur sein participaient également
des variations du rapport de force capital-travail. Cadre dans lequel le « rapport de classes », le rapport de
force dans l'entreprise était organisable sans que l'on ait besoin d'être détenteur du capital.
Le socialisme jauressien découle lui du fait républicain qui est un fait politique avant d'être un fait social, qui
pose l'égalité des citoyens comme principe du contrat politique et social. Le grand apport du socialisme, qui
n'est pas opposable mais complémentaire de la sociale-démocratie nordique, était d'expliquer que ce
concept d'égalité civique n'était pas limité au politique mais devait s'étendre au social : ainsi le socialisme
républicain est rédhibitoire avec tout ce qui organise l'exploitation ou justifie les inégalités. L’État / la
puissance publique doit être l'incarnation de l'intérêt général : « doit être » car il ne l'est pas spontanément et
cela dépend du rapport de force politique et social. L'intervention économique de la puissance publique ne
saurait être le seul levier mais saurait être disqualifiée en soi : c'est notre conception des services publics et
de l'économie mixte, qui n'est pas l'économie sociale de marché… dans ce cadre, le capital est parfois
public, parfois socialisé, coopératif ou mutualiste, parfois privé.
La crise du capitalisme mondialisé, qui découle de la vision libérale de la mondialisation, doit nous inciter à
revenir sur la question de l'économie mixte, de la capacité et de la pertinence à nous réinvestir sur le capital
et la nature de la propriété de certains moyens de production, pour reconstruire un rapport de force nouveau,
alors que la sociale-démocratie n'est plus en mesure de répondre avec ses modèles historiques.
La grande force de la sociale-démocratie – notre grande faiblesse – a été d'incarner le rapport de force
social : c’était le parti des syndicats, parfois issu des syndicats (le Labour Party) et du monde du travail unifié
dans de grandes organisations syndicales, corollaires des grandes organisations de production, des grandes
structures industrielles – dont nous n'avons jamais vraiment eu d'équivalent en France. Or l'émiettement du
monde du travail percute de plein fouet la sociale-démocratie dans son rapport à celui-ci. Elle n'est plus en
mesure de le représenter et il ne se reconnaît plus dans nos partis nationaux.