Les matériaux à bandes interdites photoniques

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Les photons dans tous leurs états
Les matériaux à bandes interdites
photoniques
Réaliser un matériau qui soit, pour les photons, l’analogue de ce qu’est un cristal semiconducteur
pour les électrons est l’objectif ambitieux que se propose aujourd’hui une communauté rassemblant
opticiens, électromagnéticiens et physiciens du solide. Le développement de ce nouveau type
de matériaux à « bandes interdites photoniques » (BIP), encore appelé cristaux photoniques,
ouvre des perspectives nouvelles pour le confinement de la lumière, les sources optiques et
les systèmes micro-ondes.
ous les physiciens du solide
savent que les électrons d’un
cristal semiconducteur ne
peuvent prendre n’importe quelle
énergie : la périodicité du potentiel
d’interaction entre électrons et atomes conduit à l’existence de bandes
d’énergies interdites. De la même façon, un matériau dont l’indice de
réfraction varie périodiquement suivant les différentes directions de
l’espace pourra présenter des bandes
d’énergies interdites pour les photons
(cf. encadré). Autrement dit, dans
certains domaines de longueur
d’onde de l’ordre de grandeur de la
période du matériau, la lumière ne
pourra s’y propager et sera donc
réfléchie quelle que soit son incidence. C’est en 1987 que E. Yablonovitch proposa de réaliser de tels
matériaux et qu’apparurent ainsi les
concepts de bande interdite photonique (BIP, désignant aussi par extension le matériau à bandes interdites
photoniques) et de cristaux photoniques. La première fonction d’un BIP
est d’être un miroir parfaitement
réfléchissant quel que soit l’angle ou
la polarisation dans une ou plusieurs
bandes de fréquence. De plus, si l’on
introduit localement des défauts de
T
– Thomson CSF, Laboratoire central de
recherches, Domaine de Corbeville,
91400 Orsay.
– Institut d’électronique fondamentale,
URA 22 CNRS, Bât. 220, 91405 Orsay.
périodicité dans le BIP, cela revient à
insérer des microcavités résonantes
comme on introduit des impuretés au
sein d’un cristal solide. Le développement des BIP ouvre alors des perspectives nouvelles pour les sources
optiques en créant les conditions de
confinement de la lumière dans un
mode unique du champ électromagnétique. L’enjeu pratique pour
les lasers à semiconducteurs, par
exemple, est de savoir structurer en
deux ou trois dimensions (2D ou 3D)
des matériaux solides jusqu’aux
échelles des longueurs d’onde submicroniques. Des applications importantes existent aussi, comme nous le
verrons, aux plus grandes longueurs
d’ondes, et c’est finalement pour
explorer toutes ces potentialités que
s’est constituée en France une communauté composée d’opticiens,
d’électromagnéticiens et de physiciens du solide (GdR CNRS « Cristaux photoniques et microcavités »).
DES MIROIRS DE BRAGG À PLUSIEURS
DIMENSIONS
Le BIP le plus simple que l’on
puisse concevoir est le classique
miroir de Bragg, obtenu par alternance périodique de couches planes
diélectriques d’épaisseur optique
k / 4. L’analyse fine de ses propriétés permet d’ailleurs de bien illustrer
les multiples aspects relatifs à la notion de bande interdite photonique
(cf. encadré). Néanmoins, la bande
interdite d’un miroir de Bragg se
déplace spectralement avec l’angle
d’incidence. En conséquence, pour
une fréquence donnée, la pénétration
dans la structure multicouche est toujours possible sous certains angles.
Pour avoir une bande interdite complète, c’est-à-dire une bande de fréquences électromagnétiques interdites dans le matériau quel que soit
l’angle d’incidence, il est donc nécessaire de fabriquer une structure dont
la périodicité de l’indice de réfraction
s’étend sur les trois dimensions. De
nombreux choix sont possibles. Quel
matériau choisir ? Quel réseau cristallin ? Quel remplissage de la maille
élémentaire ?
Notons d’abord que la bande interdite photonique d’un miroir de Bragg
est d’autant plus large que le
contraste d’indice de réfraction entre
les matériaux qui le composent est
élevé. Le BIP 3D qui nécessite le
recouvrement des bandes interdites
pour toutes les directions de l’espace
sera donc plus facilement obtenu
avec un contraste d’indice élevé. On
démontre que le rapport d’indice doit
être typiquement supérieur à 2. Cette
condition est très astreignante, car la
grande majorité des diélectriques
courants ont un indice de réfraction
insuffisant. Cela exclut par exemple
l’utilisation de structures périodiques
pourtant très spectaculaires rencontrées dans le monde animal (réseau
d’alvéoles dans les plumes de certains oiseaux), minéral (réseau de
billes de silice à la surface des opales nobles), ainsi que d’autres
37
Encadré 1
BANDES D’ÉNERGIE ÉLECTRONIQUES
ET PHOTONIQUES
L’équation d’onde (1) d’un champ électromagnétique E(r)
permanent dans un milieu sans perte de permitivité électrique
relative e(r) est formellement analogue à l’équation de
Schrödinger (2) décrivant la fonction d’onde w(r) d’un
électron dans un potentiel V(r) :
2
∇ × @ ∇ × E~ r ! # = x2 e~ r ! E~ r !
c
(1)
2
∇ w~ r ! = − 2 2m ~ E − V~ r ! ! w~ r !
\
(2)
La seule différence est la nature de l’équation d’onde,
vectorielle dans le cas des photons, scalaire dans le cas des
électrons. On retrouve cependant pour un diélectrique
périodique une structure de bandes photoniques analogue à la
structure de bandes électroniques du cristal solide de même
périodicité. Compte tenu de la périodicité de e(r), l’équation
(1) se résout en décomposant E(r) et e(r) en ondes planes :
x (G) exp(i(k + G) r)
et
E(r) = RG E
e(r) = RG ẽ(G) exp(iGr), où k est le vecteur d’onde et G
appartient au réseau réciproque. Après transformation de
Fourier, on aboutit à :
2
− ~ k + G ! × @~ k + G ! × E
x ~ G ! # = x2
c
( ẽ~ G − G ′ ! Ex ~ G ′ !
G′
(3)
qui, une fois développée, est une équation aux valeurs propres
2
x et de vecteurs propres ẽE
x . Si l’on limite la décomposition
2
c
de Fourier à N vecteurs du réseau réciproque, le problème est
matériaux s’organisant spontanément
sur des réseaux 3D tels certains polymères ou certaines solutions colloïdales. Ceux-ci ont des indices de réfraction trop faibles, et les mesures
sur ces matériaux montrent de classiques effets de diffraction par une
structure périodique, tout à fait analogues à la diffraction des rayons X
par les cristaux. Pour obtenir une
bande interdite complète, les chercheurs ont donc utilisé des matériaux
d’indice plus élevé tels que les semiconducteurs ou certains isolants.
38
de dimension 3N × 3N. En réalité, on montre que seules
deux polarisations transverses de E sont à prendre en compte,
ce qui nous ramène à 2N valeurs propres.
La figure de gauche montre le cas du miroir de Bragg pour
une incidence perpendiculaire aux couches. Les deux
polarisations du champ sont ici équivalentes. Comme en
physique des solides, le diagramme de bandes (ou de
dispersion), x(k), se construit en se limitant aux vecteurs du
réseau réciproque situés dans la première zone de Brillouin
(ici, u k u < p). Aux basses fréquences, le miroir se comporte
a
comme un matériau effectif d’indice moyen (dispersion
linéaire), mais une bande interdite s’ouvre dès qu’on approche
le bord de zone. On montre qu’aux fréquences de la bande
inférieure permise, le champ électrique est concentré dans les
régions de forte permitivité. L’inverse se produit pour les
fréquences juste au-dessus de la bande interdite et l’on
retrouve l’équivalence avec les bandes de valence et de
conduction d’une chaîne linéaire d’atomes. Quand l’angle
d’incidence est modifié, la période « vue » par l’onde
électromagnétique change et la bande interdite se décale en
fréquence.
La figure de droite représente la « Yablonovite ». La première
zone de Brillouin est un octaèdre tronqué (voir encart). Selon
la nomenclature usuelle, C désigne son centre, X, L, U, K, W
ses points de symétrie principaux. Le diagramme de bandes
s’obtient en juxtaposant les diagrammes élémentaires
correspondant à chaque direction. Une bande interdite
complète apparaît ici entre la deuxième et la troisième bande
permise.
On montre que la structure la plus
favorable pour la réalisation d’un
BIP est celle dont la première zone
de Brillouin construite dans le réseau
réciproque (cf. encadré) est la plus
proche d’une sphère. Ce résultat est
intuitif car il revient à considérer toutes les directions de propagation de
manière équivalente. Le réseau cubique face centrée (c.f.c.), dont la première zone de Brillouin est un octaèdre tronqué, apparaît comme le
meilleur candidat.
Il reste à choisir le motif, c’est-àdire la forme du matériau à l’intérieur d’une période. Les calculs qui
s’imposent sont difficiles car les matériaux sont structurés à l’échelle de
la longueur d’onde et les approximations de l’optique géométrique (k << r) ou de milieu effectif
(k >> r) sont inapplicables. On aboutit rapidement à un traitement numérique, avec des limitations évidentes
sur la taille des systèmes étudiés. Les
calculs montrent cependant que le
remplissage de la maille élémentaire
Les photons dans tous leurs états
La méthode des ondes planes décrite ci-dessus est bien
adaptée à l’étude du diagramme de bandes d’un BIP infini.
En revanche, elle ne s’applique pas au calcul de la
transmission d’un BIP fini, de même qu’elle est peu adaptée à
l’étude des défauts de périodicité. Les spectres de transmission
s’obtiennent par un calcul généralisé du coeffıcient de
transmission-réflexion : on maille l’espace réel, on discrétise
les équations de Maxwell et l’on associe une matrice de
transfert à chaque cellule élémentaire. Pour le calcul des
modes de défauts, la recherche de leur position spectrale peut
s’apparenter à la recherche d’une aiguille dans une botte de
foin et les théoriciens s’emploient aujourd’hui à développer
une méthodologie adaptée à ce problème. Il existe aussi des
méthodes de résolution des équations de Maxwell dans le
domaine temporel, ce qui permet de visualiser directement la
propagation des champs dans le BIP.
Cristaux photoniques 1D (miroirs de Bragg) et 3D (« Yablonovite ») et diagrammes de bande correspondants : a désigne la période des
cristaux. Sont représentées les trois premières bandes permises du miroir de Bragg (pour une incidence normale) et les six premières bandes de
la « Yablonovite ».
n’est pas indifférent. On ne peut pas
se contenter d’un réseau c.f.c. simple.
Après de premières hésitations, la
première bande interdite complète a
été prédite par une équipe de l’université de l’Iowa dans la structure du
diamant (un c.f.c. avec deux atomes
par maille séparés de 1, 1, 1 sui4 4 4
vant la grande diagonale). Depuis
lors, toutes les réalisations de BIP 3D
ont été des « maquettes » de la
structure du diamant, à différentes
échelles.
~
!
DES BIP AUX ONDES CENTIMÉTRIQUES
ET MILLIMÉTRIQUES
Il est clair que la tâche de réalisation est d’autant plus ardue que les
longueurs d’onde sont petites et l’on
ne s’étonnera pas de ce que les premières réalisations aient vu le jour
dans le domaine des ondes millimétriques. Des études empiriques de
structures 2D ou 3D étaient d’ailleurs
apparues dès les années 60, où l’on
parlait alors de diélectrique artificiel.
Ce n’est pourtant qu’en 1991, après
l’introduction du formalisme de
bande interdite photonique, que
E. Yablonovitch réalisa la « Yablonovite », reproduction de la maille cristalline du diamant par perçage d’un
bloc de plexiglas suivant trois axes à
120° correspondant aux galeries
< 110 > de la structure du diamant
(encadré). L’existence d’une bande
interdite complète a été démontrée à
la fréquence de 15 GHz (kz2 cm).
Des démonstrations plus récentes ont
été faites à plus haute fréquence. La
39
maillages métalliques. A la différence
de simples métaux, ces maillages
présentent également des structures
de bande liées à la périodicité ; ils
ont de plus l’avantage d’être à la fois
compacts, déformables (donc reconfigurables) et capables d’intégrer des
éléments actifs.
LE DÉFI TECHNOLOGIQUE POSÉ PAR
DES LONGUEURS D’ONDE PLUS
COURTES
Figure 1 - Spectres de transmission (à gauche) mesurés sous deux incidences sur une structure de type
« tas de bois » simulant le cristal de diamant (à droite). Les poutres parallèles de chaque rangée
2
(130 × 130 µm ) sont réalisées par un procédé mécanique original de structuration de substrats de
silicium (A. Tchelnokov, S. Rowson, J.-M. Lourtioz, IEF d’Orsay). Deux poutres consécutives sont
séparées par un « gap » d’air de 360 µm. Les mesures spectrales, obtenues par une technique d’impulsions térahertz (L. Duvillaret, J.-L. Coutaz, Laboratoire d’hyperfréquences et de caractérisation de
l’université de Chambéry) font apparaître une bande interdite commune aux deux directions d’incidence entre 260 et 280 GHz. Les bandes interdites d’ordre plus élevé ne présentent en revanche pas de
recouvrement significatif. L’influence accrue des effets de diffraction en haute fréquence rend par ailleurs
le contraste en transmission plus faible.
figure 1 montre par exemple des résultats obtenus à l’Institut d’électronique fondamentale (IEF) d’Orsay
sur une structure dite « tas de bois »
qui présente une bande interdite complète vers 270 GHz (kz1,1 mm).
Le procédé de réalisation consiste ici
à creuser des tranchées parallèles
dans des substrats de silicium intrinsèque, puis à empiler les substrats de
sorte que les « poutres » de silicium
restantes correspondent aux rangées
atomiques < 100 > du diamant. La
période cristalline est alors définie
par quatre réseaux de poutres empilées. Les spectres de transmission de
la figure 1 mesurés sous différentes
incidences font clairement apparaître
une bande de fréquence commune où
le signal transmis atteint le seuil de
détectabilité. Le facteur d’atténuation
peut en réalité dépasser 103 pour une
seule maille cristalline, soit une réflectivité supérieure à 99,9 %.
Vu la relative facilité de fabrication des structures destinées aux ondes
millimétriques, une application a été
rapidement identifiée : les substrats
sur lesquels reposent les antennes. Il
s’agit d’éviter la perte d’énergie due
aux effets de guidage dans les
substrats usuels. On peut aussi empêcher les interférences possibles entre
40
antennes voisines sur un même substrat. Une équipe du MIT a ainsi proposé des BIP exempts de modes de
surface et de modes guidés, démontrant une augmentation substantielle
du rendement des antennes, ainsi que
la possibilité de conformer leur lobe
d’émission. De nouvelles structures
sont actuellement à l’étude dans
diverses équipes du GdR, associant
par exemple du métal et du diélectrique ou utilisant simplement des
Fabriquer des BIP aux longueurs
d’onde de l’infrarouge et du visible
impose de structurer des matériaux
solides jusqu’à l’échelle submicronique. A notre connaissance, aucune
structure 3D n’a encore été réalisée à
cette échelle. En revanche, des
méthodes de fabrication de structures
2D commencent à être maîtrisées
(figure 2). Pour bénéficier d’un confinement 3D, une solution consiste à
insérer ces structures dans des guides
optiques planaires (figure 3). En
dépit des problèmes posés, cette solution a le mérite d’être directement
applicable aux composants de l’optique intégrée. Deux exemples de BIP
2D sont présentés en figure 2. Le premier (à gauche) est celui d’un réseau
hexagonal de trous obtenu par gravure photo-électrochimique d’un
substrat de silicium. Partant d’un
Figure 2 - A gauche : BIP 2D réalisé par gravure photo-électrochimique du silicium. La périodicité du
réseau est d’environ 4 µm et la bande interdite se situe vers 10 µm. Le diamètre des pores et leur profondeur sont de 1 et 150 µm, respectivement (A. Tchelnokov, S. Rowson, J-M. Lourtioz, IEF d’Orsay).
A droite et en bas : BIP 2D en AsGa, de période 2,6 µm, obtenu par gravure ionique réactive. A droite
et en haut : figure interférentielle utilisée pour insoler la résine et réaliser le masque de gravure
(V. Berger, O. Gauthier-Lafaye, E. Costard, Thomson-CSF Orsay).
Les photons dans tous leurs états
masque de gravure réalisé par lithographie optique traditionnelle, des
amorces d’attaque sont d’abord gravées sur le substrat. L’électro-érosion
se propage ensuite à partir des amorces suivant la direction < 100 > du
cristal de silicium utilisé comme
anode et le diamètre des pores
s’ajuste avec le niveau d’éclairement.
Cette technique se caractérise par une
vitesse de gravure très rapide
(30-50 µm/h), comparée aux autres
techniques lithographiques. La périodicité du réseau de pores est ajustable de 0,1 à 10 µm et leur profondeur peut dépasser 100 µm. C’est
par cette technique qu’a été démontrée la première bande interdite 2D
dans l’infrarouge vers 5 µm par une
équipe des laboratoires Siemens. Le
second exemple de la figure 2 (à
droite) est celui d’un réseau triangulaire de trous réalisé par gravure
ionique réactive de l’arséniure de
gallium (AsGa). Au lieu des techniques habituelles de lithographie,
électronique ou optique, utilisées
pour réaliser le masque de gravure, le
procédé consiste ici à éclairer une
résine photosensible par un ensemble
convergent de faisceaux cohérents
qui représentent les principales directions de Fourier de la structure à
reproduire. Une généralisation de ce
procédé holographique à des structures 3D est étudiée, notamment grâce
à l’expérience acquise sur les réseaux
de lumière pour le piégeage d’atomes
froids (J-Y. Courtois, Laboratoire
Kastler Brossel).
LES BIP EN OPTIQUE INTÉGRÉE
PLANAIRE ET LES PROBLÈMES DE
DIFFRACTION
De nombreux composants optoélectroniques utilisent à ce jour des
géométries de guide d’onde planaire
où la partie active est constituée
d’une couche semiconductrice à puits
quantique (figure 3). La lumière
émise par le puits quantique peut
ainsi rester confinée dans le guide
planaire. Si l’on veut maintenant réaliser une source à l’échelle de la longueur d’onde, il faudra en outre
confiner la lumière dans les deux
directions restantes en utilisant des
réflecteurs de haute réflectivité et de
faible encombrement. Les BIP 2D
répondent a priori à la question.
C’est sans compter sur les problèmes
posés par une possible diffraction de
la lumière hors du guide vers le substrat, par le BIP lui-même. L’importance de ce phénomène a été démontrée au laboratoire de Thomson CSF.
La figure 3 illustre schématiquement
cette situation pour un réflecteur BIP
formé d’un réseau de trous cylindriques d’air dans le matériau semiconducteur : une partie de la lumière
émise par la source à l’extrémité du
guide est diffractée sur les bords des
motifs et se perd alors dans le substrat. Pour limiter les effets de diffraction, il faut rendre le motif élémentaire du BIP peu diffractant et
renforcer le confinement du guide en
prenant des couches confinantes d’indice aussi faible que possible. Une
autre difficulté de l’optique intégrée
tient à la caractérisation même du
réflecteur BIP. La démonstration sans
ambiguïté d’une bande interdite
requiert en effet de mesurer une forte
atténuation dans la bande mais aussi
une bonne transmission hors de cette
bande. La méthode développée récemment à l’Ecole polytechnique
(figure 3) consiste à comparer pour le
même guide la transmission du signal
de luminescence émis par le puits
quantique selon qu’il traverse le BIP
ou qu’il passe à l’extérieur. La
mesure est ensuite reproduite sur des
échantillons dont la structure à puits
quantique est identique mais dont
le réflecteur BIP est de période
différente.
DES MODES DE DÉFAUTS AUX
MICROCAVITÉS EN TROIS DIMENSIONS
Combiner des BIP avec des éléments optiques actifs se conçoit aisément, comme nous venons de le voir,
lorsqu’on les exploite comme filtre ou
réflecteur aux propriétés particulières,
mais on peut aussi les utiliser comme
matériaux hôtes, en introduisant
Figure 3 - Méthode de mesure de la transmission d’un réflecteur BIP inséré dans le guide (à gauche). Une attention particulière doit être portée sur la possible diffraction d’une partie de la puissance vers le substrat (flèche blanche). La transmission est déduite du rapport d’intensité I/I0 où la référence I0 est
prise dans une zone adjacente au BIP. A droite : exemple de résultat de mesure de transmission, en fonction du rapport entre la période a du BIP et la longueur d’onde k (D. Labilloy, H. Benisty et C. Weisbuch, Ecole polytechnique).
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des défauts comme on dope un semiconducteur. Toutes les variétés de défauts sont envisageables et nous n’en
ferons pas ici l’inventaire. Les défauts ponctuels (lacunes, interstitiels...) présentent parmi d’autres un
intérêt particulier. Comme pour les
électrons dans un semiconducteur,
leur présence se traduit en effet par
une résonance étroite au sein de la
bande interdite (figure 4) et, en 3D,
cette résonance peut correspondre à
un mode unique du champ électromagnétique. Si l’on place alors aux
centres des défauts des émetteurs
dont l’émission coïncide avec la
résonance, on pourra recueillir l’intégralité de l’émission spontanée dans
le mode unique du champ. En utilisant des émetteurs efficaces (faiblement dissipatifs), cela ouvre la voie à
des lasers sans seuil ou des sources
de lumière comprimée. La réalité
n’est certes pas encore aussi simple.
Le calcul des modes de défauts ponctuels dans un BIP est déjà un problème en soi (voir encadré) et le couplage à un mode particulier de défaut
(ou sa détection) nécessite un travail
d’optimisation important (figure 4). Il
y a néanmoins là une voie prometteuse pour l’optoélectronique quantique et l’on peut s’attendre à des progrès décisifs dans les prochaines
années. Notons à ce point qu’un défaut ponctuel dans un BIP n’est en
fait rien d’autre qu’une microcavité
particulière en trois dimensions,
comme celles que l’on commence à
réaliser aujourd’hui dans les matériaux semiconducteurs (figure 5). On
ne s’étonnera donc pas que les études dans ces deux domaines soient
menées en étroite relation.
Figure 4 - Modes de défauts lacunaires mis en évidence dans un BIP micro-onde (F. Gadot, A. De Lustrac, P. Crozat, IEF d’Orsay). Celui-ci consiste en un réseau carré de tiges d’alumine dans l’air (encarts). Une tige manquante est une lacune. Lorsque les lacunes sont espacées l’une de l’autre (à gauche), un seul pic de résonance s’observe sur le flanc haute fréquence de la bande interdite (défaut peu
profond). Lorsque les lacunes sont rapprochées, le pic se dédouble (défauts couplés, à droite). A la
résonance, la transmission est inférieure à l’unité car l’onde plane incidente se couple mal au(x) mode(s) de défaut.
Empilements
de Bragg
GaAs/GaAlAs
Couche active
1,5 µm
Figure 5 - Structure 3D obtenue en gravant une microcavité planaire sur de très petites dimensions
latérales (ici 0,7 µm, gravure réalisée par E. Costard, LCR Thomson CSF). A gauche : image prise au
microscope électronique à balayage, à droite : schéma en perspective. La flèche blanche désigne la direction d’émission de la lumière hors de la microcavité. L’étude de ces objets par J.-M. Gérard (CNET
Bagneux) nécessite la prise en compte des modes 3D du champ électromagnétique : le simple modèle
planaire ne suffıt plus.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Avec l’avènement des matériaux à
bandes interdites photoniques apparaît ainsi une classe de nouveaux matériaux pour l’optoélectronique et
l’optique en général, avec des structures 3D à l’échelle de la longueur
d’onde. Ce développement suit l’évolution logique de réduction de taille
des composants qui s’est opérée au
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cours de la dernière décennie avec la
perspective d’intégration de plus en
plus grande et l’opportunité d’accroître les performances des composants
en utilisant les propriétés quantiques
ultimes de la lumière. La technologie
des cristaux photoniques complète
aussi d’une certaine façon les techniques de confinement électronique,
communément appelées « band gap
engineering » selon la terminologie
anglo-saxonne, en confinant les photons grâce à une « ingénierie » de
l’indice de réfraction cette fois. Enfin, les cristaux photoniques amènent
une vision nouvelle de l’optoélectronique en deux ou trois dimensions,
qui va de pair avec les architectures à
trois dimensions qui apparaissent
dans les circuits microélectroniques
Les photons dans tous leurs états
complexes de nos ordinateurs. Ces
nouvelles perspectives posent en retour de nouveaux problèmes de
modélisation théorique ou de caractérisation expérimentale qu’il faudra
résoudre peu à peu. Au cours de l’exposé, nous avons fait état des premières réalisations ou démonstrations,
mais il est clair que les voies ouvertes demandent encore beaucoup d’efforts de recherche avant d’aboutir à
l’application. D’autres voies de
recherche, qui ont par ailleurs été
ignorées, sont prometteuses telles
l’étude des non-linéarités optiques, la
conception de quasi-cristaux ou la
réalisation de structures déformables
ou reconfigurables.
POUR EN SAVOIR PLUS
Berger (V.), « Les BIP, ou comment réfléchir la lumière avec des trous », La
Recherche, volume 290, p. 74 (1996).
Joanopoulos (J.D.), Meade (R.D.),
Winn (J.N.), « Photonic Crystals. Molding the Flow of Light », Journal of
Modern Optics, spécial issue Photonic
Band Structures, vol. 41, february 1994.
« Photonic Band Gap Materials », edited by C. Soukoulis, Kluwer Academic
Press (1966).
« Microcavities and Photonic Band
Gaps : Physics and Applications » edited by J. Rarity and C. Weisbuch,
Kluwer Academic Press (1996).
Courtois (J.Y.) et Grynberg (G.),
« Cristallisation d’atomes sur un réseau
de lumière », Images de la Physique
1994.
Abram (I.), Bloch (J.) et Delalande
(C.), « Les microcavités à base de
semiconducteur : couplage fort matièrerayonnement », Images de la physique
1997.
Article proposé par :Vincent Berger, tél. 01 69 33 90 84, email : [email protected] et Jean-Michel Lourtioz, directeur du GdR « Microcavités et cristaux photoniques », tél. 01 69 15 40 91, email :[email protected].
Cet article intègre également des contributions d’équipes du GdR.
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