Economie SCIENCES L’émotion au cœur de l’économie © CNRS - DR7 - V. Cusimano A l’occasion des Journées de l’économie (voir encadré), Tout Lyon Affiches s’intéresse à des recherches bien particulières dans ce domaine : l’étude de nos comportements et émotions face à des choix économiques. Serions-nous moins rationnels que ce que l’on tente de faire croire à notre banquier ? © CNRS - DR7 - V. Cusimano Le Gate passe au crible nos comportements et nos émotions face à des choix économiques Marie-Claire Villeval L’économie comportementale est l’un des axes de recherche du Groupe d’Analyse et de Théorie Economique Lyon Saint-Etienne (Gate 1). S’appuyant sur des expérimentations en laboratoire et en situation réelle (dans des entreprises par exemple), ce champ des sciences économiques se situe à l’interface avec la psychologie et les neurosciences afin notamment de comprendre le rôle que jouent nos émotions dans nos prises de décisions économiques. Joie, colère, jalousie ou encore empathie nous influencent, mais nous aident-elles à faire les bons choix ? Champ de recherche né dans les années 1950, l’économie comportementale a connu un véritable essor à partir des années 1980. Elle a permis de développer de nouvelles théories économiques qui s’opposent à une conception de l’agent économique (individu, entreprise…) en tant qu’homo œconomicus. L’économie comportementale accorde une place importante au contexte social et émotionnel dans le raisonnement et la prise de décision et intègre le fait que les individus ont généralement une rationalité limitée et contextuelle. « On admet, entre autres, que l’individu n’est pas omniscient, qu’il a des motivations qui ne sont pas purement égoïstes et qu’il prend ses décisions dans un contexte social », précise Marie-Claire Villeval, directrice du Gate et spécialiste en économie comportementale. Le rôle des émotions Intuitivement, on peut penser que prendre une décision sous le coup d’une vive émotion n’est pas une bonne chose. Cependant, grâce aux travaux menés en économie comportementale et en neurosciences, la vision de la manière dont nos émotions influencent nos choix a évolué. Cette influence émotionnelle est en fait loin d’être toujours négative et les résultats des travaux de recherche montrent qu’elle peut même être bénéfique. Selon Marie-Claire Villeval, « nos émotions nous aident à apprendre et à comprendre. Et en apprenant, on peut Jéco, du 14 au 16 novembre Comme l’édition 2012 qui a attiré plus de 7 000 participants, l’édition 2013 des Journées de l’Economie vous propose, entre autres, de très 34 nombreuses conférences et ateliers pédagogiques. Retrouvez le programme sur www.journeeseconomie.org réviser ses croyances précédentes et faire des choix beaucoup plus efficaces. » Le regret, par exemple, permet un retour sur expérience qui nous apprend à ne pas reproduire un comportement inefficace. Les émotions nous servent aussi au moment même de la prise de décision. En effet, en anticipant sur l’état émotionnel qu’une décision pourra engendrer chez nous-même, nous pouvons ajuster notre raisonnement et notre comportement. Par exemple, lorsque l’on prend une décision financière qui implique un risque, on anticipe sur l’état de stress et la peur de perdre son argent mais aussi sur la joie de faire fructifier ses économies. La pondération entre ces émotions anticipées contribue au raisonnement économique et à l’évaluation des enjeux de la situation. L’influence des émotions est donc loin d’être toujours négative et n’est en rien en soi incompatible avec la rationalité. Pour mener leurs recherches, les scientifiques du Gate s’appuient sur deux types d’outils : d’une part, des expériences de laboratoire s’effectuant sur un panel de volontaires soumis à un protocole de prise de décisions comportant nécessairement des incitations monétaires et, d’autre part, des expériences de terrain qui consistent à modifier, en situation réelle, un paramètre économique sans que les sujets soient conscients de participer à une expérience. « On va, par exemple, changer les règles d’attribution d’un bonus dans une entreprise, afin d’étudier les conséquences sur le comportement et l’effort des salariés », précise M.-C. Villeval. Un autre domaine de recherche vient compléter cette approche : il s’agit de la neuroéconomie. En coopération avec des neuroscientifiques, des économistes du Gate tentent d’identifier, via notamment des techniques d’imagerie cérébrale (comme l’IRM), les zones du cerveau qui sont sollicitées dans les processus de décision économique. Faisant partie du laboratoire d’excellence Cortex 2, le Gate y trouve les collaborations nécessaires avec des équipes en neurosciences. Le croisement des neurosciences et de l’économie permet de mener à bien des études qui lient des modélisations théoriques, des données comportementales et des données neurales afin de mieux expliciter le raisonnement humain et les processus de décision. En effet, deux décisions identiques d’un point de vue comportemental peuvent mettre en jeu différents mécanismes cérébraux. En explorant ces mécanismes, on peut alors espérer délivrer des résultats de recherche qui ont une meilleure valeur prédictive et permettent de mieux éclairer nos réactions face à des mesures de politique économique notamment. Un domaine particulier d’investigation porte ainsi sur les déterminants des comportements sociaux et anti-sociaux. Les résultats de ces travaux, qui viennent enrichir les théories et modèles économiques, seront partagés par le Gate lors d’un événement unique en France, qui se déroule à Lyon depuis 2008 : les Journées de l’Economie (Jeco). Un moyen de rapprocher les chercheurs du grand public et de répondre à une demande de celui-ci en termes de compréhension des mécanismes qui régissent l’économie. P. Chaumont, CNRS Rhône Auvergne 1. Unité mixte de recherche CNRS / Universités Lyon 1, Lyon 2 et Saint-Etienne / ENS de Lyon, associée au Centre Léon Bérard 2. Laboratoire d’excellence, fruit d’un regroupement multidisciplinaire visant à comprendre les fondements biologiques de la cognition DU SAMEDI 9 AU VENDREDI 15 NOVEMBRE 2013 Économie LTA_A_20131109_LTA_034_T_Q_0.indd 34 07/11/13 09:43