Les photons dans tous leurs états Les matériaux à bandes interdites photoniques Réaliser un matériau qui soit, pour les photons, l’analogue de ce qu’est un cristal semiconducteur pour les électrons est l’objectif ambitieux que se propose aujourd’hui une communauté rassemblant opticiens, électromagnéticiens et physiciens du solide. Le développement de ce nouveau type de matériaux à « bandes interdites photoniques » (BIP), encore appelé cristaux photoniques, ouvre des perspectives nouvelles pour le confinement de la lumière, les sources optiques et les systèmes micro-ondes. ous les physiciens du solide savent que les électrons d’un cristal semiconducteur ne peuvent prendre n’importe quelle énergie : la périodicité du potentiel d’interaction entre électrons et atomes conduit à l’existence de bandes d’énergies interdites. De la même façon, un matériau dont l’indice de réfraction varie périodiquement suivant les différentes directions de l’espace pourra présenter des bandes d’énergies interdites pour les photons (cf. encadré). Autrement dit, dans certains domaines de longueur d’onde de l’ordre de grandeur de la période du matériau, la lumière ne pourra s’y propager et sera donc réfléchie quelle que soit son incidence. C’est en 1987 que E. Yablonovitch proposa de réaliser de tels matériaux et qu’apparurent ainsi les concepts de bande interdite photonique (BIP, désignant aussi par extension le matériau à bandes interdites photoniques) et de cristaux photoniques. La première fonction d’un BIP est d’être un miroir parfaitement réfléchissant quel que soit l’angle ou la polarisation dans une ou plusieurs bandes de fréquence. De plus, si l’on introduit localement des défauts de T – Thomson CSF, Laboratoire central de recherches, Domaine de Corbeville, 91400 Orsay. – Institut d’électronique fondamentale, URA 22 CNRS, Bât. 220, 91405 Orsay. périodicité dans le BIP, cela revient à insérer des microcavités résonantes comme on introduit des impuretés au sein d’un cristal solide. Le développement des BIP ouvre alors des perspectives nouvelles pour les sources optiques en créant les conditions de confinement de la lumière dans un mode unique du champ électromagnétique. L’enjeu pratique pour les lasers à semiconducteurs, par exemple, est de savoir structurer en deux ou trois dimensions (2D ou 3D) des matériaux solides jusqu’aux échelles des longueurs d’onde submicroniques. Des applications importantes existent aussi, comme nous le verrons, aux plus grandes longueurs d’ondes, et c’est finalement pour explorer toutes ces potentialités que s’est constituée en France une communauté composée d’opticiens, d’électromagnéticiens et de physiciens du solide (GdR CNRS « Cristaux photoniques et microcavités »). DES MIROIRS DE BRAGG À PLUSIEURS DIMENSIONS Le BIP le plus simple que l’on puisse concevoir est le classique miroir de Bragg, obtenu par alternance périodique de couches planes diélectriques d’épaisseur optique k / 4. L’analyse fine de ses propriétés permet d’ailleurs de bien illustrer les multiples aspects relatifs à la notion de bande interdite photonique (cf. encadré). Néanmoins, la bande interdite d’un miroir de Bragg se déplace spectralement avec l’angle d’incidence. En conséquence, pour une fréquence donnée, la pénétration dans la structure multicouche est toujours possible sous certains angles. Pour avoir une bande interdite complète, c’est-à-dire une bande de fréquences électromagnétiques interdites dans le matériau quel que soit l’angle d’incidence, il est donc nécessaire de fabriquer une structure dont la périodicité de l’indice de réfraction s’étend sur les trois dimensions. De nombreux choix sont possibles. Quel matériau choisir ? Quel réseau cristallin ? Quel remplissage de la maille élémentaire ? Notons d’abord que la bande interdite photonique d’un miroir de Bragg est d’autant plus large que le contraste d’indice de réfraction entre les matériaux qui le composent est élevé. Le BIP 3D qui nécessite le recouvrement des bandes interdites pour toutes les directions de l’espace sera donc plus facilement obtenu avec un contraste d’indice élevé. On démontre que le rapport d’indice doit être typiquement supérieur à 2. Cette condition est très astreignante, car la grande majorité des diélectriques courants ont un indice de réfraction insuffisant. Cela exclut par exemple l’utilisation de structures périodiques pourtant très spectaculaires rencontrées dans le monde animal (réseau d’alvéoles dans les plumes de certains oiseaux), minéral (réseau de billes de silice à la surface des opales nobles), ainsi que d’autres 37 Encadré 1 BANDES D’ÉNERGIE ÉLECTRONIQUES ET PHOTONIQUES L’équation d’onde (1) d’un champ électromagnétique E(r) permanent dans un milieu sans perte de permitivité électrique relative e(r) est formellement analogue à l’équation de Schrödinger (2) décrivant la fonction d’onde w(r) d’un électron dans un potentiel V(r) : 2 ∇ × @ ∇ × E~ r ! # = x2 e~ r ! E~ r ! c (1) 2 ∇ w~ r ! = − 2 2m ~ E − V~ r ! ! w~ r ! \ (2) La seule différence est la nature de l’équation d’onde, vectorielle dans le cas des photons, scalaire dans le cas des électrons. On retrouve cependant pour un diélectrique périodique une structure de bandes photoniques analogue à la structure de bandes électroniques du cristal solide de même périodicité. Compte tenu de la périodicité de e(r), l’équation (1) se résout en décomposant E(r) et e(r) en ondes planes : x (G) exp(i(k + G) r) et E(r) = RG E e(r) = RG ẽ(G) exp(iGr), où k est le vecteur d’onde et G appartient au réseau réciproque. Après transformation de Fourier, on aboutit à : 2 − ~ k + G ! × @~ k + G ! × E x ~ G ! # = x2 c ( ẽ~ G − G ′ ! Ex ~ G ′ ! G′ (3) qui, une fois développée, est une équation aux valeurs propres 2 x et de vecteurs propres ẽE x . Si l’on limite la décomposition 2 c de Fourier à N vecteurs du réseau réciproque, le problème est matériaux s’organisant spontanément sur des réseaux 3D tels certains polymères ou certaines solutions colloïdales. Ceux-ci ont des indices de réfraction trop faibles, et les mesures sur ces matériaux montrent de classiques effets de diffraction par une structure périodique, tout à fait analogues à la diffraction des rayons X par les cristaux. Pour obtenir une bande interdite complète, les chercheurs ont donc utilisé des matériaux d’indice plus élevé tels que les semiconducteurs ou certains isolants. 38 de dimension 3N × 3N. En réalité, on montre que seules deux polarisations transverses de E sont à prendre en compte, ce qui nous ramène à 2N valeurs propres. La figure de gauche montre le cas du miroir de Bragg pour une incidence perpendiculaire aux couches. Les deux polarisations du champ sont ici équivalentes. Comme en physique des solides, le diagramme de bandes (ou de dispersion), x(k), se construit en se limitant aux vecteurs du réseau réciproque situés dans la première zone de Brillouin (ici, u k u < p). Aux basses fréquences, le miroir se comporte a comme un matériau effectif d’indice moyen (dispersion linéaire), mais une bande interdite s’ouvre dès qu’on approche le bord de zone. On montre qu’aux fréquences de la bande inférieure permise, le champ électrique est concentré dans les régions de forte permitivité. L’inverse se produit pour les fréquences juste au-dessus de la bande interdite et l’on retrouve l’équivalence avec les bandes de valence et de conduction d’une chaîne linéaire d’atomes. Quand l’angle d’incidence est modifié, la période « vue » par l’onde électromagnétique change et la bande interdite se décale en fréquence. La figure de droite représente la « Yablonovite ». La première zone de Brillouin est un octaèdre tronqué (voir encart). Selon la nomenclature usuelle, C désigne son centre, X, L, U, K, W ses points de symétrie principaux. Le diagramme de bandes s’obtient en juxtaposant les diagrammes élémentaires correspondant à chaque direction. Une bande interdite complète apparaît ici entre la deuxième et la troisième bande permise. On montre que la structure la plus favorable pour la réalisation d’un BIP est celle dont la première zone de Brillouin construite dans le réseau réciproque (cf. encadré) est la plus proche d’une sphère. Ce résultat est intuitif car il revient à considérer toutes les directions de propagation de manière équivalente. Le réseau cubique face centrée (c.f.c.), dont la première zone de Brillouin est un octaèdre tronqué, apparaît comme le meilleur candidat. Il reste à choisir le motif, c’est-àdire la forme du matériau à l’intérieur d’une période. Les calculs qui s’imposent sont difficiles car les matériaux sont structurés à l’échelle de la longueur d’onde et les approximations de l’optique géométrique (k << r) ou de milieu effectif (k >> r) sont inapplicables. On aboutit rapidement à un traitement numérique, avec des limitations évidentes sur la taille des systèmes étudiés. Les calculs montrent cependant que le remplissage de la maille élémentaire Les photons dans tous leurs états La méthode des ondes planes décrite ci-dessus est bien adaptée à l’étude du diagramme de bandes d’un BIP infini. En revanche, elle ne s’applique pas au calcul de la transmission d’un BIP fini, de même qu’elle est peu adaptée à l’étude des défauts de périodicité. Les spectres de transmission s’obtiennent par un calcul généralisé du coeffıcient de transmission-réflexion : on maille l’espace réel, on discrétise les équations de Maxwell et l’on associe une matrice de transfert à chaque cellule élémentaire. Pour le calcul des modes de défauts, la recherche de leur position spectrale peut s’apparenter à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin et les théoriciens s’emploient aujourd’hui à développer une méthodologie adaptée à ce problème. Il existe aussi des méthodes de résolution des équations de Maxwell dans le domaine temporel, ce qui permet de visualiser directement la propagation des champs dans le BIP. Cristaux photoniques 1D (miroirs de Bragg) et 3D (« Yablonovite ») et diagrammes de bande correspondants : a désigne la période des cristaux. Sont représentées les trois premières bandes permises du miroir de Bragg (pour une incidence normale) et les six premières bandes de la « Yablonovite ». n’est pas indifférent. On ne peut pas se contenter d’un réseau c.f.c. simple. Après de premières hésitations, la première bande interdite complète a été prédite par une équipe de l’université de l’Iowa dans la structure du diamant (un c.f.c. avec deux atomes par maille séparés de 1, 1, 1 sui4 4 4 vant la grande diagonale). Depuis lors, toutes les réalisations de BIP 3D ont été des « maquettes » de la structure du diamant, à différentes échelles. ~ ! DES BIP AUX ONDES CENTIMÉTRIQUES ET MILLIMÉTRIQUES Il est clair que la tâche de réalisation est d’autant plus ardue que les longueurs d’onde sont petites et l’on ne s’étonnera pas de ce que les premières réalisations aient vu le jour dans le domaine des ondes millimétriques. Des études empiriques de structures 2D ou 3D étaient d’ailleurs apparues dès les années 60, où l’on parlait alors de diélectrique artificiel. Ce n’est pourtant qu’en 1991, après l’introduction du formalisme de bande interdite photonique, que E. Yablonovitch réalisa la « Yablonovite », reproduction de la maille cristalline du diamant par perçage d’un bloc de plexiglas suivant trois axes à 120° correspondant aux galeries < 110 > de la structure du diamant (encadré). L’existence d’une bande interdite complète a été démontrée à la fréquence de 15 GHz (kz2 cm). Des démonstrations plus récentes ont été faites à plus haute fréquence. La 39 maillages métalliques. A la différence de simples métaux, ces maillages présentent également des structures de bande liées à la périodicité ; ils ont de plus l’avantage d’être à la fois compacts, déformables (donc reconfigurables) et capables d’intégrer des éléments actifs. LE DÉFI TECHNOLOGIQUE POSÉ PAR DES LONGUEURS D’ONDE PLUS COURTES Figure 1 - Spectres de transmission (à gauche) mesurés sous deux incidences sur une structure de type « tas de bois » simulant le cristal de diamant (à droite). Les poutres parallèles de chaque rangée 2 (130 × 130 µm ) sont réalisées par un procédé mécanique original de structuration de substrats de silicium (A. Tchelnokov, S. Rowson, J.-M. Lourtioz, IEF d’Orsay). Deux poutres consécutives sont séparées par un « gap » d’air de 360 µm. Les mesures spectrales, obtenues par une technique d’impulsions térahertz (L. Duvillaret, J.-L. Coutaz, Laboratoire d’hyperfréquences et de caractérisation de l’université de Chambéry) font apparaître une bande interdite commune aux deux directions d’incidence entre 260 et 280 GHz. Les bandes interdites d’ordre plus élevé ne présentent en revanche pas de recouvrement significatif. L’influence accrue des effets de diffraction en haute fréquence rend par ailleurs le contraste en transmission plus faible. figure 1 montre par exemple des résultats obtenus à l’Institut d’électronique fondamentale (IEF) d’Orsay sur une structure dite « tas de bois » qui présente une bande interdite complète vers 270 GHz (kz1,1 mm). Le procédé de réalisation consiste ici à creuser des tranchées parallèles dans des substrats de silicium intrinsèque, puis à empiler les substrats de sorte que les « poutres » de silicium restantes correspondent aux rangées atomiques < 100 > du diamant. La période cristalline est alors définie par quatre réseaux de poutres empilées. Les spectres de transmission de la figure 1 mesurés sous différentes incidences font clairement apparaître une bande de fréquence commune où le signal transmis atteint le seuil de détectabilité. Le facteur d’atténuation peut en réalité dépasser 103 pour une seule maille cristalline, soit une réflectivité supérieure à 99,9 %. Vu la relative facilité de fabrication des structures destinées aux ondes millimétriques, une application a été rapidement identifiée : les substrats sur lesquels reposent les antennes. Il s’agit d’éviter la perte d’énergie due aux effets de guidage dans les substrats usuels. On peut aussi empêcher les interférences possibles entre 40 antennes voisines sur un même substrat. Une équipe du MIT a ainsi proposé des BIP exempts de modes de surface et de modes guidés, démontrant une augmentation substantielle du rendement des antennes, ainsi que la possibilité de conformer leur lobe d’émission. De nouvelles structures sont actuellement à l’étude dans diverses équipes du GdR, associant par exemple du métal et du diélectrique ou utilisant simplement des Fabriquer des BIP aux longueurs d’onde de l’infrarouge et du visible impose de structurer des matériaux solides jusqu’à l’échelle submicronique. A notre connaissance, aucune structure 3D n’a encore été réalisée à cette échelle. En revanche, des méthodes de fabrication de structures 2D commencent à être maîtrisées (figure 2). Pour bénéficier d’un confinement 3D, une solution consiste à insérer ces structures dans des guides optiques planaires (figure 3). En dépit des problèmes posés, cette solution a le mérite d’être directement applicable aux composants de l’optique intégrée. Deux exemples de BIP 2D sont présentés en figure 2. Le premier (à gauche) est celui d’un réseau hexagonal de trous obtenu par gravure photo-électrochimique d’un substrat de silicium. Partant d’un Figure 2 - A gauche : BIP 2D réalisé par gravure photo-électrochimique du silicium. La périodicité du réseau est d’environ 4 µm et la bande interdite se situe vers 10 µm. Le diamètre des pores et leur profondeur sont de 1 et 150 µm, respectivement (A. Tchelnokov, S. Rowson, J-M. Lourtioz, IEF d’Orsay). A droite et en bas : BIP 2D en AsGa, de période 2,6 µm, obtenu par gravure ionique réactive. A droite et en haut : figure interférentielle utilisée pour insoler la résine et réaliser le masque de gravure (V. Berger, O. Gauthier-Lafaye, E. Costard, Thomson-CSF Orsay). Les photons dans tous leurs états masque de gravure réalisé par lithographie optique traditionnelle, des amorces d’attaque sont d’abord gravées sur le substrat. L’électro-érosion se propage ensuite à partir des amorces suivant la direction < 100 > du cristal de silicium utilisé comme anode et le diamètre des pores s’ajuste avec le niveau d’éclairement. Cette technique se caractérise par une vitesse de gravure très rapide (30-50 µm/h), comparée aux autres techniques lithographiques. La périodicité du réseau de pores est ajustable de 0,1 à 10 µm et leur profondeur peut dépasser 100 µm. C’est par cette technique qu’a été démontrée la première bande interdite 2D dans l’infrarouge vers 5 µm par une équipe des laboratoires Siemens. Le second exemple de la figure 2 (à droite) est celui d’un réseau triangulaire de trous réalisé par gravure ionique réactive de l’arséniure de gallium (AsGa). Au lieu des techniques habituelles de lithographie, électronique ou optique, utilisées pour réaliser le masque de gravure, le procédé consiste ici à éclairer une résine photosensible par un ensemble convergent de faisceaux cohérents qui représentent les principales directions de Fourier de la structure à reproduire. Une généralisation de ce procédé holographique à des structures 3D est étudiée, notamment grâce à l’expérience acquise sur les réseaux de lumière pour le piégeage d’atomes froids (J-Y. Courtois, Laboratoire Kastler Brossel). LES BIP EN OPTIQUE INTÉGRÉE PLANAIRE ET LES PROBLÈMES DE DIFFRACTION De nombreux composants optoélectroniques utilisent à ce jour des géométries de guide d’onde planaire où la partie active est constituée d’une couche semiconductrice à puits quantique (figure 3). La lumière émise par le puits quantique peut ainsi rester confinée dans le guide planaire. Si l’on veut maintenant réaliser une source à l’échelle de la longueur d’onde, il faudra en outre confiner la lumière dans les deux directions restantes en utilisant des réflecteurs de haute réflectivité et de faible encombrement. Les BIP 2D répondent a priori à la question. C’est sans compter sur les problèmes posés par une possible diffraction de la lumière hors du guide vers le substrat, par le BIP lui-même. L’importance de ce phénomène a été démontrée au laboratoire de Thomson CSF. La figure 3 illustre schématiquement cette situation pour un réflecteur BIP formé d’un réseau de trous cylindriques d’air dans le matériau semiconducteur : une partie de la lumière émise par la source à l’extrémité du guide est diffractée sur les bords des motifs et se perd alors dans le substrat. Pour limiter les effets de diffraction, il faut rendre le motif élémentaire du BIP peu diffractant et renforcer le confinement du guide en prenant des couches confinantes d’indice aussi faible que possible. Une autre difficulté de l’optique intégrée tient à la caractérisation même du réflecteur BIP. La démonstration sans ambiguïté d’une bande interdite requiert en effet de mesurer une forte atténuation dans la bande mais aussi une bonne transmission hors de cette bande. La méthode développée récemment à l’Ecole polytechnique (figure 3) consiste à comparer pour le même guide la transmission du signal de luminescence émis par le puits quantique selon qu’il traverse le BIP ou qu’il passe à l’extérieur. La mesure est ensuite reproduite sur des échantillons dont la structure à puits quantique est identique mais dont le réflecteur BIP est de période différente. DES MODES DE DÉFAUTS AUX MICROCAVITÉS EN TROIS DIMENSIONS Combiner des BIP avec des éléments optiques actifs se conçoit aisément, comme nous venons de le voir, lorsqu’on les exploite comme filtre ou réflecteur aux propriétés particulières, mais on peut aussi les utiliser comme matériaux hôtes, en introduisant Figure 3 - Méthode de mesure de la transmission d’un réflecteur BIP inséré dans le guide (à gauche). Une attention particulière doit être portée sur la possible diffraction d’une partie de la puissance vers le substrat (flèche blanche). La transmission est déduite du rapport d’intensité I/I0 où la référence I0 est prise dans une zone adjacente au BIP. A droite : exemple de résultat de mesure de transmission, en fonction du rapport entre la période a du BIP et la longueur d’onde k (D. Labilloy, H. Benisty et C. Weisbuch, Ecole polytechnique). 41 des défauts comme on dope un semiconducteur. Toutes les variétés de défauts sont envisageables et nous n’en ferons pas ici l’inventaire. Les défauts ponctuels (lacunes, interstitiels...) présentent parmi d’autres un intérêt particulier. Comme pour les électrons dans un semiconducteur, leur présence se traduit en effet par une résonance étroite au sein de la bande interdite (figure 4) et, en 3D, cette résonance peut correspondre à un mode unique du champ électromagnétique. Si l’on place alors aux centres des défauts des émetteurs dont l’émission coïncide avec la résonance, on pourra recueillir l’intégralité de l’émission spontanée dans le mode unique du champ. En utilisant des émetteurs efficaces (faiblement dissipatifs), cela ouvre la voie à des lasers sans seuil ou des sources de lumière comprimée. La réalité n’est certes pas encore aussi simple. Le calcul des modes de défauts ponctuels dans un BIP est déjà un problème en soi (voir encadré) et le couplage à un mode particulier de défaut (ou sa détection) nécessite un travail d’optimisation important (figure 4). Il y a néanmoins là une voie prometteuse pour l’optoélectronique quantique et l’on peut s’attendre à des progrès décisifs dans les prochaines années. Notons à ce point qu’un défaut ponctuel dans un BIP n’est en fait rien d’autre qu’une microcavité particulière en trois dimensions, comme celles que l’on commence à réaliser aujourd’hui dans les matériaux semiconducteurs (figure 5). On ne s’étonnera donc pas que les études dans ces deux domaines soient menées en étroite relation. Figure 4 - Modes de défauts lacunaires mis en évidence dans un BIP micro-onde (F. Gadot, A. De Lustrac, P. Crozat, IEF d’Orsay). Celui-ci consiste en un réseau carré de tiges d’alumine dans l’air (encarts). Une tige manquante est une lacune. Lorsque les lacunes sont espacées l’une de l’autre (à gauche), un seul pic de résonance s’observe sur le flanc haute fréquence de la bande interdite (défaut peu profond). Lorsque les lacunes sont rapprochées, le pic se dédouble (défauts couplés, à droite). A la résonance, la transmission est inférieure à l’unité car l’onde plane incidente se couple mal au(x) mode(s) de défaut. Empilements de Bragg GaAs/GaAlAs Couche active 1,5 µm Figure 5 - Structure 3D obtenue en gravant une microcavité planaire sur de très petites dimensions latérales (ici 0,7 µm, gravure réalisée par E. Costard, LCR Thomson CSF). A gauche : image prise au microscope électronique à balayage, à droite : schéma en perspective. La flèche blanche désigne la direction d’émission de la lumière hors de la microcavité. L’étude de ces objets par J.-M. Gérard (CNET Bagneux) nécessite la prise en compte des modes 3D du champ électromagnétique : le simple modèle planaire ne suffıt plus. CONCLUSION ET PERSPECTIVES Avec l’avènement des matériaux à bandes interdites photoniques apparaît ainsi une classe de nouveaux matériaux pour l’optoélectronique et l’optique en général, avec des structures 3D à l’échelle de la longueur d’onde. Ce développement suit l’évolution logique de réduction de taille des composants qui s’est opérée au 42 cours de la dernière décennie avec la perspective d’intégration de plus en plus grande et l’opportunité d’accroître les performances des composants en utilisant les propriétés quantiques ultimes de la lumière. La technologie des cristaux photoniques complète aussi d’une certaine façon les techniques de confinement électronique, communément appelées « band gap engineering » selon la terminologie anglo-saxonne, en confinant les photons grâce à une « ingénierie » de l’indice de réfraction cette fois. Enfin, les cristaux photoniques amènent une vision nouvelle de l’optoélectronique en deux ou trois dimensions, qui va de pair avec les architectures à trois dimensions qui apparaissent dans les circuits microélectroniques Les photons dans tous leurs états complexes de nos ordinateurs. Ces nouvelles perspectives posent en retour de nouveaux problèmes de modélisation théorique ou de caractérisation expérimentale qu’il faudra résoudre peu à peu. Au cours de l’exposé, nous avons fait état des premières réalisations ou démonstrations, mais il est clair que les voies ouvertes demandent encore beaucoup d’efforts de recherche avant d’aboutir à l’application. D’autres voies de recherche, qui ont par ailleurs été ignorées, sont prometteuses telles l’étude des non-linéarités optiques, la conception de quasi-cristaux ou la réalisation de structures déformables ou reconfigurables. POUR EN SAVOIR PLUS Berger (V.), « Les BIP, ou comment réfléchir la lumière avec des trous », La Recherche, volume 290, p. 74 (1996). Joanopoulos (J.D.), Meade (R.D.), Winn (J.N.), « Photonic Crystals. Molding the Flow of Light », Journal of Modern Optics, spécial issue Photonic Band Structures, vol. 41, february 1994. « Photonic Band Gap Materials », edited by C. Soukoulis, Kluwer Academic Press (1966). « Microcavities and Photonic Band Gaps : Physics and Applications » edited by J. Rarity and C. Weisbuch, Kluwer Academic Press (1996). Courtois (J.Y.) et Grynberg (G.), « Cristallisation d’atomes sur un réseau de lumière », Images de la Physique 1994. Abram (I.), Bloch (J.) et Delalande (C.), « Les microcavités à base de semiconducteur : couplage fort matièrerayonnement », Images de la physique 1997. Article proposé par :Vincent Berger, tél. 01 69 33 90 84, email : [email protected] et Jean-Michel Lourtioz, directeur du GdR « Microcavités et cristaux photoniques », tél. 01 69 15 40 91, email :[email protected]. Cet article intègre également des contributions d’équipes du GdR. 43