Les photons dans tous leurs états
Les matériaux à bandes interdites
photoniques
Réaliser un matériau qui soit, pour les photons, l’analogue de ce qu’est un cristal semiconducteur
pour les électrons est l’objectif ambitieux que se propose aujourd’hui une communauté rassemblant
opticiens, électromagnéticiens et physiciens du solide. Le développement de ce nouveau type
de matériaux à « bandes interdites photoniques » (BIP), encore appelé cristaux photoniques,
ouvre des perspectives nouvelles pour le confinement de la lumière, les sources optiques et
les systèmes micro-ondes.
T
ous les physiciens du solide
savent que les électrons d’un
cristal semiconducteur ne
peuvent prendre n’importe quelle
énergie : la périodicité du potentiel
d’interaction entre électrons et ato-
mes conduit à l’existence de bandes
d’énergies interdites. De la même fa-
çon, un matériau dont l’indice de
réfraction varie périodiquement sui-
vant les différentes directions de
l’espace pourra présenter des bandes
d’énergies interdites pour les photons
(cf. encadré). Autrement dit, dans
certains domaines de longueur
d’onde de l’ordre de grandeur de la
période du matériau, la lumière ne
pourra s’y propager et sera donc
réfléchie quelle que soit son inci-
dence. C’est en 1987 que E. Yablo-
novitch proposa de réaliser de tels
matériaux et qu’apparurent ainsi les
concepts de bande interdite photoni-
que (BIP, désignant aussi par exten-
sion le matériau à bandes interdites
photoniques) et de cristaux photoni-
ques. La première fonction d’un BIP
est d’être un miroir parfaitement
réfléchissant quel que soit l’angle ou
la polarisation dans une ou plusieurs
bandes de fréquence. De plus, si l’on
introduit localement des défauts de
périodicité dans le BIP, cela revient à
insérer des microcavités résonantes
comme on introduit des impuretés au
sein d’un cristal solide. Le dévelop-
pement des BIP ouvre alors des pers-
pectives nouvelles pour les sources
optiques en créant les conditions de
confinement de la lumière dans un
mode unique du champ électro-
magnétique. L’enjeu pratique pour
les lasers à semiconducteurs, par
exemple, est de savoir structurer en
deux ou trois dimensions (2D ou 3D)
des matériaux solides jusqu’aux
échelles des longueurs d’onde submi-
croniques. Des applications impor-
tantes existent aussi, comme nous le
verrons, aux plus grandes longueurs
d’ondes, et c’est finalement pour
explorer toutes ces potentialités que
s’est constituée en France une com-
munauté composée d’opticiens,
d’électromagnéticiens et de physi-
ciens du solide (GdR CNRS « Cris-
taux photoniques et microcavités »).
DES MIROIRS DE BRAGG À PLUSIEURS
DIMENSIONS
Le BIP le plus simple que l’on
puisse concevoir est le classique
miroir de Bragg, obtenu par alter-
nance périodique de couches planes
diélectriques d’épaisseur optique
k
/
4. L’analyse fine de ses proprié-
tés permet d’ailleurs de bien illustrer
les multiples aspects relatifs à la no-
tion de bande interdite photonique
(cf. encadré). Néanmoins, la bande
interdite d’un miroir de Bragg se
déplace spectralement avec l’angle
d’incidence. En conséquence, pour
une fréquence donnée, la pénétration
dans la structure multicouche est tou-
jours possible sous certains angles.
Pour avoir une bande interdite com-
plète, c’est-à-dire une bande de fré-
quences électromagnétiques inter-
dites dans le matériau quel que soit
l’angle d’incidence, il est donc néces-
saire de fabriquer une structure dont
la périodicité de l’indice de réfraction
s’étend sur les trois dimensions. De
nombreux choix sont possibles. Quel
matériau choisir ? Quel réseau cris-
tallin ? Quel remplissage de la maille
élémentaire ?
Notons d’abord que la bande inter-
dite photonique d’un miroir de Bragg
est d’autant plus large que le
contraste d’indice de réfraction entre
les matériaux qui le composent est
élevé. Le BIP 3D qui nécessite le
recouvrement des bandes interdites
pour toutes les directions de l’espace
sera donc plus facilement obtenu
avec un contraste d’indice élevé. On
démontre que le rapport d’indice doit
être typiquement supérieur à 2. Cette
condition est très astreignante, car la
grande majorité des diélectriques
courants ont un indice de réfraction
insuffisant. Cela exclut par exemple
l’utilisation de structures périodiques
pourtant très spectaculaires rencon-
trées dans le monde animal (réseau
d’alvéoles dans les plumes de cer-
tains oiseaux), minéral (réseau de
billes de silice à la surface des opa-
les nobles), ainsi que d’autres
– Thomson CSF, Laboratoire central de
recherches, Domaine de Corbeville,
91400 Orsay.
– Institut d’électronique fondamentale,
URA 22 CNRS, Bât. 220, 91405 Orsay.
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